undefined cover
undefined cover
Les images cover
Les images cover
Bavardage

Les images

Les images

45min |17/04/2025
Play
undefined cover
undefined cover
Les images cover
Les images cover
Bavardage

Les images

Les images

45min |17/04/2025
Play

Description

En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un besoin profond de sororité. C’est alors qu’elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement réservée aux femmes. Elle y rencontre quatre étudiantes : Evy, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi — et la promesse — que leur fait Nora : filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années.

Nous sommes en 2025, et ce documentaire vient de sortir sur Arte. Il s’appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s’en est passé des choses, qui ont chacune bousculé la vie de ces protagonistes, ainsi que notre paysage politique tout entier : il y a eu des surprises qui nous ont sidérés, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérés quand même, comme sa réélection.

Après avoir vu le film réalisé par Nora, j’avais plein de questions à lui poser, tant sur son travail documentaire (parce qu’il n’est pas évident de filmer et de monter dix ans de vie privée de cinq femmes) que sur l’aspect politique de ces images.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il y a tellement de travail qui doit être fait.

  • Speaker #1

    Tu n'aimes pas le sexisme,

  • Speaker #0

    alors pourquoi ne pas être une femme ? Ça ne marche pas pour moi, c'est qui je suis.

  • Speaker #1

    Quelle génération nous a fait avoir à se dérouler de ça ?

  • Speaker #0

    Ils nous disent que ça s'est passé parce que nous sommes clairs. Je me suis mis à beaucoup d'anxiété en ne pas savoir ce que la Terre va ressembler dans 20 ans.

  • Speaker #2

    En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un profond besoin de sororité. C'est alors qu'elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement féminine. Elle y rencontre quatre étudiantes, Evie, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi et la promesse que leur fait Nora, filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années. Nous sommes aujourd'hui en 2025 et ce documentaire vient de sortir sur Arte et s'appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s'en est passé des choses qui ont chacune bousculé la vie de ses protagonistes et tout notre paysage politique. Il y a eu des surprises qui nous ont sidérées, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérées quand même aussi, comme la réélection de Trump. Après avoir vu le film réalisé par Nora, j'avais plein de questions à lui poser. Tant sur son travail documentaire, parce qu'il n'est pas évident de filmer et de monter dix ans de la vie privée de cinq femmes, que sur l'aspect politique de ces images. J'ai eu l'opportunité de les lui poser pendant un appel le lendemain de l'avant-première de son film à Bruxelles et je vous laisse avec cette conversation.

  • Speaker #1

    Le premier point que je voulais aborder avec toi, c'était celui de la réalisation du film. En 2015, tu prends ta caméra, tu vas rencontrer des jeunes adultes que tu ne connaissais pas et tu dis que tu vas suivre leur vie pendant 10 ans. Du coup, en partant du postulat que ton histoire, elle va suivre ce qui se passe dans la vie de ces jeunes filles et ce qu'elles s'autorisent à te raconter, comment est-ce qu'on fait pour écrire un film autour de tant de flous ? parce qu'en fait, il y a dix ans, tu ne pouvais avoir aucune idée de ce qu'allait être le film aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas un projet effrayant à porter ? Est-ce que ce n'est pas un projet qui paraît si peu concret et si étendu dans le temps qu'il serait trop difficile à concevoir ?

  • Speaker #0

    Souvent, on fait des films pour essayer de tout comprendre pourquoi on les fait. Et c'est pour ça que j'aime le documentaire. Quand on fait du documentaire et qu'on filme le réel, on est à la recherche de quelque chose qui est à la fois à l'extérieur de soi et à l'intérieur de soi. On cherche quelque chose dans le réel. Et... et la raison en soi, pourquoi on va chercher ça dans le réel. Voilà, c'est ces deux mouvements, en fait. Et de toute façon, intrinsèquement, quand on se lance dans un documentaire, en fait, on est en quête. Donc après, c'est sûr que là, c'était un peu maximaliste, la situation dans laquelle j'étais, c'est-à-dire qu'il y avait un geste, il y avait un désir, il y avait une quête, mais effectivement, il n'y avait pas encore vraiment d'objet. Ceci dit, on est en 2015, je suis à New York, je cherche des idées, des solutions, des modèles, des sources d'inspiration féministes. pour répondre aux troubles, au trouble ou l'état quasiment dépressif dans lequel je suis, dans un postpartum un peu compliqué, dans un moment compliqué de ma vie. Et je trouve effectivement, chez ces étudiantes de Barnard College, qui est une université pour femmes et féministes très identifiée à New York, je trouve très rapidement un espace d'intelligence, d'intelligence collective, d'intelligence féministe, et de partage et de sororité, mais c'est très rapide. Et ce qui est fascinant, Ce qui me fascine moins en tant que française, c'est que ce genre d'espace, sincèrement, je n'en avais jamais rencontré en France. Mais jamais. Mais jamais. Jamais. Donc je suis saisie, en fait. Je suis saisie par ça. Et quand on est saisi à ce point-là, quand il y a à la fois, donc j'y reviens à cette dualité dont je parlais, cette rencontre avec un réel étonnant, en fait, et par ailleurs cette rencontre avec un besoin qui est nouveau en soi, mais qui semble être, enfin, trouver en quelque sorte une réponse dans ce réel-là, c'est fou, en fait. c'est dingue ! Donc c'est une sorte de conflagration comme ça très heureuse. Donc en fait le désir de ce film-là, il est né à ce moment-là dans cette rencontre, c'est-à-dire en contre. Et après le désir de travailler sur dix années et très vite je leur ai proposé de s'inscrire dans un temps très long. En fait c'est lié à deux choses très simples je crois et très universelles. C'est à la fois en fait le désir, c'est un pari et c'est une promesse. Et c'est le désir d'essayer de comprendre, de se mettre dans l'esprit, de se dire qu'est-ce qu'on va devenir. Qu'est-ce qu'on va faire de nos vies ? En tant que femme, on veut les écrire, on veut être maîtresse de nos destins. On se forme pour, on s'éduque politiquement pour, on est là pour décider, on sait combien c'est difficile, et on se lance ce défi-là pour y répondre, en fait. C'est-à-dire avec la caméra, avec l'aide de la caméra, grâce à la caméra, parfois contre la caméra, mais en tout cas, toujours en cheminement avec la caméra, on va essayer de décrire nos destins. Ça, c'est une chose. L'autre chose, c'est que j'étais face à des... Toute jeune femme de 18, 19, 20 ans qui avait une claire conscience non pas de leur propre futur nécessairement, mais des futurs de la planète, 2 sur 4 dans le film, faisait des étudiants en sciences environnementales. Donc elles avaient une conscience très aiguë en réalité de ce que pouvaient nous réserver des... des futurs planétaires et souvent des futurs plutôt dystopiques, plutôt difficiles. Mais en tout cas, elles étaient déjà à l'œuvre sur la pensée, sur comment agir aujourd'hui pour faire en sorte que nos futurs soient vivables. Puis après, en cinéma, c'est peut-être la troisième réponse que je peux te donner, c'est que le cinéma, c'est juste fabuleux de voir des personnes grandir, vieillir, évoluer. C'est beau, quoi. C'est un tel mystère, la vie. On ne sait jamais ce que ça va nous réserver. Donc, de se dire qu'un film va l'accompagner, il y a quelque chose de beau, et... qui ne permet pas d'avoir plus de contrôle du tout. Faire un film sur la vie, c'est aussi vertigineux que la vie, mais c'est sûr que ça m'a nourrie et guidée ces dix dernières années.

  • Speaker #1

    Je trouve ça intéressant la façon dont tu as commencé, en parlant d'un état dépressif auquel tu avais besoin d'apporter une réponse presque politique. Le besoin de te retrouver dans la sororité, dans le féminisme, le fait que cet état de santé mentale, tu y aies trouvé une réponse. par un acte politique, en fait, qui est celui de filmer la sororité.

  • Speaker #0

    Alors ça, parlons-en, en fait, de cet élan, enfin de ce besoin, de cet élan d'être dans le collectif. En fait, moi, je n'ai pas grandi dans un environnement qui était hyper militant, qui était sensibilisé politiquement, conscientisé, oui, mais pas militant et pas vraiment, enfin, pas ouvertement, concrètement, explicitement féministe. Et surtout, j'ai grandi... avec plein de privilèges. Donc moi, je ne me suis pas retrouvée dans ma vie confrontée à des questions, à des problématiques de race. J'ai tout le temps été ramenée à mon genre. J'ai vécu tous les jours des microagressions sur mon genre, mais c'était complètement intégré. Et je n'ai jamais fait face à des traumas liés à mon genre. Et je n'ai jamais été confrontée non plus à des problématiques liées à ma classe sociale, à mon éducation, à ma nationalité, à des... quelconque handicap. Donc moi j'arrive en fait à la maternité, au moment de la maternité, dans une situation de privilège. Donc avec un vrai bagage pour le coup féministe intellectuel, mais sans avoir jamais éprouvé en fait une sorte de minération véritable. Et là en fait, et c'est là où il y a pour moi une sorte de disjonction cognitive et quelque chose qui est très inattendue et qui me prend de court, c'est que tout d'un coup la maternité que j'avais projetée comme étant, dans mon cas elle était désirée, que j'avais projetée comme un état de quelque sorte d'empuissancement, de d'épiphanie, de floraison, en fait, était un moment de dépossession. J'avais l'impression d'être dépossédée de ma capacité d'agir, à cause de la fatigue, à cause de ce que ça implique de responsabilité, de manque de liberté, de temps, de manque de sommeil, etc. Et c'est dans cette situation, mais comme beaucoup j'imagine, qu'il y a eu, je pense, un éveil, qu'on va dire, disons politique ou en tout cas féministe, clairement.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a un moment dans le film où tu poses la question à une des filles, où tu lui demandes est-ce que tu te verrais avoir un enfant dans le monde tel qu'il est fait aujourd'hui ? Donc la question de la crainte de la maternité. Et en fait, c'est une crainte politique de la maternité à laquelle moi je me pose beaucoup la question. Bon, je n'envisage pas d'avoir des enfants tout de suite, j'ai que 22 ans. C'est pas tant une crainte vis-à-vis de l'environnement politique qui m'entoure et le fait de se dire est-ce que j'ai envie de mettre au monde un enfant dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, c'est peut-être une crainte aussi un peu égoïste de me dire est-ce que j'ai envie d'avoir un enfant dans la société patriarcale telle qu'elle est, avec tout ce que ça implique, avec la charge mentale que ça va mettre sur le dos, la pression que ça va provoquer chez moi, le sentiment d'être toujours, d'être jamais assez mère, de jamais être... assez une bonne mère. Et en fait, la façon dont toi, tu te présentes la maternité dans le film, je trouve, va un peu au contre-courant de toutes ces inquiétudes-là. Ou en tout cas, dans la façon dont tu parles de ta maternité, je trouve que c'est jamais présenté comme, justement, quelque chose qui peut t'enfermer dans ces attentes liées au genre. Je trouve qu'au contraire, même la façon dont tu parles du fait... Il y a une phrase que tu dis que je trouve très belle, où tu dis... élever ma fille ou plutôt qu'elle m'élève. Je trouve que du coup c'est un discours qui va parfois même à l'encontre du discours qu'on peut avoir qui est celui de dire que la maternité c'est enfermant, c'est un poids, etc. Et je trouve que c'est aussi la façon dont tu parles de l'éducation que tu veux donner à ta fille sur des enjeux politiques. Il y a un moment où tu fais une espèce d'énumération de cause à laquelle tu veux sensibiliser ton... Ta fille, et je trouve que c'est voir un peu la maternité comme une partie du combat féministe, plutôt que comme son antagonisme.

  • Speaker #0

    Le film part d'un sentiment, pas d'échec, mais pour le coup de dissonance quand même. Et après, effectivement, c'est tout le parcours du film, de repolitiser la maternité et de penser conjointement au protagoniste du film à des moyens aussi d'utiliser la maternité. La maternité aussi est comme une situation dans laquelle je peux concevoir aussi une éducation féministe pour ma fille. Donc ça devient un outil émancipateur, enfin pas un outil, le terme n'est pas correct, mais un véhicule d'émancipation. Mais je voulais revenir, je pense que c'est différent aujourd'hui, mais il y a dix ans, sincèrement, y compris sur les réseaux, ça manquait vraiment de discours de vérité sur la maternité. Et je pense que... Encore une fois, il faut faire preuve d'une infinie nuance face à la pluralité des situations des femmes. Encore une fois, on n'est vraiment pas égale face à la maternité, face à la parentalité, du tout. Ce n'est pas du tout la même chose d'être une femme blanche en bonne santé, qui a des ressources financières. qui a accès à un environnement affectif stable, etc. D'avoir un enfant que d'être une femme racisée et non valide en France, que d'être une femme qui n'a pas accès à la contraception dans un autre pays, ou à l'avortement, etc. Il faut toujours vraiment nuancer. Je pense que c'est important de dire que oui, même dans des conditions très privilégiées, être parent, et surtout pour une femme, c'est un frein à beaucoup de choses dans la société d'aujourd'hui. C'est une réalité en fait. Donc après, il y a plein de manœuvres et de tactiques. ont tourné ça, y compris en se disant bon, du coup, je vais complètement réapproprier ma maternité, du coup, je ne vais être que ça pendant quelques années, etc. Il y a toutes sortes de tactiques. C'est compliqué, en fait. Potentiellement très contradictoire, en fait, avec sa propre liberté, sa carrière professionnelle, etc. Donc, c'est une réalité, je l'ai vécue. Je veux dire, je n'ai pas pu tourner, je n'ai pas pu faire plein de... Voilà, c'est... Et ma carrière a été affectée, etc. Là où, de toute façon, pour moi, l'enjeu, c'était de... encore une fois, de retourner la situation et d'en faire une situation d'apprentissage et pour moi et pour ma fille. Et donc de lui léguer et de lui transmettre tout ce que j'apprenais ce faisant. Et là aussi, le film a été l'outil pour que je me conscientise davantage et pour que je conscientise aussi ma fille, peut-être pas à la problématique du tectofascisme ou de la fin de la biodiversité quand elle avait 13 mois. Mais voilà, en tout cas... Comme ça, le moteur du film, c'est clairement qu'est-ce que c'est aussi que donner une éducation féministe à son enfant, en fait. Clairement, c'est ça. Enfin, c'est dix années de comment je construis ça, sans l'idéologiser non plus, mais en tout cas, lui donner à elle aussi ses outils d'émancipation.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, cette éducation féministe, concrètement, tu l'articules comment aujourd'hui avec ta fille ? Enfin, le fait d'élever un enfant, je trouve ça fou. Enfin, le fait de... C'est peut-être bête, là, le statement que je fais, mais je me dis, tu peux avoir un impact. telle sur... Bien sûr, c'est une personne qui se construit, qui prendra son chemin de vie et qui a une matrice de pensée totalement indépendante, mais tu peux avoir un tel impact sur la vie d'une personne qui se construit, que du coup, je me demande concrètement quelle promesse, toi, tu t'es faite dans l'éducation féministe que tu veux donner à ta fille ?

  • Speaker #0

    Je vais te répondre, je fais un tout petit détour. En fait, je repensais à ta question d'avant et sur la question aussi des futurs. De fait, quand tu mets un enfant au monde, Tu as une telle responsabilité que cette responsabilité a un côté holistique. Donc en fait, tu te dois, en tout cas moi je le vivais comme me devant d'essayer d'aménager un monde qui soit vivable. C'était au-delà d'elle, au-delà de moi, c'est vraiment comment œuvrer maintenant à ce que ce monde ne soit pas complètement hostile. Et aussi, c'était clairement une question que les filles se posaient et que je posais aux filles aussi. Est-ce que vous vous projetez assez dans le futur pour vouloir mettre au monde un enfant, une enfant dans ce monde-là ? Et leur réponse était très disparate, très hétérogène par rapport à ça. Et de fait, elles appartiennent à une génération où la préoccupation environnementale prend beaucoup de place et du coup vient en collusion avec le potentiel désir d'enfant. Dans la situation, mais j'abonde dans ton sens, éduquer un enfant, c'est effectivement lui inculquer des idées, des valeurs, et pour le pire comme pour le meilleur, c'est évident. Et alors, juste une chose, on parle d'idées et de valeurs, mais en fait, c'est la vie, c'est la manière dont... Toi tu vis en tant que parent qui va avoir une influence immense en fait sur ton enfant. Donc c'est pas seulement en fait ce que tu vas nuire, les mots, les livres, c'est vraiment en fait comment tu vis. En fait ton enfant va voir comment tu vis, les décisions que tu prends, la manière dont tu te comportes, la manière dont tu analyses le monde autour de toi, enfin voilà, et tes choix et les gens dont tu t'entoures. Donc il y a ça qui est effectivement fondamental, qui a un impact énorme. Et effectivement après il y a l'école et la société, elle se lie à travers l'école et ça t'a pas de problème. Il faut trop pouvoir là-dessus avec ton enfant. Dans le cas de ma fille, je crois qu'elle a vu que quand ça n'allait pas dans une relation amoureuse, par exemple, j'y mettais un terme, que j'avais le courage de partir. Elle a vu aussi que je priorisais souvent mon travail ou la création, et toujours en expliquant pourquoi et en y mettant les mots. Et puis par ailleurs, très très tôt, je lui ai aussi donné les outils pour qu'elle puisse analyser des situations, notamment de friction, de tension ou de discrimination. dans son entourage. Donc, et pas vraiment, vraiment pas seulement sur les questions de genre, les questions de race, les questions de classe sociale, les questions de de rapport de pouvoir. Donc elle a l'œil en fait maintenant, elle a 10 ans et ça, pour le coup, c'est effectivement une fierté. C'est super. pour elle et pour la société. Elle s'est très bien analysée une situation où une personne va être discriminée à cause de sa couleur de peau ou que les garçons vont prendre la main ou l'espace. Elle se plaint toujours, elle avait fait une manif en grande section de maternelle parce que les garçons en fait avec leur jeu de ballon prenaient beaucoup trop d'espace dans la cour de récréation et donc elle l'avait observée et elle avait dit que ça n'allait pas du tout. Là elle revient d'un week-end crampé, scout laïque écolo et les garçons faisaient des blagues déjà à 8-11 ans à caractère sexuel sur des activités c'était extrêmement. pénible en fait et elle l'a signalé parce que ça n'allait pas. Donc voilà, elle sait. Au centre aéré, quand il y a une petite fille noire qui n'a pas d'amis et que les moniteurs disent que c'est parce qu'elle n'est pas très liante, bah non, elle va trouver les gens et elle dit bah non ça va pas, Maïmonata reste dans son coin parce que c'est pas parce qu'elle n'est pas liante. Donc elle est conscientisée et c'est super. Et je trouve ça complètement faux de dire « Ah, mais elle est conscienticienne, donc elle voit le mal dans le monde. » Pas du tout, en fait. Ça lui donne aussi des armes pour lutter. Elle fonctionne, quoi. Ouais, ouais. Et elle le fait aussi avec beaucoup d'humour.

  • Speaker #1

    Et elle en a pensé quoi du film, alors ?

  • Speaker #0

    En fait, je n'ai pas pu entièrement débriefer. En fait, elle était hyper fière. C'est très, très touchant. Elle était hyper fière de moi et hyper fière d'elle-même, en fait, de ton film.

  • Speaker #1

    Oui, tu me déconnes. Ça doit être très impressionnant.

  • Speaker #0

    Ouais, elle était hyper touchée. Et elle était hyper touchée de te voir... bébé, grandissant et tout. Et c'est vrai que je crois que pour une petite fille, c'est assez fort de voir un film sur grand écran qui lui est adressé. Donc, donc, ouais, ouais, ouais, grande, grande fierté. Et puis après, en fait, il y avait plein, plein de trucs. J'avais montré déjà des séquences, mais plein de choses qui n'étaient pas hyper claires. Enfin, même George Floyd, MeToo, elle est petite. Donc, il y a des choses qu'elle n'a pas vécues directement. Donc là, il faut qu'on fasse un gros débrief sur certaines séquences. Et les filles, elles les avaient pour la plupart déjà rencontrées. Donc. Donc ça, il y avait un effet de familiarité. Déjà, une forme d'effet de sororité.

  • Speaker #1

    Et je me posais une question. Pendant l'avant-première, on a pu te poser des petites questions. Et il y a un moment où tu as dit que, puisque les filles avaient donné beaucoup au film, il te paraissait évident de donner aussi toi un petit peu, ce que tu n'es pas nécessairement habituée de faire. Là, tu as évoqué des sujets comme ton rapport à la maternité ou aussi une séparation qui a eu lieu dans ta vie. C'est aussi... Oui. C'est un petit peu se mettre à nu que de passer de l'autre côté de la caméra. Est-ce que c'était impressionnant pour toi de partager ça à un public d'inconnu en soi ? Parce que je me suis fait la réflexion quand on était dans la salle, de me dire, waouh, tu partages des moments, merci de le faire, mais tu partages des moments de ta vie à plein de gens que tu connais pas. Est-ce que toi, c'est quelque chose que tu étais réticente à faire, puisque tu ne l'avais jamais fait avant ? À quel point est-ce que ça te paraissait nécessaire ? Et comment tu le vis aujourd'hui de savoir que tu donnes un peu de toi aussi au public ?

  • Speaker #0

    Tu sais, je crois que c'est... plus difficile de partager ses parts de soi des gens que tu connais mais que tu connais uniquement professionnellement ou même des proches mais qui peuvent être potentiellement hostile qu'à des gens que tu connais pas en fait genre tu connais pas finalement c'est assez abstrait en fait quoi là aussi quand tu as moi j'ai vécu la maternité comme un c'est comme une sorte de devoir et un devoir de vérité et puis et puis tu fais un enfant t'oblige à être dans toujours dans la franchise enfin tu tu dois être dans le vrai en fait, quand tu éduques une enfant, t'es obligé. Et puis de toute façon aussi, t'es dans le physique, t'as les mains dans le caca, t'es confronté à plein de réalités et de vérités que tu peux pas trop t'esquiver. Et donc je pense qu'en tout cas, dans le cadre, il y a plusieurs niveaux de réponse là-dessus, mais dans le cadre d'un film que j'adresse à ma fille aussi, il y a vraiment un devoir de franchise et de vérité. Après, clairement, il y avait un besoin éthique de symétrie entre ce que les films avaient donné qui était... enfin bouleversant, intime, douloureux, parfois traumatique, et effectivement ce que moi, de moi, je mettais dans le film. Voilà, à un moment ça s'est imposé, pas du tout prévu, et en fait je me suis rendu compte que pour tisser tout ça ensemble, narrativement, donc là on revient un peu à la manière dont on écrit un film, en fait le dénominateur commun des filles, c'est Bernard College, parce qu'elles étaient étudiantes ensemble, mais en fait, entre guillemets, ça suffisait pas pour tout lier, ça suffisait à un certain niveau. de lecture, mais au niveau émotionnel et au niveau éthique, il fallait autre chose, c'est-à-dire moi. Et de fait, le film que j'ai fait avec elle et leur propre vie, ce qu'elle pouvait me raconter, ce qu'elle pouvait me livrer, elle pouvait m'inspirer. J'ai eu un impact sur ma vie et sur mes choix en fait et sur le courage avec lequel j'ai pu faire des choix en fait ces dernières années. Mais vraiment, voir... Ouais, ouais. Donc en fait, il y avait une justice de faire ça et c'était très légitime de m'y mettre. Mais c'est pas du tout facile parce que là, on gère pas des refs, on gère des archives à soi, il y a une pudeur évidemment, il y a toujours de moins qu'immensément la peur d'un vade à un narcissisme. Il s'agit pas non plus de dévoiler trop, ni de... Il fallait que je le fasse avec humour. Donc... Ouais, tout ça, c'était pas simple. Et c'est pour ça aussi que c'est magnifique de monter avec quelqu'un, d'avoir d'autres regards. Et de fait, ma monteuse Marie Ausha est une femme exceptionnelle, une monteuse exceptionnelle. Elle est aussi réalisatrice. Elle a fait un super court-métrage qui s'appelle Le Passage du col, où elle filme en pellicule en 16 mm la pose de Stérilé. Et oui, et oui. Donc voilà, elle aussi, elle a des ovaires pour remplacer l'expression avoir des couilles. Donc elle a des ovaires, clairement. Et donc elle a fait ce film magnifique et donc elle m'a aussi beaucoup orientée et guidée dans ce récit. de l'intime.

  • Speaker #1

    Et pour parler un peu plus de cette éthique-là que tu essaies de préserver, qui est effectivement hyper importante, comme tu dis, quand on traite de l'intime, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. La responsabilité que c'est de devoir raconter la vie de quelqu'un qui n'est pas soi. Est-ce que toi, t'as eu des... Comment t'as géré cette crainte ? Je pense à deux craintes. D'abord, la crainte de peut-être dénaturer un récit qui t'est confié, avoir peur que les personnes ne se reconnaissent pas dans la façon dont tu les as éditées, montées et diffusées. Et aussi peut-être la crainte d'exposer des gens. Je pense au climat politique dans lequel on est. Tu sais que tu as quand même une audience et que ça pourrait être récupéré par des gens qui n'ont pas toujours de bonnes intentions. Comment est-ce que tu gères, toi, ces deux craintes ? La crainte d'exposition et la crainte de manipuler un récit qui n'est pas le tien.

