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Au Bénéfice du Doute, le podcast où les victimes de violences sexuelles prennent la parole

Marion, un procès en Cour d'Assises couvert par la presse

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38min |20/10/2025
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Au Bénéfice du Doute, le podcast où les victimes de violences sexuelles prennent la parole

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38min |20/10/2025
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Description

📢 Marion, ancienne mannequin, victime de son patron, décrit son parcours judiciaire en Cour d'Assises, couvert par la presse.


💙 N'hésitez pas à partager cet épisode à vos proches, que ce soit pour se préparer à un procès ou pour sensibiliser aux violences sexuelles.


🟣 Si vous ou un proche êtes victime de violences sexuelles, ne restez pas seul.e:

  • Appelez le 3919

  • Maison des Femmes dans le 12ème arrondissement de Paris, https://mdfparis.fr/

  • Le collectif Féministe contre le viol au 0 800 05 95 95


📩 Si vous souhaitez témoigner, n'hésitez pas à envoyer un e-mail à aubeneficedudoutepodcast@gmail.com ou en message privé sur Instagram @aubeneficedudoute . 


Au Bénéfice du Doute est une émission entièrement auto-produite par Julie Dusserre.


Musique originale : Sandra Fabbri


Illustration : Camélia Blandeau


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole. Cet épisode évoque des faits de violences sexuelles, écoutez-le dans de bonnes conditions émotionnelles. Si vous n'avez pas écouté l'épisode précédent, je vous invite vivement à le faire pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la situation. Marion, ancienne mannequin, comme les autres victimes de son ancien patron et directeur d'agence, a porté plainte contre lui. Elle nous explique comment se déroule un procès en cour d'assises quand celui-ci est couvert par la presse.

  • Speaker #1

    Pour faire, on va dire, de façon très chronologique, ce sera peut-être plus simple de comprendre. Donc il y a eu les faits qui se sont déroulés, que j'ai raconté tout à l'heure. Il y a eu donc les premières plaintes. J'ai été entendue une première fois, puis une seconde fois. Je suis revenue pour porter plainte. L'enquête, en fait, suit son cours. Donc, par exemple, j'ai été appelée pour avoir une psy pour une expertise. Une expertise psychiatrique. J'ai été à ce rendez-vous. Tu reçois les résultats. Après, c'est un peu bizarre de recevoir les résultats de ça. Ça, c'est aussi pour l'agresseur. Ce n'est pas juste pour les victimes. L'agresseur a fait une demande de contre-expertise. Parce que le premier ne lui convenait pas. Donc, il a eu deux expertises psy. Et la psy te pose des questions. Je pense qu'elle essaye de déterminer si tu... tu es sain d'esprit. Je déteste ce truc, mais ils essayent de voir si tu as une intelligence normale. Je mets des gros guillemets derrière ça. En gros, si tu n'as pas, je ne sais pas, une maladie psychiatrique, quelque chose qui ferait que ton jugement est altéré d'une façon ou d'une autre. Et c'est valable pour nous, mais c'est surtout valable pour lui. Parce que des fois, ça sert de mieux, clairement. Donc c'est un petit peu inquiétant toujours. Et puis donc après, il y a eu des confrontations. Moi, j'en ai eu une. Confrontation, c'est un épisode pendant lequel on est avec un juge d'instruction. Le juge d'instruction, c'est celui qui mène la grosse enquête après l'enquête de police. Une enquête d'instruction qui est menée par le juge d'instruction, qui va déterminer quels sont les faits qui vont être retenus ou non, et si ça va en justice ou si ça s'arrête là. C'est le juge d'instruction, à la fin de son enquête, qui décide de ça. Pendant l'instruction, il y a eu l'expertise psy, la confrontation, donc on est face au juge. d'instruction, la greffière ou le greffier. Alors nous, on était en ligne. De Ausha droite, il y avait l'accusé, son avocat ou son avocate, mon avocate et moi. En ligne. Donc j'étais relativement loin de lui, relativement. On était quand même dans la même pièce. En gros, on nous pose des questions, à lui, à moi. Souvent, on nous pose la même question pour avoir les deux versions des faits. On nous dit, bah, machin, il dit que, vous vous dites quoi ? Ah oui, mais elle, elle a dit que, et vous, vous dites quoi, monsieur ? Et c'est que des trucs comme ça. Et tu es filmée. En tout cas, moi, c'était mon cas. C'est une petite caméra, tu sais, les petites caméras à l'ancienne que tu mets sur l'ordinateur. Petite caméra externe. La webcam. Ouais. La webcam. Ça a été un peu difficile parce que c'est la première fois que je le revoyais déjà, en vrai, depuis ma plainte. Parce que c'est la première fois aussi où je l'ai entendue nier des choses qu'on avait vécues, lui et moi. On le sait. On était là tous les deux. Donc on le sait qu'il ment. Et ouais, ça a été difficile de l'entendre inventer des trucs que moi, j'avais jamais entendu à ce moment-là, en fait. Par exemple, il a justifié le fait de m'avoir massé la poitrine, de m'avoir embrassé la poitrine, par le fait que, en fait, j'ai subi une opération de réduction de la poitrine. J'ai des cicatrices sous la poitrine et un peu à divers endroits. Il n'y a qu'à regarder sur Google pour voir. C'est les mêmes cicatrices pour toutes les personnes qui font cette opération. Il a expliqué qu'en fait c'était pour m'aider par rapport à mes complexes de cicatrices. Tout le monde autour de moi sait que je n'ai aucun complexe par rapport à ces cicatrices. J'adore ces cicatrices, je les aime d'amour, elles sont trop belles, je trouve que ça fait partie de moi. Ça a changé ma vie cette opération, donc en fait je suis contente. Ça ne m'a jamais posé problème, ni pour m'habiller, ni pour avoir des partenaires sexuels, ni pour avoir des partenaires amoureux. Donc en fait, je n'ai jamais développé de complexe par rapport à ça. C'était un choix, j'étais contente. Je les aime, quoi, vraiment. Je ne les trouve pas moches, en plus, je les trouve assez jolies. Et l'entendre dire que c'était parce que je n'aimais pas mes cicatrices, que je n'avais pas confiance en moi, etc., qu'il avait fait ça, déjà, tu prétends que tu ne l'as pas fait, et en plus, tu justifies que tu l'as fait en disant un truc que tu viens d'inventer. Là c'est difficile parce qu'en fait ce qu'il faut faire c'est garder ton sang froid En fait finalement c'était ça le plus dur dans la confrontation C'était même pas d'entendre qu'il allait nier, parce que ça, mon avocate, elle m'avait préparé un peu à ça psychologiquement, elle m'avait dit « bon, il va dire Il va dire tout ce qui est pénalement répréhensible. Il va dire, ah non, j'ai pas fait ça. Ou alors, il va manipuler la vérité. Donc, je le savais, en fait, qu'il allait mentir. C'est quand même un choc de l'entendre en vrai, tu vois. Mais ce qui a été le plus dur pour moi, ça a été de ne pas me lever et de lui arracher la tête de façon chat avec les pataries.

  • Speaker #2

    Je vois très bien.

  • Speaker #1

    Non, non, dans ces moments-là, moi, je vois du sang, j'ai envie de violence. C'est horrible, quoi. J'avais vraiment envie de le massacrer, quoi. Pourtant, je suis contre la violence. Et je suis plutôt quelqu'un de calme et d'opposé. Bref. Du coup, j'ai pleuré de rage pendant cette confrontation. Ça a été, mine de rien, une expérience qui m'a permis, dans mon cheminement personnel, en tout cas, de rendre réelle et de me prendre la claque dont j'avais besoin pour me dire, OK. C'est officiellement un connard. Parce qu'à ce moment-là, j'émettais encore des doutes. Je me disais, c'est dur ce que je lui fais subir. Je lui laissais quand même le bénéfice du doute. Et je me disais, peut-être qu'il a fait grave de la merde, mais que ce n'est pas vraiment ce qu'il voulait. Que ce qu'il voulait, ce n'était pas ça. Quand c'est comme ça, tu viens et tu dis, écoutez, j'ai fait de la merde. Je suis désolée, vraiment, je ne voulais pas faire de la merde. je voulais pas vous faire du mal, je voulais vous faire du bien et j'ai échoué et je suis trop naze et enfin j'en sais rien tu vois repends toi quoi et en fait non pas du tout il a fait tout le contraire il a essayé de sauver ses fesses et de façon vraiment dégueulasse et là ce truc là c'est aussi ce qui a fait un basculement dans ma tête à moi et qui m'a permis de me dire officiellement c'est une grosse merde c'est un connard je sais pas si j'ai le droit de dire des gros mots mais tant pis si tu peux faut que tu te lâches ça sera interdit au moins de 18 ans et finalement ça m'a un peu aidé quoi Donc ça a été un épisode douloureux, mais ça a été un épisode douloureux qui a aidé à ce que moi je me déculpabilise aussi. C'est quand même super important de ne pas culpabiliser là-dessus. C'est super difficile. Il y a des petites choses comme ça qui aident et qui font que ça fonctionne. Il faut accepter évidemment de passer par des moments un petit peu compliqués comme ceux-là. Donc il y a eu toutes ces confrontations-là. Et puis il y a eu ensuite aussi finalement une longue période pendant laquelle tu n'as pas de nouvelles. C'est vraiment le plus difficile en fait dans toute cette procédure judiciaire. C'est qu'en fait, t'as de longues périodes où t'entends pas du tout parler de tout ça. Tu sais que ça existe au fond de toi. Tu sais qu'un jour, on va revenir vers toi. Jusqu'au jour où il y a un huissier qui tape chez toi pour te donner une lettre recommandée qui doit te donner en main propre. Ou alors, tu reçois dans ton courrier un avis de réception. Tu dois aller chercher à la poste une lettre recommandée avec accusé de réception. Quand tu vas la récupérer, il y a écrit « Tribunal de Bordeaux » . Tu te dis... Et en fait, c'est ça régulièrement, ça te remet dans le truc régulièrement. C'est un peu sadique en fait, ça te laisse un petit temps, tu te remets dans ta vie, tu ne penses pas trop à ça, bim, tu reçois un truc, et c'est reparti, etc. Bon, ça a été compliqué. Plus tu avances dans le temps, plus c'est délicat de revenir sur des détails, de te souvenir des détails, et surtout de les raconter exactement de la même façon qu'il y a dix ans. Toutes les procédures ne durent pas dix ans, c'est sûr. La mienne, elle est très longue parce qu'on est de nombreuses victimes. Que le policier qui a été en charge de l'enquête a fait une enquête très approfondie. Il a vraiment ratissé là où il pouvait ratisser pour essayer de faire une enquête complète. On l'en remercie. Enfin, le juge d'instruction aussi, il a approfondi. Il a fait venir d'autres témoins. Il y a eu tout un tas de confrontations. Il y a des filles qui n'habitent plus en France, qui habitent à l'autre bout du monde. Donc, il faut les faire venir. Il faut les déplacer. Il faut organiser des visios. Il ne se faisait pas trop à l'époque. Enfin, je veux dire, tout ça, ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. Ça a pris aussi du temps parce que, quelque part, il y a des choses qui ont été faites en profondeur, qui ont été finalement bien faites. On a eu du bol parce qu'on est tombé sur un policier qui a accepté de prendre cette affaire et de se dire il y a un truc pas net là-dessous, je vais creuser. Parce que l'enquête ne lui avait pas été donnée à lui au départ. Elle avait été donnée à d'autres policiers. C'est-à-dire que les deux premières filles dont je t'ai parlé qui ont porté plainte, ce n'est pas auprès de lui. de ce flic-là qu'elles ont porté plainte. C'est auprès d'autres flics. Eux, ils se sont dit tout de suite, non, non, mais laisse tomber, ça c'est une histoire, ça mènera à rien. Ça c'est une histoire de gamine. J'en ai vu des flics qui passent pendant que t'es en déposition, que t'es en train de chialer, toutes les larmes de ton corps, tout ce que t'as, et qui passent à côté et qui entendent à détail et qui pouffent de rire ou qui rigolent ou qui rentrent dans la pièce, qui sortent de la pièce, qui viennent à deux, qui papotent. le respect des victimes, il y a du boulot encore par rapport à d'autres expériences que j'ai pu avoir Je trouve qu'on s'en sort encore pas trop trop mal quoi. C'est exceptionnel quoi. Et c'est aussi exceptionnel qu'on soit allé en justice, c'est aussi exceptionnel qu'on ait été aux assises, parce que ce flic du coup, pour qui finalement j'ai quand même un peu d'affection, parce qu'il a beaucoup été là. Il a vraiment été très présent pour nous. En tout cas, pour moi, il l'a été. Dès que j'avais besoin de passer au commissariat parce que j'étais en plein craquage, il savait que j'étais toute seule, que mon copain c'était un abruti. Il me disait, écoute, si t'as besoin de venir te poser au commissariat, de prendre un café, de discuter, de rencontrer un psy, de quoi que ce soit, tu viens, y'a pas de problème. Je l'ai fait une fois, je me suis ramenée au commissariat, on a discuté. Et honnêtement, moi j'aurais laissé tomber depuis bien longtemps si j'avais pas eu des gens autour de moi qui avaient été là. Donc ce flic pour qui ? Donc j'ai beaucoup d'affection. C'est quelqu'un qui nous a poussé initialement à partir en correctionnalisation. Il voulait qu'on correctionnalise le truc parce que lui, sa vision de policier, c'était de dire ces filles-là, si elles partent aux assises, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Parce que c'est jugé par des gens, comme toi et moi, qui débarquent, qui n'ont pas les connaissances. pénales, qui n'ont pas les connaissances judiciaires, qui n'ont pas les connaissances aussi approfondies que des juges professionnels du dossier. Et donc, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Alors que quand c'est jugé par des professionnels, donc en correctionnel, ok, il peut prendre moins longtemps. Par contre, il y a peu de chances qu'il ne prenne pas du tout. Et ça, pour lui, c'était important que ce mec-là ne s'en sorte pas. Donc je comprends pourquoi il a voulu correctionnaliser, et je pense que dans la plupart des cas... Ils ne veulent pas correctionnaliser pour diminuer, on va dire, la souffrance des victimes. Ils veulent que la personne, elle prenne à tout prix, peu importe si elle prend moins. Moi, je suis quand même opposée à ça parce que finalement, je l'ai vécu moi, en fait, qu'on me dise « Ah merde, c'est un viol que tu as vécu. Ouais bon, on va laisser tomber ça, on va dire que c'est agression sexuelle parce que sinon, ça va être trop compliqué. » Ben non, en fait, la vérité, ce n'est pas ça. Et vu que vous êtes si attachés à la vérité que ça, allons-y jusqu'au bout. Donc oui, il y a un risque, effectivement. Il y a un risque. En plus, les assises, c'est public. Il y a plein de choses qui font que les assises, ce n'est pas la même chose du tout que la correctionnelle. Bon, il y a du plus, il y a du moins dans les deux côtés. Mais bon, la reconnaissance quand même des victimes en tant que telles, c'est par là que ça passe aussi. On va dire, j'allais dire la rédemption, le gros lapsus. Mais un peu, ouais, ta rédemption en tant que victime. Mais te dire un petit peu aussi la reconnaissance, en fait, de ton statut de victime. Même s'il y a plein de gens qui considèrent qu'être une victime, c'est un truc un peu honteux ou pathétique ou ridicule. Oui,

  • Speaker #2

    rabaissant.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Bah non, en fait. En fait, tu n'es pas une victime, tu es victime de quelqu'un. Moi, je le vois plus comme ça, en fait. Ça fait moins étiquette. Toi, tu es le coupable, toi, tu es la victime. Oh, tu es une victime. En plus, on le sait que c'est une expression utilisée quand on est jeune. C'est une grosse victime. Du coup, non, en fait. Il y a des victimes, d'autres choses, d'autres gens, plein de situations. C'est pour ça que je dis mes co-victimes. Je sais que c'est un peu bizarre de dire ça, mais ça fait un peu un mix entre mes copines victimes. Pour la plupart, ce n'est pas mes amis dans la vraie vie. Mais il y a quelque chose qui s'est passé, en fait. C'est-à-dire qu'on tient parce qu'on est ensemble, en fait. Sinon, chacune d'entre nous, je pense que l'une après l'autre, on aurait lâché l'affaire. Là, ce n'est pas le cas parce qu'on est un groupe. On est SOROR. pour le coup, ça arrive souvent qu'il y en ait une qui dise aux autres, franchement j'en ai marre, je vais pas y arriver je vais pas aller jusqu'au bout, franchement j'en peux plus et que le groupe se forme et allez on est ensemble, on lâche pas l'affaire on a pas perdu 10 ans pour lâcher maintenant et même si pour la plupart on se voit pas et on se parle pas forcément, on est pas amis on est pas vraiment en contact en fait toujours entre les procès, à chaque fois qu'on s'est retrouvés en procès, c'est comme si on était des soeurs, c'est la même chose Il y a un gros soutien qui est finalement le socle de tout ça et qui fait qu'on se supporte, on se soutient les unes les autres. On est toutes extrêmement différentes. Il n'y en a pas une qui ressemble à l'autre en fait. On n'a pas les mêmes jobs, on n'a pas fait les mêmes études, on n'a pas du tout les mêmes parcours de vie. Et en fait, ça montre bien qu'il y a un mode opératoire qui fonctionne en fait. C'est que c'est pas, on n'est pas, il n'y a pas une victime type tu vois, dans notre cas en tout cas. N'importe qui aurait pu tomber là-dedans. n'importe quelle jeune fille qui auraient pu être intéressées, auraient pu tomber là-dedans. En fait, il suffit juste d'un contexte. Quand tu les écoutes au procès, toutes ces autres filles, pour toutes, il y a un contexte qui fait qu'elles se sont retrouvées très isolées ou pas bien à ce moment-là dans leur vie. Enfin, il y a toujours un truc qui explique qu'en fait, c'est exactement pareil que pour les sectes, finalement. Il y a toujours un truc. On n'est pas stupides, on n'est pas naïves, on n'est pas débiles. Et effectivement, je pense que le fait qu'il ait réussi à mettre le grappin sur autant de personnes différentes. montre à quel point le mode opératoire était extrêmement huilé et il fonctionnait bien. Ça a été catastrophique pour pas mal d'entre nous. C'était des filles qui recrutaient d'autres filles, c'était pas lui directement. Il savait très bien que ça marcherait pas sinon. Moi j'y serais jamais allée sinon. Je suis très absolue dans ce que je dis, mais je me serais beaucoup plus méfiée si c'était un mec de 35 ans qui était venu me voir. Je suis photographe, je monte mon agence des mannequins. Je dis ouais, c'est ça. C'est des jeunes filles qui ont un statut de belles jeunes femmes. Moi, en l'occurrence, c'était une miss en plus. Je ne tenais pas à faire les miss, je m'en fichais. Mais je veux dire, c'était quelqu'un qui était dans le milieu pour moi et qui donc, c'était quelqu'un de sérieux. Et elle a été présente pour les premières séances de massage. Et elle partait au bout d'un moment. C'était que ça. Cette solidarité qu'il y a entre nous, c'est ce qui fait qu'on a tenu. Et moi, je pense que je n'aurais même pas porté plainte. Je ne me serais pas sentie légitime de porter plainte si je m'étais sentie seule. Donc, ce n'est pas une question de naïveté ou de stupidité ou d'intelligence. Et donc, il y a eu le premier procès, je crois que c'était au bout de 7 ans. 7 ans après la plainte, donc il y a eu l'enquête, l'instruction, une période d'attente, puis une date. Enfin, le premier procès, où il a été déclaré coupable et il a pris 9 ans de prison ferme, entre autres. Il a fait appel de cette décision. Donc, on devait avoir un deuxième procès. Donc là, c'était au tribunal de grande instance de Périgueux. Parce que donc, ça fonctionne par... Je vais dire par académie, mais je ne sais plus comment on dit, mais l'équivalent d'une académie. Tribunal de Bordeaux, on va dire que c'est le tribunal principal. Puis il y a suite Périgueux et celui d'Angoulême. Voilà, ça c'est pour, on va dire, je pense, la Nouvelle-Aquitaine, en gros. Le procès en appel devait se dérouler à Périgueux. Il y a eu le Covid entre-temps. Ça a été repoussé. On va dire qu'on a réussi à avoir une nouvelle date, pas à Périgueux, mais à Angoulême, parce que le tribunal est un peu plus grand et qu'il y avait un peu plus de dates disponibles. Ils ont réussi à nous caler deux ans après le premier procès, le procès en appel, qui s'est donc déroulé à Angoulême. Le dernier jour du procès en appel, l'accusé ne s'est pas présenté. Il a appris la fuite, il a laissé son avocat sur le carreau et il s'est barré en cavale. Et on a fini le procès comme ça. La peine a quand même été prononcée. Il a pris 14 ans de prison ferme. Pendant sa cavale, il a réussi quand même à trouver le temps de faire appel. du procès en cassation. Un an après, la cassation a eu lieu, c'était l'été dernier, enfin pas cet été, c'était l'été 2022. La cassation casse le procès en appel, et donc on est en attente actuellement du procès en appel bis, du procès en appel qui va remplacer le procès en appel qui a été du coup cassé, et ça va se passer donc à Périgueux, et donc ça fait plus d'un an qu'on a eu la décision de la cour de cassation, et on n'a aucune nouvelle. Et je n'ai pas la moindre idée de quand va se terminer tout ça. Parce que du coup, le prochain procès sera le dernier, parce qu'il n'y aura plus de possibilité de faire appel, plus de possibilité de faire appel en cours de cassation. Donc ce sera le dernier, ce sera terminé. Les procès sont déroulés aux assises, donc ça veut dire que c'est public. Bon, tu peux demander un... Comment dire ?

  • Speaker #2

    Un huis clos.

