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/\ 9 Bruno Dayez, le parcours d'un avocat engagé

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55min |22/09/2023
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Description

Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Dayez. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à devenir avocat et pourtant, il s'est trouvé une vocation, voire plutôt un exutoire...  

Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénal actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties.  

Selon ses propres mots, "l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien" et " pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance! "...  

Et de l'assurance il en a eu ! Dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qui l'avait accueilli pour s'installer dans "le vilain Schaerbeek " et créer son propre cabinet d'avocats.  

Mais nous ne parlerons pas que de droit dans cet épisode sous le tipi. Maître Dayez nous dit " que nous sommes maître de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons " même si vous le verrez, faire le barreau n'était pas sa vocation première.  

" Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres ".  

" Essaye des études " nous conseille Bruno Dayez  " et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin ". 

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Arnaud

    Sous le Tipeee, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez... Sous le Tipeee, un lieu où l'on vient écouter des démoignages professionnels inspirants. D'un côté, ceux qui ont vécu, ils racontent leur métier, leur parcours de vie, partagent leurs anecdotes, leurs philosophies et des conseils pour aider ceux de l'autre côté. Vous, chers auditeurs, en quête de vous-même. Sous le Tipeee, c'est la volonté de renouer avec une tradition... Orane, on s'assoit et on écoute. Bonjour chers amis et bienvenue sous le Tipeee. Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Daillé. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à faire le barreau. Et pourtant, il s'est trouvé une vocation, ou est-ce peut-être plutôt un exutoire. Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties. Selon ses propres mots, l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien. Ou, pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance. De l'assurance, il en a eu, car dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qu'il avait accueilli. pour s'installer dans le vilain Scarbeck et créer son propre cabinet d'avocat. Mais nous ne parlerons pas que de droit. Maître Daillé nous dit que nous sommes maîtres de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons. Même si, vous le verrez, le barreau n'était pas sa vocation première. Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres. Essayez des études, nous conseille Maître Daillé, et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin. Il est maintenant temps de s'asseoir, d'ouvrir grand ses oreilles et de se laisser inspirer sous le tipi.

  • Bruno Dayez

    Moi je suis un juriste contrarié, donc j'ai fait le droit à reculons, c'était des études que je n'aimais pas, parce que le droit... conforte l'ordre établi parce que le droit est du côté des puissants et qu'il écrase les faibles. Et donc j'ai fait ces études à reculons parce que j'étais plutôt tenté vers la philosophie que j'ai également embrassé comme études. Et puis à la fin de mes études, mon père étant décédé prématurément et étant déjà marié très rapidement, il fallait trouver un exutoire. Et donc je suis allé sonner chez le voisin de ma femme qui était avocat. et qui m'a accueilli pour faire mon stage et je suis resté chez lui deux trois mois, guère longtemps, avant d'être débauché par un cabinet qui m'intéressait davantage parce que c'était l'antenne juridique d'ATD Carmonde. Donc c'est un des avocats qui avait une forte une forte pulsion militante et qui défendait les plus pauvres et donc ça, ça a été l'occasion de faire un vrai stage de quatre ans chez un avocat que pour laquelle j'ai encore beaucoup de révérence, qui s'appelle Georges Kerkov, et qui est d'ailleurs toujours très actif dans le mouvement ATD, quoiqu'il ait pris sa pension en tant qu'avocat. Mais ça a été un avocat qui avait beaucoup de convictions et qui les défendait avec cœur, donc c'était très emballant pour un jeune juriste. Mais donc je suis rentré au palais pour la première fois après ma prestation de serment, je n'avais jamais mis le pied au palais, et absolument rien ne me prédestinait à faire le barreau. Sur le pénal proprement dit, c'est pas compliqué à comprendre. Comme je suis philosophe plus que juriste, le pénal est une matière assez fascinante. D'une part c'est une très belle construction intellectuelle, donc c'était l'un des rares cours que j'aimais en tant qu'étudiant, parce que c'est une très belle mécanique où on parle d'intention, de volonté, etc. Donc de tas de concepts de conscience qui renvoyaient à la philo. Et parce qu'en tant que praticien, en fait les deux matériaux qu'on triture toute la journée sont des introuvables. c'est la vérité et la justice. Et donc le droit pénal, c'est beaucoup de faits et très peu de droits. Et donc ça m'intéressait aussi à ce niveau-là. Il ne fallait pas être un grand juriste pour pouvoir faire du pénal. Par contre, il fallait avoir une sensibilité, je pense, qui vous porte très fort vers l'humain. Et surtout, ça donnait l'occasion de belles envolées lyriques au sujet de ces horizons de sens inaccessibles que sont la vérité et la justice. Donc on peut gloser à l'infini sur ce qu'est par exemple une peine juste. Il y a beaucoup de plaidoiries qui portent essentiellement sur la peine, au fond, que mérite un type qui est en aveu d'avoir fait ce qu'on lui reproche. Et parfois, sur la vérité, quand il y a effectivement matière à débat pour savoir si la personne est coupable ou pas, c'est un exercice qui reste extrêmement passionnant parce qu'il suppose de déployer toutes nos facultés intellectuelles pour voir si le dossier tient la route, refait à la chronologie de l'enquête. se rendre compte du cheminement qu'ont suivi les autorités de poursuite et pouvoir se dire, là, il y a un problème, là, ça n'est pas correct. Il y a une espèce de billet qui fait qu'on arrive à la conclusion à laquelle on veut aboutir. Mais, somme toute, il y a des hypothèses concurrentes qui restent tout à fait plausibles. Et donc, il y a, surtout en matière de mœurs, par exemple, souvent matière à débat. Je suis arrivé au pénal difficilement parce que... la clientèle était squattée si je puis dire par quelques avocats beaucoup plus âgés que moi qui étaient donc plus chevronnés et qui, comme c'est toujours le cas actuellement d'ailleurs, étaient directement friands de ce qu'on pourrait appeler les affaires retentissantes, donc celles qui faisaient l'objet d'une médiatisation. Donc ce qui fait que les premières années de stage, on ne fait que du chien écrasé si vous me permettez l'expression. On traite concrètement du menu fretin dans le cadre de l'aide juridique, ce qu'on appelle communément le Prodeo. Et donc finalement, je suis arrivé au pénal après quelques années, par un autre biais, j'ai quitté mon cabinet à l'issue de mon stage pour m'installer dans ce qu'on appellerait le vilain scarbeck, donc le bas scarbeck. Et là, j'ai eu une clientèle qui était constituée à 99% d'étrangers, enfin de gens d'origine étrangère, qui avaient forcément tous les problèmes que rencontrent les étrangers. Donc le problème du séjour. J'ai drainé énormément de personnes qui étaient en séjour clandestin et qui forcément connaissent d'autres personnes qui ont des démêlés avec la justice et qui ont aussi des déboires familiaux. Ce qui fait que très rapidement, la recette a pris, si vous voulez. Donc comme on ne prête qu'aux riches, j'ai eu de plus en plus de personnes qui venaient d'origines diverses, mais qui avaient toujours des problèmes aussi bien liés à leur séjour que des problèmes pénaux et des problèmes familiaux. Ce qui fait qu'au total, j'ai drainé énormément de dossiers quantitativement qui m'ont valu de créer finalement une espèce de mini-entreprise où j'ai débauché. de plus en plus de collaborateurs pour arriver finalement à une équipe de 11 ou 12 personnes qui fonctionne encore toujours aujourd'hui après 40 ans, où en fait je dois pouvoir en quelque sorte répondre à toute détresse. Mais les premières affaires, oui, on est... Je dirais que moi le souvenir que j'en ai, c'est qu'on est très mal traité en tant que jeunes pénalistes. On n'est pas bien reçu par les tribunaux qui vous regardent avec une certaine... arrogance ou une certaine hauteur de vue. Et comme on n'est pas très... Forcément, on n'a pas beaucoup d'expérience, on commet forcément beaucoup d'erreurs et les résultats sont maigres. C'est d'ailleurs une carrière, si je puis dire, dans laquelle on est accoutumé à perdre. Pour faire du pénal, il faut avoir beaucoup d'endurance parce que on est souvent perdant. En fait, la plupart du temps, on ne fait que limiter les dégâts et on fait ce que moi j'appelle communément de l'accompagnement aux mourants, où on est aux soins palliatifs, autrement dit on limite la casse. Mais j'ai un jour osé dire dans un de mes articles que l'avocat au pénal servait rarement à grand chose et souvent à presque rien, ce qui m'a valu lire de plusieurs bâtonniers du pays. Mais pourtant, je suis profondément convaincu de ce que je dis. En fait, on est là pour accompagner quelqu'un. Et si je veux caricaturer de façon assez péjorative, on est là pour lui dire ce qui va lui arriver, on est là au moment où ça lui arrive, et on est là après coup pour lui dire, vous voyez bien, c'est ce que je vous avais prévu. est arrivé. Autrement dit, l'avocat est un être sans pouvoir qui fait de son mieux mais dans des combats souvent perdus d'avance et qui est là pour édulcorer la pilule, si vous voulez, et donc convaincre la personne qu'il vaut mieux souvent ne pas faire appel d'un mauvais jugement parce qu'il risque encore pire en degré d'appel. Donc le métier de pénaliste est un métier très déconcertant. Maintenant, il faut aimer l'adversité. L'adversité, soit elle vous rend combatif, soit elle vous abat complètement. Moi, j'ai eu pas mal de stagiaires qui ont rapidement compris ce que je voulais leur enseigner. Ils se sont rendus compte que mes analyses du système étaient cohérentes, qu'elles correspondaient à une réalité vécue, mais qui en ont été rapidement dégoûtées. On ne compte pas les jeunes avocats qui ont voulu faire du pénal parce qu'ils en avaient une image assez... comment dirais-je, resplendissante ou honorifique, en pensant qu'on allait redresser les torts et être seul contre tous. Mais c'est une imagerie un peu désuète. Et donc, quand on se colle à la réalité, on est forcément très déçu. Et on ne compte plus les avocats qui ont abandonné en cours de route. Moi, j'ai eu des stagiaires que j'estimais être de brillants sujets, mais qui sont partis paradoxalement au parquet. ou au siège. Donc j'ai pas moins de quatre substituts du procureur qui sont passés par mes griffes. Et donc pour moi, ça m'a toujours semblé déconcertant que des gens qui avaient fait profession de défendre finissent par faire profession d'accusé. Mais sans doute était-ce moins périlleux ou moins stressant ou profondément déprimant quand vous prenez le pli d'essuyer revers sur revers. Alors si je suis consulté, je reçois en principe une convocation à comparaître ou une invitation à être entendue par la police. Donc d'abord je briefe les gens sur ce qu'ils doivent savoir sur la façon dont la procédure fonctionne. Donc je leur donne le B.A.B. de façon assez didactique. Et puis s'ils veulent m'entretenir du fond de l'affaire, je les coupe tout de suite en disant que ça ne sert strictement à rien de les écouter. Ce qu'ils vont me dire va me sortir par l'autre oreille. dans mesure où on doit d'abord savoir ce qu'il y a dans le corps adverse. Donc il faut d'abord prendre connaissance du dossier. Donc on va scanner le dossier et puis une fois qu'on a examiné le dossier, on peut les revoir et alors discuter pied à pied. Alors le rapport de l'avocat à la vérité est très compliqué. Il est incompréhensible pour quelqu'un qui n'est pas du CERAI. Par exemple, on nous dit souvent, les questions qui nous sont posées, c'est est-ce que vous prêchez le faux en connaissant le vrai ? pure vue de l'esprit. En fait, nous ne connaissons pas plus le vrai que le grand public ou que le juge ou que le procureur. Nous n'avons pas un espèce d'accès privilégié à la vérité pour la simple raison que le client ne nous doit pas la vérité et que donc il est prudent de jamais la lui demander. En fait, on accorde foi à ce qu'il nous dit jusqu'à preuve du contraire, mais on n'en aura jamais le fin mot. Donc il est très, très rare que non seulement le type nous fasse des confidences, ça c'est banal. mais qu'on doive le croire sur sa bonne mine, ça appartient à la responsabilité de chacun. D'habitude, il faut quand même prendre ses distances. Alors, soit ce qu'il vous dit est implédable, parce que vous vous rendez compte qu'on se heurte à 36 choses et qu'on ne parviendrait jamais à en convaincre qui que ce soit. Dans ces conditions, vous essayez de lui représenter qu'il faut changer sa version des faits, puisque tout est suspéni, on pourrait y revenir dans une minute. Soit vous pensez que la personne qui va avoir face de vous est réellement sincère. Et vous vous dites que vous devez vous défaire de votre première impression qui était très négative à la lecture du dossier, et que vous devez relire le dossier autant de fois que nécessaire pour parvenir à vous persuader vous-même de ce dont vous allez devoir convaincre votre interlocuteur. Ça ne sert à rien d'aller au tribunal plaider des trucs dont vous ne soyez pas convaincu. Je n'ai pas dit des choses dont vous ne sachiez qu'elles soient vraies, puisque ça, je répète qu'on ne pourra jamais le savoir, mais des choses que vous n'ayez pas... de réticence à faire valoir. Je pense que l'avocat, avec l'expérience, apprend trois choses. Il apprend ce qu'il doit dire, ce qu'il ne doit pas dire et comment il doit le dire. Mais je pense aussi que plus fondamentalement, il doit être sincère avec lui-même. Mentir n'a de vertu que très limitée. Je pense que mentir n'amène à rien. Je pense qu'on peut peut-être dire des choses qui sont fausses en ne sachant pas qu'elles sont fausses. Mais le principal est d'en être convaincu.

  • Speaker #2

    D'abord on le tue, puis on s'habitue, on lui coupe la langue, on le dit compagné. Après sans problème, parle le deuxième, le premier qui dit la vérité. Il doit être exécuté. Le premier qui dit la vérité, Il doit être exécuté. J'affirme que l'on m'a proposé Beaucoup de chance.

  • Bruno Dayez

    J'adore cette chanson parce que le texte est somptueux, comme toutes les chansons de Guy Béard. La musique est un peu du style ritournel, donc c'est très vieillot. D'ailleurs, vous ne connaissiez pas Guy Béard, c'est moi qui vous ai appris son existence. Il vient de mourir, mais c'était pour moi l'équivalent des Brassens et des Ferré et des Brel. C'est un auteur à texte essentiellement qui a fait des choses vraiment magnifiques. Je vous invite à découvrir ses chansons les plus connues. La vérité, il y a une phrase dans cette chanson que je n'ai plus entendue depuis longtemps, mais qui dit, le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté, et après sans problème viendra le deuxième. Alors pour moi, ça a évidemment une connotation très personnelle, puisque étant l'avocat de Marc Dutroux, Christian Pannier a hébergé Michel Martin. Christian Pannier est un juge émérite, donc il était ancien président du tribunal de première instance de Namur. Et après sa retraite, lorsque Michel Martin a dû trouver un havre de tranquillité, il a offert de l'héberger chez lui. Ce qui était un acte de grande bravoure, parce qu'il habite dans une maison un peu moyenâgeuse avec un mur d'enceinte. Donc il était... un peu à l'abri de la vindicte, mais il n'y a pas échappé le pauvre homme. Et donc, bien sûr, ça a été un monceau d'injures, de lettres de menaces et peut-être de gens qui rôdaient autour de chez lui, en sorte qu'il a dû acheter deux grands chiens pour la garde. Mais donc, c'était un acte de grand courage. Et je dirais qu'il a fait preuve de vérité dans le sens où La vérité, ici, il faut l'entendre comme toute personne a droit à un moment donné, non pas au pardon, parce que seules les victimes peuvent l'accorder, mais a droit à sortir de prison. La prison est un mal pour un bien, donc la peine, sa meilleure définition, c'est que sa définition même en droit, c'est qu'elle a pour but la réhabilitation du condamné. Sinon, elle n'aurait pas de sens philosophiquement. Ce ne serait qu'une espèce de mouroir ou de torture chinoise, si vous voulez. A condamner les gens à une perpétuité réelle serait une abomination, comme je l'ai souvent dit. Et donc Christian Pannier a tracé une voie en disant, voilà, cette femme qui était vouée à la détestation populaire et à la haine, elle avait tout autant le droit que n'importe quel autre condamné à pouvoir à un moment donné recouvrer sa place dans la société libre. Donc c'est un exemple merveilleux de tout ce que... La religion catholique nous a tous enseigné quand on était petit, c'est-à-dire que tous les concepts liés à la rédemption, à la charité, à la miséricorde, à la résipiscence, à l'amendement, tous ces concepts naissent dans la religion dont nous sommes issus, dont toute notre histoire est tissée. Et donc, moi, je suis le deuxième, en l'occurrence. Je viens sans peine, après panier, en disant, pourquoi pas du trou ? Et donc cette chanson pour moi elle a eu forcément, vous l'avez compris, une répercussion importante dans ma façon d'envisager les choses. Que ce soit une question épineuse, c'est peut-être pour ça que mon éditeur a mis un chardon en couverture. Disons que ce que je dénonce évidemment au fur et à mesure de nombreux ouvrages, c'est l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuelle qui est en fait qui se résume à la question pour tout prévenu, prison ou pas prison et si oui pour quel délai. Donc le seul exutoire du système c'est la prison. Un peu comme j'utilise parfois cette image comme dans Tintin en Amérique. que vous mettiez sur le tapis roulant une vache ou Tintin, ils sortent tous sous la même forme d'une boîte de cornet de bif, dont seule la taille varie. Donc la solution qu'apporte la justice pénale au phénomène de la criminalité est une solution entièrement stéréotypée. Alors à cela vous ajoutez que la prison, dans son état actuel, est beaucoup plus toxique et délétère qu'elle n'est profitable à qui que ce soit. Puisque en fait c'est un mouroir la prison. Donc la prison c'est du temps vide qui ne sert strictement à rien, qui jette les gens dans la désespérance, donc les condamnés, au lieu d'être portés vers l'amendement, vers la prise de conscience de ce qu'ils ont fait, comme ils sont carrément laissés à eux-mêmes et qu'on les laisse en quelque sorte pourrir sur pied, se renforcent dans la conviction qu'ils sont en fait eux-mêmes. victimes d'une injustice parce que le traitement qu'on leur réserve est profondément indigne. Donc à partir du moment où ils ne sont pas respectés en tant qu'individus, ils se braquent en quelque sorte sur le sort qu'il leur est fait et ce n'est pas du tout propice à un amendement. Donc ça c'est une chose qu'il faut souligner. La prison n'assure pas non plus notre sécurité parce que comme c'est une école du crime et qu'on jette dans ce rebut toutes les personnes qui ont commis une quelconque infraction, finalement la seule chose qui les réunit, c'est d'avoir transgressé la loi. Mais ici, finalement, on met ensemble des pédophiles, des voleurs à la tire, des escrocs, des drogués. Donc c'est un doux mélange de gens qui ont chacun des parcours très chaotiques, mais qui ne présentent pas beaucoup de similitudes avec leurs voisins, sauf le fait que ce sont des écorchés de la vie qui sont passés par toutes sortes de... de ratages successifs et qui sont complètement désocialisés, déscolarisés. La population criminelle ou délinquante est en fait très homogène malgré la diversité des crimes. C'est toujours des gens qui ont le même profil puisque un écueil de la prison c'est qu'elle est terriblement inégalitaire et que ce sont toujours les mêmes qui y rentrent et d'autres qui n'y rentreront jamais selon la nature de leur délit. Mais donc cette population... qui végète en prison et qui est laissée livrée à elle-même dans l'attente d'une hypothétique libération, n'est pas du tout portée sur la prise de conscience, parce que les conditions de la détention sont totalement inhumaines. Donc il y a un état de surpopulation chronique, les prisons sont sales, elles sont dans un état de dépouillement qui les apparente presque à détournis. La plupart sont insalubres. L'Observatoire des prisons dénonce ce fait depuis des temps immémoriaux, mais nos prisons sont presque à l'égal des prisons du 19e. Donc en 200 ans, la réflexion n'a pas du tout évolué. Moi je dis qu'on peut et on doit priver de leur liberté un certain nombre de gens parce qu'ils constituent effectivement un danger pour les autres. d'une part, et d'autre part parce qu'il mérite une punition. Je ne suis pas hostile à la punition en tant que telle. Je pense que punir est une nécessité, parce que la société doit forcément réagir de façon ferme à la commission de certaines choses qui sont graves et en fait impardonnables. Cela étant dit, le temps de la détention doit être utile. Donc si on veut que la peine serve à quelque chose, il faut qu'on l'envisage autrement. Donc il faut qu'on révolutionne les prisons telles qu'elles existent. Donc... qu'une prison existe, d'accord, mais que ce soit simplement une oubliette dans laquelle on jette tous les problèmes sociaux comme s'ils n'existaient pas, exactement comme si l'on mettait la poussière sous le tapis, ça ne nous avance à rien. Donc je pense que chaque détenu, c'est la responsabilité de l'État, à partir du moment où il est incarcéré, doit être pris individuellement en charge et en fonction des problèmes qu'il a connus, voir comment on va les résoudre au cas par cas. Et donc ces gens méritent un suivi individualisé pour la simple raison que l'État les a privés de toute autonomie. Donc à partir du moment où ils sont incapables de se gérer eux-mêmes parce que... Ils sont privés de tout. Une privation de liberté, c'est une privation de tout. C'est une privation d'espace, c'est une privation de lumière, c'est une privation de liens sociaux, c'est une privation de liens familiaux, c'est une privation d'intimité. On peut multiplier les exemples à l'infini. Donc cette peine est une peine extrêmement dégradante. Elle transforme les gens en... en déchet, donc il faut être d'une endurance incroyable pour subsister à la prison, pour garder le sentiment de sa propre dignité. Donc tel que ça existe, pour moi c'est un traitement dégradant et inhumain. Si on respecte les gens en tant que personnes, si on leur assure, si on fait de cette peine quelque chose d'utile en offrant, c'est peut-être le mot qui sera mal reçu par le public, mais en... Oui, en offrant à chacun qui une formation, qui des soins, qui une autre forme appropriée d'accompagnement, il est évident qu'on fera bien plus œuvre utile. Alors sur le rapport, pour répondre à votre question, sur le rapport, enfin j'ai déjà répondu en grande partie, mais sur le rapport entre le coupable et la victime, absolument rien.

