undefined cover
undefined cover
Le pouvoir des récits, de l’intime au politique cover
Le pouvoir des récits, de l’intime au politique cover
Sororités francophones

Le pouvoir des récits, de l’intime au politique

Le pouvoir des récits, de l’intime au politique

44min |18/04/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Le pouvoir des récits, de l’intime au politique cover
Le pouvoir des récits, de l’intime au politique cover
Sororités francophones

Le pouvoir des récits, de l’intime au politique

Le pouvoir des récits, de l’intime au politique

44min |18/04/2024
Play

Description

⚠ Ce podcast aborde la thématique des violences sexuelles et peut créer des situations d’inconfort chez certaines personnes.

Dans cet épisode, Axelle Jah Njiké, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, Pascale Solages de l’organisation féministe Nègès Mawon et Fabiola Mizero, consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique et créatrice et host de podcast se livrent sur leurs parcours. Ensemble, elles échangent sur les enjeux liés aux récits, en particulier les récits féministes, et comment ceux-ci peuvent permettre à certaines femmes de se retrouver dans la voix d’une autre, à des victimes de violences sexistes et sexuelles, de mettre des mots sur un passé devenu force.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501

  • Speaker #1

    Créer un espace de réflexion politique et féministe, un lieu d'échange, de partage de savoirs et d'expériences, c'est l'ambition de ce podcast. Bienvenue dans Sororité francophone, le podcast des conversations féministes francophones. Nous sommes avec Pascal Solage, militante féministe haïtienne, fondatrice et coordinatrice générale de Négues Marron, Axelle Jeanne-Jiquet, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenu sonore et Fabiola Misérault, Consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Avec nos invités, nous avons parlé des récits qui fabriquent les imaginaires, de ceux qui participent à notre politisation, du pouvoir des mots et de nos désirs politiques. En quoi les récits nourrissent nos imaginaires, nos réflexions et nos parcours militants ? C'est la question posée à nos trois panélistes. Vous entendrez successivement Fabiola Misérault, Axel Jeanne Jiquet et Pascal Solage. Fabiola Misérault.

  • Speaker #2

    J'ai pas eu accès à beaucoup de récits,

  • Speaker #3

    d'histoires,

  • Speaker #2

    de biographies où je me sentais représentée. J'ai grandi en étant très adepte à la lecture et à l'écriture, donc c'était vraiment des univers dans lesquels je pouvais circuler, mais c'était souvent des univers où j'avais accepté que je n'existais pas et je ne me recherchais pas dans ces univers-là. Et donc, j'étais comme un personnage de seconde zone qui regardait un petit peu ce qui se passe, qui était curieuse, qui apprenait des mondes différents.

  • Speaker #4

    Et donc,

  • Speaker #2

    même si jusqu'à présent, la littérature a une place très importante dans ma vie, ce n'est pas forcément... c'est pas forcément la plateforme ou l'outil qui m'a permis de me retrouver directement, mais c'est un outil qui résonnait avec qui j'étais et parmi quand j'ai écouté la réplique je me retrouvais aussi beaucoup dans les mangas les mangas m'étaient souvent des orphelins, des enfants issus de classes populaires au coeur de leur récit et c'était souvent des enfants qui devenaient héros et donc ça a vraiment beaucoup stimulé cette idée que même si je n'étais pas un garçon qui joue au foot même si je ne suis pas je ne suis pas Olivier et Tom j'avais quand même cette idée que tu peux venir d'un milieu plus précaire et quand même aspirer à de grandes choses tu peux venir d'une famille qui est dysfonctionnelle et quand même aspirer à à ce qu'il y a de grandes choses et c'est ce que les mangas mettaient souvent en avant même s'il y avait quand même beaucoup de limites, pas de caractère noir encore moins des caractères femmes et souvent s'ils étaient là c'était des caractères de seconde zone mais il y avait quand même ce récit de à partir d'où tu viens tu peux devenir quelque chose

  • Speaker #1

    Pour moi,

  • Speaker #3

    c'est assez facile, c'est Pourquoi chante l'oiseau en cage de Maya Angelou. C'est ce récit-là qui est le récit dans lequel je me suis retrouvée la première fois et de manière très forte. Ça correspondait à mon vécu en matière de violence sexuelle, c'était la première fois. que je lise un récit à propos d'une petite fille noire à qui il était arrivé la même chose qu'à moi et indéniablement à partir de cette... De cet ouvrage-là, j'ai commencé à lire les autrices noires américaines. J'ai très vite eu loisir de m'identifier. J'ai grandi dans les années 80. L'autre ouvrage qui avait marqué ces années-là, c'est La couleur pourpre d'Alice Walker. Du coup, j'avais une... une conscience de plein de choses qui correspondaient à l'environnement dans lequel moi je grandissais, qui était un environnement plutôt maltraitant. Et c'était extrêmement important pour moi de trouver un écho à ça. Et ça m'a sauvé la vie. Ça m'a permis en tout cas de me dire qu'il existait une vie après celle-là.

  • Speaker #1

    Pascale Solage, cofondatrice et coordinatrice de l'organisation féministe haïtienne, Négues Marron revient sur l'articulation de l'intime et du politique.

  • Speaker #4

    Donc quand tu es une adolescente en Haïti, comme moi, qui a été dans une école congréganiste, c'est-à-dire que tu as été élevée toute ta vie par des sœurs religieuses. En premier lieu, tu n'as pas conscience que tu te cherches effectivement dans ce que tu lis, parce que ce qui est à ta portée, ce n'est pas nécessairement des récits, ce n'est pas nécessairement des espaces où... on t'aide à te chercher ou à te reconnaître. Donc, ce que tu as accès en premier lieu dans le niveau scolaire quand tu es... Quand tu es une jeune fille ou une adolescente haïtienne, c'est certes de la littérature haïtienne, mais les personnages féminins que tu retrouves dans la littérature haïtienne, du moins ceux qui sont en circulation dans le système scolaire, c'est toujours le prototype, le schéma de la femme haïtienne potomitain. Je veux dire, ça veut dire qu'elle est au centre de la famille, qui supporte tout, qui est résiliente, qui est forte. et qui survient à tout, même si on la casse en divers morceaux. Et en fait, on te transmet tous ces récits à travers les grands romans de littérature haïtienne. Et au fur et à mesure, tu te dis que c'est ça, être une femme haïtienne, et c'est ça, être une bonne femme haïtienne. Moi, je suis survivante de violences sexuelles. très jeune,

  • Speaker #2

    genre

  • Speaker #4

    7-8 ans, très tôt. Mais aussi, je viens d'une famille qui a eu beaucoup de violence. C'est un espace familial où j'ai connu très tôt aussi, presque au même âge, la question de la violence conjugale. La famille brisée, on va dire que c'est un petit peu... quelque chose qu'on connaît beaucoup chez nous. Mais je suis aussi porteuse de l'expérience de perdre un enfant à cause des violences obstétriques et aussi qui sont intimement liées. à un système médical extrêmement patriarcal, extrêmement violent pour les femmes, pour les jeunes femmes en Haïti. Et le défi, c'est un défi pour moi de porter toutes ces expériences personnelles dans mon parcours militant, peut-être sans le dire, peut-être sans raconter ce parcours, en tout cas très peu. Je sais qu'il y a toute cette puissance du storytelling, du partage et tout. Et je pense aussi que c'est quelque chose à dire de quand tu ne peux pas raconter ton parcours, quand tu ne peux pas raconter tes expériences pour alimenter ton militantisme, je pense que moi, c'est mon expérience personnelle. Et je pense aussi que ça participe de comment on survit à un trauma. Ça peut être justement en en parlant ou en en parlant pas. Peut-être que mon parcours militant aurait été différent s'il avait été construit justement sur le récit de ces expériences. Il est bâti sur mon vécu, mais non pas sur les récits.

  • Speaker #1

    Née au Cameroun et arrivée en France dans son enfance, Axelle Jeanne Jiquet est autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, chroniqueuse et militante féministe païenne. Axelle est la créatrice des podcasts Me, My Sex and I La fille sur le canapé et Je suis noire et je n'aime pas Beyoncé consacrée au vécu des femmes afrodescendantes d'un point de vue aussi bien intime que collectif.

  • Speaker #3

    Avant d'être militante, je suis une artiste. Et je suis arrivée sur la scène de la question des droits des femmes via ma casquette d'artiste. Je suis arrivée enfin en tant qu'autrice, en l'occurrence participante. d'un recueil qui s'appelle Volcanique, une anthologie du plaisir, sous la direction de Léonora Miano, où nous étions douze femmes, douze autrices des mondes noirs, à parler du plaisir féminin. C'est que j'ai commencé par tendre le micro à d'autres, en fait. J'ai commencé par... Ouvrir un espace audio avec Mima Sex and Life où des femmes afrodescendantes pouvaient parler de leur vécu et pas n'importe quel vécu, je voulais qu'elles parlent de leur intimité. Je voulais qu'on sorte du récit qui était le seul souhaitable de la discrimination et de la stigmatisation. Je voulais qu'on ait enfin la possibilité de parler de choses aussi banales qu'elles l'étaient pour d'autres, mais bizarrement ces autres n'avaient jamais nos traits. Donc arriver en parlant de l'entrée dans la puberté, de comment est-ce qu'on a été éduqué dans la maison, de son premier baiser, ça n'a l'air de rien, mais en fait on ne nous posait jamais ce genre de questions. Mima Sex and Life, c'était ça. C'était vraiment, de ma part, une volonté absolue d'aller dans l'intime parce que je pense encore aujourd'hui qu'au cœur de l'intime réside l'universel. Les récits de cet ordre-là permettent de créer des passerelles avec des gens qui pensent qu'ils ont. rien en commun avec nous, ce qu'il faut, vraiment. Là-dessus, je suis... Pour le coup, c'est Maya Angelou qui disait qu'on avait plus de choses en commun que de choses qui nous séparent. Et que la chose qui faisait qu'on ne s'en aperçoive pas, c'est qu'on ne confiait pas assez les récits de vie, on ne se confiait pas assez les unes aux autres quant à nos récits de vie. Et Mima Sex and I, c'est vraiment, vraiment, vraiment cette idée-là, en fait. Et donc, en passant par ce contenu-là, j'ai eu beaucoup de retours de gens me disant Mais comment ça se fait que vous posiez des questions de cet ordre-là ? Comment est-ce que vous arrivez à obtenir autant de confidences ? Comment est-ce que vous arrivez à instaurer ce que vous instaurez ? Et moi, je savais que, bien sûr, j'étais passée par… plein des questionnements que je soumettais aux autres, mais je n'étais pas encore à un endroit où je pouvais leur dire voici mon histoire Et ça, c'est venu seulement après le troisième podcast, qui est Je suis une âge d'un pavillon de cé consacré au féminisme francophone des années 60 à nos jours, qui est en fait un programme qui est un hommage au parcours de ma mère. C'est un programme dans lequel... sous couvert de la question féministe, je parle de ce que ma mère a rendu possible pour moi. Et à partir du moment où j'ai fait ça, il était temps que je pose mon propre récit. Mais pour moi, c'était dans cet ordre-là. Je passais d'abord par le collectif, je passe ensuite par la transmission, et seulement après, je pouvais poser un récit qui était le mien.

  • Speaker #1

    Fabiola Misérault est consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Elle réfléchit à l'amélioration des structures et espaces qu'elle traverse par la voie de la facilitation de conversations difficiles, l'analyse des structures internes afin de réimaginer des espaces plus inclusifs, bienveillants et empathiques. Fabiola est la créatrice et hoste du podcast South Side Stories qui part à la rencontre de personnes issues des diasporas des Sud.

  • Speaker #2

    J'ai grandi en ayant beaucoup de bouillonnements à l'intérieur de moi-même, beaucoup de sentiments d'avoir un feu qui était en moi que je n'arrivais pas forcément à canaliser, à comprendre comment partager. J'ai trouvé beaucoup de consolation dans mes amitiés, dans les sororités que j'ai créées, dans le lien de sororité que j'ai créé avec mes amis qui, par la force des choses, on arrivait à partager cette intimité et partager ces expériences qui souvent étaient très communes. J'ai eu beaucoup de chance d'encontrer d'autres jeunes filles qui avaient grandi avec des expériences qui étaient plus ou moins similaires aux miennes. Mais on était toujours dans l'isolation, toujours dans le secret, dans le partage. Donc il y avait quelque chose de très consolant dans ces liens-là, tout en étant quand même toujours dans l'isolation. Et donc,

  • Speaker #3

    en cheminant encore plus,

  • Speaker #2

    je me disais qu'il y a quelque chose qui… Je ne suis pas seule dans ce que je vis, mais on reste quand même toujours très dans l'isolation et dans le secret. On ne peut pas forcément parler de ce qu'on vit de manière à voix haute. On ne peut pas mettre des mots sur nos expériences de manière collective ou commune. On doit rester à chaque fois dans ce secret. et ça me fait penser beaucoup à l'auteur encore d'Eddie Gentilca qui parle beaucoup du poids du secret dans les communautés noires, afro et comment on chemine dans ça, comment on chemine dans l'idée de ne pas parler, de ne pas oser oser la voix, de ne pas se dire, de ne pas se raconter encore plus en tant que femme noire et c'est en arrivant à la vingtaine, à l'âge de vingtaine où je commence à avoir un peu de poids Je peux me dire peut-être que je peux commencer à créer des espaces, je peux commencer à m'organiser, parce que de plus en plus je suis emmenée à rencontrer des personnes, l'univers, je suis emmenée à rencontrer des femmes noires qui ont des récits similaires aux miennes, qui peuvent aussi se définir comme étant des femmes qui ont vécu à différents... qui viennent de territoires différents, mais qui, encore une fois, se partagent ou s'est vécu collé à la violence sexuelle et a été très présent dans leur enfance. Et aussi, ce vécu avec l'immigration, les déplacements, avec la co-existence, avec un niveau de précarité aussi très élevé. Et donc, c'est devenu... ce côté qui était très personnel a commencé à se renforcer, à devenir de plus en plus collectif avec les autres, avec les autres femmes que je rencontrais. Et on a commencé, franchement, c'est de là que j'ai commencé à me dire que c'était important de se raconter ensemble. Et donc, ça a été de plus en plus... C'était très guérissant pour moi. Je ne sais pas si ça se dit, mais en tout cas, la guérison a commencé à s'activer. plus on se retrouvait dans des espaces qui étaient sûrs, qui étaient sécures, où on se sentait vus, entendus les unes avec les autres. Et plus j'étais en mesure de me dire Ah,

  • Speaker #3

    j'ai envie d'écrire,

  • Speaker #2

    j'ai envie de sortir de cet espace huis clos et de partager mon expérience et d'écrire dans des magazines et d'organiser des conférences où on peut en parler et de réfléchir à des outils pour que les personnes puissent aborder ces questions-là et de briser l'isolation. Il a été propulsé par les espaces de sororité dans lesquels j'ai eu la chance d'être introduite.

  • Speaker #1

    Vous l'avez hyper bien évoqué, vous,

  • Speaker #2

    à titre individuel, et peut-être que les femmes,

  • Speaker #3

    de manière collective, on navigue dans différents espaces,

  • Speaker #2

    dans des espaces qui peuvent être des espaces sexistes,

  • Speaker #1

    misogynes, racistes,

  • Speaker #2

    des espaces dans lesquels, en tant que femmes,

  • Speaker #3

    il y a des mots qui nous tombent dessus,

  • Speaker #2

    qui nous tombent littéralement dessus. Et ces mots,

  • Speaker #1

    ça peut être femme, ça peut être noire, ça peut être...

  • Speaker #2

    plein d'autres mots qui ont pour objectif de limiter les possibles de nos vies et avec lesquels il va quand même falloir frayer tout au long de cette même vie. Et ce que je trouvais intéressant de vous demander, c'était quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ? Parce que ce qui est intéressant, c'est qu'au-delà de peut-être se les accaparer ou de les définir, Ce qui est intéressant, c'est de savoir ce qu'on fait de ces mots.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on les accepte ? Est-ce qu'on les rejette ?

  • Speaker #2

    Est-ce qu'on choisit peut-être de les redéfinir ? Parce qu'en fait, en fonction de ce qu'on a choisi de faire, c'est là que se trouvent un peu nos désirs politiques pour peut-être des sociétés plus égalitaires. Donc voilà, moi je voulais savoir quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ?

  • Speaker #1

    Moi,

  • Speaker #3

    en ce qui me concerne, le mot qui m'est tombé dessus, c'est le terme viol, en fait. Parce que c'est... C'est ce qui m'est tombée dessus littéralement quand j'avais 11 ans. Et lorsque ce terme me tombe dessus, je ne sais même pas qu'il existe. Je ne sais même pas en quoi ça consiste. Je n'ai aucune conscience de mon corps et de ce qui pourrait être fait à mon corps et de la manière dont une intrusion pourrait avoir lieu. Et en fait, je me rends à la bibliothèque. parce que je suis un petit rat de bibliothèque, je lis beaucoup, beaucoup depuis que je suis arrivée en France. Moi, je suis arrivée ici, j'avais 6 ans, j'ai été envoyée ici par ma mère qui tenait absolument à ce que j'ai accès à l'éducation qu'elle, elle, elle n'avait pas eue. Et du coup, en fait, l'une des façons de... d'avoir moins de chagrin et de me sentir moins isolée, ça a été les livres. Et je me suis réfugiée, en fait, là-dedans. Donc, quand moi, ça, cette agression survient, mon premier réflexe, c'est de me dire je suis sûre qu'il y a une explication dans les livres. Je suis sûre que je vais trouver, voilà. et effectivement je vais trouver, je vais trouver plus que ça parce que je vais trouver Maya aussi Maya Angelou avec Je sais pourquoi je chante l'oiseau en cage et juste déjà pouvoir me réapproprier pouvoir mettre un terme sur l'agression ça a changé l'endroit où je me situais par rapport à ça. Je n'étais plus quelqu'un à qui on avait fait ça. J'étais aussi quelqu'un qui était en mesure de savoir en quoi consistait ce qu'on venait de lui faire et ce qu'il y avait de pas correct en la matière. Donc moi, ça a été ce mot-là. il a fracassé à ce moment-là mon existence et par la suite, je me suis réappropriée. Donc, à partir de ce moment-là, ce qui moi m'a considérablement aidée, sauvée, qui m'a redonnée en tout cas du pouvoir, ça a été de découvrir des ouvrages de littérature érotique écrits par des femmes. Et ces ouvrages, mine de rien, m'ont permis, moi, de comprendre que ce qu'on m'avait fait, ce n'était pas du sexe, c'était de la violence, c'était une agression, ça n'avait rien à voir avec le sexe. Le sexe, c'était les choses agréables que je ressentais à la lecture des livres érotiques. qui me tombait entre les mains, que je trouvais à la bibliothèque, écrit par des femmes. Et que c'était deux choses complètement différentes. Et je pense que ça a beaucoup joué dans le parcours qui est le mien ensuite. Et ce n'est pas un hasard que j'émerge sur la scène médiatique avec un ouvrage qui porte sur le plaisir féminin et une nouvelle érotique. Donc jusque-là, les choses sont assez cohérentes. Donc je pense que c'est ce mot-là. Et la façon dont je me suis réappropriée ce mot-là, ça a été de devenir une autrice de littérature érotique féminine alors que je porte un parcours de cet ordre-là et que mon entrée dans la sexualité s'est faite par la violence et par le viol.

