- Speaker #0
Super Docteur, c'est le podcast des médecins généralistes. Le podcast qui vous transmet les recommandations de bonne pratique et les résultats des grandes études qui vont changer vos habitudes. Super Docteur, c'est la découverte de méthodes de soins innovantes et des interviews de soignants inspirants qui boosteront votre motivation. Un contenu court et pratique, chaque semaine, pour tous les médecins. Bienvenue dans Super Docteur, le podcast des médecins généralistes. Aujourd'hui, nous allons lever le voile sur un mode d'exercice médical méconnu, fascinant et pour certains même mystérieux, la médecine en milieu carcéral. Soigner en prison, c'est évoluer dans un environnement unique où se mêlent défis médicaux, contraintes de sécurité et enjeux éthiques. Pour explorer ce sujet, j'ai l'immense honneur d'accueillir le docteur Béatrice Carton, médecin généraliste en prison depuis plus de 20 ans, chef de service des unités sanitaires des prisons de Bois-d'Arcy et de Versailles et président de l'association des... professionnel de santé et exerçant en prison. A travers son livre collectif « Les soins en prison, quelle réalité derrière les murs ? » , mon invité partage son expérience précieuse et son engagement pour une médecine plus humaine et équitable en milieu carcéral. Dans cet épisode, nous découvrirons comment s'exerce la médecine en prison, quelles pathologies dominent dans ce contexte et comment les soignants s'adaptent face aux défis qu'ils rencontrent chaque jour. Mon invité me partagera ses anecdotes médicales dans ce milieu unique et nous transmettra des conseils riches de son expérience singulière. Bonjour Béatrice.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Merci beaucoup d'avoir accepté mon invitation, chère Béatrice. Est-ce que tu peux, s'il te plaît, succinctement te présenter et puis présenter à nos auditrices, nos auditeurs, ton activité, s'il te plaît ?
- Speaker #1
Donc, Béatrice Carton, je suis médecin généraliste. J'ai exercé quelques années, très peu, à l'hôpital en tant qu'assistante. dans un service de médecine interne. Et puis, j'ai rejoint le milieu pénitentiaire dans les prisons de Bois-d'Arcy et de Versailles, dans lesquelles je suis rentrée en 2001, le 11 septembre 2001, très exactement. Et j'y suis restée jusqu'à aujourd'hui.
- Speaker #0
Très bien. C'est un milieu qui est assez fascinant, je le disais, un peu mystérieux. Est-ce que tu peux me dire les principales particularités de l'exercice de la médecine en prison ? par rapport à une activité classique en cabinet ou à l'hôpital ?
- Speaker #1
Ne pas avoir d'a priori pour pouvoir travailler en milieu pénitentiaire. Il faut, je pense, être ouvert d'esprit, avoir envie de découvrir et être prêt à partager avec les personnes qu'on croise. C'est un exercice en collaboration, puisque c'est un exercice en équipe avec des infirmières, des secrétaires. tout un tas de professionnels. Et c'est le côté particulièrement intéressant de l'exercice, c'est-à-dire que c'est un exercice à la frontière entre un exercice hospitalier et un exercice en ville, puisqu'on exerce avec d'autres professionnels, en collaboration avec d'autres professionnels. Et on rencontre des tas de gens plus ou moins intéressants, mais qui ont toujours des choses à nous apporter.
- Speaker #0
C'est-à-dire que tu as un... bureau de consultation dans la prison, c'est ça ?
- Speaker #1
Oui. Alors, l'exercice en milieu pénitentiaire est très varié d'un lieu à un autre. Il y a 187 établissements pénitentiaires en France et donc autant d'unités en France. Ce sont des unités qui dépendent de l'hôpital, d'un hôpital de rattachement proche en général de l'établissement pénitentiaire et c'est l'intégralité de l'équipe qui est détachée dans la prison, dans des locaux. dans la prison. Donc, les exercices sont très variés. On peut avoir des équipes qui évoluent dans un milieu neuf, agréable, avec plein de bureaux, et on a d'autres équipes qui vont évoluer dans des locaux vêtus, des petites salles de consultation. Voilà. Donc, c'est très, très variable selon les lieux, mais c'est de toute façon un lieu identifié au sein de l'établissement pénitentiaire avec... Un bureau, un bureau, des salles de soins, quelquefois des salles de radiologie, des salles dentaires. Voilà, en fonction de l'importance du service.
- Speaker #0
D'accord. Et donc, tu soignes, j'imagine, exclusivement des prisonniers, à priori. Ils prennent rendez-vous. Comment ils se débrouillent pour consulter le docteur ? Est-ce qu'ils en parlent aux surveillants ? Comment se passe ton recrutement, en fait ?