  • Arnaud

    n'existe dans le but de réparer. Donc, il n'y a aucun moment une espèce de mise en... de forme même édulcorée de contact par lesquels le coupable puisse demander pardon, par exemple, ce qui est très important. L'audience du tribunal n'est pas du tout une instance propice au pardon parce que les gens, quand ils sont pris dans la nasse, s'enfer souvent dans un déni absurde et conteste les faits. Or, comme je le disais dans ce petit livre, la victime est avant tout avide de reconnaissance de sa qualité de victime et de reconnaissance par le coupable de sa culpabilité. Et elle est friande du fait qu'il ne récidive pas. Donc elle est désireuse qu'il ne récidive pas. Mais je pense que si le procès était l'occasion d'une parole vive, où les gens puissent se parler et dialoguer, ou même si ça ne peut pas avoir lieu pendant le procès, qu'une telle instance soit organisée après coup, lorsque le condamné est condamné définitivement, et qu'il n'a plus de raison de contester sa culpabilité, plutôt que de continuer à se prendre lui-même pour une victime, on ferait très bien œuvre utile. J'ai vu un merveilleux documentaire tourné aux États-Unis, où en fait la victime ne peut pas avoir de contact avec le condamné. En l'occurrence, c'était la mère d'une jeune femme assassinée, et le type avait pris perpétuité. En États-Unis, 4 ou 5 000 personnes sont condamnées sans espoir de rémission, c'est-à-dire sans espoir de remise de peine, et donc savent qu'ils vont de toute façon décéder en prison, même s'ils doivent vivre centenaires. Donc ces gens n'ont aucune échappatoire, ils vont crever littéralement en prison. et ils ne peuvent avoir aucun contact avec la victime. Et en l'occurrence ici, cette femme assez remarquable avait fait des tas de démarches pour malgré tout correspondre avec l'assassin de sa fille, et ils avaient fini par nouer une relation épistolaire extrêmement profonde qui avait amené cet homme à, je crois, un repentir très sincère, et pour cette femme aussi à parvenir plus facilement à faire le deuil de ce qui lui était arrivé. Pour reprendre le cas de Dutroux, qui évidemment m'est très familier, je pense qu'il y a eu un ratage dans ce dossier, comme il y en a eu beaucoup, mais que par exemple, depuis très longtemps, on aurait dû entreprendre avec lui un travail, on aurait dû lui donner la possibilité d'avoir un contact, même indirect bien entendu, avec les familles. et que quelque chose se mette en place. Je suis dans le regret que ça n'ait pas eu lieu, parce que finalement tout le monde est enfermé dans sa souffrance. Les familles de victimes rongent leurs freins parce qu'elles n'auront jamais la vérité sur l'affaire. Elles pensent que ce procès a été biaisé. Elles ont raison de penser que des pistes ont été conduites délibérément par les autorités de justice et le condamner. moisie dans son espèce de marasme, à ne pas pouvoir sortir de son isolement. Donc chacun est mûré en quelque sorte dans sa propre souffrance, même si la souffrance de l'un n'est pas équivalente à celle de l'autre et qu'on ne peut pas les mettre en parallèle. Mais malgré tout, on est dans une impasse tant juridique qu'humaine et il est probable que chacun finisse par décéder dans le même état d'esprit. Les uns, peut-être... Je ne vais pas dire ivre de haine parce qu'ils ont toujours fait preuve d'une modération certaine, mais en tout cas quand même rongé par probablement une détestation très compréhensible vis-à-vis de l'auteur des faits. Et l'auteur des faits mûrait à la fois dans son déni, dans son silence et dans son incapacité finalement, parce que personne ne lui a aidé. prendre conscience de la gravité de ce qu'il a fait. Donc, si vous voulez, cette affaire-là illustre à merveille ce que je dénonce dans le livre, c'est-à-dire qu'il y aurait beaucoup mieux à faire par rapport à l'ensemble des condamnés qui tous, pratiquement tous sans exception, sont destinés à sortir de prison un jour ou l'autre. Donc, il faut que cela se prépare dès le moment où ils ont reçu leur peine et où cette peine est définitive et se réparer, effectivement. très important parce qu'ils n'ont pas perdu leur humanité, il n'y a pas de monstres, les monstres n'existent pas sauf dans les contes de fées, donc le fait d'être privé de sa liberté ne les dépouille, le fait d'avoir commis un crime ne les dépouille évidemment pas de leur humanité et je pense que le fait qu'aucun face à face, même organisé avec soin avec la victime, qu'aucun face-à-face n'ait jamais lieu est problématique. Je vous donne encore un exemple vécu. J'ai été le conseiller il y a quelques années de quelqu'un qui avait été condamné. à la cour d'assises, à 20 ans de prison si ma mémoire ne me trompe pas, pour avoir tué un membre des forces de l'ordre lors d'une course poursuite. Et puis voilà qu'arrive le moment du tribunal d'application des peines où on voit arriver la veuve dont la peine était incommensurable. Donc la tristesse était incommensurable, elle avait perdu son époux, elle avait des enfants et elle voyait en face d'elle un jeune, encore relativement jeune, qui allait vraisemblablement sortir. Et donc, que ce face-à-face soit organisé uniquement au moment où il avait demandé et était sous le point d'obtenir sa conditionnelle, c'était à mon avis extrêmement frustrant pour l'un et pour l'autre. Donc que cette discussion qui était très franche n'ait jamais pu avoir lieu précédemment, moi je le regrette. Je trouve qu'il faudrait absolument revoir ce système. Et notamment, je l'ai dit aussi au stade du procès, que la victime soit souvent absente. C'est un manque que le tribunal ne puisse pas entendre dans tous les cas ce que la victime a à lui dire, même si c'était dans une phase préparatoire au procès à laquelle pourrait assister l'avocat pour éviter que la victime ne se trouve néanmoins avec l'auteur des faits si elle ne le souhaite pas. Mais je trouve que la victime a voix au chapitre et que dans le système actuel, finalement, le système... n'est pas attentif à la parole de ceux que l'affaire concerne. Le système fonctionne à vide, de façon assez mécanique, mais finalement les grands absents du procès sont la victime et même le prévenu qui se demande souvent de qui on parle et qui a l'impression que les débats passent au-dessus de sa tête. Donc il y a un ratage global de l'enjeu du procès qui devrait être dans l'idéal de permettre... par l'infliction d'une peine, une forme de réconciliation, que les gens arrivent à faire la paix d'abord avec eux-mêmes, et puis idéalement entre eux. Mais donc, voilà, ça, ça dépasse peut-être les... Je pense que ça, là, est la vocation de la justice au sens philosophique, et que, comme on fonctionne de façon complètement... mécanique, avec une routine qui ne se dément jamais. On arrive à des formes de procès totalement stéréotypées qui aboutissent à un résultat connu d'avance. Donc ça ne nous avance pas à grand-chose. Un auteur français, un sociologue français qui a étudié la prison pendant cinq ans avec toute une équipe, parle de l'ombre du monde. Il parle de la part obscure du châtiment. Il explique que quand on prive quelqu'un de sa liberté, tout le monde consent. en fait à la cruauté de la prison. Et en fait le paradoxe c'est que tous les films de fiction, les oeuvres de fiction sous la prison, décrivent systématiquement l'inhumanité de la prison et ce qu'on appelle l'enfer carcéral. Et donc aussi bien le spectateur adhère à ces oeuvres de fiction en disant bon Dieu, oui, c'est une honte en quelque sorte, c'est un enfer autant la population reste... extrêmement hostile à ses propres détenus comme si la réalité ne correspondait pas à la fiction. Or la réalité correspond à la fiction. Je dirais que les films qui concernent la prison sont en fait extrêmement réalistes et pas du tout excessifs dans leur description de cet enfer. Et donc vous me demandez si d'autres systèmes... Oui, dans d'autres systèmes on a vidé la prison, on a beaucoup plus accès sur la prévention. On a beaucoup plus accès sur des modes alternatifs de règlement des conflits. Moi, je pense que je suis souvent saisi. Maintenant, j'ai forcément, comme tous les pénalistes, j'ai beaucoup de faits de violence intraconjugale. Que se passe-t-il dans la pratique ? Quand j'ai un type qui est détenu ou qui doit passer devant le tribunal pour avoir boxé sa femme, ce à quoi je n'adhère pas, bien sûr, donc je ne l'excuse pas ni ne l'absous, ce n'est pas mon rôle d'ailleurs, mais qui me consulte dans 9 cas sur 10, la plaignante qui souhaite soit se désister de sa plainte, on lui explique que ce n'est plus elle qui dirige la manœuvre mais que c'est le parquet qui a pris le relais, soit, en tout cas, veut faire preuve d'une indulgence, que le tribunal n'est pas prêt à admettre. Donc, il arrive souvent que le parquet soit plus catholique que le pape et réclame une sanction sévère là où, en fait, la victime a déjà pardonné. Bon, est-ce qu'on a à gagner à faire de ces procès une espèce de grand barnum, si vous voulez, donc avec des audiences publiques ? Moi, je pense qu'il y a un grand nombre de procès pénaux qui, sous prétexte que c'est du droit public, et qui doivent se passer devant un public parce qu'on a peur que la justice se passe en catimini, moi je pense qu'il y a un grand nombre d'infractions qui mériteraient plutôt d'être jugées dans un sénacle beaucoup plus confidentiel, en l'absence d'un public dont je ne vois pas ce qu'on a à y gagner. Pour autant que le type soit défendu, il y a une contradiction des débats. Si on veut un public, on devrait pouvoir le demander. Si on n'en veut pas, on n'est pas obligé de l'avoir. Si personne n'en demande, même pas l'avocat de la défense, c'est que ça n'a pas d'utilité. Et vous savez, tout est... Tout conditionne le résultat en matière pénale. Le fait qu'on plaide en robe, le fait que chacun parle à son tour, le fait que chacun parle à sa place. Tout ça correspond à des normes qui règlent le cours du procès et en déterminent l'issue. L'issue du procès est souvent prédéterminée à cause de sa structure. Si on devait plaider en tenue bourgeoise, comme on est maintenant, autour d'une table, à discuter simplement d'un éventail de solutions possibles, On se rendrait compte qu'il existe des tas d'autres solutions que purement punitives. Chez nous, il existe la médiation pénale, elle est totalement, totalement sous-employée. Donc la médiation pénale consiste à envoyer le dossier sur une voie de garage, si je puis dire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de poursuite, pour autant qu'un assistant de justice, mandaté par le procureur, parvienne à trouver un arrangement sur la façon dont la personne va en fait se laver de tout reproche en effaçant l'ardoie, si vous voulez. Donc en... en payant le prix de son forfait et en payant sa dette à l'égard de la victime. Donc cette conception de la médiation, on pourrait la multiplier, je ne vais pas dire à l'infini, mais dans un très grand nombre de moindres délits. Même pour des cambriolages, un jour j'ai été cambriolé, je dirais que la police n'a pas fait grand-chose faute d'indice, mais je pense que ma frustration... Ça a été simplement de ne pas avoir en face de moi le visage de mon cambrioleur et de pouvoir lui dire son fait en disant que c'était vraiment con et en lui demandant de s'excuser pour ce qu'il avait fait. Et à la rigueur de me promettre, même si c'est une promesse de Gascons, de ne pas rééditer son exploit. Donc je pense qu'il y a plein de dossiers comme ça qui relèvent de ce qu'on appelle la petite ou la moyenne délinquance urbaine. qui aurait intérêt à être traité sous un angle non purement, d'emblée, strictement punitif, qui n'avance en fait à rien. Parce que je pense que ça n'aide pas ceux qui ont été les protagonistes du drame à leur propre reconstruction. D'où le fait qu'il y a ce que j'ai appelé dans un autre livre un triangle vert ou rouge, je ne sais plus ce que j'ai utilisé, c'est-à-dire que ce qui est profitable... au condamné est certainement profitable à la victime et indirectement profitable à la société. Donc ça veut dire qu'une justice plutôt soft, qui permet à la personne de retomber sur ses pattes et d'avoir le vœu de se reconstruire, est certainement plus salutaire, si vous voulez, qu'une justice où on cogne dur et où les gens s'endurcissent dans leur conviction que la société leur en veut. qu'ils ont raison de se poser en ennemis publics. C'est un métier dans lequel on est censé bienveillir, c'est-à-dire qu'on a une pyramide des âges qui s'inverse. Quand j'étais jeune, je plaidais devant des magistrats qui étaient très impressionnants, qui devaient avoir au moins deux fois mon âge, qui me donnaient l'impression d'avoir le triple, donc qui étaient très hautains et très impressionnants. Donc c'est assez déstabilisant forcément, et des gens, des procureurs généraux qui... qui étaient drapés dans leur dignité. Maintenant, je suis beaucoup plus vieux que la plupart des magistrats devant lesquels je plaide. Et j'ai pour moi, je pense, d'avoir derrière moi une longue habitude d'écrire. Quand j'étais en deuxième année de stage, j'ai commencé d'écrire sur la justice, et ça ne m'a jamais quitté. Donc, mon premier article, en 1983, s'appelait De la vérité judiciaire et c'est un thème qui n'a pas arrêté de me hanter. Et donc, depuis lors, des centaines d'articles ont suivi, qui sont, je pense, fort lus dans le serail. Et donc, j'ai une espèce de... Je pense que je suis considéré comme quelqu'un qui est sincère, qui est authentique. Et les magistrats ont un certain respect pour ça, même s'ils ne partagent pas mes convictions. Je pense aussi qu'ils savent ce que je pense et que c'est très important pour moi qu'ils savent ce que je pense parce que je consacre une bonne partie de mes plaidoiries à dire ce que je pense. Et je pense que l'intérêt de ce métier en final, c'est d'arriver exactement à dire ce qu'on pense sans tergiversation et sans avoir peur de ne pas être entendu. En fait, on a... la mission de dire ce qu'on a à dire même si on sait qu'on ne sera pas forcément entendu. Mais au moins les choses seront dites, c'est très important parce qu'on est les seuls à le dire. Donc l'avocat a une spécificité, il est le seul à connaître au moins un peu la personne dont il parle. Il faut savoir que quand on plaide, on plaide devant des juges qui n'ont jamais rencontré le suspect ou le prévenu, on plaide devant des procureurs du roi qui ne l'ont jamais rencontré. Et donc on a une mission spécifique qui est de donner de la chair à ceux qui n'en ont pas. Et donc non seulement on est préposé à mettre en exergue la personnalité des gens, ce qui est comme un métier important, mais aussi je pense à égratigner le système. Donc moi je ne fais pas une seule plaidoirie, je pense, sans vouloir bousculer le magistrat qui, s'il a une routine, doit être... si peu que ce soit, déstabilisé dans ses convictions premières. Et donc, bien entendu, le chapitre sur la prison va trouver place là-dedans. Mais aussi peut-être le fait que l'enquête de police n'est pas au-dessus de tout soupçon, que le procureur du roi vient de répéter une série de choses, de vérités toutes faites qui ne sont pas correctes. Donc je pense qu'on doit ébranler l'édifice. Donc... à défaut de pouvoir le déconstruire complètement, je crois qu'on a une pertinence, petit à petit, à devenir impertinent, mais qu'on n'a pas forcément, quand on est jeune, la possibilité de le dire. Mais moi, maintenant, à mon âge canonique, je n'ai plus aucune réserve, donc je vais le dire. Et je crois que c'est important aussi pour le client que c'est été dit. Et pour moi, la seule chose qui compte, enfin, il y a quand même deux choses qui comptent. La première, c'est le résultat. Ça, c'est tout à fait clair, parce que... Seul le résultat compte pour le client, mais aussi quand même, malgré tout, même si le résultat n'est pas à la hauteur, et souvent il ne l'est pas, c'est que le client et le sentiment, je déteste le mot client, qui nous renvoie à l'orbite marchande, on n'est pas des marchands, mais enfin il n'y en a pas d'autres, il faudrait mieux dire, je ne sais pas, les patients, les patients c'est quand même plus honorifique, plus honorable, ou les assister, ce qui est souvent mon cas, parce qu'on travaille beaucoup pour la beauté du geste, et donc je pense que le... Le client doit avoir la conviction d'avoir été défendu. C'est important pour lui qu'il ait au moins le sentiment que quelqu'un a été son porte-parole et qu'il a exprimé mieux qu'il n'aurait pu le faire ce qu'il avait à dire. Donc c'est important. Je pense que la plaidorie est un moment magique quand on vous dit bon, bête d'ailleurs, allez-y Vous avez toute l'attitude de prendre le temps qu'il faut pour dire ce que vous avez à dire. Parfois, on a des moments de grâce où on a l'impression que… On enfonce dans le bouc, on est vraiment convaincant. Parfois, on cherche ses mots, on est maladroit, on se rend compte qu'on a mal embauché son système. C'est un exercice qui reste très casse-gueule parce que l'oralité des débats est le moment le plus important. Je ne crois pas du tout aux conclusions, au pénal, donc je ne crois pas du tout à la vertu de l'écrit. Je pense que c'est au moment de plaider qu'on fait la différence. Je pense que c'est la haute volonté et que la plupart du temps, ce qui me donne l'impulsion de départ, c'est de répliquer à ce que j'ai entendu, puisque j'ai la parole en dernier lieu. Donc, soit que le rapport que le juge a fait sur l'affaire, quelque part, me froisse un peu, soit que... Ce qu'a dit le prévenu lui-même, vous savez qu'on dit souvent que le meilleur ennemi de l'avocat, c'est son client. Donc on a rarement un client qui s'exprime bien et qui dit les choses qu'on voudrait qu'il dise. Souvent, il s'exprime mal, de façon très maladroite, et tout ce qu'il dit est retenu contre lui. Donc on a l'habitude de vouloir le museler, ce n'est pas une bonne idée, mais c'est un réflexe professionnel. Et donc souvent, on a envie de réparer, si vous voulez, les dégâts de ce qu'il a pu faire. Et alors le procureur du roi est en quelque sorte notre alter ego, mais c'est un peu un ennemi fantoche. C'est-à-dire que souvent, on a la conviction qu'il est à côté de la plaque, autant le dire. Et donc, on a envie aussi de répliquer. Donc la plaidoirie qui vient après est souvent inspirée largement par le... contradiction de ce qu'on a entendu. Maintenant, pour le reste, il faut juste avoir quelques notes et connaître son dossier. Ça, c'est clair, mais on ne voit pas, par exemple, les jeunes lisent leurs plaidoiries. Ça, c'est catastrophique parce que ça a un goût de réchauffer et donc ça n'est pas du tout vivant. Je crois que l'important, c'est la question de la parole vive. C'est comique parce que vous parlez de quelque chose que j'ai souvent exprimé pour moi, mais pour moi seul, je pense. J'ai souvent l'impression d'une sorte de dédoublement de la personnalité et que quand je plaide, je suis toujours en train de m'écouter plaider. Donc il y a comme une espèce d'arrière fond caché où je suis en train de m'observer, en train de dire ce que je suis en train de dire. Et donc ça c'est un gros défaut parce qu'on n'est jamais en direct, on est en espèce de différé qui est nuisible. C'est parce que peut-être que je me connais trop, donc ça c'est clair, donc je connais mes défauts. Effectivement, je pense que je suis assez jugeant de ma propre prestation. Cela dit, je pense que c'est aussi parce que, comme j'ai un arrière-fond, si je puis dire, consistant à être très critique par rapport au système, je dois quand même un peu édulcorer mon propos quand je plaide. J'ai plus de liberté quand j'écris que quand je plaide. Quand j'écris, je peux énoncer des horreurs. Je n'ai jamais été contrarié. À un moment donné, pendant quelques années, j'ai tenu la chronique judiciaire du Viflexpress. J'ai énoncé des choses terribles à l'égard des juges, des procureurs, du système en général, des lois. J'ai manifesté très peu de révérence par rapport aux gens de justice. Et donc même encore, dans la lettre à mes juges, la lettre aux procureurs, il y a des remarques assez cyniques. Je pense qu'en plaidoirie, on ne peut pas être aussi cynique. Donc on doit, malgré tout, quelque part, respecter les règles du jeu. Mon problème à moi, c'est que j'ai toujours eu un pied dedans, un pied dehors. Donc forcément, je suis à la fois, je considère, je suis à la fois dans le système et aussi en dehors du système. Et d'ailleurs, pour moi, ça a été... la porte de sortie si je puis dire, ou l'exutoire, parce que je pense que je n'aurais jamais pu faire ce métier aussi longtemps si je n'avais pas eu l'occasion et le droit d'en rendre compte. Et donc dès le début de mon stage, je me suis dit, mais dans quel jeu je joue ici ? J'ai envie de relater mon expérience. Et je pense que j'ai trouvé mon pied, si vous me pouvez dire, ou en tout cas que j'ai trouvé mon salut, je dirais plutôt ça, je ne prends pas mon pied, mais j'ai trouvé mon salut dans le fait de pouvoir à un moment donné diffuser mes sentiments, mes idées, mes convictions sur le système auprès d'auditoires extrêmement larges, que ce soit les étudiants ou que ce soit le public des grands médias. Donc ça pour moi c'est quelque chose qui fait partie viscéralement de mon parcours. Alors moi je suis à la fois un contre-exemple et peut-être quelque part un bon exemple. Donc comme je l'ai dit en début d'entretien, j'ai fait le droit sans... sans y avoir goût et j'ai commencé le barreau de façon accidentelle. Donc absolument rien ne me prédestinait à embrasser cette carrière-là. J'y ai trouvé mon compte pour des tas de raisons personnelles qui font que j'ai eu l'occasion, grâce à la faveur de rencontre, parce qu'on n'est pas responsable de grand-chose, et finalement on se rend compte... Au crépuscule de la vie, on se rend compte qu'on a surtout été le jouet de belles rencontres qui nous ont orientés. Donc il faut avoir de la chance dans la vie de trouver des personnes qui vous stimulent et qui vous servent un peu de tuteur. Donc ça, c'est important. Ça a été très important pour moi qui avais perdu mon père prématurément. Donc j'ai eu des gens sur lesquels j'ai pu compter qui m'ont vraiment donné goût à la chose. Une chose aussi très importante pour moi, c'est que c'était un métier de contact et que... Autant j'étais rivé sur mon nombril pendant toute ma jeunesse, autant le fait de m'occuper des problèmes des autres m'ont directement permis de relativiser très fort ce qui pouvait même arriver dans ma vie personnelle, et m'ont donné une impulsion décisive dans un métier qui a toujours fait sens pour moi. J'arriverais justement à dire qu'autant au départ le droit était quelque chose de rébarbatif pour moi, autant la façon dont on le pratique dans... Dans mon cas personnel, a correspondu finalement à une série de traits de personnalité que j'ai pu, grâce à ça, satisfaire. Notamment, j'ai toujours bien aimé écrire, mais j'aimais bien aussi, finalement, j'ai pris goût à la relation interpersonnelle. Mais autant dire, mon métier épuise mon sens social et quand je rentre chez moi, je souhaite juste la tranquillité. Donc je vis comme un troglodyte parce que de 8 à 20, je suis en consultation. Donc ce métier m'a satisfait parce que j'y ai trouvé du sens. Je pense qu'on doit autant que possible essayer de faire ce qu'on aime, ça c'est clair, de choisir déjà des études pour lesquelles on se sent une affinité, peut-être même une vocation. Je vais vous donner une anecdote, j'ai toujours bien aimé le théâtre, j'ai fait énormément de théâtre quand j'étais au collège. J'aurais bien voulu faire du théâtre, je n'avais pas le talent, mais quand j'ai eu 50 ans, j'ai créé ma propre troupe et depuis 15 ans, je joue au théâtre assidûment. Et donc j'ai fini par satisfaire ce goût du théâtre, mais tardivement. Et maintenant, là-dessus, je prends vraiment mon pied, parce que c'est un luxe pour moi. Mais la vie est très longue et elle donne l'occasion de faire beaucoup de choses sur le long terme. Donc dire aux jeunes, faites des choses pour lesquelles vous vous sentez une vocation ou en tout cas une affinité. Tâtez du terrain. Si vous vous sentez mal orienté, ça ne sert à rien de persévérer. J'ai beaucoup de cas de jeunes gens qui ont commencé le droit et qui en ont été très vite dégoûtés, pour des raisons que je peux comprendre, et qui ont fait toutes sortes d'autres choses. Je connais des tas d'exemples où on a fini par faire des cours de musique à des handicapés, ou des choses très alternatives, qui sont d'ailleurs beaucoup plus épanouissantes. Donc faites des choses qui vous épanouissent. Comptez sur votre chance parce qu'il y a beaucoup d'appelés, peu d'élus, c'est très difficile. Je ne voudrais pas être jeune aujourd'hui parce qu'on souhaite peut-être toujours être jeune, mais pour vous donner un chiffre, on est beaucoup plus nombreux au barreau qu'on l'était il y a 40 ans et je reçois à peu près tous les jours une demande de stage. Bien entendu, je ne serais pas satisfait à 200 demandes de stage par an, mais il y a beaucoup de demandes et peu d'offres. Donc les métiers deviennent difficiles parce qu'ils sont souvent surpopuleux. Et alors faites des choses qui ont du... même si vous ne choisissez pas, même si vous n'avez pas l'occasion de choisir ce qui aurait été votre premier choix. Faites impérativement des choses qui ont du sens pour vous, même si elles ne sont pas lucratives, mais au moins que vous ayez la satisfaction, quand vous rentrez chez vous, de vous dire que la journée n'a pas été stérile, que ça avait une raison d'être, que vous n'allez pas mourir idiot. Je pense que le principal à notre âge, j'ai 63 ans, C'est la préoccupation de me dire que tous les jours j'ai eu le choix de faire ce que je voulais faire et que je ne dois m'en prendre qu'à moi-même si je ne suis pas arrivé à ce que j'ambitionnais. Donc je pense que d'ailleurs il y a une congruence entre ce qu'on voulait être et ce qu'on finit par devenir parce que je crois qu'au principe il y a le fait que tous les matins où on se lève, en fait on est maître de son destin. Même si on a été défavorisé par le sort, notre liberté est foncière. Et donc, on doit en faire bon usage. Et donc, je pense qu'il est trop facile de se, comment dirais-je, de reporter ce qui nous arrive sur le méchant sort, et qu'on a absolument besoin de se poser tout le temps la question de savoir si ce qu'on fait a une utilité quelconque, soit pour soi, soit pour autrui, de préférence pour autrui, mais au moins qu'à la fin de sa vie, on ne doive pas se dire qu'on est passé à... à côté de sa vie, parce qu'on n'en a qu'une, et qu'il faut en faire bon usage.

Description

Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Dayez. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à devenir avocat et pourtant, il s'est trouvé une vocation, voire plutôt un exutoire...  

Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénal actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties.  

Selon ses propres mots, "l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien" et " pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance! "...  

Et de l'assurance il en a eu ! Dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qui l'avait accueilli pour s'installer dans "le vilain Schaerbeek " et créer son propre cabinet d'avocats.  

Mais nous ne parlerons pas que de droit dans cet épisode sous le tipi. Maître Dayez nous dit " que nous sommes maître de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons " même si vous le verrez, faire le barreau n'était pas sa vocation première.  

" Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres ".  

" Essaye des études " nous conseille Bruno Dayez  " et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin ". 

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Transcription

  • Arnaud

    Sous le Tipeee, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez... Sous le Tipeee, un lieu où l'on vient écouter des démoignages professionnels inspirants. D'un côté, ceux qui ont vécu, ils racontent leur métier, leur parcours de vie, partagent leurs anecdotes, leurs philosophies et des conseils pour aider ceux de l'autre côté. Vous, chers auditeurs, en quête de vous-même. Sous le Tipeee, c'est la volonté de renouer avec une tradition... Orane, on s'assoit et on écoute. Bonjour chers amis et bienvenue sous le Tipeee. Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Daillé. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à faire le barreau. Et pourtant, il s'est trouvé une vocation, ou est-ce peut-être plutôt un exutoire. Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties. Selon ses propres mots, l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien. Ou, pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance. De l'assurance, il en a eu, car dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qu'il avait accueilli. pour s'installer dans le vilain Scarbeck et créer son propre cabinet d'avocat. Mais nous ne parlerons pas que de droit. Maître Daillé nous dit que nous sommes maîtres de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons. Même si, vous le verrez, le barreau n'était pas sa vocation première. Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres. Essayez des études, nous conseille Maître Daillé, et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin. Il est maintenant temps de s'asseoir, d'ouvrir grand ses oreilles et de se laisser inspirer sous le tipi.

  • Bruno Dayez

    Moi je suis un juriste contrarié, donc j'ai fait le droit à reculons, c'était des études que je n'aimais pas, parce que le droit... conforte l'ordre établi parce que le droit est du côté des puissants et qu'il écrase les faibles. Et donc j'ai fait ces études à reculons parce que j'étais plutôt tenté vers la philosophie que j'ai également embrassé comme études. Et puis à la fin de mes études, mon père étant décédé prématurément et étant déjà marié très rapidement, il fallait trouver un exutoire. Et donc je suis allé sonner chez le voisin de ma femme qui était avocat. et qui m'a accueilli pour faire mon stage et je suis resté chez lui deux trois mois, guère longtemps, avant d'être débauché par un cabinet qui m'intéressait davantage parce que c'était l'antenne juridique d'ATD Carmonde. Donc c'est un des avocats qui avait une forte une forte pulsion militante et qui défendait les plus pauvres et donc ça, ça a été l'occasion de faire un vrai stage de quatre ans chez un avocat que pour laquelle j'ai encore beaucoup de révérence, qui s'appelle Georges Kerkov, et qui est d'ailleurs toujours très actif dans le mouvement ATD, quoiqu'il ait pris sa pension en tant qu'avocat. Mais ça a été un avocat qui avait beaucoup de convictions et qui les défendait avec cœur, donc c'était très emballant pour un jeune juriste. Mais donc je suis rentré au palais pour la première fois après ma prestation de serment, je n'avais jamais mis le pied au palais, et absolument rien ne me prédestinait à faire le barreau. Sur le pénal proprement dit, c'est pas compliqué à comprendre. Comme je suis philosophe plus que juriste, le pénal est une matière assez fascinante. D'une part c'est une très belle construction intellectuelle, donc c'était l'un des rares cours que j'aimais en tant qu'étudiant, parce que c'est une très belle mécanique où on parle d'intention, de volonté, etc. Donc de tas de concepts de conscience qui renvoyaient à la philo. Et parce qu'en tant que praticien, en fait les deux matériaux qu'on triture toute la journée sont des introuvables. c'est la vérité et la justice. Et donc le droit pénal, c'est beaucoup de faits et très peu de droits. Et donc ça m'intéressait aussi à ce niveau-là. Il ne fallait pas être un grand juriste pour pouvoir faire du pénal. Par contre, il fallait avoir une sensibilité, je pense, qui vous porte très fort vers l'humain. Et surtout, ça donnait l'occasion de belles envolées lyriques au sujet de ces horizons de sens inaccessibles que sont la vérité et la justice. Donc on peut gloser à l'infini sur ce qu'est par exemple une peine juste. Il y a beaucoup de plaidoiries qui portent essentiellement sur la peine, au fond, que mérite un type qui est en aveu d'avoir fait ce qu'on lui reproche. Et parfois, sur la vérité, quand il y a effectivement matière à débat pour savoir si la personne est coupable ou pas, c'est un exercice qui reste extrêmement passionnant parce qu'il suppose de déployer toutes nos facultés intellectuelles pour voir si le dossier tient la route, refait à la chronologie de l'enquête. se rendre compte du cheminement qu'ont suivi les autorités de poursuite et pouvoir se dire, là, il y a un problème, là, ça n'est pas correct. Il y a une espèce de billet qui fait qu'on arrive à la conclusion à laquelle on veut aboutir. Mais, somme toute, il y a des hypothèses concurrentes qui restent tout à fait plausibles. Et donc, il y a, surtout en matière de mœurs, par exemple, souvent matière à débat. Je suis arrivé au pénal difficilement parce que... la clientèle était squattée si je puis dire par quelques avocats beaucoup plus âgés que moi qui étaient donc plus chevronnés et qui, comme c'est toujours le cas actuellement d'ailleurs, étaient directement friands de ce qu'on pourrait appeler les affaires retentissantes, donc celles qui faisaient l'objet d'une médiatisation. Donc ce qui fait que les premières années de stage, on ne fait que du chien écrasé si vous me permettez l'expression. On traite concrètement du menu fretin dans le cadre de l'aide juridique, ce qu'on appelle communément le Prodeo. Et donc finalement, je suis arrivé au pénal après quelques années, par un autre biais, j'ai quitté mon cabinet à l'issue de mon stage pour m'installer dans ce qu'on appellerait le vilain scarbeck, donc le bas scarbeck. Et là, j'ai eu une clientèle qui était constituée à 99% d'étrangers, enfin de gens d'origine étrangère, qui avaient forcément tous les problèmes que rencontrent les étrangers. Donc le problème du séjour. J'ai drainé énormément de personnes qui étaient en séjour clandestin et qui forcément connaissent d'autres personnes qui ont des démêlés avec la justice et qui ont aussi des déboires familiaux. Ce qui fait que très rapidement, la recette a pris, si vous voulez. Donc comme on ne prête qu'aux riches, j'ai eu de plus en plus de personnes qui venaient d'origines diverses, mais qui avaient toujours des problèmes aussi bien liés à leur séjour que des problèmes pénaux et des problèmes familiaux. Ce qui fait qu'au total, j'ai drainé énormément de dossiers quantitativement qui m'ont valu de créer finalement une espèce de mini-entreprise où j'ai débauché. de plus en plus de collaborateurs pour arriver finalement à une équipe de 11 ou 12 personnes qui fonctionne encore toujours aujourd'hui après 40 ans, où en fait je dois pouvoir en quelque sorte répondre à toute détresse. Mais les premières affaires, oui, on est... Je dirais que moi le souvenir que j'en ai, c'est qu'on est très mal traité en tant que jeunes pénalistes. On n'est pas bien reçu par les tribunaux qui vous regardent avec une certaine... arrogance ou une certaine hauteur de vue. Et comme on n'est pas très... Forcément, on n'a pas beaucoup d'expérience, on commet forcément beaucoup d'erreurs et les résultats sont maigres. C'est d'ailleurs une carrière, si je puis dire, dans laquelle on est accoutumé à perdre. Pour faire du pénal, il faut avoir beaucoup d'endurance parce que on est souvent perdant. En fait, la plupart du temps, on ne fait que limiter les dégâts et on fait ce que moi j'appelle communément de l'accompagnement aux mourants, où on est aux soins palliatifs, autrement dit on limite la casse. Mais j'ai un jour osé dire dans un de mes articles que l'avocat au pénal servait rarement à grand chose et souvent à presque rien, ce qui m'a valu lire de plusieurs bâtonniers du pays. Mais pourtant, je suis profondément convaincu de ce que je dis. En fait, on est là pour accompagner quelqu'un. Et si je veux caricaturer de façon assez péjorative, on est là pour lui dire ce qui va lui arriver, on est là au moment où ça lui arrive, et on est là après coup pour lui dire, vous voyez bien, c'est ce que je vous avais prévu. est arrivé. Autrement dit, l'avocat est un être sans pouvoir qui fait de son mieux mais dans des combats souvent perdus d'avance et qui est là pour édulcorer la pilule, si vous voulez, et donc convaincre la personne qu'il vaut mieux souvent ne pas faire appel d'un mauvais jugement parce qu'il risque encore pire en degré d'appel. Donc le métier de pénaliste est un métier très déconcertant. Maintenant, il faut aimer l'adversité. L'adversité, soit elle vous rend combatif, soit elle vous abat complètement. Moi, j'ai eu pas mal de stagiaires qui ont rapidement compris ce que je voulais leur enseigner. Ils se sont rendus compte que mes analyses du système étaient cohérentes, qu'elles correspondaient à une réalité vécue, mais qui en ont été rapidement dégoûtées. On ne compte pas les jeunes avocats qui ont voulu faire du pénal parce qu'ils en avaient une image assez... comment dirais-je, resplendissante ou honorifique, en pensant qu'on allait redresser les torts et être seul contre tous. Mais c'est une imagerie un peu désuète. Et donc, quand on se colle à la réalité, on est forcément très déçu. Et on ne compte plus les avocats qui ont abandonné en cours de route. Moi, j'ai eu des stagiaires que j'estimais être de brillants sujets, mais qui sont partis paradoxalement au parquet. ou au siège. Donc j'ai pas moins de quatre substituts du procureur qui sont passés par mes griffes. Et donc pour moi, ça m'a toujours semblé déconcertant que des gens qui avaient fait profession de défendre finissent par faire profession d'accusé. Mais sans doute était-ce moins périlleux ou moins stressant ou profondément déprimant quand vous prenez le pli d'essuyer revers sur revers. Alors si je suis consulté, je reçois en principe une convocation à comparaître ou une invitation à être entendue par la police. Donc d'abord je briefe les gens sur ce qu'ils doivent savoir sur la façon dont la procédure fonctionne. Donc je leur donne le B.A.B. de façon assez didactique. Et puis s'ils veulent m'entretenir du fond de l'affaire, je les coupe tout de suite en disant que ça ne sert strictement à rien de les écouter. Ce qu'ils vont me dire va me sortir par l'autre oreille. dans mesure où on doit d'abord savoir ce qu'il y a dans le corps adverse. Donc il faut d'abord prendre connaissance du dossier. Donc on va scanner le dossier et puis une fois qu'on a examiné le dossier, on peut les revoir et alors discuter pied à pied. Alors le rapport de l'avocat à la vérité est très compliqué. Il est incompréhensible pour quelqu'un qui n'est pas du CERAI. Par exemple, on nous dit souvent, les questions qui nous sont posées, c'est est-ce que vous prêchez le faux en connaissant le vrai ? pure vue de l'esprit. En fait, nous ne connaissons pas plus le vrai que le grand public ou que le juge ou que le procureur. Nous n'avons pas un espèce d'accès privilégié à la vérité pour la simple raison que le client ne nous doit pas la vérité et que donc il est prudent de jamais la lui demander. En fait, on accorde foi à ce qu'il nous dit jusqu'à preuve du contraire, mais on n'en aura jamais le fin mot. Donc il est très, très rare que non seulement le type nous fasse des confidences, ça c'est banal. mais qu'on doive le croire sur sa bonne mine, ça appartient à la responsabilité de chacun. D'habitude, il faut quand même prendre ses distances. Alors, soit ce qu'il vous dit est implédable, parce que vous vous rendez compte qu'on se heurte à 36 choses et qu'on ne parviendrait jamais à en convaincre qui que ce soit. Dans ces conditions, vous essayez de lui représenter qu'il faut changer sa version des faits, puisque tout est suspéni, on pourrait y revenir dans une minute. Soit vous pensez que la personne qui va avoir face de vous est réellement sincère. Et vous vous dites que vous devez vous défaire de votre première impression qui était très négative à la lecture du dossier, et que vous devez relire le dossier autant de fois que nécessaire pour parvenir à vous persuader vous-même de ce dont vous allez devoir convaincre votre interlocuteur. Ça ne sert à rien d'aller au tribunal plaider des trucs dont vous ne soyez pas convaincu. Je n'ai pas dit des choses dont vous ne sachiez qu'elles soient vraies, puisque ça, je répète qu'on ne pourra jamais le savoir, mais des choses que vous n'ayez pas... de réticence à faire valoir. Je pense que l'avocat, avec l'expérience, apprend trois choses. Il apprend ce qu'il doit dire, ce qu'il ne doit pas dire et comment il doit le dire. Mais je pense aussi que plus fondamentalement, il doit être sincère avec lui-même. Mentir n'a de vertu que très limitée. Je pense que mentir n'amène à rien. Je pense qu'on peut peut-être dire des choses qui sont fausses en ne sachant pas qu'elles sont fausses. Mais le principal est d'en être convaincu.

  • Speaker #2

    D'abord on le tue, puis on s'habitue, on lui coupe la langue, on le dit compagné. Après sans problème, parle le deuxième, le premier qui dit la vérité. Il doit être exécuté. Le premier qui dit la vérité, Il doit être exécuté. J'affirme que l'on m'a proposé Beaucoup de chance.

  • Bruno Dayez

    J'adore cette chanson parce que le texte est somptueux, comme toutes les chansons de Guy Béard. La musique est un peu du style ritournel, donc c'est très vieillot. D'ailleurs, vous ne connaissiez pas Guy Béard, c'est moi qui vous ai appris son existence. Il vient de mourir, mais c'était pour moi l'équivalent des Brassens et des Ferré et des Brel. C'est un auteur à texte essentiellement qui a fait des choses vraiment magnifiques. Je vous invite à découvrir ses chansons les plus connues. La vérité, il y a une phrase dans cette chanson que je n'ai plus entendue depuis longtemps, mais qui dit, le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté, et après sans problème viendra le deuxième. Alors pour moi, ça a évidemment une connotation très personnelle, puisque étant l'avocat de Marc Dutroux, Christian Pannier a hébergé Michel Martin. Christian Pannier est un juge émérite, donc il était ancien président du tribunal de première instance de Namur. Et après sa retraite, lorsque Michel Martin a dû trouver un havre de tranquillité, il a offert de l'héberger chez lui. Ce qui était un acte de grande bravoure, parce qu'il habite dans une maison un peu moyenâgeuse avec un mur d'enceinte. Donc il était... un peu à l'abri de la vindicte, mais il n'y a pas échappé le pauvre homme. Et donc, bien sûr, ça a été un monceau d'injures, de lettres de menaces et peut-être de gens qui rôdaient autour de chez lui, en sorte qu'il a dû acheter deux grands chiens pour la garde. Mais donc, c'était un acte de grand courage. Et je dirais qu'il a fait preuve de vérité dans le sens où La vérité, ici, il faut l'entendre comme toute personne a droit à un moment donné, non pas au pardon, parce que seules les victimes peuvent l'accorder, mais a droit à sortir de prison. La prison est un mal pour un bien, donc la peine, sa meilleure définition, c'est que sa définition même en droit, c'est qu'elle a pour but la réhabilitation du condamné. Sinon, elle n'aurait pas de sens philosophiquement. Ce ne serait qu'une espèce de mouroir ou de torture chinoise, si vous voulez. A condamner les gens à une perpétuité réelle serait une abomination, comme je l'ai souvent dit. Et donc Christian Pannier a tracé une voie en disant, voilà, cette femme qui était vouée à la détestation populaire et à la haine, elle avait tout autant le droit que n'importe quel autre condamné à pouvoir à un moment donné recouvrer sa place dans la société libre. Donc c'est un exemple merveilleux de tout ce que... La religion catholique nous a tous enseigné quand on était petit, c'est-à-dire que tous les concepts liés à la rédemption, à la charité, à la miséricorde, à la résipiscence, à l'amendement, tous ces concepts naissent dans la religion dont nous sommes issus, dont toute notre histoire est tissée. Et donc, moi, je suis le deuxième, en l'occurrence. Je viens sans peine, après panier, en disant, pourquoi pas du trou ? Et donc cette chanson pour moi elle a eu forcément, vous l'avez compris, une répercussion importante dans ma façon d'envisager les choses. Que ce soit une question épineuse, c'est peut-être pour ça que mon éditeur a mis un chardon en couverture. Disons que ce que je dénonce évidemment au fur et à mesure de nombreux ouvrages, c'est l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuelle qui est en fait qui se résume à la question pour tout prévenu, prison ou pas prison et si oui pour quel délai. Donc le seul exutoire du système c'est la prison. Un peu comme j'utilise parfois cette image comme dans Tintin en Amérique. que vous mettiez sur le tapis roulant une vache ou Tintin, ils sortent tous sous la même forme d'une boîte de cornet de bif, dont seule la taille varie. Donc la solution qu'apporte la justice pénale au phénomène de la criminalité est une solution entièrement stéréotypée. Alors à cela vous ajoutez que la prison, dans son état actuel, est beaucoup plus toxique et délétère qu'elle n'est profitable à qui que ce soit. Puisque en fait c'est un mouroir la prison. Donc la prison c'est du temps vide qui ne sert strictement à rien, qui jette les gens dans la désespérance, donc les condamnés, au lieu d'être portés vers l'amendement, vers la prise de conscience de ce qu'ils ont fait, comme ils sont carrément laissés à eux-mêmes et qu'on les laisse en quelque sorte pourrir sur pied, se renforcent dans la conviction qu'ils sont en fait eux-mêmes. victimes d'une injustice parce que le traitement qu'on leur réserve est profondément indigne. Donc à partir du moment où ils ne sont pas respectés en tant qu'individus, ils se braquent en quelque sorte sur le sort qu'il leur est fait et ce n'est pas du tout propice à un amendement. Donc ça c'est une chose qu'il faut souligner. La prison n'assure pas non plus notre sécurité parce que comme c'est une école du crime et qu'on jette dans ce rebut toutes les personnes qui ont commis une quelconque infraction, finalement la seule chose qui les réunit, c'est d'avoir transgressé la loi. Mais ici, finalement, on met ensemble des pédophiles, des voleurs à la tire, des escrocs, des drogués. Donc c'est un doux mélange de gens qui ont chacun des parcours très chaotiques, mais qui ne présentent pas beaucoup de similitudes avec leurs voisins, sauf le fait que ce sont des écorchés de la vie qui sont passés par toutes sortes de... de ratages successifs et qui sont complètement désocialisés, déscolarisés. La population criminelle ou délinquante est en fait très homogène malgré la diversité des crimes. C'est toujours des gens qui ont le même profil puisque un écueil de la prison c'est qu'elle est terriblement inégalitaire et que ce sont toujours les mêmes qui y rentrent et d'autres qui n'y rentreront jamais selon la nature de leur délit. Mais donc cette population... qui végète en prison et qui est laissée livrée à elle-même dans l'attente d'une hypothétique libération, n'est pas du tout portée sur la prise de conscience, parce que les conditions de la détention sont totalement inhumaines. Donc il y a un état de surpopulation chronique, les prisons sont sales, elles sont dans un état de dépouillement qui les apparente presque à détournis. La plupart sont insalubres. L'Observatoire des prisons dénonce ce fait depuis des temps immémoriaux, mais nos prisons sont presque à l'égal des prisons du 19e. Donc en 200 ans, la réflexion n'a pas du tout évolué. Moi je dis qu'on peut et on doit priver de leur liberté un certain nombre de gens parce qu'ils constituent effectivement un danger pour les autres. d'une part, et d'autre part parce qu'il mérite une punition. Je ne suis pas hostile à la punition en tant que telle. Je pense que punir est une nécessité, parce que la société doit forcément réagir de façon ferme à la commission de certaines choses qui sont graves et en fait impardonnables. Cela étant dit, le temps de la détention doit être utile. Donc si on veut que la peine serve à quelque chose, il faut qu'on l'envisage autrement. Donc il faut qu'on révolutionne les prisons telles qu'elles existent. Donc... qu'une prison existe, d'accord, mais que ce soit simplement une oubliette dans laquelle on jette tous les problèmes sociaux comme s'ils n'existaient pas, exactement comme si l'on mettait la poussière sous le tapis, ça ne nous avance à rien. Donc je pense que chaque détenu, c'est la responsabilité de l'État, à partir du moment où il est incarcéré, doit être pris individuellement en charge et en fonction des problèmes qu'il a connus, voir comment on va les résoudre au cas par cas. Et donc ces gens méritent un suivi individualisé pour la simple raison que l'État les a privés de toute autonomie. Donc à partir du moment où ils sont incapables de se gérer eux-mêmes parce que... Ils sont privés de tout. Une privation de liberté, c'est une privation de tout. C'est une privation d'espace, c'est une privation de lumière, c'est une privation de liens sociaux, c'est une privation de liens familiaux, c'est une privation d'intimité. On peut multiplier les exemples à l'infini. Donc cette peine est une peine extrêmement dégradante. Elle transforme les gens en... en déchet, donc il faut être d'une endurance incroyable pour subsister à la prison, pour garder le sentiment de sa propre dignité. Donc tel que ça existe, pour moi c'est un traitement dégradant et inhumain. Si on respecte les gens en tant que personnes, si on leur assure, si on fait de cette peine quelque chose d'utile en offrant, c'est peut-être le mot qui sera mal reçu par le public, mais en... Oui, en offrant à chacun qui une formation, qui des soins, qui une autre forme appropriée d'accompagnement, il est évident qu'on fera bien plus œuvre utile. Alors sur le rapport, pour répondre à votre question, sur le rapport, enfin j'ai déjà répondu en grande partie, mais sur le rapport entre le coupable et la victime, absolument rien.

