- Speaker #0
Super Docteur, c'est le podcast des médecins généralistes. Le podcast qui vous transmet les recommandations de bonne pratique et les résultats des grandes études qui vont changer vos habitudes. Super Docteur, c'est la découverte de méthodes de soins innovantes et des interviews de soignants inspirants qui boosteront votre motivation. Un contenu court et pratique, chaque semaine, pour tous les médecins. Bon le roi à tous et bienvenue dans Superdocteur, et cette semaine j'ai eu l'honneur de recevoir à nouveau Bastien Jeunet, doctorant en épidémiologie clinique et chef de clinique en santé publique, qui nous a développé l'importance de s'indigner quand on est médecin ou chercheur. Dans le premier épisode, Bastien nous a exposé le contexte de polycrise actuelle et pourquoi il était nécessaire de se révolter. Et dans ce deuxième épisode, je vous propose d'aborder le comment, comment faire en pratique pour s'indigner, refuser l'inacceptable. Comme d'habitude, sachez que toutes les ressources mentionnées dans cet épisode plus encore sont envoyés dans une superbe newsletter bien travaillée que je vous envoie chaque fin de semaine. Regardez, vous pouvez vous inscrire gratuitement et sans spam, le lien est dans les notes de cet épisode. Je vous souhaite une excellente écoute. Concrètement, explique-moi, donc tu viens de me dire qu'il fallait le partager aux patients, qu'on pouvait s'investir dans des actions sociales, dans le monde associatif, qu'il fallait s'assumer comme des médecins, des chercheurs humanistes, pour ne pas laisser faire ce qu'on estime intolérable. Il faut s'indigner. Il faut maintenant agir. Alors explique-moi concrètement comment un médecin peut-il s'engager en
- Speaker #1
2025 ? Écoute, je vais te parler de moi-même. C'est grand plaisir.
- Speaker #0
Allonge-toi, Bastien.
- Speaker #1
Ça sera concret. C'est ça, exactement. Non, c'est comme je vous disais. En tant que médecin, c'est des petits gestes de la vie quotidienne. C'est tout bête, mais c'est comme je vous disais, lors de consultations, des patients qui... Il faut faire comprendre aux patients que nous, on essaie de rattraper des choses dans un système qui n'est pas favorable à un bon soin. Et ça, je pense que c'est fondamental de leur dire en consultation, dès qu'il y a une plainte ou une perche qui est tendue, en disant « Oui, mais bon, vous n'êtes plus de médecin, il n'y a plus assez de médecins, vous vous rendez compte, j'ai mis six mois pour vous voir. » Il ne faut pas hésiter à dire aux gens « Descendez dans la rue avec nous pour que ça change. » Et ça, c'est quelque chose qu'on a perdu, on l'a vu avant le Covid, par exemple. Il y avait des patients dans les manifestations pour le système de soins. Il n'y en a plus eu depuis. Il n'y en a plus du tout, parce qu'on peut discuter de l'encadrement des manifestations et de l'engagement des gens, mais c'est un premier truc. Je pense qu'il y a un truc fondamental qu'il faut faire comprendre aux gens que la santé, ce n'est pas le médecin qui l'a fait, c'est eux. Et ça, nous, on les aide, mais c'est à eux d'être actifs dans ce processus-là. Après, dans la vie de médecin, il y a tout simplement essayer de... De s'investir de cette manière, mais ce qui est fondamental, comme je vous disais, c'est, moi, il y a des moments où je me prends des pauses, où je lis des choses qui n'ont rien à voir avec la médecine, rien à voir avec la société, parce que sinon, ce n'est pas possible, on ne peut pas tenir dans la durée. Et ça, c'est un truc rapporté par plein de copains que j'ai eus dans le milieu militant, là-dessus, où, en fait, on se fatigue. On se fatigue, on a l'impression de se battre sans résultat, et il faut parfois savoir souffler. Mais ça, ça marche pour tout, pas que le côté indignation.
- Speaker #0
La diastole.
