- Adèle Mazurek
Bienvenue sur le podcast à la rencontre des doctorants, podcast qui laisse la parole aux doctorantes et doctorants de l'École nationale des ponts et chaussées. Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Hugo Cordier, doctorant en science politique au LATTS – le Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés – qui réalise une thèse CIFRE en partenariat avec RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français. Hugo, tu travailles sur des problématiques liées à l’éolien en mer, et plus particulièrement sur la façon dont cette nouvelle technologie s’implante dans l’espace maritime français, à différentes échelles. Ta thèse, qui est dirigée par François-Mathieu Poupeau, chercheur au LATTS, s’intitule « Articuler des mondes : la planification de l’éolien en mer en France ». Explique-nous en quelques mots en quoi consistent tes recherches, et qu’entends-tu par « articuler des mondes » ?
- Hugo Cordier
Je travaille sur l’éolien en mer. Donc c’est une technologie d’énergie renouvelable qui va convertir le vent en électricité, depuis la mer. En gros, là où ça souffle plus fort, et où les éoliennes sont beaucoup plus imposantes qu’à terre. On en installe parce que ça produit plus, plus longtemps, et que c’est considéré comme moins conflictuel que l’éolien terrestre, notamment. Moi, ce que j’étudie, c’est pas vraiment les projets eux-mêmes, c’est un peu plus en amont. C’est-à-dire que ça se joue au niveau de la programmation et de la planification : vraiment le choix des volumes, de ce qu’on va mettre dedans, combien de temps on va le mettre, et aussi le choix des zones, avant qu’on resserre tout ça sur les zones-projets. J’aborde ça avec un regard en sciences politiques, mais je pourrai revenir dessus après. Et donc, si j’insiste en particulier sur le terme articuler des mondes, c’est parce qu’en fait, il y a plusieurs mondes. C’est-à-dire plusieurs systèmes d’acteurs très différents qui se rencontrent. Peut-être pas pour la première fois, mais en tout cas, qui n’ont pas forcément l’habitude de se côtoyer, à savoir : le monde de l’énergie et celui du maritime. Et donc, il faut articuler ces visions, ces manières d’être différentes — qui sont assez souvent divergentes aussi — pour pouvoir installer des infrastructures fixes, qui consomment beaucoup d’espace en mer, espace qui est lui-même déjà largement occupé par d’autres acteurs, souvent très bien implantés.
- Adèle Mazurek
Quels types d'acteurs, par exemple ?
- Hugo Cordier
Par exemple, c'est toujours utile de rappeler que l'espace maritime est très occupé à la fois par des humains et des non-humains. C'est-à-dire qu'en France, notamment, on a un littoral qui est très riche en matière de biodiversité marine. On a aussi beaucoup d'activités économiques, d'usages. Donc ça va de la pêche, l'économie bleue, l'aquaculture, le transport maritime. Puis on a aussi des enjeux de défense et de sécurité nationale, puisqu'il y a aussi beaucoup de zones de défense qui se trouvent en mer. Dans ce cadre-là, ça concerne aussi des enjeux de paysage. Et donc, à peu près toutes les personnes résidant ou vivant ou exploitant la mer à leur façon vont devoir faire un peu de place à l'éolien en mer pour pouvoir articuler tous les usages dans ce cadre-là. Quand je dis articuler des mondes, je regarde comment ces mondes, avec leur logique, leur vision, leurs intérêts et leurs enjeux, vont s'imbriquer, entrer en coopération ou entrer en conflit. Et dans ce cadre-là, il y a un grand articulateur, on pourrait dire, qui est l'État. C'est-à-dire qu'en fait, l'éolien en mer, en tant que politique énergétique, premièrement, relève d'un pilotage en administration centrale par la Direction Générale de l'Énergie et du Climat. Mais les parcs qui vont se trouver en mer se trouvent aussi sur le terrain de l'État. C'est-à-dire que le domaine public maritime, la mer, est un domaine de l'État. Donc on a une politique qui est vraiment entièrement centralisée, et dans ce cadre-là, non seulement parce que l'État l'a choisie, mais aussi parce que c'est sur son terrain. Et un détail qui a son importance pour la thèse, c'est qu'en fait je regarde qui est cet articulateur, comment il fait pour se coordonner, coordonner tous ces enjeux-là sur son terrain, mais aussi il faut rappeler que l'État, ce n'est pas forcément un bloc uni, c'est-à-dire qu'il y a des administrations qui vont s'occuper d'énergie, des administrations qui vont s'occuper de maritime, de biodiversité, et donc l'État doit commencer par se coordonner lui-même en interne, et ensuite coordonner tout ça, tous ces usages-là, à l'externe.
