undefined cover
undefined cover
Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne" cover
Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne" cover
Zélie - Le Podcast

Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne"

Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne"

26min |06/03/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne" cover
Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne" cover
Zélie - Le Podcast

Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne"

Épisode 31. Hélène Michon : "Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne"

26min |06/03/2024
Play

Description

Normalienne, agrégée et docteur en littérature, Hélène Michon ne se prend cependant pas trop au sérieux. On le constate dès cette confidence sur un rêve de petite fille : « Quand j’étais enfant, je me disais : "Si jamais je ne trouve pas de mari, au moins, j’aurai un chenil !" ».

C’est avec un souci de transmettre son savoir avec clarté et simplicité qu’Hélène Michon, maître de conférences en littérature française à l’université de Tours, spécialisée dans le XVIIe siècle, nous parle des auteurs qui la passionnent.

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Hélène Michon nous fait entrer d’abord dans l’univers de Blaise Pascal, auquel elle a consacré sa thèse ; mais aussi celui de François de Sales ; ou encore de femmes telles que Marie de l’Incarnation, ursuline de Tours partie évangéliser le Québec, et dont on peut lire la correspondance avec son fils. Elle évoque aussi Louise de La Vallière, maîtresse de Louis XIV pendant 6 ans, puis passant 36 ans au carmel, avec la rédaction d’un petit traité sur la miséricorde de Dieu.

Hélène nous explique : « Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Cela m’intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes - ou ces auteurs, ou ces œuvres - qui s’expliquent par la foi. Je pense qu’il y a aujourd’hui un grand manque de connaissance spirituelles, et qu’on a un vrai patrimoine d’auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux, le Christ illumine toute chose. Du point de vue intellectuel, cela a donné des œuvres qui sont magistrales ! »
Bonne écoute !

Découvrir le numéro de mars 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie93

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin et chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com Dans le numéro de mars 2024, nous parlons du combat spirituel, un thème qui peut nous parler plus ou moins, mais qui finalement nous concerne tous, puisque dès lors qu'il y a effort dans la vie spirituelle, dans la fidélité à la prière par exemple, c'est qu'il y a combat. Nous vous laissons découvrir ce sujet passionnant dans le numéro de mars 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Hélène Michon, qui enseigne la littérature française à l'université de Tours. Ses thèmes de recherche principaux sont Blaise Pascal, François de Sales ou encore l'écriture mystique. Hélène, bonjour !

  • Hélène Michon

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Hélène Michon

    Alors, je crois qu'enfant, j'avais le souci d'avoir beaucoup d'amis, d'aimer les autres et d'être aimée. Et je me souviens que, petite fille, je me disais que si jamais je ne trouvais pas de mari, eh bien j'aurais un chenil avec beaucoup de chiens, parce que je me disais qu'au moins les animaux nous regardent toujours affectueusement. Voilà, ça c'était un rêve d'enfant, avoir beaucoup d'animaux près de moi.

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous avez toujours aimé la littérature ?

  • Hélène Michon

    Alors la littérature comme ça au sens strict, je ne sais pas. Ce qui est vrai c'est que j'ai toujours aimé lire et je passais beaucoup de temps à lire aussi bien à Paris qu'à la campagne. Et pour moi le livre était vraiment une manière de m'évader et j'oubliais tout, je rentrais dans l'histoire. Je suis bon public en fait et donc la fiction m'a toujours plu. Le cinéma aussi mais avec quand même une prédilection pour les livres. qui laisse plus de place à l'imagination, je trouve.

  • Solange Pinilla

    Vous avez intégré l'école normale supérieure Rudulme à Paris. Est-ce que vous avez peut-être une anecdote à nous raconter sur ces années à l'ENS ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je ne sais pas si c'est exactement le cas encore aujourd'hui, mais à l'époque, quand j'ai intégré la rue d'Ulm, ce qui m'a beaucoup frappée, c'était le silence de la bibliothèque. Mais c'était quelque chose d'impressionnant, il y avait beaucoup d'enseignants qui venaient travailler, et en fait on osait, moi j'osais à peine marcher dans les couloirs, parce que c'était du parquet, c'était vraiment une bibliothèque à l'ancienne, et c'était incroyablement silencieux. Je garde ces années de... d'école, l'aura de la bibliothèque. On trouvait beaucoup de choses, on trouvait beaucoup de profs en train de travailler, on trouvait un silence digne des monastères.

  • Solange Pinilla

    Agrégée de lettres modernes, vous avez publié une thèse sur Blaise Pascal. Qu'est-ce qui vous touche en particulier chez Pascal, dont nous avons fêté l'année dernière les 400 ans de la naissance ?

  • Hélène Michon

    Alors ce qui m'a tout de suite frappée chez Pascal, émue, c'est son désir de conversion universelle. C'est-à-dire qu'il vit pour que les autres connaissent Jésus-Christ. Et pour lui, en dehors de Jésus-Christ, il n'y a rien, il n'y a pas de solution possible, même des solutions intermédiaires ou humaines. Tout se centre en Jésus-Christ. Donc je trouvais que cette unité donnait une incroyable force à son œuvre. Et puis c'est joint à une analyse de la nature humaine qui à mon avis est très contemporaine, qui nous parle, puisque Pascal fait état de l'inquiétude, de l'ennui. une sorte de vague à l'âme, qui pour lui sont des nostalgies de Dieu. Entre le fait qu'il est très contemporain et en même temps que c'est puissant, c'est vrai que c'est une pensée, une œuvre qui m'a tout de suite séduite.

  • Solange Pinilla

    Il y a un médecin japonais, Takashi Nagai, qui s'est converti au catholicisme en 1934 après avoir lu notamment les pensées de Blaise Pascal. Racontez-nous.

  • Hélène Michon

    Oui, alors je l'ai lu comme tout le monde, mais il y a un certain nombre d'années, mais je me souviens que ce japonais, en fait, lisait en même temps l'évangile et les pensées de Pascal. Et ça a pris, de mémoire, je crois que sa conversion a pris deux ou trois ans. Donc c'est quand même, il y a une réflexion. Et ce qui l'a frappé chez Pascal, c'est que d'une part, il a découvert le génie scientifique. Lui qui était médecin, radiologue, ça l'a beaucoup frappé de voir que c'était un homme qui accordait beaucoup de choses à la raison. La foi n'était pas à la place de la raison. Et puis après, ce qui l'a frappé, c'est notamment une pensée de Pascal, dans laquelle Pascal dit qu'il y a assez de lumière pour ceux qui veulent croire, et assez d'obscurité pour ceux qui ne le veulent pas. et cette dimension de la volonté ou du désir dans l'acte de foi ça a beaucoup touché Tagashi Nagai parce qu'il s'est dit ça veut dire que ceux qui ne croient pas d'une certaine manière ne veulent pas croire et que ceux qui croient veulent croire et donc c'était une manière aussi de se réapproprier un éventuel acte de foi ça lui a beaucoup donné à penser il s'est dit la foi n'est peut-être pas à l'ordre de l'ordre de la lumière ou de l'intelligence, mais plutôt de l'ouverture du cœur et du désir de Dieu. Et ça, ça a donné l'impulsion pour la conversion, d'après ce qu'il raconte.

  • Solange Pinilla

    Que peut nous dire Pascal aujourd'hui sur le doute ?

  • Hélène Michon

    Alors, Pascal, qui est contemporain de Descartes, Descartes a fait du doute une méthode de pensée. On remet tout en doute pour savoir qu'est-ce qui résiste à la raison. Pour Pascal, le doute n'est pas un chemin. En revanche, si on le rencontre, on peut le surmonter, mais Pascal a toujours eu le sentiment d'être du côté de la vérité. C'est très frappant quand on le lit. Il n'y a pas de valorisation, comment dire, de l'errance. Et c'est vrai aussi bien dans le domaine scientifique, puisque tout jeune adolescent, il accompagne son père dans les salons scientifiques de l'époque, il fait des démonstrations et il en remontre à ses savants qui ont 20 ans ou 30 ans de plus que lui. Donc déjà dans le domaine des sciences, Pascal sait qu'il a raison et il le prouve. Je dirais que c'est un peu la même chose dans le domaine des choses de Dieu. Il sait que la vérité est du côté de Jésus-Christ et c'est pour ça qu'il en parle. Mais en même temps... Il est conscient qu'il ne faut pas confondre avoir raison et être du côté de la vérité. Il est très soucieux de chercher la gloire de Dieu et pas sa gloire personnelle. Et je trouve que cet amour de la vérité en même temps détaché de tout amour propre, C'est atypique en fait, en général, quand on a raison, quand on a la certitude d'avoir raison, il y a toujours une certaine arrogance qui accompagne cette position. Chez Pascal, ce n'est pas comme ça. C'est-à-dire qu'il y a la certitude de savoir où est la vérité, et en même temps la conviction qu'on ne la possède pas. Donc ça reste pour moi quelqu'un d'éminemment sympathique.

  • Solange Pinilla

    Oui, ça me fait penser à je ne sais plus qui qui a dit ce n'est pas nous qui possédons la vérité C'est la vérité qui nous possède. Et justement, le dossier du numéro de Mars, c'est sur le combat spirituel. Qu'est-ce que Pascal dit sur le combat spirituel ?

  • Hélène Michon

    Alors comme beaucoup d'auteurs chrétiens, Pascal parle plutôt de la vie avant la conversion ou au moment de la conversion. Il dit qu'il n'est pas apte à parler de la vie avec Dieu. Ça c'est ce qu'il écrit. Mais n'empêche que, aussi bien dans les pensées que dans d'autres opuscules, on a des considérations sur la vie spirituelle. Et à propos du combat, Pascal est fasciné par le combat du Christ à l'agonie. Puisque l'agonie c'est la lutte, et donc pour lui... Toutes nos petites luttes ou nos petits combats se ressourcent et prennent sens dans le grand combat que le Christ a mené au jardin des oliviers contre Satan en fait, contre l'esprit du mal. Et donc pour lui, nos combats doivent être ancrés, on doit avoir constamment le regard porté sur la nuit de l'agonie. On connaît la phrase de Pascal, le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. C'est vrai qu'il y a un éblouissement chez Pascal pour cette nuit qui précède le vendredi saint et qui, pour lui, est une nuit qui donne sens à nos petits combats.

  • Solange Pinilla

    Alors, les pensées de Pascal, c'est vrai que c'est un gros livre, donc ce n'est pas évident à lire, surtout que c'est plutôt un rassemblement de plein d'extraits. Donc, ce n'est pas simple. Est-ce qu'il y a quand même, vous pouvez nous parler d'une pensée de Pascal qui vous marque particulièrement, pour nous donner un peu envie d'aller voir ce livre ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors c'est une pensée sur l'attitude à avoir dans les conversations ou dans les discussions. Pascal dit quelque part, d'ailleurs il reprend l'idée à Épictète, que finalement, si nous sommes boiteux, nous savons bien, si nous marchons en boitant, nous savons bien que c'est nous qui boitons et que les autres marchent droit. Mais si on a un esprit boiteux... On n'est jamais sûr de savoir qui des deux boite. Et donc pour Pascal, il faut pour ne pas être agressif et que ça dégénère en dispute, se dire toujours que c'est peut-être nous qui boitons. Et donc je trouve que chez Pascal, il y a un grand souci de l'interlocuteur, de prendre en compte ce que l'autre est en train de nous dire. Et on cherche ensemble la vérité. Il n'est pas dit que c'est lui qui l'a, forcément, mais il n'est pas dit non plus que c'est moi. Il y a une capacité, parce qu'elle nous encourage à nous remettre en cause à chaque moment de la discussion pour vérifier que ce qu'on continue à avancer est vrai et juste. C'est une bonne école pour moi, non seulement de pensée, mais aussi de dialogue. Pour essayer, et surtout quand on est enseignant, c'est encore une très bonne méthode de nous dire Mais peut-être que ce que l'étudiant est en train de dire là, en fait c'est très vrai. Et moi je ne l'avais pas vu comme ça. Donc il faut essayer de trouver la vérité partout où elle se trouve, sans jamais dégénérer dans un esprit agressif de celui qui veut toujours avoir raison.

  • Solange Pinilla

    Et dernière question sur Pascal. Vous l'étudiez en tant qu'enseignante en littérature. Mais du coup, quelle est la différence entre une approche littéraire et une approche philosophique de Pascal ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors ça c'est une question qui est souvent abordée. D'ailleurs, Pascal avait été mis au programme de l'agrégation de philosophie en 2014, et l'année d'après, il a été mis au programme d'agrégation de lettres. Donc on voit bien que tout le monde se l'arrache. Je dirais qu'en fait, cette question pour Pascal n'a pas beaucoup de sens, parce que d'abord, à son époque, à lui, il n'y avait pas une distinction entre littérature et philosophie. Pour lui, son discours relève de la question du sens. Pour lui, la vie n'a pas de sens en dehors de Dieu. Alors, c'est vrai, du coup on peut penser que c'est un énoncé philosophique, ou un énoncé théologique. Je dirais que pour Pascal, ça n'a pas non plus beaucoup d'importance. En revanche, c'est servi par une écriture et un style incomparables. Pascal a le goût de la formule. Ça, ça restera dans l'histoire. Je donne juste un exemple. Le fait de dire que l'homme est à la charnière entre le monde corporel et le monde spirituel, que donc il n'est ni animal ni ange, toute la tradition scolastique médiévale l'avait dit avant lui. Et pourtant tout le monde connaît la formule de Pascal, qui veut faire l'ange fait la bête, pour nous rappeler qu'on n'est ni l'un ni l'autre. Voilà, je crois qu'il y a vraiment un goût et un sens de la formule chez Pascal qui l'a fait passer à la célébrité. Il a innové quelquefois plus par la manière de dire que par le contenu.

  • Solange Pinilla

    Alors en tant qu'enseignant-chercheur à l'Université de Tours, comment est-ce que vous partagez votre temps entre cours et recherche ?

  • Hélène Michon

    Oui, ce n'est pas toujours facile. Je dirais que j'ai un avantage, c'est qu'étant sur deux villes, ma semaine se coupe en deux. C'est-à-dire que quand je suis à Tours, deux jours ou deux jours et demi par semaine, c'est le moment de l'université, de l'enseignement, des étudiants. Et puis quand je suis à Paris, c'est là que je dégage des plages horaires pour faire de la recherche. Mais il faut être clair, la recherche, ça se fait pendant les vacances scolaires, parce que pendant l'année, on n'a pas beaucoup de temps. Et donc c'est les petites vacances et puis un mois l'été de recherche continue pour pouvoir écrire.