  • Speaker #1

    Un huis clos, merci. J'avais non lieu en tête, ça ne voulait pas partir. Surtout pas un non lieu. Ouais, donc tu peux demander un huis clos, mais quand on est très nombreuses, c'est compliqué. Surtout qu'entre celles qui auraient aimé que ce ne soit pas public et celles pour lesquelles c'est compliqué de ne pas avoir soit, je ne sais pas, leurs copains, leurs copines, leurs parents, un ami, quelqu'un qui vient les soutenir, en fait, c'est aussi difficile. De toute façon, les avocats et les avocates nous ont conseillé de ne pas le faire. On a quasiment chacune un ou une avocate, mais certaines ont le ou la même avocate. Comme c'est public, évidemment, ça a été... Enfin, je veux dire, c'est un procès aux assises avec une vingtaine de victimes. Ça attire un petit peu, je pense, l'attention de la presse. Et donc, il y a... Je ne sais pas si j'ai le droit de nommer le journal. Je n'en sais rien. Bon, je m'en fous. Vu leur comportement, je m'en cogne. Donc ouais, un des gros journaux de Bordeaux et du Sud-Ouest en général, qui est donc le journal Sud-Ouest, qui fait une couverture de pas mal de choses. Et donc il y a une journaliste en particulier qui a couvert la totalité de notre procédure, finalement, parce que je pense qu'elle a suivi le début, elle a fait la suite. Il y a eu un certain nombre d'articles qui ont eu lieu quand le premier procès a eu lieu à Bordeaux. Parce que c'est là qu'ils sont, donc c'est facile de se déplacer jusqu'au tribunal la journée, d'obtenir deux, trois infos et de repartir. C'est surtout le titrage des articles qui est de très mauvais goût, qui est assez malvenu, on va dire, si je peux rester polie. On a eu par exemple un article qui s'appelle « Un défilé de mannequins à la barre » . C'est pas violent, je pense que c'est pas fait pour être méchant, c'est fait pour faire des petits jeux de mots. Mais quand on fait du fait divers comme cette journaliste, je pense que... Je sais pas, c'est une femme quoi, un minimum d'essence par rapport à nous, ça aurait été acceptable et profitable pour nous. On n'a jamais trop rien dit, on grognait un petit peu dans notre barbe et en fait on a trop rien dit. On s'est dit, c'est des journalistes, ils font ce qu'ils veulent. Mais bon, faut pas oublier que ces trucs-là, ils sont postés souvent sur internet. Il y a des commentaires, il y a tout un tas de choses. Donc cette journaliste a essayé de couvrir le procès en appel qui a eu lieu à Angoulême. Le souci, c'est qu'on s'est rendu compte assez rapidement en lisant les articles, qu'en fait elle n'était pas là. Déjà on ne l'a pas vue. Ça se voyait quand elle écrivait l'article, qui était vachement du côté de l'agresseur, ce qui nous a beaucoup surprise. Parce qu'il était quand même en cavale. Il a quand même pris 14 ans et l'article était plutôt... Il n'était pas dit tyrambique évidemment. Elle ne faisait pas l'éloge de notre agresseur. Mais je veux dire, tu sentais que... Bon, clairement, elle avait interrogé son avocat, lui. Elle n'avait pas non plus fait la démarche d'interroger soit les victimes, soit les avocats ou les avocates des victimes. Donc déjà, tu n'es pas là. Tu ponds un article alors que tu n'as pas été sur place. Et en plus de ça, tu ponds un article basé sur, comme elle nous l'a dit, parce qu'on lui a écrit, donc comme elle nous l'a dit, sur... Elle n'a pas eu d'autre choix que de faire avec les gens qui ont bien voulu lui répondre. Moi, que je sache, mon avocate n'a pas été contactée par la journaliste. Et plein d'autres avocats non plus. En fait, elle a contacté une avocate de victime, qui est une avocate qui est assez réputée à Bordeaux. Comme elle est réputée, elle est très prise, donc elle n'est pas toujours disponible pour répondre. Et l'avocat de notre agresseur. On lui a écrit, en lui disant, écoutez, votre article n'est pas super super. Et puis, en plus, on ne se souvient pas vous avoir vu. Puis mon avocate, moi, elle n'a pas eu de vos nouvelles, donc je ne sais pas qui vous avez contacté. En tout cas, pas nous, quoi. Elle nous a répondu très gentiment en disant qu'elle était désolée, qu'elle nous explique, blabla. Et elle nous dit, écoutez, moi, je serais ravie de faire un article avec vous. Est-ce que vous accepteriez, de façon anonyme, de prendre la parole, etc. Donc on a été deux ou trois à dire, écoutez, pas de souci. Moi, je l'ai eu au téléphone, parce que j'habite à Paris et elle habite à Bordeaux. Donc je l'ai eu au téléphone, elle m'a posé des questions. Elle était super bienveillante au téléphone, hyper gentille, très rassurante, très bienveillante. Et au final, elle fait son article. Elle a fait surtout un travail de transcription de nos entretiens. Elle les a un peu mis bout à bout en disant « machine d'ici » , « trugui ça » , enfin voilà. Et là, clairement, on s'était vraiment bâclés, quoi. Pendant ces entretiens, on lui a expliqué comment ça s'était passé pour nous, en fait, ce procès en appel. On savait que ça allait partir en cassation, sans douter. Parce qu'il y a eu un vice de procédure pendant ce procès-là. On était déjà tendus parce qu'on sortait de une semaine de procès qui avait été très difficile, très épuisant, psychologiquement et physiquement aussi. Et on a eu un accusé qui est parti en cavale et qu'on n'a pas revu, qui a été condamné à 14 ans de prison. On était dépités, quoi. On lui expliquait ça au téléphone. En tout cas, moi, je lui expliquais ça au téléphone. Je lui expliquais à quel point la cavale de ce mec-là, ça nous touchait à nous, c'était flippant pour nous. Pas parce qu'on a peur qu'il fasse des représailles, mais parce que c'est pas juste, quoi. Et en fait, on lui a aussi beaucoup parlé du fait qu'il comparaissait libre à chaque fois. Parce que, encore une fois, même problème, les prisons sont bondées, donc il faut faire des choix. Et clairement, on va pas mettre un mec comme lui, on va pas séparer un père de ses enfants. On nous l'a dit, hein. Enfin, pour nous, c'est dur, quoi. Parce que du coup, il y a une grosse différence quand t'es dans un procès, quand la personne comparaît libre, et quand elle comparaît pas libre. il y a une vitre devant lui quand il ne comparaît pas libre il est dans un box il n'est pas assis à côté de toi à deux mètres de toi sur une chaise ça change tout en fait et puis lui il vit sa vie normalement aussi ok il doit pointer au commissariat toute la semaine, d'accord c'est sa seule contrainte de vie en fait donc on lui a expliqué tout ça à la journaliste donc elle a pondu son article sur nous et deux semaines après elle contacte une des victimes et elle lui dit qu'en gros, elle va sortir un autre article, mais qu'il vaut mieux pas qu'on le lise, celui-là, parce que ça va être difficile pour nous, quoi. Déjà, de quel droit peux-tu nous dire ça ? Et surtout, comment peux-tu penser que si tu nous dis « Attention, je vais sortir un article, il faut pas le lire » , évidemment qu'on va aller voir ce qu'elle a écrit, évidemment qu'on va voir de quoi il s'agit. Et en fait, elle a interviewé à distance notre agresseur pendant sa cavale, parce que c'était son droit de réponse. Sauf qu'elle nous a jamais expliqué ça. Moi si elle m'avait dit ça, je l'aurais dit écoutez, faites vos articles, j'en ai rien à faire. mais si c'est pour le réinterroger lui derrière alors qu'il est en cavale, moi je préfère rien dire. A aucun moment, elle a été franche avec nous là-dessus. A aucun moment, elle nous a dit que c'est son droit de réponse. Droit de réponse de quoi ? Elle venait de faire un article où elle n'avait interrogé que son avocat à lui. Son avocat, c'est sa voix à lui. C'était nous le droit de réponse, ce n'était pas lui. Moi, ça m'a vraiment anéantie. Je sais que je n'ai pas été la seule. Certains de mes proches, des proches d'autres victimes, ont écrit au journal Sud-Ouest et à la journaliste pour lui expliquer à quel point ils étaient outrés, à quel point ils étaient choqués et à quel point c'était indécent comme boulot de faire ça. Évidemment, le journal a pris la défense de sa journaliste. Elle sera probablement là pour le... Enfin, ou pas là, d'ailleurs, parce que ça se passera à Périgueux, j'en sais rien. Mais ça, c'est quelque chose qui a été profondément choquant. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Je pense qu'il y a moyen qu'elle pensait bien faire. Mais ce n'est pas très sourd. Après, je suppose qu'elle doit se dire que son job, ce n'est pas d'être sourd, c'est de relater ce qu'on lui dit, les faits, et de faire des articles neutres. Mais je vois pas trop la neutralité dans ce qu'elle écrit. Et quand je le montre à des gens autour de moi, parce qu'évidemment, on les enregistre tous ces articles, j'ai des captures d'écran, j'ai... Enfin, j'archive, je sais pas pourquoi, mais je les archive. Donc voilà. Pour cette histoire de journal.

  • Speaker #2

    J'ai une dernière question. Pourquoi tu témoignes, et qu'est-ce que t'aimerais dire aux gens qui écoutent ? Voilà, ce serait un peu ça, l'idée.

  • Speaker #1

    Bah déjà, j'ai hésité à témoigner, parce que, d'une part... En fait, j'ai une crainte. Je suis très ambivalente, moi, sur le fait de porter plainte. C'est-à-dire que, déjà pour moi, je trouve ça difficile de dire « porter plainte, c'est bien ce que j'ai fait » ou « franchement, ça m'a rajouté tellement de complications dans ma vie de porter plainte » que « franchement, faites pas ça, quoi » . Je suis toujours moi-même très ambivalente là-dessus. En fait, j'ai toujours peur en témoignant et en disant ce que moi j'ai vécu, soit de transmettre l'idée que porter plainte, c'est vraiment pas un truc à faire parce que ça va te gâcher la vie, que c'est horrible, que ça va remuer le couteau dans la plaie pendant des années et que vraiment, ça vaut pas le coup. Et en même temps, j'ai pas non plus envie de dissuader les gens de porter plainte parce que, bon, j'ai déjà eu cette discussion avec une amie à moi sur le fait que j'attends finalement quelque part, moi, de toute cette procédure qu'une fois que ça sera derrière moi, que ça sera terminé. même si c'est jamais vraiment terminé, mais je veux dire, au moins la procédure judiciaire, qui est un avant et un après pour moi dans ma vie, quoi. Et que cet après, il soit un peu plus léger, qu'il soit un peu plus doux, qu'il y ait déjà ce gros point en moins. Mais oui, et cette amie m'avait dit, et je l'avais super mal pris, et je l'avais vraiment super mal vécu, qu'il faut pas s'attendre, en fait, à des grandes révélations, des grands après, tu vois, de choses comme ça. Parce que dans la vie, il n'y a pas de grands après, de grands trucs comme ça, et que si tu les attends trop, t'es déçue. Je pense que c'est ça qu'elle voulait dire. Elle voulait un petit peu me prémunir d'une déception, une grosse déception. J'entends ce qu'elle m'a dit. C'est vraiment une amie très proche et je l'aime très fort. Mais en fait, je suis quand même pas d'accord avec ça. Et je vis quand même avec l'espoir, parce que sinon je laisse tout tomber, avec l'espoir qu'il y aura quand même une différence après. Et honnêtement, j'y crois profondément. Je pense qu'il y aura une grosse différence après. Déjà, ce sera terminé, je serai allée au bout de quelque chose. J'aurai fait entendre ma voix. J'aurai dit ce que j'ai à dire devant la justice. ce qu'on entend beaucoup ça aussi c'est qu'elle aille porter plainte genre si t'as pas porté plainte ça n'a pas de valeur ta parole n'a pas de valeur, déjà c'est faux on le sait, mais c'est bien de le redire quand même porter plainte devant la justice c'est difficile mais moi je trouve que c'est un acte de courage ça veut pas encore dire que les personnes qui ne sont pas qui ne se sentent pas capables ou qui n'ont pas envie de le faire manquent de courage mais effectivement c'est courageux de le faire c'est difficile de le faire d'autant plus qu'encore une fois je me mets à la place des personnes qui portent plainte quand elles sont toutes seules Ce qui n'est pas mon cas. Et j'imagine à quel point ça doit être difficile.

  • Speaker #2

    Et tu parlais du fait d'influencer ou pas les gens à porter plainte. Je pense que, j'y mets mes propres biais aussi, mais je pense que les gens qui ont envie ou pas de porter plainte, ils ont cette envie instinctive de le faire ou pas. Et justement, tous les éléments que tu as amenés, chaque personne viendra prendre ce qu'elle a envie de prendre. Et ça va l'influencer, mais dans le sens où elle voulait aller de base, je pense. Oui, Et au moins, tu auras surtout donné les clés. Tu n'auras pas forcément influencé son choix. Tu auras surtout donné les clés et tu la conforteras dans le choix qu'elle voulait faire avec les clés que toi, tu as données.

  • Speaker #1

    Encore une fois, moi, ça m'importe de préciser que c'est bien d'être entourée. On porte plainte ou qu'on ne porte pas plainte. C'est hyper important de s'entourer de gens déjà qui te croient, qui ne mettent pas en doute ce que tu dis tous les quatre matins, même un matin. et qui te soutiennent, qui comprennent quand ça va pas, qui ont juste envie que tu ailles bien. C'est hyper important.

  • Speaker #0

    Et je trouve que c'est difficile de se débarrasser finalement des gens qui ne sont pas comme ça. Mais c'est salvateur. C'est vraiment hyper important d'être bien entouré. Après, on se sent quand même un peu seul dans des situations comme ça. Qu'on porte plainte ou qu'on porte pas plainte, ça change rien. Je pense qu'on ressent toutes et tous de la solitude quand on a été victime d'agression. C'est aussi pour ça que pour moi c'est important d'en parler. C'est que, en fait, c'est grâce aussi à des témoignages que je me sens un peu moins seule. Parce que les gens autour de moi qui n'ont pas vécu la même chose, ils sont là pour moi, ils m'écoutent, ils me comprennent, ils m'entendent. Mais ils ne comprennent pas vraiment parce qu'ils n'ont pas vécu ce que j'ai vécu et c'est difficile de l'expliquer, c'est difficile ce qu'il y a à l'intérieur de moi. C'est déjà compliqué pour moi de le comprendre, donc pour les autres c'est d'autant plus compliqué. Et il y a des fois, entre personnes qui ont vécu la même chose, il y a des choses qui se comprennent facilement. il y a des fois où on n'a même pas besoin de se le dire et on sait moi c'est des choses qui m'aident Il y a des fois, je me dis que je suis un peu maso parce qu'on parlait du reportage sur Depardieu. Je me suis dit, est-ce que ça ne va pas me faire plus de mal que de bien ? Est-ce que j'ai vraiment envie de regarder ça ? Est-ce que j'ai vraiment envie de me flageller comme ça et de me rajouter des trucs ? Honnêtement, c'est très dur. Mais entendre des gens qui ont vécu des choses similaires, moi, ça m'a aidée aussi à me sentir moins seule et à me dire qu'il y a des gens qui vivent la même chose que moi. Et c'est intéressant de voir comment ils se sentent aujourd'hui, quel a été leur parcours, ce qu'ils ont fait. De voir aussi qu'il y a des gens qui ne sont pas bien. Pas parce que ça fait du bien de voir des gens qui ne sont pas bien, mais parce qu'en fait, tu te dis, je ne suis pas bien, moi aussi. J'ai le droit de ne pas être bien, c'est normal que je ne sois pas bien. Il y a d'autres gens qui ne sont pas bien aussi. Je ne sais pas, tout ça, ça paraît très négatif. Mais bizarrement, je trouve que c'est ce qui galvanise un petit peu le fait qu'on a envie de se battre et pas de laisser tomber. Moi, j'avoue, j'ai un peu ralenti sur le militantisme. Et ça, c'est une forme pour moi de militantisme, en fait. Il me convient mieux. J'ai du mal à descendre dans la rue maintenant. Déjà parce que j'ai un petit peu de mal avec la foule, mais aussi parce que ça me fait flipper. Parce que les dernières fois où je suis allée en manifestation, c'était super violent. Et j'ai du mal avec ce type de manifestation. J'ai fait quelques collages aussi. Mais c'est pareil, j'ai l'impression d'avoir fait ce que j'avais à faire et de vouloir faire autre chose. Donc j'essaye de m'engager dans des associations de façon différente. En fait, ça prend tellement de temps des fois que je suis débordée et j'y arrive pas. Faire des choses comme ça de façon ponctuelle et de façon un peu plus ouverte, c'est une forme de militantisme pour moi qui paraît un peu différente et je sais pas, qui me convient bien. Et je sais pas, c'est aussi pour ouvrir des discussions sur des différentes choses, différents sujets. Je sais qu'avec tous les podcasts que toi tu as faits, finalement il y a des choses qui vont s'entrecroiser, il y a des choses qui vont se compléter. Il y a peut-être des fois des choses qui vont se contredire aussi, parce qu'on a des vécus différents. Mais ouais, j'ai eu peur de témoigner, parce que j'ai pas envie que des personnes qui me ressemblent se sentent légitimes et se disent « Ah oui, moi aussi j'ai vécu comme elle, et du coup, c'est chouette, on est ensemble. » Et que les personnes qui n'ont pas vécu la même chose se disent « Ah ben, moi je le vis pas comme ça, ça craint. Ah ouais, mais ce qu'elle dit, ça donne pas très envie de porter plainte. Peut-être je vais pas le faire. » J'ai pas envie, en fait, d'avoir une influence sur les choix des gens, parce que c'est très différent juste moi dans ma procédure On est dans le même procès, on n'a pas du tout vécu la même chose. Chaque vécu est différent sur la vingtaine de victimes. Chacune d'entre nous est très différente. Et au final, on vit aussi les choses de façon différente. Et il y en a certaines qui ont laissé tomber. Enfin, qui ont annulé leur plainte. Je ne sais plus comment on dit. On est un peu toutes passées par ce moment de se dire « Vas-y, j'en peux plus, je laisse tomber » . C'est aussi bien justement de se dire « Allez, on est ensemble » . Je pense que ce qui est positif aussi, c'est ça, c'est de se dire qu'on n'est pas tout seul. Même si c'est aussi triste de se dire qu'on n'est pas tout seul, parce qu'on aimerait que ça n'arrive pas. On aimerait que le moins de gens possible soient concernés. Et en même temps, ça crée une sorte de communauté, en fait. C'est un peu triste de dire ça, mais ça fait une communauté de victimes, finalement. Sauf que je pense qu'ensemble, on est plus fortes. Que c'est aussi en discutant, en parlant. On parle beaucoup de libération de la parole. et moi je suis plutôt convaincue que... que c'est le cas. Je suis ravie qu'on agace les gros mascus, les gros incels. J'en suis absolument ravie. Et malheureusement, si ça leur pose problème, je vous espérais que ça puisse permettre à certaines personnes de se remettre en question et d'entendre comme ça divers témoignages, diverses personnes, d'entendre diverses personnalités aussi. Je vous espérais que ça puisse... C'est un rêve un peu naïf, mais je vous espérais que peut-être des gens un jour se diront... que finalement, il y a peut-être un truc quand même un peu systémique. Que ce n'est pas juste trois greluches qui n'ont pas été très fines et qui se sont fait avoir comme des bleus. Et que ce n'est pas ça le problème. Il y a un truc auquel ça me fait penser. C'est qu'à la fin du deuxième procès, donc il n'y avait plus l'agresseur, parce qu'il était en cavale, comme je disais, il y a un des jurés populaires qui est venu nous voir, qui nous a dit qu'il avait été très touché par nos témoignages, qu'il avait trouvé que lui, par exemple, ça l'avait beaucoup remué, parce qu'il est papa d'une jeune fille qui a à peu près l'âge qu'on avait au moment des faits, et qui s'est dit, c'est réel en fait, ça arrive vraiment, et ça arrive. à des gens comme ma fille. Ils disaient, en fait, je vous ai trouvé très dignes. Moi, ça m'a un peu marquée sur le moment parce que je n'ai pas du tout, du tout eu l'impression qu'on était très dignes. Moi, j'ai passé quatre heures à la barre pendant le deuxième procès à parler, à raconter, à répondre à des questions. Mais je chialais toutes les cinq minutes et je me morvais dessus. Enfin, je veux dire, j'étais dégueulasse face à tous ces gens-là. Je me suis énervée directement, frontalement contre l'agresseur. Je lui ai gueulé dessus dans tout le monde. Gueulé. J'exagère un peu, mais presque. Et je me suis dit, mais elle est où la dignité là-dedans ? C'est pas ça être digne. Enfin, moi, c'est pas ma vision comme ça, a priori, de quelqu'un de digne. Et d'entendre quelqu'un d'extérieur qui m'a dit ça, déjà, ça m'a foutu une grosse baffe. Une grosse baffe positive. Et je me suis dit, en fait, ce mec-là, par exemple, il avait le cliché de la victime un peu bébête, tu sais, un peu naïve. Je pense qu'il y a plein de gens qui se disent que ça arrive à un certain type de personnes. Et quand ils arrivent à un procès comme ça, et qu'ils se prennent dans la tronche 17 nanas complètement différentes, qui ne se ressemblent pas du tout à l'intérieur et à l'extérieur, dans tous les sens possibles, se dire, ah oui, en fait, ça peut arriver à ma fille, ça peut arriver à n'importe qui. Je ne sais pas, j'ai trouvé ça vraiment super important, et je me suis dit, on a au moins réussi à faire ça pour une personne. C'est cool. Et après, si cette personne allait nous le dire, j'ose espérer qu'il y a d'autres personnes qui ont peut-être eu le même cheminement. un cheminement similaire et qui ont juste pas osé venir nous lire mais qui l'ont pensé et je me dis peut-être que ce genre de podcast ce genre d'action en général ça peut peut-être permettre je sais pas, peut-être à des gens qui sont un peu curieux et qui savent pas trop peut-être de se faire une opinion un peu différente de remettre en question des a priori ou alors pour juste apporter du soutien et de la parole personnes qui se sont fait agresser et voilà.

  • Speaker #1

    Le témoignage de Marion a été enregistré en novembre 2023. Depuis, un procès en appel a eu lieu suite à la décision de la Cour de cassation. A l'issue de ce troisième procès en appel, l'agresseur a refait une demande de pourvoi en cassation. Si la Cour de cassation décide de casser une nouvelle fois la décision d'appel, il y aura alors un quatrième procès en Cour d'appel. Cette étape vient compléter le témoignage de Marion. Porter plainte implique de lourdes procédures éprouvantes pour les personnes victimes. Vous venez d'écouter le 20e épisode du podcast Au bénéfice du doute. Si vous pensez qu'il peut réconforter et être utile à d'autres personnes, n'hésitez pas à le partager. Et comme le rappelle si bien Marion, écouter les témoignages de victimes n'est pas forcément réservé qu'aux victimes. Vous pouvez partager cet épisode à tous vos proches pour les sensibiliser au sujet des violences sexuelles. Ce podcast est entièrement autoproduit par Julie Dussert, la musique originale a été composée par Sandra Fabry et l'image a été dessinée par Camélia Blandon. Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole.