  • Arnaud

    n'existe dans le but de réparer. Donc, il n'y a aucun moment une espèce de mise en... de forme même édulcorée de contact par lesquels le coupable puisse demander pardon, par exemple, ce qui est très important. L'audience du tribunal n'est pas du tout une instance propice au pardon parce que les gens, quand ils sont pris dans la nasse, s'enfer souvent dans un déni absurde et conteste les faits. Or, comme je le disais dans ce petit livre, la victime est avant tout avide de reconnaissance de sa qualité de victime et de reconnaissance par le coupable de sa culpabilité. Et elle est friande du fait qu'il ne récidive pas. Donc elle est désireuse qu'il ne récidive pas. Mais je pense que si le procès était l'occasion d'une parole vive, où les gens puissent se parler et dialoguer, ou même si ça ne peut pas avoir lieu pendant le procès, qu'une telle instance soit organisée après coup, lorsque le condamné est condamné définitivement, et qu'il n'a plus de raison de contester sa culpabilité, plutôt que de continuer à se prendre lui-même pour une victime, on ferait très bien œuvre utile. J'ai vu un merveilleux documentaire tourné aux États-Unis, où en fait la victime ne peut pas avoir de contact avec le condamné. En l'occurrence, c'était la mère d'une jeune femme assassinée, et le type avait pris perpétuité. En États-Unis, 4 ou 5 000 personnes sont condamnées sans espoir de rémission, c'est-à-dire sans espoir de remise de peine, et donc savent qu'ils vont de toute façon décéder en prison, même s'ils doivent vivre centenaires. Donc ces gens n'ont aucune échappatoire, ils vont crever littéralement en prison. et ils ne peuvent avoir aucun contact avec la victime. Et en l'occurrence ici, cette femme assez remarquable avait fait des tas de démarches pour malgré tout correspondre avec l'assassin de sa fille, et ils avaient fini par nouer une relation épistolaire extrêmement profonde qui avait amené cet homme à, je crois, un repentir très sincère, et pour cette femme aussi à parvenir plus facilement à faire le deuil de ce qui lui était arrivé. Pour reprendre le cas de Dutroux, qui évidemment m'est très familier, je pense qu'il y a eu un ratage dans ce dossier, comme il y en a eu beaucoup, mais que par exemple, depuis très longtemps, on aurait dû entreprendre avec lui un travail, on aurait dû lui donner la possibilité d'avoir un contact, même indirect bien entendu, avec les familles. et que quelque chose se mette en place. Je suis dans le regret que ça n'ait pas eu lieu, parce que finalement tout le monde est enfermé dans sa souffrance. Les familles de victimes rongent leurs freins parce qu'elles n'auront jamais la vérité sur l'affaire. Elles pensent que ce procès a été biaisé. Elles ont raison de penser que des pistes ont été conduites délibérément par les autorités de justice et le condamner. moisie dans son espèce de marasme, à ne pas pouvoir sortir de son isolement. Donc chacun est mûré en quelque sorte dans sa propre souffrance, même si la souffrance de l'un n'est pas équivalente à celle de l'autre et qu'on ne peut pas les mettre en parallèle. Mais malgré tout, on est dans une impasse tant juridique qu'humaine et il est probable que chacun finisse par décéder dans le même état d'esprit. Les uns, peut-être... Je ne vais pas dire ivre de haine parce qu'ils ont toujours fait preuve d'une modération certaine, mais en tout cas quand même rongé par probablement une détestation très compréhensible vis-à-vis de l'auteur des faits. Et l'auteur des faits mûrait à la fois dans son déni, dans son silence et dans son incapacité finalement, parce que personne ne lui a aidé. prendre conscience de la gravité de ce qu'il a fait. Donc, si vous voulez, cette affaire-là illustre à merveille ce que je dénonce dans le livre, c'est-à-dire qu'il y aurait beaucoup mieux à faire par rapport à l'ensemble des condamnés qui tous, pratiquement tous sans exception, sont destinés à sortir de prison un jour ou l'autre. Donc, il faut que cela se prépare dès le moment où ils ont reçu leur peine et où cette peine est définitive et se réparer, effectivement. très important parce qu'ils n'ont pas perdu leur humanité, il n'y a pas de monstres, les monstres n'existent pas sauf dans les contes de fées, donc le fait d'être privé de sa liberté ne les dépouille, le fait d'avoir commis un crime ne les dépouille évidemment pas de leur humanité et je pense que le fait qu'aucun face à face, même organisé avec soin avec la victime, qu'aucun face-à-face n'ait jamais lieu est problématique. Je vous donne encore un exemple vécu. J'ai été le conseiller il y a quelques années de quelqu'un qui avait été condamné. à la cour d'assises, à 20 ans de prison si ma mémoire ne me trompe pas, pour avoir tué un membre des forces de l'ordre lors d'une course poursuite. Et puis voilà qu'arrive le moment du tribunal d'application des peines où on voit arriver la veuve dont la peine était incommensurable. Donc la tristesse était incommensurable, elle avait perdu son époux, elle avait des enfants et elle voyait en face d'elle un jeune, encore relativement jeune, qui allait vraisemblablement sortir. Et donc, que ce face-à-face soit organisé uniquement au moment où il avait demandé et était sous le point d'obtenir sa conditionnelle, c'était à mon avis extrêmement frustrant pour l'un et pour l'autre. Donc que cette discussion qui était très franche n'ait jamais pu avoir lieu précédemment, moi je le regrette. Je trouve qu'il faudrait absolument revoir ce système. Et notamment, je l'ai dit aussi au stade du procès, que la victime soit souvent absente. C'est un manque que le tribunal ne puisse pas entendre dans tous les cas ce que la victime a à lui dire, même si c'était dans une phase préparatoire au procès à laquelle pourrait assister l'avocat pour éviter que la victime ne se trouve néanmoins avec l'auteur des faits si elle ne le souhaite pas. Mais je trouve que la victime a voix au chapitre et que dans le système actuel, finalement, le système... n'est pas attentif à la parole de ceux que l'affaire concerne. Le système fonctionne à vide, de façon assez mécanique, mais finalement les grands absents du procès sont la victime et même le prévenu qui se demande souvent de qui on parle et qui a l'impression que les débats passent au-dessus de sa tête. Donc il y a un ratage global de l'enjeu du procès qui devrait être dans l'idéal de permettre... par l'infliction d'une peine, une forme de réconciliation, que les gens arrivent à faire la paix d'abord avec eux-mêmes, et puis idéalement entre eux. Mais donc, voilà, ça, ça dépasse peut-être les... Je pense que ça, là, est la vocation de la justice au sens philosophique, et que, comme on fonctionne de façon complètement... mécanique, avec une routine qui ne se dément jamais. On arrive à des formes de procès totalement stéréotypées qui aboutissent à un résultat connu d'avance. Donc ça ne nous avance pas à grand-chose. Un auteur français, un sociologue français qui a étudié la prison pendant cinq ans avec toute une équipe, parle de l'ombre du monde. Il parle de la part obscure du châtiment. Il explique que quand on prive quelqu'un de sa liberté, tout le monde consent. en fait à la cruauté de la prison. Et en fait le paradoxe c'est que tous les films de fiction, les oeuvres de fiction sous la prison, décrivent systématiquement l'inhumanité de la prison et ce qu'on appelle l'enfer carcéral. Et donc aussi bien le spectateur adhère à ces oeuvres de fiction en disant bon Dieu, oui, c'est une honte en quelque sorte, c'est un enfer autant la population reste... extrêmement hostile à ses propres détenus comme si la réalité ne correspondait pas à la fiction. Or la réalité correspond à la fiction. Je dirais que les films qui concernent la prison sont en fait extrêmement réalistes et pas du tout excessifs dans leur description de cet enfer. Et donc vous me demandez si d'autres systèmes... Oui, dans d'autres systèmes on a vidé la prison, on a beaucoup plus accès sur la prévention. On a beaucoup plus accès sur des modes alternatifs de règlement des conflits. Moi, je pense que je suis souvent saisi. Maintenant, j'ai forcément, comme tous les pénalistes, j'ai beaucoup de faits de violence intraconjugale. Que se passe-t-il dans la pratique ? Quand j'ai un type qui est détenu ou qui doit passer devant le tribunal pour avoir boxé sa femme, ce à quoi je n'adhère pas, bien sûr, donc je ne l'excuse pas ni ne l'absous, ce n'est pas mon rôle d'ailleurs, mais qui me consulte dans 9 cas sur 10, la plaignante qui souhaite soit se désister de sa plainte, on lui explique que ce n'est plus elle qui dirige la manœuvre mais que c'est le parquet qui a pris le relais, soit, en tout cas, veut faire preuve d'une indulgence, que le tribunal n'est pas prêt à admettre. Donc, il arrive souvent que le parquet soit plus catholique que le pape et réclame une sanction sévère là où, en fait, la victime a déjà pardonné. Bon, est-ce qu'on a à gagner à faire de ces procès une espèce de grand barnum, si vous voulez, donc avec des audiences publiques ? Moi, je pense qu'il y a un grand nombre de procès pénaux qui, sous prétexte que c'est du droit public, et qui doivent se passer devant un public parce qu'on a peur que la justice se passe en catimini, moi je pense qu'il y a un grand nombre d'infractions qui mériteraient plutôt d'être jugées dans un sénacle beaucoup plus confidentiel, en l'absence d'un public dont je ne vois pas ce qu'on a à y gagner. Pour autant que le type soit défendu, il y a une contradiction des débats. Si on veut un public, on devrait pouvoir le demander. Si on n'en veut pas, on n'est pas obligé de l'avoir. Si personne n'en demande, même pas l'avocat de la défense, c'est que ça n'a pas d'utilité. Et vous savez, tout est... Tout conditionne le résultat en matière pénale. Le fait qu'on plaide en robe, le fait que chacun parle à son tour, le fait que chacun parle à sa place. Tout ça correspond à des normes qui règlent le cours du procès et en déterminent l'issue. L'issue du procès est souvent prédéterminée à cause de sa structure. Si on devait plaider en tenue bourgeoise, comme on est maintenant, autour d'une table, à discuter simplement d'un éventail de solutions possibles, On se rendrait compte qu'il existe des tas d'autres solutions que purement punitives. Chez nous, il existe la médiation pénale, elle est totalement, totalement sous-employée. Donc la médiation pénale consiste à envoyer le dossier sur une voie de garage, si je puis dire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de poursuite, pour autant qu'un assistant de justice, mandaté par le procureur, parvienne à trouver un arrangement sur la façon dont la personne va en fait se laver de tout reproche en effaçant l'ardoie, si vous voulez. Donc en... en payant le prix de son forfait et en payant sa dette à l'égard de la victime. Donc cette conception de la médiation, on pourrait la multiplier, je ne vais pas dire à l'infini, mais dans un très grand nombre de moindres délits. Même pour des cambriolages, un jour j'ai été cambriolé, je dirais que la police n'a pas fait grand-chose faute d'indice, mais je pense que ma frustration... Ça a été simplement de ne pas avoir en face de moi le visage de mon cambrioleur et de pouvoir lui dire son fait en disant que c'était vraiment con et en lui demandant de s'excuser pour ce qu'il avait fait. Et à la rigueur de me promettre, même si c'est une promesse de Gascons, de ne pas rééditer son exploit. Donc je pense qu'il y a plein de dossiers comme ça qui relèvent de ce qu'on appelle la petite ou la moyenne délinquance urbaine. qui aurait intérêt à être traité sous un angle non purement, d'emblée, strictement punitif, qui n'avance en fait à rien. Parce que je pense que ça n'aide pas ceux qui ont été les protagonistes du drame à leur propre reconstruction. D'où le fait qu'il y a ce que j'ai appelé dans un autre livre un triangle vert ou rouge, je ne sais plus ce que j'ai utilisé, c'est-à-dire que ce qui est profitable... au condamné est certainement profitable à la victime et indirectement profitable à la société. Donc ça veut dire qu'une justice plutôt soft, qui permet à la personne de retomber sur ses pattes et d'avoir le vœu de se reconstruire, est certainement plus salutaire, si vous voulez, qu'une justice où on cogne dur et où les gens s'endurcissent dans leur conviction que la société leur en veut. qu'ils ont raison de se poser en ennemis publics. C'est un métier dans lequel on est censé bienveillir, c'est-à-dire qu'on a une pyramide des âges qui s'inverse. Quand j'étais jeune, je plaidais devant des magistrats qui étaient très impressionnants, qui devaient avoir au moins deux fois mon âge, qui me donnaient l'impression d'avoir le triple, donc qui étaient très hautains et très impressionnants. Donc c'est assez déstabilisant forcément, et des gens, des procureurs généraux qui... qui étaient drapés dans leur dignité. Maintenant, je suis beaucoup plus vieux que la plupart des magistrats devant lesquels je plaide. Et j'ai pour moi, je pense, d'avoir derrière moi une longue habitude d'écrire. Quand j'étais en deuxième année de stage, j'ai commencé d'écrire sur la justice, et ça ne m'a jamais quitté. Donc, mon premier article, en 1983, s'appelait De la vérité judiciaire et c'est un thème qui n'a pas arrêté de me hanter. Et donc, depuis lors, des centaines d'articles ont suivi, qui sont, je pense, fort lus dans le serail. Et donc, j'ai une espèce de... Je pense que je suis considéré comme quelqu'un qui est sincère, qui est authentique. Et les magistrats ont un certain respect pour ça, même s'ils ne partagent pas mes convictions. Je pense aussi qu'ils savent ce que je pense et que c'est très important pour moi qu'ils savent ce que je pense parce que je consacre une bonne partie de mes plaidoiries à dire ce que je pense. Et je pense que l'intérêt de ce métier en final, c'est d'arriver exactement à dire ce qu'on pense sans tergiversation et sans avoir peur de ne pas être entendu. En fait, on a... la mission de dire ce qu'on a à dire même si on sait qu'on ne sera pas forcément entendu. Mais au moins les choses seront dites, c'est très important parce qu'on est les seuls à le dire. Donc l'avocat a une spécificité, il est le seul à connaître au moins un peu la personne dont il parle. Il faut savoir que quand on plaide, on plaide devant des juges qui n'ont jamais rencontré le suspect ou le prévenu, on plaide devant des procureurs du roi qui ne l'ont jamais rencontré. Et donc on a une mission spécifique qui est de donner de la chair à ceux qui n'en ont pas. Et donc non seulement on est préposé à mettre en exergue la personnalité des gens, ce qui est comme un métier important, mais aussi je pense à égratigner le système. Donc moi je ne fais pas une seule plaidoirie, je pense, sans vouloir bousculer le magistrat qui, s'il a une routine, doit être... si peu que ce soit, déstabilisé dans ses convictions premières. Et donc, bien entendu, le chapitre sur la prison va trouver place là-dedans. Mais aussi peut-être le fait que l'enquête de police n'est pas au-dessus de tout soupçon, que le procureur du roi vient de répéter une série de choses, de vérités toutes faites qui ne sont pas correctes. Donc je pense qu'on doit ébranler l'édifice. Donc... à défaut de pouvoir le déconstruire complètement, je crois qu'on a une pertinence, petit à petit, à devenir impertinent, mais qu'on n'a pas forcément, quand on est jeune, la possibilité de le dire. Mais moi, maintenant, à mon âge canonique, je n'ai plus aucune réserve, donc je vais le dire. Et je crois que c'est important aussi pour le client que c'est été dit. Et pour moi, la seule chose qui compte, enfin, il y a quand même deux choses qui comptent. La première, c'est le résultat. Ça, c'est tout à fait clair, parce que... Seul le résultat compte pour le client, mais aussi quand même, malgré tout, même si le résultat n'est pas à la hauteur, et souvent il ne l'est pas, c'est que le client et le sentiment, je déteste le mot client, qui nous renvoie à l'orbite marchande, on n'est pas des marchands, mais enfin il n'y en a pas d'autres, il faudrait mieux dire, je ne sais pas, les patients, les patients c'est quand même plus honorifique, plus honorable, ou les assister, ce qui est souvent mon cas, parce qu'on travaille beaucoup pour la beauté du geste, et donc je pense que le... Le client doit avoir la conviction d'avoir été défendu. C'est important pour lui qu'il ait au moins le sentiment que quelqu'un a été son porte-parole et qu'il a exprimé mieux qu'il n'aurait pu le faire ce qu'il avait à dire. Donc c'est important. Je pense que la plaidorie est un moment magique quand on vous dit bon, bête d'ailleurs, allez-y Vous avez toute l'attitude de prendre le temps qu'il faut pour dire ce que vous avez à dire. Parfois, on a des moments de grâce où on a l'impression que… On enfonce dans le bouc, on est vraiment convaincant. Parfois, on cherche ses mots, on est maladroit, on se rend compte qu'on a mal embauché son système. C'est un exercice qui reste très casse-gueule parce que l'oralité des débats est le moment le plus important. Je ne crois pas du tout aux conclusions, au pénal, donc je ne crois pas du tout à la vertu de l'écrit. Je pense que c'est au moment de plaider qu'on fait la différence. Je pense que c'est la haute volonté et que la plupart du temps, ce qui me donne l'impulsion de départ, c'est de répliquer à ce que j'ai entendu, puisque j'ai la parole en dernier lieu. Donc, soit que le rapport que le juge a fait sur l'affaire, quelque part, me froisse un peu, soit que... Ce qu'a dit le prévenu lui-même, vous savez qu'on dit souvent que le meilleur ennemi de l'avocat, c'est son client. Donc on a rarement un client qui s'exprime bien et qui dit les choses qu'on voudrait qu'il dise. Souvent, il s'exprime mal, de façon très maladroite, et tout ce qu'il dit est retenu contre lui. Donc on a l'habitude de vouloir le museler, ce n'est pas une bonne idée, mais c'est un réflexe professionnel. Et donc souvent, on a envie de réparer, si vous voulez, les dégâts de ce qu'il a pu faire. Et alors le procureur du roi est en quelque sorte notre alter ego, mais c'est un peu un ennemi fantoche. C'est-à-dire que souvent, on a la conviction qu'il est à côté de la plaque, autant le dire. Et donc, on a envie aussi de répliquer. Donc la plaidoirie qui vient après est souvent inspirée largement par le... contradiction de ce qu'on a entendu. Maintenant, pour le reste, il faut juste avoir quelques notes et connaître son dossier. Ça, c'est clair, mais on ne voit pas, par exemple, les jeunes lisent leurs plaidoiries. Ça, c'est catastrophique parce que ça a un goût de réchauffer et donc ça n'est pas du tout vivant. Je crois que l'important, c'est la question de la parole vive. C'est comique parce que vous parlez de quelque chose que j'ai souvent exprimé pour moi, mais pour moi seul, je pense. J'ai souvent l'impression d'une sorte de dédoublement de la personnalité et que quand je plaide, je suis toujours en train de m'écouter plaider. Donc il y a comme une espèce d'arrière fond caché où je suis en train de m'observer, en train de dire ce que je suis en train de dire. Et donc ça c'est un gros défaut parce qu'on n'est jamais en direct, on est en espèce de différé qui est nuisible. C'est parce que peut-être que je me connais trop, donc ça c'est clair, donc je connais mes défauts. Effectivement, je pense que je suis assez jugeant de ma propre prestation. Cela dit, je pense que c'est aussi parce que, comme j'ai un arrière-fond, si je puis dire, consistant à être très critique par rapport au système, je dois quand même un peu édulcorer mon propos quand je plaide. J'ai plus de liberté quand j'écris que quand je plaide. Quand j'écris, je peux énoncer des horreurs. Je n'ai jamais été contrarié. À un moment donné, pendant quelques années, j'ai tenu la chronique judiciaire du Viflexpress. J'ai énoncé des choses terribles à l'égard des juges, des procureurs, du système en général, des lois. J'ai manifesté très peu de révérence par rapport aux gens de justice. Et donc même encore, dans la lettre à mes juges, la lettre aux procureurs, il y a des remarques assez cyniques. Je pense qu'en plaidoirie, on ne peut pas être aussi cynique. Donc on doit, malgré tout, quelque part, respecter les règles du jeu. Mon problème à moi, c'est que j'ai toujours eu un pied dedans, un pied dehors. Donc forcément, je suis à la fois, je considère, je suis à la fois dans le système et aussi en dehors du système. Et d'ailleurs, pour moi, ça a été... la porte de sortie si je puis dire, ou l'exutoire, parce que je pense que je n'aurais jamais pu faire ce métier aussi longtemps si je n'avais pas eu l'occasion et le droit d'en rendre compte. Et donc dès le début de mon stage, je me suis dit, mais dans quel jeu je joue ici ? J'ai envie de relater mon expérience. Et je pense que j'ai trouvé mon pied, si vous me pouvez dire, ou en tout cas que j'ai trouvé mon salut, je dirais plutôt ça, je ne prends pas mon pied, mais j'ai trouvé mon salut dans le fait de pouvoir à un moment donné diffuser mes sentiments, mes idées, mes convictions sur le système auprès d'auditoires extrêmement larges, que ce soit les étudiants ou que ce soit le public des grands médias. Donc ça pour moi c'est quelque chose qui fait partie viscéralement de mon parcours. Alors moi je suis à la fois un contre-exemple et peut-être quelque part un bon exemple. Donc comme je l'ai dit en début d'entretien, j'ai fait le droit sans... sans y avoir goût et j'ai commencé le barreau de façon accidentelle. Donc absolument rien ne me prédestinait à embrasser cette carrière-là. J'y ai trouvé mon compte pour des tas de raisons personnelles qui font que j'ai eu l'occasion, grâce à la faveur de rencontre, parce qu'on n'est pas responsable de grand-chose, et finalement on se rend compte... Au crépuscule de la vie, on se rend compte qu'on a surtout été le jouet de belles rencontres qui nous ont orientés. Donc il faut avoir de la chance dans la vie de trouver des personnes qui vous stimulent et qui vous servent un peu de tuteur. Donc ça, c'est important. Ça a été très important pour moi qui avais perdu mon père prématurément. Donc j'ai eu des gens sur lesquels j'ai pu compter qui m'ont vraiment donné goût à la chose. Une chose aussi très importante pour moi, c'est que c'était un métier de contact et que... Autant j'étais rivé sur mon nombril pendant toute ma jeunesse, autant le fait de m'occuper des problèmes des autres m'ont directement permis de relativiser très fort ce qui pouvait même arriver dans ma vie personnelle, et m'ont donné une impulsion décisive dans un métier qui a toujours fait sens pour moi. J'arriverais justement à dire qu'autant au départ le droit était quelque chose de rébarbatif pour moi, autant la façon dont on le pratique dans... Dans mon cas personnel, a correspondu finalement à une série de traits de personnalité que j'ai pu, grâce à ça, satisfaire. Notamment, j'ai toujours bien aimé écrire, mais j'aimais bien aussi, finalement, j'ai pris goût à la relation interpersonnelle. Mais autant dire, mon métier épuise mon sens social et quand je rentre chez moi, je souhaite juste la tranquillité. Donc je vis comme un troglodyte parce que de 8 à 20, je suis en consultation. Donc ce métier m'a satisfait parce que j'y ai trouvé du sens. Je pense qu'on doit autant que possible essayer de faire ce qu'on aime, ça c'est clair, de choisir déjà des études pour lesquelles on se sent une affinité, peut-être même une vocation. Je vais vous donner une anecdote, j'ai toujours bien aimé le théâtre, j'ai fait énormément de théâtre quand j'étais au collège. J'aurais bien voulu faire du théâtre, je n'avais pas le talent, mais quand j'ai eu 50 ans, j'ai créé ma propre troupe et depuis 15 ans, je joue au théâtre assidûment. Et donc j'ai fini par satisfaire ce goût du théâtre, mais tardivement. Et maintenant, là-dessus, je prends vraiment mon pied, parce que c'est un luxe pour moi. Mais la vie est très longue et elle donne l'occasion de faire beaucoup de choses sur le long terme. Donc dire aux jeunes, faites des choses pour lesquelles vous vous sentez une vocation ou en tout cas une affinité. Tâtez du terrain. Si vous vous sentez mal orienté, ça ne sert à rien de persévérer. J'ai beaucoup de cas de jeunes gens qui ont commencé le droit et qui en ont été très vite dégoûtés, pour des raisons que je peux comprendre, et qui ont fait toutes sortes d'autres choses. Je connais des tas d'exemples où on a fini par faire des cours de musique à des handicapés, ou des choses très alternatives, qui sont d'ailleurs beaucoup plus épanouissantes. Donc faites des choses qui vous épanouissent. Comptez sur votre chance parce qu'il y a beaucoup d'appelés, peu d'élus, c'est très difficile. Je ne voudrais pas être jeune aujourd'hui parce qu'on souhaite peut-être toujours être jeune, mais pour vous donner un chiffre, on est beaucoup plus nombreux au barreau qu'on l'était il y a 40 ans et je reçois à peu près tous les jours une demande de stage. Bien entendu, je ne serais pas satisfait à 200 demandes de stage par an, mais il y a beaucoup de demandes et peu d'offres. Donc les métiers deviennent difficiles parce qu'ils sont souvent surpopuleux. Et alors faites des choses qui ont du... même si vous ne choisissez pas, même si vous n'avez pas l'occasion de choisir ce qui aurait été votre premier choix. Faites impérativement des choses qui ont du sens pour vous, même si elles ne sont pas lucratives, mais au moins que vous ayez la satisfaction, quand vous rentrez chez vous, de vous dire que la journée n'a pas été stérile, que ça avait une raison d'être, que vous n'allez pas mourir idiot. Je pense que le principal à notre âge, j'ai 63 ans, C'est la préoccupation de me dire que tous les jours j'ai eu le choix de faire ce que je voulais faire et que je ne dois m'en prendre qu'à moi-même si je ne suis pas arrivé à ce que j'ambitionnais. Donc je pense que d'ailleurs il y a une congruence entre ce qu'on voulait être et ce qu'on finit par devenir parce que je crois qu'au principe il y a le fait que tous les matins où on se lève, en fait on est maître de son destin. Même si on a été défavorisé par le sort, notre liberté est foncière. Et donc, on doit en faire bon usage. Et donc, je pense qu'il est trop facile de se, comment dirais-je, de reporter ce qui nous arrive sur le méchant sort, et qu'on a absolument besoin de se poser tout le temps la question de savoir si ce qu'on fait a une utilité quelconque, soit pour soi, soit pour autrui, de préférence pour autrui, mais au moins qu'à la fin de sa vie, on ne doive pas se dire qu'on est passé à... à côté de sa vie, parce qu'on n'en a qu'une, et qu'il faut en faire bon usage.

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Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Dayez. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à devenir avocat et pourtant, il s'est trouvé une vocation, voire plutôt un exutoire...  

Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénal actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties.  

Selon ses propres mots, "l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien" et " pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance! "...  

Et de l'assurance il en a eu ! Dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qui l'avait accueilli pour s'installer dans "le vilain Schaerbeek " et créer son propre cabinet d'avocats.  