- Speaker #1
Voilà, exactement. Et après, pour les chercheurs, je ne sais pas, moi, par exemple, je fais beaucoup de recherches qualitatives où je vais parler à des patients. J'implique des patients dans des protocoles de recherche. On fait beaucoup de recherches pédagogiques. En fait, finalement, dans la recherche, on peut faire de la recherche sur, je ne sais pas, moi, par exemple, de la formation des soignants pour éviter l'ayatrogène médicamenteux chez les patients âgés. En fait, c'est un peu cliché parce que ça fait un peu développement personnel. Mais il faut rendre les gens qui sont dans le... dans le parcours de soins acteurs de ça. Et je pense qu'on a trop donné de responsabilités aux médecins, ce qui est une erreur parce qu'on n'est franchement pas les, je pense, les plus nécessaires. Ça, c'est la vision du gériatre, mais on est là pour guider et pour être conseillé, pour conseiller les choses, avoir une vision globale, mais on n'est pas là. Je ne pense pas qu'on est les acteurs les plus indispensables. Et donc, il faut redonner le pouvoir aux soignants, mais pas que médicaux, et aux patients. Et ça, ça marche dans la recherche et dans la médecine, je pense, globalement. tout en se protégeant soi. Je sais que les médecins généralistes sont beaucoup plus d'avance que les spécialistes là-dessus parce qu'ils savent analyser leur propre santé mentale la plupart du temps, mais c'est fondamental si on veut tenir dans la longueur parce que les gens qui sont en face, eux, savent tenir dans la longueur.
- Speaker #0
Très bien. Tu veux dire que quand on est chercheur, une manière de s'engager, c'est de choisir son domaine de recherche ?
- Speaker #1
Ça peut être ça, oui. Alors moi, c'est un choix personnel. Et en vrai, pour être honnête, c'est difficile parce que c'est de la recherche qui est profondément sous-évaluée, malheureusement, dans le milieu de la recherche. Alors, ça commence à changer. Il y a des mouvements parce qu'en fait, il y a tout simplement le concept d'impliquer les patients dans leur prise en charge qui est quand même de plus en plus à la mode. Parce qu'on se dit que c'est quand même bien de demander l'avis des gens, mais c'est quand même un pan de recherche qui est compliqué. Après, il y a aussi des moyens de s'investir. Autre, notamment, je vous parlais de scientifiques en rébellion, qui est une association super, très orientée sur l'environnement. Mais il y a aussi cette façon, cette posture. Je pense qu'au-delà du sujet de recherche, il y a une posture à avoir qu'on peut assumer en disant « Oui, en fait, moi, j'ai mes valeurs, j'ai mes représentations. Sur ce sujet-là de société, je pense ça. Mais moi, ce que je dis en tant que chercheur, c'est que je me suis documenté avec ces références-là. Et voilà ma conclusion. » Et je pense que dès le moment où, en fait, on dit ses valeurs et on donne ses sources, en fait, en quoi on est critiquable ? Moi, ce qui me paraît critiquable, c'est de donner son avis sans sourcer, ce qui est en train de se passer à longueur de temps sur les plateaux télé qu'on peut voir, je n'en jeterai pas le nom des chaînes, mais c'est ça, on invite des experts qui ne citent rien, qui ont leur représentation personnelle et qui, en fait, finalement, disent des choses infâmes et qui sont pourtant politiquement assez engagées, d'un côté particulier, sans sourcer. Donc, pourquoi pas, nous ? lutter, enfin moi je vais dire le mot, je me suis retenu de le dire, mais lutter contre ce truc du wokisme. Typiquement, c'est un truc qui a été très décrit, ce concept de chercheur de gauche engagé wokiste qui fait la morale, ben oui. Et en fait, on se rend compte que finalement quand on discute avec des gens pour qu'ils définissent ce que c'est que le wokisme, il n'y a pas de définition. Ils ne savent pas définir ce que c'est. Et c'est bien la preuve que en fait, ça ne tient pas debout, cette théorie. Donc il ne faut pas lâcher, il faut continuer quand on est accusé de faire ça. qu'on soit de droite ou de gauche, mais il faut assumer ce concept de dire je suis chercheur, je suis humaniste, je travaille pour le bien, et oui, je ne suis pas wokiste, parce que ça n'existe pas. Moi, je pense que le droit chemin, c'est ça. Et tant pis si ça ne vous plaît pas.
- Speaker #0
Et quel regard portes-tu sur tes confrères qui sont à l'opposé de ton spectre politique, qui veulent faire exactement de la recherche comme toi, mais avec des sentiments... opposées ou contraires ou aux valeurs que tu estimes contraires aux tiennes ? Est-ce que tu penses qu'ils doivent poursuivre là-dedans ?