Description

📢 Marion, ancienne mannequin, victime de son patron, décrit son parcours judiciaire en Cour d'Assises, couvert par la presse.


💙 N'hésitez pas à partager cet épisode à vos proches, que ce soit pour se préparer à un procès ou pour sensibiliser aux violences sexuelles.


🟣 Si vous ou un proche êtes victime de violences sexuelles, ne restez pas seul.e:

  • Appelez le 3919

  • Maison des Femmes dans le 12ème arrondissement de Paris, https://mdfparis.fr/

  • Le collectif Féministe contre le viol au 0 800 05 95 95


📩 Si vous souhaitez témoigner, n'hésitez pas à envoyer un e-mail à aubeneficedudoutepodcast@gmail.com ou en message privé sur Instagram @aubeneficedudoute . 


Au Bénéfice du Doute est une émission entièrement auto-produite par Julie Dusserre.


Musique originale : Sandra Fabbri


Illustration : Camélia Blandeau


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole. Cet épisode évoque des faits de violences sexuelles, écoutez-le dans de bonnes conditions émotionnelles. Si vous n'avez pas écouté l'épisode précédent, je vous invite vivement à le faire pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la situation. Marion, ancienne mannequin, comme les autres victimes de son ancien patron et directeur d'agence, a porté plainte contre lui. Elle nous explique comment se déroule un procès en cour d'assises quand celui-ci est couvert par la presse.

  • Speaker #1

    Pour faire, on va dire, de façon très chronologique, ce sera peut-être plus simple de comprendre. Donc il y a eu les faits qui se sont déroulés, que j'ai raconté tout à l'heure. Il y a eu donc les premières plaintes. J'ai été entendue une première fois, puis une seconde fois. Je suis revenue pour porter plainte. L'enquête, en fait, suit son cours. Donc, par exemple, j'ai été appelée pour avoir une psy pour une expertise. Une expertise psychiatrique. J'ai été à ce rendez-vous. Tu reçois les résultats. Après, c'est un peu bizarre de recevoir les résultats de ça. Ça, c'est aussi pour l'agresseur. Ce n'est pas juste pour les victimes. L'agresseur a fait une demande de contre-expertise. Parce que le premier ne lui convenait pas. Donc, il a eu deux expertises psy. Et la psy te pose des questions. Je pense qu'elle essaye de déterminer si tu... tu es sain d'esprit. Je déteste ce truc, mais ils essayent de voir si tu as une intelligence normale. Je mets des gros guillemets derrière ça. En gros, si tu n'as pas, je ne sais pas, une maladie psychiatrique, quelque chose qui ferait que ton jugement est altéré d'une façon ou d'une autre. Et c'est valable pour nous, mais c'est surtout valable pour lui. Parce que des fois, ça sert de mieux, clairement. Donc c'est un petit peu inquiétant toujours. Et puis donc après, il y a eu des confrontations. Moi, j'en ai eu une. Confrontation, c'est un épisode pendant lequel on est avec un juge d'instruction. Le juge d'instruction, c'est celui qui mène la grosse enquête après l'enquête de police. Une enquête d'instruction qui est menée par le juge d'instruction, qui va déterminer quels sont les faits qui vont être retenus ou non, et si ça va en justice ou si ça s'arrête là. C'est le juge d'instruction, à la fin de son enquête, qui décide de ça. Pendant l'instruction, il y a eu l'expertise psy, la confrontation, donc on est face au juge. d'instruction, la greffière ou le greffier. Alors nous, on était en ligne. De Ausha droite, il y avait l'accusé, son avocat ou son avocate, mon avocate et moi. En ligne. Donc j'étais relativement loin de lui, relativement. On était quand même dans la même pièce. En gros, on nous pose des questions, à lui, à moi. Souvent, on nous pose la même question pour avoir les deux versions des faits. On nous dit, bah, machin, il dit que, vous vous dites quoi ? Ah oui, mais elle, elle a dit que, et vous, vous dites quoi, monsieur ? Et c'est que des trucs comme ça. Et tu es filmée. En tout cas, moi, c'était mon cas. C'est une petite caméra, tu sais, les petites caméras à l'ancienne que tu mets sur l'ordinateur. Petite caméra externe. La webcam. Ouais. La webcam. Ça a été un peu difficile parce que c'est la première fois que je le revoyais déjà, en vrai, depuis ma plainte. Parce que c'est la première fois aussi où je l'ai entendue nier des choses qu'on avait vécues, lui et moi. On le sait. On était là tous les deux. Donc on le sait qu'il ment. Et ouais, ça a été difficile de l'entendre inventer des trucs que moi, j'avais jamais entendu à ce moment-là, en fait. Par exemple, il a justifié le fait de m'avoir massé la poitrine, de m'avoir embrassé la poitrine, par le fait que, en fait, j'ai subi une opération de réduction de la poitrine. J'ai des cicatrices sous la poitrine et un peu à divers endroits. Il n'y a qu'à regarder sur Google pour voir. C'est les mêmes cicatrices pour toutes les personnes qui font cette opération. Il a expliqué qu'en fait c'était pour m'aider par rapport à mes complexes de cicatrices. Tout le monde autour de moi sait que je n'ai aucun complexe par rapport à ces cicatrices. J'adore ces cicatrices, je les aime d'amour, elles sont trop belles, je trouve que ça fait partie de moi. Ça a changé ma vie cette opération, donc en fait je suis contente. Ça ne m'a jamais posé problème, ni pour m'habiller, ni pour avoir des partenaires sexuels, ni pour avoir des partenaires amoureux. Donc en fait, je n'ai jamais développé de complexe par rapport à ça. C'était un choix, j'étais contente. Je les aime, quoi, vraiment. Je ne les trouve pas moches, en plus, je les trouve assez jolies. Et l'entendre dire que c'était parce que je n'aimais pas mes cicatrices, que je n'avais pas confiance en moi, etc., qu'il avait fait ça, déjà, tu prétends que tu ne l'as pas fait, et en plus, tu justifies que tu l'as fait en disant un truc que tu viens d'inventer. Là c'est difficile parce qu'en fait ce qu'il faut faire c'est garder ton sang froid En fait finalement c'était ça le plus dur dans la confrontation C'était même pas d'entendre qu'il allait nier, parce que ça, mon avocate, elle m'avait préparé un peu à ça psychologiquement, elle m'avait dit « bon, il va dire Il va dire tout ce qui est pénalement répréhensible. Il va dire, ah non, j'ai pas fait ça. Ou alors, il va manipuler la vérité. Donc, je le savais, en fait, qu'il allait mentir. C'est quand même un choc de l'entendre en vrai, tu vois. Mais ce qui a été le plus dur pour moi, ça a été de ne pas me lever et de lui arracher la tête de façon chat avec les pataries.

  • Speaker #2

    Je vois très bien.

  • Speaker #1

    Non, non, dans ces moments-là, moi, je vois du sang, j'ai envie de violence. C'est horrible, quoi. J'avais vraiment envie de le massacrer, quoi. Pourtant, je suis contre la violence. Et je suis plutôt quelqu'un de calme et d'opposé. Bref. Du coup, j'ai pleuré de rage pendant cette confrontation. Ça a été, mine de rien, une expérience qui m'a permis, dans mon cheminement personnel, en tout cas, de rendre réelle et de me prendre la claque dont j'avais besoin pour me dire, OK. C'est officiellement un connard. Parce qu'à ce moment-là, j'émettais encore des doutes. Je me disais, c'est dur ce que je lui fais subir. Je lui laissais quand même le bénéfice du doute. Et je me disais, peut-être qu'il a fait grave de la merde, mais que ce n'est pas vraiment ce qu'il voulait. Que ce qu'il voulait, ce n'était pas ça. Quand c'est comme ça, tu viens et tu dis, écoutez, j'ai fait de la merde. Je suis désolée, vraiment, je ne voulais pas faire de la merde. je voulais pas vous faire du mal, je voulais vous faire du bien et j'ai échoué et je suis trop naze et enfin j'en sais rien tu vois repends toi quoi et en fait non pas du tout il a fait tout le contraire il a essayé de sauver ses fesses et de façon vraiment dégueulasse et là ce truc là c'est aussi ce qui a fait un basculement dans ma tête à moi et qui m'a permis de me dire officiellement c'est une grosse merde c'est un connard je sais pas si j'ai le droit de dire des gros mots mais tant pis si tu peux faut que tu te lâches ça sera interdit au moins de 18 ans et finalement ça m'a un peu aidé quoi Donc ça a été un épisode douloureux, mais ça a été un épisode douloureux qui a aidé à ce que moi je me déculpabilise aussi. C'est quand même super important de ne pas culpabiliser là-dessus. C'est super difficile. Il y a des petites choses comme ça qui aident et qui font que ça fonctionne. Il faut accepter évidemment de passer par des moments un petit peu compliqués comme ceux-là. Donc il y a eu toutes ces confrontations-là. Et puis il y a eu ensuite aussi finalement une longue période pendant laquelle tu n'as pas de nouvelles. C'est vraiment le plus difficile en fait dans toute cette procédure judiciaire. C'est qu'en fait, t'as de longues périodes où t'entends pas du tout parler de tout ça. Tu sais que ça existe au fond de toi. Tu sais qu'un jour, on va revenir vers toi. Jusqu'au jour où il y a un huissier qui tape chez toi pour te donner une lettre recommandée qui doit te donner en main propre. Ou alors, tu reçois dans ton courrier un avis de réception. Tu dois aller chercher à la poste une lettre recommandée avec accusé de réception. Quand tu vas la récupérer, il y a écrit « Tribunal de Bordeaux » . Tu te dis... Et en fait, c'est ça régulièrement, ça te remet dans le truc régulièrement. C'est un peu sadique en fait, ça te laisse un petit temps, tu te remets dans ta vie, tu ne penses pas trop à ça, bim, tu reçois un truc, et c'est reparti, etc. Bon, ça a été compliqué. Plus tu avances dans le temps, plus c'est délicat de revenir sur des détails, de te souvenir des détails, et surtout de les raconter exactement de la même façon qu'il y a dix ans. Toutes les procédures ne durent pas dix ans, c'est sûr. La mienne, elle est très longue parce qu'on est de nombreuses victimes. Que le policier qui a été en charge de l'enquête a fait une enquête très approfondie. Il a vraiment ratissé là où il pouvait ratisser pour essayer de faire une enquête complète. On l'en remercie. Enfin, le juge d'instruction aussi, il a approfondi. Il a fait venir d'autres témoins. Il y a eu tout un tas de confrontations. Il y a des filles qui n'habitent plus en France, qui habitent à l'autre bout du monde. Donc, il faut les faire venir. Il faut les déplacer. Il faut organiser des visios. Il ne se faisait pas trop à l'époque. Enfin, je veux dire, tout ça, ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. Ça a pris aussi du temps parce que, quelque part, il y a des choses qui ont été faites en profondeur, qui ont été finalement bien faites. On a eu du bol parce qu'on est tombé sur un policier qui a accepté de prendre cette affaire et de se dire il y a un truc pas net là-dessous, je vais creuser. Parce que l'enquête ne lui avait pas été donnée à lui au départ. Elle avait été donnée à d'autres policiers. C'est-à-dire que les deux premières filles dont je t'ai parlé qui ont porté plainte, ce n'est pas auprès de lui. de ce flic-là qu'elles ont porté plainte. C'est auprès d'autres flics. Eux, ils se sont dit tout de suite, non, non, mais laisse tomber, ça c'est une histoire, ça mènera à rien. Ça c'est une histoire de gamine. J'en ai vu des flics qui passent pendant que t'es en déposition, que t'es en train de chialer, toutes les larmes de ton corps, tout ce que t'as, et qui passent à côté et qui entendent à détail et qui pouffent de rire ou qui rigolent ou qui rentrent dans la pièce, qui sortent de la pièce, qui viennent à deux, qui papotent. le respect des victimes, il y a du boulot encore par rapport à d'autres expériences que j'ai pu avoir Je trouve qu'on s'en sort encore pas trop trop mal quoi. C'est exceptionnel quoi. Et c'est aussi exceptionnel qu'on soit allé en justice, c'est aussi exceptionnel qu'on ait été aux assises, parce que ce flic du coup, pour qui finalement j'ai quand même un peu d'affection, parce qu'il a beaucoup été là. Il a vraiment été très présent pour nous. En tout cas, pour moi, il l'a été. Dès que j'avais besoin de passer au commissariat parce que j'étais en plein craquage, il savait que j'étais toute seule, que mon copain c'était un abruti. Il me disait, écoute, si t'as besoin de venir te poser au commissariat, de prendre un café, de discuter, de rencontrer un psy, de quoi que ce soit, tu viens, y'a pas de problème. Je l'ai fait une fois, je me suis ramenée au commissariat, on a discuté. Et honnêtement, moi j'aurais laissé tomber depuis bien longtemps si j'avais pas eu des gens autour de moi qui avaient été là. Donc ce flic pour qui ? Donc j'ai beaucoup d'affection. C'est quelqu'un qui nous a poussé initialement à partir en correctionnalisation. Il voulait qu'on correctionnalise le truc parce que lui, sa vision de policier, c'était de dire ces filles-là, si elles partent aux assises, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Parce que c'est jugé par des gens, comme toi et moi, qui débarquent, qui n'ont pas les connaissances. pénales, qui n'ont pas les connaissances judiciaires, qui n'ont pas les connaissances aussi approfondies que des juges professionnels du dossier. Et donc, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Alors que quand c'est jugé par des professionnels, donc en correctionnel, ok, il peut prendre moins longtemps. Par contre, il y a peu de chances qu'il ne prenne pas du tout. Et ça, pour lui, c'était important que ce mec-là ne s'en sorte pas. Donc je comprends pourquoi il a voulu correctionnaliser, et je pense que dans la plupart des cas... Ils ne veulent pas correctionnaliser pour diminuer, on va dire, la souffrance des victimes. Ils veulent que la personne, elle prenne à tout prix, peu importe si elle prend moins. Moi, je suis quand même opposée à ça parce que finalement, je l'ai vécu moi, en fait, qu'on me dise « Ah merde, c'est un viol que tu as vécu. Ouais bon, on va laisser tomber ça, on va dire que c'est agression sexuelle parce que sinon, ça va être trop compliqué. » Ben non, en fait, la vérité, ce n'est pas ça. Et vu que vous êtes si attachés à la vérité que ça, allons-y jusqu'au bout. Donc oui, il y a un risque, effectivement. Il y a un risque. En plus, les assises, c'est public. Il y a plein de choses qui font que les assises, ce n'est pas la même chose du tout que la correctionnelle. Bon, il y a du plus, il y a du moins dans les deux côtés. Mais bon, la reconnaissance quand même des victimes en tant que telles, c'est par là que ça passe aussi. On va dire, j'allais dire la rédemption, le gros lapsus. Mais un peu, ouais, ta rédemption en tant que victime. Mais te dire un petit peu aussi la reconnaissance, en fait, de ton statut de victime. Même s'il y a plein de gens qui considèrent qu'être une victime, c'est un truc un peu honteux ou pathétique ou ridicule. Oui,

  • Speaker #2

    rabaissant.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Bah non, en fait. En fait, tu n'es pas une victime, tu es victime de quelqu'un. Moi, je le vois plus comme ça, en fait. Ça fait moins étiquette. Toi, tu es le coupable, toi, tu es la victime. Oh, tu es une victime. En plus, on le sait que c'est une expression utilisée quand on est jeune. C'est une grosse victime. Du coup, non, en fait. Il y a des victimes, d'autres choses, d'autres gens, plein de situations. C'est pour ça que je dis mes co-victimes. Je sais que c'est un peu bizarre de dire ça, mais ça fait un peu un mix entre mes copines victimes. Pour la plupart, ce n'est pas mes amis dans la vraie vie. Mais il y a quelque chose qui s'est passé, en fait. C'est-à-dire qu'on tient parce qu'on est ensemble, en fait. Sinon, chacune d'entre nous, je pense que l'une après l'autre, on aurait lâché l'affaire. Là, ce n'est pas le cas parce qu'on est un groupe. On est SOROR. pour le coup, ça arrive souvent qu'il y en ait une qui dise aux autres, franchement j'en ai marre, je vais pas y arriver je vais pas aller jusqu'au bout, franchement j'en peux plus et que le groupe se forme et allez on est ensemble, on lâche pas l'affaire on a pas perdu 10 ans pour lâcher maintenant et même si pour la plupart on se voit pas et on se parle pas forcément, on est pas amis on est pas vraiment en contact en fait toujours entre les procès, à chaque fois qu'on s'est retrouvés en procès, c'est comme si on était des soeurs, c'est la même chose Il y a un gros soutien qui est finalement le socle de tout ça et qui fait qu'on se supporte, on se soutient les unes les autres. On est toutes extrêmement différentes. Il n'y en a pas une qui ressemble à l'autre en fait. On n'a pas les mêmes jobs, on n'a pas fait les mêmes études, on n'a pas du tout les mêmes parcours de vie. Et en fait, ça montre bien qu'il y a un mode opératoire qui fonctionne en fait. C'est que c'est pas, on n'est pas, il n'y a pas une victime type tu vois, dans notre cas en tout cas. N'importe qui aurait pu tomber là-dedans. n'importe quelle jeune fille qui auraient pu être intéressées, auraient pu tomber là-dedans. En fait, il suffit juste d'un contexte. Quand tu les écoutes au procès, toutes ces autres filles, pour toutes, il y a un contexte qui fait qu'elles se sont retrouvées très isolées ou pas bien à ce moment-là dans leur vie. Enfin, il y a toujours un truc qui explique qu'en fait, c'est exactement pareil que pour les sectes, finalement. Il y a toujours un truc. On n'est pas stupides, on n'est pas naïves, on n'est pas débiles. Et effectivement, je pense que le fait qu'il ait réussi à mettre le grappin sur autant de personnes différentes. montre à quel point le mode opératoire était extrêmement huilé et il fonctionnait bien. Ça a été catastrophique pour pas mal d'entre nous. C'était des filles qui recrutaient d'autres filles, c'était pas lui directement. Il savait très bien que ça marcherait pas sinon. Moi j'y serais jamais allée sinon. Je suis très absolue dans ce que je dis, mais je me serais beaucoup plus méfiée si c'était un mec de 35 ans qui était venu me voir. Je suis photographe, je monte mon agence des mannequins. Je dis ouais, c'est ça. C'est des jeunes filles qui ont un statut de belles jeunes femmes. Moi, en l'occurrence, c'était une miss en plus. Je ne tenais pas à faire les miss, je m'en fichais. Mais je veux dire, c'était quelqu'un qui était dans le milieu pour moi et qui donc, c'était quelqu'un de sérieux. Et elle a été présente pour les premières séances de massage. Et elle partait au bout d'un moment. C'était que ça. Cette solidarité qu'il y a entre nous, c'est ce qui fait qu'on a tenu. Et moi, je pense que je n'aurais même pas porté plainte. Je ne me serais pas sentie légitime de porter plainte si je m'étais sentie seule. Donc, ce n'est pas une question de naïveté ou de stupidité ou d'intelligence. Et donc, il y a eu le premier procès, je crois que c'était au bout de 7 ans. 7 ans après la plainte, donc il y a eu l'enquête, l'instruction, une période d'attente, puis une date. Enfin, le premier procès, où il a été déclaré coupable et il a pris 9 ans de prison ferme, entre autres. Il a fait appel de cette décision. Donc, on devait avoir un deuxième procès. Donc là, c'était au tribunal de grande instance de Périgueux. Parce que donc, ça fonctionne par... Je vais dire par académie, mais je ne sais plus comment on dit, mais l'équivalent d'une académie. Tribunal de Bordeaux, on va dire que c'est le tribunal principal. Puis il y a suite Périgueux et celui d'Angoulême. Voilà, ça c'est pour, on va dire, je pense, la Nouvelle-Aquitaine, en gros. Le procès en appel devait se dérouler à Périgueux. Il y a eu le Covid entre-temps. Ça a été repoussé. On va dire qu'on a réussi à avoir une nouvelle date, pas à Périgueux, mais à Angoulême, parce que le tribunal est un peu plus grand et qu'il y avait un peu plus de dates disponibles. Ils ont réussi à nous caler deux ans après le premier procès, le procès en appel, qui s'est donc déroulé à Angoulême. Le dernier jour du procès en appel, l'accusé ne s'est pas présenté. Il a appris la fuite, il a laissé son avocat sur le carreau et il s'est barré en cavale. Et on a fini le procès comme ça. La peine a quand même été prononcée. Il a pris 14 ans de prison ferme. Pendant sa cavale, il a réussi quand même à trouver le temps de faire appel. du procès en cassation. Un an après, la cassation a eu lieu, c'était l'été dernier, enfin pas cet été, c'était l'été 2022. La cassation casse le procès en appel, et donc on est en attente actuellement du procès en appel bis, du procès en appel qui va remplacer le procès en appel qui a été du coup cassé, et ça va se passer donc à Périgueux, et donc ça fait plus d'un an qu'on a eu la décision de la cour de cassation, et on n'a aucune nouvelle. Et je n'ai pas la moindre idée de quand va se terminer tout ça. Parce que du coup, le prochain procès sera le dernier, parce qu'il n'y aura plus de possibilité de faire appel, plus de possibilité de faire appel en cours de cassation. Donc ce sera le dernier, ce sera terminé. Les procès sont déroulés aux assises, donc ça veut dire que c'est public. Bon, tu peux demander un... Comment dire ?

  • Speaker #2

    Un huis clos.