  • Solange Pinilla

    Vous avez notamment effectué des recherches sur Saint-François de Sales. Qu'est-ce que vous avez découvert à propos de ses écrits ?

  • Hélène Michon

    Alors Saint François de Sales c'est un maître je dirais en connaissance de soi. Alors Pascal aussi d'un certain point de vue mais ce qui est cadastique de François de Sales c'est un esprit d'analyse. C'est vraiment un esprit analytique qui va détailler tout ce qui se passe à l'intérieur de nous. Par exemple François de Sales est un des premiers à analyser le phénomène de la distraction. pas simplement le divertissement pécamineux, mais la distraction, ou à l'inverse, ce qu'il appelle la studiosité, c'est-à-dire l'esprit d'attention. Et je dirais que cet esprit tellement fin, tellement psychologue qui va dans les recoins, adapté à la vie spirituelle, Ça donne un auteur comme François de Sales qui nous explique la vie spirituelle. Il donne des orientations, il propose des objectifs, mais surtout il explique ce qui se passe quand on se tourne vers Dieu ou quand on pêche et les conséquences psychologiques que ça peut avoir. Et il nous apprend une énorme compassion envers nous-mêmes. Pas... dans le sens d'une mauvaise indulgence, mais une compréhension et du coup une sorte de patience envers soi-même, qui est à mon avis une très bonne école, et qui a un chemin d'humilité, certainement.

  • Solange Pinilla

    En 2021, vous avez participé à la rédaction d'un livre intitulé Femmes, mysticisme et prophétisme en Europe au Moyen-Âge et à l'époque moderne qui reprenait les participations de deux colloques. Quel était ce projet ?

  • Hélène Michon

    Un des enjeux aujourd'hui, enfin, ce dont il est souvent question, c'est la place de la femme dans l'Église. Avec en arrière-plan toujours un militantisme en disant que l'Église a oublié les femmes, n'a pas accordé d'importance. Alors, moi qui travaille sur la littérature du XVIIe, plutôt que de rentrer directement dans une polémique, je me disais que c'était peut-être intéressant de projeter de la lumière sur quelques figures de mon siècle, c'est-à-dire le XVIIe siècle, pour montrer que s'il y a eu des ombres, bien sûr dans la gouvernance de l'Église, il y a aussi beaucoup de lumière. Et donc les femmes mystiques... En son, un très bon exemple. J'ai travaillé sur des grandes figures d'abbesse mystique, comme Marie de l'Incarnation, l'Ursuline de Tour partie évangéliser le Québec. Mais maintenant, je travaille aussi sur Louise de Lavallière, première maîtresse en titre de Louis XIV, mais pour six ans de vie avec le roi, il y a 36 ans après, de vie pénitente au Carmel. avec une rédaction d'un petit traité sur la miséricorde de Dieu. Voilà, je trouve que ça vaut la peine d'aller regarder ce qu'ont fait ces femmes dans le siècle qui m'est confié, en tout cas dans lequel j'évolue, pour montrer simplement qu'il y a des ombres et des lumières.

  • Solange Pinilla

    Et parmi ces femmes mystiques sur lesquelles vous avez travaillé, est-ce que l'une d'entre elles vous a particulièrement touchée ?

  • Hélène Michon

    Alors c'est vrai que Marie-Guyard, donc cette jeune femme tourangelle qui est née à Tours en 1599, elle attire l'attention puisque elle est mariée à 18 ans, mère de famille à 19 ans, veuve à 20 ans. Après, pendant dix ans, elle va s'occuper de la petite entreprise de son mari, puis de celle de son beau-frère, qui avait une petite entreprise de transport fluvial, et donc à minuit, elle décharge les marchandises. Et puis à trente ans, elle confie son petit garçon à sa sœur, elle rentre dans les ordres, donc elle va être dix ans Ursuline à Tours, et à quarante ans, elle a une vision de la Vierge qui lui montre un pays qu'elle ne connaît pas, et elle comprend qu'en fait, c'est le Canada. Et donc elle va s'embarquer à Dieppe en 1640. pour aller évangéliser toutes les rives du Saint-Laurent. Elle va apprendre les langues amérindiennes, elle va écrire des dictionnaires en algoncoin, en huron, en iroquois, et après elle va écrire des catéchismes, et elle meurt là-bas en 1672. Et on a la correspondance pratiquement quotidienne de Marie de l'Incarnation avec son fils, resté en France, Claude Martin. Donc je dirais qu'on connaît la correspondance de Madame de Sévigné avec sa fille. Mais c'est souvent une plume méchante, Madame de Sévigné, même si elle est drôle. Ça vaut la peine de connaître la correspondance de Marie de l'Incarnation avec son fils. Là, c'est pas méchant. On apprend beaucoup de choses sur la colonie de la Nouvelle-France, et on apprend beaucoup de choses sur la vie spirituelle.

  • Solange Pinilla

    Et d'ailleurs, sur ces femmes, est-ce qu'il y a une manière de vivre... Enfin, en quoi leur manière de vivre la foi était différente de la nôtre ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre parce qu'effectivement les cadres de vie sont différents. Elles évoluent dans une société pour le coup très chrétienne, dans laquelle l'Église a un grand prestige, c'est frappant. Mais en même temps je dirais que les combats, alors Marie de l'Incarnation notamment sur la conciliation vie de famille, vie de travail, paradoxalement elle a beaucoup de choses à nous dire puisque pendant dix ans elle est chef d'une PME en fait, et elle a quand même son petit garçon à charge. Donc... Au-delà des cadres historiques qui peuvent effectivement évoluer, il y a malgré tout des problématiques qui nous sont proches. Et puis, les problématiques de vie spirituelle, là pour le coup, je pense qu'elles n'ont pas d'histoire, elles sont valables dans tous les temps. Comment lutter contre la vanité ou la paresse ? Il n'y a pas de date pour ça.

  • Solange Pinilla

    Vous enseignez à des étudiants d'université. Est-ce que vous auriez une histoire à nous raconter sur, peut-être, un échange qui vous a marqué avec un étudiant ou une étudiante ?

  • Hélène Michon

    Alors j'ai une très belle histoire qui est un peu ancienne parce qu'elle doit dater d'une dizaine d'années, mais malgré tout ça reste pour moi un épisode marquant dans ma vie d'enseignante. J'ai en charge un cours qui s'intitule Bible, mythes et littérature. Le but est que les étudiants repèrent les allusions, soit à la Bible, soit à la mythologie, dans les textes littéraires. Le résultat c'est qu'ils soient assez à l'aise en mythologie et que la Bible on est vraiment en dessous du niveau de la mer. Donc j'ai en charge depuis 20 ans ce cours et une année. Un garçon et une fille m'ont proposé en début d'année un exposé sur l'église. Alors ce n'était pas tout à fait le sujet, mais c'est tellement rare que les étudiants proposent quelque chose que j'ai accepté. Et donc, le jour de l'exposé arrive, j'avoue que j'étais assez tendue, je me suis dit que j'allais avoir l'inquisition, toutes les tartes à la crème. Et le garçon commence en donnant des chiffres, en parlant des cardinaux diac, des cardinaux évêques, en expliquant toute la hiérarchie de l'église. Puis il passe la parole à sa collègue. qui, elle, nous parle aux étudiants des sept sacrements, et notamment le mariage, en disant qu'il est un et indissoluble. Son camarade reprend le micro et conclut en disant, voilà, c'est en raison de la hiérarchie de l'Église et des sacrements, voilà ce qui explique l'immense succès de l'Église aujourd'hui. Moi j'avoue que j'étais assise sur ma chaise, je me suis dit mais comment est-ce possible que deux étudiants dans une université laïque et républicaine me parlent de l'immense succès de l'église. Et en fait à la fin quand ils sont venus me demander leur note, ils m'ont expliqué qu'ils n'étaient baptisés ni l'un ni l'autre. qu'ils avaient sollicité les bénédictines de l'église Saint-Martin, qui quand elles ont su que c'était pour un exposé à la fac, n'ont pas voulu répondre à leurs questions. Donc ils avaient acheté le catechisme de l'église catholique, divisé en deux, et ils s'étaient partagé le travail. Et donc après, j'ai réussi à les mettre en contact avec l'aumônier de l'université, qui voulait savoir pourquoi est-ce qu'il concluait l'immense succès de l'église, et la réponse a été extraordinaire. Le garçon a dit, écoutez, encore aujourd'hui le catholicisme est la religion la plus répandue dans le monde, Donc pour lui, c'était clair. Et la jeune fille, elle, a répondu qu'elle venait d'un village à côté de Loche et que le meilleur ami de son frère rentrait au séminaire alors que la famille n'était pas pratiquante. Et elle disait, ben voilà, je me dis que 2000 ans après, ça marche encore. Donc c'est quand même un succès.

  • Solange Pinilla

    D'accord, effectivement, c'est assez original comme approche, mais c'est chouette. Quel projet de recherche avez-vous actuellement ?

  • Hélène Michon

    Alors là, je veux continuer sur les conversions des femmes de lettres. Donc là, je travaille sur Louise de Lavallière qui s'est convertie. Après, j'aimerais travailler sur... Madame d'Aulnoy, qui a été connue pour ses contes, mais qui a écrit aussi des paraphrases de psaumes. J'aimerais travailler aussi, si j'ai le temps, sur la Duchesse de Longueville, connue comme frondeuse, comme femme aux multiples amants, cousine germaine de Louis XIV, qui elle aussi s'est convertie dans l'orbite de Port-Royal. Voilà, j'aimerais montrer, au-delà de cette face très exposée d'une cour de Louis XIV aux mœurs dissolues, ce qui se passe en coulisses. Parce qu'en fait, si Louise de Lavallière se convertit, c'est parce que Marie de l'Incarnation priait pour elle. Si Madame de Montespan, à la fin de sa vie, se convertit, c'est parce que Louise de Lavallière priait pour elle. Et donc il y a un jeu comme ça de chaise musicale, de prière et de conversion, qui mérite à mon avis d'être montré au grand jour, parce que ça donne une autre vision aussi de la cour en trombe et lumière.

  • Solange Pinilla

    Dans vos travaux universitaires, on a vu que les thèmes spirituels revenaient souvent quand même. Est-ce que la foi vous donne une vision plus fine ou différente des choses ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre à cette question. Je crois profondément à cette première définition de la foi qui nous vient des Pères de l'Église, qui consiste à dire que la foi cherche à comprendre. Donc effectivement, je pense que la foi, non seulement n'annule pas la réflexion, mais elle la stimule, parce qu'on cherche à comprendre pourquoi les choses sont ainsi, pourquoi la foi a donné de tels exemples de vie. Alors après, en travaillant sur la littérature du XVIIe siècle, cette littérature est absolument grevée de références à la foi chrétienne. Pratiquement aucun auteur n'est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Même ceux qui ont toiletté leur texte pour qu'il y ait peu de références, je pense à La Bruyère ou à l'Arache Foucault, ils sont complètement formatés par les catégories de l'évangile. Alors ça m'intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes ou ces auteurs ou ces œuvres qui s'expliquent par la foi. Je pense qu'aujourd'hui il y a un grand manque de connaissances spirituelles. Je pense qu'on a un vrai patrimoine d'auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux le Christ illumine toute chose. Et donc, du point de vue intellectuel, ça a donné des œuvres qui sont magistrales. Je ne suis pas pour ne travailler que sur ces œuvres, mais je suis pour travailler aussi sur ces œuvres. Et comme on n'est pas si nombreux à avoir ce souci de mettre au grand jour le patrimoine chrétien, c'est vrai que je me spécialise de plus en plus sur la littérature religieuse.

  • Solange Pinilla

    Maintenant je vais vous poser quelques questions courtes et vous pouvez répondre de manière courte ou pas. Complétez cette phrase, la personne humaine est ?

  • Hélène Michon

    A un mystère. Ça c'est ce qu'on apprend en lisant Pascal. Donc même si on désapproche, même s'il y a des gens avec qui, qu'on côtoie et qu'on connaît très très bien, il restera toujours cette petite pointe d'infini qui fait que seul Dieu a la clé des personnes.

  • Solange Pinilla

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je suis en train de lire, je découvre un philosophe allemand, Joseph Pieper, et je suis en train de lire son ouvrage qui s'appelle Le Cadrige, qui est sur les quatre vertus théologales. C'est un auteur très thomiste. En fait, jusqu'à il y a peu, ses œuvres n'avaient pas été traduites en français. Il se trouve que quelqu'un m'en a parlé et que j'ai commencé à le lire et je trouve ça éblouissant. C'est clair, c'est simple, il n'y a pas d'érudition. Voilà, je suis plongée, je suis dans la vertu de la force, et j'en suis vraiment... J'en suis très heureuse et je n'hésite pas à faire de la pub pour cet auteur.

  • Solange Pinilla

    Les quatre vertus cardinales peut-être ? Une femme qui vous inspire peut-être autre que celle que vous avez déjà évoquée ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors il y a une femme que j'aime beaucoup, c'est Elisabeth Le Seur, qui est une femme qui meurt en mai 14, à même pas 40 ans. Elle fait partie de la bourgeoisie, de la haute bourgeoisie parisienne, très cultivée. Elle va épouser un homme, enfin le couple va être très très uni, mais elle épouse un homme laïcar, très voltairien, qui va essayer de lui faire perdre la foi. Et puis finalement, il lui donne une biographie de Jésus de Renan, et au contraire, c'est le début de sa conversion. Et elle meurt jeune, mais elle gagne la conversion de son mari qui rentrera même dans les ordres après sa mort. Je trouve que c'est une belle histoire. Il y a plus ou moins une ouverture de procès qui a été entamée, mais je n'hésite pas à me confier souvent à elle. Je trouve que c'est un très beau parcours de femme.

  • Solange Pinilla

    Un moment qui vous ressource ?

  • Hélène Michon

    Alors, j'avoue que j'aime beaucoup les séries anglaises, la mise au cinéma de Jane Austen. Donc Pride and Prejudice, ça reste pour moi un très bon moment, même si je crois que je l'ai vu plus de dix fois. Dans la version de la BBC, bien sûr.

  • Solange Pinilla

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Hélène Michon

    C'est une question difficile, mais comme le Seigneur dit qu'il a préparé ce que l'œil n'a pas vu et ce que l'oreille n'a pas entendu, peut-être qu'en arrivant là-haut, je me dirais, c'était donc comme ça.