- Adèle Mazurek
C'est un sujet quand même assez spécifique. Parle-nous un peu de ton parcours et qu'est-ce qui t'a amené à t'intéresser à ce sujet de recherche ?
- Hugo Cordier
Alors j'ai fait un master en affaires publiques européennes à Sciences Po Toulouse, donc j'avais plutôt le regard tourné vers les politiques de l'Union européenne. Et au moment où je suis entré en master 1, il y a un élément déclencheur qui va vraiment créer une espèce de prise de conscience brutale, c'est les gilets jaunes. Parce qu'à ce moment-là, je prends conscience premièrement que l'énergie c'est un objet absolument social, il n'est pas uniquement technique, mais aussi d'un point de vue politique. L'énergie était un enjeu très fort parce qu'à l'origine, ce qui a lancé les Gilets jaunes, c'est la taxe carbone. La taxe carbone, ce n'est pas forcément une mauvaise idée en soi, mais c'est une mise en œuvre qui est désastreuse du côté politique. Et donc, ça m'a mis un petit peu la puce à l'oreille d'aller m'intéresser à des sujets énergétiques. Et dans ce cadre-là, j'ai commencé à m'intéresser à l'éolien en mer, qui était un sujet qui était porté par l'État et qui avait l'air d'émerger et d'être assez conflictuel. Donc, j'ai voulu me spécialiser un peu sur ce sujet-là. Et j'avais notamment, en 2019, fait un stage à la Commission nationale du débat public. Ensuite, j'ai voulu me spécialiser sur les sujets énergétiques. J'avais fait une alternance au master à Paris Diderot, qui était énergie, écologie et société. L'alternance se trouvait à la recherche et au développement de RTE. J'avais travaillé sur le rapport futur énergétique 2050. qui était sorti en 2021, qui établissait des scénarios de prospective de ce à quoi pourrait ressembler un système énergétique en 2050 dans le cadre d'objectifs énergie-climat. Et dans ce cadre-là, moi j'avais travaillé sur le volet social de ces scénarios-là et je m'étais intéressé en particulier à l'acceptabilité de l'éolien en mer. Et j'avais pu isoler à la fin de cette alternance. Un résultat que j'avais trouvé vraiment un peu surprenant. Quand on lit la littérature internationale ou nationale, on voit que l'éolien en mer est conflictuel, mais ce n'est pas si surprenant que ça. Les projets d'aménagement, de manière générale, sont conflictuels. Les projets d'énergie renouvelable aussi sont conflictuels. Donc de ce point de vue-là, pas de surprise pour l'éolien en mer. Par contre, ce que j'avais constaté, c'était que de plus en plus, on entendait parler du mot de planification. C'était un mot qui revenait de plus en plus dans le débat public. Et à l'international, on entendait souvent parler de planification dans son volet de planification spatiale maritime, donc de régulation un peu des usages, de politique maritime. Mais en France, c'était aussi dans ce cadre de planification spatiale maritime, mais aussi dans un aspect un peu plus de planification sectorielle. Donc un peu comme ce qui se passait à l'époque du plan Mesmer, l'idée de programmer solidement une technologie et de dire combien on en veut, quand, comment, où, à des pas de temps qui sont plus de deux ou trois ans ou même d'une décennie, mais là on parlait de 2050 voire plus. Et donc ça, ça m'a amené à m'intéresser à cet enjeu de planification parce qu'il concernait l'État. C'était à lui de planifier et l'espace et l'éolien en mer. Et au moment où je commence ma thèse, on voyait que l'État était très loin d'amortir un enjeu aussi fort.