  • Speaker #1

    Un huis clos, merci. J'avais non lieu en tête, ça ne voulait pas partir. Surtout pas un non lieu. Ouais, donc tu peux demander un huis clos, mais quand on est très nombreuses, c'est compliqué. Surtout qu'entre celles qui auraient aimé que ce ne soit pas public et celles pour lesquelles c'est compliqué de ne pas avoir soit, je ne sais pas, leurs copains, leurs copines, leurs parents, un ami, quelqu'un qui vient les soutenir, en fait, c'est aussi difficile. De toute façon, les avocats et les avocates nous ont conseillé de ne pas le faire. On a quasiment chacune un ou une avocate, mais certaines ont le ou la même avocate. Comme c'est public, évidemment, ça a été... Enfin, je veux dire, c'est un procès aux assises avec une vingtaine de victimes. Ça attire un petit peu, je pense, l'attention de la presse. Et donc, il y a... Je ne sais pas si j'ai le droit de nommer le journal. Je n'en sais rien. Bon, je m'en fous. Vu leur comportement, je m'en cogne. Donc ouais, un des gros journaux de Bordeaux et du Sud-Ouest en général, qui est donc le journal Sud-Ouest, qui fait une couverture de pas mal de choses. Et donc il y a une journaliste en particulier qui a couvert la totalité de notre procédure, finalement, parce que je pense qu'elle a suivi le début, elle a fait la suite. Il y a eu un certain nombre d'articles qui ont eu lieu quand le premier procès a eu lieu à Bordeaux. Parce que c'est là qu'ils sont, donc c'est facile de se déplacer jusqu'au tribunal la journée, d'obtenir deux, trois infos et de repartir. C'est surtout le titrage des articles qui est de très mauvais goût, qui est assez malvenu, on va dire, si je peux rester polie. On a eu par exemple un article qui s'appelle « Un défilé de mannequins à la barre » . C'est pas violent, je pense que c'est pas fait pour être méchant, c'est fait pour faire des petits jeux de mots. Mais quand on fait du fait divers comme cette journaliste, je pense que... Je sais pas, c'est une femme quoi, un minimum d'essence par rapport à nous, ça aurait été acceptable et profitable pour nous. On n'a jamais trop rien dit, on grognait un petit peu dans notre barbe et en fait on a trop rien dit. On s'est dit, c'est des journalistes, ils font ce qu'ils veulent. Mais bon, faut pas oublier que ces trucs-là, ils sont postés souvent sur internet. Il y a des commentaires, il y a tout un tas de choses. Donc cette journaliste a essayé de couvrir le procès en appel qui a eu lieu à Angoulême. Le souci, c'est qu'on s'est rendu compte assez rapidement en lisant les articles, qu'en fait elle n'était pas là. Déjà on ne l'a pas vue. Ça se voyait quand elle écrivait l'article, qui était vachement du côté de l'agresseur, ce qui nous a beaucoup surprise. Parce qu'il était quand même en cavale. Il a quand même pris 14 ans et l'article était plutôt... Il n'était pas dit tyrambique évidemment. Elle ne faisait pas l'éloge de notre agresseur. Mais je veux dire, tu sentais que... Bon, clairement, elle avait interrogé son avocat, lui. Elle n'avait pas non plus fait la démarche d'interroger soit les victimes, soit les avocats ou les avocates des victimes. Donc déjà, tu n'es pas là. Tu ponds un article alors que tu n'as pas été sur place. Et en plus de ça, tu ponds un article basé sur, comme elle nous l'a dit, parce qu'on lui a écrit, donc comme elle nous l'a dit, sur... Elle n'a pas eu d'autre choix que de faire avec les gens qui ont bien voulu lui répondre. Moi, que je sache, mon avocate n'a pas été contactée par la journaliste. Et plein d'autres avocats non plus. En fait, elle a contacté une avocate de victime, qui est une avocate qui est assez réputée à Bordeaux. Comme elle est réputée, elle est très prise, donc elle n'est pas toujours disponible pour répondre. Et l'avocat de notre agresseur. On lui a écrit, en lui disant, écoutez, votre article n'est pas super super. Et puis, en plus, on ne se souvient pas vous avoir vu. Puis mon avocate, moi, elle n'a pas eu de vos nouvelles, donc je ne sais pas qui vous avez contacté. En tout cas, pas nous, quoi. Elle nous a répondu très gentiment en disant qu'elle était désolée, qu'elle nous explique, blabla. Et elle nous dit, écoutez, moi, je serais ravie de faire un article avec vous. Est-ce que vous accepteriez, de façon anonyme, de prendre la parole, etc. Donc on a été deux ou trois à dire, écoutez, pas de souci. Moi, je l'ai eu au téléphone, parce que j'habite à Paris et elle habite à Bordeaux. Donc je l'ai eu au téléphone, elle m'a posé des questions. Elle était super bienveillante au téléphone, hyper gentille, très rassurante, très bienveillante. Et au final, elle fait son article. Elle a fait surtout un travail de transcription de nos entretiens. Elle les a un peu mis bout à bout en disant « machine d'ici » , « trugui ça » , enfin voilà. Et là, clairement, on s'était vraiment bâclés, quoi. Pendant ces entretiens, on lui a expliqué comment ça s'était passé pour nous, en fait, ce procès en appel. On savait que ça allait partir en cassation, sans douter. Parce qu'il y a eu un vice de procédure pendant ce procès-là. On était déjà tendus parce qu'on sortait de une semaine de procès qui avait été très difficile, très épuisant, psychologiquement et physiquement aussi. Et on a eu un accusé qui est parti en cavale et qu'on n'a pas revu, qui a été condamné à 14 ans de prison. On était dépités, quoi. On lui expliquait ça au téléphone. En tout cas, moi, je lui expliquais ça au téléphone. Je lui expliquais à quel point la cavale de ce mec-là, ça nous touchait à nous, c'était flippant pour nous. Pas parce qu'on a peur qu'il fasse des représailles, mais parce que c'est pas juste, quoi. Et en fait, on lui a aussi beaucoup parlé du fait qu'il comparaissait libre à chaque fois. Parce que, encore une fois, même problème, les prisons sont bondées, donc il faut faire des choix. Et clairement, on va pas mettre un mec comme lui, on va pas séparer un père de ses enfants. On nous l'a dit, hein. Enfin, pour nous, c'est dur, quoi. Parce que du coup, il y a une grosse différence quand t'es dans un procès, quand la personne comparaît libre, et quand elle comparaît pas libre. il y a une vitre devant lui quand il ne comparaît pas libre il est dans un box il n'est pas assis à côté de toi à deux mètres de toi sur une chaise ça change tout en fait et puis lui il vit sa vie normalement aussi ok il doit pointer au commissariat toute la semaine, d'accord c'est sa seule contrainte de vie en fait donc on lui a expliqué tout ça à la journaliste donc elle a pondu son article sur nous et deux semaines après elle contacte une des victimes et elle lui dit qu'en gros, elle va sortir un autre article, mais qu'il vaut mieux pas qu'on le lise, celui-là, parce que ça va être difficile pour nous, quoi. Déjà, de quel droit peux-tu nous dire ça ? Et surtout, comment peux-tu penser que si tu nous dis « Attention, je vais sortir un article, il faut pas le lire » , évidemment qu'on va aller voir ce qu'elle a écrit, évidemment qu'on va voir de quoi il s'agit. Et en fait, elle a interviewé à distance notre agresseur pendant sa cavale, parce que c'était son droit de réponse. Sauf qu'elle nous a jamais expliqué ça. Moi si elle m'avait dit ça, je l'aurais dit écoutez, faites vos articles, j'en ai rien à faire. mais si c'est pour le réinterroger lui derrière alors qu'il est en cavale, moi je préfère rien dire. A aucun moment, elle a été franche avec nous là-dessus. A aucun moment, elle nous a dit que c'est son droit de réponse. Droit de réponse de quoi ? Elle venait de faire un article où elle n'avait interrogé que son avocat à lui. Son avocat, c'est sa voix à lui. C'était nous le droit de réponse, ce n'était pas lui. Moi, ça m'a vraiment anéantie. Je sais que je n'ai pas été la seule. Certains de mes proches, des proches d'autres victimes, ont écrit au journal Sud-Ouest et à la journaliste pour lui expliquer à quel point ils étaient outrés, à quel point ils étaient choqués et à quel point c'était indécent comme boulot de faire ça. Évidemment, le journal a pris la défense de sa journaliste. Elle sera probablement là pour le... Enfin, ou pas là, d'ailleurs, parce que ça se passera à Périgueux, j'en sais rien. Mais ça, c'est quelque chose qui a été profondément choquant. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Je pense qu'il y a moyen qu'elle pensait bien faire. Mais ce n'est pas très sourd. Après, je suppose qu'elle doit se dire que son job, ce n'est pas d'être sourd, c'est de relater ce qu'on lui dit, les faits, et de faire des articles neutres. Mais je vois pas trop la neutralité dans ce qu'elle écrit. Et quand je le montre à des gens autour de moi, parce qu'évidemment, on les enregistre tous ces articles, j'ai des captures d'écran, j'ai... Enfin, j'archive, je sais pas pourquoi, mais je les archive. Donc voilà. Pour cette histoire de journal.

  • Speaker #2

    J'ai une dernière question. Pourquoi tu témoignes, et qu'est-ce que t'aimerais dire aux gens qui écoutent ? Voilà, ce serait un peu ça, l'idée.

  • Speaker #1

    Bah déjà, j'ai hésité à témoigner, parce que, d'une part... En fait, j'ai une crainte. Je suis très ambivalente, moi, sur le fait de porter plainte. C'est-à-dire que, déjà pour moi, je trouve ça difficile de dire « porter plainte, c'est bien ce que j'ai fait » ou « franchement, ça m'a rajouté tellement de complications dans ma vie de porter plainte » que « franchement, faites pas ça, quoi » . Je suis toujours moi-même très ambivalente là-dessus. En fait, j'ai toujours peur en témoignant et en disant ce que moi j'ai vécu, soit de transmettre l'idée que porter plainte, c'est vraiment pas un truc à faire parce que ça va te gâcher la vie, que c'est horrible, que ça va remuer le couteau dans la plaie pendant des années et que vraiment, ça vaut pas le coup. Et en même temps, j'ai pas non plus envie de dissuader les gens de porter plainte parce que, bon, j'ai déjà eu cette discussion avec une amie à moi sur le fait que j'attends finalement quelque part, moi, de toute cette procédure qu'une fois que ça sera derrière moi, que ça sera terminé. même si c'est jamais vraiment terminé, mais je veux dire, au moins la procédure judiciaire, qui est un avant et un après pour moi dans ma vie, quoi. Et que cet après, il soit un peu plus léger, qu'il soit un peu plus doux, qu'il y ait déjà ce gros point en moins. Mais oui, et cette amie m'avait dit, et je l'avais super mal pris, et je l'avais vraiment super mal vécu, qu'il faut pas s'attendre, en fait, à des grandes révélations, des grands après, tu vois, de choses comme ça. Parce que dans la vie, il n'y a pas de grands après, de grands trucs comme ça, et que si tu les attends trop, t'es déçue. Je pense que c'est ça qu'elle voulait dire. Elle voulait un petit peu me prémunir d'une déception, une grosse déception. J'entends ce qu'elle m'a dit. C'est vraiment une amie très proche et je l'aime très fort. Mais en fait, je suis quand même pas d'accord avec ça. Et je vis quand même avec l'espoir, parce que sinon je laisse tout tomber, avec l'espoir qu'il y aura quand même une différence après. Et honnêtement, j'y crois profondément. Je pense qu'il y aura une grosse différence après. Déjà, ce sera terminé, je serai allée au bout de quelque chose. J'aurai fait entendre ma voix. J'aurai dit ce que j'ai à dire devant la justice. ce qu'on entend beaucoup ça aussi c'est qu'elle aille porter plainte genre si t'as pas porté plainte ça n'a pas de valeur ta parole n'a pas de valeur, déjà c'est faux on le sait, mais c'est bien de le redire quand même porter plainte devant la justice c'est difficile mais moi je trouve que c'est un acte de courage ça veut pas encore dire que les personnes qui ne sont pas qui ne se sentent pas capables ou qui n'ont pas envie de le faire manquent de courage mais effectivement c'est courageux de le faire c'est difficile de le faire d'autant plus qu'encore une fois je me mets à la place des personnes qui portent plainte quand elles sont toutes seules Ce qui n'est pas mon cas. Et j'imagine à quel point ça doit être difficile.

  • Speaker #2

    Et tu parlais du fait d'influencer ou pas les gens à porter plainte. Je pense que, j'y mets mes propres biais aussi, mais je pense que les gens qui ont envie ou pas de porter plainte, ils ont cette envie instinctive de le faire ou pas. Et justement, tous les éléments que tu as amenés, chaque personne viendra prendre ce qu'elle a envie de prendre. Et ça va l'influencer, mais dans le sens où elle voulait aller de base, je pense. Oui, Et au moins, tu auras surtout donné les clés. Tu n'auras pas forcément influencé son choix. Tu auras surtout donné les clés et tu la conforteras dans le choix qu'elle voulait faire avec les clés que toi, tu as données.

  • Speaker #1

    Encore une fois, moi, ça m'importe de préciser que c'est bien d'être entourée. On porte plainte ou qu'on ne porte pas plainte. C'est hyper important de s'entourer de gens déjà qui te croient, qui ne mettent pas en doute ce que tu dis tous les quatre matins, même un matin. et qui te soutiennent, qui comprennent quand ça va pas, qui ont juste envie que tu ailles bien. C'est hyper important.

  • Speaker #0

    Et je trouve que c'est difficile de se débarrasser finalement des gens qui ne sont pas comme ça. Mais c'est salvateur. C'est vraiment hyper important d'être bien entouré. Après, on se sent quand même un peu seul dans des situations comme ça. Qu'on porte plainte ou qu'on porte pas plainte, ça change rien. Je pense qu'on ressent toutes et tous de la solitude quand on a été victime d'agression. C'est aussi pour ça que pour moi c'est important d'en parler. C'est que, en fait, c'est grâce aussi à des témoignages que je me sens un peu moins seule. Parce que les gens autour de moi qui n'ont pas vécu la même chose, ils sont là pour moi, ils m'écoutent, ils me comprennent, ils m'entendent. Mais ils ne comprennent pas vraiment parce qu'ils n'ont pas vécu ce que j'ai vécu et c'est difficile de l'expliquer, c'est difficile ce qu'il y a à l'intérieur de moi. C'est déjà compliqué pour moi de le comprendre, donc pour les autres c'est d'autant plus compliqué. Et il y a des fois, entre personnes qui ont vécu la même chose, il y a des choses qui se comprennent facilement. il y a des fois où on n'a même pas besoin de se le dire et on sait moi c'est des choses qui m'aident Il y a des fois, je me dis que je suis un peu maso parce qu'on parlait du reportage sur Depardieu. Je me suis dit, est-ce que ça ne va pas me faire plus de mal que de bien ? Est-ce que j'ai vraiment envie de regarder ça ? Est-ce que j'ai vraiment envie de me flageller comme ça et de me rajouter des trucs ? Honnêtement, c'est très dur. Mais entendre des gens qui ont vécu des choses similaires, moi, ça m'a aidée aussi à me sentir moins seule et à me dire qu'il y a des gens qui vivent la même chose que moi. Et c'est intéressant de voir comment ils se sentent aujourd'hui, quel a été leur parcours, ce qu'ils ont fait. De voir aussi qu'il y a des gens qui ne sont pas bien. Pas parce que ça fait du bien de voir des gens qui ne sont pas bien, mais parce qu'en fait, tu te dis, je ne suis pas bien, moi aussi. J'ai le droit de ne pas être bien, c'est normal que je ne sois pas bien. Il y a d'autres gens qui ne sont pas bien aussi. Je ne sais pas, tout ça, ça paraît très négatif. Mais bizarrement, je trouve que c'est ce qui galvanise un petit peu le fait qu'on a envie de se battre et pas de laisser tomber. Moi, j'avoue, j'ai un peu ralenti sur le militantisme. Et ça, c'est une forme pour moi de militantisme, en fait. Il me convient mieux. J'ai du mal à descendre dans la rue maintenant. Déjà parce que j'ai un petit peu de mal avec la foule, mais aussi parce que ça me fait flipper. Parce que les dernières fois où je suis allée en manifestation, c'était super violent. Et j'ai du mal avec ce type de manifestation. J'ai fait quelques collages aussi. Mais c'est pareil, j'ai l'impression d'avoir fait ce que j'avais à faire et de vouloir faire autre chose. Donc j'essaye de m'engager dans des associations de façon différente. En fait, ça prend tellement de temps des fois que je suis débordée et j'y arrive pas. Faire des choses comme ça de façon ponctuelle et de façon un peu plus ouverte, c'est une forme de militantisme pour moi qui paraît un peu différente et je sais pas, qui me convient bien. Et je sais pas, c'est aussi pour ouvrir des discussions sur des différentes choses, différents sujets. Je sais qu'avec tous les podcasts que toi tu as faits, finalement il y a des choses qui vont s'entrecroiser, il y a des choses qui vont se compléter. Il y a peut-être des fois des choses qui vont se contredire aussi, parce qu'on a des vécus différents. Mais ouais, j'ai eu peur de témoigner, parce que j'ai pas envie que des personnes qui me ressemblent se sentent légitimes et se disent « Ah oui, moi aussi j'ai vécu comme elle, et du coup, c'est chouette, on est ensemble. » Et que les personnes qui n'ont pas vécu la même chose se disent « Ah ben, moi je le vis pas comme ça, ça craint. Ah ouais, mais ce qu'elle dit, ça donne pas très envie de porter plainte. Peut-être je vais pas le faire. » J'ai pas envie, en fait, d'avoir une influence sur les choix des gens, parce que c'est très différent juste moi dans ma procédure On est dans le même procès, on n'a pas du tout vécu la même chose. Chaque vécu est différent sur la vingtaine de victimes. Chacune d'entre nous est très différente. Et au final, on vit aussi les choses de façon différente. Et il y en a certaines qui ont laissé tomber. Enfin, qui ont annulé leur plainte. Je ne sais plus comment on dit. On est un peu toutes passées par ce moment de se dire « Vas-y, j'en peux plus, je laisse tomber » . C'est aussi bien justement de se dire « Allez, on est ensemble » . Je pense que ce qui est positif aussi, c'est ça, c'est de se dire qu'on n'est pas tout seul. Même si c'est aussi triste de se dire qu'on n'est pas tout seul, parce qu'on aimerait que ça n'arrive pas. On aimerait que le moins de gens possible soient concernés. Et en même temps, ça crée une sorte de communauté, en fait. C'est un peu triste de dire ça, mais ça fait une communauté de victimes, finalement. Sauf que je pense qu'ensemble, on est plus fortes. Que c'est aussi en discutant, en parlant. On parle beaucoup de libération de la parole. et moi je suis plutôt convaincue que... que c'est le cas. Je suis ravie qu'on agace les gros mascus, les gros incels. J'en suis absolument ravie. Et malheureusement, si ça leur pose problème, je vous espérais que ça puisse permettre à certaines personnes de se remettre en question et d'entendre comme ça divers témoignages, diverses personnes, d'entendre diverses personnalités aussi. Je vous espérais que ça puisse... C'est un rêve un peu naïf, mais je vous espérais que peut-être des gens un jour se diront... que finalement, il y a peut-être un truc quand même un peu systémique. Que ce n'est pas juste trois greluches qui n'ont pas été très fines et qui se sont fait avoir comme des bleus. Et que ce n'est pas ça le problème. Il y a un truc auquel ça me fait penser. C'est qu'à la fin du deuxième procès, donc il n'y avait plus l'agresseur, parce qu'il était en cavale, comme je disais, il y a un des jurés populaires qui est venu nous voir, qui nous a dit qu'il avait été très touché par nos témoignages, qu'il avait trouvé que lui, par exemple, ça l'avait beaucoup remué, parce qu'il est papa d'une jeune fille qui a à peu près l'âge qu'on avait au moment des faits, et qui s'est dit, c'est réel en fait, ça arrive vraiment, et ça arrive. à des gens comme ma fille. Ils disaient, en fait, je vous ai trouvé très dignes. Moi, ça m'a un peu marquée sur le moment parce que je n'ai pas du tout, du tout eu l'impression qu'on était très dignes. Moi, j'ai passé quatre heures à la barre pendant le deuxième procès à parler, à raconter, à répondre à des questions. Mais je chialais toutes les cinq minutes et je me morvais dessus. Enfin, je veux dire, j'étais dégueulasse face à tous ces gens-là. Je me suis énervée directement, frontalement contre l'agresseur. Je lui ai gueulé dessus dans tout le monde. Gueulé. J'exagère un peu, mais presque. Et je me suis dit, mais elle est où la dignité là-dedans ? C'est pas ça être digne. Enfin, moi, c'est pas ma vision comme ça, a priori, de quelqu'un de digne. Et d'entendre quelqu'un d'extérieur qui m'a dit ça, déjà, ça m'a foutu une grosse baffe. Une grosse baffe positive. Et je me suis dit, en fait, ce mec-là, par exemple, il avait le cliché de la victime un peu bébête, tu sais, un peu naïve. Je pense qu'il y a plein de gens qui se disent que ça arrive à un certain type de personnes. Et quand ils arrivent à un procès comme ça, et qu'ils se prennent dans la tronche 17 nanas complètement différentes, qui ne se ressemblent pas du tout à l'intérieur et à l'extérieur, dans tous les sens possibles, se dire, ah oui, en fait, ça peut arriver à ma fille, ça peut arriver à n'importe qui. Je ne sais pas, j'ai trouvé ça vraiment super important, et je me suis dit, on a au moins réussi à faire ça pour une personne. C'est cool. Et après, si cette personne allait nous le dire, j'ose espérer qu'il y a d'autres personnes qui ont peut-être eu le même cheminement. un cheminement similaire et qui ont juste pas osé venir nous lire mais qui l'ont pensé et je me dis peut-être que ce genre de podcast ce genre d'action en général ça peut peut-être permettre je sais pas, peut-être à des gens qui sont un peu curieux et qui savent pas trop peut-être de se faire une opinion un peu différente de remettre en question des a priori ou alors pour juste apporter du soutien et de la parole personnes qui se sont fait agresser et voilà.

  • Speaker #1

    Le témoignage de Marion a été enregistré en novembre 2023. Depuis, un procès en appel a eu lieu suite à la décision de la Cour de cassation. A l'issue de ce troisième procès en appel, l'agresseur a refait une demande de pourvoi en cassation. Si la Cour de cassation décide de casser une nouvelle fois la décision d'appel, il y aura alors un quatrième procès en Cour d'appel. Cette étape vient compléter le témoignage de Marion. Porter plainte implique de lourdes procédures éprouvantes pour les personnes victimes. Vous venez d'écouter le 20e épisode du podcast Au bénéfice du doute. Si vous pensez qu'il peut réconforter et être utile à d'autres personnes, n'hésitez pas à le partager. Et comme le rappelle si bien Marion, écouter les témoignages de victimes n'est pas forcément réservé qu'aux victimes. Vous pouvez partager cet épisode à tous vos proches pour les sensibiliser au sujet des violences sexuelles. Ce podcast est entièrement autoproduit par Julie Dussert, la musique originale a été composée par Sandra Fabry et l'image a été dessinée par Camélia Blandon. Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole.

