MARIKA épisode 1, S5E11 cover
MARIKA épisode 1, S5E11 cover
Ça Va Bien S'Passer

MARIKA épisode 1, S5E11

MARIKA épisode 1, S5E11

1h06 |24/05/2025
Play
MARIKA épisode 1, S5E11 cover
MARIKA épisode 1, S5E11 cover
Ça Va Bien S'Passer

MARIKA épisode 1, S5E11

MARIKA épisode 1, S5E11

1h06 |24/05/2025
Play

Description

"La violence des coups c'est atroce, mais la violence psychologique, c'est pire, parce que c'est ton esprit qui meurt".

Marika Bret, militante inlassable de la lutte contre l'obscurantisme, RH et partenaire historique de la bande de Charlie Hebdo, se confie pour la première fois sur les racines de ses convictions, sa jeunesse et comment elle a réussi à surmonter le règne de la violence. Déjà.

Par Sarah Gaubert et LargerThanLifeProject depuis 2019

Réalisation G Carbonneau

Toute ressemblance est une imitation ;)


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie, on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix. Continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, il continue à vivre. D'accord, mais comment ? Mes invités ont vu leur vase sauter en l'air et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient putains, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tout en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, riez. Installez-vous confortablement. Et ça va bien. Bonjour Marika.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Merci d'être là.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Je souris parce qu'à la perspective des deux ou trois heures qu'on va passer ensemble, parce que les gens vont peut-être le découvrir en écoutant, mais on va faire deux épisodes à la suite. Et en fait, pourquoi deux épisodes ? Parce que je t'ai vue pour ta déflagration. Et en discutant, on s'est aperçu que tu avais beaucoup de choses à raconter et qu'on allait faire deux histoires. Enfin, une histoire moins deux fois.

  • Speaker #0

    C'est un fil que tu as remonté. C'est un fil qui a été énoncé en toute confiance et en toute tranquillité. C'est un fil qui est finalement un parcours de vie et qui dit tant de choses.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille... Tu as quel âge ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui j'ai 61 ans.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille tu arrives ?

  • Speaker #0

    Alors j'arrive, ce sont les années 60, j'ai resitué le contexte, la période historique, l'évolution... d'aujourd'hui n'était évidemment salutaire et pas la même. Et j'arrive surtout, je suis un bébé non désiré, et férocement, atrocement non désiré. Ma maman était la secrétaire de mon père. Mon père est un homme marié. Avoir une relation extra-conjugale, c'est pas top. Ça ne se fait pas, c'est honteux. Et puis ma maman tombe enceinte, elle tombe enceinte de mon petit frère. Et là c'est déjà un premier désastre puisque enceinte, non mariée pour une femme, sur cette période c'est extrêmement difficile. Une famille, la sienne, ultra catholique, donc ça en rajoute encore un peu. Et puis mon père c'est le directeur de la société. donc Donc l'enjeu pour lui, sa réputation, il s'en a été tout saisi, un enjeu qui l'aura obnubilé, obsédé tout le temps. Et donc mon frère arrive, naît en novembre 61.

  • Speaker #1

    Et donc du coup tes parents se...

  • Speaker #0

    Alors mes parents, mon père divorce. avec sa femme de l'époque et ils divorcent extrêmement rapidement et elle l'accepte parce que sa première femme ne pouvait pas avoir d'enfant et ça pour mon père c'était il y avait quelque chose de viscéralement odieux de ne pas avoir de descendance de ne pas pouvoir avoir de descendance ils divorcent très vite ma mère et mon père se marient Merci. Elle est vraiment sainte, ça se voit. Mais la cérémonie ne peut se passer qu'en tout petit comité parce qu'il y a la honte qui est là et qui s'impose. Et donc mon frère est... Quelques mois après, très peu de mois après, ma mère retombe enceinte. C'est le drame. Elle ne veut pas d'un deuxième enfant. Elle ne veut pas d'une telle rapidité entre les deux. Et dès le départ, elle déteste ce bébé à venir, donc moi. Et mon père. entre deux chaises parce que finalement une famille avec deux enfants lui ça lui convient Mais il l'aime je suppose encore à ce moment là sa femme et donc donc il il accepte cette situation et je n'ai dans ces conditions là dans des conditions de repoussoir absolue à tel point et de refus surtout, à tel point que ni mon père ni ma mère ne me déclarent à l'état civil. Je suis pendant plusieurs jours un bébé qui n'a pas de prénom et qui n'est pas là. C'est le début d'une histoire qui sera toujours le reflet de ce refus et d'un refus qui va... pasculer malheureusement très vite dans une forme de haine terrible et de haine qui aboutit à la violence. Et la violence, elle a commencé en réalité 15 jours après ma naissance. Ma mère part au sport d'hiver avec mon petit frère. Il a un an.