  • Speaker #0

    En fait, c'est tout l'enjeu du cinéma documentaire. Le cinéma historiquement est documentaire. Il ne faut pas dire un film versus un documentaire. Un documentaire, c'est du cinéma. Et dans beaucoup de fictions, il n'y a pas de cinéma. Donc, on ne peut pas dire que le documentaire, c'est forcément la télé. Documentaire, c'est du cinéma ou en tout cas potentiellement du cinéma. Donc, le documentaire, depuis toujours, filme l'autre, l'autre que soit. Donc, il y a quand même une grande tradition épique de... l'appropriation du regard colonial, de l'absence d'éthique, et notamment d'un regard blanc sur l'autre, un regard dominant en fait dans le documentaire, c'est une évidence. Et donc on est à un moment historique depuis quand même quelques décennies, pas partagé par tout le monde, mais où il y a une pratique du documentaire qui réfléchit à la question du consentement, dans le milieu anglo-saxon on dit « accountability » , donc c'est vraiment quelque chose d'important, et donc la responsabilité. Alors, Non mais on passe des nuits blanches en fait pour répondre à ces questions-là, c'est insondable. Et puis il n'y a pas de recette. Il y a sa propre boussole éthique, il y a aussi parfois en fait la réalité, les rushs, des choses qui sont compliquées, etc. Alors, elles sont majeures, elles sont bien portantes et elles maîtrisent leur image et leurs propos. Elles maîtrisent la parole, elles ne sont pas dans une situation de vulnérabilité, elles maîtrisent leur parole, elles ont tous les outils en fait pour maîtriser ce qu'elles disent. parfaitement. Les conditions sont claires dès le départ, on est dans un film qui peut potentiellement être diffusé très largement et par ailleurs elles estiment qu'elles ont des choses à dire au monde, elles savent que quand elles le disent à moi, elles les partagent potentiellement avec le monde. Elles ont d'autres espaces dans la vie, professionnellement, où elles les partagent avec le monde donc elles sont actives sur les réseaux voire très actives, c'est-à-dire quand je la rencontre elle est sur youtube, elle est partout. Donc je viens m'inscrire en fait enfin je viens inscrire le projet auprès de femmes qui sont déjà en fait qui ont déjà une vie publique donc c'est quand même déjà des des des préalables et des postulats de départ qui rendent la démarche un peu plus aisée, plus horizontale. Et après, bien sûr, quand on monte, on fait des choix, mille choix tous les jours. Et c'est clair qu'il suffit d'une musique, d'une seconde de plus ou de moins dans un plan, et on dit autre chose, des mille nuances sur tout. Voilà, sur les protagonistes. Donc comment juger à chaque fois que c'est les bons choix, qu'ils les représentent bien, qu'ils sont justes. Ils peuvent elles-mêmes aussi peut-être les déplacer, les amener vers d'autres perceptions, prendre conscience des choses sur elles, mais toujours dans le respect. C'est un exercice d'équilibriste. Et ça, ce travail-là, tu le fais en documentaire, tu le fais grâce à... Beaucoup de temps, j'ai passé beaucoup beaucoup de temps avec elle, beaucoup de temps à suivre ce qu'elles font, à voir ce qu'elles publient, et puis faire des très longs entretiens, très très en profondeur, pendant des heures, et aussi à déterminer ce qu'elles veulent dire, ce qu'elles ne veulent pas dire, les périmètres, et ensuite on avance comme ça. Il y avait parfois des moments où... Avec Marie, avec ma monteuse, elle faisait une journée et puis elle me montrait des trucs, elle me proposait des trucs. Et elle me disait, ça, ça va leur faire plaisir à Laila, c'est beau, je suis sûre qu'elle va adorer. Et c'était un peu notre boussole, tu vois, c'était un peu ce genre de truc qu'on se disait. Ah ouais, ça, je suis sûre qu'elle ne se souvient même pas de ce moment qu'on a filmé en 2018 et tout. Mais là, monter avec cette musique et tout, ça va être chambé pour elle.

  • Speaker #1

    Et pour ce qui est de la relation de confiance que tu arrives à construire avec elle, parce que... Et tu le dis toi-même, on peut... probablement plus facilement se confier sur certaines choses à des inconnus qu'à des proches. Et on le voit quand, dans les premiers entretiens, il y a certaines des filles qui te confient des trucs super personnels sur leur histoire familiale, par exemple. Mais comment est-ce que toi, tu gardes cette... Enfin, comment est-ce que tu préserves cet équilibre entre une relation qui reste quand même une relation professionnelle, où elles sont le sujet de ton documentaire ? mais une relation qui se veut suffisamment personnelle aussi pour qu'elle puisse te raconter quelque chose d'intime. Par exemple, une question que je me pose, c'est comment est-ce que tu décides ce que tu t'autorises à filmer ou pas ? Est-ce que tu filmes tout constamment ? Ou est-ce qu'il y a des moments où tu te dis « Ouh là, là, ça a peut-être plus à faire à l'humain et au personnel, donc je vais couper ma caméra et l'arranger et continuer cette conversation sans. » Comment est-ce que tu gères cette personne tierce qui est la caméra dans une relation de confiance entre toi et une jeune adulte ?

  • Speaker #0

    C'est pas une relation professionnelle. que j'ai avec elle. Je ne l'ai jamais vue. Ce n'est pas comme ça qu'on peut le définir. Je ne sais pas comment on peut le définir, mais ce n'est pas ça. C'est une relation qui est personnelle. Il y avait transitionnel et transactionnel via la caméra, via le film, mais elle est personnelle et elle est évolutive aussi. Tu peux la perdre à tout moment, elle peut changer, mais c'est une relation qui est personnelle. En documentaire, tu tournes. Après, si la personne te demande d'arrêter la caméra, tu arrêtes la caméra, mais tu tournes. C'est au montage, en fait, ensuite, que tu vas faire des choix. Et tu vas faire des choix à postériori. C'est-à-dire que quelque chose qui va te sembler choquant, ou extrême, ou obscène. Sur le moment du tournage, les années avec l'épaisseur historique d'un tournage, j'ai de la relation à la personne, 4 ans plus tard ou 7 ans plus tard. Quand tu le vois à l'échelle de l'ensemble des rushs, tu te dis que c'était fondamental, c'était fondateur. Et il faut le garder parce que la personne l'a redit, ou parce que la personne l'assume après, ou parce que ça fait écho à quelque chose que la personne aura vécu 5 ans plus tard. Donc en fait, ces choix-là, finalement, ils se font surtout au moment du déruchage et du montage. Et du coup,

  • Speaker #1

    comment est-ce que tu choisis au moment de ce Ausha, comment est-ce que tu choisis ce qui doit être raconté et ce qui pourrait rester secondaire et qui ne figurera pas dans le film in fine ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est le montage. En fait, je ne sais pas exactement combien d'heures de rush on avait, mais on devait en avoir 300 pour faire un film de 90 minutes et quelques. Et donc, tu Ausha tout, tu transcris tout et puis pour... Tu fonctionnes, c'est une sorte de technique d'entonnoir. En fait, tu sélectionnes petit à petit les moments les plus importants. Et puis, tu te fais ce qu'on appelle des chutiers, des sélections de scènes de vie, de scènes de ce que tu veux, de l'actualité, des paysages. Tu te fais des dossiers, ce qu'on appelle des timelines avec différentes catégories de choses. Ça, c'est une première méthode. L'autre méthode aussi, c'est évidemment par personnage. C'est-à-dire qu'on fait une sélection des scènes et des séquences les plus importantes, entretien et séquences les plus importantes par personnage. Et ensuite, il faut tisser tout ça. Donc l'art de la combinatoire qu'est le montage, c'est dans ce cas précis, très délicat et ça a pris du temps, parce qu'il y avait non seulement un récit qui s'est assez rapidement imposé comme étant chronologique, comme devant être chronologique, et un récit chronologique qu'il fallait ensuite nourrir, donc il a fallu réinjecter dans la narration, dans le film, des archives, pour documenter en quelque sorte la chronique ultra contemporaine de l'histoire étatsunienne, respecter aussi leur propre chronologie à elle, et ensuite respecter en fait un équilibre. entre chaque personnage. Et donc, il y a toute sorte d'impératifs. C'est vraiment une sorte de Rubik's Cube. Et puis ensuite, l'équilibre avec ma voix off, où il ne faut pas qu'elle disparaisse trop longtemps, il faut qu'elle revienne, il ne faut pas qu'elle prenne le dessus. Donc, c'était un montage qui était très complexe. Donc, jusqu'au dernier moment, en fait, on a monté. Puis la musique aussi, la musique de Ausha Sasaki, elle a une importance assez marquée, en fait, dans le film. Il y a quand même aussi un devoir un peu pédagogique, c'est-à-dire qu'il faut aussi qu'un public étranger comprenne ce que c'est que cette université américaine, qu'on prenne ce qu'elles font aussi dans la vie, leur métier. Il y a des moments d'entretien qu'on utilise pour leurs valeurs informatives, d'autres pour leurs valeurs intimes, d'autres pour leurs valeurs émotionnelles.

  • Speaker #1

    En 10 ans, les filles ont grandi, ont fait leur vie. L'époque politique a beaucoup changé aussi. Quand tu as conçu l'idée de ce documentaire fait sur 10 ans, est-ce que toi tu t'attendais à ce que la politique politicienne prenne une telle place dans ce documentaire-là ?

  • Speaker #0

    En fait, quand je les ai rencontrées, elles étaient toutes, peut-être à part Anta, qui était plus... intellectuellement sur des sujets de théorie politique et d'histoire, mais pas forcément concrètement activistes. Mais sinon, elles étaient toutes militantes et vachement actives dans des groupes, dans des communautés. dans des communautés, y compris sur certaines actions. Evie, par exemple, elle avait même été en garde à vue sur une action contre des pipelines, des oléoducs et des gazoducs. Talia était ultra active sur les questions LGBT dans les communautés juives, sur les droits des femmes et LGBT. Et Laila était aussi très impliquée dans les luttes pour l'environnement, notamment. Moi, ce que je pensais, c'est qu'elles allaient, toutes les quatre, rester très, très, très, très militantes. très activistes dans leur domaine, dans leur communauté, ce qui n'a pas été finalement complètement le cas. Et ça, on pourra y revenir. Ce que l'on prévoyait de la trajectoire de la démocratie états-unienne qui allait vers l'effondrement et vers le fascisme, non, on ne l'avait pas trop prévu, en tout cas pas du tout dans ces proportions-là. En fait, quand on commence à tourner, c'est la fin du deuxième mandat d'Obama. Il y avait eu beaucoup d'attentes de leur part. Il y avait aussi beaucoup de déceptions quand même dans sa gestion de... des questions aussi de problématiques d'intégration, d'antiracisme aux États-Unis, dans sa politique étrangère. Donc il y avait plein plein de déceptions, mais disons que tout le monde pensait que Hillary Clinton allait être élue en 2016. Et donc ce ne fut pas le cas, et là effectivement quand Trump est élu, il y a déjà un effet de sidération. Et alors par exemple, elles ont été vachement actives pour faire du porte-à-porte, enfin en tout cas certaines, pour faire du porte-à-porte à la fin du mandat de Trump en faveur de Joe Biden. Donc... Il faut aussi dire que la plupart des protagonistes de ce film sont absolument contre ce système des deux parties, où en fait progressivement, et je pense que c'est le cas aussi en France, ont progressivement perdu espoir et confiance dans le système présidentiel pour les représenter. Elles n'ont pas perdu espoir et confiance dans le pouvoir de leur vote. Elles restent des citoyennes qui votent activement. Ça c'est intéressant. Vu leur couleur politique et leurs engagements, des équivalents en France auraient peut-être perdu foi dans le bulletin de vote. Elle s'est... pas du tout le cas, elles sont en mode, non mais on a tellement lutté pour avoir le droit de vote, moi je vote quoi, je vais jamais perdre une seule occasion de voter. Et en plus, il faut noter, ça c'est important, quand on vote pour les présidentielles aux Etats-Unis, on vote aussi pour plein d'autres choses, dans son état, pour le Sénat et tout, donc c'est vraiment un acte qui a un énorme impact. Donc oui, je pensais que via leur activisme, en fait, on allait rester branchés sur l'histoire politique états-unienne, je ne pensais pas que... ce film et cette décennie allait nous mener vers le fascisme et vers l'effondrement de la démocratie états-unienne. Ça, personne ne le prévoyait. Quand je commence à tourner, enfin en 2016, Laila elle me dit, c'était très mignon parce que je suis assez naïf, mais évidemment on comprend ce qu'elle voulait dire, j'arrive même pas à comprendre que le activisme est une chose, qu'on soit qualifié d'activiste quand on lutte pour le climat, quand on lutte pour les personnes en situation de handicap, quand on lutte pour l'accès aux droits à l'avortement. En fait, ça devrait être... ça devrait être un donné en fait. Et donc, ils disaient, mais pourquoi est-ce qu'on est réduit, on est labelled, on est catégorisé, minoré en tant que militante, alors juste qu'on lutte pour le bien commun, en fait. Elle me disait, elle avait 19 ans, l'histoire a montré que non seulement c'est une catégorie d'être militante, mais maintenant c'est devenu dangereux, en fait. C'est-à-dire que quand on puisse, même sur le campus, il devrait être pourtant des sanctuaires. à Barnard et à Columbia quand on lutte pour ces idées-là, quand on lutte pour un cessez-le-feu à Gaza, quand on lutte pour les droits LGBT, etc., en fait, ou quand on lutte pour que Columbia et Barnard, que leur système financier, en fait, ne repose plus sur l'investissement dans les industries fossiles, ben, en fait, c'est devenu dangereux, en fait, ce n'est plus possible aujourd'hui. Alors même que c'était des havres de liberté de pensée, de freedom of expression, de liberté de parole, etc., et maintenant, c'est plus le cas, elles ont anti... les universités malheureusement au niveau administratif et policier sur cette dynamique là, avant le mandat de Trump. Et maintenant que Trump est élu, les universités très prestigieuses de la côte Est qui étaient censées être des hauts lieux du progressisme sont en train d'être définancées, d'être menacées avec par exemple Columbia qui est en train de perdre 400 millions de dollars d'aides fédérales parce que sous prétexte que l'antisémitisme n'était pas assez combattu sur son territoire et tout ça par des néo nazis. Enfin, je veux dire, ça manque quand même pas de... Voilà. Donc on est dans cette situation-là. Et effectivement, le retour des filles face au film quand elles l'ont découvert il y a quelque temps, était la profonde tristesse de voir que ce qu'elles pouvaient faire et les idées pour lesquelles elles mutaient en 2015, 2016, 2017 sur le campus, non seulement il y a eu une forme de défaite, mais qu'en plus, au niveau du campus même, cette liberté-là n'existe plus. En fait, elles pourraient finir emprisonnées. en fait aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier épisode de ce podcast que j'ai fait, je l'ai fait avec une de mes meilleures amies avec qui j'ai beaucoup milité l'année dernière sur le campus. Cette notion un peu schizophrénique de te dire je suis dans un établissement universitaire qui doit me permettre de changer le monde et je participe à...

  • Speaker #0

    L'oppression. L'oppression.

  • Speaker #1

    à l'oppression en fait en étant là et d'un autre côté je vais en manif pour lutter contre les politiques élitistes contre cette idée de méritocratie contre la violence coloniale en continuant de payer mes frais d'inscription d'une école extrêmement cher qui va

  • Speaker #0

    pas du tout dans le sens de ces discours là ouais c'était une situation d'un aussi de dissonance presque cognitive en tout cas politique tout était très consciente de ça après Les situations étaient divergentes selon leur situation de rendettement, de bourse, etc. C'est-à-dire que quand on s'endette à vie pour payer ses études, comme c'est le cas d'une majorité d'Américains, ça crée des situations absolument tragiques. Et ça crée des situations d'inféodation au système capitaliste. C'est très très grave, mais c'est majoritaire aux États-Unis. Donc c'est juste un système capitaliste et les universités en font activement partie. Dans le cas d'Antha et Layla, à Barnard, quand elles étaient à Barnard, elles avaient des bourses intégrales. Donc elles étaient là, moi je suis. payée pour apporter de la diversité, pour représenter de la diversité sur le campus. Donc je vais utiliser absolument toutes les ressources possibles pour lutter contre. Je pense qu'elles avaient une approche non pas cynique, mais pragmatique aussi. C'est-à-dire qu'une fois qu'elles sont là, parce qu'elles avaient désiré être là, mais parce qu'elles avaient choisi Barnard, elles avaient les notes pour aller dans d'autres universités aussi prestigieuses et aussi sélectives, mais elles avaient vraiment choisi Barnard parce que c'était une université féministe, de femmes, gender expansive. et féministe, et elle voulait s'emparer de tous les outils qui étaient à leur portée pour faire porter leur voix dans le monde pendant ce temps-là et après. Mais Layla, ensuite, a repris des études, et là, pour le coup, elle a dû souscrire à un pré-étudiant, et ça, là, c'est une chaîne à son pied, en fait, réellement. Voilà, dans le cas de Danta, elle, elle est partie de rien, en fait, elle avait rien, elle a jamais rien eu, elle a pas de ressources, pas de famille, même pas d'archives de son enfance, elle a rien du tout. Donc elle est dans une situation de déracinement, mais qui lui donne aussi une grande liberté de ton. Elle a de compte à rendre absolument à personne. Dans le cas de Thalia, c'est différent parce qu'elle est journaliste et pour le coup, elle a un devoir de réserve, qui est particulier pour elle, et vit son boulot. Son boulot, c'est de parler très très fort. Son boulot, c'est de dénoncer les injustices, notamment environnementales et de pollution industrielle à Dallas. Donc ça fait vraiment partie de son boulot. Mais oui, c'est hautement paradoxal. Et c'est le grand paradoxe des universités américaines, qui sont des hauts lieux d'invention du progressisme, pour le monde entier, et qui en même temps sont des lieux de capitalisme forçonné.

  • Speaker #1

    Il y a une phrase qu'a prononcée Thalia dans le film. C'est ce moment où elle dit, si je pouvais dire quelque chose à la moi d'il y a dix ans, c'est de ne pas rester dans les endroits où on n'a pas envie de toi. te veux pas là. Et c'est intéressant parce que je trouve que quand on entend cette phrase, on peut l'apercevoir. C'est un peu presque comme une forme de renoncement qui va à l'encontre de toute idée préconçue qu'on a du militantisme, qui est de se dire que si on arrête de lutter, on laisse les autres gagner. Mais d'un autre côté, je trouve qu'il y a une forme de sagesse qui est très belle et qu'on trouve un peu aussi, c'est pas Anta qui dit cette phrase, mais je trouve que le parcours de Anta représente un peu ça aussi. Où au tout début du film, elle dit, je me verrai pas partir des Etats-Unis, peut-être aller en France un très court temps, mais je ne me verrai pas partir parce que j'ai l'impression que je suis obligée de rester ici et que je dois à ce pays de faire en sorte que sa situation s'améliore vis-à-vis du vécu des personnes racisées notamment. Et en fait on voit qu'elle n'a jamais abandonné cette lutte mais qu'elle la mène depuis la France dans un contexte qui est davantage favorable à sa... à la préservation de sa personne, à la préservation de sa santé mentale. Et je l'ai trouvé que c'était intéressant de montrer ça.

  • Speaker #0

    C'est très beau ce moment où Thalia exprime ça. C'est tellement juste. Elle cherche ses mots et puis elle trouve cette formule là. Et ça lui coûte de l'admettre. Ça lui coûte. Et c'est d'une grande vérité. Là, ce que tu évoques, c'est la question de l'usure militante aussi. c'est qu'au bout d'un moment, on s'épuise et on s'oublie. Et je pense que quand on veut changer le monde, on doit aussi, au bout d'un moment, se préserver. On ne peut pas, pour sauver le mât, sacrifier la quille du bateau. Donc le film accompagne ce mouvement-là, c'est-à-dire ce mouvement de self-care. Et donc le self-care, ce n'est pas un repli sur soi, c'est juste que se préoccuper de soi et de comment perdurer dans ce monde-là et de protéger sa santé mentale peut faire partie d'un geste politique, en tout cas d'un souci collectif. Est-ce qu'il y avait été théorisé Bell Hooks ? Il y a des textes fondateurs et Audrey Lord aussi là-dessus. Et de fait, c'est surtout la trajectoire d'Anta qui est celle-là. C'est-à-dire qu'elle a tellement un bagage traumatique et de déracinement que... Son enjeu, à elle, c'est de se reconstituer, de réparer, et ça prend dessus en fait sur certaines luttes collectives, clairement. Mais pour moi, et c'est comme ça que je le filme, c'est comme ça que je le raconte dans le film, en fait ça a une valeur collective. Enfin, de la voir elle, faisant ça, essayant de reconstituer un arbre généalogique, essayant d'appeler quand même, d'obtenir justice avec la police new-yorkaise, etc. Pour moi, en tout cas, je veux que le film dise combien c'est courageux, et ce courage-là, en fait, on a beaucoup de choses à apprendre de lui. Mais en tout cas, voilà, ce que dit Talia, c'est effectivement qu'il y a un moment, en fait, il ne faut pas s'acharner dans une communauté qui vous rejette, et en fait, utiliser ses forces et ses énergies et son savoir dans des cercles qui peuvent, qui quand même ont des capacités de transformation.

  • Speaker #1

    Et une question que je me posais aussi sur l'histoire de Thalia tout particulièrement, le film aborde à un moment, enfin tout au long du film en fait, son rapport à la religion, qui est un rapport très intime, là encore on est au cœur de l'intimité. Moi je me posais la question de la sensibilité que c'est que de traiter d'un rapport aussi intime que le rapport religieux, surtout quand c'est le rapport religieux entretenu par une femme. On sait que raconter l'expérience religieuse d'une femme dans l'espace médiatique actuel, ça... peut être soumis à une volonté de récupération politique par certaines personnes. Est-ce que, toi, c'est des questions que tu t'es posées ?

  • Speaker #0

    Je crois que quand tu es une femme, tout ce que tu dis, tous les pans de ton identité peuvent être de toute façon récupérés de manière hostile et détournée. Il y a une réalité. La proportion de personnes qui se disent croyantes et pratiquantes, statistiquement, aux États-Unis, elle est énorme. Donc, en fait, le fait religieux aux États-Unis, il est prédominant. Ça, c'est énorme. première constatation. L'autre constatation, je ne me souviens plus des chiffres, mais le fait religieux, il est dominant dans le monde entier. C'est-à-dire qu'il y a plus de gens croyants. Je ne dirais pas forcément pratiquants, je ne sais plus. Encore une fois, il faut vérifier les chiffres, mais la proportion de gens croyants dans le monde est beaucoup plus grande que les gens qui se disent agnostiques ou non religieux, etc. Donc les affiliations religieuses et confessionnelles, en fait, elles sont très très présentes dans l'humanité encore aujourd'hui. Et c'est quelque chose qui surprend. Donc en fait, les regards... disons ouest européen et français en fait sur les réalités disons religieuses des protagonistes du film, les gens étaient très perturbés. Comment elles peuvent allier en fait féminisme et religion, c'est forcément antagoniste, c'est forcément en conflit etc. Et moi ça m'intéressait vachement d'aller à cet endroit là précisément. C'est un défi supplémentaire. Comment en fait tu... non seulement tu agis dans ce cercle-là, mais aussi tu fais de la religion un outil, un périmètre dans lequel tu agis de manière féministe. Donc, tu allais le dire très bien au début, c'est que je suis juive, orthodoxe, pratiquante, ça fait partie de mon identité, je ne vais pas quitter cette identité-là, sous prétexte qu'il s'avère qu'elle le fait plus ou moins après dans sa vie, mais que ça fait partie de... son appartenance au monde en fait se définit comme ça. J'ai eu des questions assez toxiques pour être par exemple dans une autre dans une commission, dans une audition, on m'a demandé comment en fait une jeune américaine féministe pouvait décider de se marier avec un homme iranien. Donc si tu veux les raccourcis un peu rapide sur les nationalités, les religions etc sont très facilement faits enfin partout dans le monde c'est certain, mais donc il n'y a pas de voilà il n'y a pas de bonne féministe nécessairement, il n'y a pas de... Voilà. Enfin bref, j'essaie justement dans le film de déconstruire en fait ce qui pourrait... Enfin, à valeur, face value pourrait sembler être en contradiction et en fait qui le sont pas. C'est ces endroits-là de friction qui m'intéressent. Après Thalia, son outil, son enjeu, c'est justement de travailler sur le l'interfaith, sur l'interreligieux en fait. Et c'est là où elle est brillante, opérante et courageuse.

  • Speaker #1

    10 ans en arrière, quels conseils tu te serais donné dans la réalisation de ce documentaire ? Pour ne pas parler que du passé, mais parler aussi du futur. Je ne vais pas te demander où est-ce que tu te vois dans 10 ans, parce que ce n'est pas un entretien d'embauche, mais de quoi seront faites tes 10 prochaines années ?

  • Speaker #0

    Tu sais, c'est la question que je leur pose. Qu'est-ce que tu dirais à ton self, ton moi d'il y a 10 ans ? Et je t'avoue que je ne me suis même pas posé la question. En revanche, de faire une sorte de bilan. en fait de m'adresser quelque chose à moi-même aujourd'hui et à placer dans l'épilogue du film ça a été un vrai sujet en fait ça a été un peu demandé mais genre il faut que tu... you have to wrap up, you have to wrap up by the girls, you have to wrap up by your daughter, you have to wrap up by yourself et franchement ça c'était pas aller être naïf ou... comment faire ça en fait sincèrement comment faire ça et puis je sais pas trop en fait en revanche m'adresser à mon moi d'il y a dix ans je pense que ce que je... ce que... L'injonction que je me serais donnée, c'est de me faire confiance, de me faire confiance et de m'écouter, et de me respecter, de m'aimer dans ce que je traversais, dans ce que je voulais, désirais. et que je n'osais pas encore assez, en fait. Je n'osais pas encore assez, je pense que c'est ça que je peux dire. Et après, j'avais aussi, je crois, beaucoup de courage déjà et beaucoup de confiance dans mon agentivité en me lançant dans ce film. Donc le film est finalement le résultat de beaucoup, beaucoup de pugnacité, d'endurance, de résilience et ça, on peut le... Enfin voilà, je le célèbre, je suis fière de ça. Et voilà, I own it. Donc ça, c'est une chose. Et de fait, souvent. tant que femme on n'arrive pas à se célébrer assez, donc il faut le faire. Et après, on a un pacte, donc il faut qu'on renégocie notre pacte, donc il faut qu'on voit comment je retourne avec elle, qu'est-ce qu'on va faire, sachant que le chapitre qui s'ouvre pour elle est quand même potentiellement celui de la parentalité. Et de mon côté, je ne sais pas, c'est quoi, c'est au programme Adolescence de ma fille et Ménopause, je ne sais pas, on va voir.

  • Speaker #1

    pas très importante de la vie.

  • Speaker #0

    Absolument. Voilà, je dois laisser un tout petit peu se déposer la réception du film-là, absorber, recueillir tout ce qui se dit, tout ce qui se ressent avec ce film, y compris en moi. Et ça me laissera ensuite... Je crée les conditions pour penser la suite. Il va falloir que je décide dans les prochains mois. Mais on verra. Et avec les filles aussi, évidemment. C'est une décision collective et collégiale.

  • Speaker #2

    Si ce podcast a su éveiller votre curiosité, d'abord sur le vécu de ses protagonistes, ensuite sur le rapport tout particulier, à la fois politique et intimiste, qui l'entretient avec les images, vous pouvez le retrouver gratuitement sur la plateforme de streaming d'Arte en cherchant Girls for Tomorrow. Et je suis même pas payée pour vous dire ça. Maintenant, moi je vous laisse, je vais cultiver la sororité essentielle à mon bien-être en allant retrouver une de mes amies. A bientôt !