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Description

📢 Marion, ancienne mannequin, victime de son patron, décrit son parcours judiciaire en Cour d'Assises, couvert par la presse.


💙 N'hésitez pas à partager cet épisode à vos proches, que ce soit pour se préparer à un procès ou pour sensibiliser aux violences sexuelles.


🟣 Si vous ou un proche êtes victime de violences sexuelles, ne restez pas seul.e:

  • Appelez le 3919

  • Maison des Femmes dans le 12ème arrondissement de Paris, https://mdfparis.fr/

  • Le collectif Féministe contre le viol au 0 800 05 95 95


📩 Si vous souhaitez témoigner, n'hésitez pas à envoyer un e-mail à aubeneficedudoutepodcast@gmail.com ou en message privé sur Instagram @aubeneficedudoute . 


Au Bénéfice du Doute est une émission entièrement auto-produite par Julie Dusserre.


Musique originale : Sandra Fabbri


Illustration : Camélia Blandeau


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole. Cet épisode évoque des faits de violences sexuelles, écoutez-le dans de bonnes conditions émotionnelles. Si vous n'avez pas écouté l'épisode précédent, je vous invite vivement à le faire pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la situation. Marion, ancienne mannequin, comme les autres victimes de son ancien patron et directeur d'agence, a porté plainte contre lui. Elle nous explique comment se déroule un procès en cour d'assises quand celui-ci est couvert par la presse.

  • Speaker #1

    Pour faire, on va dire, de façon très chronologique, ce sera peut-être plus simple de comprendre. Donc il y a eu les faits qui se sont déroulés, que j'ai raconté tout à l'heure. Il y a eu donc les premières plaintes. J'ai été entendue une première fois, puis une seconde fois. Je suis revenue pour porter plainte. L'enquête, en fait, suit son cours. Donc, par exemple, j'ai été appelée pour avoir une psy pour une expertise. Une expertise psychiatrique. J'ai été à ce rendez-vous. Tu reçois les résultats. Après, c'est un peu bizarre de recevoir les résultats de ça. Ça, c'est aussi pour l'agresseur. Ce n'est pas juste pour les victimes. L'agresseur a fait une demande de contre-expertise. Parce que le premier ne lui convenait pas. Donc, il a eu deux expertises psy. Et la psy te pose des questions. Je pense qu'elle essaye de déterminer si tu... tu es sain d'esprit. Je déteste ce truc, mais ils essayent de voir si tu as une intelligence normale. Je mets des gros guillemets derrière ça. En gros, si tu n'as pas, je ne sais pas, une maladie psychiatrique, quelque chose qui ferait que ton jugement est altéré d'une façon ou d'une autre. Et c'est valable pour nous, mais c'est surtout valable pour lui. Parce que des fois, ça sert de mieux, clairement. Donc c'est un petit peu inquiétant toujours. Et puis donc après, il y a eu des confrontations. Moi, j'en ai eu une. Confrontation, c'est un épisode pendant lequel on est avec un juge d'instruction. Le juge d'instruction, c'est celui qui mène la grosse enquête après l'enquête de police. Une enquête d'instruction qui est menée par le juge d'instruction, qui va déterminer quels sont les faits qui vont être retenus ou non, et si ça va en justice ou si ça s'arrête là. C'est le juge d'instruction, à la fin de son enquête, qui décide de ça. Pendant l'instruction, il y a eu l'expertise psy, la confrontation, donc on est face au juge. d'instruction, la greffière ou le greffier. Alors nous, on était en ligne. De Ausha droite, il y avait l'accusé, son avocat ou son avocate, mon avocate et moi. En ligne. Donc j'étais relativement loin de lui, relativement. On était quand même dans la même pièce. En gros, on nous pose des questions, à lui, à moi. Souvent, on nous pose la même question pour avoir les deux versions des faits. On nous dit, bah, machin, il dit que, vous vous dites quoi ? Ah oui, mais elle, elle a dit que, et vous, vous dites quoi, monsieur ? Et c'est que des trucs comme ça. Et tu es filmée. En tout cas, moi, c'était mon cas. C'est une petite caméra, tu sais, les petites caméras à l'ancienne que tu mets sur l'ordinateur. Petite caméra externe. La webcam. Ouais. La webcam. Ça a été un peu difficile parce que c'est la première fois que je le revoyais déjà, en vrai, depuis ma plainte. Parce que c'est la première fois aussi où je l'ai entendue nier des choses qu'on avait vécues, lui et moi. On le sait. On était là tous les deux. Donc on le sait qu'il ment. Et ouais, ça a été difficile de l'entendre inventer des trucs que moi, j'avais jamais entendu à ce moment-là, en fait. Par exemple, il a justifié le fait de m'avoir massé la poitrine, de m'avoir embrassé la poitrine, par le fait que, en fait, j'ai subi une opération de réduction de la poitrine. J'ai des cicatrices sous la poitrine et un peu à divers endroits. Il n'y a qu'à regarder sur Google pour voir. C'est les mêmes cicatrices pour toutes les personnes qui font cette opération. Il a expliqué qu'en fait c'était pour m'aider par rapport à mes complexes de cicatrices. Tout le monde autour de moi sait que je n'ai aucun complexe par rapport à ces cicatrices. J'adore ces cicatrices, je les aime d'amour, elles sont trop belles, je trouve que ça fait partie de moi. Ça a changé ma vie cette opération, donc en fait je suis contente. Ça ne m'a jamais posé problème, ni pour m'habiller, ni pour avoir des partenaires sexuels, ni pour avoir des partenaires amoureux. Donc en fait, je n'ai jamais développé de complexe par rapport à ça. C'était un choix, j'étais contente. Je les aime, quoi, vraiment. Je ne les trouve pas moches, en plus, je les trouve assez jolies. Et l'entendre dire que c'était parce que je n'aimais pas mes cicatrices, que je n'avais pas confiance en moi, etc., qu'il avait fait ça, déjà, tu prétends que tu ne l'as pas fait, et en plus, tu justifies que tu l'as fait en disant un truc que tu viens d'inventer. Là c'est difficile parce qu'en fait ce qu'il faut faire c'est garder ton sang froid En fait finalement c'était ça le plus dur dans la confrontation C'était même pas d'entendre qu'il allait nier, parce que ça, mon avocate, elle m'avait préparé un peu à ça psychologiquement, elle m'avait dit « bon, il va dire Il va dire tout ce qui est pénalement répréhensible. Il va dire, ah non, j'ai pas fait ça. Ou alors, il va manipuler la vérité. Donc, je le savais, en fait, qu'il allait mentir. C'est quand même un choc de l'entendre en vrai, tu vois. Mais ce qui a été le plus dur pour moi, ça a été de ne pas me lever et de lui arracher la tête de façon chat avec les pataries.

  • Speaker #2

    Je vois très bien.

  • Speaker #1

    Non, non, dans ces moments-là, moi, je vois du sang, j'ai envie de violence. C'est horrible, quoi. J'avais vraiment envie de le massacrer, quoi. Pourtant, je suis contre la violence. Et je suis plutôt quelqu'un de calme et d'opposé. Bref. Du coup, j'ai pleuré de rage pendant cette confrontation. Ça a été, mine de rien, une expérience qui m'a permis, dans mon cheminement personnel, en tout cas, de rendre réelle et de me prendre la claque dont j'avais besoin pour me dire, OK. C'est officiellement un connard. Parce qu'à ce moment-là, j'émettais encore des doutes. Je me disais, c'est dur ce que je lui fais subir. Je lui laissais quand même le bénéfice du doute. Et je me disais, peut-être qu'il a fait grave de la merde, mais que ce n'est pas vraiment ce qu'il voulait. Que ce qu'il voulait, ce n'était pas ça. Quand c'est comme ça, tu viens et tu dis, écoutez, j'ai fait de la merde. Je suis désolée, vraiment, je ne voulais pas faire de la merde. je voulais pas vous faire du mal, je voulais vous faire du bien et j'ai échoué et je suis trop naze et enfin j'en sais rien tu vois repends toi quoi et en fait non pas du tout il a fait tout le contraire il a essayé de sauver ses fesses et de façon vraiment dégueulasse et là ce truc là c'est aussi ce qui a fait un basculement dans ma tête à moi et qui m'a permis de me dire officiellement c'est une grosse merde c'est un connard je sais pas si j'ai le droit de dire des gros mots mais tant pis si tu peux faut que tu te lâches ça sera interdit au moins de 18 ans et finalement ça m'a un peu aidé quoi Donc ça a été un épisode douloureux, mais ça a été un épisode douloureux qui a aidé à ce que moi je me déculpabilise aussi. C'est quand même super important de ne pas culpabiliser là-dessus. C'est super difficile. Il y a des petites choses comme ça qui aident et qui font que ça fonctionne. Il faut accepter évidemment de passer par des moments un petit peu compliqués comme ceux-là. Donc il y a eu toutes ces confrontations-là. Et puis il y a eu ensuite aussi finalement une longue période pendant laquelle tu n'as pas de nouvelles. C'est vraiment le plus difficile en fait dans toute cette procédure judiciaire. C'est qu'en fait, t'as de longues périodes où t'entends pas du tout parler de tout ça. Tu sais que ça existe au fond de toi. Tu sais qu'un jour, on va revenir vers toi. Jusqu'au jour où il y a un huissier qui tape chez toi pour te donner une lettre recommandée qui doit te donner en main propre. Ou alors, tu reçois dans ton courrier un avis de réception. Tu dois aller chercher à la poste une lettre recommandée avec accusé de réception. Quand tu vas la récupérer, il y a écrit « Tribunal de Bordeaux » . Tu te dis... Et en fait, c'est ça régulièrement, ça te remet dans le truc régulièrement. C'est un peu sadique en fait, ça te laisse un petit temps, tu te remets dans ta vie, tu ne penses pas trop à ça, bim, tu reçois un truc, et c'est reparti, etc. Bon, ça a été compliqué. Plus tu avances dans le temps, plus c'est délicat de revenir sur des détails, de te souvenir des détails, et surtout de les raconter exactement de la même façon qu'il y a dix ans. Toutes les procédures ne durent pas dix ans, c'est sûr. La mienne, elle est très longue parce qu'on est de nombreuses victimes. Que le policier qui a été en charge de l'enquête a fait une enquête très approfondie. Il a vraiment ratissé là où il pouvait ratisser pour essayer de faire une enquête complète. On l'en remercie. Enfin, le juge d'instruction aussi, il a approfondi. Il a fait venir d'autres témoins. Il y a eu tout un tas de confrontations. Il y a des filles qui n'habitent plus en France, qui habitent à l'autre bout du monde. Donc, il faut les faire venir. Il faut les déplacer. Il faut organiser des visios. Il ne se faisait pas trop à l'époque. Enfin, je veux dire, tout ça, ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. Ça a pris aussi du temps parce que, quelque part, il y a des choses qui ont été faites en profondeur, qui ont été finalement bien faites. On a eu du bol parce qu'on est tombé sur un policier qui a accepté de prendre cette affaire et de se dire il y a un truc pas net là-dessous, je vais creuser. Parce que l'enquête ne lui avait pas été donnée à lui au départ. Elle avait été donnée à d'autres policiers. C'est-à-dire que les deux premières filles dont je t'ai parlé qui ont porté plainte, ce n'est pas auprès de lui. de ce flic-là qu'elles ont porté plainte. C'est auprès d'autres flics. Eux, ils se sont dit tout de suite, non, non, mais laisse tomber, ça c'est une histoire, ça mènera à rien. Ça c'est une histoire de gamine. J'en ai vu des flics qui passent pendant que t'es en déposition, que t'es en train de chialer, toutes les larmes de ton corps, tout ce que t'as, et qui passent à côté et qui entendent à détail et qui pouffent de rire ou qui rigolent ou qui rentrent dans la pièce, qui sortent de la pièce, qui viennent à deux, qui papotent. le respect des victimes, il y a du boulot encore par rapport à d'autres expériences que j'ai pu avoir Je trouve qu'on s'en sort encore pas trop trop mal quoi. C'est exceptionnel quoi. Et c'est aussi exceptionnel qu'on soit allé en justice, c'est aussi exceptionnel qu'on ait été aux assises, parce que ce flic du coup, pour qui finalement j'ai quand même un peu d'affection, parce qu'il a beaucoup été là. Il a vraiment été très présent pour nous. En tout cas, pour moi, il l'a été. Dès que j'avais besoin de passer au commissariat parce que j'étais en plein craquage, il savait que j'étais toute seule, que mon copain c'était un abruti. Il me disait, écoute, si t'as besoin de venir te poser au commissariat, de prendre un café, de discuter, de rencontrer un psy, de quoi que ce soit, tu viens, y'a pas de problème. Je l'ai fait une fois, je me suis ramenée au commissariat, on a discuté. Et honnêtement, moi j'aurais laissé tomber depuis bien longtemps si j'avais pas eu des gens autour de moi qui avaient été là. Donc ce flic pour qui ? Donc j'ai beaucoup d'affection. C'est quelqu'un qui nous a poussé initialement à partir en correctionnalisation. Il voulait qu'on correctionnalise le truc parce que lui, sa vision de policier, c'était de dire ces filles-là, si elles partent aux assises, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Parce que c'est jugé par des gens, comme toi et moi, qui débarquent, qui n'ont pas les connaissances. pénales, qui n'ont pas les connaissances judiciaires, qui n'ont pas les connaissances aussi approfondies que des juges professionnels du dossier. Et donc, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Alors que quand c'est jugé par des professionnels, donc en correctionnel, ok, il peut prendre moins longtemps. Par contre, il y a peu de chances qu'il ne prenne pas du tout. Et ça, pour lui, c'était important que ce mec-là ne s'en sorte pas. Donc je comprends pourquoi il a voulu correctionnaliser, et je pense que dans la plupart des cas... Ils ne veulent pas correctionnaliser pour diminuer, on va dire, la souffrance des victimes. Ils veulent que la personne, elle prenne à tout prix, peu importe si elle prend moins. Moi, je suis quand même opposée à ça parce que finalement, je l'ai vécu moi, en fait, qu'on me dise « Ah merde, c'est un viol que tu as vécu. Ouais bon, on va laisser tomber ça, on va dire que c'est agression sexuelle parce que sinon, ça va être trop compliqué. » Ben non, en fait, la vérité, ce n'est pas ça. Et vu que vous êtes si attachés à la vérité que ça, allons-y jusqu'au bout. Donc oui, il y a un risque, effectivement. Il y a un risque. En plus, les assises, c'est public. Il y a plein de choses qui font que les assises, ce n'est pas la même chose du tout que la correctionnelle. Bon, il y a du plus, il y a du moins dans les deux côtés. Mais bon, la reconnaissance quand même des victimes en tant que telles, c'est par là que ça passe aussi. On va dire, j'allais dire la rédemption, le gros lapsus. Mais un peu, ouais, ta rédemption en tant que victime. Mais te dire un petit peu aussi la reconnaissance, en fait, de ton statut de victime. Même s'il y a plein de gens qui considèrent qu'être une victime, c'est un truc un peu honteux ou pathétique ou ridicule. Oui,

  • Speaker #2

    rabaissant.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Bah non, en fait. En fait, tu n'es pas une victime, tu es victime de quelqu'un. Moi, je le vois plus comme ça, en fait. Ça fait moins étiquette. Toi, tu es le coupable, toi, tu es la victime. Oh, tu es une victime. En plus, on le sait que c'est une expression utilisée quand on est jeune. C'est une grosse victime. Du coup, non, en fait. Il y a des victimes, d'autres choses, d'autres gens, plein de situations. C'est pour ça que je dis mes co-victimes. Je sais que c'est un peu bizarre de dire ça, mais ça fait un peu un mix entre mes copines victimes. Pour la plupart, ce n'est pas mes amis dans la vraie vie. Mais il y a quelque chose qui s'est passé, en fait. C'est-à-dire qu'on tient parce qu'on est ensemble, en fait. Sinon, chacune d'entre nous, je pense que l'une après l'autre, on aurait lâché l'affaire. Là, ce n'est pas le cas parce qu'on est un groupe. On est SOROR. pour le coup, ça arrive souvent qu'il y en ait une qui dise aux autres, franchement j'en ai marre, je vais pas y arriver je vais pas aller jusqu'au bout, franchement j'en peux plus et que le groupe se forme et allez on est ensemble, on lâche pas l'affaire on a pas perdu 10 ans pour lâcher maintenant et même si pour la plupart on se voit pas et on se parle pas forcément, on est pas amis on est pas vraiment en contact en fait toujours entre les procès, à chaque fois qu'on s'est retrouvés en procès, c'est comme si on était des soeurs, c'est la même chose Il y a un gros soutien qui est finalement le socle de tout ça et qui fait qu'on se supporte, on se soutient les unes les autres. On est toutes extrêmement différentes. Il n'y en a pas une qui ressemble à l'autre en fait. On n'a pas les mêmes jobs, on n'a pas fait les mêmes études, on n'a pas du tout les mêmes parcours de vie. Et en fait, ça montre bien qu'il y a un mode opératoire qui fonctionne en fait. C'est que c'est pas, on n'est pas, il n'y a pas une victime type tu vois, dans notre cas en tout cas. N'importe qui aurait pu tomber là-dedans. n'importe quelle jeune fille qui auraient pu être intéressées, auraient pu tomber là-dedans. En fait, il suffit juste d'un contexte. Quand tu les écoutes au procès, toutes ces autres filles, pour toutes, il y a un contexte qui fait qu'elles se sont retrouvées très isolées ou pas bien à ce moment-là dans leur vie. Enfin, il y a toujours un truc qui explique qu'en fait, c'est exactement pareil que pour les sectes, finalement. Il y a toujours un truc. On n'est pas stupides, on n'est pas naïves, on n'est pas débiles. Et effectivement, je pense que le fait qu'il ait réussi à mettre le grappin sur autant de personnes différentes. montre à quel point le mode opératoire était extrêmement huilé et il fonctionnait bien. Ça a été catastrophique pour pas mal d'entre nous. C'était des filles qui recrutaient d'autres filles, c'était pas lui directement. Il savait très bien que ça marcherait pas sinon. Moi j'y serais jamais allée sinon. Je suis très absolue dans ce que je dis, mais je me serais beaucoup plus méfiée si c'était un mec de 35 ans qui était venu me voir. Je suis photographe, je monte mon agence des mannequins. Je dis ouais, c'est ça. C'est des jeunes filles qui ont un statut de belles jeunes femmes. Moi, en l'occurrence, c'était une miss en plus. Je ne tenais pas à faire les miss, je m'en fichais. Mais je veux dire, c'était quelqu'un qui était dans le milieu pour moi et qui donc, c'était quelqu'un de sérieux. Et elle a été présente pour les premières séances de massage. Et elle partait au bout d'un moment. C'était que ça. Cette solidarité qu'il y a entre nous, c'est ce qui fait qu'on a tenu. Et moi, je pense que je n'aurais même pas porté plainte. Je ne me serais pas sentie légitime de porter plainte si je m'étais sentie seule. Donc, ce n'est pas une question de naïveté ou de stupidité ou d'intelligence. Et donc, il y a eu le premier procès, je crois que c'était au bout de 7 ans. 7 ans après la plainte, donc il y a eu l'enquête, l'instruction, une période d'attente, puis une date. Enfin, le premier procès, où il a été déclaré coupable et il a pris 9 ans de prison ferme, entre autres. Il a fait appel de cette décision. Donc, on devait avoir un deuxième procès. Donc là, c'était au tribunal de grande instance de Périgueux. Parce que donc, ça fonctionne par... Je vais dire par académie, mais je ne sais plus comment on dit, mais l'équivalent d'une académie. Tribunal de Bordeaux, on va dire que c'est le tribunal principal. Puis il y a suite Périgueux et celui d'Angoulême. Voilà, ça c'est pour, on va dire, je pense, la Nouvelle-Aquitaine, en gros. Le procès en appel devait se dérouler à Périgueux. Il y a eu le Covid entre-temps. Ça a été repoussé. On va dire qu'on a réussi à avoir une nouvelle date, pas à Périgueux, mais à Angoulême, parce que le tribunal est un peu plus grand et qu'il y avait un peu plus de dates disponibles. Ils ont réussi à nous caler deux ans après le premier procès, le procès en appel, qui s'est donc déroulé à Angoulême. Le dernier jour du procès en appel, l'accusé ne s'est pas présenté. Il a appris la fuite, il a laissé son avocat sur le carreau et il s'est barré en cavale. Et on a fini le procès comme ça. La peine a quand même été prononcée. Il a pris 14 ans de prison ferme. Pendant sa cavale, il a réussi quand même à trouver le temps de faire appel. du procès en cassation. Un an après, la cassation a eu lieu, c'était l'été dernier, enfin pas cet été, c'était l'été 2022. La cassation casse le procès en appel, et donc on est en attente actuellement du procès en appel bis, du procès en appel qui va remplacer le procès en appel qui a été du coup cassé, et ça va se passer donc à Périgueux, et donc ça fait plus d'un an qu'on a eu la décision de la cour de cassation, et on n'a aucune nouvelle. Et je n'ai pas la moindre idée de quand va se terminer tout ça. Parce que du coup, le prochain procès sera le dernier, parce qu'il n'y aura plus de possibilité de faire appel, plus de possibilité de faire appel en cours de cassation. Donc ce sera le dernier, ce sera terminé. Les procès sont déroulés aux assises, donc ça veut dire que c'est public. Bon, tu peux demander un... Comment dire ?

  • Speaker #2

    Un huis clos.