  • Speaker #1

    Pascal Solage. Moi,

  • Speaker #4

    je dirais que le mot... qui m'est tombée dessus et je vais dire aussi qu'on lui est tombée dessus. C'est le mot négresse Et c'est un mot créole, mais en français, on peut avoir le mot négresse Et voilà, on peut l'avoir aussi en anglais et tout. En Haïti, on a l'histoire du nègre marron qui est... Dans l'histoire de la révolution haïtienne, le symbole de la révolte, le symbole de la liberté, le symbole de l'indépendance, quoi. C'est-à-dire que c'est un personnage qui n'a pas d'identité, c'est-à-dire que c'est pas comme dans notre histoire, quand on connaît Toussaint Louverture ou Dessalines et tout. Le nègre marron, on ne sait pas qui c'est. Parfois, on dit que c'est MacAndale et tout, mais en fait, on ne sait pas qui c'est. C'est juste celui qui symbolise notre âge d'être libre. notre rage de nous battre contre le système d'exploitation et de déshumanisation de ce qu'on a vécu pendant la période coloniale. Et ce symbole de neige marron traduit... Toute l'invisibilisation de ce que les femmes ont apporté dans l'histoire de mon pays qui est connu comme la première république noire.

  • Speaker #1

    La révolution haïtienne constitue la première révolte d'esclaves du monde moderne. Des hommes et des femmes asservis ont renversé l'ordre colonial et fondé en 1804 la première république noire au monde.

  • Speaker #4

    L'invisibilisation de toute cette lutte à laquelle les femmes ont participé, les femmes ont contribué. Tout ce qu'elles ont fait à divers niveaux, sur les champs de bataille, sur les colonies elles-mêmes, après l'indépendance, pour participer à la construction de cette première république noire et de cette nation haïtienne. Donc, le negmaro, autant qu'il peut symboliser toute cette rage de la liberté, c'est aussi comment les femmes, depuis toujours, dans l'histoire haïtienne, dans l'histoire racontée, elles ont été invisibilisées. Et comment aussi, après être devenue la nation haïtienne, ces femmes qui avaient été partie prenante totalement de cette lutte pour l'indépendance, ont été relégués en citoyennes de seconde zone, en ayant aucun droit politique, en disparaissant totalement en tant que citoyenne, etc. Bon, on va dire le patriarcat.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #4

    nous, quand on a commencé à faire notre travail en Haïti, c'était comment... nous battre contre cette invisibilisation et comment nous réapproprier justement un terme symbolique qui disait à quel point nous, aujourd'hui encore dans notre contexte actuel, aujourd'hui encore dans les temps que nous vivons, nous avions cette rage en tant que femmes, en tant que citoyennes, en tant que féministes haïtiennes, d'être libres. et aussi de porter toute cette vision de la liberté que ces femmes qui ont combattu, non seulement pendant cette période, mais aussi les femmes qui, depuis 100 ans, parce que je le rappelle que le mouvement féministe haïtien, c'est un mouvement qui existe depuis 1915, quand il a pris naissance justement pour se battre contre l'occupation américaine, comment dans toute l'histoire haïtienne, les femmes ont été de toutes les luttes, et comment cette invisibilisation a été systématique dans tout le monde. toutes les périodes de l'histoire haïtienne.

  • Speaker #1

    J'ai une question pour

  • Speaker #2

    Axel. Plus particulièrement, mais si vous avez envie d'y répondre,

  • Speaker #1

    sentez-vous libre aussi.

  • Speaker #2

    En fait, je me demandais s'il existe des outils qui peuvent être plus pertinents, plus intéressants que d'autres pour faire du commun en partant de la marge. Parce que tu nous as répété à plusieurs reprises que tu es aussi, et j'ai presque envie de dire avant tout,

  • Speaker #3

    une artiste.

  • Speaker #2

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #1

    par exemple,

  • Speaker #2

    fait partie de ces outils ?

  • Speaker #1

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #2

    c'est un domaine qu'il faut investir pour pouvoir y retrouver de plus en plus de récits ? qui peuvent porter en eux des espèces de capacités de transformation des sociétés ?

  • Speaker #3

    Ma réponse est un oui, mais colossale à cette question. Bien sûr que l'art est un domaine qu'il faut investir. On est... Au départ, je choisis moi le podcast sur Mimasexanai parce que je suis totalement consciente de la stigmatisation dont peuvent faire l'objet l'apparence des personnes noires. Et que d'emblée, je me dis que si quelqu'un bute sur l'apparence d'une des intervenantes, ça peut être un motif pour ne pas écouter ce qu'elle pourrait avoir à dire alors que c'est ce qu'elle a à dire qui est le plus intéressant. Et par ailleurs, moi, je sais que la voix est la chose la plus intime qui puisse exister. Donc, je pars sur le podcast. Et il s'avère qu'effectivement, ça fonctionne plutôt pas mal. Et par la suite, je m'aperçois, enfin, pour moi, c'est très clair que quel que soit le support... sur lequel vous décidez de vous exprimer. Ce qui importe, c'est la pertinence du propos que vous avez à partager avec les autres. et le support ça peut aussi bien être du podcast ça peut être du film ça peut être du théâtre vraiment toutes les formes artistiques peuvent être des très bons véhicules pour porter les messages qui sont les vôtres et particulièrement en matière de lutte pour les droits de lutte contre les discriminations pour une meilleure inclusion c'est encore des personne ne m'a vu venir en fait moi avec le podcast personne ne m'a vu venir avec ce sujet-là dans le podcast, raison pour laquelle au départ j'ai eu du mal à trouver des investisseurs. Et c'est ça, enfin moi c'est surtout ce truc-là, c'est plus on sera nombreux à porter des propos comme ceux qu'on porte sur des secteurs comme l'art dans lesquels on ne nous attend pas là-dedans, plus on aura des choses, plus on aura des chances de… toucher un large public. Moi, je sais que le podcast... l'une des raisons pour lesquelles les interlocuteurs que j'avais ne voulaient pas y aller et pensaient que l'intimité de femmes noires n'était pas un sujet c'était qu'ils étaient convaincus que ce contenu ne s'adresserait qu'aux personnes noires que ce seraient les seules personnes qui écouteraient, ce qui est quand même fou quand vous y pensez c'est comme si vous vous dites que je sais pas la Vénus non, comment elle s'appelle, la Joconde non Il n'y a que les Italiens qui vont la regarder. Pourquoi ? ça, ce plafond-là, quand les gens sont bas du cerveau, comme ça, l'art, c'est parfait pour montrer à quel point, en fait, on est des êtres sensibles, en fait. On est des êtres sensitifs, on est des êtres émotifs. Et ce qui fonctionne avec le podcast, ce qui fonctionne avec la voix, c'est ça. On est directement dans les oreilles des gens. Je suis directement dans votre oreille. C'est un rapport qui est très, très particulier. Et ce rapport-là... prête à l'intimité et l'intimité

  • Speaker #0

    prête à l'universel.

  • Speaker #1

    Est-ce que le choix de faire quelque chose d'audio, est-ce que ça a été une évidence pour toi ? Parce que j'ai écouté les premiers épisodes, il y en a un en particulier qui m'a marquée, si je ne dis pas de bêtises, c'est le premier en fait, je reviens sur le parcours d'Émilie, et il m'a marquée parce qu'en fait, on ne vient pas du tout des mêmes, on ne vient pas des mêmes espaces, en tout cas nos parents ne viennent pas des mêmes espaces, mais on a grandi. dans les mêmes espaces en France. Et du coup, je me suis retrouvée dans plein de choses qu'elle décrivait. Et en fait, je me demande si c'est le... Est-ce que le podcast, plus qu'un autre support, permet cette identification ? Est-ce que cette identification aussi, quand toi tu as pensé le podcast, c'était quelque chose que tu recherchais ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui t'a un peu échappé ?

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault. En tout cas,

  • Speaker #1

    ce n'était pas une évidence. J'ai toujours cru que mon médium de privilégion, c'était l'écriture. J'ai commencé à écrire quand j'avais...

  • Speaker #3

    7 ans,

  • Speaker #1

    donc dès que je pouvais tenir un stylo et que je pouvais raconter des histoires, le papier, c'était mon premier médium. Et c'est un médium sur lequel je me suis beaucoup retrouvée, autant à l'âge adolescent, à l'âge jeune adulte, autant dans mes propres journaux intimes que dans la publication de premiers articles dans des plus grands magazines publics. Donc j'ai toujours cru que la manière dont je pouvais raconter, c'était par l'écriture. et en développant un peu plus, en grandissant, en gravitant dans différents espaces, en créant des espaces, en étant invité dans des espaces, je me suis dit que la voix, comme Axelle le disait, il y a quelque chose de très intime dans la voix, il y a quelque chose de très porteur dans la voix parce que tu es capable d'amplifier ou d'inviter d'autres voix à rejoindre les tiennes. Pascal, est-ce que toi, avec Négas Marron, est-ce que les carnets féministes ou les différents festivals... que vous organisez, est-ce qu'ils portent aussi cette même fonction qu'on peut retrouver dans le podcast de Fabiola qui va être par exemple d'amplifier, pas forcément de faire autant, mais presque d'amplifier des voix qui sont déjà là.

  • Speaker #2

    À l'assaut est un projet qui vise à proposer de nouveaux modes de distribution des pensées et des voix féministes. Loin des clichés sur le féminisme du tiers-monde, cantonné à l'assistance d'urgence, À l'assaut propose une plateforme par les femmes et féministes haïtiennes en Haïti et dans la diaspora, afin de diffuser leurs idées, positions, visions et aspirations. À l'assaut, ce sont des carnets composés de dix textes illustrés. Ces textes sont des analyses de militantes, universitaires, chercheuses, intellectuelles ou artistes féministes. Les formats sont fictifs ou non. Les carnets sont produits en deux éditions, créole français et créole anglais.

  • Speaker #3

    Absolument, et ça a commencé justement de cette façon. L'ambition, c'était justement de donner des espaces pour que des femmes se racontent, pour que des femmes se retrouvent et que des femmes se reconnaissent. Et là... Première chose, c'était d'abord le festival. On a créé le festival moins d'un an après la création de l'organisation. C'est parce que déjà, nous, on créait des espaces artistiques. Bon, nous sommes pour la majorité des artistes qui avons fondé Neges Mahon. Et en fait, le premier travail qu'on avait fait, c'était de créer une pièce de théâtre qui s'appelait Talons aiguilles, Talons d'Achille. Talons aiguilles, Talons d'Achille, c'était créer une pièce où quatre comédiennes se retrouvaient. C'est des personnes qui déjà étaient des comédiennes en Haïti, pas très connues, connues et tout. pour parler de sujets comme la maternité, l'avortement, le mariage, etc. C'est-à-dire des sujets qui sont au centre de nos vies et de nos préoccupations en tant que jeunes femmes haïtiennes et qui sont aussi au centre des violences que nous subissons et des discriminations que nous subissons en tant que jeunes femmes haïtiennes. Donc, quand on a écrit Talents aiguilles, Talents d'Achille et qu'on a réuni les quatre comédiennes, on a utilisé la méthodologie en premier lieu avant de commencer les répétitions, avant de commencer tout le travail du volet artistique, en des ateliers de travail, des groupes de paroles pour leur permettre de discuter sur ces différents sujets. Et quand on a réuni ces quatre comédiennes, genre des jeunes femmes épanouies et tout, avec des carrières et tout, on était quatre comédiennes et on était trois de l'équipe à faire le travail donc nous étions sept nous nous sommes rendus compte que nous étions sept et on a des survivantes de violences à divers niveaux. Et dans les groupes de parole avec des jeunes femmes qui étaient fin vingtaine, début trentaine, il y avait que c'était la première fois qu'elles en parlaient. Ou c'était la première fois qu'elles se rendaient compte, je vais reprendre quelque chose qu'Axel a dit tout à l'heure, qu'elles se rendaient compte qu'en fait, ça, c'était de la violence. pour la première fois. Et c'est des jeunes femmes, début trentaine. Et on a créé la pièce et on l'a jouée pendant près d'un an. Et c'était aussi le retour du public qui a vu la pièce partout dans le pays. Donc, on a décidé de créer le festival parce qu'on avait besoin en premier lieu d'un espace où proposer nos créations artistiques, activistes et militantes. Donc, le festival était exactement ça. C'était créer cet espace pour cela que ce soit pour nous ou bien pour donner à d'autres personnes cet espace. Par exemple, l'un des sujets qui me tient le plus à cœur dans les animations que nous avons déjà publiées, c'est le thème de la frontière. parce que moi aussi en tant que réfugiée politique, mais aussi de toute cette histoire de la migration haïtienne. Et Fabula a parlé d'Edwidge Nantika. Si on lit Edwidge Nantika, on sait le drame de la migration haïtienne. Ce sont des dizaines de milliers d'Haïtiens qui, depuis près de 30 ans, périssent dans ce besoin d'aller vivre ailleurs, dans ce besoin d'aller survivre ailleurs. Donc, et aujourd'hui, pratiquement chaque année, nous avons des dizaines de milliers de personnes qui laissent Haïti par tous les moyens possibles et imaginables. Donc, c'était de raconter cette réalité dans un point de vue féministe et de ce que nous vivons, nous, en tant que jeunes femmes, dans cette histoire de la migration haïtienne. Donc, comment se raconter à travers cela ? Et comment permettre à des jeunes femmes qui ont été exilées, soit dans la dictature, soit parce qu'il faut aller vivre quelque part ou bien il faut vivre, tout simplement ? de leur permettre d'exister en tant qu'haïtiennes dans un espace où elles peuvent être ensemble en tant que femmes. Donc, à la source, c'était aussi ça.

  • Speaker #1

    J'ai une question qui est adressée à toutes les trois, qui est la suivante. En fait, vous qui portez des récits, donc à travers... les différents outils, supports que vous vous êtes appropriés, que ce soit à l'art, à travers la littérature, ou le théâtre, ou les initiatives que vous portez, pour quelles raisons, pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous portez ces récits-là ? Et à qui est-ce qu'ils sont adressés ? En fait... Est-ce que vous les portez pour transformer le monde, les sociétés ? Est-ce que c'est pour empouvoir les personnes qui sont au cœur de ces récits ? Pourquoi vous parlez et à qui vous parlez ?

  • Speaker #2

    C'est très égoïste.

  • Speaker #0

    Je le fais d'abord pour moi. Je le fais pour moi et je le fais pour... La jeune fille, l'adolescente que j'ai été, qui a terriblement manqué de ces récits-là quand elle était petite et qui pense qu'elle aurait peut-être gagné du temps. si elle avait pu les entendre quelque part ou les lire quelque part. Et je me... Voilà, on est en relation perpétuelle, elle et moi. Et je lui dois ça, je nous dois ça. Donc, c'est d'abord le premier endroit d'où je m'exprime. Ensuite, je le fais en me disant, peut-être qu'il y a des jeunes femmes qui... Euh... qui vont pouvoir s'identifier à ce que je dis, même si ça, je le dis toujours avec beaucoup de réserve. parce que je parle du principe que et c'est même pas moi qui exprime ça super bien c'est une féministe belge qui s'appelle Aïcha Touwattara qui l'avait très très bien dit lors d'un échange qu'on avait eu sur le podcast de la fille sur le canapé justement sur les violences sexuelles au sein des communautés noires et Aïcha Touw rappelait vraiment pertinemment que certes on est hum on est crédible en tout cas pour parler, évoquer certains sujets parce qu'on est concerné par ces derniers. Mais il ne faut jamais, jamais oublier que notre expérience à nous ne peut en aucun cas être représentative de l'expérience de toutes les autres personnes. Qu'elle ne peut pas à elle seule être celle à laquelle on saurait faire pour parler des ressentis et des vécus d'autres personnes. Moi, je sais que ce que je dis, ce que je peux poser, les paroles que je peux récolter font écho à un certain nombre de femmes noires, font écho chez un certain nombre de femmes noires, mais pas chez toutes les femmes noires. Et je ne veux pas que ce soit perçu de cette façon-là, parce que ça, c'est une manière de faire de nous un bloc monolithique. C'est toujours, ça va toujours, toujours nous jouer des tours, ce truc-là. Donc ça, c'est un truc... Je suis réfractaire à devenir la voix des femmes noires et de l'intimité des femmes noires. Gardez la pêche, en fait. Je suis une des voix possibles en la matière. Celles qui m'ont fait confiance et qui m'ont confié leur récit le sont également. Mais il y a encore... tellement d'autres récits à récolter et nous tenir ce discours-là, c'est la façon de s'arranger, en fait, pour ne pas laisser éclore ces autres récits. On n'est pas encore si nombreuses, mais si nombreuses qu'on peut se faire mettre, en fait, ce luxe-là.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #0

    moi, je suis l'une des expressions possibles de ces récits-là, mais je ne suis pas représentative de toutes les femmes noires. Et ça, pour moi, c'est ça. Le truc crucial, c'est qu'il y a encore pléthore de récits à accueillir et à faire entendre. Et plus on sera nombreux à s'emparer du micro, à s'emparer des outils artistiques de tous les ordres, enfin sous toutes les formes qu'elles soient, plus on pourra parler de la pluralité de nos expériences.

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault

  • Speaker #1

    Pour moi, les premières personnes avec qui je parle, c'est les femmes noires. Et dans les femmes noires, je décortique encore plus, parce que c'est peut-être un peu trop égoïste, mais les premières personnes pour qui je parle, c'est des personnes avec qui je partage une petite partie d'existence, d'expérience commune. et vraiment dans le but de passer de la survie, qui a été assez constante moi dans mon parcours, à cette capacité à jouir de la vie.

  • Speaker #2

    Pascal Solage.

  • Speaker #3

    Pour moi, ce serait deux mots que je mettrais au centre de ma réponse pour ta question. C'est ce besoin non négociable d'exister et après de mobiliser tous les pouvoirs sur toutes les formes possibles et imaginables pour mettre derrière cette existence. Tu avais mis mon corps à gauche au moment où je te parlais. Il y avait ma mère et sa mère avant elle, sa mère qui se cachait alors qu'elle était seule, mes soeurs qu'on avait adoptées comme ma mère dans le... dans le palais noir de la bourgeoisie noire de Pétionville. Ma mère adaptée toute seule, en absence de sa mère, qu'elle ne pouvait plus reconnaître, mon père qui l'avait ramenée enfin dans la montagne de nos gens. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissée tranquille avec ma mère qui était partie et revenue, avec ma grand-mère qui était partie et revenue, avec mon autre grand-mère qui était morte et qu'on ne voulait pas que je remplace sur cette terre. Il y avait ces deux femmes, une forte et une petite, qui n'avaient jamais abandonné la place, même quand elles étaient cachées. Des femmes qui n'étaient pas des religieuses, mais s'occupaient de sacrés au milieu des mornes. Des femmes qui n'étaient que mambo et qui servaient en partant bousquement cueillir des feuilles au milieu du jardin, en laissant leurs légumes s'égayer au marché pendant ce temps, parce que personne ne les aurait volés. Il y avait cette grand-mère, une Africaine, une Amérindienne, qui portait deux peuples en elle, deux peuples de liberté. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissé tranquille et qui justement pouvait les faire se rencontrer. Quand j'ai besoin d'elle, je suis elle. Je suis Erzuli et je m'appuie sur elle. Elles savent bien me briser et me recomposer, une Amérindienne et une Africaine. Et moi, je sais qu'elles sont bien là pour me porter, pour me retisser jusque dans les lignes que je tresse par petits bouts pour les autres. Alors qu'ici, comme tu vois, l'espace est si fermé, l'espace est cloisonné, l'espace est si petit. Je sais bien qu'elles sont là et ma voix n'est jamais mince, ma voix n'est pas petite, non, ma voix n'est jamais seule. Et je parle les pieds plantés dans le silence, le silence qui depuis toujours veut effacer ces femmes, alors que nous, qui avons connu le rasoir, la gilette, ça ne nous fait pas peur.

  • Speaker #2

    Le texte lu par Pascal Solage est un texte de Stéphane Martelly, écrivaine, peintre et chercheur. Elle est née à Port-au-Prince. Par une approche profondément transdisciplinaire qui fait se confronter théorie, réflexion critique et création, elle poursuit une démarche réflexive sur la littérature haïtienne contemporaine, sur la création, sur les marginalités littéraires ainsi que sur les limites de l'interprétation. Merci à Fabiola Misérault, à Pascal Solage et à Axel Jeanne-Jiquet. d'avoir participé à cet épisode de Sororité francophone. Sororité francophone est un podcast conçu par Equipop, monté, mixé et réalisé par Lalia Productions. Retrouvez tous les épisodes de Sororité francophone sur les réseaux sociaux d'Equipop. Merci pour votre écoute. Merci.