Description

En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un besoin profond de sororité. C’est alors qu’elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement réservée aux femmes. Elle y rencontre quatre étudiantes : Evy, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi — et la promesse — que leur fait Nora : filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années.

Nous sommes en 2025, et ce documentaire vient de sortir sur Arte. Il s’appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s’en est passé des choses, qui ont chacune bousculé la vie de ces protagonistes, ainsi que notre paysage politique tout entier : il y a eu des surprises qui nous ont sidérés, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérés quand même, comme sa réélection.

Après avoir vu le film réalisé par Nora, j’avais plein de questions à lui poser, tant sur son travail documentaire (parce qu’il n’est pas évident de filmer et de monter dix ans de vie privée de cinq femmes) que sur l’aspect politique de ces images.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il y a tellement de travail qui doit être fait.

  • Speaker #1

    Tu n'aimes pas le sexisme,

  • Speaker #0

    alors pourquoi ne pas être une femme ? Ça ne marche pas pour moi, c'est qui je suis.

  • Speaker #1

    Quelle génération nous a fait avoir à se dérouler de ça ?

  • Speaker #0

    Ils nous disent que ça s'est passé parce que nous sommes clairs. Je me suis mis à beaucoup d'anxiété en ne pas savoir ce que la Terre va ressembler dans 20 ans.

  • Speaker #2

    En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un profond besoin de sororité. C'est alors qu'elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement féminine. Elle y rencontre quatre étudiantes, Evie, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi et la promesse que leur fait Nora, filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années. Nous sommes aujourd'hui en 2025 et ce documentaire vient de sortir sur Arte et s'appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s'en est passé des choses qui ont chacune bousculé la vie de ses protagonistes et tout notre paysage politique. Il y a eu des surprises qui nous ont sidérées, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérées quand même aussi, comme la réélection de Trump. Après avoir vu le film réalisé par Nora, j'avais plein de questions à lui poser. Tant sur son travail documentaire, parce qu'il n'est pas évident de filmer et de monter dix ans de la vie privée de cinq femmes, que sur l'aspect politique de ces images. J'ai eu l'opportunité de les lui poser pendant un appel le lendemain de l'avant-première de son film à Bruxelles et je vous laisse avec cette conversation.

  • Speaker #1

    Le premier point que je voulais aborder avec toi, c'était celui de la réalisation du film. En 2015, tu prends ta caméra, tu vas rencontrer des jeunes adultes que tu ne connaissais pas et tu dis que tu vas suivre leur vie pendant 10 ans. Du coup, en partant du postulat que ton histoire, elle va suivre ce qui se passe dans la vie de ces jeunes filles et ce qu'elles s'autorisent à te raconter, comment est-ce qu'on fait pour écrire un film autour de tant de flous ? parce qu'en fait, il y a dix ans, tu ne pouvais avoir aucune idée de ce qu'allait être le film aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas un projet effrayant à porter ? Est-ce que ce n'est pas un projet qui paraît si peu concret et si étendu dans le temps qu'il serait trop difficile à concevoir ?

  • Speaker #0

    Souvent, on fait des films pour essayer de tout comprendre pourquoi on les fait. Et c'est pour ça que j'aime le documentaire. Quand on fait du documentaire et qu'on filme le réel, on est à la recherche de quelque chose qui est à la fois à l'extérieur de soi et à l'intérieur de soi. On cherche quelque chose dans le réel. Et... et la raison en soi, pourquoi on va chercher ça dans le réel. Voilà, c'est ces deux mouvements, en fait. Et de toute façon, intrinsèquement, quand on se lance dans un documentaire, en fait, on est en quête. Donc après, c'est sûr que là, c'était un peu maximaliste, la situation dans laquelle j'étais, c'est-à-dire qu'il y avait un geste, il y avait un désir, il y avait une quête, mais effectivement, il n'y avait pas encore vraiment d'objet. Ceci dit, on est en 2015, je suis à New York, je cherche des idées, des solutions, des modèles, des sources d'inspiration féministes. pour répondre aux troubles, au trouble ou l'état quasiment dépressif dans lequel je suis, dans un postpartum un peu compliqué, dans un moment compliqué de ma vie. Et je trouve effectivement, chez ces étudiantes de Barnard College, qui est une université pour femmes et féministes très identifiée à New York, je trouve très rapidement un espace d'intelligence, d'intelligence collective, d'intelligence féministe, et de partage et de sororité, mais c'est très rapide. Et ce qui est fascinant, Ce qui me fascine moins en tant que française, c'est que ce genre d'espace, sincèrement, je n'en avais jamais rencontré en France. Mais jamais. Mais jamais. Jamais. Donc je suis saisie, en fait. Je suis saisie par ça. Et quand on est saisi à ce point-là, quand il y a à la fois, donc j'y reviens à cette dualité dont je parlais, cette rencontre avec un réel étonnant, en fait, et par ailleurs cette rencontre avec un besoin qui est nouveau en soi, mais qui semble être, enfin, trouver en quelque sorte une réponse dans ce réel-là, c'est fou, en fait. c'est dingue ! Donc c'est une sorte de conflagration comme ça très heureuse. Donc en fait le désir de ce film-là, il est né à ce moment-là dans cette rencontre, c'est-à-dire en contre. Et après le désir de travailler sur dix années et très vite je leur ai proposé de s'inscrire dans un temps très long. En fait c'est lié à deux choses très simples je crois et très universelles. C'est à la fois en fait le désir, c'est un pari et c'est une promesse. Et c'est le désir d'essayer de comprendre, de se mettre dans l'esprit, de se dire qu'est-ce qu'on va devenir. Qu'est-ce qu'on va faire de nos vies ? En tant que femme, on veut les écrire, on veut être maîtresse de nos destins. On se forme pour, on s'éduque politiquement pour, on est là pour décider, on sait combien c'est difficile, et on se lance ce défi-là pour y répondre, en fait. C'est-à-dire avec la caméra, avec l'aide de la caméra, grâce à la caméra, parfois contre la caméra, mais en tout cas, toujours en cheminement avec la caméra, on va essayer de décrire nos destins. Ça, c'est une chose. L'autre chose, c'est que j'étais face à des... Toute jeune femme de 18, 19, 20 ans qui avait une claire conscience non pas de leur propre futur nécessairement, mais des futurs de la planète, 2 sur 4 dans le film, faisait des étudiants en sciences environnementales. Donc elles avaient une conscience très aiguë en réalité de ce que pouvaient nous réserver des... des futurs planétaires et souvent des futurs plutôt dystopiques, plutôt difficiles. Mais en tout cas, elles étaient déjà à l'œuvre sur la pensée, sur comment agir aujourd'hui pour faire en sorte que nos futurs soient vivables. Puis après, en cinéma, c'est peut-être la troisième réponse que je peux te donner, c'est que le cinéma, c'est juste fabuleux de voir des personnes grandir, vieillir, évoluer. C'est beau, quoi. C'est un tel mystère, la vie. On ne sait jamais ce que ça va nous réserver. Donc, de se dire qu'un film va l'accompagner, il y a quelque chose de beau, et... qui ne permet pas d'avoir plus de contrôle du tout. Faire un film sur la vie, c'est aussi vertigineux que la vie, mais c'est sûr que ça m'a nourrie et guidée ces dix dernières années.

  • Speaker #1

    Je trouve ça intéressant la façon dont tu as commencé, en parlant d'un état dépressif auquel tu avais besoin d'apporter une réponse presque politique. Le besoin de te retrouver dans la sororité, dans le féminisme, le fait que cet état de santé mentale, tu y aies trouvé une réponse. par un acte politique, en fait, qui est celui de filmer la sororité.

  • Speaker #0

    Alors ça, parlons-en, en fait, de cet élan, enfin de ce besoin, de cet élan d'être dans le collectif. En fait, moi, je n'ai pas grandi dans un environnement qui était hyper militant, qui était sensibilisé politiquement, conscientisé, oui, mais pas militant et pas vraiment, enfin, pas ouvertement, concrètement, explicitement féministe. Et surtout, j'ai grandi... avec plein de privilèges. Donc moi, je ne me suis pas retrouvée dans ma vie confrontée à des questions, à des problématiques de race. J'ai tout le temps été ramenée à mon genre. J'ai vécu tous les jours des microagressions sur mon genre, mais c'était complètement intégré. Et je n'ai jamais fait face à des traumas liés à mon genre. Et je n'ai jamais été confrontée non plus à des problématiques liées à ma classe sociale, à mon éducation, à ma nationalité, à des... quelconque handicap. Donc moi j'arrive en fait à la maternité, au moment de la maternité, dans une situation de privilège. Donc avec un vrai bagage pour le coup féministe intellectuel, mais sans avoir jamais éprouvé en fait une sorte de minération véritable. Et là en fait, et c'est là où il y a pour moi une sorte de disjonction cognitive et quelque chose qui est très inattendue et qui me prend de court, c'est que tout d'un coup la maternité que j'avais projetée comme étant, dans mon cas elle était désirée, que j'avais projetée comme un état de quelque sorte d'empuissancement, de d'épiphanie, de floraison, en fait, était un moment de dépossession. J'avais l'impression d'être dépossédée de ma capacité d'agir, à cause de la fatigue, à cause de ce que ça implique de responsabilité, de manque de liberté, de temps, de manque de sommeil, etc. Et c'est dans cette situation, mais comme beaucoup j'imagine, qu'il y a eu, je pense, un éveil, qu'on va dire, disons politique ou en tout cas féministe, clairement.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a un moment dans le film où tu poses la question à une des filles, où tu lui demandes est-ce que tu te verrais avoir un enfant dans le monde tel qu'il est fait aujourd'hui ? Donc la question de la crainte de la maternité. Et en fait, c'est une crainte politique de la maternité à laquelle moi je me pose beaucoup la question. Bon, je n'envisage pas d'avoir des enfants tout de suite, j'ai que 22 ans. C'est pas tant une crainte vis-à-vis de l'environnement politique qui m'entoure et le fait de se dire est-ce que j'ai envie de mettre au monde un enfant dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, c'est peut-être une crainte aussi un peu égoïste de me dire est-ce que j'ai envie d'avoir un enfant dans la société patriarcale telle qu'elle est, avec tout ce que ça implique, avec la charge mentale que ça va mettre sur le dos, la pression que ça va provoquer chez moi, le sentiment d'être toujours, d'être jamais assez mère, de jamais être... assez une bonne mère. Et en fait, la façon dont toi, tu te présentes la maternité dans le film, je trouve, va un peu au contre-courant de toutes ces inquiétudes-là. Ou en tout cas, dans la façon dont tu parles de ta maternité, je trouve que c'est jamais présenté comme, justement, quelque chose qui peut t'enfermer dans ces attentes liées au genre. Je trouve qu'au contraire, même la façon dont tu parles du fait... Il y a une phrase que tu dis que je trouve très belle, où tu dis... élever ma fille ou plutôt qu'elle m'élève. Je trouve que du coup c'est un discours qui va parfois même à l'encontre du discours qu'on peut avoir qui est celui de dire que la maternité c'est enfermant, c'est un poids, etc. Et je trouve que c'est aussi la façon dont tu parles de l'éducation que tu veux donner à ta fille sur des enjeux politiques. Il y a un moment où tu fais une espèce d'énumération de cause à laquelle tu veux sensibiliser ton... Ta fille, et je trouve que c'est voir un peu la maternité comme une partie du combat féministe, plutôt que comme son antagonisme.

  • Speaker #0

    Le film part d'un sentiment, pas d'échec, mais pour le coup de dissonance quand même. Et après, effectivement, c'est tout le parcours du film, de repolitiser la maternité et de penser conjointement au protagoniste du film à des moyens aussi d'utiliser la maternité. La maternité aussi est comme une situation dans laquelle je peux concevoir aussi une éducation féministe pour ma fille. Donc ça devient un outil émancipateur, enfin pas un outil, le terme n'est pas correct, mais un véhicule d'émancipation. Mais je voulais revenir, je pense que c'est différent aujourd'hui, mais il y a dix ans, sincèrement, y compris sur les réseaux, ça manquait vraiment de discours de vérité sur la maternité. Et je pense que... Encore une fois, il faut faire preuve d'une infinie nuance face à la pluralité des situations des femmes. Encore une fois, on n'est vraiment pas égale face à la maternité, face à la parentalité, du tout. Ce n'est pas du tout la même chose d'être une femme blanche en bonne santé, qui a des ressources financières. qui a accès à un environnement affectif stable, etc. D'avoir un enfant que d'être une femme racisée et non valide en France, que d'être une femme qui n'a pas accès à la contraception dans un autre pays, ou à l'avortement, etc. Il faut toujours vraiment nuancer. Je pense que c'est important de dire que oui, même dans des conditions très privilégiées, être parent, et surtout pour une femme, c'est un frein à beaucoup de choses dans la société d'aujourd'hui. C'est une réalité en fait. Donc après, il y a plein de manœuvres et de tactiques. ont tourné ça, y compris en se disant bon, du coup, je vais complètement réapproprier ma maternité, du coup, je ne vais être que ça pendant quelques années, etc. Il y a toutes sortes de tactiques. C'est compliqué, en fait. Potentiellement très contradictoire, en fait, avec sa propre liberté, sa carrière professionnelle, etc. Donc, c'est une réalité, je l'ai vécue. Je veux dire, je n'ai pas pu tourner, je n'ai pas pu faire plein de... Voilà, c'est... Et ma carrière a été affectée, etc. Là où, de toute façon, pour moi, l'enjeu, c'était de... encore une fois, de retourner la situation et d'en faire une situation d'apprentissage et pour moi et pour ma fille. Et donc de lui léguer et de lui transmettre tout ce que j'apprenais ce faisant. Et là aussi, le film a été l'outil pour que je me conscientise davantage et pour que je conscientise aussi ma fille, peut-être pas à la problématique du tectofascisme ou de la fin de la biodiversité quand elle avait 13 mois. Mais voilà, en tout cas... Comme ça, le moteur du film, c'est clairement qu'est-ce que c'est aussi que donner une éducation féministe à son enfant, en fait. Clairement, c'est ça. Enfin, c'est dix années de comment je construis ça, sans l'idéologiser non plus, mais en tout cas, lui donner à elle aussi ses outils d'émancipation.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, cette éducation féministe, concrètement, tu l'articules comment aujourd'hui avec ta fille ? Enfin, le fait d'élever un enfant, je trouve ça fou. Enfin, le fait de... C'est peut-être bête, là, le statement que je fais, mais je me dis, tu peux avoir un impact. telle sur... Bien sûr, c'est une personne qui se construit, qui prendra son chemin de vie et qui a une matrice de pensée totalement indépendante, mais tu peux avoir un tel impact sur la vie d'une personne qui se construit, que du coup, je me demande concrètement quelle promesse, toi, tu t'es faite dans l'éducation féministe que tu veux donner à ta fille ?

  • Speaker #0

    Je vais te répondre, je fais un tout petit détour. En fait, je repensais à ta question d'avant et sur la question aussi des futurs. De fait, quand tu mets un enfant au monde, Tu as une telle responsabilité que cette responsabilité a un côté holistique. Donc en fait, tu te dois, en tout cas moi je le vivais comme me devant d'essayer d'aménager un monde qui soit vivable. C'était au-delà d'elle, au-delà de moi, c'est vraiment comment œuvrer maintenant à ce que ce monde ne soit pas complètement hostile. Et aussi, c'était clairement une question que les filles se posaient et que je posais aux filles aussi. Est-ce que vous vous projetez assez dans le futur pour vouloir mettre au monde un enfant, une enfant dans ce monde-là ? Et leur réponse était très disparate, très hétérogène par rapport à ça. Et de fait, elles appartiennent à une génération où la préoccupation environnementale prend beaucoup de place et du coup vient en collusion avec le potentiel désir d'enfant. Dans la situation, mais j'abonde dans ton sens, éduquer un enfant, c'est effectivement lui inculquer des idées, des valeurs, et pour le pire comme pour le meilleur, c'est évident. Et alors, juste une chose, on parle d'idées et de valeurs, mais en fait, c'est la vie, c'est la manière dont... Toi tu vis en tant que parent qui va avoir une influence immense en fait sur ton enfant. Donc c'est pas seulement en fait ce que tu vas nuire, les mots, les livres, c'est vraiment en fait comment tu vis. En fait ton enfant va voir comment tu vis, les décisions que tu prends, la manière dont tu te comportes, la manière dont tu analyses le monde autour de toi, enfin voilà, et tes choix et les gens dont tu t'entoures. Donc il y a ça qui est effectivement fondamental, qui a un impact énorme. Et effectivement après il y a l'école et la société, elle se lie à travers l'école et ça t'a pas de problème. Il faut trop pouvoir là-dessus avec ton enfant. Dans le cas de ma fille, je crois qu'elle a vu que quand ça n'allait pas dans une relation amoureuse, par exemple, j'y mettais un terme, que j'avais le courage de partir. Elle a vu aussi que je priorisais souvent mon travail ou la création, et toujours en expliquant pourquoi et en y mettant les mots. Et puis par ailleurs, très très tôt, je lui ai aussi donné les outils pour qu'elle puisse analyser des situations, notamment de friction, de tension ou de discrimination. dans son entourage. Donc, et pas vraiment, vraiment pas seulement sur les questions de genre, les questions de race, les questions de classe sociale, les questions de de rapport de pouvoir. Donc elle a l'œil en fait maintenant, elle a 10 ans et ça, pour le coup, c'est effectivement une fierté. C'est super. pour elle et pour la société. Elle s'est très bien analysée une situation où une personne va être discriminée à cause de sa couleur de peau ou que les garçons vont prendre la main ou l'espace. Elle se plaint toujours, elle avait fait une manif en grande section de maternelle parce que les garçons en fait avec leur jeu de ballon prenaient beaucoup trop d'espace dans la cour de récréation et donc elle l'avait observée et elle avait dit que ça n'allait pas du tout. Là elle revient d'un week-end crampé, scout laïque écolo et les garçons faisaient des blagues déjà à 8-11 ans à caractère sexuel sur des activités c'était extrêmement. pénible en fait et elle l'a signalé parce que ça n'allait pas. Donc voilà, elle sait. Au centre aéré, quand il y a une petite fille noire qui n'a pas d'amis et que les moniteurs disent que c'est parce qu'elle n'est pas très liante, bah non, elle va trouver les gens et elle dit bah non ça va pas, Maïmonata reste dans son coin parce que c'est pas parce qu'elle n'est pas liante. Donc elle est conscientisée et c'est super. Et je trouve ça complètement faux de dire « Ah, mais elle est conscienticienne, donc elle voit le mal dans le monde. » Pas du tout, en fait. Ça lui donne aussi des armes pour lutter. Elle fonctionne, quoi. Ouais, ouais. Et elle le fait aussi avec beaucoup d'humour.

  • Speaker #1

    Et elle en a pensé quoi du film, alors ?

  • Speaker #0

    En fait, je n'ai pas pu entièrement débriefer. En fait, elle était hyper fière. C'est très, très touchant. Elle était hyper fière de moi et hyper fière d'elle-même, en fait, de ton film.

  • Speaker #1

    Oui, tu me déconnes. Ça doit être très impressionnant.

  • Speaker #0

    Ouais, elle était hyper touchée. Et elle était hyper touchée de te voir... bébé, grandissant et tout. Et c'est vrai que je crois que pour une petite fille, c'est assez fort de voir un film sur grand écran qui lui est adressé. Donc, donc, ouais, ouais, ouais, grande, grande fierté. Et puis après, en fait, il y avait plein, plein de trucs. J'avais montré déjà des séquences, mais plein de choses qui n'étaient pas hyper claires. Enfin, même George Floyd, MeToo, elle est petite. Donc, il y a des choses qu'elle n'a pas vécues directement. Donc là, il faut qu'on fasse un gros débrief sur certaines séquences. Et les filles, elles les avaient pour la plupart déjà rencontrées. Donc. Donc ça, il y avait un effet de familiarité. Déjà, une forme d'effet de sororité.

  • Speaker #1

    Et je me posais une question. Pendant l'avant-première, on a pu te poser des petites questions. Et il y a un moment où tu as dit que, puisque les filles avaient donné beaucoup au film, il te paraissait évident de donner aussi toi un petit peu, ce que tu n'es pas nécessairement habituée de faire. Là, tu as évoqué des sujets comme ton rapport à la maternité ou aussi une séparation qui a eu lieu dans ta vie. C'est aussi... Oui. C'est un petit peu se mettre à nu que de passer de l'autre côté de la caméra. Est-ce que c'était impressionnant pour toi de partager ça à un public d'inconnu en soi ? Parce que je me suis fait la réflexion quand on était dans la salle, de me dire, waouh, tu partages des moments, merci de le faire, mais tu partages des moments de ta vie à plein de gens que tu connais pas. Est-ce que toi, c'est quelque chose que tu étais réticente à faire, puisque tu ne l'avais jamais fait avant ? À quel point est-ce que ça te paraissait nécessaire ? Et comment tu le vis aujourd'hui de savoir que tu donnes un peu de toi aussi au public ?

  • Speaker #0

    Tu sais, je crois que c'est... plus difficile de partager ses parts de soi des gens que tu connais mais que tu connais uniquement professionnellement ou même des proches mais qui peuvent être potentiellement hostile qu'à des gens que tu connais pas en fait genre tu connais pas finalement c'est assez abstrait en fait quoi là aussi quand tu as moi j'ai vécu la maternité comme un c'est comme une sorte de devoir et un devoir de vérité et puis et puis tu fais un enfant t'oblige à être dans toujours dans la franchise enfin tu tu dois être dans le vrai en fait, quand tu éduques une enfant, t'es obligé. Et puis de toute façon aussi, t'es dans le physique, t'as les mains dans le caca, t'es confronté à plein de réalités et de vérités que tu peux pas trop t'esquiver. Et donc je pense qu'en tout cas, dans le cadre, il y a plusieurs niveaux de réponse là-dessus, mais dans le cadre d'un film que j'adresse à ma fille aussi, il y a vraiment un devoir de franchise et de vérité. Après, clairement, il y avait un besoin éthique de symétrie entre ce que les films avaient donné qui était... enfin bouleversant, intime, douloureux, parfois traumatique, et effectivement ce que moi, de moi, je mettais dans le film. Voilà, à un moment ça s'est imposé, pas du tout prévu, et en fait je me suis rendu compte que pour tisser tout ça ensemble, narrativement, donc là on revient un peu à la manière dont on écrit un film, en fait le dénominateur commun des filles, c'est Bernard College, parce qu'elles étaient étudiantes ensemble, mais en fait, entre guillemets, ça suffisait pas pour tout lier, ça suffisait à un certain niveau. de lecture, mais au niveau émotionnel et au niveau éthique, il fallait autre chose, c'est-à-dire moi. Et de fait, le film que j'ai fait avec elle et leur propre vie, ce qu'elle pouvait me raconter, ce qu'elle pouvait me livrer, elle pouvait m'inspirer. J'ai eu un impact sur ma vie et sur mes choix en fait et sur le courage avec lequel j'ai pu faire des choix en fait ces dernières années. Mais vraiment, voir... Ouais, ouais. Donc en fait, il y avait une justice de faire ça et c'était très légitime de m'y mettre. Mais c'est pas du tout facile parce que là, on gère pas des refs, on gère des archives à soi, il y a une pudeur évidemment, il y a toujours de moins qu'immensément la peur d'un vade à un narcissisme. Il s'agit pas non plus de dévoiler trop, ni de... Il fallait que je le fasse avec humour. Donc... Ouais, tout ça, c'était pas simple. Et c'est pour ça aussi que c'est magnifique de monter avec quelqu'un, d'avoir d'autres regards. Et de fait, ma monteuse Marie Ausha est une femme exceptionnelle, une monteuse exceptionnelle. Elle est aussi réalisatrice. Elle a fait un super court-métrage qui s'appelle Le Passage du col, où elle filme en pellicule en 16 mm la pose de Stérilé. Et oui, et oui. Donc voilà, elle aussi, elle a des ovaires pour remplacer l'expression avoir des couilles. Donc elle a des ovaires, clairement. Et donc elle a fait ce film magnifique et donc elle m'a aussi beaucoup orientée et guidée dans ce récit. de l'intime.

  • Speaker #1

    Et pour parler un peu plus de cette éthique-là que tu essaies de préserver, qui est effectivement hyper importante, comme tu dis, quand on traite de l'intime, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. La responsabilité que c'est de devoir raconter la vie de quelqu'un qui n'est pas soi. Est-ce que toi, t'as eu des... Comment t'as géré cette crainte ? Je pense à deux craintes. D'abord, la crainte de peut-être dénaturer un récit qui t'est confié, avoir peur que les personnes ne se reconnaissent pas dans la façon dont tu les as éditées, montées et diffusées. Et aussi peut-être la crainte d'exposer des gens. Je pense au climat politique dans lequel on est. Tu sais que tu as quand même une audience et que ça pourrait être récupéré par des gens qui n'ont pas toujours de bonnes intentions. Comment est-ce que tu gères, toi, ces deux craintes ? La crainte d'exposition et la crainte de manipuler un récit qui n'est pas le tien.