  • Speaker #1

    C'est ton grand frère ?

  • Speaker #0

    C'est mon grand frère. Il a un an et il abandonne Elle abandonne son bébé à un homme qui est absolument incapable de s'occuper d'un bébé, ne serait-ce que de le langer, ne serait-ce que de le nourrir, ne serait-ce que tout ça. Et c'est la première violence de ma vie, c'est cet abandon de ma mère pendant 15 jours et une première fracture terrible pour mon père. Parce que ne sachant pas quoi faire, et quand même, avec un bébé dans les bras, en disant qu'il prenait tous les risques de ne sachant pas quoi faire, il est obligé d'appeler au secours une de ses cousines. Et ça, pour lui, ça a été la première méga honte de sa vie, d'appeler au secours une femme, déjà, et une cousine, et obligé de lui dire, de lui révéler pourquoi il l'appelait au secours. Voilà l'ambiance, si je puis dire, et le climat dans lequel le bébé que je suis commence sa vie, avec cette idée qu'il ne quittera jamais ni mon père ni ma mère, le refus, le refus absolu. Et c'est ça qu'il faut, c'est que ça n'a jamais changé.

  • Speaker #1

    Quand tu grandis dans ce foyer, comment est la vie, comment est le quotidien, comment ça s'incarne le fait qu'ils refusent que tu sois là ?

  • Speaker #0

    Ça s'incarne par... Par l'idée que finalement mes parents vont s'inscrire toute leur vie dans la vengeance, c'est-à-dire dans la vie finalement, dans une vie qu'ils auraient voulu qu'elle soit autre. Et c'est sur leur fille que cette vengeance va s'exercer. et c'est la chille et donc moi qui prends des coups des coups d'une violence Inouï, parce que on pourrait raconter les coups de Martinet jusqu'à ce que les lanières se détachent. Ça, c'est déjà très violent, mais pour moi, l'épisode peut-être qui a été le plus marquant. et qui peut-être a été un début de conscience sur une violence anormale, parce que les coups de Martinet... Je me disais que je les avais méritées. Je me dis à ce moment-là que je suis une petite fille pas sage, une petite fille pas obéissante, une petite fille qui ne correspond pas à la bonne éducation que tes parents veulent donner, etc. Mais il y a un épisode où je me dis non, ça ne peut pas correspondre, ce n'est pas possible, ça ne peut pas correspondre à ça. C'est le jour où ma mère m'a brûlé la main avec un fer à repasser. Et ça, ce n'était pas une punition normale. C'est-à-dire que les coups de martinets...

  • Speaker #1

    Ce n'était pas un accident ?

  • Speaker #0

    Ah non, non, non, ce n'était pas un accident. Et ça, voilà, quand... Prends des gifles ou le martinet ou etc. et que tu n'as aucun élément pour comprendre quoi que ce soit et que la seule chose que tu peux te dire c'est qu'il faut que tu fasses des efforts, des efforts. pour plaire à tes parents déjà, ce sont tes premiers référents adultes, mais le faire à repasser, ça sortait, je vais mettre des guillemets, mais de la norme, de la norme punition.

  • Speaker #1

    Il s'est passé quoi concrètement ?

  • Speaker #0

    Il s'est passé concrètement que, c'était assez pervers d'ailleurs, que je suis... à côté de ma mère, elle est en train de repasser. Dans sa tête, elle se dit que, il a peut-être raison d'ailleurs, elle se dit que les coups ne me font plus rien parce que j'ai appris à me protéger, j'ai appris à me mettre en boule. Je pense que c'est une espèce de réflexe de tout à chacun, bien sûr. Il me dit de poser ma main sur la table à repasser et je le fais parce que je n'imagine pas une seule seconde ce qui va se passer derrière. Et je le fais en me disant je vais obéir à ma mère. Je suis obnubilée par l'idée qu'il faut que j'obéisse pour que la situation change. Et je prends ce coup, je fais repasser sur ma main. Voilà. Ça, c'était un déclic, un vrai déclic de me dire... Tout le reste était normal pour moi. Tout le reste faisait partie de l'éducation. Mais le faire repasser, non. Incapable de dire pourquoi, mais non. Ça ne pouvait pas être... Dans ma tête, en tout cas, ça ne pouvait pas être une punition.