  • Speaker #1

    Un huis clos, merci. J'avais non lieu en tête, ça ne voulait pas partir. Surtout pas un non lieu. Ouais, donc tu peux demander un huis clos, mais quand on est très nombreuses, c'est compliqué. Surtout qu'entre celles qui auraient aimé que ce ne soit pas public et celles pour lesquelles c'est compliqué de ne pas avoir soit, je ne sais pas, leurs copains, leurs copines, leurs parents, un ami, quelqu'un qui vient les soutenir, en fait, c'est aussi difficile. De toute façon, les avocats et les avocates nous ont conseillé de ne pas le faire. On a quasiment chacune un ou une avocate, mais certaines ont le ou la même avocate. Comme c'est public, évidemment, ça a été... Enfin, je veux dire, c'est un procès aux assises avec une vingtaine de victimes. Ça attire un petit peu, je pense, l'attention de la presse. Et donc, il y a... Je ne sais pas si j'ai le droit de nommer le journal. Je n'en sais rien. Bon, je m'en fous. Vu leur comportement, je m'en cogne. Donc ouais, un des gros journaux de Bordeaux et du Sud-Ouest en général, qui est donc le journal Sud-Ouest, qui fait une couverture de pas mal de choses. Et donc il y a une journaliste en particulier qui a couvert la totalité de notre procédure, finalement, parce que je pense qu'elle a suivi le début, elle a fait la suite. Il y a eu un certain nombre d'articles qui ont eu lieu quand le premier procès a eu lieu à Bordeaux. Parce que c'est là qu'ils sont, donc c'est facile de se déplacer jusqu'au tribunal la journée, d'obtenir deux, trois infos et de repartir. C'est surtout le titrage des articles qui est de très mauvais goût, qui est assez malvenu, on va dire, si je peux rester polie. On a eu par exemple un article qui s'appelle « Un défilé de mannequins à la barre » . C'est pas violent, je pense que c'est pas fait pour être méchant, c'est fait pour faire des petits jeux de mots. Mais quand on fait du fait divers comme cette journaliste, je pense que... Je sais pas, c'est une femme quoi, un minimum d'essence par rapport à nous, ça aurait été acceptable et profitable pour nous. On n'a jamais trop rien dit, on grognait un petit peu dans notre barbe et en fait on a trop rien dit. On s'est dit, c'est des journalistes, ils font ce qu'ils veulent. Mais bon, faut pas oublier que ces trucs-là, ils sont postés souvent sur internet. Il y a des commentaires, il y a tout un tas de choses. Donc cette journaliste a essayé de couvrir le procès en appel qui a eu lieu à Angoulême. Le souci, c'est qu'on s'est rendu compte assez rapidement en lisant les articles, qu'en fait elle n'était pas là. Déjà on ne l'a pas vue. Ça se voyait quand elle écrivait l'article, qui était vachement du côté de l'agresseur, ce qui nous a beaucoup surprise. Parce qu'il était quand même en cavale. Il a quand même pris 14 ans et l'article était plutôt... Il n'était pas dit tyrambique évidemment. Elle ne faisait pas l'éloge de notre agresseur. Mais je veux dire, tu sentais que... Bon, clairement, elle avait interrogé son avocat, lui. Elle n'avait pas non plus fait la démarche d'interroger soit les victimes, soit les avocats ou les avocates des victimes. Donc déjà, tu n'es pas là. Tu ponds un article alors que tu n'as pas été sur place. Et en plus de ça, tu ponds un article basé sur, comme elle nous l'a dit, parce qu'on lui a écrit, donc comme elle nous l'a dit, sur... Elle n'a pas eu d'autre choix que de faire avec les gens qui ont bien voulu lui répondre. Moi, que je sache, mon avocate n'a pas été contactée par la journaliste. Et plein d'autres avocats non plus. En fait, elle a contacté une avocate de victime, qui est une avocate qui est assez réputée à Bordeaux. Comme elle est réputée, elle est très prise, donc elle n'est pas toujours disponible pour répondre. Et l'avocat de notre agresseur. On lui a écrit, en lui disant, écoutez, votre article n'est pas super super. Et puis, en plus, on ne se souvient pas vous avoir vu. Puis mon avocate, moi, elle n'a pas eu de vos nouvelles, donc je ne sais pas qui vous avez contacté. En tout cas, pas nous, quoi. Elle nous a répondu très gentiment en disant qu'elle était désolée, qu'elle nous explique, blabla. Et elle nous dit, écoutez, moi, je serais ravie de faire un article avec vous. Est-ce que vous accepteriez, de façon anonyme, de prendre la parole, etc. Donc on a été deux ou trois à dire, écoutez, pas de souci. Moi, je l'ai eu au téléphone, parce que j'habite à Paris et elle habite à Bordeaux. Donc je l'ai eu au téléphone, elle m'a posé des questions. Elle était super bienveillante au téléphone, hyper gentille, très rassurante, très bienveillante. Et au final, elle fait son article. Elle a fait surtout un travail de transcription de nos entretiens. Elle les a un peu mis bout à bout en disant « machine d'ici » , « trugui ça » , enfin voilà. Et là, clairement, on s'était vraiment bâclés, quoi. Pendant ces entretiens, on lui a expliqué comment ça s'était passé pour nous, en fait, ce procès en appel. On savait que ça allait partir en cassation, sans douter. Parce qu'il y a eu un vice de procédure pendant ce procès-là. On était déjà tendus parce qu'on sortait de une semaine de procès qui avait été très difficile, très épuisant, psychologiquement et physiquement aussi. Et on a eu un accusé qui est parti en cavale et qu'on n'a pas revu, qui a été condamné à 14 ans de prison. On était dépités, quoi. On lui expliquait ça au téléphone. En tout cas, moi, je lui expliquais ça au téléphone. Je lui expliquais à quel point la cavale de ce mec-là, ça nous touchait à nous, c'était flippant pour nous. Pas parce qu'on a peur qu'il fasse des représailles, mais parce que c'est pas juste, quoi. Et en fait, on lui a aussi beaucoup parlé du fait qu'il comparaissait libre à chaque fois. Parce que, encore une fois, même problème, les prisons sont bondées, donc il faut faire des choix. Et clairement, on va pas mettre un mec comme lui, on va pas séparer un père de ses enfants. On nous l'a dit, hein. Enfin, pour nous, c'est dur, quoi. Parce que du coup, il y a une grosse différence quand t'es dans un procès, quand la personne comparaît libre, et quand elle comparaît pas libre. il y a une vitre devant lui quand il ne comparaît pas libre il est dans un box il n'est pas assis à côté de toi à deux mètres de toi sur une chaise ça change tout en fait et puis lui il vit sa vie normalement aussi ok il doit pointer au commissariat toute la semaine, d'accord c'est sa seule contrainte de vie en fait donc on lui a expliqué tout ça à la journaliste donc elle a pondu son article sur nous et deux semaines après elle contacte une des victimes et elle lui dit qu'en gros, elle va sortir un autre article, mais qu'il vaut mieux pas qu'on le lise, celui-là, parce que ça va être difficile pour nous, quoi. Déjà, de quel droit peux-tu nous dire ça ? Et surtout, comment peux-tu penser que si tu nous dis « Attention, je vais sortir un article, il faut pas le lire » , évidemment qu'on va aller voir ce qu'elle a écrit, évidemment qu'on va voir de quoi il s'agit. Et en fait, elle a interviewé à distance notre agresseur pendant sa cavale, parce que c'était son droit de réponse. Sauf qu'elle nous a jamais expliqué ça. Moi si elle m'avait dit ça, je l'aurais dit écoutez, faites vos articles, j'en ai rien à faire. mais si c'est pour le réinterroger lui derrière alors qu'il est en cavale, moi je préfère rien dire. A aucun moment, elle a été franche avec nous là-dessus. A aucun moment, elle nous a dit que c'est son droit de réponse. Droit de réponse de quoi ? Elle venait de faire un article où elle n'avait interrogé que son avocat à lui. Son avocat, c'est sa voix à lui. C'était nous le droit de réponse, ce n'était pas lui. Moi, ça m'a vraiment anéantie. Je sais que je n'ai pas été la seule. Certains de mes proches, des proches d'autres victimes, ont écrit au journal Sud-Ouest et à la journaliste pour lui expliquer à quel point ils étaient outrés, à quel point ils étaient choqués et à quel point c'était indécent comme boulot de faire ça. Évidemment, le journal a pris la défense de sa journaliste. Elle sera probablement là pour le... Enfin, ou pas là, d'ailleurs, parce que ça se passera à Périgueux, j'en sais rien. Mais ça, c'est quelque chose qui a été profondément choquant. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Je pense qu'il y a moyen qu'elle pensait bien faire. Mais ce n'est pas très sourd. Après, je suppose qu'elle doit se dire que son job, ce n'est pas d'être sourd, c'est de relater ce qu'on lui dit, les faits, et de faire des articles neutres. Mais je vois pas trop la neutralité dans ce qu'elle écrit. Et quand je le montre à des gens autour de moi, parce qu'évidemment, on les enregistre tous ces articles, j'ai des captures d'écran, j'ai... Enfin, j'archive, je sais pas pourquoi, mais je les archive. Donc voilà. Pour cette histoire de journal.

  • Speaker #2

    J'ai une dernière question. Pourquoi tu témoignes, et qu'est-ce que t'aimerais dire aux gens qui écoutent ? Voilà, ce serait un peu ça, l'idée.

  • Speaker #1

    Bah déjà, j'ai hésité à témoigner, parce que, d'une part... En fait, j'ai une crainte. Je suis très ambivalente, moi, sur le fait de porter plainte. C'est-à-dire que, déjà pour moi, je trouve ça difficile de dire « porter plainte, c'est bien ce que j'ai fait » ou « franchement, ça m'a rajouté tellement de complications dans ma vie de porter plainte » que « franchement, faites pas ça, quoi » . Je suis toujours moi-même très ambivalente là-dessus. En fait, j'ai toujours peur en témoignant et en disant ce que moi j'ai vécu, soit de transmettre l'idée que porter plainte, c'est vraiment pas un truc à faire parce que ça va te gâcher la vie, que c'est horrible, que ça va remuer le couteau dans la plaie pendant des années et que vraiment, ça vaut pas le coup. Et en même temps, j'ai pas non plus envie de dissuader les gens de porter plainte parce que, bon, j'ai déjà eu cette discussion avec une amie à moi sur le fait que j'attends finalement quelque part, moi, de toute cette procédure qu'une fois que ça sera derrière moi, que ça sera terminé. même si c'est jamais vraiment terminé, mais je veux dire, au moins la procédure judiciaire, qui est un avant et un après pour moi dans ma vie, quoi. Et que cet après, il soit un peu plus léger, qu'il soit un peu plus doux, qu'il y ait déjà ce gros point en moins. Mais oui, et cette amie m'avait dit, et je l'avais super mal pris, et je l'avais vraiment super mal vécu, qu'il faut pas s'attendre, en fait, à des grandes révélations, des grands après, tu vois, de choses comme ça. Parce que dans la vie, il n'y a pas de grands après, de grands trucs comme ça, et que si tu les attends trop, t'es déçue. Je pense que c'est ça qu'elle voulait dire. Elle voulait un petit peu me prémunir d'une déception, une grosse déception. J'entends ce qu'elle m'a dit. C'est vraiment une amie très proche et je l'aime très fort. Mais en fait, je suis quand même pas d'accord avec ça. Et je vis quand même avec l'espoir, parce que sinon je laisse tout tomber, avec l'espoir qu'il y aura quand même une différence après. Et honnêtement, j'y crois profondément. Je pense qu'il y aura une grosse différence après. Déjà, ce sera terminé, je serai allée au bout de quelque chose. J'aurai fait entendre ma voix. J'aurai dit ce que j'ai à dire devant la justice. ce qu'on entend beaucoup ça aussi c'est qu'elle aille porter plainte genre si t'as pas porté plainte ça n'a pas de valeur ta parole n'a pas de valeur, déjà c'est faux on le sait, mais c'est bien de le redire quand même porter plainte devant la justice c'est difficile mais moi je trouve que c'est un acte de courage ça veut pas encore dire que les personnes qui ne sont pas qui ne se sentent pas capables ou qui n'ont pas envie de le faire manquent de courage mais effectivement c'est courageux de le faire c'est difficile de le faire d'autant plus qu'encore une fois je me mets à la place des personnes qui portent plainte quand elles sont toutes seules Ce qui n'est pas mon cas. Et j'imagine à quel point ça doit être difficile.

  • Speaker #2

    Et tu parlais du fait d'influencer ou pas les gens à porter plainte. Je pense que, j'y mets mes propres biais aussi, mais je pense que les gens qui ont envie ou pas de porter plainte, ils ont cette envie instinctive de le faire ou pas. Et justement, tous les éléments que tu as amenés, chaque personne viendra prendre ce qu'elle a envie de prendre. Et ça va l'influencer, mais dans le sens où elle voulait aller de base, je pense. Oui, Et au moins, tu auras surtout donné les clés. Tu n'auras pas forcément influencé son choix. Tu auras surtout donné les clés et tu la conforteras dans le choix qu'elle voulait faire avec les clés que toi, tu as données.

  • Speaker #1

    Encore une fois, moi, ça m'importe de préciser que c'est bien d'être entourée. On porte plainte ou qu'on ne porte pas plainte. C'est hyper important de s'entourer de gens déjà qui te croient, qui ne mettent pas en doute ce que tu dis tous les quatre matins, même un matin. et qui te soutiennent, qui comprennent quand ça va pas, qui ont juste envie que tu ailles bien. C'est hyper important.

  • Speaker #0

    Et je trouve que c'est difficile de se débarrasser finalement des gens qui ne sont pas comme ça. Mais c'est salvateur. C'est vraiment hyper important d'être bien entouré. Après, on se sent quand même un peu seul dans des situations comme ça. Qu'on porte plainte ou qu'on porte pas plainte, ça change rien. Je pense qu'on ressent toutes et tous de la solitude quand on a été victime d'agression. C'est aussi pour ça que pour moi c'est important d'en parler. C'est que, en fait, c'est grâce aussi à des témoignages que je me sens un peu moins seule. Parce que les gens autour de moi qui n'ont pas vécu la même chose, ils sont là pour moi, ils m'écoutent, ils me comprennent, ils m'entendent. Mais ils ne comprennent pas vraiment parce qu'ils n'ont pas vécu ce que j'ai vécu et c'est difficile de l'expliquer, c'est difficile ce qu'il y a à l'intérieur de moi. C'est déjà compliqué pour moi de le comprendre, donc pour les autres c'est d'autant plus compliqué. Et il y a des fois, entre personnes qui ont vécu la même chose, il y a des choses qui se comprennent facilement. il y a des fois où on n'a même pas besoin de se le dire et on sait moi c'est des choses qui m'aident Il y a des fois, je me dis que je suis un peu maso parce qu'on parlait du reportage sur Depardieu. Je me suis dit, est-ce que ça ne va pas me faire plus de mal que de bien ? Est-ce que j'ai vraiment envie de regarder ça ? Est-ce que j'ai vraiment envie de me flageller comme ça et de me rajouter des trucs ? Honnêtement, c'est très dur. Mais entendre des gens qui ont vécu des choses similaires, moi, ça m'a aidée aussi à me sentir moins seule et à me dire qu'il y a des gens qui vivent la même chose que moi. Et c'est intéressant de voir comment ils se sentent aujourd'hui, quel a été leur parcours, ce qu'ils ont fait. De voir aussi qu'il y a des gens qui ne sont pas bien. Pas parce que ça fait du bien de voir des gens qui ne sont pas bien, mais parce qu'en fait, tu te dis, je ne suis pas bien, moi aussi. J'ai le droit de ne pas être bien, c'est normal que je ne sois pas bien. Il y a d'autres gens qui ne sont pas bien aussi. Je ne sais pas, tout ça, ça paraît très négatif. Mais bizarrement, je trouve que c'est ce qui galvanise un petit peu le fait qu'on a envie de se battre et pas de laisser tomber. Moi, j'avoue, j'ai un peu ralenti sur le militantisme. Et ça, c'est une forme pour moi de militantisme, en fait. Il me convient mieux. J'ai du mal à descendre dans la rue maintenant. Déjà parce que j'ai un petit peu de mal avec la foule, mais aussi parce que ça me fait flipper. Parce que les dernières fois où je suis allée en manifestation, c'était super violent. Et j'ai du mal avec ce type de manifestation. J'ai fait quelques collages aussi. Mais c'est pareil, j'ai l'impression d'avoir fait ce que j'avais à faire et de vouloir faire autre chose. Donc j'essaye de m'engager dans des associations de façon différente. En fait, ça prend tellement de temps des fois que je suis débordée et j'y arrive pas. Faire des choses comme ça de façon ponctuelle et de façon un peu plus ouverte, c'est une forme de militantisme pour moi qui paraît un peu différente et je sais pas, qui me convient bien. Et je sais pas, c'est aussi pour ouvrir des discussions sur des différentes choses, différents sujets. Je sais qu'avec tous les podcasts que toi tu as faits, finalement il y a des choses qui vont s'entrecroiser, il y a des choses qui vont se compléter. Il y a peut-être des fois des choses qui vont se contredire aussi, parce qu'on a des vécus différents. Mais ouais, j'ai eu peur de témoigner, parce que j'ai pas envie que des personnes qui me ressemblent se sentent légitimes et se disent « Ah oui, moi aussi j'ai vécu comme elle, et du coup, c'est chouette, on est ensemble. » Et que les personnes qui n'ont pas vécu la même chose se disent « Ah ben, moi je le vis pas comme ça, ça craint. Ah ouais, mais ce qu'elle dit, ça donne pas très envie de porter plainte. Peut-être je vais pas le faire. » J'ai pas envie, en fait, d'avoir une influence sur les choix des gens, parce que c'est très différent juste moi dans ma procédure On est dans le même procès, on n'a pas du tout vécu la même chose. Chaque vécu est différent sur la vingtaine de victimes. Chacune d'entre nous est très différente. Et au final, on vit aussi les choses de façon différente. Et il y en a certaines qui ont laissé tomber. Enfin, qui ont annulé leur plainte. Je ne sais plus comment on dit. On est un peu toutes passées par ce moment de se dire « Vas-y, j'en peux plus, je laisse tomber » . C'est aussi bien justement de se dire « Allez, on est ensemble » . Je pense que ce qui est positif aussi, c'est ça, c'est de se dire qu'on n'est pas tout seul. Même si c'est aussi triste de se dire qu'on n'est pas tout seul, parce qu'on aimerait que ça n'arrive pas. On aimerait que le moins de gens possible soient concernés. Et en même temps, ça crée une sorte de communauté, en fait. C'est un peu triste de dire ça, mais ça fait une communauté de victimes, finalement. Sauf que je pense qu'ensemble, on est plus fortes. Que c'est aussi en discutant, en parlant. On parle beaucoup de libération de la parole. et moi je suis plutôt convaincue que... que c'est le cas. Je suis ravie qu'on agace les gros mascus, les gros incels. J'en suis absolument ravie. Et malheureusement, si ça leur pose problème, je vous espérais que ça puisse permettre à certaines personnes de se remettre en question et d'entendre comme ça divers témoignages, diverses personnes, d'entendre diverses personnalités aussi. Je vous espérais que ça puisse... C'est un rêve un peu naïf, mais je vous espérais que peut-être des gens un jour se diront... que finalement, il y a peut-être un truc quand même un peu systémique. Que ce n'est pas juste trois greluches qui n'ont pas été très fines et qui se sont fait avoir comme des bleus. Et que ce n'est pas ça le problème. Il y a un truc auquel ça me fait penser. C'est qu'à la fin du deuxième procès, donc il n'y avait plus l'agresseur, parce qu'il était en cavale, comme je disais, il y a un des jurés populaires qui est venu nous voir, qui nous a dit qu'il avait été très touché par nos témoignages, qu'il avait trouvé que lui, par exemple, ça l'avait beaucoup remué, parce qu'il est papa d'une jeune fille qui a à peu près l'âge qu'on avait au moment des faits, et qui s'est dit, c'est réel en fait, ça arrive vraiment, et ça arrive. à des gens comme ma fille. Ils disaient, en fait, je vous ai trouvé très dignes. Moi, ça m'a un peu marquée sur le moment parce que je n'ai pas du tout, du tout eu l'impression qu'on était très dignes. Moi, j'ai passé quatre heures à la barre pendant le deuxième procès à parler, à raconter, à répondre à des questions. Mais je chialais toutes les cinq minutes et je me morvais dessus. Enfin, je veux dire, j'étais dégueulasse face à tous ces gens-là. Je me suis énervée directement, frontalement contre l'agresseur. Je lui ai gueulé dessus dans tout le monde. Gueulé. J'exagère un peu, mais presque. Et je me suis dit, mais elle est où la dignité là-dedans ? C'est pas ça être digne. Enfin, moi, c'est pas ma vision comme ça, a priori, de quelqu'un de digne. Et d'entendre quelqu'un d'extérieur qui m'a dit ça, déjà, ça m'a foutu une grosse baffe. Une grosse baffe positive. Et je me suis dit, en fait, ce mec-là, par exemple, il avait le cliché de la victime un peu bébête, tu sais, un peu naïve. Je pense qu'il y a plein de gens qui se disent que ça arrive à un certain type de personnes. Et quand ils arrivent à un procès comme ça, et qu'ils se prennent dans la tronche 17 nanas complètement différentes, qui ne se ressemblent pas du tout à l'intérieur et à l'extérieur, dans tous les sens possibles, se dire, ah oui, en fait, ça peut arriver à ma fille, ça peut arriver à n'importe qui. Je ne sais pas, j'ai trouvé ça vraiment super important, et je me suis dit, on a au moins réussi à faire ça pour une personne. C'est cool. Et après, si cette personne allait nous le dire, j'ose espérer qu'il y a d'autres personnes qui ont peut-être eu le même cheminement. un cheminement similaire et qui ont juste pas osé venir nous lire mais qui l'ont pensé et je me dis peut-être que ce genre de podcast ce genre d'action en général ça peut peut-être permettre je sais pas, peut-être à des gens qui sont un peu curieux et qui savent pas trop peut-être de se faire une opinion un peu différente de remettre en question des a priori ou alors pour juste apporter du soutien et de la parole personnes qui se sont fait agresser et voilà.

  • Speaker #1

    Le témoignage de Marion a été enregistré en novembre 2023. Depuis, un procès en appel a eu lieu suite à la décision de la Cour de cassation. A l'issue de ce troisième procès en appel, l'agresseur a refait une demande de pourvoi en cassation. Si la Cour de cassation décide de casser une nouvelle fois la décision d'appel, il y aura alors un quatrième procès en Cour d'appel. Cette étape vient compléter le témoignage de Marion. Porter plainte implique de lourdes procédures éprouvantes pour les personnes victimes. Vous venez d'écouter le 20e épisode du podcast Au bénéfice du doute. Si vous pensez qu'il peut réconforter et être utile à d'autres personnes, n'hésitez pas à le partager. Et comme le rappelle si bien Marion, écouter les témoignages de victimes n'est pas forcément réservé qu'aux victimes. Vous pouvez partager cet épisode à tous vos proches pour les sensibiliser au sujet des violences sexuelles. Ce podcast est entièrement autoproduit par Julie Dussert, la musique originale a été composée par Sandra Fabry et l'image a été dessinée par Camélia Blandon. Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole.