  • Speaker #0

    En fait, c'est tout l'enjeu du cinéma documentaire. Le cinéma historiquement est documentaire. Il ne faut pas dire un film versus un documentaire. Un documentaire, c'est du cinéma. Et dans beaucoup de fictions, il n'y a pas de cinéma. Donc, on ne peut pas dire que le documentaire, c'est forcément la télé. Documentaire, c'est du cinéma ou en tout cas potentiellement du cinéma. Donc, le documentaire, depuis toujours, filme l'autre, l'autre que soit. Donc, il y a quand même une grande tradition épique de... l'appropriation du regard colonial, de l'absence d'éthique, et notamment d'un regard blanc sur l'autre, un regard dominant en fait dans le documentaire, c'est une évidence. Et donc on est à un moment historique depuis quand même quelques décennies, pas partagé par tout le monde, mais où il y a une pratique du documentaire qui réfléchit à la question du consentement, dans le milieu anglo-saxon on dit « accountability » , donc c'est vraiment quelque chose d'important, et donc la responsabilité. Alors, Non mais on passe des nuits blanches en fait pour répondre à ces questions-là, c'est insondable. Et puis il n'y a pas de recette. Il y a sa propre boussole éthique, il y a aussi parfois en fait la réalité, les rushs, des choses qui sont compliquées, etc. Alors, elles sont majeures, elles sont bien portantes et elles maîtrisent leur image et leurs propos. Elles maîtrisent la parole, elles ne sont pas dans une situation de vulnérabilité, elles maîtrisent leur parole, elles ont tous les outils en fait pour maîtriser ce qu'elles disent. parfaitement. Les conditions sont claires dès le départ, on est dans un film qui peut potentiellement être diffusé très largement et par ailleurs elles estiment qu'elles ont des choses à dire au monde, elles savent que quand elles le disent à moi, elles les partagent potentiellement avec le monde. Elles ont d'autres espaces dans la vie, professionnellement, où elles les partagent avec le monde donc elles sont actives sur les réseaux voire très actives, c'est-à-dire quand je la rencontre elle est sur youtube, elle est partout. Donc je viens m'inscrire en fait enfin je viens inscrire le projet auprès de femmes qui sont déjà en fait qui ont déjà une vie publique donc c'est quand même déjà des des des préalables et des postulats de départ qui rendent la démarche un peu plus aisée, plus horizontale. Et après, bien sûr, quand on monte, on fait des choix, mille choix tous les jours. Et c'est clair qu'il suffit d'une musique, d'une seconde de plus ou de moins dans un plan, et on dit autre chose, des mille nuances sur tout. Voilà, sur les protagonistes. Donc comment juger à chaque fois que c'est les bons choix, qu'ils les représentent bien, qu'ils sont justes. Ils peuvent elles-mêmes aussi peut-être les déplacer, les amener vers d'autres perceptions, prendre conscience des choses sur elles, mais toujours dans le respect. C'est un exercice d'équilibriste. Et ça, ce travail-là, tu le fais en documentaire, tu le fais grâce à... Beaucoup de temps, j'ai passé beaucoup beaucoup de temps avec elle, beaucoup de temps à suivre ce qu'elles font, à voir ce qu'elles publient, et puis faire des très longs entretiens, très très en profondeur, pendant des heures, et aussi à déterminer ce qu'elles veulent dire, ce qu'elles ne veulent pas dire, les périmètres, et ensuite on avance comme ça. Il y avait parfois des moments où... Avec Marie, avec ma monteuse, elle faisait une journée et puis elle me montrait des trucs, elle me proposait des trucs. Et elle me disait, ça, ça va leur faire plaisir à Laila, c'est beau, je suis sûre qu'elle va adorer. Et c'était un peu notre boussole, tu vois, c'était un peu ce genre de truc qu'on se disait. Ah ouais, ça, je suis sûre qu'elle ne se souvient même pas de ce moment qu'on a filmé en 2018 et tout. Mais là, monter avec cette musique et tout, ça va être chambé pour elle.

  • Speaker #1

    Et pour ce qui est de la relation de confiance que tu arrives à construire avec elle, parce que... Et tu le dis toi-même, on peut... probablement plus facilement se confier sur certaines choses à des inconnus qu'à des proches. Et on le voit quand, dans les premiers entretiens, il y a certaines des filles qui te confient des trucs super personnels sur leur histoire familiale, par exemple. Mais comment est-ce que toi, tu gardes cette... Enfin, comment est-ce que tu préserves cet équilibre entre une relation qui reste quand même une relation professionnelle, où elles sont le sujet de ton documentaire ? mais une relation qui se veut suffisamment personnelle aussi pour qu'elle puisse te raconter quelque chose d'intime. Par exemple, une question que je me pose, c'est comment est-ce que tu décides ce que tu t'autorises à filmer ou pas ? Est-ce que tu filmes tout constamment ? Ou est-ce qu'il y a des moments où tu te dis « Ouh là, là, ça a peut-être plus à faire à l'humain et au personnel, donc je vais couper ma caméra et l'arranger et continuer cette conversation sans. » Comment est-ce que tu gères cette personne tierce qui est la caméra dans une relation de confiance entre toi et une jeune adulte ?

  • Speaker #0

    C'est pas une relation professionnelle. que j'ai avec elle. Je ne l'ai jamais vue. Ce n'est pas comme ça qu'on peut le définir. Je ne sais pas comment on peut le définir, mais ce n'est pas ça. C'est une relation qui est personnelle. Il y avait transitionnel et transactionnel via la caméra, via le film, mais elle est personnelle et elle est évolutive aussi. Tu peux la perdre à tout moment, elle peut changer, mais c'est une relation qui est personnelle. En documentaire, tu tournes. Après, si la personne te demande d'arrêter la caméra, tu arrêtes la caméra, mais tu tournes. C'est au montage, en fait, ensuite, que tu vas faire des choix. Et tu vas faire des choix à postériori. C'est-à-dire que quelque chose qui va te sembler choquant, ou extrême, ou obscène. Sur le moment du tournage, les années avec l'épaisseur historique d'un tournage, j'ai de la relation à la personne, 4 ans plus tard ou 7 ans plus tard. Quand tu le vois à l'échelle de l'ensemble des rushs, tu te dis que c'était fondamental, c'était fondateur. Et il faut le garder parce que la personne l'a redit, ou parce que la personne l'assume après, ou parce que ça fait écho à quelque chose que la personne aura vécu 5 ans plus tard. Donc en fait, ces choix-là, finalement, ils se font surtout au moment du déruchage et du montage. Et du coup,

  • Speaker #1

    comment est-ce que tu choisis au moment de ce Ausha, comment est-ce que tu choisis ce qui doit être raconté et ce qui pourrait rester secondaire et qui ne figurera pas dans le film in fine ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est le montage. En fait, je ne sais pas exactement combien d'heures de rush on avait, mais on devait en avoir 300 pour faire un film de 90 minutes et quelques. Et donc, tu Ausha tout, tu transcris tout et puis pour... Tu fonctionnes, c'est une sorte de technique d'entonnoir. En fait, tu sélectionnes petit à petit les moments les plus importants. Et puis, tu te fais ce qu'on appelle des chutiers, des sélections de scènes de vie, de scènes de ce que tu veux, de l'actualité, des paysages. Tu te fais des dossiers, ce qu'on appelle des timelines avec différentes catégories de choses. Ça, c'est une première méthode. L'autre méthode aussi, c'est évidemment par personnage. C'est-à-dire qu'on fait une sélection des scènes et des séquences les plus importantes, entretien et séquences les plus importantes par personnage. Et ensuite, il faut tisser tout ça. Donc l'art de la combinatoire qu'est le montage, c'est dans ce cas précis, très délicat et ça a pris du temps, parce qu'il y avait non seulement un récit qui s'est assez rapidement imposé comme étant chronologique, comme devant être chronologique, et un récit chronologique qu'il fallait ensuite nourrir, donc il a fallu réinjecter dans la narration, dans le film, des archives, pour documenter en quelque sorte la chronique ultra contemporaine de l'histoire étatsunienne, respecter aussi leur propre chronologie à elle, et ensuite respecter en fait un équilibre. entre chaque personnage. Et donc, il y a toute sorte d'impératifs. C'est vraiment une sorte de Rubik's Cube. Et puis ensuite, l'équilibre avec ma voix off, où il ne faut pas qu'elle disparaisse trop longtemps, il faut qu'elle revienne, il ne faut pas qu'elle prenne le dessus. Donc, c'était un montage qui était très complexe. Donc, jusqu'au dernier moment, en fait, on a monté. Puis la musique aussi, la musique de Ausha Sasaki, elle a une importance assez marquée, en fait, dans le film. Il y a quand même aussi un devoir un peu pédagogique, c'est-à-dire qu'il faut aussi qu'un public étranger comprenne ce que c'est que cette université américaine, qu'on prenne ce qu'elles font aussi dans la vie, leur métier. Il y a des moments d'entretien qu'on utilise pour leurs valeurs informatives, d'autres pour leurs valeurs intimes, d'autres pour leurs valeurs émotionnelles.

  • Speaker #1

    En 10 ans, les filles ont grandi, ont fait leur vie. L'époque politique a beaucoup changé aussi. Quand tu as conçu l'idée de ce documentaire fait sur 10 ans, est-ce que toi tu t'attendais à ce que la politique politicienne prenne une telle place dans ce documentaire-là ?

  • Speaker #0

    En fait, quand je les ai rencontrées, elles étaient toutes, peut-être à part Anta, qui était plus... intellectuellement sur des sujets de théorie politique et d'histoire, mais pas forcément concrètement activistes. Mais sinon, elles étaient toutes militantes et vachement actives dans des groupes, dans des communautés. dans des communautés, y compris sur certaines actions. Evie, par exemple, elle avait même été en garde à vue sur une action contre des pipelines, des oléoducs et des gazoducs. Talia était ultra active sur les questions LGBT dans les communautés juives, sur les droits des femmes et LGBT. Et Laila était aussi très impliquée dans les luttes pour l'environnement, notamment. Moi, ce que je pensais, c'est qu'elles allaient, toutes les quatre, rester très, très, très, très militantes. très activistes dans leur domaine, dans leur communauté, ce qui n'a pas été finalement complètement le cas. Et ça, on pourra y revenir. Ce que l'on prévoyait de la trajectoire de la démocratie états-unienne qui allait vers l'effondrement et vers le fascisme, non, on ne l'avait pas trop prévu, en tout cas pas du tout dans ces proportions-là. En fait, quand on commence à tourner, c'est la fin du deuxième mandat d'Obama. Il y avait eu beaucoup d'attentes de leur part. Il y avait aussi beaucoup de déceptions quand même dans sa gestion de... des questions aussi de problématiques d'intégration, d'antiracisme aux États-Unis, dans sa politique étrangère. Donc il y avait plein plein de déceptions, mais disons que tout le monde pensait que Hillary Clinton allait être élue en 2016. Et donc ce ne fut pas le cas, et là effectivement quand Trump est élu, il y a déjà un effet de sidération. Et alors par exemple, elles ont été vachement actives pour faire du porte-à-porte, enfin en tout cas certaines, pour faire du porte-à-porte à la fin du mandat de Trump en faveur de Joe Biden. Donc... Il faut aussi dire que la plupart des protagonistes de ce film sont absolument contre ce système des deux parties, où en fait progressivement, et je pense que c'est le cas aussi en France, ont progressivement perdu espoir et confiance dans le système présidentiel pour les représenter. Elles n'ont pas perdu espoir et confiance dans le pouvoir de leur vote. Elles restent des citoyennes qui votent activement. Ça c'est intéressant. Vu leur couleur politique et leurs engagements, des équivalents en France auraient peut-être perdu foi dans le bulletin de vote. Elle s'est... pas du tout le cas, elles sont en mode, non mais on a tellement lutté pour avoir le droit de vote, moi je vote quoi, je vais jamais perdre une seule occasion de voter. Et en plus, il faut noter, ça c'est important, quand on vote pour les présidentielles aux Etats-Unis, on vote aussi pour plein d'autres choses, dans son état, pour le Sénat et tout, donc c'est vraiment un acte qui a un énorme impact. Donc oui, je pensais que via leur activisme, en fait, on allait rester branchés sur l'histoire politique états-unienne, je ne pensais pas que... ce film et cette décennie allait nous mener vers le fascisme et vers l'effondrement de la démocratie états-unienne. Ça, personne ne le prévoyait. Quand je commence à tourner, enfin en 2016, Laila elle me dit, c'était très mignon parce que je suis assez naïf, mais évidemment on comprend ce qu'elle voulait dire, j'arrive même pas à comprendre que le activisme est une chose, qu'on soit qualifié d'activiste quand on lutte pour le climat, quand on lutte pour les personnes en situation de handicap, quand on lutte pour l'accès aux droits à l'avortement. En fait, ça devrait être... ça devrait être un donné en fait. Et donc, ils disaient, mais pourquoi est-ce qu'on est réduit, on est labelled, on est catégorisé, minoré en tant que militante, alors juste qu'on lutte pour le bien commun, en fait. Elle me disait, elle avait 19 ans, l'histoire a montré que non seulement c'est une catégorie d'être militante, mais maintenant c'est devenu dangereux, en fait. C'est-à-dire que quand on puisse, même sur le campus, il devrait être pourtant des sanctuaires. à Barnard et à Columbia quand on lutte pour ces idées-là, quand on lutte pour un cessez-le-feu à Gaza, quand on lutte pour les droits LGBT, etc., en fait, ou quand on lutte pour que Columbia et Barnard, que leur système financier, en fait, ne repose plus sur l'investissement dans les industries fossiles, ben, en fait, c'est devenu dangereux, en fait, ce n'est plus possible aujourd'hui. Alors même que c'était des havres de liberté de pensée, de freedom of expression, de liberté de parole, etc., et maintenant, c'est plus le cas, elles ont anti... les universités malheureusement au niveau administratif et policier sur cette dynamique là, avant le mandat de Trump. Et maintenant que Trump est élu, les universités très prestigieuses de la côte Est qui étaient censées être des hauts lieux du progressisme sont en train d'être définancées, d'être menacées avec par exemple Columbia qui est en train de perdre 400 millions de dollars d'aides fédérales parce que sous prétexte que l'antisémitisme n'était pas assez combattu sur son territoire et tout ça par des néo nazis. Enfin, je veux dire, ça manque quand même pas de... Voilà. Donc on est dans cette situation-là. Et effectivement, le retour des filles face au film quand elles l'ont découvert il y a quelque temps, était la profonde tristesse de voir que ce qu'elles pouvaient faire et les idées pour lesquelles elles mutaient en 2015, 2016, 2017 sur le campus, non seulement il y a eu une forme de défaite, mais qu'en plus, au niveau du campus même, cette liberté-là n'existe plus. En fait, elles pourraient finir emprisonnées. en fait aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier épisode de ce podcast que j'ai fait, je l'ai fait avec une de mes meilleures amies avec qui j'ai beaucoup milité l'année dernière sur le campus. Cette notion un peu schizophrénique de te dire je suis dans un établissement universitaire qui doit me permettre de changer le monde et je participe à...

  • Speaker #0

    L'oppression. L'oppression.

  • Speaker #1

    à l'oppression en fait en étant là et d'un autre côté je vais en manif pour lutter contre les politiques élitistes contre cette idée de méritocratie contre la violence coloniale en continuant de payer mes frais d'inscription d'une école extrêmement cher qui va

  • Speaker #0

    pas du tout dans le sens de ces discours là ouais c'était une situation d'un aussi de dissonance presque cognitive en tout cas politique tout était très consciente de ça après Les situations étaient divergentes selon leur situation de rendettement, de bourse, etc. C'est-à-dire que quand on s'endette à vie pour payer ses études, comme c'est le cas d'une majorité d'Américains, ça crée des situations absolument tragiques. Et ça crée des situations d'inféodation au système capitaliste. C'est très très grave, mais c'est majoritaire aux États-Unis. Donc c'est juste un système capitaliste et les universités en font activement partie. Dans le cas d'Antha et Layla, à Barnard, quand elles étaient à Barnard, elles avaient des bourses intégrales. Donc elles étaient là, moi je suis. payée pour apporter de la diversité, pour représenter de la diversité sur le campus. Donc je vais utiliser absolument toutes les ressources possibles pour lutter contre. Je pense qu'elles avaient une approche non pas cynique, mais pragmatique aussi. C'est-à-dire qu'une fois qu'elles sont là, parce qu'elles avaient désiré être là, mais parce qu'elles avaient choisi Barnard, elles avaient les notes pour aller dans d'autres universités aussi prestigieuses et aussi sélectives, mais elles avaient vraiment choisi Barnard parce que c'était une université féministe, de femmes, gender expansive. et féministe, et elle voulait s'emparer de tous les outils qui étaient à leur portée pour faire porter leur voix dans le monde pendant ce temps-là et après. Mais Layla, ensuite, a repris des études, et là, pour le coup, elle a dû souscrire à un pré-étudiant, et ça, là, c'est une chaîne à son pied, en fait, réellement. Voilà, dans le cas de Danta, elle, elle est partie de rien, en fait, elle avait rien, elle a jamais rien eu, elle a pas de ressources, pas de famille, même pas d'archives de son enfance, elle a rien du tout. Donc elle est dans une situation de déracinement, mais qui lui donne aussi une grande liberté de ton. Elle a de compte à rendre absolument à personne. Dans le cas de Thalia, c'est différent parce qu'elle est journaliste et pour le coup, elle a un devoir de réserve, qui est particulier pour elle, et vit son boulot. Son boulot, c'est de parler très très fort. Son boulot, c'est de dénoncer les injustices, notamment environnementales et de pollution industrielle à Dallas. Donc ça fait vraiment partie de son boulot. Mais oui, c'est hautement paradoxal. Et c'est le grand paradoxe des universités américaines, qui sont des hauts lieux d'invention du progressisme, pour le monde entier, et qui en même temps sont des lieux de capitalisme forçonné.

  • Speaker #1

    Il y a une phrase qu'a prononcée Thalia dans le film. C'est ce moment où elle dit, si je pouvais dire quelque chose à la moi d'il y a dix ans, c'est de ne pas rester dans les endroits où on n'a pas envie de toi. te veux pas là. Et c'est intéressant parce que je trouve que quand on entend cette phrase, on peut l'apercevoir. C'est un peu presque comme une forme de renoncement qui va à l'encontre de toute idée préconçue qu'on a du militantisme, qui est de se dire que si on arrête de lutter, on laisse les autres gagner. Mais d'un autre côté, je trouve qu'il y a une forme de sagesse qui est très belle et qu'on trouve un peu aussi, c'est pas Anta qui dit cette phrase, mais je trouve que le parcours de Anta représente un peu ça aussi. Où au tout début du film, elle dit, je me verrai pas partir des Etats-Unis, peut-être aller en France un très court temps, mais je ne me verrai pas partir parce que j'ai l'impression que je suis obligée de rester ici et que je dois à ce pays de faire en sorte que sa situation s'améliore vis-à-vis du vécu des personnes racisées notamment. Et en fait on voit qu'elle n'a jamais abandonné cette lutte mais qu'elle la mène depuis la France dans un contexte qui est davantage favorable à sa... à la préservation de sa personne, à la préservation de sa santé mentale. Et je l'ai trouvé que c'était intéressant de montrer ça.

  • Speaker #0

    C'est très beau ce moment où Thalia exprime ça. C'est tellement juste. Elle cherche ses mots et puis elle trouve cette formule là. Et ça lui coûte de l'admettre. Ça lui coûte. Et c'est d'une grande vérité. Là, ce que tu évoques, c'est la question de l'usure militante aussi. c'est qu'au bout d'un moment, on s'épuise et on s'oublie. Et je pense que quand on veut changer le monde, on doit aussi, au bout d'un moment, se préserver. On ne peut pas, pour sauver le mât, sacrifier la quille du bateau. Donc le film accompagne ce mouvement-là, c'est-à-dire ce mouvement de self-care. Et donc le self-care, ce n'est pas un repli sur soi, c'est juste que se préoccuper de soi et de comment perdurer dans ce monde-là et de protéger sa santé mentale peut faire partie d'un geste politique, en tout cas d'un souci collectif. Est-ce qu'il y avait été théorisé Bell Hooks ? Il y a des textes fondateurs et Audrey Lord aussi là-dessus. Et de fait, c'est surtout la trajectoire d'Anta qui est celle-là. C'est-à-dire qu'elle a tellement un bagage traumatique et de déracinement que... Son enjeu, à elle, c'est de se reconstituer, de réparer, et ça prend dessus en fait sur certaines luttes collectives, clairement. Mais pour moi, et c'est comme ça que je le filme, c'est comme ça que je le raconte dans le film, en fait ça a une valeur collective. Enfin, de la voir elle, faisant ça, essayant de reconstituer un arbre généalogique, essayant d'appeler quand même, d'obtenir justice avec la police new-yorkaise, etc. Pour moi, en tout cas, je veux que le film dise combien c'est courageux, et ce courage-là, en fait, on a beaucoup de choses à apprendre de lui. Mais en tout cas, voilà, ce que dit Talia, c'est effectivement qu'il y a un moment, en fait, il ne faut pas s'acharner dans une communauté qui vous rejette, et en fait, utiliser ses forces et ses énergies et son savoir dans des cercles qui peuvent, qui quand même ont des capacités de transformation.

  • Speaker #1

    Et une question que je me posais aussi sur l'histoire de Thalia tout particulièrement, le film aborde à un moment, enfin tout au long du film en fait, son rapport à la religion, qui est un rapport très intime, là encore on est au cœur de l'intimité. Moi je me posais la question de la sensibilité que c'est que de traiter d'un rapport aussi intime que le rapport religieux, surtout quand c'est le rapport religieux entretenu par une femme. On sait que raconter l'expérience religieuse d'une femme dans l'espace médiatique actuel, ça... peut être soumis à une volonté de récupération politique par certaines personnes. Est-ce que, toi, c'est des questions que tu t'es posées ?

  • Speaker #0

    Je crois que quand tu es une femme, tout ce que tu dis, tous les pans de ton identité peuvent être de toute façon récupérés de manière hostile et détournée. Il y a une réalité. La proportion de personnes qui se disent croyantes et pratiquantes, statistiquement, aux États-Unis, elle est énorme. Donc, en fait, le fait religieux aux États-Unis, il est prédominant. Ça, c'est énorme. première constatation. L'autre constatation, je ne me souviens plus des chiffres, mais le fait religieux, il est dominant dans le monde entier. C'est-à-dire qu'il y a plus de gens croyants. Je ne dirais pas forcément pratiquants, je ne sais plus. Encore une fois, il faut vérifier les chiffres, mais la proportion de gens croyants dans le monde est beaucoup plus grande que les gens qui se disent agnostiques ou non religieux, etc. Donc les affiliations religieuses et confessionnelles, en fait, elles sont très très présentes dans l'humanité encore aujourd'hui. Et c'est quelque chose qui surprend. Donc en fait, les regards... disons ouest européen et français en fait sur les réalités disons religieuses des protagonistes du film, les gens étaient très perturbés. Comment elles peuvent allier en fait féminisme et religion, c'est forcément antagoniste, c'est forcément en conflit etc. Et moi ça m'intéressait vachement d'aller à cet endroit là précisément. C'est un défi supplémentaire. Comment en fait tu... non seulement tu agis dans ce cercle-là, mais aussi tu fais de la religion un outil, un périmètre dans lequel tu agis de manière féministe. Donc, tu allais le dire très bien au début, c'est que je suis juive, orthodoxe, pratiquante, ça fait partie de mon identité, je ne vais pas quitter cette identité-là, sous prétexte qu'il s'avère qu'elle le fait plus ou moins après dans sa vie, mais que ça fait partie de... son appartenance au monde en fait se définit comme ça. J'ai eu des questions assez toxiques pour être par exemple dans une autre dans une commission, dans une audition, on m'a demandé comment en fait une jeune américaine féministe pouvait décider de se marier avec un homme iranien. Donc si tu veux les raccourcis un peu rapide sur les nationalités, les religions etc sont très facilement faits enfin partout dans le monde c'est certain, mais donc il n'y a pas de voilà il n'y a pas de bonne féministe nécessairement, il n'y a pas de... Voilà. Enfin bref, j'essaie justement dans le film de déconstruire en fait ce qui pourrait... Enfin, à valeur, face value pourrait sembler être en contradiction et en fait qui le sont pas. C'est ces endroits-là de friction qui m'intéressent. Après Thalia, son outil, son enjeu, c'est justement de travailler sur le l'interfaith, sur l'interreligieux en fait. Et c'est là où elle est brillante, opérante et courageuse.

  • Speaker #1

    10 ans en arrière, quels conseils tu te serais donné dans la réalisation de ce documentaire ? Pour ne pas parler que du passé, mais parler aussi du futur. Je ne vais pas te demander où est-ce que tu te vois dans 10 ans, parce que ce n'est pas un entretien d'embauche, mais de quoi seront faites tes 10 prochaines années ?

  • Speaker #0

    Tu sais, c'est la question que je leur pose. Qu'est-ce que tu dirais à ton self, ton moi d'il y a 10 ans ? Et je t'avoue que je ne me suis même pas posé la question. En revanche, de faire une sorte de bilan. en fait de m'adresser quelque chose à moi-même aujourd'hui et à placer dans l'épilogue du film ça a été un vrai sujet en fait ça a été un peu demandé mais genre il faut que tu... you have to wrap up, you have to wrap up by the girls, you have to wrap up by your daughter, you have to wrap up by yourself et franchement ça c'était pas aller être naïf ou... comment faire ça en fait sincèrement comment faire ça et puis je sais pas trop en fait en revanche m'adresser à mon moi d'il y a dix ans je pense que ce que je... ce que... L'injonction que je me serais donnée, c'est de me faire confiance, de me faire confiance et de m'écouter, et de me respecter, de m'aimer dans ce que je traversais, dans ce que je voulais, désirais. et que je n'osais pas encore assez, en fait. Je n'osais pas encore assez, je pense que c'est ça que je peux dire. Et après, j'avais aussi, je crois, beaucoup de courage déjà et beaucoup de confiance dans mon agentivité en me lançant dans ce film. Donc le film est finalement le résultat de beaucoup, beaucoup de pugnacité, d'endurance, de résilience et ça, on peut le... Enfin voilà, je le célèbre, je suis fière de ça. Et voilà, I own it. Donc ça, c'est une chose. Et de fait, souvent. tant que femme on n'arrive pas à se célébrer assez, donc il faut le faire. Et après, on a un pacte, donc il faut qu'on renégocie notre pacte, donc il faut qu'on voit comment je retourne avec elle, qu'est-ce qu'on va faire, sachant que le chapitre qui s'ouvre pour elle est quand même potentiellement celui de la parentalité. Et de mon côté, je ne sais pas, c'est quoi, c'est au programme Adolescence de ma fille et Ménopause, je ne sais pas, on va voir.

  • Speaker #1

    pas très importante de la vie.

  • Speaker #0

    Absolument. Voilà, je dois laisser un tout petit peu se déposer la réception du film-là, absorber, recueillir tout ce qui se dit, tout ce qui se ressent avec ce film, y compris en moi. Et ça me laissera ensuite... Je crée les conditions pour penser la suite. Il va falloir que je décide dans les prochains mois. Mais on verra. Et avec les filles aussi, évidemment. C'est une décision collective et collégiale.

  • Speaker #2

    Si ce podcast a su éveiller votre curiosité, d'abord sur le vécu de ses protagonistes, ensuite sur le rapport tout particulier, à la fois politique et intimiste, qui l'entretient avec les images, vous pouvez le retrouver gratuitement sur la plateforme de streaming d'Arte en cherchant Girls for Tomorrow. Et je suis même pas payée pour vous dire ça. Maintenant, moi je vous laisse, je vais cultiver la sororité essentielle à mon bien-être en allant retrouver une de mes amies. A bientôt !