- Speaker #1
Est-ce que tu penses que c'est une bonne chose ? Moi, ça ne me dérange pas. J'ai déjà discuté typiquement le truc un peu cliché sur le sujet. Ça pourrait être la vision qu'on va donner. Typiquement, je ne vous parlais du bouquin de la valeur santé. En fait, il y a plusieurs visions qu'on peut décider de donner à un système de soins et à comment gérer ce problème d'adéquation ressources. Mince. Ressources et demandes et besoins. Et typiquement, il n'y a pas plus tard que ce week-end, je discutais avec un copain à moi qui est chirurgien, qui n'a pas du tout la même vision que moi, qui a une vision très utilitariste, un peu à l'américaine, en disant en fait, ce que tu as, c'est ce que tu as obtenu par ton travail. En fait, tu mérites d'être mieux soigné parce que tu as travaillé pour ça. Et c'est une vision que je respecte, qui n'est pas la mienne, que je respecte. Et en fait, finalement, c'est une vision qu'on peut décider d'adopter au niveau sociétal. Moi, ce que je reproche, ce n'est pas finalement de penser ça. Ce que je reproche, c'est que les gens qui pensent différemment... ne le disent pas. Et ça, c'est un truc qui se constate en fait. On le voit aujourd'hui, l'ère médiatique, elle est complètement saturée par une certaine vision des choses. En fait, finalement, les gens qui pourraient contredire restent un peu entre soi, dans des milieux militants un peu extrêmes et ne visent pas à viser le grand public et à contredire vraiment et à partager leurs idées au plus grand nombre. Donc limite, j'en veux plus à moi, mes collègues qui pensent comme moi et qui ne prennent pas la parole qu'à des personnes comme ça.
- Speaker #0
C'est très bien. Merci. Tout à fait, Migné, avec toi. C'est-à-dire qu'on peut penser ce que l'on veut. L'important, c'est de le manifester, de le partager, de l'affirmer et puis surtout de l'assumer. Bastien, quel conseil tu donnerais aux médecins et chercheurs qui veulent s'engager mais qui ne savent pas par où commencer ?
- Speaker #1
Alors, à l'heure de ce spoil, il y a forcément un petit moment de dépression. La question, c'est au bout de combien de temps ? Non, mais je pense que ce qui est... En fait, c'est un peu bête, mais en fait, suivez votre instinct, c'est-à-dire qu'on est quand même des gens qui ont fait des études assez longues, qui ont été en contact avec le fait de savoir lire des choses scientifiques, des choses établies. Et donc, en fait, si vous, vous sentez que ce que vous pensez est quand même globalement quelque chose qui est soutenu par des choses que vous avez lues, des livres que vous avez lus, des articles... que vous avez lu, etc., en fait, suivez votre instinct. Parce qu'a priori, vous n'avez pas vu ça, que ça s'entende n'importe où. Et après, comment s'engager ? C'est le problème de l'engagement militant. C'est qu'en s'engageant en tant que militant, on se met un peu à risque aussi. Donc, c'est accepter de... Je vais vous dire un truc très personnel. Allez, vas-y, on y va. Je prends un exemple. Ma compagne, qui est médecin généraliste, on a souvent ces discussions ensemble parce qu'on n'est pas du tout au même niveau. de la réflexion. Elle, elle est très dans une phase de constat qu'on a à peu près les mêmes valeurs, mais elle, elle a encore ce blocage de se dire, en fait, moi, m'engager, ça me met... Ça me met en danger, en fait, parce que je vais exprimer des choses sur la sphère publique et prendre un danger que des gens me disent « Non, tu dis n'importe quoi » ou « Sois violent envers moi » ou quoi que ce soit. Et bon, des multiples discussions, on n'a toujours pas eu la solution, mais en fait, je pense que c'est l'urgence. Moi, ce qui a vraiment fait que plus en plus, on se rejoint là-dessus et on devient de plus en plus militants tous les deux, entre guillemets, c'est qu'en fait, il y a une situation qui est très urgente. Et ça, je pense que c'est plus une question de... d'avoir peur de se mettre en danger, puisqu'il faut se mettre en danger. Parce que si on ne se met pas en danger maintenant, on risque d'arriver dans des périodes qui vont être vraiment trop tard et qui vont être très extrêmes. Et ça, le problème, c'est que certes, ça se fait dans un pays beaucoup en ce moment, mais ça commence à avoir une tendance générale dans plein d'autres pays, notamment en Europe. Et plus on va aller vers cette notion de « je pense que je peux m'opposer, ce n'est pas grave » , plus on va élargir l'acceptable. C'est typiquement ce qui est décrit dans... dans la série, une série canale. Ah mince, je ne me rappelle plus du nom.
- Speaker #0
Tu parles de la fenêtre d'Oberton. Oh,
- Speaker #1
la fenêtre d'Oberton, c'est ça.
- Speaker #0
Une idée extrême, le fait qu'elle soit simplement mentionnée à un moment de l'histoire, quelques années plus tard, elle va être de moins en moins extrême pour rentrer dans le domaine de l'acceptable.