Description

⚠ Ce podcast aborde la thématique des violences sexuelles et peut créer des situations d’inconfort chez certaines personnes.

Dans cet épisode, Axelle Jah Njiké, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, Pascale Solages de l’organisation féministe Nègès Mawon et Fabiola Mizero, consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique et créatrice et host de podcast se livrent sur leurs parcours. Ensemble, elles échangent sur les enjeux liés aux récits, en particulier les récits féministes, et comment ceux-ci peuvent permettre à certaines femmes de se retrouver dans la voix d’une autre, à des victimes de violences sexistes et sexuelles, de mettre des mots sur un passé devenu force.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501

  • Speaker #1

    Créer un espace de réflexion politique et féministe, un lieu d'échange, de partage de savoirs et d'expériences, c'est l'ambition de ce podcast. Bienvenue dans Sororité francophone, le podcast des conversations féministes francophones. Nous sommes avec Pascal Solage, militante féministe haïtienne, fondatrice et coordinatrice générale de Négues Marron, Axelle Jeanne-Jiquet, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenu sonore et Fabiola Misérault, Consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Avec nos invités, nous avons parlé des récits qui fabriquent les imaginaires, de ceux qui participent à notre politisation, du pouvoir des mots et de nos désirs politiques. En quoi les récits nourrissent nos imaginaires, nos réflexions et nos parcours militants ? C'est la question posée à nos trois panélistes. Vous entendrez successivement Fabiola Misérault, Axel Jeanne Jiquet et Pascal Solage. Fabiola Misérault.

  • Speaker #2

    J'ai pas eu accès à beaucoup de récits,

  • Speaker #3

    d'histoires,

  • Speaker #2

    de biographies où je me sentais représentée. J'ai grandi en étant très adepte à la lecture et à l'écriture, donc c'était vraiment des univers dans lesquels je pouvais circuler, mais c'était souvent des univers où j'avais accepté que je n'existais pas et je ne me recherchais pas dans ces univers-là. Et donc, j'étais comme un personnage de seconde zone qui regardait un petit peu ce qui se passe, qui était curieuse, qui apprenait des mondes différents.

  • Speaker #4

    Et donc,

  • Speaker #2

    même si jusqu'à présent, la littérature a une place très importante dans ma vie, ce n'est pas forcément... c'est pas forcément la plateforme ou l'outil qui m'a permis de me retrouver directement, mais c'est un outil qui résonnait avec qui j'étais et parmi quand j'ai écouté la réplique je me retrouvais aussi beaucoup dans les mangas les mangas m'étaient souvent des orphelins, des enfants issus de classes populaires au coeur de leur récit et c'était souvent des enfants qui devenaient héros et donc ça a vraiment beaucoup stimulé cette idée que même si je n'étais pas un garçon qui joue au foot même si je ne suis pas je ne suis pas Olivier et Tom j'avais quand même cette idée que tu peux venir d'un milieu plus précaire et quand même aspirer à de grandes choses tu peux venir d'une famille qui est dysfonctionnelle et quand même aspirer à à ce qu'il y a de grandes choses et c'est ce que les mangas mettaient souvent en avant même s'il y avait quand même beaucoup de limites, pas de caractère noir encore moins des caractères femmes et souvent s'ils étaient là c'était des caractères de seconde zone mais il y avait quand même ce récit de à partir d'où tu viens tu peux devenir quelque chose

  • Speaker #1

    Pour moi,

  • Speaker #3

    c'est assez facile, c'est Pourquoi chante l'oiseau en cage de Maya Angelou. C'est ce récit-là qui est le récit dans lequel je me suis retrouvée la première fois et de manière très forte. Ça correspondait à mon vécu en matière de violence sexuelle, c'était la première fois. que je lise un récit à propos d'une petite fille noire à qui il était arrivé la même chose qu'à moi et indéniablement à partir de cette... De cet ouvrage-là, j'ai commencé à lire les autrices noires américaines. J'ai très vite eu loisir de m'identifier. J'ai grandi dans les années 80. L'autre ouvrage qui avait marqué ces années-là, c'est La couleur pourpre d'Alice Walker. Du coup, j'avais une... une conscience de plein de choses qui correspondaient à l'environnement dans lequel moi je grandissais, qui était un environnement plutôt maltraitant. Et c'était extrêmement important pour moi de trouver un écho à ça. Et ça m'a sauvé la vie. Ça m'a permis en tout cas de me dire qu'il existait une vie après celle-là.

  • Speaker #1

    Pascale Solage, cofondatrice et coordinatrice de l'organisation féministe haïtienne, Négues Marron revient sur l'articulation de l'intime et du politique.

  • Speaker #4

    Donc quand tu es une adolescente en Haïti, comme moi, qui a été dans une école congréganiste, c'est-à-dire que tu as été élevée toute ta vie par des sœurs religieuses. En premier lieu, tu n'as pas conscience que tu te cherches effectivement dans ce que tu lis, parce que ce qui est à ta portée, ce n'est pas nécessairement des récits, ce n'est pas nécessairement des espaces où... on t'aide à te chercher ou à te reconnaître. Donc, ce que tu as accès en premier lieu dans le niveau scolaire quand tu es... Quand tu es une jeune fille ou une adolescente haïtienne, c'est certes de la littérature haïtienne, mais les personnages féminins que tu retrouves dans la littérature haïtienne, du moins ceux qui sont en circulation dans le système scolaire, c'est toujours le prototype, le schéma de la femme haïtienne potomitain. Je veux dire, ça veut dire qu'elle est au centre de la famille, qui supporte tout, qui est résiliente, qui est forte. et qui survient à tout, même si on la casse en divers morceaux. Et en fait, on te transmet tous ces récits à travers les grands romans de littérature haïtienne. Et au fur et à mesure, tu te dis que c'est ça, être une femme haïtienne, et c'est ça, être une bonne femme haïtienne. Moi, je suis survivante de violences sexuelles. très jeune,

  • Speaker #2

    genre

  • Speaker #4

    7-8 ans, très tôt. Mais aussi, je viens d'une famille qui a eu beaucoup de violence. C'est un espace familial où j'ai connu très tôt aussi, presque au même âge, la question de la violence conjugale. La famille brisée, on va dire que c'est un petit peu... quelque chose qu'on connaît beaucoup chez nous. Mais je suis aussi porteuse de l'expérience de perdre un enfant à cause des violences obstétriques et aussi qui sont intimement liées. à un système médical extrêmement patriarcal, extrêmement violent pour les femmes, pour les jeunes femmes en Haïti. Et le défi, c'est un défi pour moi de porter toutes ces expériences personnelles dans mon parcours militant, peut-être sans le dire, peut-être sans raconter ce parcours, en tout cas très peu. Je sais qu'il y a toute cette puissance du storytelling, du partage et tout. Et je pense aussi que c'est quelque chose à dire de quand tu ne peux pas raconter ton parcours, quand tu ne peux pas raconter tes expériences pour alimenter ton militantisme, je pense que moi, c'est mon expérience personnelle. Et je pense aussi que ça participe de comment on survit à un trauma. Ça peut être justement en en parlant ou en en parlant pas. Peut-être que mon parcours militant aurait été différent s'il avait été construit justement sur le récit de ces expériences. Il est bâti sur mon vécu, mais non pas sur les récits.

  • Speaker #1

    Née au Cameroun et arrivée en France dans son enfance, Axelle Jeanne Jiquet est autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, chroniqueuse et militante féministe païenne. Axelle est la créatrice des podcasts Me, My Sex and I La fille sur le canapé et Je suis noire et je n'aime pas Beyoncé consacrée au vécu des femmes afrodescendantes d'un point de vue aussi bien intime que collectif.

  • Speaker #3

    Avant d'être militante, je suis une artiste. Et je suis arrivée sur la scène de la question des droits des femmes via ma casquette d'artiste. Je suis arrivée enfin en tant qu'autrice, en l'occurrence participante. d'un recueil qui s'appelle Volcanique, une anthologie du plaisir, sous la direction de Léonora Miano, où nous étions douze femmes, douze autrices des mondes noirs, à parler du plaisir féminin. C'est que j'ai commencé par tendre le micro à d'autres, en fait. J'ai commencé par... Ouvrir un espace audio avec Mima Sex and Life où des femmes afrodescendantes pouvaient parler de leur vécu et pas n'importe quel vécu, je voulais qu'elles parlent de leur intimité. Je voulais qu'on sorte du récit qui était le seul souhaitable de la discrimination et de la stigmatisation. Je voulais qu'on ait enfin la possibilité de parler de choses aussi banales qu'elles l'étaient pour d'autres, mais bizarrement ces autres n'avaient jamais nos traits. Donc arriver en parlant de l'entrée dans la puberté, de comment est-ce qu'on a été éduqué dans la maison, de son premier baiser, ça n'a l'air de rien, mais en fait on ne nous posait jamais ce genre de questions. Mima Sex and Life, c'était ça. C'était vraiment, de ma part, une volonté absolue d'aller dans l'intime parce que je pense encore aujourd'hui qu'au cœur de l'intime réside l'universel. Les récits de cet ordre-là permettent de créer des passerelles avec des gens qui pensent qu'ils ont. rien en commun avec nous, ce qu'il faut, vraiment. Là-dessus, je suis... Pour le coup, c'est Maya Angelou qui disait qu'on avait plus de choses en commun que de choses qui nous séparent. Et que la chose qui faisait qu'on ne s'en aperçoive pas, c'est qu'on ne confiait pas assez les récits de vie, on ne se confiait pas assez les unes aux autres quant à nos récits de vie. Et Mima Sex and I, c'est vraiment, vraiment, vraiment cette idée-là, en fait. Et donc, en passant par ce contenu-là, j'ai eu beaucoup de retours de gens me disant Mais comment ça se fait que vous posiez des questions de cet ordre-là ? Comment est-ce que vous arrivez à obtenir autant de confidences ? Comment est-ce que vous arrivez à instaurer ce que vous instaurez ? Et moi, je savais que, bien sûr, j'étais passée par… plein des questionnements que je soumettais aux autres, mais je n'étais pas encore à un endroit où je pouvais leur dire voici mon histoire Et ça, c'est venu seulement après le troisième podcast, qui est Je suis une âge d'un pavillon de cé consacré au féminisme francophone des années 60 à nos jours, qui est en fait un programme qui est un hommage au parcours de ma mère. C'est un programme dans lequel... sous couvert de la question féministe, je parle de ce que ma mère a rendu possible pour moi. Et à partir du moment où j'ai fait ça, il était temps que je pose mon propre récit. Mais pour moi, c'était dans cet ordre-là. Je passais d'abord par le collectif, je passe ensuite par la transmission, et seulement après, je pouvais poser un récit qui était le mien.

  • Speaker #1

    Fabiola Misérault est consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Elle réfléchit à l'amélioration des structures et espaces qu'elle traverse par la voie de la facilitation de conversations difficiles, l'analyse des structures internes afin de réimaginer des espaces plus inclusifs, bienveillants et empathiques. Fabiola est la créatrice et hoste du podcast South Side Stories qui part à la rencontre de personnes issues des diasporas des Sud.

  • Speaker #2

    J'ai grandi en ayant beaucoup de bouillonnements à l'intérieur de moi-même, beaucoup de sentiments d'avoir un feu qui était en moi que je n'arrivais pas forcément à canaliser, à comprendre comment partager. J'ai trouvé beaucoup de consolation dans mes amitiés, dans les sororités que j'ai créées, dans le lien de sororité que j'ai créé avec mes amis qui, par la force des choses, on arrivait à partager cette intimité et partager ces expériences qui souvent étaient très communes. J'ai eu beaucoup de chance d'encontrer d'autres jeunes filles qui avaient grandi avec des expériences qui étaient plus ou moins similaires aux miennes. Mais on était toujours dans l'isolation, toujours dans le secret, dans le partage. Donc il y avait quelque chose de très consolant dans ces liens-là, tout en étant quand même toujours dans l'isolation. Et donc,

  • Speaker #3

    en cheminant encore plus,

  • Speaker #2

    je me disais qu'il y a quelque chose qui… Je ne suis pas seule dans ce que je vis, mais on reste quand même toujours très dans l'isolation et dans le secret. On ne peut pas forcément parler de ce qu'on vit de manière à voix haute. On ne peut pas mettre des mots sur nos expériences de manière collective ou commune. On doit rester à chaque fois dans ce secret. et ça me fait penser beaucoup à l'auteur encore d'Eddie Gentilca qui parle beaucoup du poids du secret dans les communautés noires, afro et comment on chemine dans ça, comment on chemine dans l'idée de ne pas parler, de ne pas oser oser la voix, de ne pas se dire, de ne pas se raconter encore plus en tant que femme noire et c'est en arrivant à la vingtaine, à l'âge de vingtaine où je commence à avoir un peu de poids Je peux me dire peut-être que je peux commencer à créer des espaces, je peux commencer à m'organiser, parce que de plus en plus je suis emmenée à rencontrer des personnes, l'univers, je suis emmenée à rencontrer des femmes noires qui ont des récits similaires aux miennes, qui peuvent aussi se définir comme étant des femmes qui ont vécu à différents... qui viennent de territoires différents, mais qui, encore une fois, se partagent ou s'est vécu collé à la violence sexuelle et a été très présent dans leur enfance. Et aussi, ce vécu avec l'immigration, les déplacements, avec la co-existence, avec un niveau de précarité aussi très élevé. Et donc, c'est devenu... ce côté qui était très personnel a commencé à se renforcer, à devenir de plus en plus collectif avec les autres, avec les autres femmes que je rencontrais. Et on a commencé, franchement, c'est de là que j'ai commencé à me dire que c'était important de se raconter ensemble. Et donc, ça a été de plus en plus... C'était très guérissant pour moi. Je ne sais pas si ça se dit, mais en tout cas, la guérison a commencé à s'activer. plus on se retrouvait dans des espaces qui étaient sûrs, qui étaient sécures, où on se sentait vus, entendus les unes avec les autres. Et plus j'étais en mesure de me dire Ah,

  • Speaker #3

    j'ai envie d'écrire,

  • Speaker #2

    j'ai envie de sortir de cet espace huis clos et de partager mon expérience et d'écrire dans des magazines et d'organiser des conférences où on peut en parler et de réfléchir à des outils pour que les personnes puissent aborder ces questions-là et de briser l'isolation. Il a été propulsé par les espaces de sororité dans lesquels j'ai eu la chance d'être introduite.

  • Speaker #1

    Vous l'avez hyper bien évoqué, vous,

  • Speaker #2

    à titre individuel, et peut-être que les femmes,

  • Speaker #3

    de manière collective, on navigue dans différents espaces,

  • Speaker #2

    dans des espaces qui peuvent être des espaces sexistes,

  • Speaker #1

    misogynes, racistes,

  • Speaker #2

    des espaces dans lesquels, en tant que femmes,

  • Speaker #3

    il y a des mots qui nous tombent dessus,

  • Speaker #2

    qui nous tombent littéralement dessus. Et ces mots,

  • Speaker #1

    ça peut être femme, ça peut être noire, ça peut être...

  • Speaker #2

    plein d'autres mots qui ont pour objectif de limiter les possibles de nos vies et avec lesquels il va quand même falloir frayer tout au long de cette même vie. Et ce que je trouvais intéressant de vous demander, c'était quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ? Parce que ce qui est intéressant, c'est qu'au-delà de peut-être se les accaparer ou de les définir, Ce qui est intéressant, c'est de savoir ce qu'on fait de ces mots.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on les accepte ? Est-ce qu'on les rejette ?

  • Speaker #2

    Est-ce qu'on choisit peut-être de les redéfinir ? Parce qu'en fait, en fonction de ce qu'on a choisi de faire, c'est là que se trouvent un peu nos désirs politiques pour peut-être des sociétés plus égalitaires. Donc voilà, moi je voulais savoir quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ?

  • Speaker #1

    Moi,

  • Speaker #3

    en ce qui me concerne, le mot qui m'est tombé dessus, c'est le terme viol, en fait. Parce que c'est... C'est ce qui m'est tombée dessus littéralement quand j'avais 11 ans. Et lorsque ce terme me tombe dessus, je ne sais même pas qu'il existe. Je ne sais même pas en quoi ça consiste. Je n'ai aucune conscience de mon corps et de ce qui pourrait être fait à mon corps et de la manière dont une intrusion pourrait avoir lieu. Et en fait, je me rends à la bibliothèque. parce que je suis un petit rat de bibliothèque, je lis beaucoup, beaucoup depuis que je suis arrivée en France. Moi, je suis arrivée ici, j'avais 6 ans, j'ai été envoyée ici par ma mère qui tenait absolument à ce que j'ai accès à l'éducation qu'elle, elle, elle n'avait pas eue. Et du coup, en fait, l'une des façons de... d'avoir moins de chagrin et de me sentir moins isolée, ça a été les livres. Et je me suis réfugiée, en fait, là-dedans. Donc, quand moi, ça, cette agression survient, mon premier réflexe, c'est de me dire je suis sûre qu'il y a une explication dans les livres. Je suis sûre que je vais trouver, voilà. et effectivement je vais trouver, je vais trouver plus que ça parce que je vais trouver Maya aussi Maya Angelou avec Je sais pourquoi je chante l'oiseau en cage et juste déjà pouvoir me réapproprier pouvoir mettre un terme sur l'agression ça a changé l'endroit où je me situais par rapport à ça. Je n'étais plus quelqu'un à qui on avait fait ça. J'étais aussi quelqu'un qui était en mesure de savoir en quoi consistait ce qu'on venait de lui faire et ce qu'il y avait de pas correct en la matière. Donc moi, ça a été ce mot-là. il a fracassé à ce moment-là mon existence et par la suite, je me suis réappropriée. Donc, à partir de ce moment-là, ce qui moi m'a considérablement aidée, sauvée, qui m'a redonnée en tout cas du pouvoir, ça a été de découvrir des ouvrages de littérature érotique écrits par des femmes. Et ces ouvrages, mine de rien, m'ont permis, moi, de comprendre que ce qu'on m'avait fait, ce n'était pas du sexe, c'était de la violence, c'était une agression, ça n'avait rien à voir avec le sexe. Le sexe, c'était les choses agréables que je ressentais à la lecture des livres érotiques. qui me tombait entre les mains, que je trouvais à la bibliothèque, écrit par des femmes. Et que c'était deux choses complètement différentes. Et je pense que ça a beaucoup joué dans le parcours qui est le mien ensuite. Et ce n'est pas un hasard que j'émerge sur la scène médiatique avec un ouvrage qui porte sur le plaisir féminin et une nouvelle érotique. Donc jusque-là, les choses sont assez cohérentes. Donc je pense que c'est ce mot-là. Et la façon dont je me suis réappropriée ce mot-là, ça a été de devenir une autrice de littérature érotique féminine alors que je porte un parcours de cet ordre-là et que mon entrée dans la sexualité s'est faite par la violence et par le viol.

  • Speaker #1

    Pascal Solage. Moi,

  • Speaker #4

    je dirais que le mot... qui m'est tombée dessus et je vais dire aussi qu'on lui est tombée dessus. C'est le mot négresse Et c'est un mot créole, mais en français, on peut avoir le mot négresse Et voilà, on peut l'avoir aussi en anglais et tout. En Haïti, on a l'histoire du nègre marron qui est... Dans l'histoire de la révolution haïtienne, le symbole de la révolte, le symbole de la liberté, le symbole de l'indépendance, quoi. C'est-à-dire que c'est un personnage qui n'a pas d'identité, c'est-à-dire que c'est pas comme dans notre histoire, quand on connaît Toussaint Louverture ou Dessalines et tout. Le nègre marron, on ne sait pas qui c'est. Parfois, on dit que c'est MacAndale et tout, mais en fait, on ne sait pas qui c'est. C'est juste celui qui symbolise notre âge d'être libre. notre rage de nous battre contre le système d'exploitation et de déshumanisation de ce qu'on a vécu pendant la période coloniale. Et ce symbole de neige marron traduit... Toute l'invisibilisation de ce que les femmes ont apporté dans l'histoire de mon pays qui est connu comme la première république noire.