Share

Embed

You may also like

Description

En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un besoin profond de sororité. C’est alors qu’elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement réservée aux femmes. Elle y rencontre quatre étudiantes : Evy, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi — et la promesse — que leur fait Nora : filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années.

Nous sommes en 2025, et ce documentaire vient de sortir sur Arte. Il s’appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s’en est passé des choses, qui ont chacune bousculé la vie de ces protagonistes, ainsi que notre paysage politique tout entier : il y a eu des surprises qui nous ont sidérés, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérés quand même, comme sa réélection.

Après avoir vu le film réalisé par Nora, j’avais plein de questions à lui poser, tant sur son travail documentaire (parce qu’il n’est pas évident de filmer et de monter dix ans de vie privée de cinq femmes) que sur l’aspect politique de ces images.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il y a tellement de travail qui doit être fait.

  • Speaker #1

    Tu n'aimes pas le sexisme,

  • Speaker #0

    alors pourquoi ne pas être une femme ? Ça ne marche pas pour moi, c'est qui je suis.

  • Speaker #1

    Quelle génération nous a fait avoir à se dérouler de ça ?

  • Speaker #0

    Ils nous disent que ça s'est passé parce que nous sommes clairs. Je me suis mis à beaucoup d'anxiété en ne pas savoir ce que la Terre va ressembler dans 20 ans.

  • Speaker #2

    En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un profond besoin de sororité. C'est alors qu'elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement féminine. Elle y rencontre quatre étudiantes, Evie, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi et la promesse que leur fait Nora, filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années. Nous sommes aujourd'hui en 2025 et ce documentaire vient de sortir sur Arte et s'appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s'en est passé des choses qui ont chacune bousculé la vie de ses protagonistes et tout notre paysage politique. Il y a eu des surprises qui nous ont sidérées, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérées quand même aussi, comme la réélection de Trump. Après avoir vu le film réalisé par Nora, j'avais plein de questions à lui poser. Tant sur son travail documentaire, parce qu'il n'est pas évident de filmer et de monter dix ans de la vie privée de cinq femmes, que sur l'aspect politique de ces images. J'ai eu l'opportunité de les lui poser pendant un appel le lendemain de l'avant-première de son film à Bruxelles et je vous laisse avec cette conversation.

  • Speaker #1

    Le premier point que je voulais aborder avec toi, c'était celui de la réalisation du film. En 2015, tu prends ta caméra, tu vas rencontrer des jeunes adultes que tu ne connaissais pas et tu dis que tu vas suivre leur vie pendant 10 ans. Du coup, en partant du postulat que ton histoire, elle va suivre ce qui se passe dans la vie de ces jeunes filles et ce qu'elles s'autorisent à te raconter, comment est-ce qu'on fait pour écrire un film autour de tant de flous ? parce qu'en fait, il y a dix ans, tu ne pouvais avoir aucune idée de ce qu'allait être le film aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas un projet effrayant à porter ? Est-ce que ce n'est pas un projet qui paraît si peu concret et si étendu dans le temps qu'il serait trop difficile à concevoir ?

  • Speaker #0

    Souvent, on fait des films pour essayer de tout comprendre pourquoi on les fait. Et c'est pour ça que j'aime le documentaire. Quand on fait du documentaire et qu'on filme le réel, on est à la recherche de quelque chose qui est à la fois à l'extérieur de soi et à l'intérieur de soi. On cherche quelque chose dans le réel. Et... et la raison en soi, pourquoi on va chercher ça dans le réel. Voilà, c'est ces deux mouvements, en fait. Et de toute façon, intrinsèquement, quand on se lance dans un documentaire, en fait, on est en quête. Donc après, c'est sûr que là, c'était un peu maximaliste, la situation dans laquelle j'étais, c'est-à-dire qu'il y avait un geste, il y avait un désir, il y avait une quête, mais effectivement, il n'y avait pas encore vraiment d'objet. Ceci dit, on est en 2015, je suis à New York, je cherche des idées, des solutions, des modèles, des sources d'inspiration féministes. pour répondre aux troubles, au trouble ou l'état quasiment dépressif dans lequel je suis, dans un postpartum un peu compliqué, dans un moment compliqué de ma vie. Et je trouve effectivement, chez ces étudiantes de Barnard College, qui est une université pour femmes et féministes très identifiée à New York, je trouve très rapidement un espace d'intelligence, d'intelligence collective, d'intelligence féministe, et de partage et de sororité, mais c'est très rapide. Et ce qui est fascinant, Ce qui me fascine moins en tant que française, c'est que ce genre d'espace, sincèrement, je n'en avais jamais rencontré en France. Mais jamais. Mais jamais. Jamais. Donc je suis saisie, en fait. Je suis saisie par ça. Et quand on est saisi à ce point-là, quand il y a à la fois, donc j'y reviens à cette dualité dont je parlais, cette rencontre avec un réel étonnant, en fait, et par ailleurs cette rencontre avec un besoin qui est nouveau en soi, mais qui semble être, enfin, trouver en quelque sorte une réponse dans ce réel-là, c'est fou, en fait. c'est dingue ! Donc c'est une sorte de conflagration comme ça très heureuse. Donc en fait le désir de ce film-là, il est né à ce moment-là dans cette rencontre, c'est-à-dire en contre. Et après le désir de travailler sur dix années et très vite je leur ai proposé de s'inscrire dans un temps très long. En fait c'est lié à deux choses très simples je crois et très universelles. C'est à la fois en fait le désir, c'est un pari et c'est une promesse. Et c'est le désir d'essayer de comprendre, de se mettre dans l'esprit, de se dire qu'est-ce qu'on va devenir. Qu'est-ce qu'on va faire de nos vies ? En tant que femme, on veut les écrire, on veut être maîtresse de nos destins. On se forme pour, on s'éduque politiquement pour, on est là pour décider, on sait combien c'est difficile, et on se lance ce défi-là pour y répondre, en fait. C'est-à-dire avec la caméra, avec l'aide de la caméra, grâce à la caméra, parfois contre la caméra, mais en tout cas, toujours en cheminement avec la caméra, on va essayer de décrire nos destins. Ça, c'est une chose. L'autre chose, c'est que j'étais face à des... Toute jeune femme de 18, 19, 20 ans qui avait une claire conscience non pas de leur propre futur nécessairement, mais des futurs de la planète, 2 sur 4 dans le film, faisait des étudiants en sciences environnementales. Donc elles avaient une conscience très aiguë en réalité de ce que pouvaient nous réserver des... des futurs planétaires et souvent des futurs plutôt dystopiques, plutôt difficiles. Mais en tout cas, elles étaient déjà à l'œuvre sur la pensée, sur comment agir aujourd'hui pour faire en sorte que nos futurs soient vivables. Puis après, en cinéma, c'est peut-être la troisième réponse que je peux te donner, c'est que le cinéma, c'est juste fabuleux de voir des personnes grandir, vieillir, évoluer. C'est beau, quoi. C'est un tel mystère, la vie. On ne sait jamais ce que ça va nous réserver. Donc, de se dire qu'un film va l'accompagner, il y a quelque chose de beau, et... qui ne permet pas d'avoir plus de contrôle du tout. Faire un film sur la vie, c'est aussi vertigineux que la vie, mais c'est sûr que ça m'a nourrie et guidée ces dix dernières années.

  • Speaker #1

    Je trouve ça intéressant la façon dont tu as commencé, en parlant d'un état dépressif auquel tu avais besoin d'apporter une réponse presque politique. Le besoin de te retrouver dans la sororité, dans le féminisme, le fait que cet état de santé mentale, tu y aies trouvé une réponse. par un acte politique, en fait, qui est celui de filmer la sororité.

  • Speaker #0

    Alors ça, parlons-en, en fait, de cet élan, enfin de ce besoin, de cet élan d'être dans le collectif. En fait, moi, je n'ai pas grandi dans un environnement qui était hyper militant, qui était sensibilisé politiquement, conscientisé, oui, mais pas militant et pas vraiment, enfin, pas ouvertement, concrètement, explicitement féministe. Et surtout, j'ai grandi... avec plein de privilèges. Donc moi, je ne me suis pas retrouvée dans ma vie confrontée à des questions, à des problématiques de race. J'ai tout le temps été ramenée à mon genre. J'ai vécu tous les jours des microagressions sur mon genre, mais c'était complètement intégré. Et je n'ai jamais fait face à des traumas liés à mon genre. Et je n'ai jamais été confrontée non plus à des problématiques liées à ma classe sociale, à mon éducation, à ma nationalité, à des... quelconque handicap. Donc moi j'arrive en fait à la maternité, au moment de la maternité, dans une situation de privilège. Donc avec un vrai bagage pour le coup féministe intellectuel, mais sans avoir jamais éprouvé en fait une sorte de minération véritable. Et là en fait, et c'est là où il y a pour moi une sorte de disjonction cognitive et quelque chose qui est très inattendue et qui me prend de court, c'est que tout d'un coup la maternité que j'avais projetée comme étant, dans mon cas elle était désirée, que j'avais projetée comme un état de quelque sorte d'empuissancement, de d'épiphanie, de floraison, en fait, était un moment de dépossession. J'avais l'impression d'être dépossédée de ma capacité d'agir, à cause de la fatigue, à cause de ce que ça implique de responsabilité, de manque de liberté, de temps, de manque de sommeil, etc. Et c'est dans cette situation, mais comme beaucoup j'imagine, qu'il y a eu, je pense, un éveil, qu'on va dire, disons politique ou en tout cas féministe, clairement.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a un moment dans le film où tu poses la question à une des filles, où tu lui demandes est-ce que tu te verrais avoir un enfant dans le monde tel qu'il est fait aujourd'hui ? Donc la question de la crainte de la maternité. Et en fait, c'est une crainte politique de la maternité à laquelle moi je me pose beaucoup la question. Bon, je n'envisage pas d'avoir des enfants tout de suite, j'ai que 22 ans. C'est pas tant une crainte vis-à-vis de l'environnement politique qui m'entoure et le fait de se dire est-ce que j'ai envie de mettre au monde un enfant dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, c'est peut-être une crainte aussi un peu égoïste de me dire est-ce que j'ai envie d'avoir un enfant dans la société patriarcale telle qu'elle est, avec tout ce que ça implique, avec la charge mentale que ça va mettre sur le dos, la pression que ça va provoquer chez moi, le sentiment d'être toujours, d'être jamais assez mère, de jamais être... assez une bonne mère. Et en fait, la façon dont toi, tu te présentes la maternité dans le film, je trouve, va un peu au contre-courant de toutes ces inquiétudes-là. Ou en tout cas, dans la façon dont tu parles de ta maternité, je trouve que c'est jamais présenté comme, justement, quelque chose qui peut t'enfermer dans ces attentes liées au genre. Je trouve qu'au contraire, même la façon dont tu parles du fait... Il y a une phrase que tu dis que je trouve très belle, où tu dis... élever ma fille ou plutôt qu'elle m'élève. Je trouve que du coup c'est un discours qui va parfois même à l'encontre du discours qu'on peut avoir qui est celui de dire que la maternité c'est enfermant, c'est un poids, etc. Et je trouve que c'est aussi la façon dont tu parles de l'éducation que tu veux donner à ta fille sur des enjeux politiques. Il y a un moment où tu fais une espèce d'énumération de cause à laquelle tu veux sensibiliser ton... Ta fille, et je trouve que c'est voir un peu la maternité comme une partie du combat féministe, plutôt que comme son antagonisme.

  • Speaker #0

    Le film part d'un sentiment, pas d'échec, mais pour le coup de dissonance quand même. Et après, effectivement, c'est tout le parcours du film, de repolitiser la maternité et de penser conjointement au protagoniste du film à des moyens aussi d'utiliser la maternité. La maternité aussi est comme une situation dans laquelle je peux concevoir aussi une éducation féministe pour ma fille. Donc ça devient un outil émancipateur, enfin pas un outil, le terme n'est pas correct, mais un véhicule d'émancipation. Mais je voulais revenir, je pense que c'est différent aujourd'hui, mais il y a dix ans, sincèrement, y compris sur les réseaux, ça manquait vraiment de discours de vérité sur la maternité. Et je pense que... Encore une fois, il faut faire preuve d'une infinie nuance face à la pluralité des situations des femmes. Encore une fois, on n'est vraiment pas égale face à la maternité, face à la parentalité, du tout. Ce n'est pas du tout la même chose d'être une femme blanche en bonne santé, qui a des ressources financières. qui a accès à un environnement affectif stable, etc. D'avoir un enfant que d'être une femme racisée et non valide en France, que d'être une femme qui n'a pas accès à la contraception dans un autre pays, ou à l'avortement, etc. Il faut toujours vraiment nuancer. Je pense que c'est important de dire que oui, même dans des conditions très privilégiées, être parent, et surtout pour une femme, c'est un frein à beaucoup de choses dans la société d'aujourd'hui. C'est une réalité en fait. Donc après, il y a plein de manœuvres et de tactiques. ont tourné ça, y compris en se disant bon, du coup, je vais complètement réapproprier ma maternité, du coup, je ne vais être que ça pendant quelques années, etc. Il y a toutes sortes de tactiques. C'est compliqué, en fait. Potentiellement très contradictoire, en fait, avec sa propre liberté, sa carrière professionnelle, etc. Donc, c'est une réalité, je l'ai vécue. Je veux dire, je n'ai pas pu tourner, je n'ai pas pu faire plein de... Voilà, c'est... Et ma carrière a été affectée, etc. Là où, de toute façon, pour moi, l'enjeu, c'était de... encore une fois, de retourner la situation et d'en faire une situation d'apprentissage et pour moi et pour ma fille. Et donc de lui léguer et de lui transmettre tout ce que j'apprenais ce faisant. Et là aussi, le film a été l'outil pour que je me conscientise davantage et pour que je conscientise aussi ma fille, peut-être pas à la problématique du tectofascisme ou de la fin de la biodiversité quand elle avait 13 mois. Mais voilà, en tout cas... Comme ça, le moteur du film, c'est clairement qu'est-ce que c'est aussi que donner une éducation féministe à son enfant, en fait. Clairement, c'est ça. Enfin, c'est dix années de comment je construis ça, sans l'idéologiser non plus, mais en tout cas, lui donner à elle aussi ses outils d'émancipation.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, cette éducation féministe, concrètement, tu l'articules comment aujourd'hui avec ta fille ? Enfin, le fait d'élever un enfant, je trouve ça fou. Enfin, le fait de... C'est peut-être bête, là, le statement que je fais, mais je me dis, tu peux avoir un impact. telle sur... Bien sûr, c'est une personne qui se construit, qui prendra son chemin de vie et qui a une matrice de pensée totalement indépendante, mais tu peux avoir un tel impact sur la vie d'une personne qui se construit, que du coup, je me demande concrètement quelle promesse, toi, tu t'es faite dans l'éducation féministe que tu veux donner à ta fille ?

  • Speaker #0

    Je vais te répondre, je fais un tout petit détour. En fait, je repensais à ta question d'avant et sur la question aussi des futurs. De fait, quand tu mets un enfant au monde, Tu as une telle responsabilité que cette responsabilité a un côté holistique. Donc en fait, tu te dois, en tout cas moi je le vivais comme me devant d'essayer d'aménager un monde qui soit vivable. C'était au-delà d'elle, au-delà de moi, c'est vraiment comment œuvrer maintenant à ce que ce monde ne soit pas complètement hostile. Et aussi, c'était clairement une question que les filles se posaient et que je posais aux filles aussi. Est-ce que vous vous projetez assez dans le futur pour vouloir mettre au monde un enfant, une enfant dans ce monde-là ? Et leur réponse était très disparate, très hétérogène par rapport à ça. Et de fait, elles appartiennent à une génération où la préoccupation environnementale prend beaucoup de place et du coup vient en collusion avec le potentiel désir d'enfant. Dans la situation, mais j'abonde dans ton sens, éduquer un enfant, c'est effectivement lui inculquer des idées, des valeurs, et pour le pire comme pour le meilleur, c'est évident. Et alors, juste une chose, on parle d'idées et de valeurs, mais en fait, c'est la vie, c'est la manière dont... Toi tu vis en tant que parent qui va avoir une influence immense en fait sur ton enfant. Donc c'est pas seulement en fait ce que tu vas nuire, les mots, les livres, c'est vraiment en fait comment tu vis. En fait ton enfant va voir comment tu vis, les décisions que tu prends, la manière dont tu te comportes, la manière dont tu analyses le monde autour de toi, enfin voilà, et tes choix et les gens dont tu t'entoures. Donc il y a ça qui est effectivement fondamental, qui a un impact énorme. Et effectivement après il y a l'école et la société, elle se lie à travers l'école et ça t'a pas de problème. Il faut trop pouvoir là-dessus avec ton enfant. Dans le cas de ma fille, je crois qu'elle a vu que quand ça n'allait pas dans une relation amoureuse, par exemple, j'y mettais un terme, que j'avais le courage de partir. Elle a vu aussi que je priorisais souvent mon travail ou la création, et toujours en expliquant pourquoi et en y mettant les mots. Et puis par ailleurs, très très tôt, je lui ai aussi donné les outils pour qu'elle puisse analyser des situations, notamment de friction, de tension ou de discrimination. dans son entourage. Donc, et pas vraiment, vraiment pas seulement sur les questions de genre, les questions de race, les questions de classe sociale, les questions de de rapport de pouvoir. Donc elle a l'œil en fait maintenant, elle a 10 ans et ça, pour le coup, c'est effectivement une fierté. C'est super. pour elle et pour la société. Elle s'est très bien analysée une situation où une personne va être discriminée à cause de sa couleur de peau ou que les garçons vont prendre la main ou l'espace. Elle se plaint toujours, elle avait fait une manif en grande section de maternelle parce que les garçons en fait avec leur jeu de ballon prenaient beaucoup trop d'espace dans la cour de récréation et donc elle l'avait observée et elle avait dit que ça n'allait pas du tout. Là elle revient d'un week-end crampé, scout laïque écolo et les garçons faisaient des blagues déjà à 8-11 ans à caractère sexuel sur des activités c'était extrêmement. pénible en fait et elle l'a signalé parce que ça n'allait pas. Donc voilà, elle sait. Au centre aéré, quand il y a une petite fille noire qui n'a pas d'amis et que les moniteurs disent que c'est parce qu'elle n'est pas très liante, bah non, elle va trouver les gens et elle dit bah non ça va pas, Maïmonata reste dans son coin parce que c'est pas parce qu'elle n'est pas liante. Donc elle est conscientisée et c'est super. Et je trouve ça complètement faux de dire « Ah, mais elle est conscienticienne, donc elle voit le mal dans le monde. » Pas du tout, en fait. Ça lui donne aussi des armes pour lutter. Elle fonctionne, quoi. Ouais, ouais. Et elle le fait aussi avec beaucoup d'humour.

  • Speaker #1

    Et elle en a pensé quoi du film, alors ?

  • Speaker #0

    En fait, je n'ai pas pu entièrement débriefer. En fait, elle était hyper fière. C'est très, très touchant. Elle était hyper fière de moi et hyper fière d'elle-même, en fait, de ton film.

  • Speaker #1

    Oui, tu me déconnes. Ça doit être très impressionnant.

  • Speaker #0

    Ouais, elle était hyper touchée. Et elle était hyper touchée de te voir... bébé, grandissant et tout. Et c'est vrai que je crois que pour une petite fille, c'est assez fort de voir un film sur grand écran qui lui est adressé. Donc, donc, ouais, ouais, ouais, grande, grande fierté. Et puis après, en fait, il y avait plein, plein de trucs. J'avais montré déjà des séquences, mais plein de choses qui n'étaient pas hyper claires. Enfin, même George Floyd, MeToo, elle est petite. Donc, il y a des choses qu'elle n'a pas vécues directement. Donc là, il faut qu'on fasse un gros débrief sur certaines séquences. Et les filles, elles les avaient pour la plupart déjà rencontrées. Donc. Donc ça, il y avait un effet de familiarité. Déjà, une forme d'effet de sororité.

  • Speaker #1

    Et je me posais une question. Pendant l'avant-première, on a pu te poser des petites questions. Et il y a un moment où tu as dit que, puisque les filles avaient donné beaucoup au film, il te paraissait évident de donner aussi toi un petit peu, ce que tu n'es pas nécessairement habituée de faire. Là, tu as évoqué des sujets comme ton rapport à la maternité ou aussi une séparation qui a eu lieu dans ta vie. C'est aussi... Oui. C'est un petit peu se mettre à nu que de passer de l'autre côté de la caméra. Est-ce que c'était impressionnant pour toi de partager ça à un public d'inconnu en soi ? Parce que je me suis fait la réflexion quand on était dans la salle, de me dire, waouh, tu partages des moments, merci de le faire, mais tu partages des moments de ta vie à plein de gens que tu connais pas. Est-ce que toi, c'est quelque chose que tu étais réticente à faire, puisque tu ne l'avais jamais fait avant ? À quel point est-ce que ça te paraissait nécessaire ? Et comment tu le vis aujourd'hui de savoir que tu donnes un peu de toi aussi au public ?

  • Speaker #0

    Tu sais, je crois que c'est... plus difficile de partager ses parts de soi des gens que tu connais mais que tu connais uniquement professionnellement ou même des proches mais qui peuvent être potentiellement hostile qu'à des gens que tu connais pas en fait genre tu connais pas finalement c'est assez abstrait en fait quoi là aussi quand tu as moi j'ai vécu la maternité comme un c'est comme une sorte de devoir et un devoir de vérité et puis et puis tu fais un enfant t'oblige à être dans toujours dans la franchise enfin tu tu dois être dans le vrai en fait, quand tu éduques une enfant, t'es obligé. Et puis de toute façon aussi, t'es dans le physique, t'as les mains dans le caca, t'es confronté à plein de réalités et de vérités que tu peux pas trop t'esquiver. Et donc je pense qu'en tout cas, dans le cadre, il y a plusieurs niveaux de réponse là-dessus, mais dans le cadre d'un film que j'adresse à ma fille aussi, il y a vraiment un devoir de franchise et de vérité. Après, clairement, il y avait un besoin éthique de symétrie entre ce que les films avaient donné qui était... enfin bouleversant, intime, douloureux, parfois traumatique, et effectivement ce que moi, de moi, je mettais dans le film. Voilà, à un moment ça s'est imposé, pas du tout prévu, et en fait je me suis rendu compte que pour tisser tout ça ensemble, narrativement, donc là on revient un peu à la manière dont on écrit un film, en fait le dénominateur commun des filles, c'est Bernard College, parce qu'elles étaient étudiantes ensemble, mais en fait, entre guillemets, ça suffisait pas pour tout lier, ça suffisait à un certain niveau. de lecture, mais au niveau émotionnel et au niveau éthique, il fallait autre chose, c'est-à-dire moi. Et de fait, le film que j'ai fait avec elle et leur propre vie, ce qu'elle pouvait me raconter, ce qu'elle pouvait me livrer, elle pouvait m'inspirer. J'ai eu un impact sur ma vie et sur mes choix en fait et sur le courage avec lequel j'ai pu faire des choix en fait ces dernières années. Mais vraiment, voir... Ouais, ouais. Donc en fait, il y avait une justice de faire ça et c'était très légitime de m'y mettre. Mais c'est pas du tout facile parce que là, on gère pas des refs, on gère des archives à soi, il y a une pudeur évidemment, il y a toujours de moins qu'immensément la peur d'un vade à un narcissisme. Il s'agit pas non plus de dévoiler trop, ni de... Il fallait que je le fasse avec humour. Donc... Ouais, tout ça, c'était pas simple. Et c'est pour ça aussi que c'est magnifique de monter avec quelqu'un, d'avoir d'autres regards. Et de fait, ma monteuse Marie Ausha est une femme exceptionnelle, une monteuse exceptionnelle. Elle est aussi réalisatrice. Elle a fait un super court-métrage qui s'appelle Le Passage du col, où elle filme en pellicule en 16 mm la pose de Stérilé. Et oui, et oui. Donc voilà, elle aussi, elle a des ovaires pour remplacer l'expression avoir des couilles. Donc elle a des ovaires, clairement. Et donc elle a fait ce film magnifique et donc elle m'a aussi beaucoup orientée et guidée dans ce récit. de l'intime.

  • Speaker #1

    Et pour parler un peu plus de cette éthique-là que tu essaies de préserver, qui est effectivement hyper importante, comme tu dis, quand on traite de l'intime, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. La responsabilité que c'est de devoir raconter la vie de quelqu'un qui n'est pas soi. Est-ce que toi, t'as eu des... Comment t'as géré cette crainte ? Je pense à deux craintes. D'abord, la crainte de peut-être dénaturer un récit qui t'est confié, avoir peur que les personnes ne se reconnaissent pas dans la façon dont tu les as éditées, montées et diffusées. Et aussi peut-être la crainte d'exposer des gens. Je pense au climat politique dans lequel on est. Tu sais que tu as quand même une audience et que ça pourrait être récupéré par des gens qui n'ont pas toujours de bonnes intentions. Comment est-ce que tu gères, toi, ces deux craintes ? La crainte d'exposition et la crainte de manipuler un récit qui n'est pas le tien.

