- Gilles Halais
(Voix off) Cap Intégrité, le podcast de l'Agence française anticorruption. Me voici de retour à l'Agence Française Anticorruption pour un nouvel épisode de Cap Intégrité. Bonjour à toutes et à tous, c'est Gilles Halais. Ma visite d'aujourd(hui aux agents de l'AFA concerne un sujet central et complexe pour les entreprises et pourtant pas toujours pris à bras le corps par leurs dirigeants. On peut parler de "compliance", en bon français on préfèrera la "fonction conformité". Voilà, le temps de prendre l'ascenseur, il arrive et on entre dans le vif du sujet. Bonjour Angélique Ivanciuc.
- Angélique Ivanciuc
Bonjour Gilles, ravi de vous accueillir à la fin.
- Gilles Halais
Vous êtes chargée d'appui aux acteurs économiques. Est-ce qu'on peut définir simplement la compliance, la fonction conformité anticorruption ?
- Angélique Ivanciuc
Comme vous le savez sûrement, les très grandes entreprises, celles qui emploient au moins 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros, doivent mettre en place des mesures et des procédures pour prévenir et détecter les faits de corruption et de trafic d'influence. C'est la Loi Sapin II qui prévoit cette obligation et qui incombe plus particulièrement aux dirigeants. Comme vous pouvez l'imaginer, la mise en œuvre de ces procédures et mesures peut s'avérer une tâche assez complexe et lourde. C'est pourquoi il est assez fréquent que ces dirigeants créent une fonction dédiée dans l'entreprise, la fonction conformité anticorruption. Son rôle sera de concevoir et de piloter le dispositif anticorruption et elle devra rendre compte aux dirigeants de l'efficacité des mesures qui sont mises en œuvre, mais également des difficultés qu'ils peuvent rencontrer.
- Gilles Halais
On en entend assez peu parlé, est-ce à dire que cette fonction n'est pas très répandue dans les entreprises, Angélique ?
- Angélique Ivanciuc
En tout cas, elle est très développée au sein des grandes entreprises qui sont assujetties à la Loi Sapin II. Elle fait notamment l'objet de diverses études menées par des cabinets de conseil, des fédérations et des associations professionnelles, mais aussi par la fin. Bien évidemment, notamment au travers de son diagnostic 2022 sur la maturité des dispositifs anticorruption au sein des entreprises.
- Gilles Halais
Vous trouverez d'ailleurs le lien renvoyant vers ce diagnostic dans le descriptif du podcast.
- Angélique Ivanciuc
J'ajouterai que les entreprises peuvent être confrontées à une multitude de risques. Il n'est pas rare que les services de conformité aient en charge, en plus de l'anticorruption, d'autres domaines liés à la conformité, comme l'éthique, la déontologie, la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement de terrorisme, ou encore la protection des données personnelles. C'est pourquoi dans la plupart des cas, les dirigeants vont nommer un responsable de la conformité qui coordonnera le dispositif et il est très important que ce responsable ait un accès direct au dirigeant afin de pouvoir l'informer sur les risques auxquels l'entreprise est exposée.
- Gilles Halais
Si je comprends bien Angélique, les dirigeants peuvent déléguer la mise en œuvre opérationnelle mais pas se décharger de la responsabilité juridique de la conformité anticorruption.
- Angélique Ivanciuc
Exactement. Au regard de la Loi Sapin II, les dirigeants sont responsables de la conformité anticorruption au sein de leurs entreprises. Mais ils sont bien évidemment libres de désigner quelqu'un pour coordonner ces questions. Cela peut être une personne entièrement consacrée à ce poste ou une personne déjà responsable d'une autre fonction. On pense notamment aux responsables juridiques, aux responsables de l'audit ou encore du contrôle interne.
- Gilles Halais
Sur quels critères est-il choisi ?
- Angélique Ivanciuc
Il en existe plusieurs. En premier, son niveau de connaissance de l'entreprise et de ses activités, mais aussi son niveau de connaissance de la législation. Son sens relationnel et sa capacité à travailler en équipe sont également des critères essentiels car il sera amené à échanger avec toutes les directions de l'entreprise. Ensuite, son expérience en matière de conformité et de gestion des risques. Et enfin, sa capacité à assurer la confidentialité des missions, qui peuvent parfois être sensibles. Comme vous pouvez le constater, les critères sont multiples. Bien évidemment, tout cela est dans l'idéal, et généralement, il faut au minimum de l'expérience en matière juridique.