Mais nous ne parlerons pas que de droit dans cet épisode sous le tipi. Maître Dayez nous dit " que nous sommes maître de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons " même si vous le verrez, faire le barreau n'était pas sa vocation première.  

" Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres ".  

" Essaye des études " nous conseille Bruno Dayez  " et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin ". 

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Transcription

  • Arnaud

    Sous le Tipeee, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez... Sous le Tipeee, un lieu où l'on vient écouter des démoignages professionnels inspirants. D'un côté, ceux qui ont vécu, ils racontent leur métier, leur parcours de vie, partagent leurs anecdotes, leurs philosophies et des conseils pour aider ceux de l'autre côté. Vous, chers auditeurs, en quête de vous-même. Sous le Tipeee, c'est la volonté de renouer avec une tradition... Orane, on s'assoit et on écoute. Bonjour chers amis et bienvenue sous le Tipeee. Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Daillé. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à faire le barreau. Et pourtant, il s'est trouvé une vocation, ou est-ce peut-être plutôt un exutoire. Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties. Selon ses propres mots, l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien. Ou, pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance. De l'assurance, il en a eu, car dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qu'il avait accueilli. pour s'installer dans le vilain Scarbeck et créer son propre cabinet d'avocat. Mais nous ne parlerons pas que de droit. Maître Daillé nous dit que nous sommes maîtres de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons. Même si, vous le verrez, le barreau n'était pas sa vocation première. Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres. Essayez des études, nous conseille Maître Daillé, et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin. Il est maintenant temps de s'asseoir, d'ouvrir grand ses oreilles et de se laisser inspirer sous le tipi.

  • Bruno Dayez

    Moi je suis un juriste contrarié, donc j'ai fait le droit à reculons, c'était des études que je n'aimais pas, parce que le droit... conforte l'ordre établi parce que le droit est du côté des puissants et qu'il écrase les faibles. Et donc j'ai fait ces études à reculons parce que j'étais plutôt tenté vers la philosophie que j'ai également embrassé comme études. Et puis à la fin de mes études, mon père étant décédé prématurément et étant déjà marié très rapidement, il fallait trouver un exutoire. Et donc je suis allé sonner chez le voisin de ma femme qui était avocat. et qui m'a accueilli pour faire mon stage et je suis resté chez lui deux trois mois, guère longtemps, avant d'être débauché par un cabinet qui m'intéressait davantage parce que c'était l'antenne juridique d'ATD Carmonde. Donc c'est un des avocats qui avait une forte une forte pulsion militante et qui défendait les plus pauvres et donc ça, ça a été l'occasion de faire un vrai stage de quatre ans chez un avocat que pour laquelle j'ai encore beaucoup de révérence, qui s'appelle Georges Kerkov, et qui est d'ailleurs toujours très actif dans le mouvement ATD, quoiqu'il ait pris sa pension en tant qu'avocat. Mais ça a été un avocat qui avait beaucoup de convictions et qui les défendait avec cœur, donc c'était très emballant pour un jeune juriste. Mais donc je suis rentré au palais pour la première fois après ma prestation de serment, je n'avais jamais mis le pied au palais, et absolument rien ne me prédestinait à faire le barreau. Sur le pénal proprement dit, c'est pas compliqué à comprendre. Comme je suis philosophe plus que juriste, le pénal est une matière assez fascinante. D'une part c'est une très belle construction intellectuelle, donc c'était l'un des rares cours que j'aimais en tant qu'étudiant, parce que c'est une très belle mécanique où on parle d'intention, de volonté, etc. Donc de tas de concepts de conscience qui renvoyaient à la philo. Et parce qu'en tant que praticien, en fait les deux matériaux qu'on triture toute la journée sont des introuvables. c'est la vérité et la justice. Et donc le droit pénal, c'est beaucoup de faits et très peu de droits. Et donc ça m'intéressait aussi à ce niveau-là. Il ne fallait pas être un grand juriste pour pouvoir faire du pénal. Par contre, il fallait avoir une sensibilité, je pense, qui vous porte très fort vers l'humain. Et surtout, ça donnait l'occasion de belles envolées lyriques au sujet de ces horizons de sens inaccessibles que sont la vérité et la justice. Donc on peut gloser à l'infini sur ce qu'est par exemple une peine juste. Il y a beaucoup de plaidoiries qui portent essentiellement sur la peine, au fond, que mérite un type qui est en aveu d'avoir fait ce qu'on lui reproche. Et parfois, sur la vérité, quand il y a effectivement matière à débat pour savoir si la personne est coupable ou pas, c'est un exercice qui reste extrêmement passionnant parce qu'il suppose de déployer toutes nos facultés intellectuelles pour voir si le dossier tient la route, refait à la chronologie de l'enquête. se rendre compte du cheminement qu'ont suivi les autorités de poursuite et pouvoir se dire, là, il y a un problème, là, ça n'est pas correct. Il y a une espèce de billet qui fait qu'on arrive à la conclusion à laquelle on veut aboutir. Mais, somme toute, il y a des hypothèses concurrentes qui restent tout à fait plausibles. Et donc, il y a, surtout en matière de mœurs, par exemple, souvent matière à débat. Je suis arrivé au pénal difficilement parce que... la clientèle était squattée si je puis dire par quelques avocats beaucoup plus âgés que moi qui étaient donc plus chevronnés et qui, comme c'est toujours le cas actuellement d'ailleurs, étaient directement friands de ce qu'on pourrait appeler les affaires retentissantes, donc celles qui faisaient l'objet d'une médiatisation. Donc ce qui fait que les premières années de stage, on ne fait que du chien écrasé si vous me permettez l'expression. On traite concrètement du menu fretin dans le cadre de l'aide juridique, ce qu'on appelle communément le Prodeo. Et donc finalement, je suis arrivé au pénal après quelques années, par un autre biais, j'ai quitté mon cabinet à l'issue de mon stage pour m'installer dans ce qu'on appellerait le vilain scarbeck, donc le bas scarbeck. Et là, j'ai eu une clientèle qui était constituée à 99% d'étrangers, enfin de gens d'origine étrangère, qui avaient forcément tous les problèmes que rencontrent les étrangers. Donc le problème du séjour. J'ai drainé énormément de personnes qui étaient en séjour clandestin et qui forcément connaissent d'autres personnes qui ont des démêlés avec la justice et qui ont aussi des déboires familiaux. Ce qui fait que très rapidement, la recette a pris, si vous voulez. Donc comme on ne prête qu'aux riches, j'ai eu de plus en plus de personnes qui venaient d'origines diverses, mais qui avaient toujours des problèmes aussi bien liés à leur séjour que des problèmes pénaux et des problèmes familiaux. Ce qui fait qu'au total, j'ai drainé énormément de dossiers quantitativement qui m'ont valu de créer finalement une espèce de mini-entreprise où j'ai débauché. de plus en plus de collaborateurs pour arriver finalement à une équipe de 11 ou 12 personnes qui fonctionne encore toujours aujourd'hui après 40 ans, où en fait je dois pouvoir en quelque sorte répondre à toute détresse. Mais les premières affaires, oui, on est... Je dirais que moi le souvenir que j'en ai, c'est qu'on est très mal traité en tant que jeunes pénalistes. On n'est pas bien reçu par les tribunaux qui vous regardent avec une certaine... arrogance ou une certaine hauteur de vue. Et comme on n'est pas très... Forcément, on n'a pas beaucoup d'expérience, on commet forcément beaucoup d'erreurs et les résultats sont maigres. C'est d'ailleurs une carrière, si je puis dire, dans laquelle on est accoutumé à perdre. Pour faire du pénal, il faut avoir beaucoup d'endurance parce que on est souvent perdant. En fait, la plupart du temps, on ne fait que limiter les dégâts et on fait ce que moi j'appelle communément de l'accompagnement aux mourants, où on est aux soins palliatifs, autrement dit on limite la casse. Mais j'ai un jour osé dire dans un de mes articles que l'avocat au pénal servait rarement à grand chose et souvent à presque rien, ce qui m'a valu lire de plusieurs bâtonniers du pays. Mais pourtant, je suis profondément convaincu de ce que je dis. En fait, on est là pour accompagner quelqu'un. Et si je veux caricaturer de façon assez péjorative, on est là pour lui dire ce qui va lui arriver, on est là au moment où ça lui arrive, et on est là après coup pour lui dire, vous voyez bien, c'est ce que je vous avais prévu. est arrivé. Autrement dit, l'avocat est un être sans pouvoir qui fait de son mieux mais dans des combats souvent perdus d'avance et qui est là pour édulcorer la pilule, si vous voulez, et donc convaincre la personne qu'il vaut mieux souvent ne pas faire appel d'un mauvais jugement parce qu'il risque encore pire en degré d'appel. Donc le métier de pénaliste est un métier très déconcertant. Maintenant, il faut aimer l'adversité. L'adversité, soit elle vous rend combatif, soit elle vous abat complètement. Moi, j'ai eu pas mal de stagiaires qui ont rapidement compris ce que je voulais leur enseigner. Ils se sont rendus compte que mes analyses du système étaient cohérentes, qu'elles correspondaient à une réalité vécue, mais qui en ont été rapidement dégoûtées. On ne compte pas les jeunes avocats qui ont voulu faire du pénal parce qu'ils en avaient une image assez... comment dirais-je, resplendissante ou honorifique, en pensant qu'on allait redresser les torts et être seul contre tous. Mais c'est une imagerie un peu désuète. Et donc, quand on se colle à la réalité, on est forcément très déçu. Et on ne compte plus les avocats qui ont abandonné en cours de route. Moi, j'ai eu des stagiaires que j'estimais être de brillants sujets, mais qui sont partis paradoxalement au parquet. ou au siège. Donc j'ai pas moins de quatre substituts du procureur qui sont passés par mes griffes. Et donc pour moi, ça m'a toujours semblé déconcertant que des gens qui avaient fait profession de défendre finissent par faire profession d'accusé. Mais sans doute était-ce moins périlleux ou moins stressant ou profondément déprimant quand vous prenez le pli d'essuyer revers sur revers. Alors si je suis consulté, je reçois en principe une convocation à comparaître ou une invitation à être entendue par la police. Donc d'abord je briefe les gens sur ce qu'ils doivent savoir sur la façon dont la procédure fonctionne. Donc je leur donne le B.A.B. de façon assez didactique. Et puis s'ils veulent m'entretenir du fond de l'affaire, je les coupe tout de suite en disant que ça ne sert strictement à rien de les écouter. Ce qu'ils vont me dire va me sortir par l'autre oreille. dans mesure où on doit d'abord savoir ce qu'il y a dans le corps adverse. Donc il faut d'abord prendre connaissance du dossier. Donc on va scanner le dossier et puis une fois qu'on a examiné le dossier, on peut les revoir et alors discuter pied à pied. Alors le rapport de l'avocat à la vérité est très compliqué. Il est incompréhensible pour quelqu'un qui n'est pas du CERAI. Par exemple, on nous dit souvent, les questions qui nous sont posées, c'est est-ce que vous prêchez le faux en connaissant le vrai ? pure vue de l'esprit. En fait, nous ne connaissons pas plus le vrai que le grand public ou que le juge ou que le procureur. Nous n'avons pas un espèce d'accès privilégié à la vérité pour la simple raison que le client ne nous doit pas la vérité et que donc il est prudent de jamais la lui demander. En fait, on accorde foi à ce qu'il nous dit jusqu'à preuve du contraire, mais on n'en aura jamais le fin mot. Donc il est très, très rare que non seulement le type nous fasse des confidences, ça c'est banal. mais qu'on doive le croire sur sa bonne mine, ça appartient à la responsabilité de chacun. D'habitude, il faut quand même prendre ses distances. Alors, soit ce qu'il vous dit est implédable, parce que vous vous rendez compte qu'on se heurte à 36 choses et qu'on ne parviendrait jamais à en convaincre qui que ce soit. Dans ces conditions, vous essayez de lui représenter qu'il faut changer sa version des faits, puisque tout est suspéni, on pourrait y revenir dans une minute. Soit vous pensez que la personne qui va avoir face de vous est réellement sincère. Et vous vous dites que vous devez vous défaire de votre première impression qui était très négative à la lecture du dossier, et que vous devez relire le dossier autant de fois que nécessaire pour parvenir à vous persuader vous-même de ce dont vous allez devoir convaincre votre interlocuteur. Ça ne sert à rien d'aller au tribunal plaider des trucs dont vous ne soyez pas convaincu. Je n'ai pas dit des choses dont vous ne sachiez qu'elles soient vraies, puisque ça, je répète qu'on ne pourra jamais le savoir, mais des choses que vous n'ayez pas... de réticence à faire valoir. Je pense que l'avocat, avec l'expérience, apprend trois choses. Il apprend ce qu'il doit dire, ce qu'il ne doit pas dire et comment il doit le dire. Mais je pense aussi que plus fondamentalement, il doit être sincère avec lui-même. Mentir n'a de vertu que très limitée. Je pense que mentir n'amène à rien. Je pense qu'on peut peut-être dire des choses qui sont fausses en ne sachant pas qu'elles sont fausses. Mais le principal est d'en être convaincu.

  • Speaker #2

    D'abord on le tue, puis on s'habitue, on lui coupe la langue, on le dit compagné. Après sans problème, parle le deuxième, le premier qui dit la vérité. Il doit être exécuté. Le premier qui dit la vérité, Il doit être exécuté. J'affirme que l'on m'a proposé Beaucoup de chance.

  • Bruno Dayez

    J'adore cette chanson parce que le texte est somptueux, comme toutes les chansons de Guy Béard. La musique est un peu du style ritournel, donc c'est très vieillot. D'ailleurs, vous ne connaissiez pas Guy Béard, c'est moi qui vous ai appris son existence. Il vient de mourir, mais c'était pour moi l'équivalent des Brassens et des Ferré et des Brel. C'est un auteur à texte essentiellement qui a fait des choses vraiment magnifiques. Je vous invite à découvrir ses chansons les plus connues. La vérité, il y a une phrase dans cette chanson que je n'ai plus entendue depuis longtemps, mais qui dit, le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté, et après sans problème viendra le deuxième. Alors pour moi, ça a évidemment une connotation très personnelle, puisque étant l'avocat de Marc Dutroux, Christian Pannier a hébergé Michel Martin. Christian Pannier est un juge émérite, donc il était ancien président du tribunal de première instance de Namur. Et après sa retraite, lorsque Michel Martin a dû trouver un havre de tranquillité, il a offert de l'héberger chez lui. Ce qui était un acte de grande bravoure, parce qu'il habite dans une maison un peu moyenâgeuse avec un mur d'enceinte. Donc il était... un peu à l'abri de la vindicte, mais il n'y a pas échappé le pauvre homme. Et donc, bien sûr, ça a été un monceau d'injures, de lettres de menaces et peut-être de gens qui rôdaient autour de chez lui, en sorte qu'il a dû acheter deux grands chiens pour la garde. Mais donc, c'était un acte de grand courage. Et je dirais qu'il a fait preuve de vérité dans le sens où La vérité, ici, il faut l'entendre comme toute personne a droit à un moment donné, non pas au pardon, parce que seules les victimes peuvent l'accorder, mais a droit à sortir de prison. La prison est un mal pour un bien, donc la peine, sa meilleure définition, c'est que sa définition même en droit, c'est qu'elle a pour but la réhabilitation du condamné. Sinon, elle n'aurait pas de sens philosophiquement. Ce ne serait qu'une espèce de mouroir ou de torture chinoise, si vous voulez. A condamner les gens à une perpétuité réelle serait une abomination, comme je l'ai souvent dit. Et donc Christian Pannier a tracé une voie en disant, voilà, cette femme qui était vouée à la détestation populaire et à la haine, elle avait tout autant le droit que n'importe quel autre condamné à pouvoir à un moment donné recouvrer sa place dans la société libre. Donc c'est un exemple merveilleux de tout ce que... La religion catholique nous a tous enseigné quand on était petit, c'est-à-dire que tous les concepts liés à la rédemption, à la charité, à la miséricorde, à la résipiscence, à l'amendement, tous ces concepts naissent dans la religion dont nous sommes issus, dont toute notre histoire est tissée. Et donc, moi, je suis le deuxième, en l'occurrence. Je viens sans peine, après panier, en disant, pourquoi pas du trou ? Et donc cette chanson pour moi elle a eu forcément, vous l'avez compris, une répercussion importante dans ma façon d'envisager les choses. Que ce soit une question épineuse, c'est peut-être pour ça que mon éditeur a mis un chardon en couverture. Disons que ce que je dénonce évidemment au fur et à mesure de nombreux ouvrages, c'est l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuelle qui est en fait qui se résume à la question pour tout prévenu, prison ou pas prison et si oui pour quel délai. Donc le seul exutoire du système c'est la prison. Un peu comme j'utilise parfois cette image comme dans Tintin en Amérique. que vous mettiez sur le tapis roulant une vache ou Tintin, ils sortent tous sous la même forme d'une boîte de cornet de bif, dont seule la taille varie. Donc la solution qu'apporte la justice pénale au phénomène de la criminalité est une solution entièrement stéréotypée. Alors à cela vous ajoutez que la prison, dans son état actuel, est beaucoup plus toxique et délétère qu'elle n'est profitable à qui que ce soit. Puisque en fait c'est un mouroir la prison. Donc la prison c'est du temps vide qui ne sert strictement à rien, qui jette les gens dans la désespérance, donc les condamnés, au lieu d'être portés vers l'amendement, vers la prise de conscience de ce qu'ils ont fait, comme ils sont carrément laissés à eux-mêmes et qu'on les laisse en quelque sorte pourrir sur pied, se renforcent dans la conviction qu'ils sont en fait eux-mêmes. victimes d'une injustice parce que le traitement qu'on leur réserve est profondément indigne. Donc à partir du moment où ils ne sont pas respectés en tant qu'individus, ils se braquent en quelque sorte sur le sort qu'il leur est fait et ce n'est pas du tout propice à un amendement. Donc ça c'est une chose qu'il faut souligner. La prison n'assure pas non plus notre sécurité parce que comme c'est une école du crime et qu'on jette dans ce rebut toutes les personnes qui ont commis une quelconque infraction, finalement la seule chose qui les réunit, c'est d'avoir transgressé la loi. Mais ici, finalement, on met ensemble des pédophiles, des voleurs à la tire, des escrocs, des drogués. Donc c'est un doux mélange de gens qui ont chacun des parcours très chaotiques, mais qui ne présentent pas beaucoup de similitudes avec leurs voisins, sauf le fait que ce sont des écorchés de la vie qui sont passés par toutes sortes de... de ratages successifs et qui sont complètement désocialisés, déscolarisés. La population criminelle ou délinquante est en fait très homogène malgré la diversité des crimes. C'est toujours des gens qui ont le même profil puisque un écueil de la prison c'est qu'elle est terriblement inégalitaire et que ce sont toujours les mêmes qui y rentrent et d'autres qui n'y rentreront jamais selon la nature de leur délit. Mais donc cette population... qui végète en prison et qui est laissée livrée à elle-même dans l'attente d'une hypothétique libération, n'est pas du tout portée sur la prise de conscience, parce que les conditions de la détention sont totalement inhumaines. Donc il y a un état de surpopulation chronique, les prisons sont sales, elles sont dans un état de dépouillement qui les apparente presque à détournis. La plupart sont insalubres. L'Observatoire des prisons dénonce ce fait depuis des temps immémoriaux, mais nos prisons sont presque à l'égal des prisons du 19e. Donc en 200 ans, la réflexion n'a pas du tout évolué. Moi je dis qu'on peut et on doit priver de leur liberté un certain nombre de gens parce qu'ils constituent effectivement un danger pour les autres. d'une part, et d'autre part parce qu'il mérite une punition. Je ne suis pas hostile à la punition en tant que telle. Je pense que punir est une nécessité, parce que la société doit forcément réagir de façon ferme à la commission de certaines choses qui sont graves et en fait impardonnables. Cela étant dit, le temps de la détention doit être utile. Donc si on veut que la peine serve à quelque chose, il faut qu'on l'envisage autrement. Donc il faut qu'on révolutionne les prisons telles qu'elles existent. Donc... qu'une prison existe, d'accord, mais que ce soit simplement une oubliette dans laquelle on jette tous les problèmes sociaux comme s'ils n'existaient pas, exactement comme si l'on mettait la poussière sous le tapis, ça ne nous avance à rien. Donc je pense que chaque détenu, c'est la responsabilité de l'État, à partir du moment où il est incarcéré, doit être pris individuellement en charge et en fonction des problèmes qu'il a connus, voir comment on va les résoudre au cas par cas. Et donc ces gens méritent un suivi individualisé pour la simple raison que l'État les a privés de toute autonomie. Donc à partir du moment où ils sont incapables de se gérer eux-mêmes parce que... Ils sont privés de tout. Une privation de liberté, c'est une privation de tout. C'est une privation d'espace, c'est une privation de lumière, c'est une privation de liens sociaux, c'est une privation de liens familiaux, c'est une privation d'intimité. On peut multiplier les exemples à l'infini. Donc cette peine est une peine extrêmement dégradante. Elle transforme les gens en... en déchet, donc il faut être d'une endurance incroyable pour subsister à la prison, pour garder le sentiment de sa propre dignité. Donc tel que ça existe, pour moi c'est un traitement dégradant et inhumain. Si on respecte les gens en tant que personnes, si on leur assure, si on fait de cette peine quelque chose d'utile en offrant, c'est peut-être le mot qui sera mal reçu par le public, mais en... Oui, en offrant à chacun qui une formation, qui des soins, qui une autre forme appropriée d'accompagnement, il est évident qu'on fera bien plus œuvre utile. Alors sur le rapport, pour répondre à votre question, sur le rapport, enfin j'ai déjà répondu en grande partie, mais sur le rapport entre le coupable et la victime, absolument rien.

