Virginie MontmartinVous vous posez des questions sur l'agriculture ? Vous êtes au bon endroit. Je m'appelle Virginie, je suis journaliste agricole, mais aussi 100% urbaine et pas du tout issue du monde agricole. Depuis que je travaille dans ce domaine, je vois bien qu'on a tous des milliers de questions sur le sujet. Dans Agriquoi, j'ai décidé d'essayer de répondre à toutes ces questions qu'on n'ose pas poser. Bonne écoute ! Bonjour tout le monde et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast Agriquoi. Le chant du coq, les cloches des vaches, le passage du tracteur, ça saoule, non ? En tout cas, ça semble l'image donnée dans les conflits de voisinage médiatisés entre agriculteurs et néo-ruraux. Ça fait sourire, franchement, c'est presque caricatural. Et pourtant, derrière ça, il y a quand même une vraie forme de malaise palpable. Depuis l'après-Covid, il y a de plus en plus de personnes qui recherchent une maison à la campagne. Et c'est très bien, mais ça crée parfois des tensions, au point d'aller au procès. On parle de près de 1300 procédures judiciaires en cours fin 2023 pour des bruits et odeurs de la campagne. Alors, de quelles nuisances agricoles on parle exactement ? Et pourquoi une loi est sortie sur le sujet en avril dernier ? C'est le sujet de l'épisode du jour. Alors déjà, de quoi on parle ? Si je vous dis nuisances sonores et olfactives, il y a fort à parier que vous avez pensé au chant du coq, aux cloches des vaches ou encore à l'odeur du fumier. Et c'est normal, parce qu'en fait c'est souvent l'image d'épinal de la campagne que l'on voit dans les films, dans les publicités ou qu'on se représente, tout simplement. Mais en vrai, les problématiques de nuisances agricoles, c'est beaucoup plus large que ça. Ça concerne en fait tout le travail de l'agriculteur. Donc par exemple, quand il a besoin de travailler la nuit et le week-end. C'est le bruit des moissons durant l'été. C'est les traitements chimiques, plus ou moins proches des habitations. C'est l'occupation de la route également, les passages du tracteur. Bref, tous ces moments de rencontre entre l'agriculteur et les habitants à côté. Donc en fait, c'est beaucoup plus large qu'un petit bruit bucolique qu'on peut entendre et qui provoque des tensions, ça peut être vraiment... des différences de point de vue ou des incompréhensions sur ce que fait l'agriculteur à côté. Donc chaque cas est particulier. Je vous donne un exemple. Je discutais l'année dernière avec un agriculteur qui me racontait qu'il avait arrêté son élevage de vaches laitières car plusieurs voisins se plaignaient que son troupeau traversait la route pour aller au pré tous les jours puisque forcément il devait les traire. Donc il devait les emmener au pré et les ramener. Et que cela les ralentissait et en plus la route était sale. Il a donc remplacé son troupeau par un troupeau de vaches à viande, qui peuvent, elles, rester dans le pré plusieurs jours, puisqu'il n'y a pas besoin de les traire. Et là, les voisins ont dit qu'ils étaient tristes de ne plus avoir de lait frais dans le village. Bon, l'agriculteur était un peu crispé, en me le racontant, on ne va pas se mentir. La deuxième idée reçue, que j'ai pu voir notamment dans le traitement médiatique fait de ces conflits, c'est qu'on imagine souvent ces problématiques dans une campagne isolée et silencieuse, où il y a genre 500 habitants. Et un coq, du coup. Mais en fait, non. Certes, il y a 33% du territoire français qui est dit rural, mais rural ne veut pas dire vide. Les néo-ruraux, justement, comme on dit, s'installent souvent plus dans des petites villes de moins de 50 000 habitants, par exemple, ou dans les zones périurbaines entre villes et campagnes. Et pourquoi ? Parce que dans ces lieux-là, il y a des services, il y a des industries pour travailler, et il y a aussi de l'agriculture. Donc en fait, il y a déjà toute une économie de la campagne qui est mise en place, et c'est là où il peut y avoir souvent conflit, et qu'il faut du coup réussir à cohabiter. Donc en fait, il y a plein de formes de conflits ruraux, plus ou moins sérieux, plus ou moins folkloriques si vous voulez, mais en tous les cas, c'est beaucoup plus profond que ce qu'on entend parfois dans le traitement médiatique. Je vous avoue que ça m'a crispée pour préparer l'épisode. Donc, je vous donne quelques exemples. Un agriculteur doit payer 105 000 euros car ses engins agricoles polluent la vue depuis le gîte du voisin. Un autre est condamné à payer 106 000 euros suite à la construction de deux hangars qui provoquent des nuisances sonores supplémentaires dans le village. Donc ce sont des sommes quand même assez conséquentes pour un agriculteur qu'il doit le payer et ça montre aussi les incompréhensions encore une fois qu'il peut y avoir. Et pour pouvoir aider ces situations, il y a des lois qui sont mises en place. La première a été faite en 2021 suite au cas du coq Maurice. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais c'est devenu un peu le symbole des conflits de voisinage agricole. C'est l'histoire d'un coq qui chantait à 6h du matin et des voisins ont porté plainte. Ils ont perdu leur procès contre la propriétaire du coq. Et il n'en fallait pas plus pour les gros titres de journaux sur ces urbains incapables d'apprécier les bruits de la campagne. Sauf que en fait, pas du tout, ça n'a rien à voir ! Les urbains, ce sont des agriculteurs retraités qui habitent dans le limousin et qui étaient en vacances à l'île de Léron. Et visiblement, ils n'appréciaient pas le coq de la voisine. Donc qui est le rural, qui est l'urbain ? Je ne sais pas. Au mieux, c'est un conflit de vacanciers contre habitants. Mais enfin bref, il y a eu d'autres cas également de problématiques sur le champ des animaux en campagne. Et donc il y a une loi en 2021 qui est sortie pour protéger le patrimoine sensoriel des campagnes. L'objectif, c'était de recenser tous les bruits de la campagne qui doivent être préservés. Et cela devait permettre justement de souligner, lors de l'achat d'une maison, les bruits ou les désagréments qu'il peut y avoir autour. Sauf que, vous vous rendez compte du travail que cela peut demander, il faut quand même une certaine méthodologie pour que ce soit fait au niveau national. Et en fait, les régions qui sont en charge de faire cet inventaire, sont toujours en difficulté, là, fin 2023, pour pouvoir mettre en place cette loi, tellement c'est compliqué de recenser tous ces bruits, toutes ces choses qui font la campagne. C'est pas grave, deuxième tentative, qui est celle la plus récente, qui est en décembre 2023, le Parlement vote la loi pour les troubles anormaux de voisinage. Et ce vote est suivi également par celui du Sénat en mars 2024. Et la loi a été promulguée là, en avril 2024. Cette loi, elle vient confirmer la responsabilité de la personne causant ces troubles anormaux de voisinage. Donc, le truc normal, il y a un truc qui ne va pas, on cherche la responsabilité, c'est la personne qui produit ce bruit qui en est responsable. Jusque-là, ça se tient. Mais on a ajouté une exception dans cette loi. Cette exception, elle dit que la responsabilité ne peut être engagée si les activités sont antérieures à l'installation de nouveaux occupants. En gros, si la ferme était déjà là avant ton arrivée, tu ne peux rien dire. Alors bien sûr, c'est caricatural, je vous l'abrège, mais c'est un peu ça l'idée. Mais il y a des exceptions à l'exception. Bien sûr, si la dite ferme ne respecte pas la loi, genre elle pollue les eaux, les effluents ne sont pas traités, etc., bien sûr qu'il peut y avoir procès. C'est pas, "bon, avant, rien n'allait, on va laisser comme ça". Pas du tout, c'est pas un droit à polluer, selon la loi. Après, on verra comment c'est appliqué, mais en tous les cas, c'est bien expliqué que si elle ne respecte pas la législation, bien sûr qu'il peut y avoir procès. De même, si la ferme veut s'agrandir, s'il y a un changement dans l'exploitation, Par exemple, si la ferme va avoir plus d'animaux, là, il est possible également de s'exprimer. D'ailleurs, il peut y avoir des consultations publiques ou un échange avec le maire, parce que le maire doit donner le permis de construire à l'agriculteur pour pouvoir agrandir son exploitation. Donc, en fait, l'objectif de cette loi, avec cette exception, c'est vraiment d'éviter les cas de plainte pour routes sales, bruit d'animaux, travail le week-end. Mais bien sûr, l'objectif, ce n'est pas seulement de parler de procès dans ces nuisances des maires et des associations. ont déjà cherché des solutions pour pouvoir faciliter la cohabitation entre toutes ces personnes. Par exemple, certains proposent un livret d'accueil au niveau arrivant pour présenter les activités et le fonctionnement du village. D'autres proposent une journée dédiée à ça pour pouvoir se rencontrer ou même une visite de ferme pour rencontrer l'agriculteur. J'échangeais justement avec un maire et il me disait que ces discussions désamorçaient souvent les incompréhensions. et que sinon, il est changé en direct avec les deux parties, en gros dans son bureau, en cas de conflit, que ce soit pour une haie qui n'est pas bien placée ou qui dérange, que ce soit pour des nuisances sonores, et que souvent, il trouve un accord sans avoir besoin d'aller jusqu'au procès. Voilà, donc encore une fois, tout dépend des conflits. Et pour terminer, un petit point sur tous ces procès, on en parle beaucoup, il y a beaucoup de faits divers. Mais sachez qu'en fait, ce n'est pas les premières problématiques qu'il y a dans les campagnes. La première, ça va être sur le foncier. C'est est-ce que ce terrain est constructible ou pas ? Est-ce que l'agriculteur à côté va le racheter ou pas ? Beaucoup plus que des questions de nuisances sonores et olfactives et autres. Ça va être beaucoup plus des disputes sur le foncier ou sur des gros projets. Par exemple, l'installation d'un méthaniseur, d'une nouvelle usine ou d'éoliennes, par exemple. Ça va être plutôt ce genre de conflits qui vont arriver au procès. Voilà, c'était pour resituer les 1300 cas que je vous citais en introduction. C'est donc la fin de cet épisode. Je tenais à vous parler de ce sujet, car honnêtement, j'aime pas trop, j'aime même pas du tout l'image simpliste d'une campagne fleurie et de conflits entre des urbains incultes contre des agriculteurs énervés. Je pense que vous avez compris que c'était un petit peu plus complexe que ça. qu'il y a tous les types de nuisances et de problématiques agricoles, et dans tous les types de villages plus ou moins grands, plus ou moins petits, plus ou moins proches des grosses villes, il y a beaucoup de contexte à mettre dans tout ça. Et en plus, je trouve qu'il est normal de se poser des questions et d'être inquiet, notamment sur la question des pesticides et de leur répandage. Moi, la première, j'ai commencé Agriquoi parce que je ne connaissais pas du tout le monde agricole, et je trouve ça très bien pour ouvrir des débats. Mais je comprends aussi que l'agriculteur puisse se sentir parfois agressé par certaines remarques, ou quand on vient caillasser son tracteur, il faut être honnête. J'espère que cette loi sur les troupes de voisinage va arrondir les angles, on verra ce que ça donne, en tous les cas. n'hésitons pas à discuter voilà, on se retrouve dans un prochain épisode et je vous dis à bientôt !