  • Speaker #0

    En fait, c'est tout l'enjeu du cinéma documentaire. Le cinéma historiquement est documentaire. Il ne faut pas dire un film versus un documentaire. Un documentaire, c'est du cinéma. Et dans beaucoup de fictions, il n'y a pas de cinéma. Donc, on ne peut pas dire que le documentaire, c'est forcément la télé. Documentaire, c'est du cinéma ou en tout cas potentiellement du cinéma. Donc, le documentaire, depuis toujours, filme l'autre, l'autre que soit. Donc, il y a quand même une grande tradition épique de... l'appropriation du regard colonial, de l'absence d'éthique, et notamment d'un regard blanc sur l'autre, un regard dominant en fait dans le documentaire, c'est une évidence. Et donc on est à un moment historique depuis quand même quelques décennies, pas partagé par tout le monde, mais où il y a une pratique du documentaire qui réfléchit à la question du consentement, dans le milieu anglo-saxon on dit « accountability » , donc c'est vraiment quelque chose d'important, et donc la responsabilité. Alors, Non mais on passe des nuits blanches en fait pour répondre à ces questions-là, c'est insondable. Et puis il n'y a pas de recette. Il y a sa propre boussole éthique, il y a aussi parfois en fait la réalité, les rushs, des choses qui sont compliquées, etc. Alors, elles sont majeures, elles sont bien portantes et elles maîtrisent leur image et leurs propos. Elles maîtrisent la parole, elles ne sont pas dans une situation de vulnérabilité, elles maîtrisent leur parole, elles ont tous les outils en fait pour maîtriser ce qu'elles disent. parfaitement. Les conditions sont claires dès le départ, on est dans un film qui peut potentiellement être diffusé très largement et par ailleurs elles estiment qu'elles ont des choses à dire au monde, elles savent que quand elles le disent à moi, elles les partagent potentiellement avec le monde. Elles ont d'autres espaces dans la vie, professionnellement, où elles les partagent avec le monde donc elles sont actives sur les réseaux voire très actives, c'est-à-dire quand je la rencontre elle est sur youtube, elle est partout. Donc je viens m'inscrire en fait enfin je viens inscrire le projet auprès de femmes qui sont déjà en fait qui ont déjà une vie publique donc c'est quand même déjà des des des préalables et des postulats de départ qui rendent la démarche un peu plus aisée, plus horizontale. Et après, bien sûr, quand on monte, on fait des choix, mille choix tous les jours. Et c'est clair qu'il suffit d'une musique, d'une seconde de plus ou de moins dans un plan, et on dit autre chose, des mille nuances sur tout. Voilà, sur les protagonistes. Donc comment juger à chaque fois que c'est les bons choix, qu'ils les représentent bien, qu'ils sont justes. Ils peuvent elles-mêmes aussi peut-être les déplacer, les amener vers d'autres perceptions, prendre conscience des choses sur elles, mais toujours dans le respect. C'est un exercice d'équilibriste. Et ça, ce travail-là, tu le fais en documentaire, tu le fais grâce à... Beaucoup de temps, j'ai passé beaucoup beaucoup de temps avec elle, beaucoup de temps à suivre ce qu'elles font, à voir ce qu'elles publient, et puis faire des très longs entretiens, très très en profondeur, pendant des heures, et aussi à déterminer ce qu'elles veulent dire, ce qu'elles ne veulent pas dire, les périmètres, et ensuite on avance comme ça. Il y avait parfois des moments où... Avec Marie, avec ma monteuse, elle faisait une journée et puis elle me montrait des trucs, elle me proposait des trucs. Et elle me disait, ça, ça va leur faire plaisir à Laila, c'est beau, je suis sûre qu'elle va adorer. Et c'était un peu notre boussole, tu vois, c'était un peu ce genre de truc qu'on se disait. Ah ouais, ça, je suis sûre qu'elle ne se souvient même pas de ce moment qu'on a filmé en 2018 et tout. Mais là, monter avec cette musique et tout, ça va être chambé pour elle.

  • Speaker #1

    Et pour ce qui est de la relation de confiance que tu arrives à construire avec elle, parce que... Et tu le dis toi-même, on peut... probablement plus facilement se confier sur certaines choses à des inconnus qu'à des proches. Et on le voit quand, dans les premiers entretiens, il y a certaines des filles qui te confient des trucs super personnels sur leur histoire familiale, par exemple. Mais comment est-ce que toi, tu gardes cette... Enfin, comment est-ce que tu préserves cet équilibre entre une relation qui reste quand même une relation professionnelle, où elles sont le sujet de ton documentaire ? mais une relation qui se veut suffisamment personnelle aussi pour qu'elle puisse te raconter quelque chose d'intime. Par exemple, une question que je me pose, c'est comment est-ce que tu décides ce que tu t'autorises à filmer ou pas ? Est-ce que tu filmes tout constamment ? Ou est-ce qu'il y a des moments où tu te dis « Ouh là, là, ça a peut-être plus à faire à l'humain et au personnel, donc je vais couper ma caméra et l'arranger et continuer cette conversation sans. » Comment est-ce que tu gères cette personne tierce qui est la caméra dans une relation de confiance entre toi et une jeune adulte ?

  • Speaker #0

    C'est pas une relation professionnelle. que j'ai avec elle. Je ne l'ai jamais vue. Ce n'est pas comme ça qu'on peut le définir. Je ne sais pas comment on peut le définir, mais ce n'est pas ça. C'est une relation qui est personnelle. Il y avait transitionnel et transactionnel via la caméra, via le film, mais elle est personnelle et elle est évolutive aussi. Tu peux la perdre à tout moment, elle peut changer, mais c'est une relation qui est personnelle. En documentaire, tu tournes. Après, si la personne te demande d'arrêter la caméra, tu arrêtes la caméra, mais tu tournes. C'est au montage, en fait, ensuite, que tu vas faire des choix. Et tu vas faire des choix à postériori. C'est-à-dire que quelque chose qui va te sembler choquant, ou extrême, ou obscène. Sur le moment du tournage, les années avec l'épaisseur historique d'un tournage, j'ai de la relation à la personne, 4 ans plus tard ou 7 ans plus tard. Quand tu le vois à l'échelle de l'ensemble des rushs, tu te dis que c'était fondamental, c'était fondateur. Et il faut le garder parce que la personne l'a redit, ou parce que la personne l'assume après, ou parce que ça fait écho à quelque chose que la personne aura vécu 5 ans plus tard. Donc en fait, ces choix-là, finalement, ils se font surtout au moment du déruchage et du montage. Et du coup,

  • Speaker #1

    comment est-ce que tu choisis au moment de ce Ausha, comment est-ce que tu choisis ce qui doit être raconté et ce qui pourrait rester secondaire et qui ne figurera pas dans le film in fine ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est le montage. En fait, je ne sais pas exactement combien d'heures de rush on avait, mais on devait en avoir 300 pour faire un film de 90 minutes et quelques. Et donc, tu Ausha tout, tu transcris tout et puis pour... Tu fonctionnes, c'est une sorte de technique d'entonnoir. En fait, tu sélectionnes petit à petit les moments les plus importants. Et puis, tu te fais ce qu'on appelle des chutiers, des sélections de scènes de vie, de scènes de ce que tu veux, de l'actualité, des paysages. Tu te fais des dossiers, ce qu'on appelle des timelines avec différentes catégories de choses. Ça, c'est une première méthode. L'autre méthode aussi, c'est évidemment par personnage. C'est-à-dire qu'on fait une sélection des scènes et des séquences les plus importantes, entretien et séquences les plus importantes par personnage. Et ensuite, il faut tisser tout ça. Donc l'art de la combinatoire qu'est le montage, c'est dans ce cas précis, très délicat et ça a pris du temps, parce qu'il y avait non seulement un récit qui s'est assez rapidement imposé comme étant chronologique, comme devant être chronologique, et un récit chronologique qu'il fallait ensuite nourrir, donc il a fallu réinjecter dans la narration, dans le film, des archives, pour documenter en quelque sorte la chronique ultra contemporaine de l'histoire étatsunienne, respecter aussi leur propre chronologie à elle, et ensuite respecter en fait un équilibre. entre chaque personnage. Et donc, il y a toute sorte d'impératifs. C'est vraiment une sorte de Rubik's Cube. Et puis ensuite, l'équilibre avec ma voix off, où il ne faut pas qu'elle disparaisse trop longtemps, il faut qu'elle revienne, il ne faut pas qu'elle prenne le dessus. Donc, c'était un montage qui était très complexe. Donc, jusqu'au dernier moment, en fait, on a monté. Puis la musique aussi, la musique de Ausha Sasaki, elle a une importance assez marquée, en fait, dans le film. Il y a quand même aussi un devoir un peu pédagogique, c'est-à-dire qu'il faut aussi qu'un public étranger comprenne ce que c'est que cette université américaine, qu'on prenne ce qu'elles font aussi dans la vie, leur métier. Il y a des moments d'entretien qu'on utilise pour leurs valeurs informatives, d'autres pour leurs valeurs intimes, d'autres pour leurs valeurs émotionnelles.

  • Speaker #1

    En 10 ans, les filles ont grandi, ont fait leur vie. L'époque politique a beaucoup changé aussi. Quand tu as conçu l'idée de ce documentaire fait sur 10 ans, est-ce que toi tu t'attendais à ce que la politique politicienne prenne une telle place dans ce documentaire-là ?

  • Speaker #0

    En fait, quand je les ai rencontrées, elles étaient toutes, peut-être à part Anta, qui était plus... intellectuellement sur des sujets de théorie politique et d'histoire, mais pas forcément concrètement activistes. Mais sinon, elles étaient toutes militantes et vachement actives dans des groupes, dans des communautés. dans des communautés, y compris sur certaines actions. Evie, par exemple, elle avait même été en garde à vue sur une action contre des pipelines, des oléoducs et des gazoducs. Talia était ultra active sur les questions LGBT dans les communautés juives, sur les droits des femmes et LGBT. Et Laila était aussi très impliquée dans les luttes pour l'environnement, notamment. Moi, ce que je pensais, c'est qu'elles allaient, toutes les quatre, rester très, très, très, très militantes. très activistes dans leur domaine, dans leur communauté, ce qui n'a pas été finalement complètement le cas. Et ça, on pourra y revenir. Ce que l'on prévoyait de la trajectoire de la démocratie états-unienne qui allait vers l'effondrement et vers le fascisme, non, on ne l'avait pas trop prévu, en tout cas pas du tout dans ces proportions-là. En fait, quand on commence à tourner, c'est la fin du deuxième mandat d'Obama. Il y avait eu beaucoup d'attentes de leur part. Il y avait aussi beaucoup de déceptions quand même dans sa gestion de... des questions aussi de problématiques d'intégration, d'antiracisme aux États-Unis, dans sa politique étrangère. Donc il y avait plein plein de déceptions, mais disons que tout le monde pensait que Hillary Clinton allait être élue en 2016. Et donc ce ne fut pas le cas, et là effectivement quand Trump est élu, il y a déjà un effet de sidération. Et alors par exemple, elles ont été vachement actives pour faire du porte-à-porte, enfin en tout cas certaines, pour faire du porte-à-porte à la fin du mandat de Trump en faveur de Joe Biden. Donc... Il faut aussi dire que la plupart des protagonistes de ce film sont absolument contre ce système des deux parties, où en fait progressivement, et je pense que c'est le cas aussi en France, ont progressivement perdu espoir et confiance dans le système présidentiel pour les représenter. Elles n'ont pas perdu espoir et confiance dans le pouvoir de leur vote. Elles restent des citoyennes qui votent activement. Ça c'est intéressant. Vu leur couleur politique et leurs engagements, des équivalents en France auraient peut-être perdu foi dans le bulletin de vote. Elle s'est... pas du tout le cas, elles sont en mode, non mais on a tellement lutté pour avoir le droit de vote, moi je vote quoi, je vais jamais perdre une seule occasion de voter. Et en plus, il faut noter, ça c'est important, quand on vote pour les présidentielles aux Etats-Unis, on vote aussi pour plein d'autres choses, dans son état, pour le Sénat et tout, donc c'est vraiment un acte qui a un énorme impact. Donc oui, je pensais que via leur activisme, en fait, on allait rester branchés sur l'histoire politique états-unienne, je ne pensais pas que... ce film et cette décennie allait nous mener vers le fascisme et vers l'effondrement de la démocratie états-unienne. Ça, personne ne le prévoyait. Quand je commence à tourner, enfin en 2016, Laila elle me dit, c'était très mignon parce que je suis assez naïf, mais évidemment on comprend ce qu'elle voulait dire, j'arrive même pas à comprendre que le activisme est une chose, qu'on soit qualifié d'activiste quand on lutte pour le climat, quand on lutte pour les personnes en situation de handicap, quand on lutte pour l'accès aux droits à l'avortement. En fait, ça devrait être... ça devrait être un donné en fait. Et donc, ils disaient, mais pourquoi est-ce qu'on est réduit, on est labelled, on est catégorisé, minoré en tant que militante, alors juste qu'on lutte pour le bien commun, en fait. Elle me disait, elle avait 19 ans, l'histoire a montré que non seulement c'est une catégorie d'être militante, mais maintenant c'est devenu dangereux, en fait. C'est-à-dire que quand on puisse, même sur le campus, il devrait être pourtant des sanctuaires. à Barnard et à Columbia quand on lutte pour ces idées-là, quand on lutte pour un cessez-le-feu à Gaza, quand on lutte pour les droits LGBT, etc., en fait, ou quand on lutte pour que Columbia et Barnard, que leur système financier, en fait, ne repose plus sur l'investissement dans les industries fossiles, ben, en fait, c'est devenu dangereux, en fait, ce n'est plus possible aujourd'hui. Alors même que c'était des havres de liberté de pensée, de freedom of expression, de liberté de parole, etc., et maintenant, c'est plus le cas, elles ont anti... les universités malheureusement au niveau administratif et policier sur cette dynamique là, avant le mandat de Trump. Et maintenant que Trump est élu, les universités très prestigieuses de la côte Est qui étaient censées être des hauts lieux du progressisme sont en train d'être définancées, d'être menacées avec par exemple Columbia qui est en train de perdre 400 millions de dollars d'aides fédérales parce que sous prétexte que l'antisémitisme n'était pas assez combattu sur son territoire et tout ça par des néo nazis. Enfin, je veux dire, ça manque quand même pas de... Voilà. Donc on est dans cette situation-là. Et effectivement, le retour des filles face au film quand elles l'ont découvert il y a quelque temps, était la profonde tristesse de voir que ce qu'elles pouvaient faire et les idées pour lesquelles elles mutaient en 2015, 2016, 2017 sur le campus, non seulement il y a eu une forme de défaite, mais qu'en plus, au niveau du campus même, cette liberté-là n'existe plus. En fait, elles pourraient finir emprisonnées. en fait aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier épisode de ce podcast que j'ai fait, je l'ai fait avec une de mes meilleures amies avec qui j'ai beaucoup milité l'année dernière sur le campus. Cette notion un peu schizophrénique de te dire je suis dans un établissement universitaire qui doit me permettre de changer le monde et je participe à...

  • Speaker #0

    L'oppression. L'oppression.

  • Speaker #1

    à l'oppression en fait en étant là et d'un autre côté je vais en manif pour lutter contre les politiques élitistes contre cette idée de méritocratie contre la violence coloniale en continuant de payer mes frais d'inscription d'une école extrêmement cher qui va

  • Speaker #0

    pas du tout dans le sens de ces discours là ouais c'était une situation d'un aussi de dissonance presque cognitive en tout cas politique tout était très consciente de ça après Les situations étaient divergentes selon leur situation de rendettement, de bourse, etc. C'est-à-dire que quand on s'endette à vie pour payer ses études, comme c'est le cas d'une majorité d'Américains, ça crée des situations absolument tragiques. Et ça crée des situations d'inféodation au système capitaliste. C'est très très grave, mais c'est majoritaire aux États-Unis. Donc c'est juste un système capitaliste et les universités en font activement partie. Dans le cas d'Antha et Layla, à Barnard, quand elles étaient à Barnard, elles avaient des bourses intégrales. Donc elles étaient là, moi je suis. payée pour apporter de la diversité, pour représenter de la diversité sur le campus. Donc je vais utiliser absolument toutes les ressources possibles pour lutter contre. Je pense qu'elles avaient une approche non pas cynique, mais pragmatique aussi. C'est-à-dire qu'une fois qu'elles sont là, parce qu'elles avaient désiré être là, mais parce qu'elles avaient choisi Barnard, elles avaient les notes pour aller dans d'autres universités aussi prestigieuses et aussi sélectives, mais elles avaient vraiment choisi Barnard parce que c'était une université féministe, de femmes, gender expansive. et féministe, et elle voulait s'emparer de tous les outils qui étaient à leur portée pour faire porter leur voix dans le monde pendant ce temps-là et après. Mais Layla, ensuite, a repris des études, et là, pour le coup, elle a dû souscrire à un pré-étudiant, et ça, là, c'est une chaîne à son pied, en fait, réellement. Voilà, dans le cas de Danta, elle, elle est partie de rien, en fait, elle avait rien, elle a jamais rien eu, elle a pas de ressources, pas de famille, même pas d'archives de son enfance, elle a rien du tout. Donc elle est dans une situation de déracinement, mais qui lui donne aussi une grande liberté de ton. Elle a de compte à rendre absolument à personne. Dans le cas de Thalia, c'est différent parce qu'elle est journaliste et pour le coup, elle a un devoir de réserve, qui est particulier pour elle, et vit son boulot. Son boulot, c'est de parler très très fort. Son boulot, c'est de dénoncer les injustices, notamment environnementales et de pollution industrielle à Dallas. Donc ça fait vraiment partie de son boulot. Mais oui, c'est hautement paradoxal. Et c'est le grand paradoxe des universités américaines, qui sont des hauts lieux d'invention du progressisme, pour le monde entier, et qui en même temps sont des lieux de capitalisme forçonné.

  • Speaker #1

    Il y a une phrase qu'a prononcée Thalia dans le film. C'est ce moment où elle dit, si je pouvais dire quelque chose à la moi d'il y a dix ans, c'est de ne pas rester dans les endroits où on n'a pas envie de toi. te veux pas là. Et c'est intéressant parce que je trouve que quand on entend cette phrase, on peut l'apercevoir. C'est un peu presque comme une forme de renoncement qui va à l'encontre de toute idée préconçue qu'on a du militantisme, qui est de se dire que si on arrête de lutter, on laisse les autres gagner. Mais d'un autre côté, je trouve qu'il y a une forme de sagesse qui est très belle et qu'on trouve un peu aussi, c'est pas Anta qui dit cette phrase, mais je trouve que le parcours de Anta représente un peu ça aussi. Où au tout début du film, elle dit, je me verrai pas partir des Etats-Unis, peut-être aller en France un très court temps, mais je ne me verrai pas partir parce que j'ai l'impression que je suis obligée de rester ici et que je dois à ce pays de faire en sorte que sa situation s'améliore vis-à-vis du vécu des personnes racisées notamment. Et en fait on voit qu'elle n'a jamais abandonné cette lutte mais qu'elle la mène depuis la France dans un contexte qui est davantage favorable à sa... à la préservation de sa personne, à la préservation de sa santé mentale. Et je l'ai trouvé que c'était intéressant de montrer ça.

  • Speaker #0

    C'est très beau ce moment où Thalia exprime ça. C'est tellement juste. Elle cherche ses mots et puis elle trouve cette formule là. Et ça lui coûte de l'admettre. Ça lui coûte. Et c'est d'une grande vérité. Là, ce que tu évoques, c'est la question de l'usure militante aussi. c'est qu'au bout d'un moment, on s'épuise et on s'oublie. Et je pense que quand on veut changer le monde, on doit aussi, au bout d'un moment, se préserver. On ne peut pas, pour sauver le mât, sacrifier la quille du bateau. Donc le film accompagne ce mouvement-là, c'est-à-dire ce mouvement de self-care. Et donc le self-care, ce n'est pas un repli sur soi, c'est juste que se préoccuper de soi et de comment perdurer dans ce monde-là et de protéger sa santé mentale peut faire partie d'un geste politique, en tout cas d'un souci collectif. Est-ce qu'il y avait été théorisé Bell Hooks ? Il y a des textes fondateurs et Audrey Lord aussi là-dessus. Et de fait, c'est surtout la trajectoire d'Anta qui est celle-là. C'est-à-dire qu'elle a tellement un bagage traumatique et de déracinement que... Son enjeu, à elle, c'est de se reconstituer, de réparer, et ça prend dessus en fait sur certaines luttes collectives, clairement. Mais pour moi, et c'est comme ça que je le filme, c'est comme ça que je le raconte dans le film, en fait ça a une valeur collective. Enfin, de la voir elle, faisant ça, essayant de reconstituer un arbre généalogique, essayant d'appeler quand même, d'obtenir justice avec la police new-yorkaise, etc. Pour moi, en tout cas, je veux que le film dise combien c'est courageux, et ce courage-là, en fait, on a beaucoup de choses à apprendre de lui. Mais en tout cas, voilà, ce que dit Talia, c'est effectivement qu'il y a un moment, en fait, il ne faut pas s'acharner dans une communauté qui vous rejette, et en fait, utiliser ses forces et ses énergies et son savoir dans des cercles qui peuvent, qui quand même ont des capacités de transformation.

  • Speaker #1

    Et une question que je me posais aussi sur l'histoire de Thalia tout particulièrement, le film aborde à un moment, enfin tout au long du film en fait, son rapport à la religion, qui est un rapport très intime, là encore on est au cœur de l'intimité. Moi je me posais la question de la sensibilité que c'est que de traiter d'un rapport aussi intime que le rapport religieux, surtout quand c'est le rapport religieux entretenu par une femme. On sait que raconter l'expérience religieuse d'une femme dans l'espace médiatique actuel, ça... peut être soumis à une volonté de récupération politique par certaines personnes. Est-ce que, toi, c'est des questions que tu t'es posées ?

  • Speaker #0

    Je crois que quand tu es une femme, tout ce que tu dis, tous les pans de ton identité peuvent être de toute façon récupérés de manière hostile et détournée. Il y a une réalité. La proportion de personnes qui se disent croyantes et pratiquantes, statistiquement, aux États-Unis, elle est énorme. Donc, en fait, le fait religieux aux États-Unis, il est prédominant. Ça, c'est énorme. première constatation. L'autre constatation, je ne me souviens plus des chiffres, mais le fait religieux, il est dominant dans le monde entier. C'est-à-dire qu'il y a plus de gens croyants. Je ne dirais pas forcément pratiquants, je ne sais plus. Encore une fois, il faut vérifier les chiffres, mais la proportion de gens croyants dans le monde est beaucoup plus grande que les gens qui se disent agnostiques ou non religieux, etc. Donc les affiliations religieuses et confessionnelles, en fait, elles sont très très présentes dans l'humanité encore aujourd'hui. Et c'est quelque chose qui surprend. Donc en fait, les regards... disons ouest européen et français en fait sur les réalités disons religieuses des protagonistes du film, les gens étaient très perturbés. Comment elles peuvent allier en fait féminisme et religion, c'est forcément antagoniste, c'est forcément en conflit etc. Et moi ça m'intéressait vachement d'aller à cet endroit là précisément. C'est un défi supplémentaire. Comment en fait tu... non seulement tu agis dans ce cercle-là, mais aussi tu fais de la religion un outil, un périmètre dans lequel tu agis de manière féministe. Donc, tu allais le dire très bien au début, c'est que je suis juive, orthodoxe, pratiquante, ça fait partie de mon identité, je ne vais pas quitter cette identité-là, sous prétexte qu'il s'avère qu'elle le fait plus ou moins après dans sa vie, mais que ça fait partie de... son appartenance au monde en fait se définit comme ça. J'ai eu des questions assez toxiques pour être par exemple dans une autre dans une commission, dans une audition, on m'a demandé comment en fait une jeune américaine féministe pouvait décider de se marier avec un homme iranien. Donc si tu veux les raccourcis un peu rapide sur les nationalités, les religions etc sont très facilement faits enfin partout dans le monde c'est certain, mais donc il n'y a pas de voilà il n'y a pas de bonne féministe nécessairement, il n'y a pas de... Voilà. Enfin bref, j'essaie justement dans le film de déconstruire en fait ce qui pourrait... Enfin, à valeur, face value pourrait sembler être en contradiction et en fait qui le sont pas. C'est ces endroits-là de friction qui m'intéressent. Après Thalia, son outil, son enjeu, c'est justement de travailler sur le l'interfaith, sur l'interreligieux en fait. Et c'est là où elle est brillante, opérante et courageuse.

  • Speaker #1

    10 ans en arrière, quels conseils tu te serais donné dans la réalisation de ce documentaire ? Pour ne pas parler que du passé, mais parler aussi du futur. Je ne vais pas te demander où est-ce que tu te vois dans 10 ans, parce que ce n'est pas un entretien d'embauche, mais de quoi seront faites tes 10 prochaines années ?

  • Speaker #0

    Tu sais, c'est la question que je leur pose. Qu'est-ce que tu dirais à ton self, ton moi d'il y a 10 ans ? Et je t'avoue que je ne me suis même pas posé la question. En revanche, de faire une sorte de bilan. en fait de m'adresser quelque chose à moi-même aujourd'hui et à placer dans l'épilogue du film ça a été un vrai sujet en fait ça a été un peu demandé mais genre il faut que tu... you have to wrap up, you have to wrap up by the girls, you have to wrap up by your daughter, you have to wrap up by yourself et franchement ça c'était pas aller être naïf ou... comment faire ça en fait sincèrement comment faire ça et puis je sais pas trop en fait en revanche m'adresser à mon moi d'il y a dix ans je pense que ce que je... ce que... L'injonction que je me serais donnée, c'est de me faire confiance, de me faire confiance et de m'écouter, et de me respecter, de m'aimer dans ce que je traversais, dans ce que je voulais, désirais. et que je n'osais pas encore assez, en fait. Je n'osais pas encore assez, je pense que c'est ça que je peux dire. Et après, j'avais aussi, je crois, beaucoup de courage déjà et beaucoup de confiance dans mon agentivité en me lançant dans ce film. Donc le film est finalement le résultat de beaucoup, beaucoup de pugnacité, d'endurance, de résilience et ça, on peut le... Enfin voilà, je le célèbre, je suis fière de ça. Et voilà, I own it. Donc ça, c'est une chose. Et de fait, souvent. tant que femme on n'arrive pas à se célébrer assez, donc il faut le faire. Et après, on a un pacte, donc il faut qu'on renégocie notre pacte, donc il faut qu'on voit comment je retourne avec elle, qu'est-ce qu'on va faire, sachant que le chapitre qui s'ouvre pour elle est quand même potentiellement celui de la parentalité. Et de mon côté, je ne sais pas, c'est quoi, c'est au programme Adolescence de ma fille et Ménopause, je ne sais pas, on va voir.

  • Speaker #1

    pas très importante de la vie.

  • Speaker #0

    Absolument. Voilà, je dois laisser un tout petit peu se déposer la réception du film-là, absorber, recueillir tout ce qui se dit, tout ce qui se ressent avec ce film, y compris en moi. Et ça me laissera ensuite... Je crée les conditions pour penser la suite. Il va falloir que je décide dans les prochains mois. Mais on verra. Et avec les filles aussi, évidemment. C'est une décision collective et collégiale.

  • Speaker #2

    Si ce podcast a su éveiller votre curiosité, d'abord sur le vécu de ses protagonistes, ensuite sur le rapport tout particulier, à la fois politique et intimiste, qui l'entretient avec les images, vous pouvez le retrouver gratuitement sur la plateforme de streaming d'Arte en cherchant Girls for Tomorrow. Et je suis même pas payée pour vous dire ça. Maintenant, moi je vous laisse, je vais cultiver la sororité essentielle à mon bien-être en allant retrouver une de mes amies. A bientôt !

Description

En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un besoin profond de sororité. C’est alors qu’elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement réservée aux femmes. Elle y rencontre quatre étudiantes : Evy, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi — et la promesse — que leur fait Nora : filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années.