  • Arnaud

    n'existe dans le but de réparer. Donc, il n'y a aucun moment une espèce de mise en... de forme même édulcorée de contact par lesquels le coupable puisse demander pardon, par exemple, ce qui est très important. L'audience du tribunal n'est pas du tout une instance propice au pardon parce que les gens, quand ils sont pris dans la nasse, s'enfer souvent dans un déni absurde et conteste les faits. Or, comme je le disais dans ce petit livre, la victime est avant tout avide de reconnaissance de sa qualité de victime et de reconnaissance par le coupable de sa culpabilité. Et elle est friande du fait qu'il ne récidive pas. Donc elle est désireuse qu'il ne récidive pas. Mais je pense que si le procès était l'occasion d'une parole vive, où les gens puissent se parler et dialoguer, ou même si ça ne peut pas avoir lieu pendant le procès, qu'une telle instance soit organisée après coup, lorsque le condamné est condamné définitivement, et qu'il n'a plus de raison de contester sa culpabilité, plutôt que de continuer à se prendre lui-même pour une victime, on ferait très bien œuvre utile. J'ai vu un merveilleux documentaire tourné aux États-Unis, où en fait la victime ne peut pas avoir de contact avec le condamné. En l'occurrence, c'était la mère d'une jeune femme assassinée, et le type avait pris perpétuité. En États-Unis, 4 ou 5 000 personnes sont condamnées sans espoir de rémission, c'est-à-dire sans espoir de remise de peine, et donc savent qu'ils vont de toute façon décéder en prison, même s'ils doivent vivre centenaires. Donc ces gens n'ont aucune échappatoire, ils vont crever littéralement en prison. et ils ne peuvent avoir aucun contact avec la victime. Et en l'occurrence ici, cette femme assez remarquable avait fait des tas de démarches pour malgré tout correspondre avec l'assassin de sa fille, et ils avaient fini par nouer une relation épistolaire extrêmement profonde qui avait amené cet homme à, je crois, un repentir très sincère, et pour cette femme aussi à parvenir plus facilement à faire le deuil de ce qui lui était arrivé. Pour reprendre le cas de Dutroux, qui évidemment m'est très familier, je pense qu'il y a eu un ratage dans ce dossier, comme il y en a eu beaucoup, mais que par exemple, depuis très longtemps, on aurait dû entreprendre avec lui un travail, on aurait dû lui donner la possibilité d'avoir un contact, même indirect bien entendu, avec les familles. et que quelque chose se mette en place. Je suis dans le regret que ça n'ait pas eu lieu, parce que finalement tout le monde est enfermé dans sa souffrance. Les familles de victimes rongent leurs freins parce qu'elles n'auront jamais la vérité sur l'affaire. Elles pensent que ce procès a été biaisé. Elles ont raison de penser que des pistes ont été conduites délibérément par les autorités de justice et le condamner. moisie dans son espèce de marasme, à ne pas pouvoir sortir de son isolement. Donc chacun est mûré en quelque sorte dans sa propre souffrance, même si la souffrance de l'un n'est pas équivalente à celle de l'autre et qu'on ne peut pas les mettre en parallèle. Mais malgré tout, on est dans une impasse tant juridique qu'humaine et il est probable que chacun finisse par décéder dans le même état d'esprit. Les uns, peut-être... Je ne vais pas dire ivre de haine parce qu'ils ont toujours fait preuve d'une modération certaine, mais en tout cas quand même rongé par probablement une détestation très compréhensible vis-à-vis de l'auteur des faits. Et l'auteur des faits mûrait à la fois dans son déni, dans son silence et dans son incapacité finalement, parce que personne ne lui a aidé. prendre conscience de la gravité de ce qu'il a fait. Donc, si vous voulez, cette affaire-là illustre à merveille ce que je dénonce dans le livre, c'est-à-dire qu'il y aurait beaucoup mieux à faire par rapport à l'ensemble des condamnés qui tous, pratiquement tous sans exception, sont destinés à sortir de prison un jour ou l'autre. Donc, il faut que cela se prépare dès le moment où ils ont reçu leur peine et où cette peine est définitive et se réparer, effectivement. très important parce qu'ils n'ont pas perdu leur humanité, il n'y a pas de monstres, les monstres n'existent pas sauf dans les contes de fées, donc le fait d'être privé de sa liberté ne les dépouille, le fait d'avoir commis un crime ne les dépouille évidemment pas de leur humanité et je pense que le fait qu'aucun face à face, même organisé avec soin avec la victime, qu'aucun face-à-face n'ait jamais lieu est problématique. Je vous donne encore un exemple vécu. J'ai été le conseiller il y a quelques années de quelqu'un qui avait été condamné. à la cour d'assises, à 20 ans de prison si ma mémoire ne me trompe pas, pour avoir tué un membre des forces de l'ordre lors d'une course poursuite. Et puis voilà qu'arrive le moment du tribunal d'application des peines où on voit arriver la veuve dont la peine était incommensurable. Donc la tristesse était incommensurable, elle avait perdu son époux, elle avait des enfants et elle voyait en face d'elle un jeune, encore relativement jeune, qui allait vraisemblablement sortir. Et donc, que ce face-à-face soit organisé uniquement au moment où il avait demandé et était sous le point d'obtenir sa conditionnelle, c'était à mon avis extrêmement frustrant pour l'un et pour l'autre. Donc que cette discussion qui était très franche n'ait jamais pu avoir lieu précédemment, moi je le regrette. Je trouve qu'il faudrait absolument revoir ce système. Et notamment, je l'ai dit aussi au stade du procès, que la victime soit souvent absente. C'est un manque que le tribunal ne puisse pas entendre dans tous les cas ce que la victime a à lui dire, même si c'était dans une phase préparatoire au procès à laquelle pourrait assister l'avocat pour éviter que la victime ne se trouve néanmoins avec l'auteur des faits si elle ne le souhaite pas. Mais je trouve que la victime a voix au chapitre et que dans le système actuel, finalement, le système... n'est pas attentif à la parole de ceux que l'affaire concerne. Le système fonctionne à vide, de façon assez mécanique, mais finalement les grands absents du procès sont la victime et même le prévenu qui se demande souvent de qui on parle et qui a l'impression que les débats passent au-dessus de sa tête. Donc il y a un ratage global de l'enjeu du procès qui devrait être dans l'idéal de permettre... par l'infliction d'une peine, une forme de réconciliation, que les gens arrivent à faire la paix d'abord avec eux-mêmes, et puis idéalement entre eux. Mais donc, voilà, ça, ça dépasse peut-être les... Je pense que ça, là, est la vocation de la justice au sens philosophique, et que, comme on fonctionne de façon complètement... mécanique, avec une routine qui ne se dément jamais. On arrive à des formes de procès totalement stéréotypées qui aboutissent à un résultat connu d'avance. Donc ça ne nous avance pas à grand-chose. Un auteur français, un sociologue français qui a étudié la prison pendant cinq ans avec toute une équipe, parle de l'ombre du monde. Il parle de la part obscure du châtiment. Il explique que quand on prive quelqu'un de sa liberté, tout le monde consent. en fait à la cruauté de la prison. Et en fait le paradoxe c'est que tous les films de fiction, les oeuvres de fiction sous la prison, décrivent systématiquement l'inhumanité de la prison et ce qu'on appelle l'enfer carcéral. Et donc aussi bien le spectateur adhère à ces oeuvres de fiction en disant bon Dieu, oui, c'est une honte en quelque sorte, c'est un enfer autant la population reste... extrêmement hostile à ses propres détenus comme si la réalité ne correspondait pas à la fiction. Or la réalité correspond à la fiction. Je dirais que les films qui concernent la prison sont en fait extrêmement réalistes et pas du tout excessifs dans leur description de cet enfer. Et donc vous me demandez si d'autres systèmes... Oui, dans d'autres systèmes on a vidé la prison, on a beaucoup plus accès sur la prévention. On a beaucoup plus accès sur des modes alternatifs de règlement des conflits. Moi, je pense que je suis souvent saisi. Maintenant, j'ai forcément, comme tous les pénalistes, j'ai beaucoup de faits de violence intraconjugale. Que se passe-t-il dans la pratique ? Quand j'ai un type qui est détenu ou qui doit passer devant le tribunal pour avoir boxé sa femme, ce à quoi je n'adhère pas, bien sûr, donc je ne l'excuse pas ni ne l'absous, ce n'est pas mon rôle d'ailleurs, mais qui me consulte dans 9 cas sur 10, la plaignante qui souhaite soit se désister de sa plainte, on lui explique que ce n'est plus elle qui dirige la manœuvre mais que c'est le parquet qui a pris le relais, soit, en tout cas, veut faire preuve d'une indulgence, que le tribunal n'est pas prêt à admettre. Donc, il arrive souvent que le parquet soit plus catholique que le pape et réclame une sanction sévère là où, en fait, la victime a déjà pardonné. Bon, est-ce qu'on a à gagner à faire de ces procès une espèce de grand barnum, si vous voulez, donc avec des audiences publiques ? Moi, je pense qu'il y a un grand nombre de procès pénaux qui, sous prétexte que c'est du droit public, et qui doivent se passer devant un public parce qu'on a peur que la justice se passe en catimini, moi je pense qu'il y a un grand nombre d'infractions qui mériteraient plutôt d'être jugées dans un sénacle beaucoup plus confidentiel, en l'absence d'un public dont je ne vois pas ce qu'on a à y gagner. Pour autant que le type soit défendu, il y a une contradiction des débats. Si on veut un public, on devrait pouvoir le demander. Si on n'en veut pas, on n'est pas obligé de l'avoir. Si personne n'en demande, même pas l'avocat de la défense, c'est que ça n'a pas d'utilité. Et vous savez, tout est... Tout conditionne le résultat en matière pénale. Le fait qu'on plaide en robe, le fait que chacun parle à son tour, le fait que chacun parle à sa place. Tout ça correspond à des normes qui règlent le cours du procès et en déterminent l'issue. L'issue du procès est souvent prédéterminée à cause de sa structure. Si on devait plaider en tenue bourgeoise, comme on est maintenant, autour d'une table, à discuter simplement d'un éventail de solutions possibles, On se rendrait compte qu'il existe des tas d'autres solutions que purement punitives. Chez nous, il existe la médiation pénale, elle est totalement, totalement sous-employée. Donc la médiation pénale consiste à envoyer le dossier sur une voie de garage, si je puis dire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de poursuite, pour autant qu'un assistant de justice, mandaté par le procureur, parvienne à trouver un arrangement sur la façon dont la personne va en fait se laver de tout reproche en effaçant l'ardoie, si vous voulez. Donc en... en payant le prix de son forfait et en payant sa dette à l'égard de la victime. Donc cette conception de la médiation, on pourrait la multiplier, je ne vais pas dire à l'infini, mais dans un très grand nombre de moindres délits. Même pour des cambriolages, un jour j'ai été cambriolé, je dirais que la police n'a pas fait grand-chose faute d'indice, mais je pense que ma frustration... Ça a été simplement de ne pas avoir en face de moi le visage de mon cambrioleur et de pouvoir lui dire son fait en disant que c'était vraiment con et en lui demandant de s'excuser pour ce qu'il avait fait. Et à la rigueur de me promettre, même si c'est une promesse de Gascons, de ne pas rééditer son exploit. Donc je pense qu'il y a plein de dossiers comme ça qui relèvent de ce qu'on appelle la petite ou la moyenne délinquance urbaine. qui aurait intérêt à être traité sous un angle non purement, d'emblée, strictement punitif, qui n'avance en fait à rien. Parce que je pense que ça n'aide pas ceux qui ont été les protagonistes du drame à leur propre reconstruction. D'où le fait qu'il y a ce que j'ai appelé dans un autre livre un triangle vert ou rouge, je ne sais plus ce que j'ai utilisé, c'est-à-dire que ce qui est profitable... au condamné est certainement profitable à la victime et indirectement profitable à la société. Donc ça veut dire qu'une justice plutôt soft, qui permet à la personne de retomber sur ses pattes et d'avoir le vœu de se reconstruire, est certainement plus salutaire, si vous voulez, qu'une justice où on cogne dur et où les gens s'endurcissent dans leur conviction que la société leur en veut. qu'ils ont raison de se poser en ennemis publics. C'est un métier dans lequel on est censé bienveillir, c'est-à-dire qu'on a une pyramide des âges qui s'inverse. Quand j'étais jeune, je plaidais devant des magistrats qui étaient très impressionnants, qui devaient avoir au moins deux fois mon âge, qui me donnaient l'impression d'avoir le triple, donc qui étaient très hautains et très impressionnants. Donc c'est assez déstabilisant forcément, et des gens, des procureurs généraux qui... qui étaient drapés dans leur dignité. Maintenant, je suis beaucoup plus vieux que la plupart des magistrats devant lesquels je plaide. Et j'ai pour moi, je pense, d'avoir derrière moi une longue habitude d'écrire. Quand j'étais en deuxième année de stage, j'ai commencé d'écrire sur la justice, et ça ne m'a jamais quitté. Donc, mon premier article, en 1983, s'appelait De la vérité judiciaire et c'est un thème qui n'a pas arrêté de me hanter. Et donc, depuis lors, des centaines d'articles ont suivi, qui sont, je pense, fort lus dans le serail. Et donc, j'ai une espèce de... Je pense que je suis considéré comme quelqu'un qui est sincère, qui est authentique. Et les magistrats ont un certain respect pour ça, même s'ils ne partagent pas mes convictions. Je pense aussi qu'ils savent ce que je pense et que c'est très important pour moi qu'ils savent ce que je pense parce que je consacre une bonne partie de mes plaidoiries à dire ce que je pense. Et je pense que l'intérêt de ce métier en final, c'est d'arriver exactement à dire ce qu'on pense sans tergiversation et sans avoir peur de ne pas être entendu. En fait, on a... la mission de dire ce qu'on a à dire même si on sait qu'on ne sera pas forcément entendu. Mais au moins les choses seront dites, c'est très important parce qu'on est les seuls à le dire. Donc l'avocat a une spécificité, il est le seul à connaître au moins un peu la personne dont il parle. Il faut savoir que quand on plaide, on plaide devant des juges qui n'ont jamais rencontré le suspect ou le prévenu, on plaide devant des procureurs du roi qui ne l'ont jamais rencontré. Et donc on a une mission spécifique qui est de donner de la chair à ceux qui n'en ont pas. Et donc non seulement on est préposé à mettre en exergue la personnalité des gens, ce qui est comme un métier important, mais aussi je pense à égratigner le système. Donc moi je ne fais pas une seule plaidoirie, je pense, sans vouloir bousculer le magistrat qui, s'il a une routine, doit être... si peu que ce soit, déstabilisé dans ses convictions premières. Et donc, bien entendu, le chapitre sur la prison va trouver place là-dedans. Mais aussi peut-être le fait que l'enquête de police n'est pas au-dessus de tout soupçon, que le procureur du roi vient de répéter une série de choses, de vérités toutes faites qui ne sont pas correctes. Donc je pense qu'on doit ébranler l'édifice. Donc... à défaut de pouvoir le déconstruire complètement, je crois qu'on a une pertinence, petit à petit, à devenir impertinent, mais qu'on n'a pas forcément, quand on est jeune, la possibilité de le dire. Mais moi, maintenant, à mon âge canonique, je n'ai plus aucune réserve, donc je vais le dire. Et je crois que c'est important aussi pour le client que c'est été dit. Et pour moi, la seule chose qui compte, enfin, il y a quand même deux choses qui comptent. La première, c'est le résultat. Ça, c'est tout à fait clair, parce que... Seul le résultat compte pour le client, mais aussi quand même, malgré tout, même si le résultat n'est pas à la hauteur, et souvent il ne l'est pas, c'est que le client et le sentiment, je déteste le mot client, qui nous renvoie à l'orbite marchande, on n'est pas des marchands, mais enfin il n'y en a pas d'autres, il faudrait mieux dire, je ne sais pas, les patients, les patients c'est quand même plus honorifique, plus honorable, ou les assister, ce qui est souvent mon cas, parce qu'on travaille beaucoup pour la beauté du geste, et donc je pense que le... Le client doit avoir la conviction d'avoir été défendu. C'est important pour lui qu'il ait au moins le sentiment que quelqu'un a été son porte-parole et qu'il a exprimé mieux qu'il n'aurait pu le faire ce qu'il avait à dire. Donc c'est important. Je pense que la plaidorie est un moment magique quand on vous dit bon, bête d'ailleurs, allez-y Vous avez toute l'attitude de prendre le temps qu'il faut pour dire ce que vous avez à dire. Parfois, on a des moments de grâce où on a l'impression que… On enfonce dans le bouc, on est vraiment convaincant. Parfois, on cherche ses mots, on est maladroit, on se rend compte qu'on a mal embauché son système. C'est un exercice qui reste très casse-gueule parce que l'oralité des débats est le moment le plus important. Je ne crois pas du tout aux conclusions, au pénal, donc je ne crois pas du tout à la vertu de l'écrit. Je pense que c'est au moment de plaider qu'on fait la différence. Je pense que c'est la haute volonté et que la plupart du temps, ce qui me donne l'impulsion de départ, c'est de répliquer à ce que j'ai entendu, puisque j'ai la parole en dernier lieu. Donc, soit que le rapport que le juge a fait sur l'affaire, quelque part, me froisse un peu, soit que... Ce qu'a dit le prévenu lui-même, vous savez qu'on dit souvent que le meilleur ennemi de l'avocat, c'est son client. Donc on a rarement un client qui s'exprime bien et qui dit les choses qu'on voudrait qu'il dise. Souvent, il s'exprime mal, de façon très maladroite, et tout ce qu'il dit est retenu contre lui. Donc on a l'habitude de vouloir le museler, ce n'est pas une bonne idée, mais c'est un réflexe professionnel. Et donc souvent, on a envie de réparer, si vous voulez, les dégâts de ce qu'il a pu faire. Et alors le procureur du roi est en quelque sorte notre alter ego, mais c'est un peu un ennemi fantoche. C'est-à-dire que souvent, on a la conviction qu'il est à côté de la plaque, autant le dire. Et donc, on a envie aussi de répliquer. Donc la plaidoirie qui vient après est souvent inspirée largement par le... contradiction de ce qu'on a entendu. Maintenant, pour le reste, il faut juste avoir quelques notes et connaître son dossier. Ça, c'est clair, mais on ne voit pas, par exemple, les jeunes lisent leurs plaidoiries. Ça, c'est catastrophique parce que ça a un goût de réchauffer et donc ça n'est pas du tout vivant. Je crois que l'important, c'est la question de la parole vive. C'est comique parce que vous parlez de quelque chose que j'ai souvent exprimé pour moi, mais pour moi seul, je pense. J'ai souvent l'impression d'une sorte de dédoublement de la personnalité et que quand je plaide, je suis toujours en train de m'écouter plaider. Donc il y a comme une espèce d'arrière fond caché où je suis en train de m'observer, en train de dire ce que je suis en train de dire. Et donc ça c'est un gros défaut parce qu'on n'est jamais en direct, on est en espèce de différé qui est nuisible. C'est parce que peut-être que je me connais trop, donc ça c'est clair, donc je connais mes défauts. Effectivement, je pense que je suis assez jugeant de ma propre prestation. Cela dit, je pense que c'est aussi parce que, comme j'ai un arrière-fond, si je puis dire, consistant à être très critique par rapport au système, je dois quand même un peu édulcorer mon propos quand je plaide. J'ai plus de liberté quand j'écris que quand je plaide. Quand j'écris, je peux énoncer des horreurs. Je n'ai jamais été contrarié. À un moment donné, pendant quelques années, j'ai tenu la chronique judiciaire du Viflexpress. J'ai énoncé des choses terribles à l'égard des juges, des procureurs, du système en général, des lois. J'ai manifesté très peu de révérence par rapport aux gens de justice. Et donc même encore, dans la lettre à mes juges, la lettre aux procureurs, il y a des remarques assez cyniques. Je pense qu'en plaidoirie, on ne peut pas être aussi cynique. Donc on doit, malgré tout, quelque part, respecter les règles du jeu. Mon problème à moi, c'est que j'ai toujours eu un pied dedans, un pied dehors. Donc forcément, je suis à la fois, je considère, je suis à la fois dans le système et aussi en dehors du système. Et d'ailleurs, pour moi, ça a été... la porte de sortie si je puis dire, ou l'exutoire, parce que je pense que je n'aurais jamais pu faire ce métier aussi longtemps si je n'avais pas eu l'occasion et le droit d'en rendre compte. Et donc dès le début de mon stage, je me suis dit, mais dans quel jeu je joue ici ? J'ai envie de relater mon expérience. Et je pense que j'ai trouvé mon pied, si vous me pouvez dire, ou en tout cas que j'ai trouvé mon salut, je dirais plutôt ça, je ne prends pas mon pied, mais j'ai trouvé mon salut dans le fait de pouvoir à un moment donné diffuser mes sentiments, mes idées, mes convictions sur le système auprès d'auditoires extrêmement larges, que ce soit les étudiants ou que ce soit le public des grands médias. Donc ça pour moi c'est quelque chose qui fait partie viscéralement de mon parcours. Alors moi je suis à la fois un contre-exemple et peut-être quelque part un bon exemple. Donc comme je l'ai dit en début d'entretien, j'ai fait le droit sans... sans y avoir goût et j'ai commencé le barreau de façon accidentelle. Donc absolument rien ne me prédestinait à embrasser cette carrière-là. J'y ai trouvé mon compte pour des tas de raisons personnelles qui font que j'ai eu l'occasion, grâce à la faveur de rencontre, parce qu'on n'est pas responsable de grand-chose, et finalement on se rend compte... Au crépuscule de la vie, on se rend compte qu'on a surtout été le jouet de belles rencontres qui nous ont orientés. Donc il faut avoir de la chance dans la vie de trouver des personnes qui vous stimulent et qui vous servent un peu de tuteur. Donc ça, c'est important. Ça a été très important pour moi qui avais perdu mon père prématurément. Donc j'ai eu des gens sur lesquels j'ai pu compter qui m'ont vraiment donné goût à la chose. Une chose aussi très importante pour moi, c'est que c'était un métier de contact et que... Autant j'étais rivé sur mon nombril pendant toute ma jeunesse, autant le fait de m'occuper des problèmes des autres m'ont directement permis de relativiser très fort ce qui pouvait même arriver dans ma vie personnelle, et m'ont donné une impulsion décisive dans un métier qui a toujours fait sens pour moi. J'arriverais justement à dire qu'autant au départ le droit était quelque chose de rébarbatif pour moi, autant la façon dont on le pratique dans... Dans mon cas personnel, a correspondu finalement à une série de traits de personnalité que j'ai pu, grâce à ça, satisfaire. Notamment, j'ai toujours bien aimé écrire, mais j'aimais bien aussi, finalement, j'ai pris goût à la relation interpersonnelle. Mais autant dire, mon métier épuise mon sens social et quand je rentre chez moi, je souhaite juste la tranquillité. Donc je vis comme un troglodyte parce que de 8 à 20, je suis en consultation. Donc ce métier m'a satisfait parce que j'y ai trouvé du sens. Je pense qu'on doit autant que possible essayer de faire ce qu'on aime, ça c'est clair, de choisir déjà des études pour lesquelles on se sent une affinité, peut-être même une vocation. Je vais vous donner une anecdote, j'ai toujours bien aimé le théâtre, j'ai fait énormément de théâtre quand j'étais au collège. J'aurais bien voulu faire du théâtre, je n'avais pas le talent, mais quand j'ai eu 50 ans, j'ai créé ma propre troupe et depuis 15 ans, je joue au théâtre assidûment. Et donc j'ai fini par satisfaire ce goût du théâtre, mais tardivement. Et maintenant, là-dessus, je prends vraiment mon pied, parce que c'est un luxe pour moi. Mais la vie est très longue et elle donne l'occasion de faire beaucoup de choses sur le long terme. Donc dire aux jeunes, faites des choses pour lesquelles vous vous sentez une vocation ou en tout cas une affinité. Tâtez du terrain. Si vous vous sentez mal orienté, ça ne sert à rien de persévérer. J'ai beaucoup de cas de jeunes gens qui ont commencé le droit et qui en ont été très vite dégoûtés, pour des raisons que je peux comprendre, et qui ont fait toutes sortes d'autres choses. Je connais des tas d'exemples où on a fini par faire des cours de musique à des handicapés, ou des choses très alternatives, qui sont d'ailleurs beaucoup plus épanouissantes. Donc faites des choses qui vous épanouissent. Comptez sur votre chance parce qu'il y a beaucoup d'appelés, peu d'élus, c'est très difficile. Je ne voudrais pas être jeune aujourd'hui parce qu'on souhaite peut-être toujours être jeune, mais pour vous donner un chiffre, on est beaucoup plus nombreux au barreau qu'on l'était il y a 40 ans et je reçois à peu près tous les jours une demande de stage. Bien entendu, je ne serais pas satisfait à 200 demandes de stage par an, mais il y a beaucoup de demandes et peu d'offres. Donc les métiers deviennent difficiles parce qu'ils sont souvent surpopuleux. Et alors faites des choses qui ont du... même si vous ne choisissez pas, même si vous n'avez pas l'occasion de choisir ce qui aurait été votre premier choix. Faites impérativement des choses qui ont du sens pour vous, même si elles ne sont pas lucratives, mais au moins que vous ayez la satisfaction, quand vous rentrez chez vous, de vous dire que la journée n'a pas été stérile, que ça avait une raison d'être, que vous n'allez pas mourir idiot. Je pense que le principal à notre âge, j'ai 63 ans, C'est la préoccupation de me dire que tous les jours j'ai eu le choix de faire ce que je voulais faire et que je ne dois m'en prendre qu'à moi-même si je ne suis pas arrivé à ce que j'ambitionnais. Donc je pense que d'ailleurs il y a une congruence entre ce qu'on voulait être et ce qu'on finit par devenir parce que je crois qu'au principe il y a le fait que tous les matins où on se lève, en fait on est maître de son destin. Même si on a été défavorisé par le sort, notre liberté est foncière. Et donc, on doit en faire bon usage. Et donc, je pense qu'il est trop facile de se, comment dirais-je, de reporter ce qui nous arrive sur le méchant sort, et qu'on a absolument besoin de se poser tout le temps la question de savoir si ce qu'on fait a une utilité quelconque, soit pour soi, soit pour autrui, de préférence pour autrui, mais au moins qu'à la fin de sa vie, on ne doive pas se dire qu'on est passé à... à côté de sa vie, parce qu'on n'en a qu'une, et qu'il faut en faire bon usage.

Description

Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Dayez. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à devenir avocat et pourtant, il s'est trouvé une vocation, voire plutôt un exutoire...  

Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénal actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties.  

Selon ses propres mots, "l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien" et " pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance! "...  

Et de l'assurance il en a eu ! Dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qui l'avait accueilli pour s'installer dans "le vilain Schaerbeek " et créer son propre cabinet d'avocats.  

Mais nous ne parlerons pas que de droit dans cet épisode sous le tipi. Maître Dayez nous dit " que nous sommes maître de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons " même si vous le verrez, faire le barreau n'était pas sa vocation première.  

" Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres ".  

" Essaye des études " nous conseille Bruno Dayez  " et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin ". 

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Transcription

  • Arnaud

    Sous le Tipeee, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez, inspirez... Sous le Tipeee, un lieu où l'on vient écouter des démoignages professionnels inspirants. D'un côté, ceux qui ont vécu, ils racontent leur métier, leur parcours de vie, partagent leurs anecdotes, leurs philosophies et des conseils pour aider ceux de l'autre côté. Vous, chers auditeurs, en quête de vous-même. Sous le Tipeee, c'est la volonté de renouer avec une tradition... Orane, on s'assoit et on écoute. Bonjour chers amis et bienvenue sous le Tipeee. Aujourd'hui, nous écoutons Maître Bruno Daillé. Avocat, philosophe, écrivain, chroniqueur, essayiste et membre d'une troupe de théâtre. Absolument rien ne le prédestinait à faire le barreau. Et pourtant, il s'est trouvé une vocation, ou est-ce peut-être plutôt un exutoire. Il nous parle de droit et de l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuel. Pour lui, l'enjeu d'un procès est avant tout la réconciliation des parties. Selon ses propres mots, l'avocat au pénal sert rarement à grand chose et souvent à presque rien. Ou, pour faire du pénal, il faut beaucoup d'assurance. De l'assurance, il en a eu, car dès que son stage fut terminé, il quitta le cabinet qu'il avait accueilli. pour s'installer dans le vilain Scarbeck et créer son propre cabinet d'avocat. Mais nous ne parlerons pas que de droit. Maître Daillé nous dit que nous sommes maîtres de notre destin et de faire autant que possible ce que nous aimons. Même si, vous le verrez, le barreau n'était pas sa vocation première. Mais c'est au crépuscule de sa vie qu'on réalise qu'on a été le jouet de belles rencontres. Essayez des études, nous conseille Maître Daillé, et quand vous vous sentez mal orienté, changez de chemin. Il est maintenant temps de s'asseoir, d'ouvrir grand ses oreilles et de se laisser inspirer sous le tipi.

  • Bruno Dayez

    Moi je suis un juriste contrarié, donc j'ai fait le droit à reculons, c'était des études que je n'aimais pas, parce que le droit... conforte l'ordre établi parce que le droit est du côté des puissants et qu'il écrase les faibles. Et donc j'ai fait ces études à reculons parce que j'étais plutôt tenté vers la philosophie que j'ai également embrassé comme études. Et puis à la fin de mes études, mon père étant décédé prématurément et étant déjà marié très rapidement, il fallait trouver un exutoire. Et donc je suis allé sonner chez le voisin de ma femme qui était avocat. et qui m'a accueilli pour faire mon stage et je suis resté chez lui deux trois mois, guère longtemps, avant d'être débauché par un cabinet qui m'intéressait davantage parce que c'était l'antenne juridique d'ATD Carmonde. Donc c'est un des avocats qui avait une forte une forte pulsion militante et qui défendait les plus pauvres et donc ça, ça a été l'occasion de faire un vrai stage de quatre ans chez un avocat que pour laquelle j'ai encore beaucoup de révérence, qui s'appelle Georges Kerkov, et qui est d'ailleurs toujours très actif dans le mouvement ATD, quoiqu'il ait pris sa pension en tant qu'avocat. Mais ça a été un avocat qui avait beaucoup de convictions et qui les défendait avec cœur, donc c'était très emballant pour un jeune juriste. Mais donc je suis rentré au palais pour la première fois après ma prestation de serment, je n'avais jamais mis le pied au palais, et absolument rien ne me prédestinait à faire le barreau. Sur le pénal proprement dit, c'est pas compliqué à comprendre. Comme je suis philosophe plus que juriste, le pénal est une matière assez fascinante. D'une part c'est une très belle construction intellectuelle, donc c'était l'un des rares cours que j'aimais en tant qu'étudiant, parce que c'est une très belle mécanique où on parle d'intention, de volonté, etc. Donc de tas de concepts de conscience qui renvoyaient à la philo. Et parce qu'en tant que praticien, en fait les deux matériaux qu'on triture toute la journée sont des introuvables. c'est la vérité et la justice. Et donc le droit pénal, c'est beaucoup de faits et très peu de droits. Et donc ça m'intéressait aussi à ce niveau-là. Il ne fallait pas être un grand juriste pour pouvoir faire du pénal. Par contre, il fallait avoir une sensibilité, je pense, qui vous porte très fort vers l'humain. Et surtout, ça donnait l'occasion de belles envolées lyriques au sujet de ces horizons de sens inaccessibles que sont la vérité et la justice. Donc on peut gloser à l'infini sur ce qu'est par exemple une peine juste. Il y a beaucoup de plaidoiries qui portent essentiellement sur la peine, au fond, que mérite un type qui est en aveu d'avoir fait ce qu'on lui reproche. Et parfois, sur la vérité, quand il y a effectivement matière à débat pour savoir si la personne est coupable ou pas, c'est un exercice qui reste extrêmement passionnant parce qu'il suppose de déployer toutes nos facultés intellectuelles pour voir si le dossier tient la route, refait à la chronologie de l'enquête. se rendre compte du cheminement qu'ont suivi les autorités de poursuite et pouvoir se dire, là, il y a un problème, là, ça n'est pas correct. Il y a une espèce de billet qui fait qu'on arrive à la conclusion à laquelle on veut aboutir. Mais, somme toute, il y a des hypothèses concurrentes qui restent tout à fait plausibles. Et donc, il y a, surtout en matière de mœurs, par exemple, souvent matière à débat. Je suis arrivé au pénal difficilement parce que... la clientèle était squattée si je puis dire par quelques avocats beaucoup plus âgés que moi qui étaient donc plus chevronnés et qui, comme c'est toujours le cas actuellement d'ailleurs, étaient directement friands de ce qu'on pourrait appeler les affaires retentissantes, donc celles qui faisaient l'objet d'une médiatisation. Donc ce qui fait que les premières années de stage, on ne fait que du chien écrasé si vous me permettez l'expression. On traite concrètement du menu fretin dans le cadre de l'aide juridique, ce qu'on appelle communément le Prodeo. Et donc finalement, je suis arrivé au pénal après quelques années, par un autre biais, j'ai quitté mon cabinet à l'issue de mon stage pour m'installer dans ce qu'on appellerait le vilain scarbeck, donc le bas scarbeck. Et là, j'ai eu une clientèle qui était constituée à 99% d'étrangers, enfin de gens d'origine étrangère, qui avaient forcément tous les problèmes que rencontrent les étrangers. Donc le problème du séjour. J'ai drainé énormément de personnes qui étaient en séjour clandestin et qui forcément connaissent d'autres personnes qui ont des démêlés avec la justice et qui ont aussi des déboires familiaux. Ce qui fait que très rapidement, la recette a pris, si vous voulez. Donc comme on ne prête qu'aux riches, j'ai eu de plus en plus de personnes qui venaient d'origines diverses, mais qui avaient toujours des problèmes aussi bien liés à leur séjour que des problèmes pénaux et des problèmes familiaux. Ce qui fait qu'au total, j'ai drainé énormément de dossiers quantitativement qui m'ont valu de créer finalement une espèce de mini-entreprise où j'ai débauché. de plus en plus de collaborateurs pour arriver finalement à une équipe de 11 ou 12 personnes qui fonctionne encore toujours aujourd'hui après 40 ans, où en fait je dois pouvoir en quelque sorte répondre à toute détresse. Mais les premières affaires, oui, on est... Je dirais que moi le souvenir que j'en ai, c'est qu'on est très mal traité en tant que jeunes pénalistes. On n'est pas bien reçu par les tribunaux qui vous regardent avec une certaine... arrogance ou une certaine hauteur de vue. Et comme on n'est pas très... Forcément, on n'a pas beaucoup d'expérience, on commet forcément beaucoup d'erreurs et les résultats sont maigres. C'est d'ailleurs une carrière, si je puis dire, dans laquelle on est accoutumé à perdre. Pour faire du pénal, il faut avoir beaucoup d'endurance parce que on est souvent perdant. En fait, la plupart du temps, on ne fait que limiter les dégâts et on fait ce que moi j'appelle communément de l'accompagnement aux mourants, où on est aux soins palliatifs, autrement dit on limite la casse. Mais j'ai un jour osé dire dans un de mes articles que l'avocat au pénal servait rarement à grand chose et souvent à presque rien, ce qui m'a valu lire de plusieurs bâtonniers du pays. Mais pourtant, je suis profondément convaincu de ce que je dis. En fait, on est là pour accompagner quelqu'un. Et si je veux caricaturer de façon assez péjorative, on est là pour lui dire ce qui va lui arriver, on est là au moment où ça lui arrive, et on est là après coup pour lui dire, vous voyez bien, c'est ce que je vous avais prévu. est arrivé. Autrement dit, l'avocat est un être sans pouvoir qui fait de son mieux mais dans des combats souvent perdus d'avance et qui est là pour édulcorer la pilule, si vous voulez, et donc convaincre la personne qu'il vaut mieux souvent ne pas faire appel d'un mauvais jugement parce qu'il risque encore pire en degré d'appel. Donc le métier de pénaliste est un métier très déconcertant. Maintenant, il faut aimer l'adversité. L'adversité, soit elle vous rend combatif, soit elle vous abat complètement. Moi, j'ai eu pas mal de stagiaires qui ont rapidement compris ce que je voulais leur enseigner. Ils se sont rendus compte que mes analyses du système étaient cohérentes, qu'elles correspondaient à une réalité vécue, mais qui en ont été rapidement dégoûtées. On ne compte pas les jeunes avocats qui ont voulu faire du pénal parce qu'ils en avaient une image assez... comment dirais-je, resplendissante ou honorifique, en pensant qu'on allait redresser les torts et être seul contre tous. Mais c'est une imagerie un peu désuète. Et donc, quand on se colle à la réalité, on est forcément très déçu. Et on ne compte plus les avocats qui ont abandonné en cours de route. Moi, j'ai eu des stagiaires que j'estimais être de brillants sujets, mais qui sont partis paradoxalement au parquet. ou au siège. Donc j'ai pas moins de quatre substituts du procureur qui sont passés par mes griffes. Et donc pour moi, ça m'a toujours semblé déconcertant que des gens qui avaient fait profession de défendre finissent par faire profession d'accusé. Mais sans doute était-ce moins périlleux ou moins stressant ou profondément déprimant quand vous prenez le pli d'essuyer revers sur revers. Alors si je suis consulté, je reçois en principe une convocation à comparaître ou une invitation à être entendue par la police. Donc d'abord je briefe les gens sur ce qu'ils doivent savoir sur la façon dont la procédure fonctionne. Donc je leur donne le B.A.B. de façon assez didactique. Et puis s'ils veulent m'entretenir du fond de l'affaire, je les coupe tout de suite en disant que ça ne sert strictement à rien de les écouter. Ce qu'ils vont me dire va me sortir par l'autre oreille. dans mesure où on doit d'abord savoir ce qu'il y a dans le corps adverse. Donc il faut d'abord prendre connaissance du dossier. Donc on va scanner le dossier et puis une fois qu'on a examiné le dossier, on peut les revoir et alors discuter pied à pied. Alors le rapport de l'avocat à la vérité est très compliqué. Il est incompréhensible pour quelqu'un qui n'est pas du CERAI. Par exemple, on nous dit souvent, les questions qui nous sont posées, c'est est-ce que vous prêchez le faux en connaissant le vrai ? pure vue de l'esprit. En fait, nous ne connaissons pas plus le vrai que le grand public ou que le juge ou que le procureur. Nous n'avons pas un espèce d'accès privilégié à la vérité pour la simple raison que le client ne nous doit pas la vérité et que donc il est prudent de jamais la lui demander. En fait, on accorde foi à ce qu'il nous dit jusqu'à preuve du contraire, mais on n'en aura jamais le fin mot. Donc il est très, très rare que non seulement le type nous fasse des confidences, ça c'est banal. mais qu'on doive le croire sur sa bonne mine, ça appartient à la responsabilité de chacun. D'habitude, il faut quand même prendre ses distances. Alors, soit ce qu'il vous dit est implédable, parce que vous vous rendez compte qu'on se heurte à 36 choses et qu'on ne parviendrait jamais à en convaincre qui que ce soit. Dans ces conditions, vous essayez de lui représenter qu'il faut changer sa version des faits, puisque tout est suspéni, on pourrait y revenir dans une minute. Soit vous pensez que la personne qui va avoir face de vous est réellement sincère. Et vous vous dites que vous devez vous défaire de votre première impression qui était très négative à la lecture du dossier, et que vous devez relire le dossier autant de fois que nécessaire pour parvenir à vous persuader vous-même de ce dont vous allez devoir convaincre votre interlocuteur. Ça ne sert à rien d'aller au tribunal plaider des trucs dont vous ne soyez pas convaincu. Je n'ai pas dit des choses dont vous ne sachiez qu'elles soient vraies, puisque ça, je répète qu'on ne pourra jamais le savoir, mais des choses que vous n'ayez pas... de réticence à faire valoir. Je pense que l'avocat, avec l'expérience, apprend trois choses. Il apprend ce qu'il doit dire, ce qu'il ne doit pas dire et comment il doit le dire. Mais je pense aussi que plus fondamentalement, il doit être sincère avec lui-même. Mentir n'a de vertu que très limitée. Je pense que mentir n'amène à rien. Je pense qu'on peut peut-être dire des choses qui sont fausses en ne sachant pas qu'elles sont fausses. Mais le principal est d'en être convaincu.

  • Speaker #2

    D'abord on le tue, puis on s'habitue, on lui coupe la langue, on le dit compagné. Après sans problème, parle le deuxième, le premier qui dit la vérité. Il doit être exécuté. Le premier qui dit la vérité, Il doit être exécuté. J'affirme que l'on m'a proposé Beaucoup de chance.

  • Bruno Dayez

    J'adore cette chanson parce que le texte est somptueux, comme toutes les chansons de Guy Béard. La musique est un peu du style ritournel, donc c'est très vieillot. D'ailleurs, vous ne connaissiez pas Guy Béard, c'est moi qui vous ai appris son existence. Il vient de mourir, mais c'était pour moi l'équivalent des Brassens et des Ferré et des Brel. C'est un auteur à texte essentiellement qui a fait des choses vraiment magnifiques. Je vous invite à découvrir ses chansons les plus connues. La vérité, il y a une phrase dans cette chanson que je n'ai plus entendue depuis longtemps, mais qui dit, le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté, et après sans problème viendra le deuxième. Alors pour moi, ça a évidemment une connotation très personnelle, puisque étant l'avocat de Marc Dutroux, Christian Pannier a hébergé Michel Martin. Christian Pannier est un juge émérite, donc il était ancien président du tribunal de première instance de Namur. Et après sa retraite, lorsque Michel Martin a dû trouver un havre de tranquillité, il a offert de l'héberger chez lui. Ce qui était un acte de grande bravoure, parce qu'il habite dans une maison un peu moyenâgeuse avec un mur d'enceinte. Donc il était... un peu à l'abri de la vindicte, mais il n'y a pas échappé le pauvre homme. Et donc, bien sûr, ça a été un monceau d'injures, de lettres de menaces et peut-être de gens qui rôdaient autour de chez lui, en sorte qu'il a dû acheter deux grands chiens pour la garde. Mais donc, c'était un acte de grand courage. Et je dirais qu'il a fait preuve de vérité dans le sens où La vérité, ici, il faut l'entendre comme toute personne a droit à un moment donné, non pas au pardon, parce que seules les victimes peuvent l'accorder, mais a droit à sortir de prison. La prison est un mal pour un bien, donc la peine, sa meilleure définition, c'est que sa définition même en droit, c'est qu'elle a pour but la réhabilitation du condamné. Sinon, elle n'aurait pas de sens philosophiquement. Ce ne serait qu'une espèce de mouroir ou de torture chinoise, si vous voulez. A condamner les gens à une perpétuité réelle serait une abomination, comme je l'ai souvent dit. Et donc Christian Pannier a tracé une voie en disant, voilà, cette femme qui était vouée à la détestation populaire et à la haine, elle avait tout autant le droit que n'importe quel autre condamné à pouvoir à un moment donné recouvrer sa place dans la société libre. Donc c'est un exemple merveilleux de tout ce que... La religion catholique nous a tous enseigné quand on était petit, c'est-à-dire que tous les concepts liés à la rédemption, à la charité, à la miséricorde, à la résipiscence, à l'amendement, tous ces concepts naissent dans la religion dont nous sommes issus, dont toute notre histoire est tissée. Et donc, moi, je suis le deuxième, en l'occurrence. Je viens sans peine, après panier, en disant, pourquoi pas du trou ? Et donc cette chanson pour moi elle a eu forcément, vous l'avez compris, une répercussion importante dans ma façon d'envisager les choses. Que ce soit une question épineuse, c'est peut-être pour ça que mon éditeur a mis un chardon en couverture. Disons que ce que je dénonce évidemment au fur et à mesure de nombreux ouvrages, c'est l'impasse dans laquelle nous mène le système de justice pénale actuelle qui est en fait qui se résume à la question pour tout prévenu, prison ou pas prison et si oui pour quel délai. Donc le seul exutoire du système c'est la prison. Un peu comme j'utilise parfois cette image comme dans Tintin en Amérique. que vous mettiez sur le tapis roulant une vache ou Tintin, ils sortent tous sous la même forme d'une boîte de cornet de bif, dont seule la taille varie. Donc la solution qu'apporte la justice pénale au phénomène de la criminalité est une solution entièrement stéréotypée. Alors à cela vous ajoutez que la prison, dans son état actuel, est beaucoup plus toxique et délétère qu'elle n'est profitable à qui que ce soit. Puisque en fait c'est un mouroir la prison. Donc la prison c'est du temps vide qui ne sert strictement à rien, qui jette les gens dans la désespérance, donc les condamnés, au lieu d'être portés vers l'amendement, vers la prise de conscience de ce qu'ils ont fait, comme ils sont carrément laissés à eux-mêmes et qu'on les laisse en quelque sorte pourrir sur pied, se renforcent dans la conviction qu'ils sont en fait eux-mêmes. victimes d'une injustice parce que le traitement qu'on leur réserve est profondément indigne. Donc à partir du moment où ils ne sont pas respectés en tant qu'individus, ils se braquent en quelque sorte sur le sort qu'il leur est fait et ce n'est pas du tout propice à un amendement. Donc ça c'est une chose qu'il faut souligner. La prison n'assure pas non plus notre sécurité parce que comme c'est une école du crime et qu'on jette dans ce rebut toutes les personnes qui ont commis une quelconque infraction, finalement la seule chose qui les réunit, c'est d'avoir transgressé la loi. Mais ici, finalement, on met ensemble des pédophiles, des voleurs à la tire, des escrocs, des drogués. Donc c'est un doux mélange de gens qui ont chacun des parcours très chaotiques, mais qui ne présentent pas beaucoup de similitudes avec leurs voisins, sauf le fait que ce sont des écorchés de la vie qui sont passés par toutes sortes de... de ratages successifs et qui sont complètement désocialisés, déscolarisés. La population criminelle ou délinquante est en fait très homogène malgré la diversité des crimes. C'est toujours des gens qui ont le même profil puisque un écueil de la prison c'est qu'elle est terriblement inégalitaire et que ce sont toujours les mêmes qui y rentrent et d'autres qui n'y rentreront jamais selon la nature de leur délit. Mais donc cette population... qui végète en prison et qui est laissée livrée à elle-même dans l'attente d'une hypothétique libération, n'est pas du tout portée sur la prise de conscience, parce que les conditions de la détention sont totalement inhumaines. Donc il y a un état de surpopulation chronique, les prisons sont sales, elles sont dans un état de dépouillement qui les apparente presque à détournis. La plupart sont insalubres. L'Observatoire des prisons dénonce ce fait depuis des temps immémoriaux, mais nos prisons sont presque à l'égal des prisons du 19e. Donc en 200 ans, la réflexion n'a pas du tout évolué. Moi je dis qu'on peut et on doit priver de leur liberté un certain nombre de gens parce qu'ils constituent effectivement un danger pour les autres. d'une part, et d'autre part parce qu'il mérite une punition. Je ne suis pas hostile à la punition en tant que telle. Je pense que punir est une nécessité, parce que la société doit forcément réagir de façon ferme à la commission de certaines choses qui sont graves et en fait impardonnables. Cela étant dit, le temps de la détention doit être utile. Donc si on veut que la peine serve à quelque chose, il faut qu'on l'envisage autrement. Donc il faut qu'on révolutionne les prisons telles qu'elles existent. Donc... qu'une prison existe, d'accord, mais que ce soit simplement une oubliette dans laquelle on jette tous les problèmes sociaux comme s'ils n'existaient pas, exactement comme si l'on mettait la poussière sous le tapis, ça ne nous avance à rien. Donc je pense que chaque détenu, c'est la responsabilité de l'État, à partir du moment où il est incarcéré, doit être pris individuellement en charge et en fonction des problèmes qu'il a connus, voir comment on va les résoudre au cas par cas. Et donc ces gens méritent un suivi individualisé pour la simple raison que l'État les a privés de toute autonomie. Donc à partir du moment où ils sont incapables de se gérer eux-mêmes parce que... Ils sont privés de tout. Une privation de liberté, c'est une privation de tout. C'est une privation d'espace, c'est une privation de lumière, c'est une privation de liens sociaux, c'est une privation de liens familiaux, c'est une privation d'intimité. On peut multiplier les exemples à l'infini. Donc cette peine est une peine extrêmement dégradante. Elle transforme les gens en... en déchet, donc il faut être d'une endurance incroyable pour subsister à la prison, pour garder le sentiment de sa propre dignité. Donc tel que ça existe, pour moi c'est un traitement dégradant et inhumain. Si on respecte les gens en tant que personnes, si on leur assure, si on fait de cette peine quelque chose d'utile en offrant, c'est peut-être le mot qui sera mal reçu par le public, mais en... Oui, en offrant à chacun qui une formation, qui des soins, qui une autre forme appropriée d'accompagnement, il est évident qu'on fera bien plus œuvre utile. Alors sur le rapport, pour répondre à votre question, sur le rapport, enfin j'ai déjà répondu en grande partie, mais sur le rapport entre le coupable et la victime, absolument rien.