  • Solange Pinilla

    Merci beaucoup Hélène, et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu et nous vous donnons rendez-vous dans le numéro de mars 2024 comme nous l'évoquions au début de cet épisode le lien est dans la présentation du podcast et à bientôt pour un nouvel épisode

Description

Normalienne, agrégée et docteur en littérature, Hélène Michon ne se prend cependant pas trop au sérieux. On le constate dès cette confidence sur un rêve de petite fille : « Quand j’étais enfant, je me disais : "Si jamais je ne trouve pas de mari, au moins, j’aurai un chenil !" ».

C’est avec un souci de transmettre son savoir avec clarté et simplicité qu’Hélène Michon, maître de conférences en littérature française à l’université de Tours, spécialisée dans le XVIIe siècle, nous parle des auteurs qui la passionnent.

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Hélène Michon nous fait entrer d’abord dans l’univers de Blaise Pascal, auquel elle a consacré sa thèse ; mais aussi celui de François de Sales ; ou encore de femmes telles que Marie de l’Incarnation, ursuline de Tours partie évangéliser le Québec, et dont on peut lire la correspondance avec son fils. Elle évoque aussi Louise de La Vallière, maîtresse de Louis XIV pendant 6 ans, puis passant 36 ans au carmel, avec la rédaction d’un petit traité sur la miséricorde de Dieu.

Hélène nous explique : « Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Cela m’intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes - ou ces auteurs, ou ces œuvres - qui s’expliquent par la foi. Je pense qu’il y a aujourd’hui un grand manque de connaissance spirituelles, et qu’on a un vrai patrimoine d’auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux, le Christ illumine toute chose. Du point de vue intellectuel, cela a donné des œuvres qui sont magistrales ! »
Bonne écoute !

Découvrir le numéro de mars 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie93

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin et chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com Dans le numéro de mars 2024, nous parlons du combat spirituel, un thème qui peut nous parler plus ou moins, mais qui finalement nous concerne tous, puisque dès lors qu'il y a effort dans la vie spirituelle, dans la fidélité à la prière par exemple, c'est qu'il y a combat. Nous vous laissons découvrir ce sujet passionnant dans le numéro de mars 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Hélène Michon, qui enseigne la littérature française à l'université de Tours. Ses thèmes de recherche principaux sont Blaise Pascal, François de Sales ou encore l'écriture mystique. Hélène, bonjour !

  • Hélène Michon

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Hélène Michon

    Alors, je crois qu'enfant, j'avais le souci d'avoir beaucoup d'amis, d'aimer les autres et d'être aimée. Et je me souviens que, petite fille, je me disais que si jamais je ne trouvais pas de mari, eh bien j'aurais un chenil avec beaucoup de chiens, parce que je me disais qu'au moins les animaux nous regardent toujours affectueusement. Voilà, ça c'était un rêve d'enfant, avoir beaucoup d'animaux près de moi.

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous avez toujours aimé la littérature ?

  • Hélène Michon

    Alors la littérature comme ça au sens strict, je ne sais pas. Ce qui est vrai c'est que j'ai toujours aimé lire et je passais beaucoup de temps à lire aussi bien à Paris qu'à la campagne. Et pour moi le livre était vraiment une manière de m'évader et j'oubliais tout, je rentrais dans l'histoire. Je suis bon public en fait et donc la fiction m'a toujours plu. Le cinéma aussi mais avec quand même une prédilection pour les livres. qui laisse plus de place à l'imagination, je trouve.

  • Solange Pinilla

    Vous avez intégré l'école normale supérieure Rudulme à Paris. Est-ce que vous avez peut-être une anecdote à nous raconter sur ces années à l'ENS ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je ne sais pas si c'est exactement le cas encore aujourd'hui, mais à l'époque, quand j'ai intégré la rue d'Ulm, ce qui m'a beaucoup frappée, c'était le silence de la bibliothèque. Mais c'était quelque chose d'impressionnant, il y avait beaucoup d'enseignants qui venaient travailler, et en fait on osait, moi j'osais à peine marcher dans les couloirs, parce que c'était du parquet, c'était vraiment une bibliothèque à l'ancienne, et c'était incroyablement silencieux. Je garde ces années de... d'école, l'aura de la bibliothèque. On trouvait beaucoup de choses, on trouvait beaucoup de profs en train de travailler, on trouvait un silence digne des monastères.

  • Solange Pinilla

    Agrégée de lettres modernes, vous avez publié une thèse sur Blaise Pascal. Qu'est-ce qui vous touche en particulier chez Pascal, dont nous avons fêté l'année dernière les 400 ans de la naissance ?

  • Hélène Michon

    Alors ce qui m'a tout de suite frappée chez Pascal, émue, c'est son désir de conversion universelle. C'est-à-dire qu'il vit pour que les autres connaissent Jésus-Christ. Et pour lui, en dehors de Jésus-Christ, il n'y a rien, il n'y a pas de solution possible, même des solutions intermédiaires ou humaines. Tout se centre en Jésus-Christ. Donc je trouvais que cette unité donnait une incroyable force à son œuvre. Et puis c'est joint à une analyse de la nature humaine qui à mon avis est très contemporaine, qui nous parle, puisque Pascal fait état de l'inquiétude, de l'ennui. une sorte de vague à l'âme, qui pour lui sont des nostalgies de Dieu. Entre le fait qu'il est très contemporain et en même temps que c'est puissant, c'est vrai que c'est une pensée, une œuvre qui m'a tout de suite séduite.

  • Solange Pinilla

    Il y a un médecin japonais, Takashi Nagai, qui s'est converti au catholicisme en 1934 après avoir lu notamment les pensées de Blaise Pascal. Racontez-nous.

  • Hélène Michon

    Oui, alors je l'ai lu comme tout le monde, mais il y a un certain nombre d'années, mais je me souviens que ce japonais, en fait, lisait en même temps l'évangile et les pensées de Pascal. Et ça a pris, de mémoire, je crois que sa conversion a pris deux ou trois ans. Donc c'est quand même, il y a une réflexion. Et ce qui l'a frappé chez Pascal, c'est que d'une part, il a découvert le génie scientifique. Lui qui était médecin, radiologue, ça l'a beaucoup frappé de voir que c'était un homme qui accordait beaucoup de choses à la raison. La foi n'était pas à la place de la raison. Et puis après, ce qui l'a frappé, c'est notamment une pensée de Pascal, dans laquelle Pascal dit qu'il y a assez de lumière pour ceux qui veulent croire, et assez d'obscurité pour ceux qui ne le veulent pas. et cette dimension de la volonté ou du désir dans l'acte de foi ça a beaucoup touché Tagashi Nagai parce qu'il s'est dit ça veut dire que ceux qui ne croient pas d'une certaine manière ne veulent pas croire et que ceux qui croient veulent croire et donc c'était une manière aussi de se réapproprier un éventuel acte de foi ça lui a beaucoup donné à penser il s'est dit la foi n'est peut-être pas à l'ordre de l'ordre de la lumière ou de l'intelligence, mais plutôt de l'ouverture du cœur et du désir de Dieu. Et ça, ça a donné l'impulsion pour la conversion, d'après ce qu'il raconte.

  • Solange Pinilla

    Que peut nous dire Pascal aujourd'hui sur le doute ?

  • Hélène Michon

    Alors, Pascal, qui est contemporain de Descartes, Descartes a fait du doute une méthode de pensée. On remet tout en doute pour savoir qu'est-ce qui résiste à la raison. Pour Pascal, le doute n'est pas un chemin. En revanche, si on le rencontre, on peut le surmonter, mais Pascal a toujours eu le sentiment d'être du côté de la vérité. C'est très frappant quand on le lit. Il n'y a pas de valorisation, comment dire, de l'errance. Et c'est vrai aussi bien dans le domaine scientifique, puisque tout jeune adolescent, il accompagne son père dans les salons scientifiques de l'époque, il fait des démonstrations et il en remontre à ses savants qui ont 20 ans ou 30 ans de plus que lui. Donc déjà dans le domaine des sciences, Pascal sait qu'il a raison et il le prouve. Je dirais que c'est un peu la même chose dans le domaine des choses de Dieu. Il sait que la vérité est du côté de Jésus-Christ et c'est pour ça qu'il en parle. Mais en même temps... Il est conscient qu'il ne faut pas confondre avoir raison et être du côté de la vérité. Il est très soucieux de chercher la gloire de Dieu et pas sa gloire personnelle. Et je trouve que cet amour de la vérité en même temps détaché de tout amour propre, C'est atypique en fait, en général, quand on a raison, quand on a la certitude d'avoir raison, il y a toujours une certaine arrogance qui accompagne cette position. Chez Pascal, ce n'est pas comme ça. C'est-à-dire qu'il y a la certitude de savoir où est la vérité, et en même temps la conviction qu'on ne la possède pas. Donc ça reste pour moi quelqu'un d'éminemment sympathique.

  • Solange Pinilla

    Oui, ça me fait penser à je ne sais plus qui qui a dit ce n'est pas nous qui possédons la vérité C'est la vérité qui nous possède. Et justement, le dossier du numéro de Mars, c'est sur le combat spirituel. Qu'est-ce que Pascal dit sur le combat spirituel ?

  • Hélène Michon

    Alors comme beaucoup d'auteurs chrétiens, Pascal parle plutôt de la vie avant la conversion ou au moment de la conversion. Il dit qu'il n'est pas apte à parler de la vie avec Dieu. Ça c'est ce qu'il écrit. Mais n'empêche que, aussi bien dans les pensées que dans d'autres opuscules, on a des considérations sur la vie spirituelle. Et à propos du combat, Pascal est fasciné par le combat du Christ à l'agonie. Puisque l'agonie c'est la lutte, et donc pour lui... Toutes nos petites luttes ou nos petits combats se ressourcent et prennent sens dans le grand combat que le Christ a mené au jardin des oliviers contre Satan en fait, contre l'esprit du mal. Et donc pour lui, nos combats doivent être ancrés, on doit avoir constamment le regard porté sur la nuit de l'agonie. On connaît la phrase de Pascal, le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. C'est vrai qu'il y a un éblouissement chez Pascal pour cette nuit qui précède le vendredi saint et qui, pour lui, est une nuit qui donne sens à nos petits combats.

  • Solange Pinilla

    Alors, les pensées de Pascal, c'est vrai que c'est un gros livre, donc ce n'est pas évident à lire, surtout que c'est plutôt un rassemblement de plein d'extraits. Donc, ce n'est pas simple. Est-ce qu'il y a quand même, vous pouvez nous parler d'une pensée de Pascal qui vous marque particulièrement, pour nous donner un peu envie d'aller voir ce livre ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors c'est une pensée sur l'attitude à avoir dans les conversations ou dans les discussions. Pascal dit quelque part, d'ailleurs il reprend l'idée à Épictète, que finalement, si nous sommes boiteux, nous savons bien, si nous marchons en boitant, nous savons bien que c'est nous qui boitons et que les autres marchent droit. Mais si on a un esprit boiteux... On n'est jamais sûr de savoir qui des deux boite. Et donc pour Pascal, il faut pour ne pas être agressif et que ça dégénère en dispute, se dire toujours que c'est peut-être nous qui boitons. Et donc je trouve que chez Pascal, il y a un grand souci de l'interlocuteur, de prendre en compte ce que l'autre est en train de nous dire. Et on cherche ensemble la vérité. Il n'est pas dit que c'est lui qui l'a, forcément, mais il n'est pas dit non plus que c'est moi. Il y a une capacité, parce qu'elle nous encourage à nous remettre en cause à chaque moment de la discussion pour vérifier que ce qu'on continue à avancer est vrai et juste. C'est une bonne école pour moi, non seulement de pensée, mais aussi de dialogue. Pour essayer, et surtout quand on est enseignant, c'est encore une très bonne méthode de nous dire Mais peut-être que ce que l'étudiant est en train de dire là, en fait c'est très vrai. Et moi je ne l'avais pas vu comme ça. Donc il faut essayer de trouver la vérité partout où elle se trouve, sans jamais dégénérer dans un esprit agressif de celui qui veut toujours avoir raison.

  • Solange Pinilla

    Et dernière question sur Pascal. Vous l'étudiez en tant qu'enseignante en littérature. Mais du coup, quelle est la différence entre une approche littéraire et une approche philosophique de Pascal ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors ça c'est une question qui est souvent abordée. D'ailleurs, Pascal avait été mis au programme de l'agrégation de philosophie en 2014, et l'année d'après, il a été mis au programme d'agrégation de lettres. Donc on voit bien que tout le monde se l'arrache. Je dirais qu'en fait, cette question pour Pascal n'a pas beaucoup de sens, parce que d'abord, à son époque, à lui, il n'y avait pas une distinction entre littérature et philosophie. Pour lui, son discours relève de la question du sens. Pour lui, la vie n'a pas de sens en dehors de Dieu. Alors, c'est vrai, du coup on peut penser que c'est un énoncé philosophique, ou un énoncé théologique. Je dirais que pour Pascal, ça n'a pas non plus beaucoup d'importance. En revanche, c'est servi par une écriture et un style incomparables. Pascal a le goût de la formule. Ça, ça restera dans l'histoire. Je donne juste un exemple. Le fait de dire que l'homme est à la charnière entre le monde corporel et le monde spirituel, que donc il n'est ni animal ni ange, toute la tradition scolastique médiévale l'avait dit avant lui. Et pourtant tout le monde connaît la formule de Pascal, qui veut faire l'ange fait la bête, pour nous rappeler qu'on n'est ni l'un ni l'autre. Voilà, je crois qu'il y a vraiment un goût et un sens de la formule chez Pascal qui l'a fait passer à la célébrité. Il a innové quelquefois plus par la manière de dire que par le contenu.

  • Solange Pinilla

    Alors en tant qu'enseignant-chercheur à l'Université de Tours, comment est-ce que vous partagez votre temps entre cours et recherche ?

  • Hélène Michon

    Oui, ce n'est pas toujours facile. Je dirais que j'ai un avantage, c'est qu'étant sur deux villes, ma semaine se coupe en deux. C'est-à-dire que quand je suis à Tours, deux jours ou deux jours et demi par semaine, c'est le moment de l'université, de l'enseignement, des étudiants. Et puis quand je suis à Paris, c'est là que je dégage des plages horaires pour faire de la recherche. Mais il faut être clair, la recherche, ça se fait pendant les vacances scolaires, parce que pendant l'année, on n'a pas beaucoup de temps. Et donc c'est les petites vacances et puis un mois l'été de recherche continue pour pouvoir écrire.

  • Solange Pinilla

    Vous avez notamment effectué des recherches sur Saint-François de Sales. Qu'est-ce que vous avez découvert à propos de ses écrits ?