- Gilles Halais
Faut-il, Angélique, une formalisation particulière pour installer le responsable conformité anticorruption dans sa fonction ?
- Angélique Ivanciuc
Pour garantir que ce responsable soit en mesure de mener à bien ses missions, les dirigeants peuvent utilement rédiger une lettre de mission soulignant son indépendance, son positionnement, son rôle et les moyens alloués. Pour asseoir sa légitimité au sein de l'entreprise, il appartient au dirigeant de le faire connaître du plus grand nombre et d'insister sur l'importance de ses missions. Ils peuvent, au-delà de la formalisation d'une simple lettre, la communiquer à l'ensemble des collaborateurs ou prévoir une communication plus générale sur la désignation du responsable conformité et le dispositif anticorruption. En tout état de cause, cette personne doit être clairement identifiée et identifiable, ce qui est le cas pour 9 entreprises sur 10 qui ont répondu au diagnostic 2022 de l'AFA.
- Gilles Halais
Avant de passer à la question suivante, je voudrais qu'on écoute le témoignage de, appelons-le François. Il est responsable conformité dans une entreprise du secteur des services d'environ 1400 salariés et vous allez l'entendre, aux yeux de son patron, la conformité est vraiment un sujet secondaire.
- François
Je suis directeur juridique de l'entreprise. J'ai bien eu du mal à sensibiliser mon PDG à la compliance. Il a fini par admettre qu'on ne pouvait pas passer à côté du sujet, mais bon franchement à chaque fois que je lui en parlais, il a toujours plus urgent à faire. Et je ne vous parle pas des moyens que je réclame pour faire mon boulot correctement. Je pense que je vais les attendre encore longtemps. En fait, je crois qu'au fond de lui-même, ça ne l'intéresse pas, ça ne lui parle pas.
- Gilles Halais
Angélique, ça n'a pas l'air complètement simple pour François.
- Angélique Ivanciuc
Effectivement. La logique de conformité n'est pas toujours aisée à faire comprendre. Souvent, les entreprises n'y voient qu'une charge supplémentaire imposée par la loi. Dans le cas de François, si l'entreprise dans laquelle il travaille a plus de 500 salariés et réalise un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros, elle est susceptible d'être assujettie à la Loi Sapin II et donc de faire l'objet d'un contrôle de l'AFA, qui s'assurera de l'existence, la qualité et l'efficacité des mesures anticorruption. En cas de manquement avéré, l'AFA peut saisir la commission des sanctions de l'AFA, qui pourra infliger une sanction pécuniaire au dirigeant et à son entreprise, et l'enjoindre de se mettre en conformité. Mais en réalité, l'entreprise ne fait pas de la compliance uniquement pour faire plaisir aux autorités ou répondre à un contrôle, mais parce qu'elle a compris qu'elle y a intérêt afin de prévenir les conséquences négatives d'un risque, en l'occurrence de corruption. En effet, si elle ne dispose pas de mesures de prévention et détection de la corruption et qu'elle se retrouve impliquée dans une affaire de corruption, l'entreprise peut être confrontée à des conséquences désastreuses pour ses dirigeants et pour elle-même. Pour la corruption, au-delà d'une amende qui peut être très conséquente, les dirigeants encourgent jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et la liste des peines complémentaires pour les entreprises est longue puisque cela va de l'exclusion des marchés publics à la fermeture de l'entreprise.
- Gilles Halais
Au-delà des sanctions, une affaire de corruption peut avoir d'autres conséquences pour l'entreprise ?
- Angélique Ivanciuc
Tout à fait. Si les poursuites ou la condamnation de l'entreprise pour corruption sont rendues publiques, Vous l'imaginez bien, la réputation de l'entreprise va empâtir et son image sera dégradée auprès de ses clients, de ses partenaires, de ses investisseurs, etc. Cela peut conduire à une perte de revenus et une dégradation du profil financier de l'entreprise. Par ailleurs, l'entreprise peut être confrontée à des conséquences humaines, que ce soit en raison de licenciements ou de démissions. C'est pourquoi il est indispensable de prévenir et détecter le mieux possible le risque de corruption. Et cela demande quelques ressources.