Description

📢 Marion, ancienne mannequin, victime de son patron, décrit son parcours judiciaire en Cour d'Assises, couvert par la presse.


💙 N'hésitez pas à partager cet épisode à vos proches, que ce soit pour se préparer à un procès ou pour sensibiliser aux violences sexuelles.


🟣 Si vous ou un proche êtes victime de violences sexuelles, ne restez pas seul.e:

  • Appelez le 3919

  • Maison des Femmes dans le 12ème arrondissement de Paris, https://mdfparis.fr/

  • Le collectif Féministe contre le viol au 0 800 05 95 95


📩 Si vous souhaitez témoigner, n'hésitez pas à envoyer un e-mail à aubeneficedudoutepodcast@gmail.com ou en message privé sur Instagram @aubeneficedudoute . 


Au Bénéfice du Doute est une émission entièrement auto-produite par Julie Dusserre.


Musique originale : Sandra Fabbri


Illustration : Camélia Blandeau


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole. Cet épisode évoque des faits de violences sexuelles, écoutez-le dans de bonnes conditions émotionnelles. Si vous n'avez pas écouté l'épisode précédent, je vous invite vivement à le faire pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la situation. Marion, ancienne mannequin, comme les autres victimes de son ancien patron et directeur d'agence, a porté plainte contre lui. Elle nous explique comment se déroule un procès en cour d'assises quand celui-ci est couvert par la presse.

  • Speaker #1

    Pour faire, on va dire, de façon très chronologique, ce sera peut-être plus simple de comprendre. Donc il y a eu les faits qui se sont déroulés, que j'ai raconté tout à l'heure. Il y a eu donc les premières plaintes. J'ai été entendue une première fois, puis une seconde fois. Je suis revenue pour porter plainte. L'enquête, en fait, suit son cours. Donc, par exemple, j'ai été appelée pour avoir une psy pour une expertise. Une expertise psychiatrique. J'ai été à ce rendez-vous. Tu reçois les résultats. Après, c'est un peu bizarre de recevoir les résultats de ça. Ça, c'est aussi pour l'agresseur. Ce n'est pas juste pour les victimes. L'agresseur a fait une demande de contre-expertise. Parce que le premier ne lui convenait pas. Donc, il a eu deux expertises psy. Et la psy te pose des questions. Je pense qu'elle essaye de déterminer si tu... tu es sain d'esprit. Je déteste ce truc, mais ils essayent de voir si tu as une intelligence normale. Je mets des gros guillemets derrière ça. En gros, si tu n'as pas, je ne sais pas, une maladie psychiatrique, quelque chose qui ferait que ton jugement est altéré d'une façon ou d'une autre. Et c'est valable pour nous, mais c'est surtout valable pour lui. Parce que des fois, ça sert de mieux, clairement. Donc c'est un petit peu inquiétant toujours. Et puis donc après, il y a eu des confrontations. Moi, j'en ai eu une. Confrontation, c'est un épisode pendant lequel on est avec un juge d'instruction. Le juge d'instruction, c'est celui qui mène la grosse enquête après l'enquête de police. Une enquête d'instruction qui est menée par le juge d'instruction, qui va déterminer quels sont les faits qui vont être retenus ou non, et si ça va en justice ou si ça s'arrête là. C'est le juge d'instruction, à la fin de son enquête, qui décide de ça. Pendant l'instruction, il y a eu l'expertise psy, la confrontation, donc on est face au juge. d'instruction, la greffière ou le greffier. Alors nous, on était en ligne. De Ausha droite, il y avait l'accusé, son avocat ou son avocate, mon avocate et moi. En ligne. Donc j'étais relativement loin de lui, relativement. On était quand même dans la même pièce. En gros, on nous pose des questions, à lui, à moi. Souvent, on nous pose la même question pour avoir les deux versions des faits. On nous dit, bah, machin, il dit que, vous vous dites quoi ? Ah oui, mais elle, elle a dit que, et vous, vous dites quoi, monsieur ? Et c'est que des trucs comme ça. Et tu es filmée. En tout cas, moi, c'était mon cas. C'est une petite caméra, tu sais, les petites caméras à l'ancienne que tu mets sur l'ordinateur. Petite caméra externe. La webcam. Ouais. La webcam. Ça a été un peu difficile parce que c'est la première fois que je le revoyais déjà, en vrai, depuis ma plainte. Parce que c'est la première fois aussi où je l'ai entendue nier des choses qu'on avait vécues, lui et moi. On le sait. On était là tous les deux. Donc on le sait qu'il ment. Et ouais, ça a été difficile de l'entendre inventer des trucs que moi, j'avais jamais entendu à ce moment-là, en fait. Par exemple, il a justifié le fait de m'avoir massé la poitrine, de m'avoir embrassé la poitrine, par le fait que, en fait, j'ai subi une opération de réduction de la poitrine. J'ai des cicatrices sous la poitrine et un peu à divers endroits. Il n'y a qu'à regarder sur Google pour voir. C'est les mêmes cicatrices pour toutes les personnes qui font cette opération. Il a expliqué qu'en fait c'était pour m'aider par rapport à mes complexes de cicatrices. Tout le monde autour de moi sait que je n'ai aucun complexe par rapport à ces cicatrices. J'adore ces cicatrices, je les aime d'amour, elles sont trop belles, je trouve que ça fait partie de moi. Ça a changé ma vie cette opération, donc en fait je suis contente. Ça ne m'a jamais posé problème, ni pour m'habiller, ni pour avoir des partenaires sexuels, ni pour avoir des partenaires amoureux. Donc en fait, je n'ai jamais développé de complexe par rapport à ça. C'était un choix, j'étais contente. Je les aime, quoi, vraiment. Je ne les trouve pas moches, en plus, je les trouve assez jolies. Et l'entendre dire que c'était parce que je n'aimais pas mes cicatrices, que je n'avais pas confiance en moi, etc., qu'il avait fait ça, déjà, tu prétends que tu ne l'as pas fait, et en plus, tu justifies que tu l'as fait en disant un truc que tu viens d'inventer. Là c'est difficile parce qu'en fait ce qu'il faut faire c'est garder ton sang froid En fait finalement c'était ça le plus dur dans la confrontation C'était même pas d'entendre qu'il allait nier, parce que ça, mon avocate, elle m'avait préparé un peu à ça psychologiquement, elle m'avait dit « bon, il va dire Il va dire tout ce qui est pénalement répréhensible. Il va dire, ah non, j'ai pas fait ça. Ou alors, il va manipuler la vérité. Donc, je le savais, en fait, qu'il allait mentir. C'est quand même un choc de l'entendre en vrai, tu vois. Mais ce qui a été le plus dur pour moi, ça a été de ne pas me lever et de lui arracher la tête de façon chat avec les pataries.

  • Speaker #2

    Je vois très bien.

  • Speaker #1

    Non, non, dans ces moments-là, moi, je vois du sang, j'ai envie de violence. C'est horrible, quoi. J'avais vraiment envie de le massacrer, quoi. Pourtant, je suis contre la violence. Et je suis plutôt quelqu'un de calme et d'opposé. Bref. Du coup, j'ai pleuré de rage pendant cette confrontation. Ça a été, mine de rien, une expérience qui m'a permis, dans mon cheminement personnel, en tout cas, de rendre réelle et de me prendre la claque dont j'avais besoin pour me dire, OK. C'est officiellement un connard. Parce qu'à ce moment-là, j'émettais encore des doutes. Je me disais, c'est dur ce que je lui fais subir. Je lui laissais quand même le bénéfice du doute. Et je me disais, peut-être qu'il a fait grave de la merde, mais que ce n'est pas vraiment ce qu'il voulait. Que ce qu'il voulait, ce n'était pas ça. Quand c'est comme ça, tu viens et tu dis, écoutez, j'ai fait de la merde. Je suis désolée, vraiment, je ne voulais pas faire de la merde. je voulais pas vous faire du mal, je voulais vous faire du bien et j'ai échoué et je suis trop naze et enfin j'en sais rien tu vois repends toi quoi et en fait non pas du tout il a fait tout le contraire il a essayé de sauver ses fesses et de façon vraiment dégueulasse et là ce truc là c'est aussi ce qui a fait un basculement dans ma tête à moi et qui m'a permis de me dire officiellement c'est une grosse merde c'est un connard je sais pas si j'ai le droit de dire des gros mots mais tant pis si tu peux faut que tu te lâches ça sera interdit au moins de 18 ans et finalement ça m'a un peu aidé quoi Donc ça a été un épisode douloureux, mais ça a été un épisode douloureux qui a aidé à ce que moi je me déculpabilise aussi. C'est quand même super important de ne pas culpabiliser là-dessus. C'est super difficile. Il y a des petites choses comme ça qui aident et qui font que ça fonctionne. Il faut accepter évidemment de passer par des moments un petit peu compliqués comme ceux-là. Donc il y a eu toutes ces confrontations-là. Et puis il y a eu ensuite aussi finalement une longue période pendant laquelle tu n'as pas de nouvelles. C'est vraiment le plus difficile en fait dans toute cette procédure judiciaire. C'est qu'en fait, t'as de longues périodes où t'entends pas du tout parler de tout ça. Tu sais que ça existe au fond de toi. Tu sais qu'un jour, on va revenir vers toi. Jusqu'au jour où il y a un huissier qui tape chez toi pour te donner une lettre recommandée qui doit te donner en main propre. Ou alors, tu reçois dans ton courrier un avis de réception. Tu dois aller chercher à la poste une lettre recommandée avec accusé de réception. Quand tu vas la récupérer, il y a écrit « Tribunal de Bordeaux » . Tu te dis... Et en fait, c'est ça régulièrement, ça te remet dans le truc régulièrement. C'est un peu sadique en fait, ça te laisse un petit temps, tu te remets dans ta vie, tu ne penses pas trop à ça, bim, tu reçois un truc, et c'est reparti, etc. Bon, ça a été compliqué. Plus tu avances dans le temps, plus c'est délicat de revenir sur des détails, de te souvenir des détails, et surtout de les raconter exactement de la même façon qu'il y a dix ans. Toutes les procédures ne durent pas dix ans, c'est sûr. La mienne, elle est très longue parce qu'on est de nombreuses victimes. Que le policier qui a été en charge de l'enquête a fait une enquête très approfondie. Il a vraiment ratissé là où il pouvait ratisser pour essayer de faire une enquête complète. On l'en remercie. Enfin, le juge d'instruction aussi, il a approfondi. Il a fait venir d'autres témoins. Il y a eu tout un tas de confrontations. Il y a des filles qui n'habitent plus en France, qui habitent à l'autre bout du monde. Donc, il faut les faire venir. Il faut les déplacer. Il faut organiser des visios. Il ne se faisait pas trop à l'époque. Enfin, je veux dire, tout ça, ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. Ça a pris aussi du temps parce que, quelque part, il y a des choses qui ont été faites en profondeur, qui ont été finalement bien faites. On a eu du bol parce qu'on est tombé sur un policier qui a accepté de prendre cette affaire et de se dire il y a un truc pas net là-dessous, je vais creuser. Parce que l'enquête ne lui avait pas été donnée à lui au départ. Elle avait été donnée à d'autres policiers. C'est-à-dire que les deux premières filles dont je t'ai parlé qui ont porté plainte, ce n'est pas auprès de lui. de ce flic-là qu'elles ont porté plainte. C'est auprès d'autres flics. Eux, ils se sont dit tout de suite, non, non, mais laisse tomber, ça c'est une histoire, ça mènera à rien. Ça c'est une histoire de gamine. J'en ai vu des flics qui passent pendant que t'es en déposition, que t'es en train de chialer, toutes les larmes de ton corps, tout ce que t'as, et qui passent à côté et qui entendent à détail et qui pouffent de rire ou qui rigolent ou qui rentrent dans la pièce, qui sortent de la pièce, qui viennent à deux, qui papotent. le respect des victimes, il y a du boulot encore par rapport à d'autres expériences que j'ai pu avoir Je trouve qu'on s'en sort encore pas trop trop mal quoi. C'est exceptionnel quoi. Et c'est aussi exceptionnel qu'on soit allé en justice, c'est aussi exceptionnel qu'on ait été aux assises, parce que ce flic du coup, pour qui finalement j'ai quand même un peu d'affection, parce qu'il a beaucoup été là. Il a vraiment été très présent pour nous. En tout cas, pour moi, il l'a été. Dès que j'avais besoin de passer au commissariat parce que j'étais en plein craquage, il savait que j'étais toute seule, que mon copain c'était un abruti. Il me disait, écoute, si t'as besoin de venir te poser au commissariat, de prendre un café, de discuter, de rencontrer un psy, de quoi que ce soit, tu viens, y'a pas de problème. Je l'ai fait une fois, je me suis ramenée au commissariat, on a discuté. Et honnêtement, moi j'aurais laissé tomber depuis bien longtemps si j'avais pas eu des gens autour de moi qui avaient été là. Donc ce flic pour qui ? Donc j'ai beaucoup d'affection. C'est quelqu'un qui nous a poussé initialement à partir en correctionnalisation. Il voulait qu'on correctionnalise le truc parce que lui, sa vision de policier, c'était de dire ces filles-là, si elles partent aux assises, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Parce que c'est jugé par des gens, comme toi et moi, qui débarquent, qui n'ont pas les connaissances. pénales, qui n'ont pas les connaissances judiciaires, qui n'ont pas les connaissances aussi approfondies que des juges professionnels du dossier. Et donc, il y a un risque qu'il y ait un non-lieu. Alors que quand c'est jugé par des professionnels, donc en correctionnel, ok, il peut prendre moins longtemps. Par contre, il y a peu de chances qu'il ne prenne pas du tout. Et ça, pour lui, c'était important que ce mec-là ne s'en sorte pas. Donc je comprends pourquoi il a voulu correctionnaliser, et je pense que dans la plupart des cas... Ils ne veulent pas correctionnaliser pour diminuer, on va dire, la souffrance des victimes. Ils veulent que la personne, elle prenne à tout prix, peu importe si elle prend moins. Moi, je suis quand même opposée à ça parce que finalement, je l'ai vécu moi, en fait, qu'on me dise « Ah merde, c'est un viol que tu as vécu. Ouais bon, on va laisser tomber ça, on va dire que c'est agression sexuelle parce que sinon, ça va être trop compliqué. » Ben non, en fait, la vérité, ce n'est pas ça. Et vu que vous êtes si attachés à la vérité que ça, allons-y jusqu'au bout. Donc oui, il y a un risque, effectivement. Il y a un risque. En plus, les assises, c'est public. Il y a plein de choses qui font que les assises, ce n'est pas la même chose du tout que la correctionnelle. Bon, il y a du plus, il y a du moins dans les deux côtés. Mais bon, la reconnaissance quand même des victimes en tant que telles, c'est par là que ça passe aussi. On va dire, j'allais dire la rédemption, le gros lapsus. Mais un peu, ouais, ta rédemption en tant que victime. Mais te dire un petit peu aussi la reconnaissance, en fait, de ton statut de victime. Même s'il y a plein de gens qui considèrent qu'être une victime, c'est un truc un peu honteux ou pathétique ou ridicule. Oui,

  • Speaker #2

    rabaissant.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Bah non, en fait. En fait, tu n'es pas une victime, tu es victime de quelqu'un. Moi, je le vois plus comme ça, en fait. Ça fait moins étiquette. Toi, tu es le coupable, toi, tu es la victime. Oh, tu es une victime. En plus, on le sait que c'est une expression utilisée quand on est jeune. C'est une grosse victime. Du coup, non, en fait. Il y a des victimes, d'autres choses, d'autres gens, plein de situations. C'est pour ça que je dis mes co-victimes. Je sais que c'est un peu bizarre de dire ça, mais ça fait un peu un mix entre mes copines victimes. Pour la plupart, ce n'est pas mes amis dans la vraie vie. Mais il y a quelque chose qui s'est passé, en fait. C'est-à-dire qu'on tient parce qu'on est ensemble, en fait. Sinon, chacune d'entre nous, je pense que l'une après l'autre, on aurait lâché l'affaire. Là, ce n'est pas le cas parce qu'on est un groupe. On est SOROR. pour le coup, ça arrive souvent qu'il y en ait une qui dise aux autres, franchement j'en ai marre, je vais pas y arriver je vais pas aller jusqu'au bout, franchement j'en peux plus et que le groupe se forme et allez on est ensemble, on lâche pas l'affaire on a pas perdu 10 ans pour lâcher maintenant et même si pour la plupart on se voit pas et on se parle pas forcément, on est pas amis on est pas vraiment en contact en fait toujours entre les procès, à chaque fois qu'on s'est retrouvés en procès, c'est comme si on était des soeurs, c'est la même chose Il y a un gros soutien qui est finalement le socle de tout ça et qui fait qu'on se supporte, on se soutient les unes les autres. On est toutes extrêmement différentes. Il n'y en a pas une qui ressemble à l'autre en fait. On n'a pas les mêmes jobs, on n'a pas fait les mêmes études, on n'a pas du tout les mêmes parcours de vie. Et en fait, ça montre bien qu'il y a un mode opératoire qui fonctionne en fait. C'est que c'est pas, on n'est pas, il n'y a pas une victime type tu vois, dans notre cas en tout cas. N'importe qui aurait pu tomber là-dedans. n'importe quelle jeune fille qui auraient pu être intéressées, auraient pu tomber là-dedans. En fait, il suffit juste d'un contexte. Quand tu les écoutes au procès, toutes ces autres filles, pour toutes, il y a un contexte qui fait qu'elles se sont retrouvées très isolées ou pas bien à ce moment-là dans leur vie. Enfin, il y a toujours un truc qui explique qu'en fait, c'est exactement pareil que pour les sectes, finalement. Il y a toujours un truc. On n'est pas stupides, on n'est pas naïves, on n'est pas débiles. Et effectivement, je pense que le fait qu'il ait réussi à mettre le grappin sur autant de personnes différentes. montre à quel point le mode opératoire était extrêmement huilé et il fonctionnait bien. Ça a été catastrophique pour pas mal d'entre nous. C'était des filles qui recrutaient d'autres filles, c'était pas lui directement. Il savait très bien que ça marcherait pas sinon. Moi j'y serais jamais allée sinon. Je suis très absolue dans ce que je dis, mais je me serais beaucoup plus méfiée si c'était un mec de 35 ans qui était venu me voir. Je suis photographe, je monte mon agence des mannequins. Je dis ouais, c'est ça. C'est des jeunes filles qui ont un statut de belles jeunes femmes. Moi, en l'occurrence, c'était une miss en plus. Je ne tenais pas à faire les miss, je m'en fichais. Mais je veux dire, c'était quelqu'un qui était dans le milieu pour moi et qui donc, c'était quelqu'un de sérieux. Et elle a été présente pour les premières séances de massage. Et elle partait au bout d'un moment. C'était que ça. Cette solidarité qu'il y a entre nous, c'est ce qui fait qu'on a tenu. Et moi, je pense que je n'aurais même pas porté plainte. Je ne me serais pas sentie légitime de porter plainte si je m'étais sentie seule. Donc, ce n'est pas une question de naïveté ou de stupidité ou d'intelligence. Et donc, il y a eu le premier procès, je crois que c'était au bout de 7 ans. 7 ans après la plainte, donc il y a eu l'enquête, l'instruction, une période d'attente, puis une date. Enfin, le premier procès, où il a été déclaré coupable et il a pris 9 ans de prison ferme, entre autres. Il a fait appel de cette décision. Donc, on devait avoir un deuxième procès. Donc là, c'était au tribunal de grande instance de Périgueux. Parce que donc, ça fonctionne par... Je vais dire par académie, mais je ne sais plus comment on dit, mais l'équivalent d'une académie. Tribunal de Bordeaux, on va dire que c'est le tribunal principal. Puis il y a suite Périgueux et celui d'Angoulême. Voilà, ça c'est pour, on va dire, je pense, la Nouvelle-Aquitaine, en gros. Le procès en appel devait se dérouler à Périgueux. Il y a eu le Covid entre-temps. Ça a été repoussé. On va dire qu'on a réussi à avoir une nouvelle date, pas à Périgueux, mais à Angoulême, parce que le tribunal est un peu plus grand et qu'il y avait un peu plus de dates disponibles. Ils ont réussi à nous caler deux ans après le premier procès, le procès en appel, qui s'est donc déroulé à Angoulême. Le dernier jour du procès en appel, l'accusé ne s'est pas présenté. Il a appris la fuite, il a laissé son avocat sur le carreau et il s'est barré en cavale. Et on a fini le procès comme ça. La peine a quand même été prononcée. Il a pris 14 ans de prison ferme. Pendant sa cavale, il a réussi quand même à trouver le temps de faire appel. du procès en cassation. Un an après, la cassation a eu lieu, c'était l'été dernier, enfin pas cet été, c'était l'été 2022. La cassation casse le procès en appel, et donc on est en attente actuellement du procès en appel bis, du procès en appel qui va remplacer le procès en appel qui a été du coup cassé, et ça va se passer donc à Périgueux, et donc ça fait plus d'un an qu'on a eu la décision de la cour de cassation, et on n'a aucune nouvelle. Et je n'ai pas la moindre idée de quand va se terminer tout ça. Parce que du coup, le prochain procès sera le dernier, parce qu'il n'y aura plus de possibilité de faire appel, plus de possibilité de faire appel en cours de cassation. Donc ce sera le dernier, ce sera terminé. Les procès sont déroulés aux assises, donc ça veut dire que c'est public. Bon, tu peux demander un... Comment dire ?

  • Speaker #2

    Un huis clos.