- Adèle Mazurek
Justement, cette thèse, c'est une thèse CIFRE, donc comme tu le disais, que tu as fait avec RTE. Qu'est-ce que c'est exactement une thèse CIFRE ? En quoi ça change le quotidien d'une thèse plus classique ?
- Hugo Cordier
Alors une thèse CIFRE, c'est une thèse qui est financée par une entreprise. Donc dans ce cadre-là, moi j'avais proposé le sujet, je l'avais soumis parce que RTE, c'est une entreprise qui est chargée du raccordement de l'éolien en mer, donc qui s'intéressait aussi à ces mouvements politiques par rapport à l'État pour planifier justement. Et donc une thèse CIFRE, dans ce cadre-là, c'est l'entreprise qui va me financer en tant que chargée d'études pendant un contrat de trois ans.
- Adèle Mazurek
L'éolien en mer est souvent présenté comme un incontournable de la transition énergétique. Quel est le positionnement actuel de la France par rapport à ses voisins européens ? Et quels sont les principaux enjeux qui entourent cette énergie renouvelable ?
- Hugo Cordier
C'est principalement en mer du Nord que ça se passe pour l'éolien en mer. C'est parce qu'il y a des régimes de vent qui sont très favorables en mer du Nord et c'est aussi une mer qui est assez peu profonde par rapport aux littoraux français parce que les littoraux français, assez rapidement, on dépasse une profondeur de 50 mètres et 50 mètres c'est généralement la limite de profondeur pour l'éolien posé. Après on passe sur du flottant. Dans ce cadre là le Royaume-Uni et l'Allemagne sont vraiment en fer de lance sur l'éolien en mer mais vous avez aussi les Pays-Bas, vous avez le Danemark mais la France se positionne en fait de plus en plus comme un acteur incontournable, puisque depuis 2022 on a des objectifs de 40 puis de 45 gigawatts d'éolien en mer et ce qui représente en fait un chantier qui est titanesque. Pour donner un exemple, le premier parc éolien en mer de France on a mis une décennie à le sortir c'est à dire que en dix ans on a sorti la moitié d'un gigawatt Et là, en 28 ans, il va falloir sortir 50 à 60 parcs, des parcs qui peuvent avoir une superficie particulièrement grande. Pour prendre un exemple, si vous regardez le parc de Centre-Manche, il a une superficie de 183 km². En comparaison, la ville de Paris, c'est 105 km². Donc il va falloir répliquer ça, prendre beaucoup d'espace en mer pour implanter massivement des parcs d'éolien en mer. Et ça, évidemment, ça soulève des enjeux particulièrement forts en matière de planification.
Je voudrais aussi revenir faire un petit pas de côté historique, parce qu'il a été montré qu'en France, on avait du retard sur nos objectifs d'énergie renouvelable et sur les objectifs d'éolien en mer. C'est vrai et ça s'explique en fait pour plusieurs raisons, c'est-à-dire qu'en fait jusqu'à une période très récente, la transition énergétique avait des significations qui étaient très différentes de celles d'aujourd'hui. C'est notamment ce que Aurélien Evrard montre, c'est que pendant longtemps, les énergies renouvelables, c'était le véhicule d'une transition énergétique qui était décentralisée, petite échelle, petit volume qui vont foisonner un peu sur l'ensemble du territoire. Donc on avait vraiment une vision assez localisée, avec ses sobriétés aussi et qui était en opposition au système macro-technique qui existait à l'époque et qui existe encore aujourd'hui, tourné autour de grosses unités de production comme le nucléaire, avec un pilotage centralisé et technocratique. Donc les énergies renouvelables, à ce moment-là, c'était vraiment considéré comme une alternative de politique publique au système dominant. Et en fait, petit à petit, on voit que cette conception-là, elle va changer. Elle va notamment être appropriée par les acteurs dominants dans ce système-là. Et les énergies renouvelables vont s'adapter aux conditions du système technique en place. Et petit à petit, ça va passer d'un objet un petit peu farfelu qui menace le système actuel à un potentiel complément du mix énergétique. Alors ça reste de l'appoint parce qu'évidemment, on a des objectifs européens. On est peut-être en retard dessus, mais à l'époque, on a aussi une justification qui est de dire qu'on a du nucléaire, donc un mix déjà décarboné. Donc on n'est pas forcément pressé d'accélérer sur les énergies renouvelables comparé à d'autres pays européens, par exemple. Et en fait, tout ça, ça va nous amener à