Nous sommes en 2025, et ce documentaire vient de sortir sur Arte. Il s’appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s’en est passé des choses, qui ont chacune bousculé la vie de ces protagonistes, ainsi que notre paysage politique tout entier : il y a eu des surprises qui nous ont sidérés, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérés quand même, comme sa réélection.

Après avoir vu le film réalisé par Nora, j’avais plein de questions à lui poser, tant sur son travail documentaire (parce qu’il n’est pas évident de filmer et de monter dix ans de vie privée de cinq femmes) que sur l’aspect politique de ces images.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il y a tellement de travail qui doit être fait.

  • Speaker #1

    Tu n'aimes pas le sexisme,

  • Speaker #0

    alors pourquoi ne pas être une femme ? Ça ne marche pas pour moi, c'est qui je suis.

  • Speaker #1

    Quelle génération nous a fait avoir à se dérouler de ça ?

  • Speaker #0

    Ils nous disent que ça s'est passé parce que nous sommes clairs. Je me suis mis à beaucoup d'anxiété en ne pas savoir ce que la Terre va ressembler dans 20 ans.

  • Speaker #2

    En 2015, Nora Philippe arrive à New York. Documentariste et nouvellement mère, elle cherche à explorer sa maternité et son féminisme. Elle éprouve un profond besoin de sororité. C'est alors qu'elle découvre Barnard College, une université américaine exclusivement féminine. Elle y rencontre quatre étudiantes, Evie, Lila, Anta et Talia, toutes engagées et prêtes à relever le défi et la promesse que leur fait Nora, filmer leur vie, de la façon la plus intime et politique possible, pendant dix années. Nous sommes aujourd'hui en 2025 et ce documentaire vient de sortir sur Arte et s'appelle Girls for Tomorrow. En dix ans, il s'en est passé des choses qui ont chacune bousculé la vie de ses protagonistes et tout notre paysage politique. Il y a eu des surprises qui nous ont sidérées, comme la première élection de Trump, et des non-surprises qui nous ont sidérées quand même aussi, comme la réélection de Trump. Après avoir vu le film réalisé par Nora, j'avais plein de questions à lui poser. Tant sur son travail documentaire, parce qu'il n'est pas évident de filmer et de monter dix ans de la vie privée de cinq femmes, que sur l'aspect politique de ces images. J'ai eu l'opportunité de les lui poser pendant un appel le lendemain de l'avant-première de son film à Bruxelles et je vous laisse avec cette conversation.

  • Speaker #1

    Le premier point que je voulais aborder avec toi, c'était celui de la réalisation du film. En 2015, tu prends ta caméra, tu vas rencontrer des jeunes adultes que tu ne connaissais pas et tu dis que tu vas suivre leur vie pendant 10 ans. Du coup, en partant du postulat que ton histoire, elle va suivre ce qui se passe dans la vie de ces jeunes filles et ce qu'elles s'autorisent à te raconter, comment est-ce qu'on fait pour écrire un film autour de tant de flous ? parce qu'en fait, il y a dix ans, tu ne pouvais avoir aucune idée de ce qu'allait être le film aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas un projet effrayant à porter ? Est-ce que ce n'est pas un projet qui paraît si peu concret et si étendu dans le temps qu'il serait trop difficile à concevoir ?

  • Speaker #0

    Souvent, on fait des films pour essayer de tout comprendre pourquoi on les fait. Et c'est pour ça que j'aime le documentaire. Quand on fait du documentaire et qu'on filme le réel, on est à la recherche de quelque chose qui est à la fois à l'extérieur de soi et à l'intérieur de soi. On cherche quelque chose dans le réel. Et... et la raison en soi, pourquoi on va chercher ça dans le réel. Voilà, c'est ces deux mouvements, en fait. Et de toute façon, intrinsèquement, quand on se lance dans un documentaire, en fait, on est en quête. Donc après, c'est sûr que là, c'était un peu maximaliste, la situation dans laquelle j'étais, c'est-à-dire qu'il y avait un geste, il y avait un désir, il y avait une quête, mais effectivement, il n'y avait pas encore vraiment d'objet. Ceci dit, on est en 2015, je suis à New York, je cherche des idées, des solutions, des modèles, des sources d'inspiration féministes. pour répondre aux troubles, au trouble ou l'état quasiment dépressif dans lequel je suis, dans un postpartum un peu compliqué, dans un moment compliqué de ma vie. Et je trouve effectivement, chez ces étudiantes de Barnard College, qui est une université pour femmes et féministes très identifiée à New York, je trouve très rapidement un espace d'intelligence, d'intelligence collective, d'intelligence féministe, et de partage et de sororité, mais c'est très rapide. Et ce qui est fascinant, Ce qui me fascine moins en tant que française, c'est que ce genre d'espace, sincèrement, je n'en avais jamais rencontré en France. Mais jamais. Mais jamais. Jamais. Donc je suis saisie, en fait. Je suis saisie par ça. Et quand on est saisi à ce point-là, quand il y a à la fois, donc j'y reviens à cette dualité dont je parlais, cette rencontre avec un réel étonnant, en fait, et par ailleurs cette rencontre avec un besoin qui est nouveau en soi, mais qui semble être, enfin, trouver en quelque sorte une réponse dans ce réel-là, c'est fou, en fait. c'est dingue ! Donc c'est une sorte de conflagration comme ça très heureuse. Donc en fait le désir de ce film-là, il est né à ce moment-là dans cette rencontre, c'est-à-dire en contre. Et après le désir de travailler sur dix années et très vite je leur ai proposé de s'inscrire dans un temps très long. En fait c'est lié à deux choses très simples je crois et très universelles. C'est à la fois en fait le désir, c'est un pari et c'est une promesse. Et c'est le désir d'essayer de comprendre, de se mettre dans l'esprit, de se dire qu'est-ce qu'on va devenir. Qu'est-ce qu'on va faire de nos vies ? En tant que femme, on veut les écrire, on veut être maîtresse de nos destins. On se forme pour, on s'éduque politiquement pour, on est là pour décider, on sait combien c'est difficile, et on se lance ce défi-là pour y répondre, en fait. C'est-à-dire avec la caméra, avec l'aide de la caméra, grâce à la caméra, parfois contre la caméra, mais en tout cas, toujours en cheminement avec la caméra, on va essayer de décrire nos destins. Ça, c'est une chose. L'autre chose, c'est que j'étais face à des... Toute jeune femme de 18, 19, 20 ans qui avait une claire conscience non pas de leur propre futur nécessairement, mais des futurs de la planète, 2 sur 4 dans le film, faisait des étudiants en sciences environnementales. Donc elles avaient une conscience très aiguë en réalité de ce que pouvaient nous réserver des... des futurs planétaires et souvent des futurs plutôt dystopiques, plutôt difficiles. Mais en tout cas, elles étaient déjà à l'œuvre sur la pensée, sur comment agir aujourd'hui pour faire en sorte que nos futurs soient vivables. Puis après, en cinéma, c'est peut-être la troisième réponse que je peux te donner, c'est que le cinéma, c'est juste fabuleux de voir des personnes grandir, vieillir, évoluer. C'est beau, quoi. C'est un tel mystère, la vie. On ne sait jamais ce que ça va nous réserver. Donc, de se dire qu'un film va l'accompagner, il y a quelque chose de beau, et... qui ne permet pas d'avoir plus de contrôle du tout. Faire un film sur la vie, c'est aussi vertigineux que la vie, mais c'est sûr que ça m'a nourrie et guidée ces dix dernières années.

  • Speaker #1

    Je trouve ça intéressant la façon dont tu as commencé, en parlant d'un état dépressif auquel tu avais besoin d'apporter une réponse presque politique. Le besoin de te retrouver dans la sororité, dans le féminisme, le fait que cet état de santé mentale, tu y aies trouvé une réponse. par un acte politique, en fait, qui est celui de filmer la sororité.

  • Speaker #0

    Alors ça, parlons-en, en fait, de cet élan, enfin de ce besoin, de cet élan d'être dans le collectif. En fait, moi, je n'ai pas grandi dans un environnement qui était hyper militant, qui était sensibilisé politiquement, conscientisé, oui, mais pas militant et pas vraiment, enfin, pas ouvertement, concrètement, explicitement féministe. Et surtout, j'ai grandi... avec plein de privilèges. Donc moi, je ne me suis pas retrouvée dans ma vie confrontée à des questions, à des problématiques de race. J'ai tout le temps été ramenée à mon genre. J'ai vécu tous les jours des microagressions sur mon genre, mais c'était complètement intégré. Et je n'ai jamais fait face à des traumas liés à mon genre. Et je n'ai jamais été confrontée non plus à des problématiques liées à ma classe sociale, à mon éducation, à ma nationalité, à des... quelconque handicap. Donc moi j'arrive en fait à la maternité, au moment de la maternité, dans une situation de privilège. Donc avec un vrai bagage pour le coup féministe intellectuel, mais sans avoir jamais éprouvé en fait une sorte de minération véritable. Et là en fait, et c'est là où il y a pour moi une sorte de disjonction cognitive et quelque chose qui est très inattendue et qui me prend de court, c'est que tout d'un coup la maternité que j'avais projetée comme étant, dans mon cas elle était désirée, que j'avais projetée comme un état de quelque sorte d'empuissancement, de d'épiphanie, de floraison, en fait, était un moment de dépossession. J'avais l'impression d'être dépossédée de ma capacité d'agir, à cause de la fatigue, à cause de ce que ça implique de responsabilité, de manque de liberté, de temps, de manque de sommeil, etc. Et c'est dans cette situation, mais comme beaucoup j'imagine, qu'il y a eu, je pense, un éveil, qu'on va dire, disons politique ou en tout cas féministe, clairement.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a un moment dans le film où tu poses la question à une des filles, où tu lui demandes est-ce que tu te verrais avoir un enfant dans le monde tel qu'il est fait aujourd'hui ? Donc la question de la crainte de la maternité. Et en fait, c'est une crainte politique de la maternité à laquelle moi je me pose beaucoup la question. Bon, je n'envisage pas d'avoir des enfants tout de suite, j'ai que 22 ans. C'est pas tant une crainte vis-à-vis de l'environnement politique qui m'entoure et le fait de se dire est-ce que j'ai envie de mettre au monde un enfant dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, c'est peut-être une crainte aussi un peu égoïste de me dire est-ce que j'ai envie d'avoir un enfant dans la société patriarcale telle qu'elle est, avec tout ce que ça implique, avec la charge mentale que ça va mettre sur le dos, la pression que ça va provoquer chez moi, le sentiment d'être toujours, d'être jamais assez mère, de jamais être... assez une bonne mère. Et en fait, la façon dont toi, tu te présentes la maternité dans le film, je trouve, va un peu au contre-courant de toutes ces inquiétudes-là. Ou en tout cas, dans la façon dont tu parles de ta maternité, je trouve que c'est jamais présenté comme, justement, quelque chose qui peut t'enfermer dans ces attentes liées au genre. Je trouve qu'au contraire, même la façon dont tu parles du fait... Il y a une phrase que tu dis que je trouve très belle, où tu dis... élever ma fille ou plutôt qu'elle m'élève. Je trouve que du coup c'est un discours qui va parfois même à l'encontre du discours qu'on peut avoir qui est celui de dire que la maternité c'est enfermant, c'est un poids, etc. Et je trouve que c'est aussi la façon dont tu parles de l'éducation que tu veux donner à ta fille sur des enjeux politiques. Il y a un moment où tu fais une espèce d'énumération de cause à laquelle tu veux sensibiliser ton... Ta fille, et je trouve que c'est voir un peu la maternité comme une partie du combat féministe, plutôt que comme son antagonisme.

  • Speaker #0

    Le film part d'un sentiment, pas d'échec, mais pour le coup de dissonance quand même. Et après, effectivement, c'est tout le parcours du film, de repolitiser la maternité et de penser conjointement au protagoniste du film à des moyens aussi d'utiliser la maternité. La maternité aussi est comme une situation dans laquelle je peux concevoir aussi une éducation féministe pour ma fille. Donc ça devient un outil émancipateur, enfin pas un outil, le terme n'est pas correct, mais un véhicule d'émancipation. Mais je voulais revenir, je pense que c'est différent aujourd'hui, mais il y a dix ans, sincèrement, y compris sur les réseaux, ça manquait vraiment de discours de vérité sur la maternité. Et je pense que... Encore une fois, il faut faire preuve d'une infinie nuance face à la pluralité des situations des femmes. Encore une fois, on n'est vraiment pas égale face à la maternité, face à la parentalité, du tout. Ce n'est pas du tout la même chose d'être une femme blanche en bonne santé, qui a des ressources financières. qui a accès à un environnement affectif stable, etc. D'avoir un enfant que d'être une femme racisée et non valide en France, que d'être une femme qui n'a pas accès à la contraception dans un autre pays, ou à l'avortement, etc. Il faut toujours vraiment nuancer. Je pense que c'est important de dire que oui, même dans des conditions très privilégiées, être parent, et surtout pour une femme, c'est un frein à beaucoup de choses dans la société d'aujourd'hui. C'est une réalité en fait. Donc après, il y a plein de manœuvres et de tactiques. ont tourné ça, y compris en se disant bon, du coup, je vais complètement réapproprier ma maternité, du coup, je ne vais être que ça pendant quelques années, etc. Il y a toutes sortes de tactiques. C'est compliqué, en fait. Potentiellement très contradictoire, en fait, avec sa propre liberté, sa carrière professionnelle, etc. Donc, c'est une réalité, je l'ai vécue. Je veux dire, je n'ai pas pu tourner, je n'ai pas pu faire plein de... Voilà, c'est... Et ma carrière a été affectée, etc. Là où, de toute façon, pour moi, l'enjeu, c'était de... encore une fois, de retourner la situation et d'en faire une situation d'apprentissage et pour moi et pour ma fille. Et donc de lui léguer et de lui transmettre tout ce que j'apprenais ce faisant. Et là aussi, le film a été l'outil pour que je me conscientise davantage et pour que je conscientise aussi ma fille, peut-être pas à la problématique du tectofascisme ou de la fin de la biodiversité quand elle avait 13 mois. Mais voilà, en tout cas... Comme ça, le moteur du film, c'est clairement qu'est-ce que c'est aussi que donner une éducation féministe à son enfant, en fait. Clairement, c'est ça. Enfin, c'est dix années de comment je construis ça, sans l'idéologiser non plus, mais en tout cas, lui donner à elle aussi ses outils d'émancipation.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, cette éducation féministe, concrètement, tu l'articules comment aujourd'hui avec ta fille ? Enfin, le fait d'élever un enfant, je trouve ça fou. Enfin, le fait de... C'est peut-être bête, là, le statement que je fais, mais je me dis, tu peux avoir un impact. telle sur... Bien sûr, c'est une personne qui se construit, qui prendra son chemin de vie et qui a une matrice de pensée totalement indépendante, mais tu peux avoir un tel impact sur la vie d'une personne qui se construit, que du coup, je me demande concrètement quelle promesse, toi, tu t'es faite dans l'éducation féministe que tu veux donner à ta fille ?

  • Speaker #0

    Je vais te répondre, je fais un tout petit détour. En fait, je repensais à ta question d'avant et sur la question aussi des futurs. De fait, quand tu mets un enfant au monde, Tu as une telle responsabilité que cette responsabilité a un côté holistique. Donc en fait, tu te dois, en tout cas moi je le vivais comme me devant d'essayer d'aménager un monde qui soit vivable. C'était au-delà d'elle, au-delà de moi, c'est vraiment comment œuvrer maintenant à ce que ce monde ne soit pas complètement hostile. Et aussi, c'était clairement une question que les filles se posaient et que je posais aux filles aussi. Est-ce que vous vous projetez assez dans le futur pour vouloir mettre au monde un enfant, une enfant dans ce monde-là ? Et leur réponse était très disparate, très hétérogène par rapport à ça. Et de fait, elles appartiennent à une génération où la préoccupation environnementale prend beaucoup de place et du coup vient en collusion avec le potentiel désir d'enfant. Dans la situation, mais j'abonde dans ton sens, éduquer un enfant, c'est effectivement lui inculquer des idées, des valeurs, et pour le pire comme pour le meilleur, c'est évident. Et alors, juste une chose, on parle d'idées et de valeurs, mais en fait, c'est la vie, c'est la manière dont... Toi tu vis en tant que parent qui va avoir une influence immense en fait sur ton enfant. Donc c'est pas seulement en fait ce que tu vas nuire, les mots, les livres, c'est vraiment en fait comment tu vis. En fait ton enfant va voir comment tu vis, les décisions que tu prends, la manière dont tu te comportes, la manière dont tu analyses le monde autour de toi, enfin voilà, et tes choix et les gens dont tu t'entoures. Donc il y a ça qui est effectivement fondamental, qui a un impact énorme. Et effectivement après il y a l'école et la société, elle se lie à travers l'école et ça t'a pas de problème. Il faut trop pouvoir là-dessus avec ton enfant. Dans le cas de ma fille, je crois qu'elle a vu que quand ça n'allait pas dans une relation amoureuse, par exemple, j'y mettais un terme, que j'avais le courage de partir. Elle a vu aussi que je priorisais souvent mon travail ou la création, et toujours en expliquant pourquoi et en y mettant les mots. Et puis par ailleurs, très très tôt, je lui ai aussi donné les outils pour qu'elle puisse analyser des situations, notamment de friction, de tension ou de discrimination. dans son entourage. Donc, et pas vraiment, vraiment pas seulement sur les questions de genre, les questions de race, les questions de classe sociale, les questions de de rapport de pouvoir. Donc elle a l'œil en fait maintenant, elle a 10 ans et ça, pour le coup, c'est effectivement une fierté. C'est super. pour elle et pour la société. Elle s'est très bien analysée une situation où une personne va être discriminée à cause de sa couleur de peau ou que les garçons vont prendre la main ou l'espace. Elle se plaint toujours, elle avait fait une manif en grande section de maternelle parce que les garçons en fait avec leur jeu de ballon prenaient beaucoup trop d'espace dans la cour de récréation et donc elle l'avait observée et elle avait dit que ça n'allait pas du tout. Là elle revient d'un week-end crampé, scout laïque écolo et les garçons faisaient des blagues déjà à 8-11 ans à caractère sexuel sur des activités c'était extrêmement. pénible en fait et elle l'a signalé parce que ça n'allait pas. Donc voilà, elle sait. Au centre aéré, quand il y a une petite fille noire qui n'a pas d'amis et que les moniteurs disent que c'est parce qu'elle n'est pas très liante, bah non, elle va trouver les gens et elle dit bah non ça va pas, Maïmonata reste dans son coin parce que c'est pas parce qu'elle n'est pas liante. Donc elle est conscientisée et c'est super. Et je trouve ça complètement faux de dire « Ah, mais elle est conscienticienne, donc elle voit le mal dans le monde. » Pas du tout, en fait. Ça lui donne aussi des armes pour lutter. Elle fonctionne, quoi. Ouais, ouais. Et elle le fait aussi avec beaucoup d'humour.

  • Speaker #1

    Et elle en a pensé quoi du film, alors ?

  • Speaker #0

    En fait, je n'ai pas pu entièrement débriefer. En fait, elle était hyper fière. C'est très, très touchant. Elle était hyper fière de moi et hyper fière d'elle-même, en fait, de ton film.

  • Speaker #1

    Oui, tu me déconnes. Ça doit être très impressionnant.

  • Speaker #0

    Ouais, elle était hyper touchée. Et elle était hyper touchée de te voir... bébé, grandissant et tout. Et c'est vrai que je crois que pour une petite fille, c'est assez fort de voir un film sur grand écran qui lui est adressé. Donc, donc, ouais, ouais, ouais, grande, grande fierté. Et puis après, en fait, il y avait plein, plein de trucs. J'avais montré déjà des séquences, mais plein de choses qui n'étaient pas hyper claires. Enfin, même George Floyd, MeToo, elle est petite. Donc, il y a des choses qu'elle n'a pas vécues directement. Donc là, il faut qu'on fasse un gros débrief sur certaines séquences. Et les filles, elles les avaient pour la plupart déjà rencontrées. Donc. Donc ça, il y avait un effet de familiarité. Déjà, une forme d'effet de sororité.

  • Speaker #1

    Et je me posais une question. Pendant l'avant-première, on a pu te poser des petites questions. Et il y a un moment où tu as dit que, puisque les filles avaient donné beaucoup au film, il te paraissait évident de donner aussi toi un petit peu, ce que tu n'es pas nécessairement habituée de faire. Là, tu as évoqué des sujets comme ton rapport à la maternité ou aussi une séparation qui a eu lieu dans ta vie. C'est aussi... Oui. C'est un petit peu se mettre à nu que de passer de l'autre côté de la caméra. Est-ce que c'était impressionnant pour toi de partager ça à un public d'inconnu en soi ? Parce que je me suis fait la réflexion quand on était dans la salle, de me dire, waouh, tu partages des moments, merci de le faire, mais tu partages des moments de ta vie à plein de gens que tu connais pas. Est-ce que toi, c'est quelque chose que tu étais réticente à faire, puisque tu ne l'avais jamais fait avant ? À quel point est-ce que ça te paraissait nécessaire ? Et comment tu le vis aujourd'hui de savoir que tu donnes un peu de toi aussi au public ?

  • Speaker #0

    Tu sais, je crois que c'est... plus difficile de partager ses parts de soi des gens que tu connais mais que tu connais uniquement professionnellement ou même des proches mais qui peuvent être potentiellement hostile qu'à des gens que tu connais pas en fait genre tu connais pas finalement c'est assez abstrait en fait quoi là aussi quand tu as moi j'ai vécu la maternité comme un c'est comme une sorte de devoir et un devoir de vérité et puis et puis tu fais un enfant t'oblige à être dans toujours dans la franchise enfin tu tu dois être dans le vrai en fait, quand tu éduques une enfant, t'es obligé. Et puis de toute façon aussi, t'es dans le physique, t'as les mains dans le caca, t'es confronté à plein de réalités et de vérités que tu peux pas trop t'esquiver. Et donc je pense qu'en tout cas, dans le cadre, il y a plusieurs niveaux de réponse là-dessus, mais dans le cadre d'un film que j'adresse à ma fille aussi, il y a vraiment un devoir de franchise et de vérité. Après, clairement, il y avait un besoin éthique de symétrie entre ce que les films avaient donné qui était... enfin bouleversant, intime, douloureux, parfois traumatique, et effectivement ce que moi, de moi, je mettais dans le film. Voilà, à un moment ça s'est imposé, pas du tout prévu, et en fait je me suis rendu compte que pour tisser tout ça ensemble, narrativement, donc là on revient un peu à la manière dont on écrit un film, en fait le dénominateur commun des filles, c'est Bernard College, parce qu'elles étaient étudiantes ensemble, mais en fait, entre guillemets, ça suffisait pas pour tout lier, ça suffisait à un certain niveau. de lecture, mais au niveau émotionnel et au niveau éthique, il fallait autre chose, c'est-à-dire moi. Et de fait, le film que j'ai fait avec elle et leur propre vie, ce qu'elle pouvait me raconter, ce qu'elle pouvait me livrer, elle pouvait m'inspirer. J'ai eu un impact sur ma vie et sur mes choix en fait et sur le courage avec lequel j'ai pu faire des choix en fait ces dernières années. Mais vraiment, voir... Ouais, ouais. Donc en fait, il y avait une justice de faire ça et c'était très légitime de m'y mettre. Mais c'est pas du tout facile parce que là, on gère pas des refs, on gère des archives à soi, il y a une pudeur évidemment, il y a toujours de moins qu'immensément la peur d'un vade à un narcissisme. Il s'agit pas non plus de dévoiler trop, ni de... Il fallait que je le fasse avec humour. Donc... Ouais, tout ça, c'était pas simple. Et c'est pour ça aussi que c'est magnifique de monter avec quelqu'un, d'avoir d'autres regards. Et de fait, ma monteuse Marie Ausha est une femme exceptionnelle, une monteuse exceptionnelle. Elle est aussi réalisatrice. Elle a fait un super court-métrage qui s'appelle Le Passage du col, où elle filme en pellicule en 16 mm la pose de Stérilé. Et oui, et oui. Donc voilà, elle aussi, elle a des ovaires pour remplacer l'expression avoir des couilles. Donc elle a des ovaires, clairement. Et donc elle a fait ce film magnifique et donc elle m'a aussi beaucoup orientée et guidée dans ce récit. de l'intime.

  • Speaker #1

    Et pour parler un peu plus de cette éthique-là que tu essaies de préserver, qui est effectivement hyper importante, comme tu dis, quand on traite de l'intime, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. La responsabilité que c'est de devoir raconter la vie de quelqu'un qui n'est pas soi. Est-ce que toi, t'as eu des... Comment t'as géré cette crainte ? Je pense à deux craintes. D'abord, la crainte de peut-être dénaturer un récit qui t'est confié, avoir peur que les personnes ne se reconnaissent pas dans la façon dont tu les as éditées, montées et diffusées. Et aussi peut-être la crainte d'exposer des gens. Je pense au climat politique dans lequel on est. Tu sais que tu as quand même une audience et que ça pourrait être récupéré par des gens qui n'ont pas toujours de bonnes intentions. Comment est-ce que tu gères, toi, ces deux craintes ? La crainte d'exposition et la crainte de manipuler un récit qui n'est pas le tien.