- Gilles Halais
La question des moyens, Angélique, il ne suffit pas de nommer un responsable conformité, encore faut-il lui donner les moyens de travailler.
- Angélique Ivanciuc
Et ces ressources ont deux, trois ordres, humaines, financières et techniques. A partir du budget alloué, le responsable anticorruption pourra bénéficier par exemple de moyens internes, une équipe, des outils informatiques, des locaux, etc. Ce budget peut aussi parfois être utilisé pour faire appel à des prestataires externes. En raison de la complexité et de la diversité des sujets pouvant toucher à la conformité anticorruption.
- Gilles Halais
Les moyens pour accomplir leur mission, on peut les détailler d'ailleurs ces missions ?
- Angélique Ivanciuc
L'essentiel des missions porte sur le déploiement, la mise en œuvre et le suivi des mesures anticorruption. A titre d'exemple, un des premiers outils que va piloter le responsable conformité, c'est l'élaboration de la cartographie des risques de corruption. En effet, c'est un pilier essentiel du dispositif qui permet d'identifier, d'évaluer et de hiérarchiser les risques auxquels l'entreprise pourrait être confrontée. Il va notamment établir cette cartographie avec l'ensemble des personnes qui sont amenées à intervenir dans un processus métier, vente, achat, RH, comptabilité, etc., qu'il s'agisse d'opérationnels ou de cadres responsables de ces processus métiers.
- Gilles Halais
Et concrètement, comment ça se passe ?
- Angélique Ivanciuc
Par des entretiens, par exemple, au cours desquels ces personnes échangent librement dans le but d'identifier les scénarios de risque de corruption auxquels elles pourraient être, dans l'absolu, confrontées dans leur métier. Et grâce à cette démarche, le responsable conformité acquiert la connaissance des risques de corruption et la légitimité nécessaires pour mettre en place les autres mesures anticorruption. C'est un travail très important, mais il bénéficie à toute l'entreprise, au-delà même de la conformité. Et c'est un autre des aspects que notre ami François peut faire valoir auprès de son patron. Une entreprise qui connaît ses risques et passe en revue ses process est globalement plus performante et plus résiliente.
- Gilles Halais
Est-ce qu'il y a d'autres missions qu'on peut lui confier ?
- Angélique Ivanciuc
Oui, tout d'abord le responsable conformité participe à la rédaction du code de conduite qui édicte la politique anticorruption de l'entreprise et les comportements à adopter ou à proscrire pour les salariés. Il peut également aider à la création de modules de sensibilisation et de formation à destination des personnels. Il peut même participer à ces formations, c'est un bon moyen pour lui de se faire connaître auprès de tous les salariés. Il a aussi un rôle majeur dans la procédure d'évaluation des tiers, qui consiste à collecter des informations sur les clients, les fournisseurs de premier rang, les intermédiaires, les agents publics chargés de délivrer des autorisations à l'entreprise, etc., afin d'identifier et d'évaluer les risques attachés à ces derniers. Dans ce cadre, le responsable conformité définit la procédure, apporte son expertise aux personnes en charge des évaluations et donne son appréciation sur les tiers les plus risqués. Au-delà de son implication dans la mise en œuvre du dispositif anticorruption, le responsable de la conformité peut veiller à la mise en place d'une gouvernance efficace, afin de mettre en musique le dispositif, pour que les mesures parlent entre elles. Il peut par exemple créer un comité anticorruption, regroupant les représentants des différentes directions concernées.
- Gilles Halais
On entend beaucoup parler ces derniers temps, Angélique, de lanceurs d'alerte dans les entreprises. C'est aussi un sujet pour le responsable conformité ?