la période récente qui a commencé à exister politiquement autour d'une idée. Il va falloir qu'on décarbone notre économie qui repose encore beaucoup trop sur des énergies fossiles. Il faut le rappeler, en France, le mix électrique est décarboné, mais le mix énergétique, c'est 60 % d'énergie fossile. Et dans ce cadre-là, il faut aussi faire face à un parc nucléaire qui est vieillissant, qui a été implanté dans les années 70, 80, 90 et qui commence à vieillir. Donc il va falloir aussi anticiper de futurs problèmes d'approvisionnement, d'autant plus que le contexte géopolitique fait qu'on prend conscience, peut-être un petit peu tardivement, mais notre dépendance aussi aux énergies fossiles, par exemple le gaz russe. On voit aussi que ces énergies en parallèle deviennent économiquement viables et compétitives, donc ça facilite leur acceptation par les pouvoirs publics. Et donc là on a vraiment une conception de la transition énergétique qui va évoluer. On a en fait un consensus assez général sur une idée qui est pourtant assez ancienne, c'est qu'il va falloir électrifier nos usages pour s'extraire des énergies fossiles, c'est-à-dire de passer du véhicule à l'essence au véhicule électrique par exemple. Et donc dans ce cadre-là, il va falloir qu'on augmente considérablement notre production, il va falloir qu'on massifie la production d'énergie décarbonée, que ce soit plus de nucléaire, plus d'énergie renouvelable, les deux, l'un ou l'autre, Mais c'est ce qui explique qu'au moment où je commence ma thèse, l'éolien en mer s'est prévu pour 2028 à 6,2 gigawatts. Trois mois plus tard, on est sur 45 gigawatts. Et donc là, on a un mouvement de bascule considérable, qui n'est pas seulement lié à l'éolien en mer, qui est lié aux énergies renouvelables, qui va être celui de massifier et donc de planifier ce mouvement de bascule.
- Adèle Mazurek
Ce mouvement de bascule, finalement, il est apparu il n'y a pas si longtemps.
- Hugo Cordier
Non, du tout. C'est vraiment entre 2020 et 2021. Il y a eu plusieurs rapports qui sont sortis en même temps. L'ADEME, Négawatt, il y a eu Futur énergétique 2050 dont je parlais tout à l'heure. Il y avait eu aussi un rapport entre RTE et l'AIE, dans le cas du scénario à 2050, qui montrait que si on voulait vraiment décarboner notre économie, on ne pouvait se passer ni des énergies renouvelables, ni ensuite en option de soit plus de nucléaire, soit plus de sobriété ou plus de flexibilité.
- Adèle Mazurek
Quels sont les principaux acteurs et mécanismes impliqués dans cette planification de l'éolien en mer ?
- Hugo Cordier
J'en ai un peu parlé, l'acteur central ici c'est l'État. Il y a vraiment une galaxie d'acteurs qui va tourner autour de l'État avec plus ou moins d'efficacité pour influencer le processus de la politique publique. Et je les distingue en deux. deux grands mondes, c'est ce dont je parlais tout à l'heure, l'énergie et le maritime, mais je voudrais aussi préciser que c'est un regroupement thématique, par compétence, c'est-à-dire que ce n'est pas deux mondes qui vont agir comme des blocs unis et solidaires, c'est-à-dire tout le maritime contre toute l'énergie, il y a des dissensions entre ces acteurs, évidemment, en interne, c'est simplement plus facile de les regrouper selon leur thématique, et donc dans le monde de l'énergie, c'est le monde traditionnel, vous avez les industriels, RTE, DF, Iberdrola, RWE, vous avez les syndicats de producteurs, et vous avez aussi tout le segment. de l'État qui s'occupe d'énergie, notamment la Direction générale de l'énergie et du climat, l'Edreal. Et puis vous avez aussi le monde maritime. Le monde maritime, c'est aussi tous les segments de l'État qui s'occupent de maritime, d'enjeux de pêche, d'enjeux de défense, l'économie bleue. Vous avez aussi les collectivités territoriales, alors qu'elles sont un petit peu difficiles à classer parce qu'elles sont à la fois entre l'énergie et le maritime, mais de manière générale, les régions sont impliquées sur ces deux sujets-là. Dans le monde maritime, je l'ai regroupé parce que ça se situe dans le maritime, mais c'est un monde un peu à part quand même, c'est le monde de la biodiversité marine. Et là, ça va être tous les segments qui s'occupent de biodiversité, d'environnement marin dans l'État, l'Office français de la biodiversité et les associations de protection de l'environnement, par exemple.