- Speaker #1
C'est exactement ça. Et ça, en fait, c'est ça, par exemple, qui a convaincu ma compagne de s'engager plus. C'est le fait qu'on commence à être vraiment dans une urgence sur cette fenêtre, parce qu'il y a des choses... qu'on n'entendait pas avant, mais même en termes juste de scientificité, des choses qui étaient inacceptables il y a 10 ou 15 ans deviennent totalement acceptables parce que juste, on a déjà tardé au fait de juste dire qu'on n'était pas d'accord ou s'indigner sur certaines choses.
- Speaker #0
Tu penses à quel sujet, par exemple ? Sans le détailler, mais le thème de la climatique que tu mentionnes ?
- Speaker #1
En termes scientifiques, tu veux dire ? Ouais. Je ne sais pas. Allez, soyons fous. Je vais m'attirer les fous dès que je vais être bloqué des réseaux sociaux. Mais tout ce qui était les théories qui ont été faites pendant le Covid, notamment par Donald Trump, des choses qui étaient inacceptables, qui ont été dites sur... On a quand même vu des gens pendant le Covid boire de l'eau de Javel pour lutter contre le Covid parce que le président de la République avait dit ça à ce moment-là. Et son conseiller ou son ministre de la Santé derrière s'est tiré une tronche pas possible en disant « Mais qu'est-ce qui est en train de se passer là ? » Et il y a quand même des gens aux États-Unis qui ont bu de l'eau de Javel, qui se retrouvent aux urgences parce qu'ils ont fait ça. Et c'est un exemple cliché, encore une fois. Et c'est très facile de résumer ça, mais c'est des choses comme ça.
- Speaker #0
Tu fais bien de le rappeler. Indignons-nous, assumons-nous, indignons-nous et participons à l'activité, à l'actualité scientifique et médicale de notre pays. Je te remercie infiniment, Bastien. C'était passionnant comme toujours. Est-ce que tu veux nous dire, dernier mot pour la fin, nous dire un mot de soutien pour nos confrères, nos consoeurs, nous dire où est-ce qu'on peut te retrouver. Et je rajoute simplement, avant de te dire au revoir, que le super récap, la newsletter du podcast sort tous les vendredis. Je vous mets le lien dans les notes de l'épisode, vous pouvez vous y abonner et je vais notamment rapporter toutes les sources que nous avons mentionnées dans ce podcast. Merci,
- Speaker #1
Bastien. De rien. Non, non, j'ai juste à dire que courage. La médecine, c'est un métier difficile, mais c'est un métier passionnant et on a... au moins nous la chance d'avoir les outils intellectuels et les outils autres pour s'en sortir. Donc il ne faut pas qu'on oublie qu'on les a et qu'on peut décider de comment on exerce, notamment dans son attitude, et que la période n'est pas facile, et que je pense très fort à ceux qui malheureusement sont amenés à travailler dans des conditions difficiles. Et ça, n'oubliez pas que vous êtes gardien de vous, votre propre pratique, et qu'il faut décider des choses pour vous aussi personnellement dans votre pratique, qui sont bonnes pour vous, et qu'il ne faut pas oublier de s'indiquer. C'est très important. C'est le truc le plus fondamental. Et si vous voulez vous indigner justement encore plus de fois, rejoignez le compte critique ton article sur Instagram où on s'indigne pas mal de manière générale.
- Speaker #0
Vous allez le mentionner derrière le compte critique ton article sur Instagram qui est un compte de santé publique où tu donnes notamment plein de conseils de LCA et plein de conseils pratiques pour décrypter l'actualité scientifique. Compte de grande qualité, Bastien Jeunet.
- Speaker #1
Merci beaucoup.
- Speaker #0
A bientôt. Merci, Bastien.
- Speaker #1
Salut.
- Speaker #0
Bravo, vous êtes bien arrivé à la fin de cet entretien. J'espère qu'il vous a inspiré et apporté des clés utiles pour votre pratique. Pour ne rien manquer des prochains épisodes de Superdocteur, pensez à vous abonner dès maintenant. Si mon travail vous plaît, parlez-en autour de vous, à vos consoeurs, vos confrères et même à vos internes. Et si vous voulez me soutenir, laissez-moi une belle note de 5 étoiles sur votre application de podcast préférée. C'est rapide, ça m'aide énormément et surtout ça permet à d'autres médecins de découvrir ce contenu pour que l'on partage ensemble nos idées et améliorer nos pratiques. Merci pour votre écoute. et à très bientôt !