  • Speaker #1

    Un huis clos, merci. J'avais non lieu en tête, ça ne voulait pas partir. Surtout pas un non lieu. Ouais, donc tu peux demander un huis clos, mais quand on est très nombreuses, c'est compliqué. Surtout qu'entre celles qui auraient aimé que ce ne soit pas public et celles pour lesquelles c'est compliqué de ne pas avoir soit, je ne sais pas, leurs copains, leurs copines, leurs parents, un ami, quelqu'un qui vient les soutenir, en fait, c'est aussi difficile. De toute façon, les avocats et les avocates nous ont conseillé de ne pas le faire. On a quasiment chacune un ou une avocate, mais certaines ont le ou la même avocate. Comme c'est public, évidemment, ça a été... Enfin, je veux dire, c'est un procès aux assises avec une vingtaine de victimes. Ça attire un petit peu, je pense, l'attention de la presse. Et donc, il y a... Je ne sais pas si j'ai le droit de nommer le journal. Je n'en sais rien. Bon, je m'en fous. Vu leur comportement, je m'en cogne. Donc ouais, un des gros journaux de Bordeaux et du Sud-Ouest en général, qui est donc le journal Sud-Ouest, qui fait une couverture de pas mal de choses. Et donc il y a une journaliste en particulier qui a couvert la totalité de notre procédure, finalement, parce que je pense qu'elle a suivi le début, elle a fait la suite. Il y a eu un certain nombre d'articles qui ont eu lieu quand le premier procès a eu lieu à Bordeaux. Parce que c'est là qu'ils sont, donc c'est facile de se déplacer jusqu'au tribunal la journée, d'obtenir deux, trois infos et de repartir. C'est surtout le titrage des articles qui est de très mauvais goût, qui est assez malvenu, on va dire, si je peux rester polie. On a eu par exemple un article qui s'appelle « Un défilé de mannequins à la barre » . C'est pas violent, je pense que c'est pas fait pour être méchant, c'est fait pour faire des petits jeux de mots. Mais quand on fait du fait divers comme cette journaliste, je pense que... Je sais pas, c'est une femme quoi, un minimum d'essence par rapport à nous, ça aurait été acceptable et profitable pour nous. On n'a jamais trop rien dit, on grognait un petit peu dans notre barbe et en fait on a trop rien dit. On s'est dit, c'est des journalistes, ils font ce qu'ils veulent. Mais bon, faut pas oublier que ces trucs-là, ils sont postés souvent sur internet. Il y a des commentaires, il y a tout un tas de choses. Donc cette journaliste a essayé de couvrir le procès en appel qui a eu lieu à Angoulême. Le souci, c'est qu'on s'est rendu compte assez rapidement en lisant les articles, qu'en fait elle n'était pas là. Déjà on ne l'a pas vue. Ça se voyait quand elle écrivait l'article, qui était vachement du côté de l'agresseur, ce qui nous a beaucoup surprise. Parce qu'il était quand même en cavale. Il a quand même pris 14 ans et l'article était plutôt... Il n'était pas dit tyrambique évidemment. Elle ne faisait pas l'éloge de notre agresseur. Mais je veux dire, tu sentais que... Bon, clairement, elle avait interrogé son avocat, lui. Elle n'avait pas non plus fait la démarche d'interroger soit les victimes, soit les avocats ou les avocates des victimes. Donc déjà, tu n'es pas là. Tu ponds un article alors que tu n'as pas été sur place. Et en plus de ça, tu ponds un article basé sur, comme elle nous l'a dit, parce qu'on lui a écrit, donc comme elle nous l'a dit, sur... Elle n'a pas eu d'autre choix que de faire avec les gens qui ont bien voulu lui répondre. Moi, que je sache, mon avocate n'a pas été contactée par la journaliste. Et plein d'autres avocats non plus. En fait, elle a contacté une avocate de victime, qui est une avocate qui est assez réputée à Bordeaux. Comme elle est réputée, elle est très prise, donc elle n'est pas toujours disponible pour répondre. Et l'avocat de notre agresseur. On lui a écrit, en lui disant, écoutez, votre article n'est pas super super. Et puis, en plus, on ne se souvient pas vous avoir vu. Puis mon avocate, moi, elle n'a pas eu de vos nouvelles, donc je ne sais pas qui vous avez contacté. En tout cas, pas nous, quoi. Elle nous a répondu très gentiment en disant qu'elle était désolée, qu'elle nous explique, blabla. Et elle nous dit, écoutez, moi, je serais ravie de faire un article avec vous. Est-ce que vous accepteriez, de façon anonyme, de prendre la parole, etc. Donc on a été deux ou trois à dire, écoutez, pas de souci. Moi, je l'ai eu au téléphone, parce que j'habite à Paris et elle habite à Bordeaux. Donc je l'ai eu au téléphone, elle m'a posé des questions. Elle était super bienveillante au téléphone, hyper gentille, très rassurante, très bienveillante. Et au final, elle fait son article. Elle a fait surtout un travail de transcription de nos entretiens. Elle les a un peu mis bout à bout en disant « machine d'ici » , « trugui ça » , enfin voilà. Et là, clairement, on s'était vraiment bâclés, quoi. Pendant ces entretiens, on lui a expliqué comment ça s'était passé pour nous, en fait, ce procès en appel. On savait que ça allait partir en cassation, sans douter. Parce qu'il y a eu un vice de procédure pendant ce procès-là. On était déjà tendus parce qu'on sortait de une semaine de procès qui avait été très difficile, très épuisant, psychologiquement et physiquement aussi. Et on a eu un accusé qui est parti en cavale et qu'on n'a pas revu, qui a été condamné à 14 ans de prison. On était dépités, quoi. On lui expliquait ça au téléphone. En tout cas, moi, je lui expliquais ça au téléphone. Je lui expliquais à quel point la cavale de ce mec-là, ça nous touchait à nous, c'était flippant pour nous. Pas parce qu'on a peur qu'il fasse des représailles, mais parce que c'est pas juste, quoi. Et en fait, on lui a aussi beaucoup parlé du fait qu'il comparaissait libre à chaque fois. Parce que, encore une fois, même problème, les prisons sont bondées, donc il faut faire des choix. Et clairement, on va pas mettre un mec comme lui, on va pas séparer un père de ses enfants. On nous l'a dit, hein. Enfin, pour nous, c'est dur, quoi. Parce que du coup, il y a une grosse différence quand t'es dans un procès, quand la personne comparaît libre, et quand elle comparaît pas libre. il y a une vitre devant lui quand il ne comparaît pas libre il est dans un box il n'est pas assis à côté de toi à deux mètres de toi sur une chaise ça change tout en fait et puis lui il vit sa vie normalement aussi ok il doit pointer au commissariat toute la semaine, d'accord c'est sa seule contrainte de vie en fait donc on lui a expliqué tout ça à la journaliste donc elle a pondu son article sur nous et deux semaines après elle contacte une des victimes et elle lui dit qu'en gros, elle va sortir un autre article, mais qu'il vaut mieux pas qu'on le lise, celui-là, parce que ça va être difficile pour nous, quoi. Déjà, de quel droit peux-tu nous dire ça ? Et surtout, comment peux-tu penser que si tu nous dis « Attention, je vais sortir un article, il faut pas le lire » , évidemment qu'on va aller voir ce qu'elle a écrit, évidemment qu'on va voir de quoi il s'agit. Et en fait, elle a interviewé à distance notre agresseur pendant sa cavale, parce que c'était son droit de réponse. Sauf qu'elle nous a jamais expliqué ça. Moi si elle m'avait dit ça, je l'aurais dit écoutez, faites vos articles, j'en ai rien à faire. mais si c'est pour le réinterroger lui derrière alors qu'il est en cavale, moi je préfère rien dire. A aucun moment, elle a été franche avec nous là-dessus. A aucun moment, elle nous a dit que c'est son droit de réponse. Droit de réponse de quoi ? Elle venait de faire un article où elle n'avait interrogé que son avocat à lui. Son avocat, c'est sa voix à lui. C'était nous le droit de réponse, ce n'était pas lui. Moi, ça m'a vraiment anéantie. Je sais que je n'ai pas été la seule. Certains de mes proches, des proches d'autres victimes, ont écrit au journal Sud-Ouest et à la journaliste pour lui expliquer à quel point ils étaient outrés, à quel point ils étaient choqués et à quel point c'était indécent comme boulot de faire ça. Évidemment, le journal a pris la défense de sa journaliste. Elle sera probablement là pour le... Enfin, ou pas là, d'ailleurs, parce que ça se passera à Périgueux, j'en sais rien. Mais ça, c'est quelque chose qui a été profondément choquant. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Je pense qu'il y a moyen qu'elle pensait bien faire. Mais ce n'est pas très sourd. Après, je suppose qu'elle doit se dire que son job, ce n'est pas d'être sourd, c'est de relater ce qu'on lui dit, les faits, et de faire des articles neutres. Mais je vois pas trop la neutralité dans ce qu'elle écrit. Et quand je le montre à des gens autour de moi, parce qu'évidemment, on les enregistre tous ces articles, j'ai des captures d'écran, j'ai... Enfin, j'archive, je sais pas pourquoi, mais je les archive. Donc voilà. Pour cette histoire de journal.

  • Speaker #2

    J'ai une dernière question. Pourquoi tu témoignes, et qu'est-ce que t'aimerais dire aux gens qui écoutent ? Voilà, ce serait un peu ça, l'idée.

  • Speaker #1

    Bah déjà, j'ai hésité à témoigner, parce que, d'une part... En fait, j'ai une crainte. Je suis très ambivalente, moi, sur le fait de porter plainte. C'est-à-dire que, déjà pour moi, je trouve ça difficile de dire « porter plainte, c'est bien ce que j'ai fait » ou « franchement, ça m'a rajouté tellement de complications dans ma vie de porter plainte » que « franchement, faites pas ça, quoi » . Je suis toujours moi-même très ambivalente là-dessus. En fait, j'ai toujours peur en témoignant et en disant ce que moi j'ai vécu, soit de transmettre l'idée que porter plainte, c'est vraiment pas un truc à faire parce que ça va te gâcher la vie, que c'est horrible, que ça va remuer le couteau dans la plaie pendant des années et que vraiment, ça vaut pas le coup. Et en même temps, j'ai pas non plus envie de dissuader les gens de porter plainte parce que, bon, j'ai déjà eu cette discussion avec une amie à moi sur le fait que j'attends finalement quelque part, moi, de toute cette procédure qu'une fois que ça sera derrière moi, que ça sera terminé. même si c'est jamais vraiment terminé, mais je veux dire, au moins la procédure judiciaire, qui est un avant et un après pour moi dans ma vie, quoi. Et que cet après, il soit un peu plus léger, qu'il soit un peu plus doux, qu'il y ait déjà ce gros point en moins. Mais oui, et cette amie m'avait dit, et je l'avais super mal pris, et je l'avais vraiment super mal vécu, qu'il faut pas s'attendre, en fait, à des grandes révélations, des grands après, tu vois, de choses comme ça. Parce que dans la vie, il n'y a pas de grands après, de grands trucs comme ça, et que si tu les attends trop, t'es déçue. Je pense que c'est ça qu'elle voulait dire. Elle voulait un petit peu me prémunir d'une déception, une grosse déception. J'entends ce qu'elle m'a dit. C'est vraiment une amie très proche et je l'aime très fort. Mais en fait, je suis quand même pas d'accord avec ça. Et je vis quand même avec l'espoir, parce que sinon je laisse tout tomber, avec l'espoir qu'il y aura quand même une différence après. Et honnêtement, j'y crois profondément. Je pense qu'il y aura une grosse différence après. Déjà, ce sera terminé, je serai allée au bout de quelque chose. J'aurai fait entendre ma voix. J'aurai dit ce que j'ai à dire devant la justice. ce qu'on entend beaucoup ça aussi c'est qu'elle aille porter plainte genre si t'as pas porté plainte ça n'a pas de valeur ta parole n'a pas de valeur, déjà c'est faux on le sait, mais c'est bien de le redire quand même porter plainte devant la justice c'est difficile mais moi je trouve que c'est un acte de courage ça veut pas encore dire que les personnes qui ne sont pas qui ne se sentent pas capables ou qui n'ont pas envie de le faire manquent de courage mais effectivement c'est courageux de le faire c'est difficile de le faire d'autant plus qu'encore une fois je me mets à la place des personnes qui portent plainte quand elles sont toutes seules Ce qui n'est pas mon cas. Et j'imagine à quel point ça doit être difficile.

  • Speaker #2

    Et tu parlais du fait d'influencer ou pas les gens à porter plainte. Je pense que, j'y mets mes propres biais aussi, mais je pense que les gens qui ont envie ou pas de porter plainte, ils ont cette envie instinctive de le faire ou pas. Et justement, tous les éléments que tu as amenés, chaque personne viendra prendre ce qu'elle a envie de prendre. Et ça va l'influencer, mais dans le sens où elle voulait aller de base, je pense. Oui, Et au moins, tu auras surtout donné les clés. Tu n'auras pas forcément influencé son choix. Tu auras surtout donné les clés et tu la conforteras dans le choix qu'elle voulait faire avec les clés que toi, tu as données.

  • Speaker #1

    Encore une fois, moi, ça m'importe de préciser que c'est bien d'être entourée. On porte plainte ou qu'on ne porte pas plainte. C'est hyper important de s'entourer de gens déjà qui te croient, qui ne mettent pas en doute ce que tu dis tous les quatre matins, même un matin. et qui te soutiennent, qui comprennent quand ça va pas, qui ont juste envie que tu ailles bien. C'est hyper important.

  • Speaker #0

    Et je trouve que c'est difficile de se débarrasser finalement des gens qui ne sont pas comme ça. Mais c'est salvateur. C'est vraiment hyper important d'être bien entouré. Après, on se sent quand même un peu seul dans des situations comme ça. Qu'on porte plainte ou qu'on porte pas plainte, ça change rien. Je pense qu'on ressent toutes et tous de la solitude quand on a été victime d'agression. C'est aussi pour ça que pour moi c'est important d'en parler. C'est que, en fait, c'est grâce aussi à des témoignages que je me sens un peu moins seule. Parce que les gens autour de moi qui n'ont pas vécu la même chose, ils sont là pour moi, ils m'écoutent, ils me comprennent, ils m'entendent. Mais ils ne comprennent pas vraiment parce qu'ils n'ont pas vécu ce que j'ai vécu et c'est difficile de l'expliquer, c'est difficile ce qu'il y a à l'intérieur de moi. C'est déjà compliqué pour moi de le comprendre, donc pour les autres c'est d'autant plus compliqué. Et il y a des fois, entre personnes qui ont vécu la même chose, il y a des choses qui se comprennent facilement. il y a des fois où on n'a même pas besoin de se le dire et on sait moi c'est des choses qui m'aident Il y a des fois, je me dis que je suis un peu maso parce qu'on parlait du reportage sur Depardieu. Je me suis dit, est-ce que ça ne va pas me faire plus de mal que de bien ? Est-ce que j'ai vraiment envie de regarder ça ? Est-ce que j'ai vraiment envie de me flageller comme ça et de me rajouter des trucs ? Honnêtement, c'est très dur. Mais entendre des gens qui ont vécu des choses similaires, moi, ça m'a aidée aussi à me sentir moins seule et à me dire qu'il y a des gens qui vivent la même chose que moi. Et c'est intéressant de voir comment ils se sentent aujourd'hui, quel a été leur parcours, ce qu'ils ont fait. De voir aussi qu'il y a des gens qui ne sont pas bien. Pas parce que ça fait du bien de voir des gens qui ne sont pas bien, mais parce qu'en fait, tu te dis, je ne suis pas bien, moi aussi. J'ai le droit de ne pas être bien, c'est normal que je ne sois pas bien. Il y a d'autres gens qui ne sont pas bien aussi. Je ne sais pas, tout ça, ça paraît très négatif. Mais bizarrement, je trouve que c'est ce qui galvanise un petit peu le fait qu'on a envie de se battre et pas de laisser tomber. Moi, j'avoue, j'ai un peu ralenti sur le militantisme. Et ça, c'est une forme pour moi de militantisme, en fait. Il me convient mieux. J'ai du mal à descendre dans la rue maintenant. Déjà parce que j'ai un petit peu de mal avec la foule, mais aussi parce que ça me fait flipper. Parce que les dernières fois où je suis allée en manifestation, c'était super violent. Et j'ai du mal avec ce type de manifestation. J'ai fait quelques collages aussi. Mais c'est pareil, j'ai l'impression d'avoir fait ce que j'avais à faire et de vouloir faire autre chose. Donc j'essaye de m'engager dans des associations de façon différente. En fait, ça prend tellement de temps des fois que je suis débordée et j'y arrive pas. Faire des choses comme ça de façon ponctuelle et de façon un peu plus ouverte, c'est une forme de militantisme pour moi qui paraît un peu différente et je sais pas, qui me convient bien. Et je sais pas, c'est aussi pour ouvrir des discussions sur des différentes choses, différents sujets. Je sais qu'avec tous les podcasts que toi tu as faits, finalement il y a des choses qui vont s'entrecroiser, il y a des choses qui vont se compléter. Il y a peut-être des fois des choses qui vont se contredire aussi, parce qu'on a des vécus différents. Mais ouais, j'ai eu peur de témoigner, parce que j'ai pas envie que des personnes qui me ressemblent se sentent légitimes et se disent « Ah oui, moi aussi j'ai vécu comme elle, et du coup, c'est chouette, on est ensemble. » Et que les personnes qui n'ont pas vécu la même chose se disent « Ah ben, moi je le vis pas comme ça, ça craint. Ah ouais, mais ce qu'elle dit, ça donne pas très envie de porter plainte. Peut-être je vais pas le faire. » J'ai pas envie, en fait, d'avoir une influence sur les choix des gens, parce que c'est très différent juste moi dans ma procédure On est dans le même procès, on n'a pas du tout vécu la même chose. Chaque vécu est différent sur la vingtaine de victimes. Chacune d'entre nous est très différente. Et au final, on vit aussi les choses de façon différente. Et il y en a certaines qui ont laissé tomber. Enfin, qui ont annulé leur plainte. Je ne sais plus comment on dit. On est un peu toutes passées par ce moment de se dire « Vas-y, j'en peux plus, je laisse tomber » . C'est aussi bien justement de se dire « Allez, on est ensemble » . Je pense que ce qui est positif aussi, c'est ça, c'est de se dire qu'on n'est pas tout seul. Même si c'est aussi triste de se dire qu'on n'est pas tout seul, parce qu'on aimerait que ça n'arrive pas. On aimerait que le moins de gens possible soient concernés. Et en même temps, ça crée une sorte de communauté, en fait. C'est un peu triste de dire ça, mais ça fait une communauté de victimes, finalement. Sauf que je pense qu'ensemble, on est plus fortes. Que c'est aussi en discutant, en parlant. On parle beaucoup de libération de la parole. et moi je suis plutôt convaincue que... que c'est le cas. Je suis ravie qu'on agace les gros mascus, les gros incels. J'en suis absolument ravie. Et malheureusement, si ça leur pose problème, je vous espérais que ça puisse permettre à certaines personnes de se remettre en question et d'entendre comme ça divers témoignages, diverses personnes, d'entendre diverses personnalités aussi. Je vous espérais que ça puisse... C'est un rêve un peu naïf, mais je vous espérais que peut-être des gens un jour se diront... que finalement, il y a peut-être un truc quand même un peu systémique. Que ce n'est pas juste trois greluches qui n'ont pas été très fines et qui se sont fait avoir comme des bleus. Et que ce n'est pas ça le problème. Il y a un truc auquel ça me fait penser. C'est qu'à la fin du deuxième procès, donc il n'y avait plus l'agresseur, parce qu'il était en cavale, comme je disais, il y a un des jurés populaires qui est venu nous voir, qui nous a dit qu'il avait été très touché par nos témoignages, qu'il avait trouvé que lui, par exemple, ça l'avait beaucoup remué, parce qu'il est papa d'une jeune fille qui a à peu près l'âge qu'on avait au moment des faits, et qui s'est dit, c'est réel en fait, ça arrive vraiment, et ça arrive. à des gens comme ma fille. Ils disaient, en fait, je vous ai trouvé très dignes. Moi, ça m'a un peu marquée sur le moment parce que je n'ai pas du tout, du tout eu l'impression qu'on était très dignes. Moi, j'ai passé quatre heures à la barre pendant le deuxième procès à parler, à raconter, à répondre à des questions. Mais je chialais toutes les cinq minutes et je me morvais dessus. Enfin, je veux dire, j'étais dégueulasse face à tous ces gens-là. Je me suis énervée directement, frontalement contre l'agresseur. Je lui ai gueulé dessus dans tout le monde. Gueulé. J'exagère un peu, mais presque. Et je me suis dit, mais elle est où la dignité là-dedans ? C'est pas ça être digne. Enfin, moi, c'est pas ma vision comme ça, a priori, de quelqu'un de digne. Et d'entendre quelqu'un d'extérieur qui m'a dit ça, déjà, ça m'a foutu une grosse baffe. Une grosse baffe positive. Et je me suis dit, en fait, ce mec-là, par exemple, il avait le cliché de la victime un peu bébête, tu sais, un peu naïve. Je pense qu'il y a plein de gens qui se disent que ça arrive à un certain type de personnes. Et quand ils arrivent à un procès comme ça, et qu'ils se prennent dans la tronche 17 nanas complètement différentes, qui ne se ressemblent pas du tout à l'intérieur et à l'extérieur, dans tous les sens possibles, se dire, ah oui, en fait, ça peut arriver à ma fille, ça peut arriver à n'importe qui. Je ne sais pas, j'ai trouvé ça vraiment super important, et je me suis dit, on a au moins réussi à faire ça pour une personne. C'est cool. Et après, si cette personne allait nous le dire, j'ose espérer qu'il y a d'autres personnes qui ont peut-être eu le même cheminement. un cheminement similaire et qui ont juste pas osé venir nous lire mais qui l'ont pensé et je me dis peut-être que ce genre de podcast ce genre d'action en général ça peut peut-être permettre je sais pas, peut-être à des gens qui sont un peu curieux et qui savent pas trop peut-être de se faire une opinion un peu différente de remettre en question des a priori ou alors pour juste apporter du soutien et de la parole personnes qui se sont fait agresser et voilà.

  • Speaker #1

    Le témoignage de Marion a été enregistré en novembre 2023. Depuis, un procès en appel a eu lieu suite à la décision de la Cour de cassation. A l'issue de ce troisième procès en appel, l'agresseur a refait une demande de pourvoi en cassation. Si la Cour de cassation décide de casser une nouvelle fois la décision d'appel, il y aura alors un quatrième procès en Cour d'appel. Cette étape vient compléter le témoignage de Marion. Porter plainte implique de lourdes procédures éprouvantes pour les personnes victimes. Vous venez d'écouter le 20e épisode du podcast Au bénéfice du doute. Si vous pensez qu'il peut réconforter et être utile à d'autres personnes, n'hésitez pas à le partager. Et comme le rappelle si bien Marion, écouter les témoignages de victimes n'est pas forcément réservé qu'aux victimes. Vous pouvez partager cet épisode à tous vos proches pour les sensibiliser au sujet des violences sexuelles. Ce podcast est entièrement autoproduit par Julie Dussert, la musique originale a été composée par Sandra Fabry et l'image a été dessinée par Camélia Blandon. Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole.

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