- Adèle Mazurek
Alors, on va revenir un peu sur ta recherche et surtout sur ta méthodologie. Comment tu as procédé pour collecter et analyser des données sur ce sujet ?
- Hugo Cordier
Alors, ça a été assez long. C'est-à-dire qu'après le travail qu'on avait fait sur Futur énergétique 2050, ça m'avait permis d'avoir un bon ancrage sur la littérature, une vision assez globale de l'éolien en mer. Et là, j'avais prévu de faire une série d'entretiens. À l'époque, j'avais prévu d'en faire une centaine pour pouvoir compléter cette vision de l'éolien en mer. Et en fait, les objectifs ont un peu basculé. Et donc, j'ai été obligé d'aller voir un petit peu plus d'acteurs que prévu, notamment dans les mondes de la biodiversité et du maritime. Et donc là, je vais être à peu près sur 135 entretiens que je fais sur trois terrains. Donc le terrain national, les industries nationales, les associations de protection de l'environnement, WWF, FNE. Enfin voilà, tous les acteurs de l'État impliqués sur la planification, les opérateurs, les énergéticiens. Et aussi, je suis allé sur deux terrains qu'on appelle les niveaux façade. Parce qu'en France, le niveau administratif qui s'occupe de la mer, ça s'appelle la façade et qui réunit deux régions. Donc il y a la façade manche-est, mer du Nord, et la façade nord-atlantique, manche-ouest. Et là, c'est pareil, je suis allé voir tous les acteurs de l'État qui s'impliquaient sur la planification, les pêcheurs, les associations de l'environnement, les collectivités territoriales. Et en parallèle, j'ai fait un peu d'observation en débat public, en administration centrale, et puis bien sûr, la lecture des rapports et la littérature académique.
- Adèle Mazurek
Et ces entretiens et ces observations, elles sont normées ? Est-ce que vous avez un document avec vous ? Comment vous faites ensuite pour analyser vos données ?
- Hugo Cordier
Alors c'est des entretiens semi-directifs, c'est-à-dire j'ai une grille de questions que je pose. Généralement, j'ai des grandes familles de questions à poser, c'est-à-dire qui est l'acteur, quels sont ses enjeux, avec qui il travaille, est-ce qu'il y a des oppositions avec d'autres acteurs par exemple. C'est ce qu'on appelle le système relationnel. Et puis on a aussi des questions de type, est-ce que vous avez été obligé de prendre des arbitrages dans ces cas-là ? En fait, l'idée c'est de multiplier ces entretiens-là. Chaque entretien est individuel, on s'adapte à l'acteur avec qui on parle évidemment. Et ensuite, on les réplique. Et plus on a d'entretiens, plus ça permet de reconstituer un système avec toutes les interactions, les enjeux, qui est en position de pouvoir, qui est en position de force, est-ce qu'il y a un peu des marginaux, est-ce qu'il y a des sujets comme ça. Et donc, c'est pour ça que j'ai fait un peu autant d'entretiens, on va dire, à ces échelles-là.
- Adèle Mazurek
Et est-ce que c'est difficile d'obtenir ces entretiens ?