  • Hélène Michon

    Alors Saint François de Sales c'est un maître je dirais en connaissance de soi. Alors Pascal aussi d'un certain point de vue mais ce qui est cadastique de François de Sales c'est un esprit d'analyse. C'est vraiment un esprit analytique qui va détailler tout ce qui se passe à l'intérieur de nous. Par exemple François de Sales est un des premiers à analyser le phénomène de la distraction. pas simplement le divertissement pécamineux, mais la distraction, ou à l'inverse, ce qu'il appelle la studiosité, c'est-à-dire l'esprit d'attention. Et je dirais que cet esprit tellement fin, tellement psychologue qui va dans les recoins, adapté à la vie spirituelle, Ça donne un auteur comme François de Sales qui nous explique la vie spirituelle. Il donne des orientations, il propose des objectifs, mais surtout il explique ce qui se passe quand on se tourne vers Dieu ou quand on pêche et les conséquences psychologiques que ça peut avoir. Et il nous apprend une énorme compassion envers nous-mêmes. Pas... dans le sens d'une mauvaise indulgence, mais une compréhension et du coup une sorte de patience envers soi-même, qui est à mon avis une très bonne école, et qui a un chemin d'humilité, certainement.

  • Solange Pinilla

    En 2021, vous avez participé à la rédaction d'un livre intitulé Femmes, mysticisme et prophétisme en Europe au Moyen-Âge et à l'époque moderne qui reprenait les participations de deux colloques. Quel était ce projet ?

  • Hélène Michon

    Un des enjeux aujourd'hui, enfin, ce dont il est souvent question, c'est la place de la femme dans l'Église. Avec en arrière-plan toujours un militantisme en disant que l'Église a oublié les femmes, n'a pas accordé d'importance. Alors, moi qui travaille sur la littérature du XVIIe, plutôt que de rentrer directement dans une polémique, je me disais que c'était peut-être intéressant de projeter de la lumière sur quelques figures de mon siècle, c'est-à-dire le XVIIe siècle, pour montrer que s'il y a eu des ombres, bien sûr dans la gouvernance de l'Église, il y a aussi beaucoup de lumière. Et donc les femmes mystiques... En son, un très bon exemple. J'ai travaillé sur des grandes figures d'abbesse mystique, comme Marie de l'Incarnation, l'Ursuline de Tour partie évangéliser le Québec. Mais maintenant, je travaille aussi sur Louise de Lavallière, première maîtresse en titre de Louis XIV, mais pour six ans de vie avec le roi, il y a 36 ans après, de vie pénitente au Carmel. avec une rédaction d'un petit traité sur la miséricorde de Dieu. Voilà, je trouve que ça vaut la peine d'aller regarder ce qu'ont fait ces femmes dans le siècle qui m'est confié, en tout cas dans lequel j'évolue, pour montrer simplement qu'il y a des ombres et des lumières.

  • Solange Pinilla

    Et parmi ces femmes mystiques sur lesquelles vous avez travaillé, est-ce que l'une d'entre elles vous a particulièrement touchée ?

  • Hélène Michon

    Alors c'est vrai que Marie-Guyard, donc cette jeune femme tourangelle qui est née à Tours en 1599, elle attire l'attention puisque elle est mariée à 18 ans, mère de famille à 19 ans, veuve à 20 ans. Après, pendant dix ans, elle va s'occuper de la petite entreprise de son mari, puis de celle de son beau-frère, qui avait une petite entreprise de transport fluvial, et donc à minuit, elle décharge les marchandises. Et puis à trente ans, elle confie son petit garçon à sa sœur, elle rentre dans les ordres, donc elle va être dix ans Ursuline à Tours, et à quarante ans, elle a une vision de la Vierge qui lui montre un pays qu'elle ne connaît pas, et elle comprend qu'en fait, c'est le Canada. Et donc elle va s'embarquer à Dieppe en 1640. pour aller évangéliser toutes les rives du Saint-Laurent. Elle va apprendre les langues amérindiennes, elle va écrire des dictionnaires en algoncoin, en huron, en iroquois, et après elle va écrire des catéchismes, et elle meurt là-bas en 1672. Et on a la correspondance pratiquement quotidienne de Marie de l'Incarnation avec son fils, resté en France, Claude Martin. Donc je dirais qu'on connaît la correspondance de Madame de Sévigné avec sa fille. Mais c'est souvent une plume méchante, Madame de Sévigné, même si elle est drôle. Ça vaut la peine de connaître la correspondance de Marie de l'Incarnation avec son fils. Là, c'est pas méchant. On apprend beaucoup de choses sur la colonie de la Nouvelle-France, et on apprend beaucoup de choses sur la vie spirituelle.

  • Solange Pinilla

    Et d'ailleurs, sur ces femmes, est-ce qu'il y a une manière de vivre... Enfin, en quoi leur manière de vivre la foi était différente de la nôtre ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre parce qu'effectivement les cadres de vie sont différents. Elles évoluent dans une société pour le coup très chrétienne, dans laquelle l'Église a un grand prestige, c'est frappant. Mais en même temps je dirais que les combats, alors Marie de l'Incarnation notamment sur la conciliation vie de famille, vie de travail, paradoxalement elle a beaucoup de choses à nous dire puisque pendant dix ans elle est chef d'une PME en fait, et elle a quand même son petit garçon à charge. Donc... Au-delà des cadres historiques qui peuvent effectivement évoluer, il y a malgré tout des problématiques qui nous sont proches. Et puis, les problématiques de vie spirituelle, là pour le coup, je pense qu'elles n'ont pas d'histoire, elles sont valables dans tous les temps. Comment lutter contre la vanité ou la paresse ? Il n'y a pas de date pour ça.

  • Solange Pinilla

    Vous enseignez à des étudiants d'université. Est-ce que vous auriez une histoire à nous raconter sur, peut-être, un échange qui vous a marqué avec un étudiant ou une étudiante ?

  • Hélène Michon

    Alors j'ai une très belle histoire qui est un peu ancienne parce qu'elle doit dater d'une dizaine d'années, mais malgré tout ça reste pour moi un épisode marquant dans ma vie d'enseignante. J'ai en charge un cours qui s'intitule Bible, mythes et littérature. Le but est que les étudiants repèrent les allusions, soit à la Bible, soit à la mythologie, dans les textes littéraires. Le résultat c'est qu'ils soient assez à l'aise en mythologie et que la Bible on est vraiment en dessous du niveau de la mer. Donc j'ai en charge depuis 20 ans ce cours et une année. Un garçon et une fille m'ont proposé en début d'année un exposé sur l'église. Alors ce n'était pas tout à fait le sujet, mais c'est tellement rare que les étudiants proposent quelque chose que j'ai accepté. Et donc, le jour de l'exposé arrive, j'avoue que j'étais assez tendue, je me suis dit que j'allais avoir l'inquisition, toutes les tartes à la crème. Et le garçon commence en donnant des chiffres, en parlant des cardinaux diac, des cardinaux évêques, en expliquant toute la hiérarchie de l'église. Puis il passe la parole à sa collègue. qui, elle, nous parle aux étudiants des sept sacrements, et notamment le mariage, en disant qu'il est un et indissoluble. Son camarade reprend le micro et conclut en disant, voilà, c'est en raison de la hiérarchie de l'Église et des sacrements, voilà ce qui explique l'immense succès de l'Église aujourd'hui. Moi j'avoue que j'étais assise sur ma chaise, je me suis dit mais comment est-ce possible que deux étudiants dans une université laïque et républicaine me parlent de l'immense succès de l'église. Et en fait à la fin quand ils sont venus me demander leur note, ils m'ont expliqué qu'ils n'étaient baptisés ni l'un ni l'autre. qu'ils avaient sollicité les bénédictines de l'église Saint-Martin, qui quand elles ont su que c'était pour un exposé à la fac, n'ont pas voulu répondre à leurs questions. Donc ils avaient acheté le catechisme de l'église catholique, divisé en deux, et ils s'étaient partagé le travail. Et donc après, j'ai réussi à les mettre en contact avec l'aumônier de l'université, qui voulait savoir pourquoi est-ce qu'il concluait l'immense succès de l'église, et la réponse a été extraordinaire. Le garçon a dit, écoutez, encore aujourd'hui le catholicisme est la religion la plus répandue dans le monde, Donc pour lui, c'était clair. Et la jeune fille, elle, a répondu qu'elle venait d'un village à côté de Loche et que le meilleur ami de son frère rentrait au séminaire alors que la famille n'était pas pratiquante. Et elle disait, ben voilà, je me dis que 2000 ans après, ça marche encore. Donc c'est quand même un succès.

  • Solange Pinilla

    D'accord, effectivement, c'est assez original comme approche, mais c'est chouette. Quel projet de recherche avez-vous actuellement ?

  • Hélène Michon

    Alors là, je veux continuer sur les conversions des femmes de lettres. Donc là, je travaille sur Louise de Lavallière qui s'est convertie. Après, j'aimerais travailler sur... Madame d'Aulnoy, qui a été connue pour ses contes, mais qui a écrit aussi des paraphrases de psaumes. J'aimerais travailler aussi, si j'ai le temps, sur la Duchesse de Longueville, connue comme frondeuse, comme femme aux multiples amants, cousine germaine de Louis XIV, qui elle aussi s'est convertie dans l'orbite de Port-Royal. Voilà, j'aimerais montrer, au-delà de cette face très exposée d'une cour de Louis XIV aux mœurs dissolues, ce qui se passe en coulisses. Parce qu'en fait, si Louise de Lavallière se convertit, c'est parce que Marie de l'Incarnation priait pour elle. Si Madame de Montespan, à la fin de sa vie, se convertit, c'est parce que Louise de Lavallière priait pour elle. Et donc il y a un jeu comme ça de chaise musicale, de prière et de conversion, qui mérite à mon avis d'être montré au grand jour, parce que ça donne une autre vision aussi de la cour en trombe et lumière.

  • Solange Pinilla

    Dans vos travaux universitaires, on a vu que les thèmes spirituels revenaient souvent quand même. Est-ce que la foi vous donne une vision plus fine ou différente des choses ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre à cette question. Je crois profondément à cette première définition de la foi qui nous vient des Pères de l'Église, qui consiste à dire que la foi cherche à comprendre. Donc effectivement, je pense que la foi, non seulement n'annule pas la réflexion, mais elle la stimule, parce qu'on cherche à comprendre pourquoi les choses sont ainsi, pourquoi la foi a donné de tels exemples de vie. Alors après, en travaillant sur la littérature du XVIIe siècle, cette littérature est absolument grevée de références à la foi chrétienne. Pratiquement aucun auteur n'est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Même ceux qui ont toiletté leur texte pour qu'il y ait peu de références, je pense à La Bruyère ou à l'Arache Foucault, ils sont complètement formatés par les catégories de l'évangile. Alors ça m'intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes ou ces auteurs ou ces œuvres qui s'expliquent par la foi. Je pense qu'aujourd'hui il y a un grand manque de connaissances spirituelles. Je pense qu'on a un vrai patrimoine d'auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux le Christ illumine toute chose. Et donc, du point de vue intellectuel, ça a donné des œuvres qui sont magistrales. Je ne suis pas pour ne travailler que sur ces œuvres, mais je suis pour travailler aussi sur ces œuvres. Et comme on n'est pas si nombreux à avoir ce souci de mettre au grand jour le patrimoine chrétien, c'est vrai que je me spécialise de plus en plus sur la littérature religieuse.

  • Solange Pinilla

    Maintenant je vais vous poser quelques questions courtes et vous pouvez répondre de manière courte ou pas. Complétez cette phrase, la personne humaine est ?

  • Hélène Michon

    A un mystère. Ça c'est ce qu'on apprend en lisant Pascal. Donc même si on désapproche, même s'il y a des gens avec qui, qu'on côtoie et qu'on connaît très très bien, il restera toujours cette petite pointe d'infini qui fait que seul Dieu a la clé des personnes.

  • Solange Pinilla

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je suis en train de lire, je découvre un philosophe allemand, Joseph Pieper, et je suis en train de lire son ouvrage qui s'appelle Le Cadrige, qui est sur les quatre vertus théologales. C'est un auteur très thomiste. En fait, jusqu'à il y a peu, ses œuvres n'avaient pas été traduites en français. Il se trouve que quelqu'un m'en a parlé et que j'ai commencé à le lire et je trouve ça éblouissant. C'est clair, c'est simple, il n'y a pas d'érudition. Voilà, je suis plongée, je suis dans la vertu de la force, et j'en suis vraiment... J'en suis très heureuse et je n'hésite pas à faire de la pub pour cet auteur.

  • Solange Pinilla

    Les quatre vertus cardinales peut-être ? Une femme qui vous inspire peut-être autre que celle que vous avez déjà évoquée ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors il y a une femme que j'aime beaucoup, c'est Elisabeth Le Seur, qui est une femme qui meurt en mai 14, à même pas 40 ans. Elle fait partie de la bourgeoisie, de la haute bourgeoisie parisienne, très cultivée. Elle va épouser un homme, enfin le couple va être très très uni, mais elle épouse un homme laïcar, très voltairien, qui va essayer de lui faire perdre la foi. Et puis finalement, il lui donne une biographie de Jésus de Renan, et au contraire, c'est le début de sa conversion. Et elle meurt jeune, mais elle gagne la conversion de son mari qui rentrera même dans les ordres après sa mort. Je trouve que c'est une belle histoire. Il y a plus ou moins une ouverture de procès qui a été entamée, mais je n'hésite pas à me confier souvent à elle. Je trouve que c'est un très beau parcours de femme.

  • Solange Pinilla

    Un moment qui vous ressource ?

  • Hélène Michon

    Alors, j'avoue que j'aime beaucoup les séries anglaises, la mise au cinéma de Jane Austen. Donc Pride and Prejudice, ça reste pour moi un très bon moment, même si je crois que je l'ai vu plus de dix fois. Dans la version de la BBC, bien sûr.

  • Solange Pinilla

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Hélène Michon

    C'est une question difficile, mais comme le Seigneur dit qu'il a préparé ce que l'œil n'a pas vu et ce que l'oreille n'a pas entendu, peut-être qu'en arrivant là-haut, je me dirais, c'était donc comme ça.