  • Speaker #1

    La révolution haïtienne constitue la première révolte d'esclaves du monde moderne. Des hommes et des femmes asservis ont renversé l'ordre colonial et fondé en 1804 la première république noire au monde.

  • Speaker #4

    L'invisibilisation de toute cette lutte à laquelle les femmes ont participé, les femmes ont contribué. Tout ce qu'elles ont fait à divers niveaux, sur les champs de bataille, sur les colonies elles-mêmes, après l'indépendance, pour participer à la construction de cette première république noire et de cette nation haïtienne. Donc, le negmaro, autant qu'il peut symboliser toute cette rage de la liberté, c'est aussi comment les femmes, depuis toujours, dans l'histoire haïtienne, dans l'histoire racontée, elles ont été invisibilisées. Et comment aussi, après être devenue la nation haïtienne, ces femmes qui avaient été partie prenante totalement de cette lutte pour l'indépendance, ont été relégués en citoyennes de seconde zone, en ayant aucun droit politique, en disparaissant totalement en tant que citoyenne, etc. Bon, on va dire le patriarcat.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #4

    nous, quand on a commencé à faire notre travail en Haïti, c'était comment... nous battre contre cette invisibilisation et comment nous réapproprier justement un terme symbolique qui disait à quel point nous, aujourd'hui encore dans notre contexte actuel, aujourd'hui encore dans les temps que nous vivons, nous avions cette rage en tant que femmes, en tant que citoyennes, en tant que féministes haïtiennes, d'être libres. et aussi de porter toute cette vision de la liberté que ces femmes qui ont combattu, non seulement pendant cette période, mais aussi les femmes qui, depuis 100 ans, parce que je le rappelle que le mouvement féministe haïtien, c'est un mouvement qui existe depuis 1915, quand il a pris naissance justement pour se battre contre l'occupation américaine, comment dans toute l'histoire haïtienne, les femmes ont été de toutes les luttes, et comment cette invisibilisation a été systématique dans tout le monde. toutes les périodes de l'histoire haïtienne.

  • Speaker #1

    J'ai une question pour

  • Speaker #2

    Axel. Plus particulièrement, mais si vous avez envie d'y répondre,

  • Speaker #1

    sentez-vous libre aussi.

  • Speaker #2

    En fait, je me demandais s'il existe des outils qui peuvent être plus pertinents, plus intéressants que d'autres pour faire du commun en partant de la marge. Parce que tu nous as répété à plusieurs reprises que tu es aussi, et j'ai presque envie de dire avant tout,

  • Speaker #3

    une artiste.

  • Speaker #2

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #1

    par exemple,

  • Speaker #2

    fait partie de ces outils ?

  • Speaker #1

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #2

    c'est un domaine qu'il faut investir pour pouvoir y retrouver de plus en plus de récits ? qui peuvent porter en eux des espèces de capacités de transformation des sociétés ?

  • Speaker #3

    Ma réponse est un oui, mais colossale à cette question. Bien sûr que l'art est un domaine qu'il faut investir. On est... Au départ, je choisis moi le podcast sur Mimasexanai parce que je suis totalement consciente de la stigmatisation dont peuvent faire l'objet l'apparence des personnes noires. Et que d'emblée, je me dis que si quelqu'un bute sur l'apparence d'une des intervenantes, ça peut être un motif pour ne pas écouter ce qu'elle pourrait avoir à dire alors que c'est ce qu'elle a à dire qui est le plus intéressant. Et par ailleurs, moi, je sais que la voix est la chose la plus intime qui puisse exister. Donc, je pars sur le podcast. Et il s'avère qu'effectivement, ça fonctionne plutôt pas mal. Et par la suite, je m'aperçois, enfin, pour moi, c'est très clair que quel que soit le support... sur lequel vous décidez de vous exprimer. Ce qui importe, c'est la pertinence du propos que vous avez à partager avec les autres. et le support ça peut aussi bien être du podcast ça peut être du film ça peut être du théâtre vraiment toutes les formes artistiques peuvent être des très bons véhicules pour porter les messages qui sont les vôtres et particulièrement en matière de lutte pour les droits de lutte contre les discriminations pour une meilleure inclusion c'est encore des personne ne m'a vu venir en fait moi avec le podcast personne ne m'a vu venir avec ce sujet-là dans le podcast, raison pour laquelle au départ j'ai eu du mal à trouver des investisseurs. Et c'est ça, enfin moi c'est surtout ce truc-là, c'est plus on sera nombreux à porter des propos comme ceux qu'on porte sur des secteurs comme l'art dans lesquels on ne nous attend pas là-dedans, plus on aura des choses, plus on aura des chances de… toucher un large public. Moi, je sais que le podcast... l'une des raisons pour lesquelles les interlocuteurs que j'avais ne voulaient pas y aller et pensaient que l'intimité de femmes noires n'était pas un sujet c'était qu'ils étaient convaincus que ce contenu ne s'adresserait qu'aux personnes noires que ce seraient les seules personnes qui écouteraient, ce qui est quand même fou quand vous y pensez c'est comme si vous vous dites que je sais pas la Vénus non, comment elle s'appelle, la Joconde non Il n'y a que les Italiens qui vont la regarder. Pourquoi ? ça, ce plafond-là, quand les gens sont bas du cerveau, comme ça, l'art, c'est parfait pour montrer à quel point, en fait, on est des êtres sensibles, en fait. On est des êtres sensitifs, on est des êtres émotifs. Et ce qui fonctionne avec le podcast, ce qui fonctionne avec la voix, c'est ça. On est directement dans les oreilles des gens. Je suis directement dans votre oreille. C'est un rapport qui est très, très particulier. Et ce rapport-là... prête à l'intimité et l'intimité

  • Speaker #0

    prête à l'universel.

  • Speaker #1

    Est-ce que le choix de faire quelque chose d'audio, est-ce que ça a été une évidence pour toi ? Parce que j'ai écouté les premiers épisodes, il y en a un en particulier qui m'a marquée, si je ne dis pas de bêtises, c'est le premier en fait, je reviens sur le parcours d'Émilie, et il m'a marquée parce qu'en fait, on ne vient pas du tout des mêmes, on ne vient pas des mêmes espaces, en tout cas nos parents ne viennent pas des mêmes espaces, mais on a grandi. dans les mêmes espaces en France. Et du coup, je me suis retrouvée dans plein de choses qu'elle décrivait. Et en fait, je me demande si c'est le... Est-ce que le podcast, plus qu'un autre support, permet cette identification ? Est-ce que cette identification aussi, quand toi tu as pensé le podcast, c'était quelque chose que tu recherchais ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui t'a un peu échappé ?

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault. En tout cas,

  • Speaker #1

    ce n'était pas une évidence. J'ai toujours cru que mon médium de privilégion, c'était l'écriture. J'ai commencé à écrire quand j'avais...

  • Speaker #3

    7 ans,

  • Speaker #1

    donc dès que je pouvais tenir un stylo et que je pouvais raconter des histoires, le papier, c'était mon premier médium. Et c'est un médium sur lequel je me suis beaucoup retrouvée, autant à l'âge adolescent, à l'âge jeune adulte, autant dans mes propres journaux intimes que dans la publication de premiers articles dans des plus grands magazines publics. Donc j'ai toujours cru que la manière dont je pouvais raconter, c'était par l'écriture. et en développant un peu plus, en grandissant, en gravitant dans différents espaces, en créant des espaces, en étant invité dans des espaces, je me suis dit que la voix, comme Axelle le disait, il y a quelque chose de très intime dans la voix, il y a quelque chose de très porteur dans la voix parce que tu es capable d'amplifier ou d'inviter d'autres voix à rejoindre les tiennes. Pascal, est-ce que toi, avec Négas Marron, est-ce que les carnets féministes ou les différents festivals... que vous organisez, est-ce qu'ils portent aussi cette même fonction qu'on peut retrouver dans le podcast de Fabiola qui va être par exemple d'amplifier, pas forcément de faire autant, mais presque d'amplifier des voix qui sont déjà là.

  • Speaker #2

    À l'assaut est un projet qui vise à proposer de nouveaux modes de distribution des pensées et des voix féministes. Loin des clichés sur le féminisme du tiers-monde, cantonné à l'assistance d'urgence, À l'assaut propose une plateforme par les femmes et féministes haïtiennes en Haïti et dans la diaspora, afin de diffuser leurs idées, positions, visions et aspirations. À l'assaut, ce sont des carnets composés de dix textes illustrés. Ces textes sont des analyses de militantes, universitaires, chercheuses, intellectuelles ou artistes féministes. Les formats sont fictifs ou non. Les carnets sont produits en deux éditions, créole français et créole anglais.

  • Speaker #3

    Absolument, et ça a commencé justement de cette façon. L'ambition, c'était justement de donner des espaces pour que des femmes se racontent, pour que des femmes se retrouvent et que des femmes se reconnaissent. Et là... Première chose, c'était d'abord le festival. On a créé le festival moins d'un an après la création de l'organisation. C'est parce que déjà, nous, on créait des espaces artistiques. Bon, nous sommes pour la majorité des artistes qui avons fondé Neges Mahon. Et en fait, le premier travail qu'on avait fait, c'était de créer une pièce de théâtre qui s'appelait Talons aiguilles, Talons d'Achille. Talons aiguilles, Talons d'Achille, c'était créer une pièce où quatre comédiennes se retrouvaient. C'est des personnes qui déjà étaient des comédiennes en Haïti, pas très connues, connues et tout. pour parler de sujets comme la maternité, l'avortement, le mariage, etc. C'est-à-dire des sujets qui sont au centre de nos vies et de nos préoccupations en tant que jeunes femmes haïtiennes et qui sont aussi au centre des violences que nous subissons et des discriminations que nous subissons en tant que jeunes femmes haïtiennes. Donc, quand on a écrit Talents aiguilles, Talents d'Achille et qu'on a réuni les quatre comédiennes, on a utilisé la méthodologie en premier lieu avant de commencer les répétitions, avant de commencer tout le travail du volet artistique, en des ateliers de travail, des groupes de paroles pour leur permettre de discuter sur ces différents sujets. Et quand on a réuni ces quatre comédiennes, genre des jeunes femmes épanouies et tout, avec des carrières et tout, on était quatre comédiennes et on était trois de l'équipe à faire le travail donc nous étions sept nous nous sommes rendus compte que nous étions sept et on a des survivantes de violences à divers niveaux. Et dans les groupes de parole avec des jeunes femmes qui étaient fin vingtaine, début trentaine, il y avait que c'était la première fois qu'elles en parlaient. Ou c'était la première fois qu'elles se rendaient compte, je vais reprendre quelque chose qu'Axel a dit tout à l'heure, qu'elles se rendaient compte qu'en fait, ça, c'était de la violence. pour la première fois. Et c'est des jeunes femmes, début trentaine. Et on a créé la pièce et on l'a jouée pendant près d'un an. Et c'était aussi le retour du public qui a vu la pièce partout dans le pays. Donc, on a décidé de créer le festival parce qu'on avait besoin en premier lieu d'un espace où proposer nos créations artistiques, activistes et militantes. Donc, le festival était exactement ça. C'était créer cet espace pour cela que ce soit pour nous ou bien pour donner à d'autres personnes cet espace. Par exemple, l'un des sujets qui me tient le plus à cœur dans les animations que nous avons déjà publiées, c'est le thème de la frontière. parce que moi aussi en tant que réfugiée politique, mais aussi de toute cette histoire de la migration haïtienne. Et Fabula a parlé d'Edwidge Nantika. Si on lit Edwidge Nantika, on sait le drame de la migration haïtienne. Ce sont des dizaines de milliers d'Haïtiens qui, depuis près de 30 ans, périssent dans ce besoin d'aller vivre ailleurs, dans ce besoin d'aller survivre ailleurs. Donc, et aujourd'hui, pratiquement chaque année, nous avons des dizaines de milliers de personnes qui laissent Haïti par tous les moyens possibles et imaginables. Donc, c'était de raconter cette réalité dans un point de vue féministe et de ce que nous vivons, nous, en tant que jeunes femmes, dans cette histoire de la migration haïtienne. Donc, comment se raconter à travers cela ? Et comment permettre à des jeunes femmes qui ont été exilées, soit dans la dictature, soit parce qu'il faut aller vivre quelque part ou bien il faut vivre, tout simplement ? de leur permettre d'exister en tant qu'haïtiennes dans un espace où elles peuvent être ensemble en tant que femmes. Donc, à la source, c'était aussi ça.

  • Speaker #1

    J'ai une question qui est adressée à toutes les trois, qui est la suivante. En fait, vous qui portez des récits, donc à travers... les différents outils, supports que vous vous êtes appropriés, que ce soit à l'art, à travers la littérature, ou le théâtre, ou les initiatives que vous portez, pour quelles raisons, pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous portez ces récits-là ? Et à qui est-ce qu'ils sont adressés ? En fait... Est-ce que vous les portez pour transformer le monde, les sociétés ? Est-ce que c'est pour empouvoir les personnes qui sont au cœur de ces récits ? Pourquoi vous parlez et à qui vous parlez ?

  • Speaker #2

    C'est très égoïste.

  • Speaker #0

    Je le fais d'abord pour moi. Je le fais pour moi et je le fais pour... La jeune fille, l'adolescente que j'ai été, qui a terriblement manqué de ces récits-là quand elle était petite et qui pense qu'elle aurait peut-être gagné du temps. si elle avait pu les entendre quelque part ou les lire quelque part. Et je me... Voilà, on est en relation perpétuelle, elle et moi. Et je lui dois ça, je nous dois ça. Donc, c'est d'abord le premier endroit d'où je m'exprime. Ensuite, je le fais en me disant, peut-être qu'il y a des jeunes femmes qui... Euh... qui vont pouvoir s'identifier à ce que je dis, même si ça, je le dis toujours avec beaucoup de réserve. parce que je parle du principe que et c'est même pas moi qui exprime ça super bien c'est une féministe belge qui s'appelle Aïcha Touwattara qui l'avait très très bien dit lors d'un échange qu'on avait eu sur le podcast de la fille sur le canapé justement sur les violences sexuelles au sein des communautés noires et Aïcha Touw rappelait vraiment pertinemment que certes on est hum on est crédible en tout cas pour parler, évoquer certains sujets parce qu'on est concerné par ces derniers. Mais il ne faut jamais, jamais oublier que notre expérience à nous ne peut en aucun cas être représentative de l'expérience de toutes les autres personnes. Qu'elle ne peut pas à elle seule être celle à laquelle on saurait faire pour parler des ressentis et des vécus d'autres personnes. Moi, je sais que ce que je dis, ce que je peux poser, les paroles que je peux récolter font écho à un certain nombre de femmes noires, font écho chez un certain nombre de femmes noires, mais pas chez toutes les femmes noires. Et je ne veux pas que ce soit perçu de cette façon-là, parce que ça, c'est une manière de faire de nous un bloc monolithique. C'est toujours, ça va toujours, toujours nous jouer des tours, ce truc-là. Donc ça, c'est un truc... Je suis réfractaire à devenir la voix des femmes noires et de l'intimité des femmes noires. Gardez la pêche, en fait. Je suis une des voix possibles en la matière. Celles qui m'ont fait confiance et qui m'ont confié leur récit le sont également. Mais il y a encore... tellement d'autres récits à récolter et nous tenir ce discours-là, c'est la façon de s'arranger, en fait, pour ne pas laisser éclore ces autres récits. On n'est pas encore si nombreuses, mais si nombreuses qu'on peut se faire mettre, en fait, ce luxe-là.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #0

    moi, je suis l'une des expressions possibles de ces récits-là, mais je ne suis pas représentative de toutes les femmes noires. Et ça, pour moi, c'est ça. Le truc crucial, c'est qu'il y a encore pléthore de récits à accueillir et à faire entendre. Et plus on sera nombreux à s'emparer du micro, à s'emparer des outils artistiques de tous les ordres, enfin sous toutes les formes qu'elles soient, plus on pourra parler de la pluralité de nos expériences.

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault

  • Speaker #1

    Pour moi, les premières personnes avec qui je parle, c'est les femmes noires. Et dans les femmes noires, je décortique encore plus, parce que c'est peut-être un peu trop égoïste, mais les premières personnes pour qui je parle, c'est des personnes avec qui je partage une petite partie d'existence, d'expérience commune. et vraiment dans le but de passer de la survie, qui a été assez constante moi dans mon parcours, à cette capacité à jouir de la vie.

  • Speaker #2

    Pascal Solage.

  • Speaker #3

    Pour moi, ce serait deux mots que je mettrais au centre de ma réponse pour ta question. C'est ce besoin non négociable d'exister et après de mobiliser tous les pouvoirs sur toutes les formes possibles et imaginables pour mettre derrière cette existence. Tu avais mis mon corps à gauche au moment où je te parlais. Il y avait ma mère et sa mère avant elle, sa mère qui se cachait alors qu'elle était seule, mes soeurs qu'on avait adoptées comme ma mère dans le... dans le palais noir de la bourgeoisie noire de Pétionville. Ma mère adaptée toute seule, en absence de sa mère, qu'elle ne pouvait plus reconnaître, mon père qui l'avait ramenée enfin dans la montagne de nos gens. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissée tranquille avec ma mère qui était partie et revenue, avec ma grand-mère qui était partie et revenue, avec mon autre grand-mère qui était morte et qu'on ne voulait pas que je remplace sur cette terre. Il y avait ces deux femmes, une forte et une petite, qui n'avaient jamais abandonné la place, même quand elles étaient cachées. Des femmes qui n'étaient pas des religieuses, mais s'occupaient de sacrés au milieu des mornes. Des femmes qui n'étaient que mambo et qui servaient en partant bousquement cueillir des feuilles au milieu du jardin, en laissant leurs légumes s'égayer au marché pendant ce temps, parce que personne ne les aurait volés. Il y avait cette grand-mère, une Africaine, une Amérindienne, qui portait deux peuples en elle, deux peuples de liberté. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissé tranquille et qui justement pouvait les faire se rencontrer. Quand j'ai besoin d'elle, je suis elle. Je suis Erzuli et je m'appuie sur elle. Elles savent bien me briser et me recomposer, une Amérindienne et une Africaine. Et moi, je sais qu'elles sont bien là pour me porter, pour me retisser jusque dans les lignes que je tresse par petits bouts pour les autres. Alors qu'ici, comme tu vois, l'espace est si fermé, l'espace est cloisonné, l'espace est si petit. Je sais bien qu'elles sont là et ma voix n'est jamais mince, ma voix n'est pas petite, non, ma voix n'est jamais seule. Et je parle les pieds plantés dans le silence, le silence qui depuis toujours veut effacer ces femmes, alors que nous, qui avons connu le rasoir, la gilette, ça ne nous fait pas peur.

  • Speaker #2

    Le texte lu par Pascal Solage est un texte de Stéphane Martelly, écrivaine, peintre et chercheur. Elle est née à Port-au-Prince. Par une approche profondément transdisciplinaire qui fait se confronter théorie, réflexion critique et création, elle poursuit une démarche réflexive sur la littérature haïtienne contemporaine, sur la création, sur les marginalités littéraires ainsi que sur les limites de l'interprétation. Merci à Fabiola Misérault, à Pascal Solage et à Axel Jeanne-Jiquet. d'avoir participé à cet épisode de Sororité francophone. Sororité francophone est un podcast conçu par Equipop, monté, mixé et réalisé par Lalia Productions. Retrouvez tous les épisodes de Sororité francophone sur les réseaux sociaux d'Equipop. Merci pour votre écoute. Merci.