- Speaker #1
Alors, oui. Oui, c'est une très bonne question parce que ça paraît évident quand je vais le dire, mais avant, pas beaucoup. En fait, il n'y a pas de téléphone. Donc, en tout cas, les détenus n'ont pas de téléphone, donc ils ne téléphonent pas à leur médecin pour prendre rendez-vous. Il y a tout un système, une organisation mise en place qui est identique pour le coup à peu près partout. Les détenus peuvent écrire pour une demande de consultation. Cette demande de consultation est mise dans une boîte aux lettres à leur étage, qui est fermée à clé, dont il n'y a que les soignants qui possèdent la clé. Et le courrier est ramassé tous les matins pour pouvoir prendre en compte les demandes des personnes détenues. En plus de ça, s'ajoutent les personnes qui ont une pathologie chronique qu'on va vouloir suivre et à qui nous, on va donner des rendez-vous, donc d'une consultation à l'autre. Monsieur un tel qui a un diabète, je vous revois dans un mois, je lui donne son rendez-vous. Les rendez-vous donc demandés et puis tous les rendez-vous, les éventuels... urgence pour laquelle la personne détenue va signaler au surveillant qui, lui, va téléphoner dans le service pour informer que, je ne sais pas, telle personne a du mal à respirer, il faut qu'on l'avoue.
- Speaker #0
Très bien. Est-ce que tu as accès au dossier médical, évidemment, mais le dossier administratif, est-ce que tu sais les délits qu'ils ont commis, tes patients, ou pas forcément ?
- Speaker #1
Alors... Quand les personnes rentrent en détention, elles sont en général accompagnées d'une notice d'un juge dans laquelle il peut y avoir le motif d'incarcération, mais pas toujours. Mais c'est possible. Je ne regarde pas le dossier quand il est disponible parce que je considère que ça met un frein à la relation avec le patient en ville, ou à l'hôpital d'ailleurs. Quand on rencontre quelqu'un, On ne connaît pas vraiment sa vie personnelle, on ne sait pas ce qu'il a fait, on ne sait pas d'où il vient. Et c'est le patient qui choisit de nous donner certaines informations. Donc je considère qu'en détention, c'est la même chose. Il vient dans le cabinet médical, il me dit ce qu'il a envie de me dire. Alors c'est un peu théorique parce que c'est vrai qu'il peut arriver qu'on ait besoin non pas de savoir pourquoi il est là, mais pour combien de temps il est là. On va les prendre en charge du premier jour de leur entrée en détention jusqu'au jour de leur sortie. Mais ce n'est pas tout à fait la même chose si la personne reste une semaine, ou si ce qui arrive, ce qu'on voit quelquefois, ou s'il reste dix ans. Donc, bien évidemment, il arrive qu'on pose la question, plutôt que de savoir pourquoi vous êtes là, pour combien de temps vous êtes là.
- Speaker #0
C'est intéressant. t'obliges à ne pas t'enquérir de ces informations, du motif d'incarcération pour tous tes patients, sauf quand tu le lis, quand il y a la notice qui est inscrite.
- Speaker #1
Oui, oui. En revanche, si eux veulent m'en parler, c'est un autre problème. C'est leur démarche. Ils ont quelque chose, ils ont certainement un message à me faire passer là-dedans, donc je l'accueille, mais je ne leur pose pas la question. La question serait différente si tu me... si tu l'avais posé à un de mes collègues psychiatres, bien évidemment, puisque eux travaillent sur ce qui a amené la personne en détention, ce qui l'a amené à être ce qu'elle est aujourd'hui. Et donc, le passage à l'acte, en général, en fait partie. Mais moi, je n'ai pas besoin de savoir.
- Speaker #0
Très bien, très bien. Donc, je rappelle que tu fais de la médecine générale, c'est ça ? Oui, oui. Est-ce que tes consultations se déroulent comme à l'extérieur, j'ai envie de dire, avec le même matériel, le même... personnel ou est-ce que c'est différent ? Est-ce que tu as des particularités dans ce milieu-là par rapport à la vie, l'hôpital ?