  • Solange Pinilla

    Merci beaucoup Hélène, et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu et nous vous donnons rendez-vous dans le numéro de mars 2024 comme nous l'évoquions au début de cet épisode le lien est dans la présentation du podcast et à bientôt pour un nouvel épisode

Share

Embed

You may also like

Description

Normalienne, agrégée et docteur en littérature, Hélène Michon ne se prend cependant pas trop au sérieux. On le constate dès cette confidence sur un rêve de petite fille : « Quand j’étais enfant, je me disais : "Si jamais je ne trouve pas de mari, au moins, j’aurai un chenil !" ».

C’est avec un souci de transmettre son savoir avec clarté et simplicité qu’Hélène Michon, maître de conférences en littérature française à l’université de Tours, spécialisée dans le XVIIe siècle, nous parle des auteurs qui la passionnent.

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Hélène Michon nous fait entrer d’abord dans l’univers de Blaise Pascal, auquel elle a consacré sa thèse ; mais aussi celui de François de Sales ; ou encore de femmes telles que Marie de l’Incarnation, ursuline de Tours partie évangéliser le Québec, et dont on peut lire la correspondance avec son fils. Elle évoque aussi Louise de La Vallière, maîtresse de Louis XIV pendant 6 ans, puis passant 36 ans au carmel, avec la rédaction d’un petit traité sur la miséricorde de Dieu.

Hélène nous explique : « Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Cela m’intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes - ou ces auteurs, ou ces œuvres - qui s’expliquent par la foi. Je pense qu’il y a aujourd’hui un grand manque de connaissance spirituelles, et qu’on a un vrai patrimoine d’auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux, le Christ illumine toute chose. Du point de vue intellectuel, cela a donné des œuvres qui sont magistrales ! »
Bonne écoute !

Découvrir le numéro de mars 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie93

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin et chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com Dans le numéro de mars 2024, nous parlons du combat spirituel, un thème qui peut nous parler plus ou moins, mais qui finalement nous concerne tous, puisque dès lors qu'il y a effort dans la vie spirituelle, dans la fidélité à la prière par exemple, c'est qu'il y a combat. Nous vous laissons découvrir ce sujet passionnant dans le numéro de mars 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Hélène Michon, qui enseigne la littérature française à l'université de Tours. Ses thèmes de recherche principaux sont Blaise Pascal, François de Sales ou encore l'écriture mystique. Hélène, bonjour !

  • Hélène Michon

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Hélène Michon

    Alors, je crois qu'enfant, j'avais le souci d'avoir beaucoup d'amis, d'aimer les autres et d'être aimée. Et je me souviens que, petite fille, je me disais que si jamais je ne trouvais pas de mari, eh bien j'aurais un chenil avec beaucoup de chiens, parce que je me disais qu'au moins les animaux nous regardent toujours affectueusement. Voilà, ça c'était un rêve d'enfant, avoir beaucoup d'animaux près de moi.

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous avez toujours aimé la littérature ?

  • Hélène Michon

    Alors la littérature comme ça au sens strict, je ne sais pas. Ce qui est vrai c'est que j'ai toujours aimé lire et je passais beaucoup de temps à lire aussi bien à Paris qu'à la campagne. Et pour moi le livre était vraiment une manière de m'évader et j'oubliais tout, je rentrais dans l'histoire. Je suis bon public en fait et donc la fiction m'a toujours plu. Le cinéma aussi mais avec quand même une prédilection pour les livres. qui laisse plus de place à l'imagination, je trouve.

  • Solange Pinilla

    Vous avez intégré l'école normale supérieure Rudulme à Paris. Est-ce que vous avez peut-être une anecdote à nous raconter sur ces années à l'ENS ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je ne sais pas si c'est exactement le cas encore aujourd'hui, mais à l'époque, quand j'ai intégré la rue d'Ulm, ce qui m'a beaucoup frappée, c'était le silence de la bibliothèque. Mais c'était quelque chose d'impressionnant, il y avait beaucoup d'enseignants qui venaient travailler, et en fait on osait, moi j'osais à peine marcher dans les couloirs, parce que c'était du parquet, c'était vraiment une bibliothèque à l'ancienne, et c'était incroyablement silencieux. Je garde ces années de... d'école, l'aura de la bibliothèque. On trouvait beaucoup de choses, on trouvait beaucoup de profs en train de travailler, on trouvait un silence digne des monastères.

  • Solange Pinilla

    Agrégée de lettres modernes, vous avez publié une thèse sur Blaise Pascal. Qu'est-ce qui vous touche en particulier chez Pascal, dont nous avons fêté l'année dernière les 400 ans de la naissance ?

  • Hélène Michon

    Alors ce qui m'a tout de suite frappée chez Pascal, émue, c'est son désir de conversion universelle. C'est-à-dire qu'il vit pour que les autres connaissent Jésus-Christ. Et pour lui, en dehors de Jésus-Christ, il n'y a rien, il n'y a pas de solution possible, même des solutions intermédiaires ou humaines. Tout se centre en Jésus-Christ. Donc je trouvais que cette unité donnait une incroyable force à son œuvre. Et puis c'est joint à une analyse de la nature humaine qui à mon avis est très contemporaine, qui nous parle, puisque Pascal fait état de l'inquiétude, de l'ennui. une sorte de vague à l'âme, qui pour lui sont des nostalgies de Dieu. Entre le fait qu'il est très contemporain et en même temps que c'est puissant, c'est vrai que c'est une pensée, une œuvre qui m'a tout de suite séduite.

  • Solange Pinilla

    Il y a un médecin japonais, Takashi Nagai, qui s'est converti au catholicisme en 1934 après avoir lu notamment les pensées de Blaise Pascal. Racontez-nous.

  • Hélène Michon

    Oui, alors je l'ai lu comme tout le monde, mais il y a un certain nombre d'années, mais je me souviens que ce japonais, en fait, lisait en même temps l'évangile et les pensées de Pascal. Et ça a pris, de mémoire, je crois que sa conversion a pris deux ou trois ans. Donc c'est quand même, il y a une réflexion. Et ce qui l'a frappé chez Pascal, c'est que d'une part, il a découvert le génie scientifique. Lui qui était médecin, radiologue, ça l'a beaucoup frappé de voir que c'était un homme qui accordait beaucoup de choses à la raison. La foi n'était pas à la place de la raison. Et puis après, ce qui l'a frappé, c'est notamment une pensée de Pascal, dans laquelle Pascal dit qu'il y a assez de lumière pour ceux qui veulent croire, et assez d'obscurité pour ceux qui ne le veulent pas. et cette dimension de la volonté ou du désir dans l'acte de foi ça a beaucoup touché Tagashi Nagai parce qu'il s'est dit ça veut dire que ceux qui ne croient pas d'une certaine manière ne veulent pas croire et que ceux qui croient veulent croire et donc c'était une manière aussi de se réapproprier un éventuel acte de foi ça lui a beaucoup donné à penser il s'est dit la foi n'est peut-être pas à l'ordre de l'ordre de la lumière ou de l'intelligence, mais plutôt de l'ouverture du cœur et du désir de Dieu. Et ça, ça a donné l'impulsion pour la conversion, d'après ce qu'il raconte.

  • Solange Pinilla

    Que peut nous dire Pascal aujourd'hui sur le doute ?

  • Hélène Michon

    Alors, Pascal, qui est contemporain de Descartes, Descartes a fait du doute une méthode de pensée. On remet tout en doute pour savoir qu'est-ce qui résiste à la raison. Pour Pascal, le doute n'est pas un chemin. En revanche, si on le rencontre, on peut le surmonter, mais Pascal a toujours eu le sentiment d'être du côté de la vérité. C'est très frappant quand on le lit. Il n'y a pas de valorisation, comment dire, de l'errance. Et c'est vrai aussi bien dans le domaine scientifique, puisque tout jeune adolescent, il accompagne son père dans les salons scientifiques de l'époque, il fait des démonstrations et il en remontre à ses savants qui ont 20 ans ou 30 ans de plus que lui. Donc déjà dans le domaine des sciences, Pascal sait qu'il a raison et il le prouve. Je dirais que c'est un peu la même chose dans le domaine des choses de Dieu. Il sait que la vérité est du côté de Jésus-Christ et c'est pour ça qu'il en parle. Mais en même temps... Il est conscient qu'il ne faut pas confondre avoir raison et être du côté de la vérité. Il est très soucieux de chercher la gloire de Dieu et pas sa gloire personnelle. Et je trouve que cet amour de la vérité en même temps détaché de tout amour propre, C'est atypique en fait, en général, quand on a raison, quand on a la certitude d'avoir raison, il y a toujours une certaine arrogance qui accompagne cette position. Chez Pascal, ce n'est pas comme ça. C'est-à-dire qu'il y a la certitude de savoir où est la vérité, et en même temps la conviction qu'on ne la possède pas. Donc ça reste pour moi quelqu'un d'éminemment sympathique.

  • Solange Pinilla

    Oui, ça me fait penser à je ne sais plus qui qui a dit ce n'est pas nous qui possédons la vérité C'est la vérité qui nous possède. Et justement, le dossier du numéro de Mars, c'est sur le combat spirituel. Qu'est-ce que Pascal dit sur le combat spirituel ?

  • Hélène Michon

    Alors comme beaucoup d'auteurs chrétiens, Pascal parle plutôt de la vie avant la conversion ou au moment de la conversion. Il dit qu'il n'est pas apte à parler de la vie avec Dieu. Ça c'est ce qu'il écrit. Mais n'empêche que, aussi bien dans les pensées que dans d'autres opuscules, on a des considérations sur la vie spirituelle. Et à propos du combat, Pascal est fasciné par le combat du Christ à l'agonie. Puisque l'agonie c'est la lutte, et donc pour lui... Toutes nos petites luttes ou nos petits combats se ressourcent et prennent sens dans le grand combat que le Christ a mené au jardin des oliviers contre Satan en fait, contre l'esprit du mal. Et donc pour lui, nos combats doivent être ancrés, on doit avoir constamment le regard porté sur la nuit de l'agonie. On connaît la phrase de Pascal, le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. C'est vrai qu'il y a un éblouissement chez Pascal pour cette nuit qui précède le vendredi saint et qui, pour lui, est une nuit qui donne sens à nos petits combats.

  • Solange Pinilla

    Alors, les pensées de Pascal, c'est vrai que c'est un gros livre, donc ce n'est pas évident à lire, surtout que c'est plutôt un rassemblement de plein d'extraits. Donc, ce n'est pas simple. Est-ce qu'il y a quand même, vous pouvez nous parler d'une pensée de Pascal qui vous marque particulièrement, pour nous donner un peu envie d'aller voir ce livre ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors c'est une pensée sur l'attitude à avoir dans les conversations ou dans les discussions. Pascal dit quelque part, d'ailleurs il reprend l'idée à Épictète, que finalement, si nous sommes boiteux, nous savons bien, si nous marchons en boitant, nous savons bien que c'est nous qui boitons et que les autres marchent droit. Mais si on a un esprit boiteux... On n'est jamais sûr de savoir qui des deux boite. Et donc pour Pascal, il faut pour ne pas être agressif et que ça dégénère en dispute, se dire toujours que c'est peut-être nous qui boitons. Et donc je trouve que chez Pascal, il y a un grand souci de l'interlocuteur, de prendre en compte ce que l'autre est en train de nous dire. Et on cherche ensemble la vérité. Il n'est pas dit que c'est lui qui l'a, forcément, mais il n'est pas dit non plus que c'est moi. Il y a une capacité, parce qu'elle nous encourage à nous remettre en cause à chaque moment de la discussion pour vérifier que ce qu'on continue à avancer est vrai et juste. C'est une bonne école pour moi, non seulement de pensée, mais aussi de dialogue. Pour essayer, et surtout quand on est enseignant, c'est encore une très bonne méthode de nous dire Mais peut-être que ce que l'étudiant est en train de dire là, en fait c'est très vrai. Et moi je ne l'avais pas vu comme ça. Donc il faut essayer de trouver la vérité partout où elle se trouve, sans jamais dégénérer dans un esprit agressif de celui qui veut toujours avoir raison.

  • Solange Pinilla

    Et dernière question sur Pascal. Vous l'étudiez en tant qu'enseignante en littérature. Mais du coup, quelle est la différence entre une approche littéraire et une approche philosophique de Pascal ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors ça c'est une question qui est souvent abordée. D'ailleurs, Pascal avait été mis au programme de l'agrégation de philosophie en 2014, et l'année d'après, il a été mis au programme d'agrégation de lettres. Donc on voit bien que tout le monde se l'arrache. Je dirais qu'en fait, cette question pour Pascal n'a pas beaucoup de sens, parce que d'abord, à son époque, à lui, il n'y avait pas une distinction entre littérature et philosophie. Pour lui, son discours relève de la question du sens. Pour lui, la vie n'a pas de sens en dehors de Dieu. Alors, c'est vrai, du coup on peut penser que c'est un énoncé philosophique, ou un énoncé théologique. Je dirais que pour Pascal, ça n'a pas non plus beaucoup d'importance. En revanche, c'est servi par une écriture et un style incomparables. Pascal a le goût de la formule. Ça, ça restera dans l'histoire. Je donne juste un exemple. Le fait de dire que l'homme est à la charnière entre le monde corporel et le monde spirituel, que donc il n'est ni animal ni ange, toute la tradition scolastique médiévale l'avait dit avant lui. Et pourtant tout le monde connaît la formule de Pascal, qui veut faire l'ange fait la bête, pour nous rappeler qu'on n'est ni l'un ni l'autre. Voilà, je crois qu'il y a vraiment un goût et un sens de la formule chez Pascal qui l'a fait passer à la célébrité. Il a innové quelquefois plus par la manière de dire que par le contenu.

  • Solange Pinilla

    Alors en tant qu'enseignant-chercheur à l'Université de Tours, comment est-ce que vous partagez votre temps entre cours et recherche ?

  • Hélène Michon

    Oui, ce n'est pas toujours facile. Je dirais que j'ai un avantage, c'est qu'étant sur deux villes, ma semaine se coupe en deux. C'est-à-dire que quand je suis à Tours, deux jours ou deux jours et demi par semaine, c'est le moment de l'université, de l'enseignement, des étudiants. Et puis quand je suis à Paris, c'est là que je dégage des plages horaires pour faire de la recherche. Mais il faut être clair, la recherche, ça se fait pendant les vacances scolaires, parce que pendant l'année, on n'a pas beaucoup de temps. Et donc c'est les petites vacances et puis un mois l'été de recherche continue pour pouvoir écrire.

  • Solange Pinilla

    Vous avez notamment effectué des recherches sur Saint-François de Sales. Qu'est-ce que vous avez découvert à propos de ses écrits ?