Share

Embed

You may also like

Description

⚠ Ce podcast aborde la thématique des violences sexuelles et peut créer des situations d’inconfort chez certaines personnes.

Dans cet épisode, Axelle Jah Njiké, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, Pascale Solages de l’organisation féministe Nègès Mawon et Fabiola Mizero, consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique et créatrice et host de podcast se livrent sur leurs parcours. Ensemble, elles échangent sur les enjeux liés aux récits, en particulier les récits féministes, et comment ceux-ci peuvent permettre à certaines femmes de se retrouver dans la voix d’une autre, à des victimes de violences sexistes et sexuelles, de mettre des mots sur un passé devenu force.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501

  • Speaker #1

    Créer un espace de réflexion politique et féministe, un lieu d'échange, de partage de savoirs et d'expériences, c'est l'ambition de ce podcast. Bienvenue dans Sororité francophone, le podcast des conversations féministes francophones. Nous sommes avec Pascal Solage, militante féministe haïtienne, fondatrice et coordinatrice générale de Négues Marron, Axelle Jeanne-Jiquet, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenu sonore et Fabiola Misérault, Consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Avec nos invités, nous avons parlé des récits qui fabriquent les imaginaires, de ceux qui participent à notre politisation, du pouvoir des mots et de nos désirs politiques. En quoi les récits nourrissent nos imaginaires, nos réflexions et nos parcours militants ? C'est la question posée à nos trois panélistes. Vous entendrez successivement Fabiola Misérault, Axel Jeanne Jiquet et Pascal Solage. Fabiola Misérault.

  • Speaker #2

    J'ai pas eu accès à beaucoup de récits,

  • Speaker #3

    d'histoires,

  • Speaker #2

    de biographies où je me sentais représentée. J'ai grandi en étant très adepte à la lecture et à l'écriture, donc c'était vraiment des univers dans lesquels je pouvais circuler, mais c'était souvent des univers où j'avais accepté que je n'existais pas et je ne me recherchais pas dans ces univers-là. Et donc, j'étais comme un personnage de seconde zone qui regardait un petit peu ce qui se passe, qui était curieuse, qui apprenait des mondes différents.

  • Speaker #4

    Et donc,

  • Speaker #2

    même si jusqu'à présent, la littérature a une place très importante dans ma vie, ce n'est pas forcément... c'est pas forcément la plateforme ou l'outil qui m'a permis de me retrouver directement, mais c'est un outil qui résonnait avec qui j'étais et parmi quand j'ai écouté la réplique je me retrouvais aussi beaucoup dans les mangas les mangas m'étaient souvent des orphelins, des enfants issus de classes populaires au coeur de leur récit et c'était souvent des enfants qui devenaient héros et donc ça a vraiment beaucoup stimulé cette idée que même si je n'étais pas un garçon qui joue au foot même si je ne suis pas je ne suis pas Olivier et Tom j'avais quand même cette idée que tu peux venir d'un milieu plus précaire et quand même aspirer à de grandes choses tu peux venir d'une famille qui est dysfonctionnelle et quand même aspirer à à ce qu'il y a de grandes choses et c'est ce que les mangas mettaient souvent en avant même s'il y avait quand même beaucoup de limites, pas de caractère noir encore moins des caractères femmes et souvent s'ils étaient là c'était des caractères de seconde zone mais il y avait quand même ce récit de à partir d'où tu viens tu peux devenir quelque chose

  • Speaker #1

    Pour moi,

  • Speaker #3

    c'est assez facile, c'est Pourquoi chante l'oiseau en cage de Maya Angelou. C'est ce récit-là qui est le récit dans lequel je me suis retrouvée la première fois et de manière très forte. Ça correspondait à mon vécu en matière de violence sexuelle, c'était la première fois. que je lise un récit à propos d'une petite fille noire à qui il était arrivé la même chose qu'à moi et indéniablement à partir de cette... De cet ouvrage-là, j'ai commencé à lire les autrices noires américaines. J'ai très vite eu loisir de m'identifier. J'ai grandi dans les années 80. L'autre ouvrage qui avait marqué ces années-là, c'est La couleur pourpre d'Alice Walker. Du coup, j'avais une... une conscience de plein de choses qui correspondaient à l'environnement dans lequel moi je grandissais, qui était un environnement plutôt maltraitant. Et c'était extrêmement important pour moi de trouver un écho à ça. Et ça m'a sauvé la vie. Ça m'a permis en tout cas de me dire qu'il existait une vie après celle-là.

  • Speaker #1

    Pascale Solage, cofondatrice et coordinatrice de l'organisation féministe haïtienne, Négues Marron revient sur l'articulation de l'intime et du politique.

  • Speaker #4

    Donc quand tu es une adolescente en Haïti, comme moi, qui a été dans une école congréganiste, c'est-à-dire que tu as été élevée toute ta vie par des sœurs religieuses. En premier lieu, tu n'as pas conscience que tu te cherches effectivement dans ce que tu lis, parce que ce qui est à ta portée, ce n'est pas nécessairement des récits, ce n'est pas nécessairement des espaces où... on t'aide à te chercher ou à te reconnaître. Donc, ce que tu as accès en premier lieu dans le niveau scolaire quand tu es... Quand tu es une jeune fille ou une adolescente haïtienne, c'est certes de la littérature haïtienne, mais les personnages féminins que tu retrouves dans la littérature haïtienne, du moins ceux qui sont en circulation dans le système scolaire, c'est toujours le prototype, le schéma de la femme haïtienne potomitain. Je veux dire, ça veut dire qu'elle est au centre de la famille, qui supporte tout, qui est résiliente, qui est forte. et qui survient à tout, même si on la casse en divers morceaux. Et en fait, on te transmet tous ces récits à travers les grands romans de littérature haïtienne. Et au fur et à mesure, tu te dis que c'est ça, être une femme haïtienne, et c'est ça, être une bonne femme haïtienne. Moi, je suis survivante de violences sexuelles. très jeune,

  • Speaker #2

    genre

  • Speaker #4

    7-8 ans, très tôt. Mais aussi, je viens d'une famille qui a eu beaucoup de violence. C'est un espace familial où j'ai connu très tôt aussi, presque au même âge, la question de la violence conjugale. La famille brisée, on va dire que c'est un petit peu... quelque chose qu'on connaît beaucoup chez nous. Mais je suis aussi porteuse de l'expérience de perdre un enfant à cause des violences obstétriques et aussi qui sont intimement liées. à un système médical extrêmement patriarcal, extrêmement violent pour les femmes, pour les jeunes femmes en Haïti. Et le défi, c'est un défi pour moi de porter toutes ces expériences personnelles dans mon parcours militant, peut-être sans le dire, peut-être sans raconter ce parcours, en tout cas très peu. Je sais qu'il y a toute cette puissance du storytelling, du partage et tout. Et je pense aussi que c'est quelque chose à dire de quand tu ne peux pas raconter ton parcours, quand tu ne peux pas raconter tes expériences pour alimenter ton militantisme, je pense que moi, c'est mon expérience personnelle. Et je pense aussi que ça participe de comment on survit à un trauma. Ça peut être justement en en parlant ou en en parlant pas. Peut-être que mon parcours militant aurait été différent s'il avait été construit justement sur le récit de ces expériences. Il est bâti sur mon vécu, mais non pas sur les récits.

  • Speaker #1

    Née au Cameroun et arrivée en France dans son enfance, Axelle Jeanne Jiquet est autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, chroniqueuse et militante féministe païenne. Axelle est la créatrice des podcasts Me, My Sex and I La fille sur le canapé et Je suis noire et je n'aime pas Beyoncé consacrée au vécu des femmes afrodescendantes d'un point de vue aussi bien intime que collectif.

  • Speaker #3

    Avant d'être militante, je suis une artiste. Et je suis arrivée sur la scène de la question des droits des femmes via ma casquette d'artiste. Je suis arrivée enfin en tant qu'autrice, en l'occurrence participante. d'un recueil qui s'appelle Volcanique, une anthologie du plaisir, sous la direction de Léonora Miano, où nous étions douze femmes, douze autrices des mondes noirs, à parler du plaisir féminin. C'est que j'ai commencé par tendre le micro à d'autres, en fait. J'ai commencé par... Ouvrir un espace audio avec Mima Sex and Life où des femmes afrodescendantes pouvaient parler de leur vécu et pas n'importe quel vécu, je voulais qu'elles parlent de leur intimité. Je voulais qu'on sorte du récit qui était le seul souhaitable de la discrimination et de la stigmatisation. Je voulais qu'on ait enfin la possibilité de parler de choses aussi banales qu'elles l'étaient pour d'autres, mais bizarrement ces autres n'avaient jamais nos traits. Donc arriver en parlant de l'entrée dans la puberté, de comment est-ce qu'on a été éduqué dans la maison, de son premier baiser, ça n'a l'air de rien, mais en fait on ne nous posait jamais ce genre de questions. Mima Sex and Life, c'était ça. C'était vraiment, de ma part, une volonté absolue d'aller dans l'intime parce que je pense encore aujourd'hui qu'au cœur de l'intime réside l'universel. Les récits de cet ordre-là permettent de créer des passerelles avec des gens qui pensent qu'ils ont. rien en commun avec nous, ce qu'il faut, vraiment. Là-dessus, je suis... Pour le coup, c'est Maya Angelou qui disait qu'on avait plus de choses en commun que de choses qui nous séparent. Et que la chose qui faisait qu'on ne s'en aperçoive pas, c'est qu'on ne confiait pas assez les récits de vie, on ne se confiait pas assez les unes aux autres quant à nos récits de vie. Et Mima Sex and I, c'est vraiment, vraiment, vraiment cette idée-là, en fait. Et donc, en passant par ce contenu-là, j'ai eu beaucoup de retours de gens me disant Mais comment ça se fait que vous posiez des questions de cet ordre-là ? Comment est-ce que vous arrivez à obtenir autant de confidences ? Comment est-ce que vous arrivez à instaurer ce que vous instaurez ? Et moi, je savais que, bien sûr, j'étais passée par… plein des questionnements que je soumettais aux autres, mais je n'étais pas encore à un endroit où je pouvais leur dire voici mon histoire Et ça, c'est venu seulement après le troisième podcast, qui est Je suis une âge d'un pavillon de cé consacré au féminisme francophone des années 60 à nos jours, qui est en fait un programme qui est un hommage au parcours de ma mère. C'est un programme dans lequel... sous couvert de la question féministe, je parle de ce que ma mère a rendu possible pour moi. Et à partir du moment où j'ai fait ça, il était temps que je pose mon propre récit. Mais pour moi, c'était dans cet ordre-là. Je passais d'abord par le collectif, je passe ensuite par la transmission, et seulement après, je pouvais poser un récit qui était le mien.

  • Speaker #1

    Fabiola Misérault est consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Elle réfléchit à l'amélioration des structures et espaces qu'elle traverse par la voie de la facilitation de conversations difficiles, l'analyse des structures internes afin de réimaginer des espaces plus inclusifs, bienveillants et empathiques. Fabiola est la créatrice et hoste du podcast South Side Stories qui part à la rencontre de personnes issues des diasporas des Sud.

  • Speaker #2

    J'ai grandi en ayant beaucoup de bouillonnements à l'intérieur de moi-même, beaucoup de sentiments d'avoir un feu qui était en moi que je n'arrivais pas forcément à canaliser, à comprendre comment partager. J'ai trouvé beaucoup de consolation dans mes amitiés, dans les sororités que j'ai créées, dans le lien de sororité que j'ai créé avec mes amis qui, par la force des choses, on arrivait à partager cette intimité et partager ces expériences qui souvent étaient très communes. J'ai eu beaucoup de chance d'encontrer d'autres jeunes filles qui avaient grandi avec des expériences qui étaient plus ou moins similaires aux miennes. Mais on était toujours dans l'isolation, toujours dans le secret, dans le partage. Donc il y avait quelque chose de très consolant dans ces liens-là, tout en étant quand même toujours dans l'isolation. Et donc,

  • Speaker #3

    en cheminant encore plus,

  • Speaker #2

    je me disais qu'il y a quelque chose qui… Je ne suis pas seule dans ce que je vis, mais on reste quand même toujours très dans l'isolation et dans le secret. On ne peut pas forcément parler de ce qu'on vit de manière à voix haute. On ne peut pas mettre des mots sur nos expériences de manière collective ou commune. On doit rester à chaque fois dans ce secret. et ça me fait penser beaucoup à l'auteur encore d'Eddie Gentilca qui parle beaucoup du poids du secret dans les communautés noires, afro et comment on chemine dans ça, comment on chemine dans l'idée de ne pas parler, de ne pas oser oser la voix, de ne pas se dire, de ne pas se raconter encore plus en tant que femme noire et c'est en arrivant à la vingtaine, à l'âge de vingtaine où je commence à avoir un peu de poids Je peux me dire peut-être que je peux commencer à créer des espaces, je peux commencer à m'organiser, parce que de plus en plus je suis emmenée à rencontrer des personnes, l'univers, je suis emmenée à rencontrer des femmes noires qui ont des récits similaires aux miennes, qui peuvent aussi se définir comme étant des femmes qui ont vécu à différents... qui viennent de territoires différents, mais qui, encore une fois, se partagent ou s'est vécu collé à la violence sexuelle et a été très présent dans leur enfance. Et aussi, ce vécu avec l'immigration, les déplacements, avec la co-existence, avec un niveau de précarité aussi très élevé. Et donc, c'est devenu... ce côté qui était très personnel a commencé à se renforcer, à devenir de plus en plus collectif avec les autres, avec les autres femmes que je rencontrais. Et on a commencé, franchement, c'est de là que j'ai commencé à me dire que c'était important de se raconter ensemble. Et donc, ça a été de plus en plus... C'était très guérissant pour moi. Je ne sais pas si ça se dit, mais en tout cas, la guérison a commencé à s'activer. plus on se retrouvait dans des espaces qui étaient sûrs, qui étaient sécures, où on se sentait vus, entendus les unes avec les autres. Et plus j'étais en mesure de me dire Ah,

  • Speaker #3

    j'ai envie d'écrire,

  • Speaker #2

    j'ai envie de sortir de cet espace huis clos et de partager mon expérience et d'écrire dans des magazines et d'organiser des conférences où on peut en parler et de réfléchir à des outils pour que les personnes puissent aborder ces questions-là et de briser l'isolation. Il a été propulsé par les espaces de sororité dans lesquels j'ai eu la chance d'être introduite.

  • Speaker #1

    Vous l'avez hyper bien évoqué, vous,

  • Speaker #2

    à titre individuel, et peut-être que les femmes,

  • Speaker #3

    de manière collective, on navigue dans différents espaces,

  • Speaker #2

    dans des espaces qui peuvent être des espaces sexistes,

  • Speaker #1

    misogynes, racistes,

  • Speaker #2

    des espaces dans lesquels, en tant que femmes,

  • Speaker #3

    il y a des mots qui nous tombent dessus,

  • Speaker #2

    qui nous tombent littéralement dessus. Et ces mots,

  • Speaker #1

    ça peut être femme, ça peut être noire, ça peut être...

  • Speaker #2

    plein d'autres mots qui ont pour objectif de limiter les possibles de nos vies et avec lesquels il va quand même falloir frayer tout au long de cette même vie. Et ce que je trouvais intéressant de vous demander, c'était quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ? Parce que ce qui est intéressant, c'est qu'au-delà de peut-être se les accaparer ou de les définir, Ce qui est intéressant, c'est de savoir ce qu'on fait de ces mots.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on les accepte ? Est-ce qu'on les rejette ?

  • Speaker #2

    Est-ce qu'on choisit peut-être de les redéfinir ? Parce qu'en fait, en fonction de ce qu'on a choisi de faire, c'est là que se trouvent un peu nos désirs politiques pour peut-être des sociétés plus égalitaires. Donc voilà, moi je voulais savoir quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ?

  • Speaker #1

    Moi,

  • Speaker #3

    en ce qui me concerne, le mot qui m'est tombé dessus, c'est le terme viol, en fait. Parce que c'est... C'est ce qui m'est tombée dessus littéralement quand j'avais 11 ans. Et lorsque ce terme me tombe dessus, je ne sais même pas qu'il existe. Je ne sais même pas en quoi ça consiste. Je n'ai aucune conscience de mon corps et de ce qui pourrait être fait à mon corps et de la manière dont une intrusion pourrait avoir lieu. Et en fait, je me rends à la bibliothèque. parce que je suis un petit rat de bibliothèque, je lis beaucoup, beaucoup depuis que je suis arrivée en France. Moi, je suis arrivée ici, j'avais 6 ans, j'ai été envoyée ici par ma mère qui tenait absolument à ce que j'ai accès à l'éducation qu'elle, elle, elle n'avait pas eue. Et du coup, en fait, l'une des façons de... d'avoir moins de chagrin et de me sentir moins isolée, ça a été les livres. Et je me suis réfugiée, en fait, là-dedans. Donc, quand moi, ça, cette agression survient, mon premier réflexe, c'est de me dire je suis sûre qu'il y a une explication dans les livres. Je suis sûre que je vais trouver, voilà. et effectivement je vais trouver, je vais trouver plus que ça parce que je vais trouver Maya aussi Maya Angelou avec Je sais pourquoi je chante l'oiseau en cage et juste déjà pouvoir me réapproprier pouvoir mettre un terme sur l'agression ça a changé l'endroit où je me situais par rapport à ça. Je n'étais plus quelqu'un à qui on avait fait ça. J'étais aussi quelqu'un qui était en mesure de savoir en quoi consistait ce qu'on venait de lui faire et ce qu'il y avait de pas correct en la matière. Donc moi, ça a été ce mot-là. il a fracassé à ce moment-là mon existence et par la suite, je me suis réappropriée. Donc, à partir de ce moment-là, ce qui moi m'a considérablement aidée, sauvée, qui m'a redonnée en tout cas du pouvoir, ça a été de découvrir des ouvrages de littérature érotique écrits par des femmes. Et ces ouvrages, mine de rien, m'ont permis, moi, de comprendre que ce qu'on m'avait fait, ce n'était pas du sexe, c'était de la violence, c'était une agression, ça n'avait rien à voir avec le sexe. Le sexe, c'était les choses agréables que je ressentais à la lecture des livres érotiques. qui me tombait entre les mains, que je trouvais à la bibliothèque, écrit par des femmes. Et que c'était deux choses complètement différentes. Et je pense que ça a beaucoup joué dans le parcours qui est le mien ensuite. Et ce n'est pas un hasard que j'émerge sur la scène médiatique avec un ouvrage qui porte sur le plaisir féminin et une nouvelle érotique. Donc jusque-là, les choses sont assez cohérentes. Donc je pense que c'est ce mot-là. Et la façon dont je me suis réappropriée ce mot-là, ça a été de devenir une autrice de littérature érotique féminine alors que je porte un parcours de cet ordre-là et que mon entrée dans la sexualité s'est faite par la violence et par le viol.

  • Speaker #1

    Pascal Solage. Moi,

  • Speaker #4

    je dirais que le mot... qui m'est tombée dessus et je vais dire aussi qu'on lui est tombée dessus. C'est le mot négresse Et c'est un mot créole, mais en français, on peut avoir le mot négresse Et voilà, on peut l'avoir aussi en anglais et tout. En Haïti, on a l'histoire du nègre marron qui est... Dans l'histoire de la révolution haïtienne, le symbole de la révolte, le symbole de la liberté, le symbole de l'indépendance, quoi. C'est-à-dire que c'est un personnage qui n'a pas d'identité, c'est-à-dire que c'est pas comme dans notre histoire, quand on connaît Toussaint Louverture ou Dessalines et tout. Le nègre marron, on ne sait pas qui c'est. Parfois, on dit que c'est MacAndale et tout, mais en fait, on ne sait pas qui c'est. C'est juste celui qui symbolise notre âge d'être libre. notre rage de nous battre contre le système d'exploitation et de déshumanisation de ce qu'on a vécu pendant la période coloniale. Et ce symbole de neige marron traduit... Toute l'invisibilisation de ce que les femmes ont apporté dans l'histoire de mon pays qui est connu comme la première république noire.