  • Arnaud

    n'existe dans le but de réparer. Donc, il n'y a aucun moment une espèce de mise en... de forme même édulcorée de contact par lesquels le coupable puisse demander pardon, par exemple, ce qui est très important. L'audience du tribunal n'est pas du tout une instance propice au pardon parce que les gens, quand ils sont pris dans la nasse, s'enfer souvent dans un déni absurde et conteste les faits. Or, comme je le disais dans ce petit livre, la victime est avant tout avide de reconnaissance de sa qualité de victime et de reconnaissance par le coupable de sa culpabilité. Et elle est friande du fait qu'il ne récidive pas. Donc elle est désireuse qu'il ne récidive pas. Mais je pense que si le procès était l'occasion d'une parole vive, où les gens puissent se parler et dialoguer, ou même si ça ne peut pas avoir lieu pendant le procès, qu'une telle instance soit organisée après coup, lorsque le condamné est condamné définitivement, et qu'il n'a plus de raison de contester sa culpabilité, plutôt que de continuer à se prendre lui-même pour une victime, on ferait très bien œuvre utile. J'ai vu un merveilleux documentaire tourné aux États-Unis, où en fait la victime ne peut pas avoir de contact avec le condamné. En l'occurrence, c'était la mère d'une jeune femme assassinée, et le type avait pris perpétuité. En États-Unis, 4 ou 5 000 personnes sont condamnées sans espoir de rémission, c'est-à-dire sans espoir de remise de peine, et donc savent qu'ils vont de toute façon décéder en prison, même s'ils doivent vivre centenaires. Donc ces gens n'ont aucune échappatoire, ils vont crever littéralement en prison. et ils ne peuvent avoir aucun contact avec la victime. Et en l'occurrence ici, cette femme assez remarquable avait fait des tas de démarches pour malgré tout correspondre avec l'assassin de sa fille, et ils avaient fini par nouer une relation épistolaire extrêmement profonde qui avait amené cet homme à, je crois, un repentir très sincère, et pour cette femme aussi à parvenir plus facilement à faire le deuil de ce qui lui était arrivé. Pour reprendre le cas de Dutroux, qui évidemment m'est très familier, je pense qu'il y a eu un ratage dans ce dossier, comme il y en a eu beaucoup, mais que par exemple, depuis très longtemps, on aurait dû entreprendre avec lui un travail, on aurait dû lui donner la possibilité d'avoir un contact, même indirect bien entendu, avec les familles. et que quelque chose se mette en place. Je suis dans le regret que ça n'ait pas eu lieu, parce que finalement tout le monde est enfermé dans sa souffrance. Les familles de victimes rongent leurs freins parce qu'elles n'auront jamais la vérité sur l'affaire. Elles pensent que ce procès a été biaisé. Elles ont raison de penser que des pistes ont été conduites délibérément par les autorités de justice et le condamner. moisie dans son espèce de marasme, à ne pas pouvoir sortir de son isolement. Donc chacun est mûré en quelque sorte dans sa propre souffrance, même si la souffrance de l'un n'est pas équivalente à celle de l'autre et qu'on ne peut pas les mettre en parallèle. Mais malgré tout, on est dans une impasse tant juridique qu'humaine et il est probable que chacun finisse par décéder dans le même état d'esprit. Les uns, peut-être... Je ne vais pas dire ivre de haine parce qu'ils ont toujours fait preuve d'une modération certaine, mais en tout cas quand même rongé par probablement une détestation très compréhensible vis-à-vis de l'auteur des faits. Et l'auteur des faits mûrait à la fois dans son déni, dans son silence et dans son incapacité finalement, parce que personne ne lui a aidé. prendre conscience de la gravité de ce qu'il a fait. Donc, si vous voulez, cette affaire-là illustre à merveille ce que je dénonce dans le livre, c'est-à-dire qu'il y aurait beaucoup mieux à faire par rapport à l'ensemble des condamnés qui tous, pratiquement tous sans exception, sont destinés à sortir de prison un jour ou l'autre. Donc, il faut que cela se prépare dès le moment où ils ont reçu leur peine et où cette peine est définitive et se réparer, effectivement. très important parce qu'ils n'ont pas perdu leur humanité, il n'y a pas de monstres, les monstres n'existent pas sauf dans les contes de fées, donc le fait d'être privé de sa liberté ne les dépouille, le fait d'avoir commis un crime ne les dépouille évidemment pas de leur humanité et je pense que le fait qu'aucun face à face, même organisé avec soin avec la victime, qu'aucun face-à-face n'ait jamais lieu est problématique. Je vous donne encore un exemple vécu. J'ai été le conseiller il y a quelques années de quelqu'un qui avait été condamné. à la cour d'assises, à 20 ans de prison si ma mémoire ne me trompe pas, pour avoir tué un membre des forces de l'ordre lors d'une course poursuite. Et puis voilà qu'arrive le moment du tribunal d'application des peines où on voit arriver la veuve dont la peine était incommensurable. Donc la tristesse était incommensurable, elle avait perdu son époux, elle avait des enfants et elle voyait en face d'elle un jeune, encore relativement jeune, qui allait vraisemblablement sortir. Et donc, que ce face-à-face soit organisé uniquement au moment où il avait demandé et était sous le point d'obtenir sa conditionnelle, c'était à mon avis extrêmement frustrant pour l'un et pour l'autre. Donc que cette discussion qui était très franche n'ait jamais pu avoir lieu précédemment, moi je le regrette. Je trouve qu'il faudrait absolument revoir ce système. Et notamment, je l'ai dit aussi au stade du procès, que la victime soit souvent absente. C'est un manque que le tribunal ne puisse pas entendre dans tous les cas ce que la victime a à lui dire, même si c'était dans une phase préparatoire au procès à laquelle pourrait assister l'avocat pour éviter que la victime ne se trouve néanmoins avec l'auteur des faits si elle ne le souhaite pas. Mais je trouve que la victime a voix au chapitre et que dans le système actuel, finalement, le système... n'est pas attentif à la parole de ceux que l'affaire concerne. Le système fonctionne à vide, de façon assez mécanique, mais finalement les grands absents du procès sont la victime et même le prévenu qui se demande souvent de qui on parle et qui a l'impression que les débats passent au-dessus de sa tête. Donc il y a un ratage global de l'enjeu du procès qui devrait être dans l'idéal de permettre... par l'infliction d'une peine, une forme de réconciliation, que les gens arrivent à faire la paix d'abord avec eux-mêmes, et puis idéalement entre eux. Mais donc, voilà, ça, ça dépasse peut-être les... Je pense que ça, là, est la vocation de la justice au sens philosophique, et que, comme on fonctionne de façon complètement... mécanique, avec une routine qui ne se dément jamais. On arrive à des formes de procès totalement stéréotypées qui aboutissent à un résultat connu d'avance. Donc ça ne nous avance pas à grand-chose. Un auteur français, un sociologue français qui a étudié la prison pendant cinq ans avec toute une équipe, parle de l'ombre du monde. Il parle de la part obscure du châtiment. Il explique que quand on prive quelqu'un de sa liberté, tout le monde consent. en fait à la cruauté de la prison. Et en fait le paradoxe c'est que tous les films de fiction, les oeuvres de fiction sous la prison, décrivent systématiquement l'inhumanité de la prison et ce qu'on appelle l'enfer carcéral. Et donc aussi bien le spectateur adhère à ces oeuvres de fiction en disant bon Dieu, oui, c'est une honte en quelque sorte, c'est un enfer autant la population reste... extrêmement hostile à ses propres détenus comme si la réalité ne correspondait pas à la fiction. Or la réalité correspond à la fiction. Je dirais que les films qui concernent la prison sont en fait extrêmement réalistes et pas du tout excessifs dans leur description de cet enfer. Et donc vous me demandez si d'autres systèmes... Oui, dans d'autres systèmes on a vidé la prison, on a beaucoup plus accès sur la prévention. On a beaucoup plus accès sur des modes alternatifs de règlement des conflits. Moi, je pense que je suis souvent saisi. Maintenant, j'ai forcément, comme tous les pénalistes, j'ai beaucoup de faits de violence intraconjugale. Que se passe-t-il dans la pratique ? Quand j'ai un type qui est détenu ou qui doit passer devant le tribunal pour avoir boxé sa femme, ce à quoi je n'adhère pas, bien sûr, donc je ne l'excuse pas ni ne l'absous, ce n'est pas mon rôle d'ailleurs, mais qui me consulte dans 9 cas sur 10, la plaignante qui souhaite soit se désister de sa plainte, on lui explique que ce n'est plus elle qui dirige la manœuvre mais que c'est le parquet qui a pris le relais, soit, en tout cas, veut faire preuve d'une indulgence, que le tribunal n'est pas prêt à admettre. Donc, il arrive souvent que le parquet soit plus catholique que le pape et réclame une sanction sévère là où, en fait, la victime a déjà pardonné. Bon, est-ce qu'on a à gagner à faire de ces procès une espèce de grand barnum, si vous voulez, donc avec des audiences publiques ? Moi, je pense qu'il y a un grand nombre de procès pénaux qui, sous prétexte que c'est du droit public, et qui doivent se passer devant un public parce qu'on a peur que la justice se passe en catimini, moi je pense qu'il y a un grand nombre d'infractions qui mériteraient plutôt d'être jugées dans un sénacle beaucoup plus confidentiel, en l'absence d'un public dont je ne vois pas ce qu'on a à y gagner. Pour autant que le type soit défendu, il y a une contradiction des débats. Si on veut un public, on devrait pouvoir le demander. Si on n'en veut pas, on n'est pas obligé de l'avoir. Si personne n'en demande, même pas l'avocat de la défense, c'est que ça n'a pas d'utilité. Et vous savez, tout est... Tout conditionne le résultat en matière pénale. Le fait qu'on plaide en robe, le fait que chacun parle à son tour, le fait que chacun parle à sa place. Tout ça correspond à des normes qui règlent le cours du procès et en déterminent l'issue. L'issue du procès est souvent prédéterminée à cause de sa structure. Si on devait plaider en tenue bourgeoise, comme on est maintenant, autour d'une table, à discuter simplement d'un éventail de solutions possibles, On se rendrait compte qu'il existe des tas d'autres solutions que purement punitives. Chez nous, il existe la médiation pénale, elle est totalement, totalement sous-employée. Donc la médiation pénale consiste à envoyer le dossier sur une voie de garage, si je puis dire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de poursuite, pour autant qu'un assistant de justice, mandaté par le procureur, parvienne à trouver un arrangement sur la façon dont la personne va en fait se laver de tout reproche en effaçant l'ardoie, si vous voulez. Donc en... en payant le prix de son forfait et en payant sa dette à l'égard de la victime. Donc cette conception de la médiation, on pourrait la multiplier, je ne vais pas dire à l'infini, mais dans un très grand nombre de moindres délits. Même pour des cambriolages, un jour j'ai été cambriolé, je dirais que la police n'a pas fait grand-chose faute d'indice, mais je pense que ma frustration... Ça a été simplement de ne pas avoir en face de moi le visage de mon cambrioleur et de pouvoir lui dire son fait en disant que c'était vraiment con et en lui demandant de s'excuser pour ce qu'il avait fait. Et à la rigueur de me promettre, même si c'est une promesse de Gascons, de ne pas rééditer son exploit. Donc je pense qu'il y a plein de dossiers comme ça qui relèvent de ce qu'on appelle la petite ou la moyenne délinquance urbaine. qui aurait intérêt à être traité sous un angle non purement, d'emblée, strictement punitif, qui n'avance en fait à rien. Parce que je pense que ça n'aide pas ceux qui ont été les protagonistes du drame à leur propre reconstruction. D'où le fait qu'il y a ce que j'ai appelé dans un autre livre un triangle vert ou rouge, je ne sais plus ce que j'ai utilisé, c'est-à-dire que ce qui est profitable... au condamné est certainement profitable à la victime et indirectement profitable à la société. Donc ça veut dire qu'une justice plutôt soft, qui permet à la personne de retomber sur ses pattes et d'avoir le vœu de se reconstruire, est certainement plus salutaire, si vous voulez, qu'une justice où on cogne dur et où les gens s'endurcissent dans leur conviction que la société leur en veut. qu'ils ont raison de se poser en ennemis publics. C'est un métier dans lequel on est censé bienveillir, c'est-à-dire qu'on a une pyramide des âges qui s'inverse. Quand j'étais jeune, je plaidais devant des magistrats qui étaient très impressionnants, qui devaient avoir au moins deux fois mon âge, qui me donnaient l'impression d'avoir le triple, donc qui étaient très hautains et très impressionnants. Donc c'est assez déstabilisant forcément, et des gens, des procureurs généraux qui... qui étaient drapés dans leur dignité. Maintenant, je suis beaucoup plus vieux que la plupart des magistrats devant lesquels je plaide. Et j'ai pour moi, je pense, d'avoir derrière moi une longue habitude d'écrire. Quand j'étais en deuxième année de stage, j'ai commencé d'écrire sur la justice, et ça ne m'a jamais quitté. Donc, mon premier article, en 1983, s'appelait De la vérité judiciaire et c'est un thème qui n'a pas arrêté de me hanter. Et donc, depuis lors, des centaines d'articles ont suivi, qui sont, je pense, fort lus dans le serail. Et donc, j'ai une espèce de... Je pense que je suis considéré comme quelqu'un qui est sincère, qui est authentique. Et les magistrats ont un certain respect pour ça, même s'ils ne partagent pas mes convictions. Je pense aussi qu'ils savent ce que je pense et que c'est très important pour moi qu'ils savent ce que je pense parce que je consacre une bonne partie de mes plaidoiries à dire ce que je pense. Et je pense que l'intérêt de ce métier en final, c'est d'arriver exactement à dire ce qu'on pense sans tergiversation et sans avoir peur de ne pas être entendu. En fait, on a... la mission de dire ce qu'on a à dire même si on sait qu'on ne sera pas forcément entendu. Mais au moins les choses seront dites, c'est très important parce qu'on est les seuls à le dire. Donc l'avocat a une spécificité, il est le seul à connaître au moins un peu la personne dont il parle. Il faut savoir que quand on plaide, on plaide devant des juges qui n'ont jamais rencontré le suspect ou le prévenu, on plaide devant des procureurs du roi qui ne l'ont jamais rencontré. Et donc on a une mission spécifique qui est de donner de la chair à ceux qui n'en ont pas. Et donc non seulement on est préposé à mettre en exergue la personnalité des gens, ce qui est comme un métier important, mais aussi je pense à égratigner le système. Donc moi je ne fais pas une seule plaidoirie, je pense, sans vouloir bousculer le magistrat qui, s'il a une routine, doit être... si peu que ce soit, déstabilisé dans ses convictions premières. Et donc, bien entendu, le chapitre sur la prison va trouver place là-dedans. Mais aussi peut-être le fait que l'enquête de police n'est pas au-dessus de tout soupçon, que le procureur du roi vient de répéter une série de choses, de vérités toutes faites qui ne sont pas correctes. Donc je pense qu'on doit ébranler l'édifice. Donc... à défaut de pouvoir le déconstruire complètement, je crois qu'on a une pertinence, petit à petit, à devenir impertinent, mais qu'on n'a pas forcément, quand on est jeune, la possibilité de le dire. Mais moi, maintenant, à mon âge canonique, je n'ai plus aucune réserve, donc je vais le dire. Et je crois que c'est important aussi pour le client que c'est été dit. Et pour moi, la seule chose qui compte, enfin, il y a quand même deux choses qui comptent. La première, c'est le résultat. Ça, c'est tout à fait clair, parce que... Seul le résultat compte pour le client, mais aussi quand même, malgré tout, même si le résultat n'est pas à la hauteur, et souvent il ne l'est pas, c'est que le client et le sentiment, je déteste le mot client, qui nous renvoie à l'orbite marchande, on n'est pas des marchands, mais enfin il n'y en a pas d'autres, il faudrait mieux dire, je ne sais pas, les patients, les patients c'est quand même plus honorifique, plus honorable, ou les assister, ce qui est souvent mon cas, parce qu'on travaille beaucoup pour la beauté du geste, et donc je pense que le... Le client doit avoir la conviction d'avoir été défendu. C'est important pour lui qu'il ait au moins le sentiment que quelqu'un a été son porte-parole et qu'il a exprimé mieux qu'il n'aurait pu le faire ce qu'il avait à dire. Donc c'est important. Je pense que la plaidorie est un moment magique quand on vous dit bon, bête d'ailleurs, allez-y Vous avez toute l'attitude de prendre le temps qu'il faut pour dire ce que vous avez à dire. Parfois, on a des moments de grâce où on a l'impression que… On enfonce dans le bouc, on est vraiment convaincant. Parfois, on cherche ses mots, on est maladroit, on se rend compte qu'on a mal embauché son système. C'est un exercice qui reste très casse-gueule parce que l'oralité des débats est le moment le plus important. Je ne crois pas du tout aux conclusions, au pénal, donc je ne crois pas du tout à la vertu de l'écrit. Je pense que c'est au moment de plaider qu'on fait la différence. Je pense que c'est la haute volonté et que la plupart du temps, ce qui me donne l'impulsion de départ, c'est de répliquer à ce que j'ai entendu, puisque j'ai la parole en dernier lieu. Donc, soit que le rapport que le juge a fait sur l'affaire, quelque part, me froisse un peu, soit que... Ce qu'a dit le prévenu lui-même, vous savez qu'on dit souvent que le meilleur ennemi de l'avocat, c'est son client. Donc on a rarement un client qui s'exprime bien et qui dit les choses qu'on voudrait qu'il dise. Souvent, il s'exprime mal, de façon très maladroite, et tout ce qu'il dit est retenu contre lui. Donc on a l'habitude de vouloir le museler, ce n'est pas une bonne idée, mais c'est un réflexe professionnel. Et donc souvent, on a envie de réparer, si vous voulez, les dégâts de ce qu'il a pu faire. Et alors le procureur du roi est en quelque sorte notre alter ego, mais c'est un peu un ennemi fantoche. C'est-à-dire que souvent, on a la conviction qu'il est à côté de la plaque, autant le dire. Et donc, on a envie aussi de répliquer. Donc la plaidoirie qui vient après est souvent inspirée largement par le... contradiction de ce qu'on a entendu. Maintenant, pour le reste, il faut juste avoir quelques notes et connaître son dossier. Ça, c'est clair, mais on ne voit pas, par exemple, les jeunes lisent leurs plaidoiries. Ça, c'est catastrophique parce que ça a un goût de réchauffer et donc ça n'est pas du tout vivant. Je crois que l'important, c'est la question de la parole vive. C'est comique parce que vous parlez de quelque chose que j'ai souvent exprimé pour moi, mais pour moi seul, je pense. J'ai souvent l'impression d'une sorte de dédoublement de la personnalité et que quand je plaide, je suis toujours en train de m'écouter plaider. Donc il y a comme une espèce d'arrière fond caché où je suis en train de m'observer, en train de dire ce que je suis en train de dire. Et donc ça c'est un gros défaut parce qu'on n'est jamais en direct, on est en espèce de différé qui est nuisible. C'est parce que peut-être que je me connais trop, donc ça c'est clair, donc je connais mes défauts. Effectivement, je pense que je suis assez jugeant de ma propre prestation. Cela dit, je pense que c'est aussi parce que, comme j'ai un arrière-fond, si je puis dire, consistant à être très critique par rapport au système, je dois quand même un peu édulcorer mon propos quand je plaide. J'ai plus de liberté quand j'écris que quand je plaide. Quand j'écris, je peux énoncer des horreurs. Je n'ai jamais été contrarié. À un moment donné, pendant quelques années, j'ai tenu la chronique judiciaire du Viflexpress. J'ai énoncé des choses terribles à l'égard des juges, des procureurs, du système en général, des lois. J'ai manifesté très peu de révérence par rapport aux gens de justice. Et donc même encore, dans la lettre à mes juges, la lettre aux procureurs, il y a des remarques assez cyniques. Je pense qu'en plaidoirie, on ne peut pas être aussi cynique. Donc on doit, malgré tout, quelque part, respecter les règles du jeu. Mon problème à moi, c'est que j'ai toujours eu un pied dedans, un pied dehors. Donc forcément, je suis à la fois, je considère, je suis à la fois dans le système et aussi en dehors du système. Et d'ailleurs, pour moi, ça a été... la porte de sortie si je puis dire, ou l'exutoire, parce que je pense que je n'aurais jamais pu faire ce métier aussi longtemps si je n'avais pas eu l'occasion et le droit d'en rendre compte. Et donc dès le début de mon stage, je me suis dit, mais dans quel jeu je joue ici ? J'ai envie de relater mon expérience. Et je pense que j'ai trouvé mon pied, si vous me pouvez dire, ou en tout cas que j'ai trouvé mon salut, je dirais plutôt ça, je ne prends pas mon pied, mais j'ai trouvé mon salut dans le fait de pouvoir à un moment donné diffuser mes sentiments, mes idées, mes convictions sur le système auprès d'auditoires extrêmement larges, que ce soit les étudiants ou que ce soit le public des grands médias. Donc ça pour moi c'est quelque chose qui fait partie viscéralement de mon parcours. Alors moi je suis à la fois un contre-exemple et peut-être quelque part un bon exemple. Donc comme je l'ai dit en début d'entretien, j'ai fait le droit sans... sans y avoir goût et j'ai commencé le barreau de façon accidentelle. Donc absolument rien ne me prédestinait à embrasser cette carrière-là. J'y ai trouvé mon compte pour des tas de raisons personnelles qui font que j'ai eu l'occasion, grâce à la faveur de rencontre, parce qu'on n'est pas responsable de grand-chose, et finalement on se rend compte... Au crépuscule de la vie, on se rend compte qu'on a surtout été le jouet de belles rencontres qui nous ont orientés. Donc il faut avoir de la chance dans la vie de trouver des personnes qui vous stimulent et qui vous servent un peu de tuteur. Donc ça, c'est important. Ça a été très important pour moi qui avais perdu mon père prématurément. Donc j'ai eu des gens sur lesquels j'ai pu compter qui m'ont vraiment donné goût à la chose. Une chose aussi très importante pour moi, c'est que c'était un métier de contact et que... Autant j'étais rivé sur mon nombril pendant toute ma jeunesse, autant le fait de m'occuper des problèmes des autres m'ont directement permis de relativiser très fort ce qui pouvait même arriver dans ma vie personnelle, et m'ont donné une impulsion décisive dans un métier qui a toujours fait sens pour moi. J'arriverais justement à dire qu'autant au départ le droit était quelque chose de rébarbatif pour moi, autant la façon dont on le pratique dans... Dans mon cas personnel, a correspondu finalement à une série de traits de personnalité que j'ai pu, grâce à ça, satisfaire. Notamment, j'ai toujours bien aimé écrire, mais j'aimais bien aussi, finalement, j'ai pris goût à la relation interpersonnelle. Mais autant dire, mon métier épuise mon sens social et quand je rentre chez moi, je souhaite juste la tranquillité. Donc je vis comme un troglodyte parce que de 8 à 20, je suis en consultation. Donc ce métier m'a satisfait parce que j'y ai trouvé du sens. Je pense qu'on doit autant que possible essayer de faire ce qu'on aime, ça c'est clair, de choisir déjà des études pour lesquelles on se sent une affinité, peut-être même une vocation. Je vais vous donner une anecdote, j'ai toujours bien aimé le théâtre, j'ai fait énormément de théâtre quand j'étais au collège. J'aurais bien voulu faire du théâtre, je n'avais pas le talent, mais quand j'ai eu 50 ans, j'ai créé ma propre troupe et depuis 15 ans, je joue au théâtre assidûment. Et donc j'ai fini par satisfaire ce goût du théâtre, mais tardivement. Et maintenant, là-dessus, je prends vraiment mon pied, parce que c'est un luxe pour moi. Mais la vie est très longue et elle donne l'occasion de faire beaucoup de choses sur le long terme. Donc dire aux jeunes, faites des choses pour lesquelles vous vous sentez une vocation ou en tout cas une affinité. Tâtez du terrain. Si vous vous sentez mal orienté, ça ne sert à rien de persévérer. J'ai beaucoup de cas de jeunes gens qui ont commencé le droit et qui en ont été très vite dégoûtés, pour des raisons que je peux comprendre, et qui ont fait toutes sortes d'autres choses. Je connais des tas d'exemples où on a fini par faire des cours de musique à des handicapés, ou des choses très alternatives, qui sont d'ailleurs beaucoup plus épanouissantes. Donc faites des choses qui vous épanouissent. Comptez sur votre chance parce qu'il y a beaucoup d'appelés, peu d'élus, c'est très difficile. Je ne voudrais pas être jeune aujourd'hui parce qu'on souhaite peut-être toujours être jeune, mais pour vous donner un chiffre, on est beaucoup plus nombreux au barreau qu'on l'était il y a 40 ans et je reçois à peu près tous les jours une demande de stage. Bien entendu, je ne serais pas satisfait à 200 demandes de stage par an, mais il y a beaucoup de demandes et peu d'offres. Donc les métiers deviennent difficiles parce qu'ils sont souvent surpopuleux. Et alors faites des choses qui ont du... même si vous ne choisissez pas, même si vous n'avez pas l'occasion de choisir ce qui aurait été votre premier choix. Faites impérativement des choses qui ont du sens pour vous, même si elles ne sont pas lucratives, mais au moins que vous ayez la satisfaction, quand vous rentrez chez vous, de vous dire que la journée n'a pas été stérile, que ça avait une raison d'être, que vous n'allez pas mourir idiot. Je pense que le principal à notre âge, j'ai 63 ans, C'est la préoccupation de me dire que tous les jours j'ai eu le choix de faire ce que je voulais faire et que je ne dois m'en prendre qu'à moi-même si je ne suis pas arrivé à ce que j'ambitionnais. Donc je pense que d'ailleurs il y a une congruence entre ce qu'on voulait être et ce qu'on finit par devenir parce que je crois qu'au principe il y a le fait que tous les matins où on se lève, en fait on est maître de son destin. Même si on a été défavorisé par le sort, notre liberté est foncière. Et donc, on doit en faire bon usage. Et donc, je pense qu'il est trop facile de se, comment dirais-je, de reporter ce qui nous arrive sur le méchant sort, et qu'on a absolument besoin de se poser tout le temps la question de savoir si ce qu'on fait a une utilité quelconque, soit pour soi, soit pour autrui, de préférence pour autrui, mais au moins qu'à la fin de sa vie, on ne doive pas se dire qu'on est passé à... à côté de sa vie, parce qu'on n'en a qu'une, et qu'il faut en faire bon usage.

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