- Speaker #1
L'idée, c'est de faire exactement la même chose à l'intérieur qu'à l'extérieur. Je ne devrais pas avoir de différence. Après, je suis médecin dans un service hospitalier. J'ai le matériel que l'hôpital veut bien me donner. Autant dire que ce n'est pas forcément le matériel dernier cri, bien évidemment, mais ça peut peut l'être aussi. En revanche, on a une exigence, c'est j'ai pris l'habitude, enfin j'ai appris quand j'ai commencé dans ce milieu-là, à avoir un bureau sur lequel il n'y a pas de choses qui puissent être déplacées. Voilà. J'ai un ordinateur, bien sûr, mais je ne vais pas avoir, par exemple, de pot à crayon, je ne vais pas laisser traîner. des bistouri je vais pas laisser traîner voilà je ne laisse pas on ne laisse pas traîner de matériel Mais après, on a bien évidemment le même matériel que celui dont on a besoin dans un cabinet. Et il arrive très fréquemment qu'on fasse, par exemple, des points de suture, des gestes. On a tout le matériel, voilà. Mais on ne va pas le laisser. On va être vigilant, plus exactement, au fait de ne pas le laisser traîner, de ranger. Moi, on m'apprend à ranger. Formidable.
- Speaker #0
C'est une bonne école de la vie. Exercez en prison. Est-ce que, par exemple, parfois, tu es escorté par quelqu'un de la sécurité ? Si tu as un patient connu pour des états de fait de violence, par exemple, qui vient dans ton cabinet, est-ce que parfois tu es protégé par quelqu'un ?
- Speaker #1
Alors ça, c'est important. Dans nos unités, on a, en règle générale, si elles sont suffisamment grandes, des surveillants pénitentiaires qui sont dédiés à l'unité. Ça s'appelle des... postes fixes donc c'est toujours les mêmes surveillants qui sont dans l'unité et eux sont chargés de la sécurité à l'intérieur de l'unité. En revanche quand on voit quelqu'un en consultation, il est seul avec nous en consultation, la porte est fermée pour des raisons évidentes de confidentialité. Il arrive que certaines personnes soient une étiquette on va dire de personnes dangereuses et dans ces cas là on peut peut nous dire qu'il va falloir qu'on voit cette personne avec des moyens de contrainte. Les moyens de contrainte, en règle générale, c'est des manottes. Ou bien le surveillant peut rester. Alors, à titre personnel, en tout cas dans l'unité, je n'ai jamais de surveillant présent, quel que soit le niveau de dangerosité de la personne en question. J'estime que le surveillant peut être de l'autre côté de la porte, donc vraiment très près. que je suis capable d'élever le ton s'il y a besoin. Donc, je n'ai pas besoin qu'il soit dans la pièce. D'autant que la personne, même dangereuse, peut avoir besoin de me dire des choses que les surveillants n'ont pas à entendre. Donc, voilà. Concernant les moyens de contrainte, pareil, à titre personnel, je m'y oppose. Je peux comprendre que parfois ce soit compliqué. Et en revanche, il y a actuellement... une tendance de la part des surveillants pénitentiaires d'augmenter un petit peu la pression pour qu'on examine des gens dans des conditions de sécurité. Les mesures sécuritaires augmentent et on nous demande d'en tenir compte. Si on travaille dans ce milieu-là pour prendre en charge les gens comme à l'extérieur, je trouve qu'il faut les prendre en charge comme à l'extérieur.
- Speaker #0
Très bien. Donc tu me rapportes que les moyens de sécurité augmentent, les règles augmentent. J'imagine que c'est parce qu'il y a eu auparavant des problèmes. Est-ce que toi-même, tu t'es déjà sentie en insécurité dans ton travail, par exemple ?
- Speaker #1
Alors, je ne me suis jamais sentie plus en insécurité dans le service depuis 20 ans que je n'ai pu l'être ni dans un service hospitalier, ni aux urgences de l'hôpital. Aux urgences de l'hôpital, on est bien plus en insécurité qu'on ne peut l'être. en travaillant en milieu pénitentiaire.
- Speaker #0
C'est clair.
- Speaker #1
Voilà. En milieu pénitentiaire, on a l'habitude de... Normalement, on a une petite lumière qui s'allume dans le cerveau et qui dit, bon, a priori, on doit faire attention. Quand on est aux urgences de l'hôpital, on accueille, j'allais dire, le tout venant, c'est pas très joli, mais bon, on n'a pas préparé à faire attention.
- Speaker #0
Bravo, vous êtes bien arrivés à la fin de cette partie. La suite vous attend dans le prochain épisode. Pour ne rien manquer de Superdocteur, pensez à vous abonner dès maintenant à ce podcast. Si vous aimez mon travail, le meilleur moyen de me soutenir, c'est d'en parler autour de vous, à vos consoeurs ou vos confrères. Enfin, un petit geste qui fait une grande différence. Laissez-moi une belle note de 5 étoiles sur votre application de podcast préférée. Ça m'encourage énormément et ça aide d'autres médecins à découvrir Superdocteur et partager ensemble des idées pour améliorer nos soins et enrichir nos pratiques. A très vite sur le podcast !