  • Speaker #1

    La révolution haïtienne constitue la première révolte d'esclaves du monde moderne. Des hommes et des femmes asservis ont renversé l'ordre colonial et fondé en 1804 la première république noire au monde.

  • Speaker #4

    L'invisibilisation de toute cette lutte à laquelle les femmes ont participé, les femmes ont contribué. Tout ce qu'elles ont fait à divers niveaux, sur les champs de bataille, sur les colonies elles-mêmes, après l'indépendance, pour participer à la construction de cette première république noire et de cette nation haïtienne. Donc, le negmaro, autant qu'il peut symboliser toute cette rage de la liberté, c'est aussi comment les femmes, depuis toujours, dans l'histoire haïtienne, dans l'histoire racontée, elles ont été invisibilisées. Et comment aussi, après être devenue la nation haïtienne, ces femmes qui avaient été partie prenante totalement de cette lutte pour l'indépendance, ont été relégués en citoyennes de seconde zone, en ayant aucun droit politique, en disparaissant totalement en tant que citoyenne, etc. Bon, on va dire le patriarcat.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #4

    nous, quand on a commencé à faire notre travail en Haïti, c'était comment... nous battre contre cette invisibilisation et comment nous réapproprier justement un terme symbolique qui disait à quel point nous, aujourd'hui encore dans notre contexte actuel, aujourd'hui encore dans les temps que nous vivons, nous avions cette rage en tant que femmes, en tant que citoyennes, en tant que féministes haïtiennes, d'être libres. et aussi de porter toute cette vision de la liberté que ces femmes qui ont combattu, non seulement pendant cette période, mais aussi les femmes qui, depuis 100 ans, parce que je le rappelle que le mouvement féministe haïtien, c'est un mouvement qui existe depuis 1915, quand il a pris naissance justement pour se battre contre l'occupation américaine, comment dans toute l'histoire haïtienne, les femmes ont été de toutes les luttes, et comment cette invisibilisation a été systématique dans tout le monde. toutes les périodes de l'histoire haïtienne.

  • Speaker #1

    J'ai une question pour

  • Speaker #2

    Axel. Plus particulièrement, mais si vous avez envie d'y répondre,

  • Speaker #1

    sentez-vous libre aussi.

  • Speaker #2

    En fait, je me demandais s'il existe des outils qui peuvent être plus pertinents, plus intéressants que d'autres pour faire du commun en partant de la marge. Parce que tu nous as répété à plusieurs reprises que tu es aussi, et j'ai presque envie de dire avant tout,

  • Speaker #3

    une artiste.

  • Speaker #2

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #1

    par exemple,

  • Speaker #2

    fait partie de ces outils ?

  • Speaker #1

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #2

    c'est un domaine qu'il faut investir pour pouvoir y retrouver de plus en plus de récits ? qui peuvent porter en eux des espèces de capacités de transformation des sociétés ?

  • Speaker #3

    Ma réponse est un oui, mais colossale à cette question. Bien sûr que l'art est un domaine qu'il faut investir. On est... Au départ, je choisis moi le podcast sur Mimasexanai parce que je suis totalement consciente de la stigmatisation dont peuvent faire l'objet l'apparence des personnes noires. Et que d'emblée, je me dis que si quelqu'un bute sur l'apparence d'une des intervenantes, ça peut être un motif pour ne pas écouter ce qu'elle pourrait avoir à dire alors que c'est ce qu'elle a à dire qui est le plus intéressant. Et par ailleurs, moi, je sais que la voix est la chose la plus intime qui puisse exister. Donc, je pars sur le podcast. Et il s'avère qu'effectivement, ça fonctionne plutôt pas mal. Et par la suite, je m'aperçois, enfin, pour moi, c'est très clair que quel que soit le support... sur lequel vous décidez de vous exprimer. Ce qui importe, c'est la pertinence du propos que vous avez à partager avec les autres. et le support ça peut aussi bien être du podcast ça peut être du film ça peut être du théâtre vraiment toutes les formes artistiques peuvent être des très bons véhicules pour porter les messages qui sont les vôtres et particulièrement en matière de lutte pour les droits de lutte contre les discriminations pour une meilleure inclusion c'est encore des personne ne m'a vu venir en fait moi avec le podcast personne ne m'a vu venir avec ce sujet-là dans le podcast, raison pour laquelle au départ j'ai eu du mal à trouver des investisseurs. Et c'est ça, enfin moi c'est surtout ce truc-là, c'est plus on sera nombreux à porter des propos comme ceux qu'on porte sur des secteurs comme l'art dans lesquels on ne nous attend pas là-dedans, plus on aura des choses, plus on aura des chances de… toucher un large public. Moi, je sais que le podcast... l'une des raisons pour lesquelles les interlocuteurs que j'avais ne voulaient pas y aller et pensaient que l'intimité de femmes noires n'était pas un sujet c'était qu'ils étaient convaincus que ce contenu ne s'adresserait qu'aux personnes noires que ce seraient les seules personnes qui écouteraient, ce qui est quand même fou quand vous y pensez c'est comme si vous vous dites que je sais pas la Vénus non, comment elle s'appelle, la Joconde non Il n'y a que les Italiens qui vont la regarder. Pourquoi ? ça, ce plafond-là, quand les gens sont bas du cerveau, comme ça, l'art, c'est parfait pour montrer à quel point, en fait, on est des êtres sensibles, en fait. On est des êtres sensitifs, on est des êtres émotifs. Et ce qui fonctionne avec le podcast, ce qui fonctionne avec la voix, c'est ça. On est directement dans les oreilles des gens. Je suis directement dans votre oreille. C'est un rapport qui est très, très particulier. Et ce rapport-là... prête à l'intimité et l'intimité

  • Speaker #0

    prête à l'universel.

  • Speaker #1

    Est-ce que le choix de faire quelque chose d'audio, est-ce que ça a été une évidence pour toi ? Parce que j'ai écouté les premiers épisodes, il y en a un en particulier qui m'a marquée, si je ne dis pas de bêtises, c'est le premier en fait, je reviens sur le parcours d'Émilie, et il m'a marquée parce qu'en fait, on ne vient pas du tout des mêmes, on ne vient pas des mêmes espaces, en tout cas nos parents ne viennent pas des mêmes espaces, mais on a grandi. dans les mêmes espaces en France. Et du coup, je me suis retrouvée dans plein de choses qu'elle décrivait. Et en fait, je me demande si c'est le... Est-ce que le podcast, plus qu'un autre support, permet cette identification ? Est-ce que cette identification aussi, quand toi tu as pensé le podcast, c'était quelque chose que tu recherchais ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui t'a un peu échappé ?

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault. En tout cas,

  • Speaker #1

    ce n'était pas une évidence. J'ai toujours cru que mon médium de privilégion, c'était l'écriture. J'ai commencé à écrire quand j'avais...

  • Speaker #3

    7 ans,

  • Speaker #1

    donc dès que je pouvais tenir un stylo et que je pouvais raconter des histoires, le papier, c'était mon premier médium. Et c'est un médium sur lequel je me suis beaucoup retrouvée, autant à l'âge adolescent, à l'âge jeune adulte, autant dans mes propres journaux intimes que dans la publication de premiers articles dans des plus grands magazines publics. Donc j'ai toujours cru que la manière dont je pouvais raconter, c'était par l'écriture. et en développant un peu plus, en grandissant, en gravitant dans différents espaces, en créant des espaces, en étant invité dans des espaces, je me suis dit que la voix, comme Axelle le disait, il y a quelque chose de très intime dans la voix, il y a quelque chose de très porteur dans la voix parce que tu es capable d'amplifier ou d'inviter d'autres voix à rejoindre les tiennes. Pascal, est-ce que toi, avec Négas Marron, est-ce que les carnets féministes ou les différents festivals... que vous organisez, est-ce qu'ils portent aussi cette même fonction qu'on peut retrouver dans le podcast de Fabiola qui va être par exemple d'amplifier, pas forcément de faire autant, mais presque d'amplifier des voix qui sont déjà là.

  • Speaker #2

    À l'assaut est un projet qui vise à proposer de nouveaux modes de distribution des pensées et des voix féministes. Loin des clichés sur le féminisme du tiers-monde, cantonné à l'assistance d'urgence, À l'assaut propose une plateforme par les femmes et féministes haïtiennes en Haïti et dans la diaspora, afin de diffuser leurs idées, positions, visions et aspirations. À l'assaut, ce sont des carnets composés de dix textes illustrés. Ces textes sont des analyses de militantes, universitaires, chercheuses, intellectuelles ou artistes féministes. Les formats sont fictifs ou non. Les carnets sont produits en deux éditions, créole français et créole anglais.

  • Speaker #3

    Absolument, et ça a commencé justement de cette façon. L'ambition, c'était justement de donner des espaces pour que des femmes se racontent, pour que des femmes se retrouvent et que des femmes se reconnaissent. Et là... Première chose, c'était d'abord le festival. On a créé le festival moins d'un an après la création de l'organisation. C'est parce que déjà, nous, on créait des espaces artistiques. Bon, nous sommes pour la majorité des artistes qui avons fondé Neges Mahon. Et en fait, le premier travail qu'on avait fait, c'était de créer une pièce de théâtre qui s'appelait Talons aiguilles, Talons d'Achille. Talons aiguilles, Talons d'Achille, c'était créer une pièce où quatre comédiennes se retrouvaient. C'est des personnes qui déjà étaient des comédiennes en Haïti, pas très connues, connues et tout. pour parler de sujets comme la maternité, l'avortement, le mariage, etc. C'est-à-dire des sujets qui sont au centre de nos vies et de nos préoccupations en tant que jeunes femmes haïtiennes et qui sont aussi au centre des violences que nous subissons et des discriminations que nous subissons en tant que jeunes femmes haïtiennes. Donc, quand on a écrit Talents aiguilles, Talents d'Achille et qu'on a réuni les quatre comédiennes, on a utilisé la méthodologie en premier lieu avant de commencer les répétitions, avant de commencer tout le travail du volet artistique, en des ateliers de travail, des groupes de paroles pour leur permettre de discuter sur ces différents sujets. Et quand on a réuni ces quatre comédiennes, genre des jeunes femmes épanouies et tout, avec des carrières et tout, on était quatre comédiennes et on était trois de l'équipe à faire le travail donc nous étions sept nous nous sommes rendus compte que nous étions sept et on a des survivantes de violences à divers niveaux. Et dans les groupes de parole avec des jeunes femmes qui étaient fin vingtaine, début trentaine, il y avait que c'était la première fois qu'elles en parlaient. Ou c'était la première fois qu'elles se rendaient compte, je vais reprendre quelque chose qu'Axel a dit tout à l'heure, qu'elles se rendaient compte qu'en fait, ça, c'était de la violence. pour la première fois. Et c'est des jeunes femmes, début trentaine. Et on a créé la pièce et on l'a jouée pendant près d'un an. Et c'était aussi le retour du public qui a vu la pièce partout dans le pays. Donc, on a décidé de créer le festival parce qu'on avait besoin en premier lieu d'un espace où proposer nos créations artistiques, activistes et militantes. Donc, le festival était exactement ça. C'était créer cet espace pour cela que ce soit pour nous ou bien pour donner à d'autres personnes cet espace. Par exemple, l'un des sujets qui me tient le plus à cœur dans les animations que nous avons déjà publiées, c'est le thème de la frontière. parce que moi aussi en tant que réfugiée politique, mais aussi de toute cette histoire de la migration haïtienne. Et Fabula a parlé d'Edwidge Nantika. Si on lit Edwidge Nantika, on sait le drame de la migration haïtienne. Ce sont des dizaines de milliers d'Haïtiens qui, depuis près de 30 ans, périssent dans ce besoin d'aller vivre ailleurs, dans ce besoin d'aller survivre ailleurs. Donc, et aujourd'hui, pratiquement chaque année, nous avons des dizaines de milliers de personnes qui laissent Haïti par tous les moyens possibles et imaginables. Donc, c'était de raconter cette réalité dans un point de vue féministe et de ce que nous vivons, nous, en tant que jeunes femmes, dans cette histoire de la migration haïtienne. Donc, comment se raconter à travers cela ? Et comment permettre à des jeunes femmes qui ont été exilées, soit dans la dictature, soit parce qu'il faut aller vivre quelque part ou bien il faut vivre, tout simplement ? de leur permettre d'exister en tant qu'haïtiennes dans un espace où elles peuvent être ensemble en tant que femmes. Donc, à la source, c'était aussi ça.

  • Speaker #1

    J'ai une question qui est adressée à toutes les trois, qui est la suivante. En fait, vous qui portez des récits, donc à travers... les différents outils, supports que vous vous êtes appropriés, que ce soit à l'art, à travers la littérature, ou le théâtre, ou les initiatives que vous portez, pour quelles raisons, pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous portez ces récits-là ? Et à qui est-ce qu'ils sont adressés ? En fait... Est-ce que vous les portez pour transformer le monde, les sociétés ? Est-ce que c'est pour empouvoir les personnes qui sont au cœur de ces récits ? Pourquoi vous parlez et à qui vous parlez ?

  • Speaker #2

    C'est très égoïste.

  • Speaker #0

    Je le fais d'abord pour moi. Je le fais pour moi et je le fais pour... La jeune fille, l'adolescente que j'ai été, qui a terriblement manqué de ces récits-là quand elle était petite et qui pense qu'elle aurait peut-être gagné du temps. si elle avait pu les entendre quelque part ou les lire quelque part. Et je me... Voilà, on est en relation perpétuelle, elle et moi. Et je lui dois ça, je nous dois ça. Donc, c'est d'abord le premier endroit d'où je m'exprime. Ensuite, je le fais en me disant, peut-être qu'il y a des jeunes femmes qui... Euh... qui vont pouvoir s'identifier à ce que je dis, même si ça, je le dis toujours avec beaucoup de réserve. parce que je parle du principe que et c'est même pas moi qui exprime ça super bien c'est une féministe belge qui s'appelle Aïcha Touwattara qui l'avait très très bien dit lors d'un échange qu'on avait eu sur le podcast de la fille sur le canapé justement sur les violences sexuelles au sein des communautés noires et Aïcha Touw rappelait vraiment pertinemment que certes on est hum on est crédible en tout cas pour parler, évoquer certains sujets parce qu'on est concerné par ces derniers. Mais il ne faut jamais, jamais oublier que notre expérience à nous ne peut en aucun cas être représentative de l'expérience de toutes les autres personnes. Qu'elle ne peut pas à elle seule être celle à laquelle on saurait faire pour parler des ressentis et des vécus d'autres personnes. Moi, je sais que ce que je dis, ce que je peux poser, les paroles que je peux récolter font écho à un certain nombre de femmes noires, font écho chez un certain nombre de femmes noires, mais pas chez toutes les femmes noires. Et je ne veux pas que ce soit perçu de cette façon-là, parce que ça, c'est une manière de faire de nous un bloc monolithique. C'est toujours, ça va toujours, toujours nous jouer des tours, ce truc-là. Donc ça, c'est un truc... Je suis réfractaire à devenir la voix des femmes noires et de l'intimité des femmes noires. Gardez la pêche, en fait. Je suis une des voix possibles en la matière. Celles qui m'ont fait confiance et qui m'ont confié leur récit le sont également. Mais il y a encore... tellement d'autres récits à récolter et nous tenir ce discours-là, c'est la façon de s'arranger, en fait, pour ne pas laisser éclore ces autres récits. On n'est pas encore si nombreuses, mais si nombreuses qu'on peut se faire mettre, en fait, ce luxe-là.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #0

    moi, je suis l'une des expressions possibles de ces récits-là, mais je ne suis pas représentative de toutes les femmes noires. Et ça, pour moi, c'est ça. Le truc crucial, c'est qu'il y a encore pléthore de récits à accueillir et à faire entendre. Et plus on sera nombreux à s'emparer du micro, à s'emparer des outils artistiques de tous les ordres, enfin sous toutes les formes qu'elles soient, plus on pourra parler de la pluralité de nos expériences.

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault

  • Speaker #1

    Pour moi, les premières personnes avec qui je parle, c'est les femmes noires. Et dans les femmes noires, je décortique encore plus, parce que c'est peut-être un peu trop égoïste, mais les premières personnes pour qui je parle, c'est des personnes avec qui je partage une petite partie d'existence, d'expérience commune. et vraiment dans le but de passer de la survie, qui a été assez constante moi dans mon parcours, à cette capacité à jouir de la vie.

  • Speaker #2

    Pascal Solage.

  • Speaker #3

    Pour moi, ce serait deux mots que je mettrais au centre de ma réponse pour ta question. C'est ce besoin non négociable d'exister et après de mobiliser tous les pouvoirs sur toutes les formes possibles et imaginables pour mettre derrière cette existence. Tu avais mis mon corps à gauche au moment où je te parlais. Il y avait ma mère et sa mère avant elle, sa mère qui se cachait alors qu'elle était seule, mes soeurs qu'on avait adoptées comme ma mère dans le... dans le palais noir de la bourgeoisie noire de Pétionville. Ma mère adaptée toute seule, en absence de sa mère, qu'elle ne pouvait plus reconnaître, mon père qui l'avait ramenée enfin dans la montagne de nos gens. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissée tranquille avec ma mère qui était partie et revenue, avec ma grand-mère qui était partie et revenue, avec mon autre grand-mère qui était morte et qu'on ne voulait pas que je remplace sur cette terre. Il y avait ces deux femmes, une forte et une petite, qui n'avaient jamais abandonné la place, même quand elles étaient cachées. Des femmes qui n'étaient pas des religieuses, mais s'occupaient de sacrés au milieu des mornes. Des femmes qui n'étaient que mambo et qui servaient en partant bousquement cueillir des feuilles au milieu du jardin, en laissant leurs légumes s'égayer au marché pendant ce temps, parce que personne ne les aurait volés. Il y avait cette grand-mère, une Africaine, une Amérindienne, qui portait deux peuples en elle, deux peuples de liberté. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissé tranquille et qui justement pouvait les faire se rencontrer. Quand j'ai besoin d'elle, je suis elle. Je suis Erzuli et je m'appuie sur elle. Elles savent bien me briser et me recomposer, une Amérindienne et une Africaine. Et moi, je sais qu'elles sont bien là pour me porter, pour me retisser jusque dans les lignes que je tresse par petits bouts pour les autres. Alors qu'ici, comme tu vois, l'espace est si fermé, l'espace est cloisonné, l'espace est si petit. Je sais bien qu'elles sont là et ma voix n'est jamais mince, ma voix n'est pas petite, non, ma voix n'est jamais seule. Et je parle les pieds plantés dans le silence, le silence qui depuis toujours veut effacer ces femmes, alors que nous, qui avons connu le rasoir, la gilette, ça ne nous fait pas peur.

  • Speaker #2

    Le texte lu par Pascal Solage est un texte de Stéphane Martelly, écrivaine, peintre et chercheur. Elle est née à Port-au-Prince. Par une approche profondément transdisciplinaire qui fait se confronter théorie, réflexion critique et création, elle poursuit une démarche réflexive sur la littérature haïtienne contemporaine, sur la création, sur les marginalités littéraires ainsi que sur les limites de l'interprétation. Merci à Fabiola Misérault, à Pascal Solage et à Axel Jeanne-Jiquet. d'avoir participé à cet épisode de Sororité francophone. Sororité francophone est un podcast conçu par Equipop, monté, mixé et réalisé par Lalia Productions. Retrouvez tous les épisodes de Sororité francophone sur les réseaux sociaux d'Equipop. Merci pour votre écoute. Merci.

Description

⚠ Ce podcast aborde la thématique des violences sexuelles et peut créer des situations d’inconfort chez certaines personnes.