  • Hélène Michon

    Alors Saint François de Sales c'est un maître je dirais en connaissance de soi. Alors Pascal aussi d'un certain point de vue mais ce qui est cadastique de François de Sales c'est un esprit d'analyse. C'est vraiment un esprit analytique qui va détailler tout ce qui se passe à l'intérieur de nous. Par exemple François de Sales est un des premiers à analyser le phénomène de la distraction. pas simplement le divertissement pécamineux, mais la distraction, ou à l'inverse, ce qu'il appelle la studiosité, c'est-à-dire l'esprit d'attention. Et je dirais que cet esprit tellement fin, tellement psychologue qui va dans les recoins, adapté à la vie spirituelle, Ça donne un auteur comme François de Sales qui nous explique la vie spirituelle. Il donne des orientations, il propose des objectifs, mais surtout il explique ce qui se passe quand on se tourne vers Dieu ou quand on pêche et les conséquences psychologiques que ça peut avoir. Et il nous apprend une énorme compassion envers nous-mêmes. Pas... dans le sens d'une mauvaise indulgence, mais une compréhension et du coup une sorte de patience envers soi-même, qui est à mon avis une très bonne école, et qui a un chemin d'humilité, certainement.

  • Solange Pinilla

    En 2021, vous avez participé à la rédaction d'un livre intitulé Femmes, mysticisme et prophétisme en Europe au Moyen-Âge et à l'époque moderne qui reprenait les participations de deux colloques. Quel était ce projet ?

  • Hélène Michon

    Un des enjeux aujourd'hui, enfin, ce dont il est souvent question, c'est la place de la femme dans l'Église. Avec en arrière-plan toujours un militantisme en disant que l'Église a oublié les femmes, n'a pas accordé d'importance. Alors, moi qui travaille sur la littérature du XVIIe, plutôt que de rentrer directement dans une polémique, je me disais que c'était peut-être intéressant de projeter de la lumière sur quelques figures de mon siècle, c'est-à-dire le XVIIe siècle, pour montrer que s'il y a eu des ombres, bien sûr dans la gouvernance de l'Église, il y a aussi beaucoup de lumière. Et donc les femmes mystiques... En son, un très bon exemple. J'ai travaillé sur des grandes figures d'abbesse mystique, comme Marie de l'Incarnation, l'Ursuline de Tour partie évangéliser le Québec. Mais maintenant, je travaille aussi sur Louise de Lavallière, première maîtresse en titre de Louis XIV, mais pour six ans de vie avec le roi, il y a 36 ans après, de vie pénitente au Carmel. avec une rédaction d'un petit traité sur la miséricorde de Dieu. Voilà, je trouve que ça vaut la peine d'aller regarder ce qu'ont fait ces femmes dans le siècle qui m'est confié, en tout cas dans lequel j'évolue, pour montrer simplement qu'il y a des ombres et des lumières.

  • Solange Pinilla

    Et parmi ces femmes mystiques sur lesquelles vous avez travaillé, est-ce que l'une d'entre elles vous a particulièrement touchée ?

  • Hélène Michon

    Alors c'est vrai que Marie-Guyard, donc cette jeune femme tourangelle qui est née à Tours en 1599, elle attire l'attention puisque elle est mariée à 18 ans, mère de famille à 19 ans, veuve à 20 ans. Après, pendant dix ans, elle va s'occuper de la petite entreprise de son mari, puis de celle de son beau-frère, qui avait une petite entreprise de transport fluvial, et donc à minuit, elle décharge les marchandises. Et puis à trente ans, elle confie son petit garçon à sa sœur, elle rentre dans les ordres, donc elle va être dix ans Ursuline à Tours, et à quarante ans, elle a une vision de la Vierge qui lui montre un pays qu'elle ne connaît pas, et elle comprend qu'en fait, c'est le Canada. Et donc elle va s'embarquer à Dieppe en 1640. pour aller évangéliser toutes les rives du Saint-Laurent. Elle va apprendre les langues amérindiennes, elle va écrire des dictionnaires en algoncoin, en huron, en iroquois, et après elle va écrire des catéchismes, et elle meurt là-bas en 1672. Et on a la correspondance pratiquement quotidienne de Marie de l'Incarnation avec son fils, resté en France, Claude Martin. Donc je dirais qu'on connaît la correspondance de Madame de Sévigné avec sa fille. Mais c'est souvent une plume méchante, Madame de Sévigné, même si elle est drôle. Ça vaut la peine de connaître la correspondance de Marie de l'Incarnation avec son fils. Là, c'est pas méchant. On apprend beaucoup de choses sur la colonie de la Nouvelle-France, et on apprend beaucoup de choses sur la vie spirituelle.

  • Solange Pinilla

    Et d'ailleurs, sur ces femmes, est-ce qu'il y a une manière de vivre... Enfin, en quoi leur manière de vivre la foi était différente de la nôtre ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre parce qu'effectivement les cadres de vie sont différents. Elles évoluent dans une société pour le coup très chrétienne, dans laquelle l'Église a un grand prestige, c'est frappant. Mais en même temps je dirais que les combats, alors Marie de l'Incarnation notamment sur la conciliation vie de famille, vie de travail, paradoxalement elle a beaucoup de choses à nous dire puisque pendant dix ans elle est chef d'une PME en fait, et elle a quand même son petit garçon à charge. Donc... Au-delà des cadres historiques qui peuvent effectivement évoluer, il y a malgré tout des problématiques qui nous sont proches. Et puis, les problématiques de vie spirituelle, là pour le coup, je pense qu'elles n'ont pas d'histoire, elles sont valables dans tous les temps. Comment lutter contre la vanité ou la paresse ? Il n'y a pas de date pour ça.

  • Solange Pinilla

    Vous enseignez à des étudiants d'université. Est-ce que vous auriez une histoire à nous raconter sur, peut-être, un échange qui vous a marqué avec un étudiant ou une étudiante ?

  • Hélène Michon

    Alors j'ai une très belle histoire qui est un peu ancienne parce qu'elle doit dater d'une dizaine d'années, mais malgré tout ça reste pour moi un épisode marquant dans ma vie d'enseignante. J'ai en charge un cours qui s'intitule Bible, mythes et littérature. Le but est que les étudiants repèrent les allusions, soit à la Bible, soit à la mythologie, dans les textes littéraires. Le résultat c'est qu'ils soient assez à l'aise en mythologie et que la Bible on est vraiment en dessous du niveau de la mer. Donc j'ai en charge depuis 20 ans ce cours et une année. Un garçon et une fille m'ont proposé en début d'année un exposé sur l'église. Alors ce n'était pas tout à fait le sujet, mais c'est tellement rare que les étudiants proposent quelque chose que j'ai accepté. Et donc, le jour de l'exposé arrive, j'avoue que j'étais assez tendue, je me suis dit que j'allais avoir l'inquisition, toutes les tartes à la crème. Et le garçon commence en donnant des chiffres, en parlant des cardinaux diac, des cardinaux évêques, en expliquant toute la hiérarchie de l'église. Puis il passe la parole à sa collègue. qui, elle, nous parle aux étudiants des sept sacrements, et notamment le mariage, en disant qu'il est un et indissoluble. Son camarade reprend le micro et conclut en disant, voilà, c'est en raison de la hiérarchie de l'Église et des sacrements, voilà ce qui explique l'immense succès de l'Église aujourd'hui. Moi j'avoue que j'étais assise sur ma chaise, je me suis dit mais comment est-ce possible que deux étudiants dans une université laïque et républicaine me parlent de l'immense succès de l'église. Et en fait à la fin quand ils sont venus me demander leur note, ils m'ont expliqué qu'ils n'étaient baptisés ni l'un ni l'autre. qu'ils avaient sollicité les bénédictines de l'église Saint-Martin, qui quand elles ont su que c'était pour un exposé à la fac, n'ont pas voulu répondre à leurs questions. Donc ils avaient acheté le catechisme de l'église catholique, divisé en deux, et ils s'étaient partagé le travail. Et donc après, j'ai réussi à les mettre en contact avec l'aumônier de l'université, qui voulait savoir pourquoi est-ce qu'il concluait l'immense succès de l'église, et la réponse a été extraordinaire. Le garçon a dit, écoutez, encore aujourd'hui le catholicisme est la religion la plus répandue dans le monde, Donc pour lui, c'était clair. Et la jeune fille, elle, a répondu qu'elle venait d'un village à côté de Loche et que le meilleur ami de son frère rentrait au séminaire alors que la famille n'était pas pratiquante. Et elle disait, ben voilà, je me dis que 2000 ans après, ça marche encore. Donc c'est quand même un succès.

  • Solange Pinilla

    D'accord, effectivement, c'est assez original comme approche, mais c'est chouette. Quel projet de recherche avez-vous actuellement ?

  • Hélène Michon

    Alors là, je veux continuer sur les conversions des femmes de lettres. Donc là, je travaille sur Louise de Lavallière qui s'est convertie. Après, j'aimerais travailler sur... Madame d'Aulnoy, qui a été connue pour ses contes, mais qui a écrit aussi des paraphrases de psaumes. J'aimerais travailler aussi, si j'ai le temps, sur la Duchesse de Longueville, connue comme frondeuse, comme femme aux multiples amants, cousine germaine de Louis XIV, qui elle aussi s'est convertie dans l'orbite de Port-Royal. Voilà, j'aimerais montrer, au-delà de cette face très exposée d'une cour de Louis XIV aux mœurs dissolues, ce qui se passe en coulisses. Parce qu'en fait, si Louise de Lavallière se convertit, c'est parce que Marie de l'Incarnation priait pour elle. Si Madame de Montespan, à la fin de sa vie, se convertit, c'est parce que Louise de Lavallière priait pour elle. Et donc il y a un jeu comme ça de chaise musicale, de prière et de conversion, qui mérite à mon avis d'être montré au grand jour, parce que ça donne une autre vision aussi de la cour en trombe et lumière.

  • Solange Pinilla

    Dans vos travaux universitaires, on a vu que les thèmes spirituels revenaient souvent quand même. Est-ce que la foi vous donne une vision plus fine ou différente des choses ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre à cette question. Je crois profondément à cette première définition de la foi qui nous vient des Pères de l'Église, qui consiste à dire que la foi cherche à comprendre. Donc effectivement, je pense que la foi, non seulement n'annule pas la réflexion, mais elle la stimule, parce qu'on cherche à comprendre pourquoi les choses sont ainsi, pourquoi la foi a donné de tels exemples de vie. Alors après, en travaillant sur la littérature du XVIIe siècle, cette littérature est absolument grevée de références à la foi chrétienne. Pratiquement aucun auteur n'est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Même ceux qui ont toiletté leur texte pour qu'il y ait peu de références, je pense à La Bruyère ou à l'Arache Foucault, ils sont complètement formatés par les catégories de l'évangile. Alors ça m'intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes ou ces auteurs ou ces œuvres qui s'expliquent par la foi. Je pense qu'aujourd'hui il y a un grand manque de connaissances spirituelles. Je pense qu'on a un vrai patrimoine d'auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux le Christ illumine toute chose. Et donc, du point de vue intellectuel, ça a donné des œuvres qui sont magistrales. Je ne suis pas pour ne travailler que sur ces œuvres, mais je suis pour travailler aussi sur ces œuvres. Et comme on n'est pas si nombreux à avoir ce souci de mettre au grand jour le patrimoine chrétien, c'est vrai que je me spécialise de plus en plus sur la littérature religieuse.

  • Solange Pinilla

    Maintenant je vais vous poser quelques questions courtes et vous pouvez répondre de manière courte ou pas. Complétez cette phrase, la personne humaine est ?

  • Hélène Michon

    A un mystère. Ça c'est ce qu'on apprend en lisant Pascal. Donc même si on désapproche, même s'il y a des gens avec qui, qu'on côtoie et qu'on connaît très très bien, il restera toujours cette petite pointe d'infini qui fait que seul Dieu a la clé des personnes.

  • Solange Pinilla

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je suis en train de lire, je découvre un philosophe allemand, Joseph Pieper, et je suis en train de lire son ouvrage qui s'appelle Le Cadrige, qui est sur les quatre vertus théologales. C'est un auteur très thomiste. En fait, jusqu'à il y a peu, ses œuvres n'avaient pas été traduites en français. Il se trouve que quelqu'un m'en a parlé et que j'ai commencé à le lire et je trouve ça éblouissant. C'est clair, c'est simple, il n'y a pas d'érudition. Voilà, je suis plongée, je suis dans la vertu de la force, et j'en suis vraiment... J'en suis très heureuse et je n'hésite pas à faire de la pub pour cet auteur.

  • Solange Pinilla

    Les quatre vertus cardinales peut-être ? Une femme qui vous inspire peut-être autre que celle que vous avez déjà évoquée ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors il y a une femme que j'aime beaucoup, c'est Elisabeth Le Seur, qui est une femme qui meurt en mai 14, à même pas 40 ans. Elle fait partie de la bourgeoisie, de la haute bourgeoisie parisienne, très cultivée. Elle va épouser un homme, enfin le couple va être très très uni, mais elle épouse un homme laïcar, très voltairien, qui va essayer de lui faire perdre la foi. Et puis finalement, il lui donne une biographie de Jésus de Renan, et au contraire, c'est le début de sa conversion. Et elle meurt jeune, mais elle gagne la conversion de son mari qui rentrera même dans les ordres après sa mort. Je trouve que c'est une belle histoire. Il y a plus ou moins une ouverture de procès qui a été entamée, mais je n'hésite pas à me confier souvent à elle. Je trouve que c'est un très beau parcours de femme.

  • Solange Pinilla

    Un moment qui vous ressource ?

  • Hélène Michon

    Alors, j'avoue que j'aime beaucoup les séries anglaises, la mise au cinéma de Jane Austen. Donc Pride and Prejudice, ça reste pour moi un très bon moment, même si je crois que je l'ai vu plus de dix fois. Dans la version de la BBC, bien sûr.

  • Solange Pinilla

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Hélène Michon

    C'est une question difficile, mais comme le Seigneur dit qu'il a préparé ce que l'œil n'a pas vu et ce que l'oreille n'a pas entendu, peut-être qu'en arrivant là-haut, je me dirais, c'était donc comme ça.

  • Solange Pinilla

    Merci beaucoup Hélène, et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu et nous vous donnons rendez-vous dans le numéro de mars 2024 comme nous l'évoquions au début de cet épisode le lien est dans la présentation du podcast et à bientôt pour un nouvel épisode

Description

Normalienne, agrégée et docteur en littérature, Hélène Michon ne se prend cependant pas trop au sérieux. On le constate dès cette confidence sur un rêve de petite fille : « Quand j’étais enfant, je me disais : "Si jamais je ne trouve pas de mari, au moins, j’aurai un chenil !" ».