- Angélique Ivanciuc
Effectivement. Le responsable conformité s'assure d'abord que le dispositif d'alerte interne existe au sein de l'entreprise, qu'il est efficace et qu'il est connu de tous. Il peut ensuite être amené à suivre le recueil et le traitement des alertes relatives à des soupçons ou d'effets de corruption, voire assurer lui-même le traitement des alertes les plus sensibles.
- Gilles Halais
Et comment s'assurer que tout cela fonctionne ?
- Angélique Ivanciuc
Vous avez raison, c'est un point essentiel. L'entreprise peut mettre en place des contrôles pour s'assurer de l'efficacité des mesures du dispositif anticorruption. Le responsable de la conformité participe à leur mise en place, mais attention, sans toutefois réaliser lui-même les contrôles, afin de respecter le principe de séparation des tâches. Il définit par ailleurs les mesures correctives à mettre en place dans le cadre d'un plan d'action, pour les manquements constatés lors de ces contrôles, et le tout en collaboration avec les services de contrôle interne et comptable de l'entreprise.
- Gilles Halais
Dans le cas d'un groupe de société, comment s'articule la fonction ?
- Angélique Ivanciuc
Il est recommandé de désigner un responsable de la conformité pour le groupe et des référents conformités pour chaque filiale, chaque unité opérationnelle ou chaque pays. C'est d'ailleurs le cas pour 60% des entreprises qui ont répondu au diagnostic 2022 de l'AFA. Il n'est pas nécessaire que ces référents soient des experts de la conformité, il suffit qu'ils soient suffisamment formés et clairement désignés pour être en mesure de remplir leurs fonctions de référent. Ils peuvent d'ailleurs appartenir à d'autres fonctions de l'entreprise, juridiques, contrôles, qualité, sûreté, etc. Le responsable de la conformité du groupe coordonne l'ensemble du dispositif anticorruption. Par exemple, il va s'assurer de diffuser auprès des référents toutes les informations et les éléments méthodologiques nécessaires. Il va s'appuyer sur leur expertise et les référents auront pour mission de remonter les risques spécifiques de corruption auxquels les filiales sont exposées. Pareil pour les contraintes et les réglementations locales à prendre en compte pour adapter certaines politiques du groupe.
- Gilles Halais
Angélique, j'ai gardé la question la plus sensible pour la fin. Est-ce que le responsable conformité peut être inquiété en cas de manquement de l'entreprise constatée lors d'un contrôle de l'AFA ?
- Angélique Ivanciuc
Rassurez-vous, non. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, la Loi Sapin II impose aux dirigeants de mettre en œuvre des mesures anticorruption au sein de l'entreprise. Seuls les dirigeants pourront être tenus responsables devant la commission des sanctions de l'AFA. Des manquements constatés lors d'un contrôle de l'AFA, même s'il délègue la mise en œuvre opérationnelle au responsable de la fonction conformité. Ce sont bien les dirigeants qui encourt une sanction administrative pouvant aller jusqu'à 200 000 euros et l'entreprise en tant que personne morale une sanction pouvant aller jusqu'à 1 million d'euros. Évidemment, cela n'absout pas le responsable conformité d'éventuelles conséquences vis-à-vis de son employeur pour ses insuffisances professionnelles ou d'éventuelles poursuites pénales, dans l'hypothèse où il n'y a pas un simple manquement administratif, mais une infraction à laquelle il aurait participé. Mais en cela, il n'est pas placé à une enseigne différente de celle des autres salariés.
- Gilles Halais
Merci Angélique Ivanciuc. On ne peut que conseiller à François d'évoquer tous ces risques avec son PDG. Vous avez des questions concrètes sur la fonction conformité, sachez que vous pouvez les poser directement par mail aux chargés d'appui aux acteurs économiques de l'AFA. Vous écrivez à l'adresse suivante afa@afa.gouv.fr Je vous encourage également à télécharger le guide pratique et gratuit édité par l'AFA "La fonction conformité anticorruption dans l'entreprise". Il est disponible sur notre site agence-française-anticorruption.gouv.fr. Partagez, commentez ce podcast et à très bientôt pour un nouvel épisode de Cap intégrité. Nous parlerons de l'importance des contrôles comptables anticorruption.
- Angélique Ivanciuc
Cap Intégrité. Le podcast de l'Agence Française Anticorruption.