Dans cet épisode, Axelle Jah Njiké, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, Pascale Solages de l’organisation féministe Nègès Mawon et Fabiola Mizero, consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique et créatrice et host de podcast se livrent sur leurs parcours. Ensemble, elles échangent sur les enjeux liés aux récits, en particulier les récits féministes, et comment ceux-ci peuvent permettre à certaines femmes de se retrouver dans la voix d’une autre, à des victimes de violences sexistes et sexuelles, de mettre des mots sur un passé devenu force.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501

  • Speaker #1

    Créer un espace de réflexion politique et féministe, un lieu d'échange, de partage de savoirs et d'expériences, c'est l'ambition de ce podcast. Bienvenue dans Sororité francophone, le podcast des conversations féministes francophones. Nous sommes avec Pascal Solage, militante féministe haïtienne, fondatrice et coordinatrice générale de Négues Marron, Axelle Jeanne-Jiquet, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenu sonore et Fabiola Misérault, Consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Avec nos invités, nous avons parlé des récits qui fabriquent les imaginaires, de ceux qui participent à notre politisation, du pouvoir des mots et de nos désirs politiques. En quoi les récits nourrissent nos imaginaires, nos réflexions et nos parcours militants ? C'est la question posée à nos trois panélistes. Vous entendrez successivement Fabiola Misérault, Axel Jeanne Jiquet et Pascal Solage. Fabiola Misérault.

  • Speaker #2

    J'ai pas eu accès à beaucoup de récits,

  • Speaker #3

    d'histoires,

  • Speaker #2

    de biographies où je me sentais représentée. J'ai grandi en étant très adepte à la lecture et à l'écriture, donc c'était vraiment des univers dans lesquels je pouvais circuler, mais c'était souvent des univers où j'avais accepté que je n'existais pas et je ne me recherchais pas dans ces univers-là. Et donc, j'étais comme un personnage de seconde zone qui regardait un petit peu ce qui se passe, qui était curieuse, qui apprenait des mondes différents.

  • Speaker #4

    Et donc,

  • Speaker #2

    même si jusqu'à présent, la littérature a une place très importante dans ma vie, ce n'est pas forcément... c'est pas forcément la plateforme ou l'outil qui m'a permis de me retrouver directement, mais c'est un outil qui résonnait avec qui j'étais et parmi quand j'ai écouté la réplique je me retrouvais aussi beaucoup dans les mangas les mangas m'étaient souvent des orphelins, des enfants issus de classes populaires au coeur de leur récit et c'était souvent des enfants qui devenaient héros et donc ça a vraiment beaucoup stimulé cette idée que même si je n'étais pas un garçon qui joue au foot même si je ne suis pas je ne suis pas Olivier et Tom j'avais quand même cette idée que tu peux venir d'un milieu plus précaire et quand même aspirer à de grandes choses tu peux venir d'une famille qui est dysfonctionnelle et quand même aspirer à à ce qu'il y a de grandes choses et c'est ce que les mangas mettaient souvent en avant même s'il y avait quand même beaucoup de limites, pas de caractère noir encore moins des caractères femmes et souvent s'ils étaient là c'était des caractères de seconde zone mais il y avait quand même ce récit de à partir d'où tu viens tu peux devenir quelque chose

  • Speaker #1

    Pour moi,

  • Speaker #3

    c'est assez facile, c'est Pourquoi chante l'oiseau en cage de Maya Angelou. C'est ce récit-là qui est le récit dans lequel je me suis retrouvée la première fois et de manière très forte. Ça correspondait à mon vécu en matière de violence sexuelle, c'était la première fois. que je lise un récit à propos d'une petite fille noire à qui il était arrivé la même chose qu'à moi et indéniablement à partir de cette... De cet ouvrage-là, j'ai commencé à lire les autrices noires américaines. J'ai très vite eu loisir de m'identifier. J'ai grandi dans les années 80. L'autre ouvrage qui avait marqué ces années-là, c'est La couleur pourpre d'Alice Walker. Du coup, j'avais une... une conscience de plein de choses qui correspondaient à l'environnement dans lequel moi je grandissais, qui était un environnement plutôt maltraitant. Et c'était extrêmement important pour moi de trouver un écho à ça. Et ça m'a sauvé la vie. Ça m'a permis en tout cas de me dire qu'il existait une vie après celle-là.

  • Speaker #1

    Pascale Solage, cofondatrice et coordinatrice de l'organisation féministe haïtienne, Négues Marron revient sur l'articulation de l'intime et du politique.

  • Speaker #4

    Donc quand tu es une adolescente en Haïti, comme moi, qui a été dans une école congréganiste, c'est-à-dire que tu as été élevée toute ta vie par des sœurs religieuses. En premier lieu, tu n'as pas conscience que tu te cherches effectivement dans ce que tu lis, parce que ce qui est à ta portée, ce n'est pas nécessairement des récits, ce n'est pas nécessairement des espaces où... on t'aide à te chercher ou à te reconnaître. Donc, ce que tu as accès en premier lieu dans le niveau scolaire quand tu es... Quand tu es une jeune fille ou une adolescente haïtienne, c'est certes de la littérature haïtienne, mais les personnages féminins que tu retrouves dans la littérature haïtienne, du moins ceux qui sont en circulation dans le système scolaire, c'est toujours le prototype, le schéma de la femme haïtienne potomitain. Je veux dire, ça veut dire qu'elle est au centre de la famille, qui supporte tout, qui est résiliente, qui est forte. et qui survient à tout, même si on la casse en divers morceaux. Et en fait, on te transmet tous ces récits à travers les grands romans de littérature haïtienne. Et au fur et à mesure, tu te dis que c'est ça, être une femme haïtienne, et c'est ça, être une bonne femme haïtienne. Moi, je suis survivante de violences sexuelles. très jeune,

  • Speaker #2

    genre

  • Speaker #4

    7-8 ans, très tôt. Mais aussi, je viens d'une famille qui a eu beaucoup de violence. C'est un espace familial où j'ai connu très tôt aussi, presque au même âge, la question de la violence conjugale. La famille brisée, on va dire que c'est un petit peu... quelque chose qu'on connaît beaucoup chez nous. Mais je suis aussi porteuse de l'expérience de perdre un enfant à cause des violences obstétriques et aussi qui sont intimement liées. à un système médical extrêmement patriarcal, extrêmement violent pour les femmes, pour les jeunes femmes en Haïti. Et le défi, c'est un défi pour moi de porter toutes ces expériences personnelles dans mon parcours militant, peut-être sans le dire, peut-être sans raconter ce parcours, en tout cas très peu. Je sais qu'il y a toute cette puissance du storytelling, du partage et tout. Et je pense aussi que c'est quelque chose à dire de quand tu ne peux pas raconter ton parcours, quand tu ne peux pas raconter tes expériences pour alimenter ton militantisme, je pense que moi, c'est mon expérience personnelle. Et je pense aussi que ça participe de comment on survit à un trauma. Ça peut être justement en en parlant ou en en parlant pas. Peut-être que mon parcours militant aurait été différent s'il avait été construit justement sur le récit de ces expériences. Il est bâti sur mon vécu, mais non pas sur les récits.

  • Speaker #1

    Née au Cameroun et arrivée en France dans son enfance, Axelle Jeanne Jiquet est autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, chroniqueuse et militante féministe païenne. Axelle est la créatrice des podcasts Me, My Sex and I La fille sur le canapé et Je suis noire et je n'aime pas Beyoncé consacrée au vécu des femmes afrodescendantes d'un point de vue aussi bien intime que collectif.

  • Speaker #3

    Avant d'être militante, je suis une artiste. Et je suis arrivée sur la scène de la question des droits des femmes via ma casquette d'artiste. Je suis arrivée enfin en tant qu'autrice, en l'occurrence participante. d'un recueil qui s'appelle Volcanique, une anthologie du plaisir, sous la direction de Léonora Miano, où nous étions douze femmes, douze autrices des mondes noirs, à parler du plaisir féminin. C'est que j'ai commencé par tendre le micro à d'autres, en fait. J'ai commencé par... Ouvrir un espace audio avec Mima Sex and Life où des femmes afrodescendantes pouvaient parler de leur vécu et pas n'importe quel vécu, je voulais qu'elles parlent de leur intimité. Je voulais qu'on sorte du récit qui était le seul souhaitable de la discrimination et de la stigmatisation. Je voulais qu'on ait enfin la possibilité de parler de choses aussi banales qu'elles l'étaient pour d'autres, mais bizarrement ces autres n'avaient jamais nos traits. Donc arriver en parlant de l'entrée dans la puberté, de comment est-ce qu'on a été éduqué dans la maison, de son premier baiser, ça n'a l'air de rien, mais en fait on ne nous posait jamais ce genre de questions. Mima Sex and Life, c'était ça. C'était vraiment, de ma part, une volonté absolue d'aller dans l'intime parce que je pense encore aujourd'hui qu'au cœur de l'intime réside l'universel. Les récits de cet ordre-là permettent de créer des passerelles avec des gens qui pensent qu'ils ont. rien en commun avec nous, ce qu'il faut, vraiment. Là-dessus, je suis... Pour le coup, c'est Maya Angelou qui disait qu'on avait plus de choses en commun que de choses qui nous séparent. Et que la chose qui faisait qu'on ne s'en aperçoive pas, c'est qu'on ne confiait pas assez les récits de vie, on ne se confiait pas assez les unes aux autres quant à nos récits de vie. Et Mima Sex and I, c'est vraiment, vraiment, vraiment cette idée-là, en fait. Et donc, en passant par ce contenu-là, j'ai eu beaucoup de retours de gens me disant Mais comment ça se fait que vous posiez des questions de cet ordre-là ? Comment est-ce que vous arrivez à obtenir autant de confidences ? Comment est-ce que vous arrivez à instaurer ce que vous instaurez ? Et moi, je savais que, bien sûr, j'étais passée par… plein des questionnements que je soumettais aux autres, mais je n'étais pas encore à un endroit où je pouvais leur dire voici mon histoire Et ça, c'est venu seulement après le troisième podcast, qui est Je suis une âge d'un pavillon de cé consacré au féminisme francophone des années 60 à nos jours, qui est en fait un programme qui est un hommage au parcours de ma mère. C'est un programme dans lequel... sous couvert de la question féministe, je parle de ce que ma mère a rendu possible pour moi. Et à partir du moment où j'ai fait ça, il était temps que je pose mon propre récit. Mais pour moi, c'était dans cet ordre-là. Je passais d'abord par le collectif, je passe ensuite par la transmission, et seulement après, je pouvais poser un récit qui était le mien.

  • Speaker #1

    Fabiola Misérault est consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. Elle réfléchit à l'amélioration des structures et espaces qu'elle traverse par la voie de la facilitation de conversations difficiles, l'analyse des structures internes afin de réimaginer des espaces plus inclusifs, bienveillants et empathiques. Fabiola est la créatrice et hoste du podcast South Side Stories qui part à la rencontre de personnes issues des diasporas des Sud.

  • Speaker #2

    J'ai grandi en ayant beaucoup de bouillonnements à l'intérieur de moi-même, beaucoup de sentiments d'avoir un feu qui était en moi que je n'arrivais pas forcément à canaliser, à comprendre comment partager. J'ai trouvé beaucoup de consolation dans mes amitiés, dans les sororités que j'ai créées, dans le lien de sororité que j'ai créé avec mes amis qui, par la force des choses, on arrivait à partager cette intimité et partager ces expériences qui souvent étaient très communes. J'ai eu beaucoup de chance d'encontrer d'autres jeunes filles qui avaient grandi avec des expériences qui étaient plus ou moins similaires aux miennes. Mais on était toujours dans l'isolation, toujours dans le secret, dans le partage. Donc il y avait quelque chose de très consolant dans ces liens-là, tout en étant quand même toujours dans l'isolation. Et donc,

  • Speaker #3

    en cheminant encore plus,

  • Speaker #2

    je me disais qu'il y a quelque chose qui… Je ne suis pas seule dans ce que je vis, mais on reste quand même toujours très dans l'isolation et dans le secret. On ne peut pas forcément parler de ce qu'on vit de manière à voix haute. On ne peut pas mettre des mots sur nos expériences de manière collective ou commune. On doit rester à chaque fois dans ce secret. et ça me fait penser beaucoup à l'auteur encore d'Eddie Gentilca qui parle beaucoup du poids du secret dans les communautés noires, afro et comment on chemine dans ça, comment on chemine dans l'idée de ne pas parler, de ne pas oser oser la voix, de ne pas se dire, de ne pas se raconter encore plus en tant que femme noire et c'est en arrivant à la vingtaine, à l'âge de vingtaine où je commence à avoir un peu de poids Je peux me dire peut-être que je peux commencer à créer des espaces, je peux commencer à m'organiser, parce que de plus en plus je suis emmenée à rencontrer des personnes, l'univers, je suis emmenée à rencontrer des femmes noires qui ont des récits similaires aux miennes, qui peuvent aussi se définir comme étant des femmes qui ont vécu à différents... qui viennent de territoires différents, mais qui, encore une fois, se partagent ou s'est vécu collé à la violence sexuelle et a été très présent dans leur enfance. Et aussi, ce vécu avec l'immigration, les déplacements, avec la co-existence, avec un niveau de précarité aussi très élevé. Et donc, c'est devenu... ce côté qui était très personnel a commencé à se renforcer, à devenir de plus en plus collectif avec les autres, avec les autres femmes que je rencontrais. Et on a commencé, franchement, c'est de là que j'ai commencé à me dire que c'était important de se raconter ensemble. Et donc, ça a été de plus en plus... C'était très guérissant pour moi. Je ne sais pas si ça se dit, mais en tout cas, la guérison a commencé à s'activer. plus on se retrouvait dans des espaces qui étaient sûrs, qui étaient sécures, où on se sentait vus, entendus les unes avec les autres. Et plus j'étais en mesure de me dire Ah,

  • Speaker #3

    j'ai envie d'écrire,

  • Speaker #2

    j'ai envie de sortir de cet espace huis clos et de partager mon expérience et d'écrire dans des magazines et d'organiser des conférences où on peut en parler et de réfléchir à des outils pour que les personnes puissent aborder ces questions-là et de briser l'isolation. Il a été propulsé par les espaces de sororité dans lesquels j'ai eu la chance d'être introduite.

  • Speaker #1

    Vous l'avez hyper bien évoqué, vous,

  • Speaker #2

    à titre individuel, et peut-être que les femmes,

  • Speaker #3

    de manière collective, on navigue dans différents espaces,

  • Speaker #2

    dans des espaces qui peuvent être des espaces sexistes,

  • Speaker #1

    misogynes, racistes,

  • Speaker #2

    des espaces dans lesquels, en tant que femmes,

  • Speaker #3

    il y a des mots qui nous tombent dessus,

  • Speaker #2

    qui nous tombent littéralement dessus. Et ces mots,

  • Speaker #1

    ça peut être femme, ça peut être noire, ça peut être...

  • Speaker #2

    plein d'autres mots qui ont pour objectif de limiter les possibles de nos vies et avec lesquels il va quand même falloir frayer tout au long de cette même vie. Et ce que je trouvais intéressant de vous demander, c'était quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ? Parce que ce qui est intéressant, c'est qu'au-delà de peut-être se les accaparer ou de les définir, Ce qui est intéressant, c'est de savoir ce qu'on fait de ces mots.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on les accepte ? Est-ce qu'on les rejette ?

  • Speaker #2

    Est-ce qu'on choisit peut-être de les redéfinir ? Parce qu'en fait, en fonction de ce qu'on a choisi de faire, c'est là que se trouvent un peu nos désirs politiques pour peut-être des sociétés plus égalitaires. Donc voilà, moi je voulais savoir quels mots vous sont tombés dessus et qu'est-ce que vous en avez fait ?

  • Speaker #1

    Moi,

  • Speaker #3

    en ce qui me concerne, le mot qui m'est tombé dessus, c'est le terme viol, en fait. Parce que c'est... C'est ce qui m'est tombée dessus littéralement quand j'avais 11 ans. Et lorsque ce terme me tombe dessus, je ne sais même pas qu'il existe. Je ne sais même pas en quoi ça consiste. Je n'ai aucune conscience de mon corps et de ce qui pourrait être fait à mon corps et de la manière dont une intrusion pourrait avoir lieu. Et en fait, je me rends à la bibliothèque. parce que je suis un petit rat de bibliothèque, je lis beaucoup, beaucoup depuis que je suis arrivée en France. Moi, je suis arrivée ici, j'avais 6 ans, j'ai été envoyée ici par ma mère qui tenait absolument à ce que j'ai accès à l'éducation qu'elle, elle, elle n'avait pas eue. Et du coup, en fait, l'une des façons de... d'avoir moins de chagrin et de me sentir moins isolée, ça a été les livres. Et je me suis réfugiée, en fait, là-dedans. Donc, quand moi, ça, cette agression survient, mon premier réflexe, c'est de me dire je suis sûre qu'il y a une explication dans les livres. Je suis sûre que je vais trouver, voilà. et effectivement je vais trouver, je vais trouver plus que ça parce que je vais trouver Maya aussi Maya Angelou avec Je sais pourquoi je chante l'oiseau en cage et juste déjà pouvoir me réapproprier pouvoir mettre un terme sur l'agression ça a changé l'endroit où je me situais par rapport à ça. Je n'étais plus quelqu'un à qui on avait fait ça. J'étais aussi quelqu'un qui était en mesure de savoir en quoi consistait ce qu'on venait de lui faire et ce qu'il y avait de pas correct en la matière. Donc moi, ça a été ce mot-là. il a fracassé à ce moment-là mon existence et par la suite, je me suis réappropriée. Donc, à partir de ce moment-là, ce qui moi m'a considérablement aidée, sauvée, qui m'a redonnée en tout cas du pouvoir, ça a été de découvrir des ouvrages de littérature érotique écrits par des femmes. Et ces ouvrages, mine de rien, m'ont permis, moi, de comprendre que ce qu'on m'avait fait, ce n'était pas du sexe, c'était de la violence, c'était une agression, ça n'avait rien à voir avec le sexe. Le sexe, c'était les choses agréables que je ressentais à la lecture des livres érotiques. qui me tombait entre les mains, que je trouvais à la bibliothèque, écrit par des femmes. Et que c'était deux choses complètement différentes. Et je pense que ça a beaucoup joué dans le parcours qui est le mien ensuite. Et ce n'est pas un hasard que j'émerge sur la scène médiatique avec un ouvrage qui porte sur le plaisir féminin et une nouvelle érotique. Donc jusque-là, les choses sont assez cohérentes. Donc je pense que c'est ce mot-là. Et la façon dont je me suis réappropriée ce mot-là, ça a été de devenir une autrice de littérature érotique féminine alors que je porte un parcours de cet ordre-là et que mon entrée dans la sexualité s'est faite par la violence et par le viol.

  • Speaker #1

    Pascal Solage. Moi,

  • Speaker #4

    je dirais que le mot... qui m'est tombée dessus et je vais dire aussi qu'on lui est tombée dessus. C'est le mot négresse Et c'est un mot créole, mais en français, on peut avoir le mot négresse Et voilà, on peut l'avoir aussi en anglais et tout. En Haïti, on a l'histoire du nègre marron qui est... Dans l'histoire de la révolution haïtienne, le symbole de la révolte, le symbole de la liberté, le symbole de l'indépendance, quoi. C'est-à-dire que c'est un personnage qui n'a pas d'identité, c'est-à-dire que c'est pas comme dans notre histoire, quand on connaît Toussaint Louverture ou Dessalines et tout. Le nègre marron, on ne sait pas qui c'est. Parfois, on dit que c'est MacAndale et tout, mais en fait, on ne sait pas qui c'est. C'est juste celui qui symbolise notre âge d'être libre. notre rage de nous battre contre le système d'exploitation et de déshumanisation de ce qu'on a vécu pendant la période coloniale. Et ce symbole de neige marron traduit... Toute l'invisibilisation de ce que les femmes ont apporté dans l'histoire de mon pays qui est connu comme la première république noire.