C’est avec un souci de transmettre son savoir avec clarté et simplicité qu’Hélène Michon, maître de conférences en littérature française à l’université de Tours, spécialisée dans le XVIIe siècle, nous parle des auteurs qui la passionnent.

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Hélène Michon nous fait entrer d’abord dans l’univers de Blaise Pascal, auquel elle a consacré sa thèse ; mais aussi celui de François de Sales ; ou encore de femmes telles que Marie de l’Incarnation, ursuline de Tours partie évangéliser le Québec, et dont on peut lire la correspondance avec son fils. Elle évoque aussi Louise de La Vallière, maîtresse de Louis XIV pendant 6 ans, puis passant 36 ans au carmel, avec la rédaction d’un petit traité sur la miséricorde de Dieu.

Hélène nous explique : « Pratiquement aucun auteur du XVIIe siècle n’est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Cela m’intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes - ou ces auteurs, ou ces œuvres - qui s’expliquent par la foi. Je pense qu’il y a aujourd’hui un grand manque de connaissance spirituelles, et qu’on a un vrai patrimoine d’auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux, le Christ illumine toute chose. Du point de vue intellectuel, cela a donné des œuvres qui sont magistrales ! »
Bonne écoute !

Découvrir le numéro de mars 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie93

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin et chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com Dans le numéro de mars 2024, nous parlons du combat spirituel, un thème qui peut nous parler plus ou moins, mais qui finalement nous concerne tous, puisque dès lors qu'il y a effort dans la vie spirituelle, dans la fidélité à la prière par exemple, c'est qu'il y a combat. Nous vous laissons découvrir ce sujet passionnant dans le numéro de mars 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Hélène Michon, qui enseigne la littérature française à l'université de Tours. Ses thèmes de recherche principaux sont Blaise Pascal, François de Sales ou encore l'écriture mystique. Hélène, bonjour !

  • Hélène Michon

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Hélène Michon

    Alors, je crois qu'enfant, j'avais le souci d'avoir beaucoup d'amis, d'aimer les autres et d'être aimée. Et je me souviens que, petite fille, je me disais que si jamais je ne trouvais pas de mari, eh bien j'aurais un chenil avec beaucoup de chiens, parce que je me disais qu'au moins les animaux nous regardent toujours affectueusement. Voilà, ça c'était un rêve d'enfant, avoir beaucoup d'animaux près de moi.

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous avez toujours aimé la littérature ?

  • Hélène Michon

    Alors la littérature comme ça au sens strict, je ne sais pas. Ce qui est vrai c'est que j'ai toujours aimé lire et je passais beaucoup de temps à lire aussi bien à Paris qu'à la campagne. Et pour moi le livre était vraiment une manière de m'évader et j'oubliais tout, je rentrais dans l'histoire. Je suis bon public en fait et donc la fiction m'a toujours plu. Le cinéma aussi mais avec quand même une prédilection pour les livres. qui laisse plus de place à l'imagination, je trouve.

  • Solange Pinilla

    Vous avez intégré l'école normale supérieure Rudulme à Paris. Est-ce que vous avez peut-être une anecdote à nous raconter sur ces années à l'ENS ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je ne sais pas si c'est exactement le cas encore aujourd'hui, mais à l'époque, quand j'ai intégré la rue d'Ulm, ce qui m'a beaucoup frappée, c'était le silence de la bibliothèque. Mais c'était quelque chose d'impressionnant, il y avait beaucoup d'enseignants qui venaient travailler, et en fait on osait, moi j'osais à peine marcher dans les couloirs, parce que c'était du parquet, c'était vraiment une bibliothèque à l'ancienne, et c'était incroyablement silencieux. Je garde ces années de... d'école, l'aura de la bibliothèque. On trouvait beaucoup de choses, on trouvait beaucoup de profs en train de travailler, on trouvait un silence digne des monastères.

  • Solange Pinilla

    Agrégée de lettres modernes, vous avez publié une thèse sur Blaise Pascal. Qu'est-ce qui vous touche en particulier chez Pascal, dont nous avons fêté l'année dernière les 400 ans de la naissance ?

  • Hélène Michon

    Alors ce qui m'a tout de suite frappée chez Pascal, émue, c'est son désir de conversion universelle. C'est-à-dire qu'il vit pour que les autres connaissent Jésus-Christ. Et pour lui, en dehors de Jésus-Christ, il n'y a rien, il n'y a pas de solution possible, même des solutions intermédiaires ou humaines. Tout se centre en Jésus-Christ. Donc je trouvais que cette unité donnait une incroyable force à son œuvre. Et puis c'est joint à une analyse de la nature humaine qui à mon avis est très contemporaine, qui nous parle, puisque Pascal fait état de l'inquiétude, de l'ennui. une sorte de vague à l'âme, qui pour lui sont des nostalgies de Dieu. Entre le fait qu'il est très contemporain et en même temps que c'est puissant, c'est vrai que c'est une pensée, une œuvre qui m'a tout de suite séduite.

  • Solange Pinilla

    Il y a un médecin japonais, Takashi Nagai, qui s'est converti au catholicisme en 1934 après avoir lu notamment les pensées de Blaise Pascal. Racontez-nous.

  • Hélène Michon

    Oui, alors je l'ai lu comme tout le monde, mais il y a un certain nombre d'années, mais je me souviens que ce japonais, en fait, lisait en même temps l'évangile et les pensées de Pascal. Et ça a pris, de mémoire, je crois que sa conversion a pris deux ou trois ans. Donc c'est quand même, il y a une réflexion. Et ce qui l'a frappé chez Pascal, c'est que d'une part, il a découvert le génie scientifique. Lui qui était médecin, radiologue, ça l'a beaucoup frappé de voir que c'était un homme qui accordait beaucoup de choses à la raison. La foi n'était pas à la place de la raison. Et puis après, ce qui l'a frappé, c'est notamment une pensée de Pascal, dans laquelle Pascal dit qu'il y a assez de lumière pour ceux qui veulent croire, et assez d'obscurité pour ceux qui ne le veulent pas. et cette dimension de la volonté ou du désir dans l'acte de foi ça a beaucoup touché Tagashi Nagai parce qu'il s'est dit ça veut dire que ceux qui ne croient pas d'une certaine manière ne veulent pas croire et que ceux qui croient veulent croire et donc c'était une manière aussi de se réapproprier un éventuel acte de foi ça lui a beaucoup donné à penser il s'est dit la foi n'est peut-être pas à l'ordre de l'ordre de la lumière ou de l'intelligence, mais plutôt de l'ouverture du cœur et du désir de Dieu. Et ça, ça a donné l'impulsion pour la conversion, d'après ce qu'il raconte.

  • Solange Pinilla

    Que peut nous dire Pascal aujourd'hui sur le doute ?

  • Hélène Michon

    Alors, Pascal, qui est contemporain de Descartes, Descartes a fait du doute une méthode de pensée. On remet tout en doute pour savoir qu'est-ce qui résiste à la raison. Pour Pascal, le doute n'est pas un chemin. En revanche, si on le rencontre, on peut le surmonter, mais Pascal a toujours eu le sentiment d'être du côté de la vérité. C'est très frappant quand on le lit. Il n'y a pas de valorisation, comment dire, de l'errance. Et c'est vrai aussi bien dans le domaine scientifique, puisque tout jeune adolescent, il accompagne son père dans les salons scientifiques de l'époque, il fait des démonstrations et il en remontre à ses savants qui ont 20 ans ou 30 ans de plus que lui. Donc déjà dans le domaine des sciences, Pascal sait qu'il a raison et il le prouve. Je dirais que c'est un peu la même chose dans le domaine des choses de Dieu. Il sait que la vérité est du côté de Jésus-Christ et c'est pour ça qu'il en parle. Mais en même temps... Il est conscient qu'il ne faut pas confondre avoir raison et être du côté de la vérité. Il est très soucieux de chercher la gloire de Dieu et pas sa gloire personnelle. Et je trouve que cet amour de la vérité en même temps détaché de tout amour propre, C'est atypique en fait, en général, quand on a raison, quand on a la certitude d'avoir raison, il y a toujours une certaine arrogance qui accompagne cette position. Chez Pascal, ce n'est pas comme ça. C'est-à-dire qu'il y a la certitude de savoir où est la vérité, et en même temps la conviction qu'on ne la possède pas. Donc ça reste pour moi quelqu'un d'éminemment sympathique.

  • Solange Pinilla

    Oui, ça me fait penser à je ne sais plus qui qui a dit ce n'est pas nous qui possédons la vérité C'est la vérité qui nous possède. Et justement, le dossier du numéro de Mars, c'est sur le combat spirituel. Qu'est-ce que Pascal dit sur le combat spirituel ?

  • Hélène Michon

    Alors comme beaucoup d'auteurs chrétiens, Pascal parle plutôt de la vie avant la conversion ou au moment de la conversion. Il dit qu'il n'est pas apte à parler de la vie avec Dieu. Ça c'est ce qu'il écrit. Mais n'empêche que, aussi bien dans les pensées que dans d'autres opuscules, on a des considérations sur la vie spirituelle. Et à propos du combat, Pascal est fasciné par le combat du Christ à l'agonie. Puisque l'agonie c'est la lutte, et donc pour lui... Toutes nos petites luttes ou nos petits combats se ressourcent et prennent sens dans le grand combat que le Christ a mené au jardin des oliviers contre Satan en fait, contre l'esprit du mal. Et donc pour lui, nos combats doivent être ancrés, on doit avoir constamment le regard porté sur la nuit de l'agonie. On connaît la phrase de Pascal, le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. C'est vrai qu'il y a un éblouissement chez Pascal pour cette nuit qui précède le vendredi saint et qui, pour lui, est une nuit qui donne sens à nos petits combats.

  • Solange Pinilla

    Alors, les pensées de Pascal, c'est vrai que c'est un gros livre, donc ce n'est pas évident à lire, surtout que c'est plutôt un rassemblement de plein d'extraits. Donc, ce n'est pas simple. Est-ce qu'il y a quand même, vous pouvez nous parler d'une pensée de Pascal qui vous marque particulièrement, pour nous donner un peu envie d'aller voir ce livre ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors c'est une pensée sur l'attitude à avoir dans les conversations ou dans les discussions. Pascal dit quelque part, d'ailleurs il reprend l'idée à Épictète, que finalement, si nous sommes boiteux, nous savons bien, si nous marchons en boitant, nous savons bien que c'est nous qui boitons et que les autres marchent droit. Mais si on a un esprit boiteux... On n'est jamais sûr de savoir qui des deux boite. Et donc pour Pascal, il faut pour ne pas être agressif et que ça dégénère en dispute, se dire toujours que c'est peut-être nous qui boitons. Et donc je trouve que chez Pascal, il y a un grand souci de l'interlocuteur, de prendre en compte ce que l'autre est en train de nous dire. Et on cherche ensemble la vérité. Il n'est pas dit que c'est lui qui l'a, forcément, mais il n'est pas dit non plus que c'est moi. Il y a une capacité, parce qu'elle nous encourage à nous remettre en cause à chaque moment de la discussion pour vérifier que ce qu'on continue à avancer est vrai et juste. C'est une bonne école pour moi, non seulement de pensée, mais aussi de dialogue. Pour essayer, et surtout quand on est enseignant, c'est encore une très bonne méthode de nous dire Mais peut-être que ce que l'étudiant est en train de dire là, en fait c'est très vrai. Et moi je ne l'avais pas vu comme ça. Donc il faut essayer de trouver la vérité partout où elle se trouve, sans jamais dégénérer dans un esprit agressif de celui qui veut toujours avoir raison.

  • Solange Pinilla

    Et dernière question sur Pascal. Vous l'étudiez en tant qu'enseignante en littérature. Mais du coup, quelle est la différence entre une approche littéraire et une approche philosophique de Pascal ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors ça c'est une question qui est souvent abordée. D'ailleurs, Pascal avait été mis au programme de l'agrégation de philosophie en 2014, et l'année d'après, il a été mis au programme d'agrégation de lettres. Donc on voit bien que tout le monde se l'arrache. Je dirais qu'en fait, cette question pour Pascal n'a pas beaucoup de sens, parce que d'abord, à son époque, à lui, il n'y avait pas une distinction entre littérature et philosophie. Pour lui, son discours relève de la question du sens. Pour lui, la vie n'a pas de sens en dehors de Dieu. Alors, c'est vrai, du coup on peut penser que c'est un énoncé philosophique, ou un énoncé théologique. Je dirais que pour Pascal, ça n'a pas non plus beaucoup d'importance. En revanche, c'est servi par une écriture et un style incomparables. Pascal a le goût de la formule. Ça, ça restera dans l'histoire. Je donne juste un exemple. Le fait de dire que l'homme est à la charnière entre le monde corporel et le monde spirituel, que donc il n'est ni animal ni ange, toute la tradition scolastique médiévale l'avait dit avant lui. Et pourtant tout le monde connaît la formule de Pascal, qui veut faire l'ange fait la bête, pour nous rappeler qu'on n'est ni l'un ni l'autre. Voilà, je crois qu'il y a vraiment un goût et un sens de la formule chez Pascal qui l'a fait passer à la célébrité. Il a innové quelquefois plus par la manière de dire que par le contenu.

  • Solange Pinilla

    Alors en tant qu'enseignant-chercheur à l'Université de Tours, comment est-ce que vous partagez votre temps entre cours et recherche ?

  • Hélène Michon

    Oui, ce n'est pas toujours facile. Je dirais que j'ai un avantage, c'est qu'étant sur deux villes, ma semaine se coupe en deux. C'est-à-dire que quand je suis à Tours, deux jours ou deux jours et demi par semaine, c'est le moment de l'université, de l'enseignement, des étudiants. Et puis quand je suis à Paris, c'est là que je dégage des plages horaires pour faire de la recherche. Mais il faut être clair, la recherche, ça se fait pendant les vacances scolaires, parce que pendant l'année, on n'a pas beaucoup de temps. Et donc c'est les petites vacances et puis un mois l'été de recherche continue pour pouvoir écrire.

  • Solange Pinilla

    Vous avez notamment effectué des recherches sur Saint-François de Sales. Qu'est-ce que vous avez découvert à propos de ses écrits ?