- Hugo Cordier
Ça dépend des acteurs. Du côté de l'État, j'ai eu beaucoup de réponses positives. Globalement, j'ai eu beaucoup de réponses positives. Dans le monde de l'entreprise, c'est un petit peu plus compliqué. Certains acteurs ont refusé ou n'ont jamais répondu à mes questions, n'ont jamais souhaité répondre à mes questions, mais ça reste vraiment une minorité. J'ai dû faire à peu près 145 demandes. Donc il y en a eu 135 de positives. Donc de manière générale, ça n'a pas été si difficile d'accès.
- Adèle Mazurek
Et donc du coup, tu te déplaces pour ces entretiens. C'est important aussi de voir la réaction des gens qui sont en face de toi, j'imagine.
- Hugo Cordier
Ça varie. En fait, c'est aussi une thèse post-Covid. Du coup, il y a aussi des acteurs qui ont beaucoup pris l'habitude de faire des teams, typiquement des visios. Il y a des acteurs qui préfèrent aussi que ce soit en vrai. J'ai aussi fait des entretiens chez les gens. J'en ai fait un à la cour des comptes, j'en ai fait un sur des lieux de travail. Ça varie un peu selon la personne, ce avec quoi elle est le plus à l'aise. Souvent, comme c'est des gens qui sont très occupés, ça les arrange d'avoir une visio sur laquelle ils ont une heure et puis c'est cadré.
- Adèle Mazurek
Bien sûr. Alors, une heure d'entretien, c'est ça ? C'était minimum, c'est la moyenne ?
- Hugo Cordier
Je dirais que ça varie entre une heure et trois heures. en général. Parfois, c'est 45 minutes, parfois c'est 2h30. Ça dépend de la personne, ça dépend de ce qu'elle a à me dire et de sa disponibilité aussi.
- Adèle Mazurek
Donc 2h30 d'entretien à retranscrire, j'imagine que ça prend du temps ?
- Hugo Cordier
Oui, ça prend beaucoup de temps. Avant de venir, j'avais essayé de faire le calcul entre le moment où vous lancez l'entretien, où vous commencez la discussion, si on inclut la retranscription, la lecture de l'entretien, essayer un peu de digérer toutes les informations. Moi, je dirais que je mets à peu près 10h pour un entretien d'une heure. Donc oui, ça prend un peu de temps, ce qui fait qu'aujourd'hui, je suis encore en train de relire mes entretiens.
- Adèle Mazurek
Même si tout n'est pas encore analysé, c'est possible de nous partager certaines tendances ou stratégies d'articulation qui commencent à se dessiner entre ces différents acteurs ?
- Hugo Cordier
Oui bien sûr. En fait, il y a déjà des grandes lignes qui vont émerger et qui vont constituer la thèse que j'aimerais défendre plus tard. Déjà, ce qu'il faut savoir, c'est qu'entre 2017 et 2024, l'éolien en mer a complètement changé de format. Ça passe vraiment d'une technologie d'appoint à un véritable pilier du mix énergétique. Et ça, ça va avoir des grosses implications pour l'État, qui va avoir un rôle de planification beaucoup plus fort qu'initialement. Et dans ce cadre-là, ce qu'on observe, c'est que la décennie 2020, c'est vraiment une décennie un peu incertaine pour l'éolien en mer. C'est-à-dire, combien ça coûte ? Est-ce qu'on en veut vraiment ? C'est vraiment une décennie qui va jouer autour des coûts, typiquement, et qui va être réglée. Donc en 2022, quand Emmanuel Macron annonce 40 gigawatts d'éolien en mer, cette question-là, elle est réglée. On va faire de l'éolien en mer. Par contre, au début de la décennie 2020, il y a un gros changement qui opère. Maintenant qu'on sait combien on veut en mettre, il va savoir où on veut en mettre. Et là, on n'est plus sur des questions de volume, on est sur des questions d'espace. Et le début de la décennie 2020, pour moi, c'est vraiment une décennie de l'espace. C'est-à-dire que le monde de l'énergie va être... obligé d'impliquer beaucoup plus fortement le monde maritime. Donc là, vous avez un enjeu qui est très fort d'articulation parce que vous avez un monde de l'énergie qui s'est préparé, qui est un peu en ordre de bataille. Ça fait 15-20 ans qu'on se prépare à déployer l'éolien en mer. Cependant, le monde maritime pourrait contrarier ce développement-là. Ça pourrait constituer une forme de