  • Speaker #1

    La révolution haïtienne constitue la première révolte d'esclaves du monde moderne. Des hommes et des femmes asservis ont renversé l'ordre colonial et fondé en 1804 la première république noire au monde.

  • Speaker #4

    L'invisibilisation de toute cette lutte à laquelle les femmes ont participé, les femmes ont contribué. Tout ce qu'elles ont fait à divers niveaux, sur les champs de bataille, sur les colonies elles-mêmes, après l'indépendance, pour participer à la construction de cette première république noire et de cette nation haïtienne. Donc, le negmaro, autant qu'il peut symboliser toute cette rage de la liberté, c'est aussi comment les femmes, depuis toujours, dans l'histoire haïtienne, dans l'histoire racontée, elles ont été invisibilisées. Et comment aussi, après être devenue la nation haïtienne, ces femmes qui avaient été partie prenante totalement de cette lutte pour l'indépendance, ont été relégués en citoyennes de seconde zone, en ayant aucun droit politique, en disparaissant totalement en tant que citoyenne, etc. Bon, on va dire le patriarcat.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #4

    nous, quand on a commencé à faire notre travail en Haïti, c'était comment... nous battre contre cette invisibilisation et comment nous réapproprier justement un terme symbolique qui disait à quel point nous, aujourd'hui encore dans notre contexte actuel, aujourd'hui encore dans les temps que nous vivons, nous avions cette rage en tant que femmes, en tant que citoyennes, en tant que féministes haïtiennes, d'être libres. et aussi de porter toute cette vision de la liberté que ces femmes qui ont combattu, non seulement pendant cette période, mais aussi les femmes qui, depuis 100 ans, parce que je le rappelle que le mouvement féministe haïtien, c'est un mouvement qui existe depuis 1915, quand il a pris naissance justement pour se battre contre l'occupation américaine, comment dans toute l'histoire haïtienne, les femmes ont été de toutes les luttes, et comment cette invisibilisation a été systématique dans tout le monde. toutes les périodes de l'histoire haïtienne.

  • Speaker #1

    J'ai une question pour

  • Speaker #2

    Axel. Plus particulièrement, mais si vous avez envie d'y répondre,

  • Speaker #1

    sentez-vous libre aussi.

  • Speaker #2

    En fait, je me demandais s'il existe des outils qui peuvent être plus pertinents, plus intéressants que d'autres pour faire du commun en partant de la marge. Parce que tu nous as répété à plusieurs reprises que tu es aussi, et j'ai presque envie de dire avant tout,

  • Speaker #3

    une artiste.

  • Speaker #2

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #1

    par exemple,

  • Speaker #2

    fait partie de ces outils ?

  • Speaker #1

    Est-ce que l'art,

  • Speaker #2

    c'est un domaine qu'il faut investir pour pouvoir y retrouver de plus en plus de récits ? qui peuvent porter en eux des espèces de capacités de transformation des sociétés ?

  • Speaker #3

    Ma réponse est un oui, mais colossale à cette question. Bien sûr que l'art est un domaine qu'il faut investir. On est... Au départ, je choisis moi le podcast sur Mimasexanai parce que je suis totalement consciente de la stigmatisation dont peuvent faire l'objet l'apparence des personnes noires. Et que d'emblée, je me dis que si quelqu'un bute sur l'apparence d'une des intervenantes, ça peut être un motif pour ne pas écouter ce qu'elle pourrait avoir à dire alors que c'est ce qu'elle a à dire qui est le plus intéressant. Et par ailleurs, moi, je sais que la voix est la chose la plus intime qui puisse exister. Donc, je pars sur le podcast. Et il s'avère qu'effectivement, ça fonctionne plutôt pas mal. Et par la suite, je m'aperçois, enfin, pour moi, c'est très clair que quel que soit le support... sur lequel vous décidez de vous exprimer. Ce qui importe, c'est la pertinence du propos que vous avez à partager avec les autres. et le support ça peut aussi bien être du podcast ça peut être du film ça peut être du théâtre vraiment toutes les formes artistiques peuvent être des très bons véhicules pour porter les messages qui sont les vôtres et particulièrement en matière de lutte pour les droits de lutte contre les discriminations pour une meilleure inclusion c'est encore des personne ne m'a vu venir en fait moi avec le podcast personne ne m'a vu venir avec ce sujet-là dans le podcast, raison pour laquelle au départ j'ai eu du mal à trouver des investisseurs. Et c'est ça, enfin moi c'est surtout ce truc-là, c'est plus on sera nombreux à porter des propos comme ceux qu'on porte sur des secteurs comme l'art dans lesquels on ne nous attend pas là-dedans, plus on aura des choses, plus on aura des chances de… toucher un large public. Moi, je sais que le podcast... l'une des raisons pour lesquelles les interlocuteurs que j'avais ne voulaient pas y aller et pensaient que l'intimité de femmes noires n'était pas un sujet c'était qu'ils étaient convaincus que ce contenu ne s'adresserait qu'aux personnes noires que ce seraient les seules personnes qui écouteraient, ce qui est quand même fou quand vous y pensez c'est comme si vous vous dites que je sais pas la Vénus non, comment elle s'appelle, la Joconde non Il n'y a que les Italiens qui vont la regarder. Pourquoi ? ça, ce plafond-là, quand les gens sont bas du cerveau, comme ça, l'art, c'est parfait pour montrer à quel point, en fait, on est des êtres sensibles, en fait. On est des êtres sensitifs, on est des êtres émotifs. Et ce qui fonctionne avec le podcast, ce qui fonctionne avec la voix, c'est ça. On est directement dans les oreilles des gens. Je suis directement dans votre oreille. C'est un rapport qui est très, très particulier. Et ce rapport-là... prête à l'intimité et l'intimité

  • Speaker #0

    prête à l'universel.

  • Speaker #1

    Est-ce que le choix de faire quelque chose d'audio, est-ce que ça a été une évidence pour toi ? Parce que j'ai écouté les premiers épisodes, il y en a un en particulier qui m'a marquée, si je ne dis pas de bêtises, c'est le premier en fait, je reviens sur le parcours d'Émilie, et il m'a marquée parce qu'en fait, on ne vient pas du tout des mêmes, on ne vient pas des mêmes espaces, en tout cas nos parents ne viennent pas des mêmes espaces, mais on a grandi. dans les mêmes espaces en France. Et du coup, je me suis retrouvée dans plein de choses qu'elle décrivait. Et en fait, je me demande si c'est le... Est-ce que le podcast, plus qu'un autre support, permet cette identification ? Est-ce que cette identification aussi, quand toi tu as pensé le podcast, c'était quelque chose que tu recherchais ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui t'a un peu échappé ?

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault. En tout cas,

  • Speaker #1

    ce n'était pas une évidence. J'ai toujours cru que mon médium de privilégion, c'était l'écriture. J'ai commencé à écrire quand j'avais...

  • Speaker #3

    7 ans,

  • Speaker #1

    donc dès que je pouvais tenir un stylo et que je pouvais raconter des histoires, le papier, c'était mon premier médium. Et c'est un médium sur lequel je me suis beaucoup retrouvée, autant à l'âge adolescent, à l'âge jeune adulte, autant dans mes propres journaux intimes que dans la publication de premiers articles dans des plus grands magazines publics. Donc j'ai toujours cru que la manière dont je pouvais raconter, c'était par l'écriture. et en développant un peu plus, en grandissant, en gravitant dans différents espaces, en créant des espaces, en étant invité dans des espaces, je me suis dit que la voix, comme Axelle le disait, il y a quelque chose de très intime dans la voix, il y a quelque chose de très porteur dans la voix parce que tu es capable d'amplifier ou d'inviter d'autres voix à rejoindre les tiennes. Pascal, est-ce que toi, avec Négas Marron, est-ce que les carnets féministes ou les différents festivals... que vous organisez, est-ce qu'ils portent aussi cette même fonction qu'on peut retrouver dans le podcast de Fabiola qui va être par exemple d'amplifier, pas forcément de faire autant, mais presque d'amplifier des voix qui sont déjà là.

  • Speaker #2

    À l'assaut est un projet qui vise à proposer de nouveaux modes de distribution des pensées et des voix féministes. Loin des clichés sur le féminisme du tiers-monde, cantonné à l'assistance d'urgence, À l'assaut propose une plateforme par les femmes et féministes haïtiennes en Haïti et dans la diaspora, afin de diffuser leurs idées, positions, visions et aspirations. À l'assaut, ce sont des carnets composés de dix textes illustrés. Ces textes sont des analyses de militantes, universitaires, chercheuses, intellectuelles ou artistes féministes. Les formats sont fictifs ou non. Les carnets sont produits en deux éditions, créole français et créole anglais.

  • Speaker #3

    Absolument, et ça a commencé justement de cette façon. L'ambition, c'était justement de donner des espaces pour que des femmes se racontent, pour que des femmes se retrouvent et que des femmes se reconnaissent. Et là... Première chose, c'était d'abord le festival. On a créé le festival moins d'un an après la création de l'organisation. C'est parce que déjà, nous, on créait des espaces artistiques. Bon, nous sommes pour la majorité des artistes qui avons fondé Neges Mahon. Et en fait, le premier travail qu'on avait fait, c'était de créer une pièce de théâtre qui s'appelait Talons aiguilles, Talons d'Achille. Talons aiguilles, Talons d'Achille, c'était créer une pièce où quatre comédiennes se retrouvaient. C'est des personnes qui déjà étaient des comédiennes en Haïti, pas très connues, connues et tout. pour parler de sujets comme la maternité, l'avortement, le mariage, etc. C'est-à-dire des sujets qui sont au centre de nos vies et de nos préoccupations en tant que jeunes femmes haïtiennes et qui sont aussi au centre des violences que nous subissons et des discriminations que nous subissons en tant que jeunes femmes haïtiennes. Donc, quand on a écrit Talents aiguilles, Talents d'Achille et qu'on a réuni les quatre comédiennes, on a utilisé la méthodologie en premier lieu avant de commencer les répétitions, avant de commencer tout le travail du volet artistique, en des ateliers de travail, des groupes de paroles pour leur permettre de discuter sur ces différents sujets. Et quand on a réuni ces quatre comédiennes, genre des jeunes femmes épanouies et tout, avec des carrières et tout, on était quatre comédiennes et on était trois de l'équipe à faire le travail donc nous étions sept nous nous sommes rendus compte que nous étions sept et on a des survivantes de violences à divers niveaux. Et dans les groupes de parole avec des jeunes femmes qui étaient fin vingtaine, début trentaine, il y avait que c'était la première fois qu'elles en parlaient. Ou c'était la première fois qu'elles se rendaient compte, je vais reprendre quelque chose qu'Axel a dit tout à l'heure, qu'elles se rendaient compte qu'en fait, ça, c'était de la violence. pour la première fois. Et c'est des jeunes femmes, début trentaine. Et on a créé la pièce et on l'a jouée pendant près d'un an. Et c'était aussi le retour du public qui a vu la pièce partout dans le pays. Donc, on a décidé de créer le festival parce qu'on avait besoin en premier lieu d'un espace où proposer nos créations artistiques, activistes et militantes. Donc, le festival était exactement ça. C'était créer cet espace pour cela que ce soit pour nous ou bien pour donner à d'autres personnes cet espace. Par exemple, l'un des sujets qui me tient le plus à cœur dans les animations que nous avons déjà publiées, c'est le thème de la frontière. parce que moi aussi en tant que réfugiée politique, mais aussi de toute cette histoire de la migration haïtienne. Et Fabula a parlé d'Edwidge Nantika. Si on lit Edwidge Nantika, on sait le drame de la migration haïtienne. Ce sont des dizaines de milliers d'Haïtiens qui, depuis près de 30 ans, périssent dans ce besoin d'aller vivre ailleurs, dans ce besoin d'aller survivre ailleurs. Donc, et aujourd'hui, pratiquement chaque année, nous avons des dizaines de milliers de personnes qui laissent Haïti par tous les moyens possibles et imaginables. Donc, c'était de raconter cette réalité dans un point de vue féministe et de ce que nous vivons, nous, en tant que jeunes femmes, dans cette histoire de la migration haïtienne. Donc, comment se raconter à travers cela ? Et comment permettre à des jeunes femmes qui ont été exilées, soit dans la dictature, soit parce qu'il faut aller vivre quelque part ou bien il faut vivre, tout simplement ? de leur permettre d'exister en tant qu'haïtiennes dans un espace où elles peuvent être ensemble en tant que femmes. Donc, à la source, c'était aussi ça.

  • Speaker #1

    J'ai une question qui est adressée à toutes les trois, qui est la suivante. En fait, vous qui portez des récits, donc à travers... les différents outils, supports que vous vous êtes appropriés, que ce soit à l'art, à travers la littérature, ou le théâtre, ou les initiatives que vous portez, pour quelles raisons, pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous parlez ? Pourquoi vous portez ces récits-là ? Et à qui est-ce qu'ils sont adressés ? En fait... Est-ce que vous les portez pour transformer le monde, les sociétés ? Est-ce que c'est pour empouvoir les personnes qui sont au cœur de ces récits ? Pourquoi vous parlez et à qui vous parlez ?

  • Speaker #2

    C'est très égoïste.

  • Speaker #0

    Je le fais d'abord pour moi. Je le fais pour moi et je le fais pour... La jeune fille, l'adolescente que j'ai été, qui a terriblement manqué de ces récits-là quand elle était petite et qui pense qu'elle aurait peut-être gagné du temps. si elle avait pu les entendre quelque part ou les lire quelque part. Et je me... Voilà, on est en relation perpétuelle, elle et moi. Et je lui dois ça, je nous dois ça. Donc, c'est d'abord le premier endroit d'où je m'exprime. Ensuite, je le fais en me disant, peut-être qu'il y a des jeunes femmes qui... Euh... qui vont pouvoir s'identifier à ce que je dis, même si ça, je le dis toujours avec beaucoup de réserve. parce que je parle du principe que et c'est même pas moi qui exprime ça super bien c'est une féministe belge qui s'appelle Aïcha Touwattara qui l'avait très très bien dit lors d'un échange qu'on avait eu sur le podcast de la fille sur le canapé justement sur les violences sexuelles au sein des communautés noires et Aïcha Touw rappelait vraiment pertinemment que certes on est hum on est crédible en tout cas pour parler, évoquer certains sujets parce qu'on est concerné par ces derniers. Mais il ne faut jamais, jamais oublier que notre expérience à nous ne peut en aucun cas être représentative de l'expérience de toutes les autres personnes. Qu'elle ne peut pas à elle seule être celle à laquelle on saurait faire pour parler des ressentis et des vécus d'autres personnes. Moi, je sais que ce que je dis, ce que je peux poser, les paroles que je peux récolter font écho à un certain nombre de femmes noires, font écho chez un certain nombre de femmes noires, mais pas chez toutes les femmes noires. Et je ne veux pas que ce soit perçu de cette façon-là, parce que ça, c'est une manière de faire de nous un bloc monolithique. C'est toujours, ça va toujours, toujours nous jouer des tours, ce truc-là. Donc ça, c'est un truc... Je suis réfractaire à devenir la voix des femmes noires et de l'intimité des femmes noires. Gardez la pêche, en fait. Je suis une des voix possibles en la matière. Celles qui m'ont fait confiance et qui m'ont confié leur récit le sont également. Mais il y a encore... tellement d'autres récits à récolter et nous tenir ce discours-là, c'est la façon de s'arranger, en fait, pour ne pas laisser éclore ces autres récits. On n'est pas encore si nombreuses, mais si nombreuses qu'on peut se faire mettre, en fait, ce luxe-là.

  • Speaker #3

    Donc,

  • Speaker #0

    moi, je suis l'une des expressions possibles de ces récits-là, mais je ne suis pas représentative de toutes les femmes noires. Et ça, pour moi, c'est ça. Le truc crucial, c'est qu'il y a encore pléthore de récits à accueillir et à faire entendre. Et plus on sera nombreux à s'emparer du micro, à s'emparer des outils artistiques de tous les ordres, enfin sous toutes les formes qu'elles soient, plus on pourra parler de la pluralité de nos expériences.

  • Speaker #2

    Fabiola Misérault

  • Speaker #1

    Pour moi, les premières personnes avec qui je parle, c'est les femmes noires. Et dans les femmes noires, je décortique encore plus, parce que c'est peut-être un peu trop égoïste, mais les premières personnes pour qui je parle, c'est des personnes avec qui je partage une petite partie d'existence, d'expérience commune. et vraiment dans le but de passer de la survie, qui a été assez constante moi dans mon parcours, à cette capacité à jouir de la vie.

  • Speaker #2

    Pascal Solage.

  • Speaker #3

    Pour moi, ce serait deux mots que je mettrais au centre de ma réponse pour ta question. C'est ce besoin non négociable d'exister et après de mobiliser tous les pouvoirs sur toutes les formes possibles et imaginables pour mettre derrière cette existence. Tu avais mis mon corps à gauche au moment où je te parlais. Il y avait ma mère et sa mère avant elle, sa mère qui se cachait alors qu'elle était seule, mes soeurs qu'on avait adoptées comme ma mère dans le... dans le palais noir de la bourgeoisie noire de Pétionville. Ma mère adaptée toute seule, en absence de sa mère, qu'elle ne pouvait plus reconnaître, mon père qui l'avait ramenée enfin dans la montagne de nos gens. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissée tranquille avec ma mère qui était partie et revenue, avec ma grand-mère qui était partie et revenue, avec mon autre grand-mère qui était morte et qu'on ne voulait pas que je remplace sur cette terre. Il y avait ces deux femmes, une forte et une petite, qui n'avaient jamais abandonné la place, même quand elles étaient cachées. Des femmes qui n'étaient pas des religieuses, mais s'occupaient de sacrés au milieu des mornes. Des femmes qui n'étaient que mambo et qui servaient en partant bousquement cueillir des feuilles au milieu du jardin, en laissant leurs légumes s'égayer au marché pendant ce temps, parce que personne ne les aurait volés. Il y avait cette grand-mère, une Africaine, une Amérindienne, qui portait deux peuples en elle, deux peuples de liberté. Et puis il y avait moi, qu'on avait laissé tranquille et qui justement pouvait les faire se rencontrer. Quand j'ai besoin d'elle, je suis elle. Je suis Erzuli et je m'appuie sur elle. Elles savent bien me briser et me recomposer, une Amérindienne et une Africaine. Et moi, je sais qu'elles sont bien là pour me porter, pour me retisser jusque dans les lignes que je tresse par petits bouts pour les autres. Alors qu'ici, comme tu vois, l'espace est si fermé, l'espace est cloisonné, l'espace est si petit. Je sais bien qu'elles sont là et ma voix n'est jamais mince, ma voix n'est pas petite, non, ma voix n'est jamais seule. Et je parle les pieds plantés dans le silence, le silence qui depuis toujours veut effacer ces femmes, alors que nous, qui avons connu le rasoir, la gilette, ça ne nous fait pas peur.

  • Speaker #2

    Le texte lu par Pascal Solage est un texte de Stéphane Martelly, écrivaine, peintre et chercheur. Elle est née à Port-au-Prince. Par une approche profondément transdisciplinaire qui fait se confronter théorie, réflexion critique et création, elle poursuit une démarche réflexive sur la littérature haïtienne contemporaine, sur la création, sur les marginalités littéraires ainsi que sur les limites de l'interprétation. Merci à Fabiola Misérault, à Pascal Solage et à Axel Jeanne-Jiquet. d'avoir participé à cet épisode de Sororité francophone. Sororité francophone est un podcast conçu par Equipop, monté, mixé et réalisé par Lalia Productions. Retrouvez tous les épisodes de Sororité francophone sur les réseaux sociaux d'Equipop. Merci pour votre écoute. Merci.

Share

Embed

You may also like