  • Hélène Michon

    Alors Saint François de Sales c'est un maître je dirais en connaissance de soi. Alors Pascal aussi d'un certain point de vue mais ce qui est cadastique de François de Sales c'est un esprit d'analyse. C'est vraiment un esprit analytique qui va détailler tout ce qui se passe à l'intérieur de nous. Par exemple François de Sales est un des premiers à analyser le phénomène de la distraction. pas simplement le divertissement pécamineux, mais la distraction, ou à l'inverse, ce qu'il appelle la studiosité, c'est-à-dire l'esprit d'attention. Et je dirais que cet esprit tellement fin, tellement psychologue qui va dans les recoins, adapté à la vie spirituelle, Ça donne un auteur comme François de Sales qui nous explique la vie spirituelle. Il donne des orientations, il propose des objectifs, mais surtout il explique ce qui se passe quand on se tourne vers Dieu ou quand on pêche et les conséquences psychologiques que ça peut avoir. Et il nous apprend une énorme compassion envers nous-mêmes. Pas... dans le sens d'une mauvaise indulgence, mais une compréhension et du coup une sorte de patience envers soi-même, qui est à mon avis une très bonne école, et qui a un chemin d'humilité, certainement.

  • Solange Pinilla

    En 2021, vous avez participé à la rédaction d'un livre intitulé Femmes, mysticisme et prophétisme en Europe au Moyen-Âge et à l'époque moderne qui reprenait les participations de deux colloques. Quel était ce projet ?

  • Hélène Michon

    Un des enjeux aujourd'hui, enfin, ce dont il est souvent question, c'est la place de la femme dans l'Église. Avec en arrière-plan toujours un militantisme en disant que l'Église a oublié les femmes, n'a pas accordé d'importance. Alors, moi qui travaille sur la littérature du XVIIe, plutôt que de rentrer directement dans une polémique, je me disais que c'était peut-être intéressant de projeter de la lumière sur quelques figures de mon siècle, c'est-à-dire le XVIIe siècle, pour montrer que s'il y a eu des ombres, bien sûr dans la gouvernance de l'Église, il y a aussi beaucoup de lumière. Et donc les femmes mystiques... En son, un très bon exemple. J'ai travaillé sur des grandes figures d'abbesse mystique, comme Marie de l'Incarnation, l'Ursuline de Tour partie évangéliser le Québec. Mais maintenant, je travaille aussi sur Louise de Lavallière, première maîtresse en titre de Louis XIV, mais pour six ans de vie avec le roi, il y a 36 ans après, de vie pénitente au Carmel. avec une rédaction d'un petit traité sur la miséricorde de Dieu. Voilà, je trouve que ça vaut la peine d'aller regarder ce qu'ont fait ces femmes dans le siècle qui m'est confié, en tout cas dans lequel j'évolue, pour montrer simplement qu'il y a des ombres et des lumières.

  • Solange Pinilla

    Et parmi ces femmes mystiques sur lesquelles vous avez travaillé, est-ce que l'une d'entre elles vous a particulièrement touchée ?

  • Hélène Michon

    Alors c'est vrai que Marie-Guyard, donc cette jeune femme tourangelle qui est née à Tours en 1599, elle attire l'attention puisque elle est mariée à 18 ans, mère de famille à 19 ans, veuve à 20 ans. Après, pendant dix ans, elle va s'occuper de la petite entreprise de son mari, puis de celle de son beau-frère, qui avait une petite entreprise de transport fluvial, et donc à minuit, elle décharge les marchandises. Et puis à trente ans, elle confie son petit garçon à sa sœur, elle rentre dans les ordres, donc elle va être dix ans Ursuline à Tours, et à quarante ans, elle a une vision de la Vierge qui lui montre un pays qu'elle ne connaît pas, et elle comprend qu'en fait, c'est le Canada. Et donc elle va s'embarquer à Dieppe en 1640. pour aller évangéliser toutes les rives du Saint-Laurent. Elle va apprendre les langues amérindiennes, elle va écrire des dictionnaires en algoncoin, en huron, en iroquois, et après elle va écrire des catéchismes, et elle meurt là-bas en 1672. Et on a la correspondance pratiquement quotidienne de Marie de l'Incarnation avec son fils, resté en France, Claude Martin. Donc je dirais qu'on connaît la correspondance de Madame de Sévigné avec sa fille. Mais c'est souvent une plume méchante, Madame de Sévigné, même si elle est drôle. Ça vaut la peine de connaître la correspondance de Marie de l'Incarnation avec son fils. Là, c'est pas méchant. On apprend beaucoup de choses sur la colonie de la Nouvelle-France, et on apprend beaucoup de choses sur la vie spirituelle.

  • Solange Pinilla

    Et d'ailleurs, sur ces femmes, est-ce qu'il y a une manière de vivre... Enfin, en quoi leur manière de vivre la foi était différente de la nôtre ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre parce qu'effectivement les cadres de vie sont différents. Elles évoluent dans une société pour le coup très chrétienne, dans laquelle l'Église a un grand prestige, c'est frappant. Mais en même temps je dirais que les combats, alors Marie de l'Incarnation notamment sur la conciliation vie de famille, vie de travail, paradoxalement elle a beaucoup de choses à nous dire puisque pendant dix ans elle est chef d'une PME en fait, et elle a quand même son petit garçon à charge. Donc... Au-delà des cadres historiques qui peuvent effectivement évoluer, il y a malgré tout des problématiques qui nous sont proches. Et puis, les problématiques de vie spirituelle, là pour le coup, je pense qu'elles n'ont pas d'histoire, elles sont valables dans tous les temps. Comment lutter contre la vanité ou la paresse ? Il n'y a pas de date pour ça.

  • Solange Pinilla

    Vous enseignez à des étudiants d'université. Est-ce que vous auriez une histoire à nous raconter sur, peut-être, un échange qui vous a marqué avec un étudiant ou une étudiante ?

  • Hélène Michon

    Alors j'ai une très belle histoire qui est un peu ancienne parce qu'elle doit dater d'une dizaine d'années, mais malgré tout ça reste pour moi un épisode marquant dans ma vie d'enseignante. J'ai en charge un cours qui s'intitule Bible, mythes et littérature. Le but est que les étudiants repèrent les allusions, soit à la Bible, soit à la mythologie, dans les textes littéraires. Le résultat c'est qu'ils soient assez à l'aise en mythologie et que la Bible on est vraiment en dessous du niveau de la mer. Donc j'ai en charge depuis 20 ans ce cours et une année. Un garçon et une fille m'ont proposé en début d'année un exposé sur l'église. Alors ce n'était pas tout à fait le sujet, mais c'est tellement rare que les étudiants proposent quelque chose que j'ai accepté. Et donc, le jour de l'exposé arrive, j'avoue que j'étais assez tendue, je me suis dit que j'allais avoir l'inquisition, toutes les tartes à la crème. Et le garçon commence en donnant des chiffres, en parlant des cardinaux diac, des cardinaux évêques, en expliquant toute la hiérarchie de l'église. Puis il passe la parole à sa collègue. qui, elle, nous parle aux étudiants des sept sacrements, et notamment le mariage, en disant qu'il est un et indissoluble. Son camarade reprend le micro et conclut en disant, voilà, c'est en raison de la hiérarchie de l'Église et des sacrements, voilà ce qui explique l'immense succès de l'Église aujourd'hui. Moi j'avoue que j'étais assise sur ma chaise, je me suis dit mais comment est-ce possible que deux étudiants dans une université laïque et républicaine me parlent de l'immense succès de l'église. Et en fait à la fin quand ils sont venus me demander leur note, ils m'ont expliqué qu'ils n'étaient baptisés ni l'un ni l'autre. qu'ils avaient sollicité les bénédictines de l'église Saint-Martin, qui quand elles ont su que c'était pour un exposé à la fac, n'ont pas voulu répondre à leurs questions. Donc ils avaient acheté le catechisme de l'église catholique, divisé en deux, et ils s'étaient partagé le travail. Et donc après, j'ai réussi à les mettre en contact avec l'aumônier de l'université, qui voulait savoir pourquoi est-ce qu'il concluait l'immense succès de l'église, et la réponse a été extraordinaire. Le garçon a dit, écoutez, encore aujourd'hui le catholicisme est la religion la plus répandue dans le monde, Donc pour lui, c'était clair. Et la jeune fille, elle, a répondu qu'elle venait d'un village à côté de Loche et que le meilleur ami de son frère rentrait au séminaire alors que la famille n'était pas pratiquante. Et elle disait, ben voilà, je me dis que 2000 ans après, ça marche encore. Donc c'est quand même un succès.

  • Solange Pinilla

    D'accord, effectivement, c'est assez original comme approche, mais c'est chouette. Quel projet de recherche avez-vous actuellement ?

  • Hélène Michon

    Alors là, je veux continuer sur les conversions des femmes de lettres. Donc là, je travaille sur Louise de Lavallière qui s'est convertie. Après, j'aimerais travailler sur... Madame d'Aulnoy, qui a été connue pour ses contes, mais qui a écrit aussi des paraphrases de psaumes. J'aimerais travailler aussi, si j'ai le temps, sur la Duchesse de Longueville, connue comme frondeuse, comme femme aux multiples amants, cousine germaine de Louis XIV, qui elle aussi s'est convertie dans l'orbite de Port-Royal. Voilà, j'aimerais montrer, au-delà de cette face très exposée d'une cour de Louis XIV aux mœurs dissolues, ce qui se passe en coulisses. Parce qu'en fait, si Louise de Lavallière se convertit, c'est parce que Marie de l'Incarnation priait pour elle. Si Madame de Montespan, à la fin de sa vie, se convertit, c'est parce que Louise de Lavallière priait pour elle. Et donc il y a un jeu comme ça de chaise musicale, de prière et de conversion, qui mérite à mon avis d'être montré au grand jour, parce que ça donne une autre vision aussi de la cour en trombe et lumière.

  • Solange Pinilla

    Dans vos travaux universitaires, on a vu que les thèmes spirituels revenaient souvent quand même. Est-ce que la foi vous donne une vision plus fine ou différente des choses ?

  • Hélène Michon

    C'est difficile de répondre à cette question. Je crois profondément à cette première définition de la foi qui nous vient des Pères de l'Église, qui consiste à dire que la foi cherche à comprendre. Donc effectivement, je pense que la foi, non seulement n'annule pas la réflexion, mais elle la stimule, parce qu'on cherche à comprendre pourquoi les choses sont ainsi, pourquoi la foi a donné de tels exemples de vie. Alors après, en travaillant sur la littérature du XVIIe siècle, cette littérature est absolument grevée de références à la foi chrétienne. Pratiquement aucun auteur n'est compréhensible en dehors de la foi chrétienne. Même ceux qui ont toiletté leur texte pour qu'il y ait peu de références, je pense à La Bruyère ou à l'Arache Foucault, ils sont complètement formatés par les catégories de l'évangile. Alors ça m'intéresse de remettre un peu au goût du jour ces textes ou ces auteurs ou ces œuvres qui s'expliquent par la foi. Je pense qu'aujourd'hui il y a un grand manque de connaissances spirituelles. Je pense qu'on a un vrai patrimoine d'auteurs qui ne se cachaient pas de leur foi, de ce que pour eux le Christ illumine toute chose. Et donc, du point de vue intellectuel, ça a donné des œuvres qui sont magistrales. Je ne suis pas pour ne travailler que sur ces œuvres, mais je suis pour travailler aussi sur ces œuvres. Et comme on n'est pas si nombreux à avoir ce souci de mettre au grand jour le patrimoine chrétien, c'est vrai que je me spécialise de plus en plus sur la littérature religieuse.

  • Solange Pinilla

    Maintenant je vais vous poser quelques questions courtes et vous pouvez répondre de manière courte ou pas. Complétez cette phrase, la personne humaine est ?

  • Hélène Michon

    A un mystère. Ça c'est ce qu'on apprend en lisant Pascal. Donc même si on désapproche, même s'il y a des gens avec qui, qu'on côtoie et qu'on connaît très très bien, il restera toujours cette petite pointe d'infini qui fait que seul Dieu a la clé des personnes.

  • Solange Pinilla

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors je suis en train de lire, je découvre un philosophe allemand, Joseph Pieper, et je suis en train de lire son ouvrage qui s'appelle Le Cadrige, qui est sur les quatre vertus théologales. C'est un auteur très thomiste. En fait, jusqu'à il y a peu, ses œuvres n'avaient pas été traduites en français. Il se trouve que quelqu'un m'en a parlé et que j'ai commencé à le lire et je trouve ça éblouissant. C'est clair, c'est simple, il n'y a pas d'érudition. Voilà, je suis plongée, je suis dans la vertu de la force, et j'en suis vraiment... J'en suis très heureuse et je n'hésite pas à faire de la pub pour cet auteur.

  • Solange Pinilla

    Les quatre vertus cardinales peut-être ? Une femme qui vous inspire peut-être autre que celle que vous avez déjà évoquée ?

  • Hélène Michon

    Oui, alors il y a une femme que j'aime beaucoup, c'est Elisabeth Le Seur, qui est une femme qui meurt en mai 14, à même pas 40 ans. Elle fait partie de la bourgeoisie, de la haute bourgeoisie parisienne, très cultivée. Elle va épouser un homme, enfin le couple va être très très uni, mais elle épouse un homme laïcar, très voltairien, qui va essayer de lui faire perdre la foi. Et puis finalement, il lui donne une biographie de Jésus de Renan, et au contraire, c'est le début de sa conversion. Et elle meurt jeune, mais elle gagne la conversion de son mari qui rentrera même dans les ordres après sa mort. Je trouve que c'est une belle histoire. Il y a plus ou moins une ouverture de procès qui a été entamée, mais je n'hésite pas à me confier souvent à elle. Je trouve que c'est un très beau parcours de femme.

  • Solange Pinilla

    Un moment qui vous ressource ?

  • Hélène Michon

    Alors, j'avoue que j'aime beaucoup les séries anglaises, la mise au cinéma de Jane Austen. Donc Pride and Prejudice, ça reste pour moi un très bon moment, même si je crois que je l'ai vu plus de dix fois. Dans la version de la BBC, bien sûr.

  • Solange Pinilla

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Hélène Michon

    C'est une question difficile, mais comme le Seigneur dit qu'il a préparé ce que l'œil n'a pas vu et ce que l'oreille n'a pas entendu, peut-être qu'en arrivant là-haut, je me dirais, c'était donc comme ça.

  • Solange Pinilla

    Merci beaucoup Hélène, et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu et nous vous donnons rendez-vous dans le numéro de mars 2024 comme nous l'évoquions au début de cet épisode le lien est dans la présentation du podcast et à bientôt pour un nouvel épisode

Share

Embed

You may also like