  • Speaker #0

    En fait, c'est tout l'enjeu du cinéma documentaire. Le cinéma historiquement est documentaire. Il ne faut pas dire un film versus un documentaire. Un documentaire, c'est du cinéma. Et dans beaucoup de fictions, il n'y a pas de cinéma. Donc, on ne peut pas dire que le documentaire, c'est forcément la télé. Documentaire, c'est du cinéma ou en tout cas potentiellement du cinéma. Donc, le documentaire, depuis toujours, filme l'autre, l'autre que soit. Donc, il y a quand même une grande tradition épique de... l'appropriation du regard colonial, de l'absence d'éthique, et notamment d'un regard blanc sur l'autre, un regard dominant en fait dans le documentaire, c'est une évidence. Et donc on est à un moment historique depuis quand même quelques décennies, pas partagé par tout le monde, mais où il y a une pratique du documentaire qui réfléchit à la question du consentement, dans le milieu anglo-saxon on dit « accountability » , donc c'est vraiment quelque chose d'important, et donc la responsabilité. Alors, Non mais on passe des nuits blanches en fait pour répondre à ces questions-là, c'est insondable. Et puis il n'y a pas de recette. Il y a sa propre boussole éthique, il y a aussi parfois en fait la réalité, les rushs, des choses qui sont compliquées, etc. Alors, elles sont majeures, elles sont bien portantes et elles maîtrisent leur image et leurs propos. Elles maîtrisent la parole, elles ne sont pas dans une situation de vulnérabilité, elles maîtrisent leur parole, elles ont tous les outils en fait pour maîtriser ce qu'elles disent. parfaitement. Les conditions sont claires dès le départ, on est dans un film qui peut potentiellement être diffusé très largement et par ailleurs elles estiment qu'elles ont des choses à dire au monde, elles savent que quand elles le disent à moi, elles les partagent potentiellement avec le monde. Elles ont d'autres espaces dans la vie, professionnellement, où elles les partagent avec le monde donc elles sont actives sur les réseaux voire très actives, c'est-à-dire quand je la rencontre elle est sur youtube, elle est partout. Donc je viens m'inscrire en fait enfin je viens inscrire le projet auprès de femmes qui sont déjà en fait qui ont déjà une vie publique donc c'est quand même déjà des des des préalables et des postulats de départ qui rendent la démarche un peu plus aisée, plus horizontale. Et après, bien sûr, quand on monte, on fait des choix, mille choix tous les jours. Et c'est clair qu'il suffit d'une musique, d'une seconde de plus ou de moins dans un plan, et on dit autre chose, des mille nuances sur tout. Voilà, sur les protagonistes. Donc comment juger à chaque fois que c'est les bons choix, qu'ils les représentent bien, qu'ils sont justes. Ils peuvent elles-mêmes aussi peut-être les déplacer, les amener vers d'autres perceptions, prendre conscience des choses sur elles, mais toujours dans le respect. C'est un exercice d'équilibriste. Et ça, ce travail-là, tu le fais en documentaire, tu le fais grâce à... Beaucoup de temps, j'ai passé beaucoup beaucoup de temps avec elle, beaucoup de temps à suivre ce qu'elles font, à voir ce qu'elles publient, et puis faire des très longs entretiens, très très en profondeur, pendant des heures, et aussi à déterminer ce qu'elles veulent dire, ce qu'elles ne veulent pas dire, les périmètres, et ensuite on avance comme ça. Il y avait parfois des moments où... Avec Marie, avec ma monteuse, elle faisait une journée et puis elle me montrait des trucs, elle me proposait des trucs. Et elle me disait, ça, ça va leur faire plaisir à Laila, c'est beau, je suis sûre qu'elle va adorer. Et c'était un peu notre boussole, tu vois, c'était un peu ce genre de truc qu'on se disait. Ah ouais, ça, je suis sûre qu'elle ne se souvient même pas de ce moment qu'on a filmé en 2018 et tout. Mais là, monter avec cette musique et tout, ça va être chambé pour elle.

  • Speaker #1

    Et pour ce qui est de la relation de confiance que tu arrives à construire avec elle, parce que... Et tu le dis toi-même, on peut... probablement plus facilement se confier sur certaines choses à des inconnus qu'à des proches. Et on le voit quand, dans les premiers entretiens, il y a certaines des filles qui te confient des trucs super personnels sur leur histoire familiale, par exemple. Mais comment est-ce que toi, tu gardes cette... Enfin, comment est-ce que tu préserves cet équilibre entre une relation qui reste quand même une relation professionnelle, où elles sont le sujet de ton documentaire ? mais une relation qui se veut suffisamment personnelle aussi pour qu'elle puisse te raconter quelque chose d'intime. Par exemple, une question que je me pose, c'est comment est-ce que tu décides ce que tu t'autorises à filmer ou pas ? Est-ce que tu filmes tout constamment ? Ou est-ce qu'il y a des moments où tu te dis « Ouh là, là, ça a peut-être plus à faire à l'humain et au personnel, donc je vais couper ma caméra et l'arranger et continuer cette conversation sans. » Comment est-ce que tu gères cette personne tierce qui est la caméra dans une relation de confiance entre toi et une jeune adulte ?

  • Speaker #0

    C'est pas une relation professionnelle. que j'ai avec elle. Je ne l'ai jamais vue. Ce n'est pas comme ça qu'on peut le définir. Je ne sais pas comment on peut le définir, mais ce n'est pas ça. C'est une relation qui est personnelle. Il y avait transitionnel et transactionnel via la caméra, via le film, mais elle est personnelle et elle est évolutive aussi. Tu peux la perdre à tout moment, elle peut changer, mais c'est une relation qui est personnelle. En documentaire, tu tournes. Après, si la personne te demande d'arrêter la caméra, tu arrêtes la caméra, mais tu tournes. C'est au montage, en fait, ensuite, que tu vas faire des choix. Et tu vas faire des choix à postériori. C'est-à-dire que quelque chose qui va te sembler choquant, ou extrême, ou obscène. Sur le moment du tournage, les années avec l'épaisseur historique d'un tournage, j'ai de la relation à la personne, 4 ans plus tard ou 7 ans plus tard. Quand tu le vois à l'échelle de l'ensemble des rushs, tu te dis que c'était fondamental, c'était fondateur. Et il faut le garder parce que la personne l'a redit, ou parce que la personne l'assume après, ou parce que ça fait écho à quelque chose que la personne aura vécu 5 ans plus tard. Donc en fait, ces choix-là, finalement, ils se font surtout au moment du déruchage et du montage. Et du coup,

  • Speaker #1

    comment est-ce que tu choisis au moment de ce Ausha, comment est-ce que tu choisis ce qui doit être raconté et ce qui pourrait rester secondaire et qui ne figurera pas dans le film in fine ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est le montage. En fait, je ne sais pas exactement combien d'heures de rush on avait, mais on devait en avoir 300 pour faire un film de 90 minutes et quelques. Et donc, tu Ausha tout, tu transcris tout et puis pour... Tu fonctionnes, c'est une sorte de technique d'entonnoir. En fait, tu sélectionnes petit à petit les moments les plus importants. Et puis, tu te fais ce qu'on appelle des chutiers, des sélections de scènes de vie, de scènes de ce que tu veux, de l'actualité, des paysages. Tu te fais des dossiers, ce qu'on appelle des timelines avec différentes catégories de choses. Ça, c'est une première méthode. L'autre méthode aussi, c'est évidemment par personnage. C'est-à-dire qu'on fait une sélection des scènes et des séquences les plus importantes, entretien et séquences les plus importantes par personnage. Et ensuite, il faut tisser tout ça. Donc l'art de la combinatoire qu'est le montage, c'est dans ce cas précis, très délicat et ça a pris du temps, parce qu'il y avait non seulement un récit qui s'est assez rapidement imposé comme étant chronologique, comme devant être chronologique, et un récit chronologique qu'il fallait ensuite nourrir, donc il a fallu réinjecter dans la narration, dans le film, des archives, pour documenter en quelque sorte la chronique ultra contemporaine de l'histoire étatsunienne, respecter aussi leur propre chronologie à elle, et ensuite respecter en fait un équilibre. entre chaque personnage. Et donc, il y a toute sorte d'impératifs. C'est vraiment une sorte de Rubik's Cube. Et puis ensuite, l'équilibre avec ma voix off, où il ne faut pas qu'elle disparaisse trop longtemps, il faut qu'elle revienne, il ne faut pas qu'elle prenne le dessus. Donc, c'était un montage qui était très complexe. Donc, jusqu'au dernier moment, en fait, on a monté. Puis la musique aussi, la musique de Ausha Sasaki, elle a une importance assez marquée, en fait, dans le film. Il y a quand même aussi un devoir un peu pédagogique, c'est-à-dire qu'il faut aussi qu'un public étranger comprenne ce que c'est que cette université américaine, qu'on prenne ce qu'elles font aussi dans la vie, leur métier. Il y a des moments d'entretien qu'on utilise pour leurs valeurs informatives, d'autres pour leurs valeurs intimes, d'autres pour leurs valeurs émotionnelles.

  • Speaker #1

    En 10 ans, les filles ont grandi, ont fait leur vie. L'époque politique a beaucoup changé aussi. Quand tu as conçu l'idée de ce documentaire fait sur 10 ans, est-ce que toi tu t'attendais à ce que la politique politicienne prenne une telle place dans ce documentaire-là ?

  • Speaker #0

    En fait, quand je les ai rencontrées, elles étaient toutes, peut-être à part Anta, qui était plus... intellectuellement sur des sujets de théorie politique et d'histoire, mais pas forcément concrètement activistes. Mais sinon, elles étaient toutes militantes et vachement actives dans des groupes, dans des communautés. dans des communautés, y compris sur certaines actions. Evie, par exemple, elle avait même été en garde à vue sur une action contre des pipelines, des oléoducs et des gazoducs. Talia était ultra active sur les questions LGBT dans les communautés juives, sur les droits des femmes et LGBT. Et Laila était aussi très impliquée dans les luttes pour l'environnement, notamment. Moi, ce que je pensais, c'est qu'elles allaient, toutes les quatre, rester très, très, très, très militantes. très activistes dans leur domaine, dans leur communauté, ce qui n'a pas été finalement complètement le cas. Et ça, on pourra y revenir. Ce que l'on prévoyait de la trajectoire de la démocratie états-unienne qui allait vers l'effondrement et vers le fascisme, non, on ne l'avait pas trop prévu, en tout cas pas du tout dans ces proportions-là. En fait, quand on commence à tourner, c'est la fin du deuxième mandat d'Obama. Il y avait eu beaucoup d'attentes de leur part. Il y avait aussi beaucoup de déceptions quand même dans sa gestion de... des questions aussi de problématiques d'intégration, d'antiracisme aux États-Unis, dans sa politique étrangère. Donc il y avait plein plein de déceptions, mais disons que tout le monde pensait que Hillary Clinton allait être élue en 2016. Et donc ce ne fut pas le cas, et là effectivement quand Trump est élu, il y a déjà un effet de sidération. Et alors par exemple, elles ont été vachement actives pour faire du porte-à-porte, enfin en tout cas certaines, pour faire du porte-à-porte à la fin du mandat de Trump en faveur de Joe Biden. Donc... Il faut aussi dire que la plupart des protagonistes de ce film sont absolument contre ce système des deux parties, où en fait progressivement, et je pense que c'est le cas aussi en France, ont progressivement perdu espoir et confiance dans le système présidentiel pour les représenter. Elles n'ont pas perdu espoir et confiance dans le pouvoir de leur vote. Elles restent des citoyennes qui votent activement. Ça c'est intéressant. Vu leur couleur politique et leurs engagements, des équivalents en France auraient peut-être perdu foi dans le bulletin de vote. Elle s'est... pas du tout le cas, elles sont en mode, non mais on a tellement lutté pour avoir le droit de vote, moi je vote quoi, je vais jamais perdre une seule occasion de voter. Et en plus, il faut noter, ça c'est important, quand on vote pour les présidentielles aux Etats-Unis, on vote aussi pour plein d'autres choses, dans son état, pour le Sénat et tout, donc c'est vraiment un acte qui a un énorme impact. Donc oui, je pensais que via leur activisme, en fait, on allait rester branchés sur l'histoire politique états-unienne, je ne pensais pas que... ce film et cette décennie allait nous mener vers le fascisme et vers l'effondrement de la démocratie états-unienne. Ça, personne ne le prévoyait. Quand je commence à tourner, enfin en 2016, Laila elle me dit, c'était très mignon parce que je suis assez naïf, mais évidemment on comprend ce qu'elle voulait dire, j'arrive même pas à comprendre que le activisme est une chose, qu'on soit qualifié d'activiste quand on lutte pour le climat, quand on lutte pour les personnes en situation de handicap, quand on lutte pour l'accès aux droits à l'avortement. En fait, ça devrait être... ça devrait être un donné en fait. Et donc, ils disaient, mais pourquoi est-ce qu'on est réduit, on est labelled, on est catégorisé, minoré en tant que militante, alors juste qu'on lutte pour le bien commun, en fait. Elle me disait, elle avait 19 ans, l'histoire a montré que non seulement c'est une catégorie d'être militante, mais maintenant c'est devenu dangereux, en fait. C'est-à-dire que quand on puisse, même sur le campus, il devrait être pourtant des sanctuaires. à Barnard et à Columbia quand on lutte pour ces idées-là, quand on lutte pour un cessez-le-feu à Gaza, quand on lutte pour les droits LGBT, etc., en fait, ou quand on lutte pour que Columbia et Barnard, que leur système financier, en fait, ne repose plus sur l'investissement dans les industries fossiles, ben, en fait, c'est devenu dangereux, en fait, ce n'est plus possible aujourd'hui. Alors même que c'était des havres de liberté de pensée, de freedom of expression, de liberté de parole, etc., et maintenant, c'est plus le cas, elles ont anti... les universités malheureusement au niveau administratif et policier sur cette dynamique là, avant le mandat de Trump. Et maintenant que Trump est élu, les universités très prestigieuses de la côte Est qui étaient censées être des hauts lieux du progressisme sont en train d'être définancées, d'être menacées avec par exemple Columbia qui est en train de perdre 400 millions de dollars d'aides fédérales parce que sous prétexte que l'antisémitisme n'était pas assez combattu sur son territoire et tout ça par des néo nazis. Enfin, je veux dire, ça manque quand même pas de... Voilà. Donc on est dans cette situation-là. Et effectivement, le retour des filles face au film quand elles l'ont découvert il y a quelque temps, était la profonde tristesse de voir que ce qu'elles pouvaient faire et les idées pour lesquelles elles mutaient en 2015, 2016, 2017 sur le campus, non seulement il y a eu une forme de défaite, mais qu'en plus, au niveau du campus même, cette liberté-là n'existe plus. En fait, elles pourraient finir emprisonnées. en fait aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier épisode de ce podcast que j'ai fait, je l'ai fait avec une de mes meilleures amies avec qui j'ai beaucoup milité l'année dernière sur le campus. Cette notion un peu schizophrénique de te dire je suis dans un établissement universitaire qui doit me permettre de changer le monde et je participe à...

  • Speaker #0

    L'oppression. L'oppression.

  • Speaker #1

    à l'oppression en fait en étant là et d'un autre côté je vais en manif pour lutter contre les politiques élitistes contre cette idée de méritocratie contre la violence coloniale en continuant de payer mes frais d'inscription d'une école extrêmement cher qui va

  • Speaker #0

    pas du tout dans le sens de ces discours là ouais c'était une situation d'un aussi de dissonance presque cognitive en tout cas politique tout était très consciente de ça après Les situations étaient divergentes selon leur situation de rendettement, de bourse, etc. C'est-à-dire que quand on s'endette à vie pour payer ses études, comme c'est le cas d'une majorité d'Américains, ça crée des situations absolument tragiques. Et ça crée des situations d'inféodation au système capitaliste. C'est très très grave, mais c'est majoritaire aux États-Unis. Donc c'est juste un système capitaliste et les universités en font activement partie. Dans le cas d'Antha et Layla, à Barnard, quand elles étaient à Barnard, elles avaient des bourses intégrales. Donc elles étaient là, moi je suis. payée pour apporter de la diversité, pour représenter de la diversité sur le campus. Donc je vais utiliser absolument toutes les ressources possibles pour lutter contre. Je pense qu'elles avaient une approche non pas cynique, mais pragmatique aussi. C'est-à-dire qu'une fois qu'elles sont là, parce qu'elles avaient désiré être là, mais parce qu'elles avaient choisi Barnard, elles avaient les notes pour aller dans d'autres universités aussi prestigieuses et aussi sélectives, mais elles avaient vraiment choisi Barnard parce que c'était une université féministe, de femmes, gender expansive. et féministe, et elle voulait s'emparer de tous les outils qui étaient à leur portée pour faire porter leur voix dans le monde pendant ce temps-là et après. Mais Layla, ensuite, a repris des études, et là, pour le coup, elle a dû souscrire à un pré-étudiant, et ça, là, c'est une chaîne à son pied, en fait, réellement. Voilà, dans le cas de Danta, elle, elle est partie de rien, en fait, elle avait rien, elle a jamais rien eu, elle a pas de ressources, pas de famille, même pas d'archives de son enfance, elle a rien du tout. Donc elle est dans une situation de déracinement, mais qui lui donne aussi une grande liberté de ton. Elle a de compte à rendre absolument à personne. Dans le cas de Thalia, c'est différent parce qu'elle est journaliste et pour le coup, elle a un devoir de réserve, qui est particulier pour elle, et vit son boulot. Son boulot, c'est de parler très très fort. Son boulot, c'est de dénoncer les injustices, notamment environnementales et de pollution industrielle à Dallas. Donc ça fait vraiment partie de son boulot. Mais oui, c'est hautement paradoxal. Et c'est le grand paradoxe des universités américaines, qui sont des hauts lieux d'invention du progressisme, pour le monde entier, et qui en même temps sont des lieux de capitalisme forçonné.

  • Speaker #1

    Il y a une phrase qu'a prononcée Thalia dans le film. C'est ce moment où elle dit, si je pouvais dire quelque chose à la moi d'il y a dix ans, c'est de ne pas rester dans les endroits où on n'a pas envie de toi. te veux pas là. Et c'est intéressant parce que je trouve que quand on entend cette phrase, on peut l'apercevoir. C'est un peu presque comme une forme de renoncement qui va à l'encontre de toute idée préconçue qu'on a du militantisme, qui est de se dire que si on arrête de lutter, on laisse les autres gagner. Mais d'un autre côté, je trouve qu'il y a une forme de sagesse qui est très belle et qu'on trouve un peu aussi, c'est pas Anta qui dit cette phrase, mais je trouve que le parcours de Anta représente un peu ça aussi. Où au tout début du film, elle dit, je me verrai pas partir des Etats-Unis, peut-être aller en France un très court temps, mais je ne me verrai pas partir parce que j'ai l'impression que je suis obligée de rester ici et que je dois à ce pays de faire en sorte que sa situation s'améliore vis-à-vis du vécu des personnes racisées notamment. Et en fait on voit qu'elle n'a jamais abandonné cette lutte mais qu'elle la mène depuis la France dans un contexte qui est davantage favorable à sa... à la préservation de sa personne, à la préservation de sa santé mentale. Et je l'ai trouvé que c'était intéressant de montrer ça.

  • Speaker #0

    C'est très beau ce moment où Thalia exprime ça. C'est tellement juste. Elle cherche ses mots et puis elle trouve cette formule là. Et ça lui coûte de l'admettre. Ça lui coûte. Et c'est d'une grande vérité. Là, ce que tu évoques, c'est la question de l'usure militante aussi. c'est qu'au bout d'un moment, on s'épuise et on s'oublie. Et je pense que quand on veut changer le monde, on doit aussi, au bout d'un moment, se préserver. On ne peut pas, pour sauver le mât, sacrifier la quille du bateau. Donc le film accompagne ce mouvement-là, c'est-à-dire ce mouvement de self-care. Et donc le self-care, ce n'est pas un repli sur soi, c'est juste que se préoccuper de soi et de comment perdurer dans ce monde-là et de protéger sa santé mentale peut faire partie d'un geste politique, en tout cas d'un souci collectif. Est-ce qu'il y avait été théorisé Bell Hooks ? Il y a des textes fondateurs et Audrey Lord aussi là-dessus. Et de fait, c'est surtout la trajectoire d'Anta qui est celle-là. C'est-à-dire qu'elle a tellement un bagage traumatique et de déracinement que... Son enjeu, à elle, c'est de se reconstituer, de réparer, et ça prend dessus en fait sur certaines luttes collectives, clairement. Mais pour moi, et c'est comme ça que je le filme, c'est comme ça que je le raconte dans le film, en fait ça a une valeur collective. Enfin, de la voir elle, faisant ça, essayant de reconstituer un arbre généalogique, essayant d'appeler quand même, d'obtenir justice avec la police new-yorkaise, etc. Pour moi, en tout cas, je veux que le film dise combien c'est courageux, et ce courage-là, en fait, on a beaucoup de choses à apprendre de lui. Mais en tout cas, voilà, ce que dit Talia, c'est effectivement qu'il y a un moment, en fait, il ne faut pas s'acharner dans une communauté qui vous rejette, et en fait, utiliser ses forces et ses énergies et son savoir dans des cercles qui peuvent, qui quand même ont des capacités de transformation.

  • Speaker #1

    Et une question que je me posais aussi sur l'histoire de Thalia tout particulièrement, le film aborde à un moment, enfin tout au long du film en fait, son rapport à la religion, qui est un rapport très intime, là encore on est au cœur de l'intimité. Moi je me posais la question de la sensibilité que c'est que de traiter d'un rapport aussi intime que le rapport religieux, surtout quand c'est le rapport religieux entretenu par une femme. On sait que raconter l'expérience religieuse d'une femme dans l'espace médiatique actuel, ça... peut être soumis à une volonté de récupération politique par certaines personnes. Est-ce que, toi, c'est des questions que tu t'es posées ?

  • Speaker #0

    Je crois que quand tu es une femme, tout ce que tu dis, tous les pans de ton identité peuvent être de toute façon récupérés de manière hostile et détournée. Il y a une réalité. La proportion de personnes qui se disent croyantes et pratiquantes, statistiquement, aux États-Unis, elle est énorme. Donc, en fait, le fait religieux aux États-Unis, il est prédominant. Ça, c'est énorme. première constatation. L'autre constatation, je ne me souviens plus des chiffres, mais le fait religieux, il est dominant dans le monde entier. C'est-à-dire qu'il y a plus de gens croyants. Je ne dirais pas forcément pratiquants, je ne sais plus. Encore une fois, il faut vérifier les chiffres, mais la proportion de gens croyants dans le monde est beaucoup plus grande que les gens qui se disent agnostiques ou non religieux, etc. Donc les affiliations religieuses et confessionnelles, en fait, elles sont très très présentes dans l'humanité encore aujourd'hui. Et c'est quelque chose qui surprend. Donc en fait, les regards... disons ouest européen et français en fait sur les réalités disons religieuses des protagonistes du film, les gens étaient très perturbés. Comment elles peuvent allier en fait féminisme et religion, c'est forcément antagoniste, c'est forcément en conflit etc. Et moi ça m'intéressait vachement d'aller à cet endroit là précisément. C'est un défi supplémentaire. Comment en fait tu... non seulement tu agis dans ce cercle-là, mais aussi tu fais de la religion un outil, un périmètre dans lequel tu agis de manière féministe. Donc, tu allais le dire très bien au début, c'est que je suis juive, orthodoxe, pratiquante, ça fait partie de mon identité, je ne vais pas quitter cette identité-là, sous prétexte qu'il s'avère qu'elle le fait plus ou moins après dans sa vie, mais que ça fait partie de... son appartenance au monde en fait se définit comme ça. J'ai eu des questions assez toxiques pour être par exemple dans une autre dans une commission, dans une audition, on m'a demandé comment en fait une jeune américaine féministe pouvait décider de se marier avec un homme iranien. Donc si tu veux les raccourcis un peu rapide sur les nationalités, les religions etc sont très facilement faits enfin partout dans le monde c'est certain, mais donc il n'y a pas de voilà il n'y a pas de bonne féministe nécessairement, il n'y a pas de... Voilà. Enfin bref, j'essaie justement dans le film de déconstruire en fait ce qui pourrait... Enfin, à valeur, face value pourrait sembler être en contradiction et en fait qui le sont pas. C'est ces endroits-là de friction qui m'intéressent. Après Thalia, son outil, son enjeu, c'est justement de travailler sur le l'interfaith, sur l'interreligieux en fait. Et c'est là où elle est brillante, opérante et courageuse.

  • Speaker #1

    10 ans en arrière, quels conseils tu te serais donné dans la réalisation de ce documentaire ? Pour ne pas parler que du passé, mais parler aussi du futur. Je ne vais pas te demander où est-ce que tu te vois dans 10 ans, parce que ce n'est pas un entretien d'embauche, mais de quoi seront faites tes 10 prochaines années ?

  • Speaker #0

    Tu sais, c'est la question que je leur pose. Qu'est-ce que tu dirais à ton self, ton moi d'il y a 10 ans ? Et je t'avoue que je ne me suis même pas posé la question. En revanche, de faire une sorte de bilan. en fait de m'adresser quelque chose à moi-même aujourd'hui et à placer dans l'épilogue du film ça a été un vrai sujet en fait ça a été un peu demandé mais genre il faut que tu... you have to wrap up, you have to wrap up by the girls, you have to wrap up by your daughter, you have to wrap up by yourself et franchement ça c'était pas aller être naïf ou... comment faire ça en fait sincèrement comment faire ça et puis je sais pas trop en fait en revanche m'adresser à mon moi d'il y a dix ans je pense que ce que je... ce que... L'injonction que je me serais donnée, c'est de me faire confiance, de me faire confiance et de m'écouter, et de me respecter, de m'aimer dans ce que je traversais, dans ce que je voulais, désirais. et que je n'osais pas encore assez, en fait. Je n'osais pas encore assez, je pense que c'est ça que je peux dire. Et après, j'avais aussi, je crois, beaucoup de courage déjà et beaucoup de confiance dans mon agentivité en me lançant dans ce film. Donc le film est finalement le résultat de beaucoup, beaucoup de pugnacité, d'endurance, de résilience et ça, on peut le... Enfin voilà, je le célèbre, je suis fière de ça. Et voilà, I own it. Donc ça, c'est une chose. Et de fait, souvent. tant que femme on n'arrive pas à se célébrer assez, donc il faut le faire. Et après, on a un pacte, donc il faut qu'on renégocie notre pacte, donc il faut qu'on voit comment je retourne avec elle, qu'est-ce qu'on va faire, sachant que le chapitre qui s'ouvre pour elle est quand même potentiellement celui de la parentalité. Et de mon côté, je ne sais pas, c'est quoi, c'est au programme Adolescence de ma fille et Ménopause, je ne sais pas, on va voir.

  • Speaker #1

    pas très importante de la vie.

  • Speaker #0

    Absolument. Voilà, je dois laisser un tout petit peu se déposer la réception du film-là, absorber, recueillir tout ce qui se dit, tout ce qui se ressent avec ce film, y compris en moi. Et ça me laissera ensuite... Je crée les conditions pour penser la suite. Il va falloir que je décide dans les prochains mois. Mais on verra. Et avec les filles aussi, évidemment. C'est une décision collective et collégiale.

  • Speaker #2

    Si ce podcast a su éveiller votre curiosité, d'abord sur le vécu de ses protagonistes, ensuite sur le rapport tout particulier, à la fois politique et intimiste, qui l'entretient avec les images, vous pouvez le retrouver gratuitement sur la plateforme de streaming d'Arte en cherchant Girls for Tomorrow. Et je suis même pas payée pour vous dire ça. Maintenant, moi je vous laisse, je vais cultiver la sororité essentielle à mon bien-être en allant retrouver une de mes amies. A bientôt !

Share

Embed

You may also like