blocage à terre. Et donc, dans ce cadre-là, la conquête de la mer, entre guillemets, s'avère particulièrement complexe. Et ce que je voudrais montrer, c'est un peu quelque chose à deux faces. C'est que, premièrement, contrairement à une idée qu'on pourrait se faire, On n'est pas vraiment sur deux mondes qui évoluent en vase clos, qui se font face avec une conquête totale de l'espace maritime par l'énergie. Même si on voit que l'éolien en mer, c'est une politique dominante, c'est une conquête qu'il faut relativiser. C'est-à-dire que le monde de l'énergie a été obligé de se recomposer fortement face au maritime, s'adapter aux conditions dans lesquelles il avait évolué. Et la mer aujourd'hui, évidemment, elle est toujours vue comme un gisement, mais plus seulement à travers un prisme technico-économique. On pourrait presque dire que le monde de l'énergie est devenu un acteur du maritime à part entière. Et pour finir, il y a une stratégie d'articulation que j'aimerais montrer en particulier, qui est construite par ce que j'appelle pour l'instant des bâtisseurs. Quand je parle de bâtisseurs, je fais référence à une espèce de retour de l'énergie dans sa forme planificatrice, c'est-à-dire l'idée qu'on va bâtir, on va construire des infrastructures, des grosses unités de production en mer. On va aussi construire un réseau électrique en mer, ça c'est nouveau. Mais ces bâtisseurs, contrairement aux apparences, ils ne sont pas seulement énergétiques. Et ce qu'on voit, c'est que dans le secteur maritime, Les stratégies d'adaptation à l'éolien en mer, elles sont parfois réactives, pour la pêche ou la défense, c'est souvent réactif. Mais ce qu'on observe aussi, c'est qu'il y a certains acteurs dans le maritime qui ont perçu un potentiel dans l'éolien en mer, une opportunité de faire exister une politique, par exemple la planification maritime, qui était une politique qui était beaucoup moins portée politiquement que l'énergie. Et ce qu'il y a d'intéressant, c'est de voir qu'à travers l'éolien en mer, on peut aussi bâtir, au sens de fonder, fonder une administration de la mer, fonder un ministère de la mer, par exemple. Et c'est un peu ce qui a été entrepris pour l'administration qui a été chargée de la planification maritime et des affaires maritimes, par exemple. Alors évidemment, cette administration, le ministère de la Mer, n'a pas été créée autour de l'éolien en mer, ce serait une erreur de dire ça, mais on voit que ça n'a pas été pris comme une menace. Au contraire, non seulement l'éolien en mer, en fait, ça leur permet de gagner en indépendance, ça leur permet d'exister sur leur propre sujet, notamment le portage de la planification maritime, ce que je disais, mais en parallèle, et ça aussi c'est important sur la politique publique, c'est que ça leur permet d'insuffler leurs propres enjeux, leur propre vision de la mer à l'éolien en mer. et de revendiquer d'être un peu le porte-parole d'une version transversale et d'une version politique de la mer, en valorisant par exemple une vision équilibrée des usages et planifiée à long terme, donc pas juste seulement une programmation énergétique qu'on déploie dans la mer, ou encore une planification de la mer qui ne serait pas appropriée par quelques acteurs. Et là je précise bien que les quelques acteurs, c'est pas seulement l'énergie, c'est aussi la pêche par exemple, donc en évitant notamment ce qu'on appelait la métaphore du cadastre, où la mer serait la propriété de quelques-uns en gros. Et donc en fait, il s'agissait donc d'insuffler une approche de planification maritime, à la programmation de l'éolien en mer et dans ce cadre-là, d'articuler des mondes.
- Adèle Mazurek
Merci beaucoup. Nous arrivons déjà à la fin de ce podcast. Merci d'être venu nous parler de ta thèse. Merci. Quant à moi, je vous retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode du podcast à la rencontre des doctorants, à retrouver sur la revue numérique de l'École nationale des ponts et chaussées, ingenius.ecole-des-ponts.fr.