  • Speaker #1

    Tu vas à l'hôpital ?

  • Speaker #0

    Non. Non. Ma mère ne m'emmène pas à l'hôpital. Le soir, mon père rentre, j'ai la main brûlée. Ma mère lui explique. Et mon père acquiesce. Mon père s'inscrit... Toujours dans la séduction avec une femme avec qui rien ne fonctionne. Et donc il acquiesce, il acquiesce à cette violence et j'en fais les frais.

  • Speaker #1

    Souvent, quand on entend des histoires de violence de parents sur leurs enfants, on est étonné parce que les enfants les défendent et les enfants continuent à les aimer. T'aimes tes parents, toi ?

  • Speaker #0

    J'ai longtemps aimé mes parents. tout en me posant cette question, est-ce que je les aime ou est-ce que je cherche à leur plaire ? Ce n'est pas la même question en réalité. Alors, il y a eu des étapes dans la vie et les étapes correspondent à ce que l'on comprend, à ce qu'on appréhende, comment on appréhende les choses. Et je vis dans une famille en vase clos. Cette famille n'invite pas grand monde à la maison. Mon père est fier parce que la seule personne qu'il reçoive Chaque dimanche, qui vient flatter l'égo de petits notables, c'est le curé. Ça c'était une espèce de marque, voilà, une marque d'honneur, et prise comme telle, mais ma propre famille, mon parrain, ma marraine... Il me faudra attendre plusieurs années avant de les rencontrer. Donc c'est un vase clos et dans ce vase clos, je le dis parce que j'ai peu de repères dans ce vase clos. Et c'est pour ça que je pense que dans ce vase clos, sans en avoir conscience, pour tenter de respirer, j'essaye de plaire. Et j'accepte cette violence d'une certaine façon. je l'accepte longtemps cette violence j'envis mes copines parce que je vois bien qu'elles ne vivent pas la même vie que moi mais j'interprète ça en disant que moi je vis une vie normale et qu'elles ont une vie géniale et

  • Speaker #1

    dans ce huis clos est-ce que ton frère c'est un secours un allié ?

  • Speaker #0

    Mon frère ne pourra et n'a jamais pu, ne sera jamais un allié, de par l'éducation qu'il reçoit. C'est le premier enfant, c'est un garçon, c'est une fierté. Alors à mon frère, on lui cède tout, on lui offre tout, on le protège, on lui promet... Mon zémerveille, la plus grande carrière professionnelle, en l'occurrence médecin, il était déjà déterminé qu'il serait médecin. Les meilleures écoles, les loisirs, tout un tas de loisirs auxquels moi je n'ai pas accès, du sport, des spectacles et choses comme ça. Et donc, lui, il est sur un piédestal, il est bien sur son piédestal, il est heureux sur ce piédestal et sa façon de remercier mes parents, c'est de me haïr. C'est de considérer que sa sœur est le vilain petit canard de la famille, sème la zizanie, que c'est sa sœur qui introduit la violence c'est pas c'est pas les parents c'est sa soeur qui introduit ce climat qui est à l'origine je sais la façon de protéger ses oui ses privilèges oui et ce qui est ce qui est fou c'est qu'il n'a jamais changé d'avis jamais et puis l'adolescence arrive l'adolescence arrive Je vais à l'école. Heureusement, l'école, c'est mon havre de paix. J'aime l'école. Mais j'aime l'école aussi parce que à l'école, je ne m'étouffe pas. À l'école, j'apprends des choses. Je suis contente d'apprendre des choses. Et aussi grâce à l'école, j'apprends à lire et cet apprentissage de la lecture c'est ce qui me sauve de tout parce que face à tout ce climat oppressant, étouffant mon refuge c'est le livre, mon refuge c'est la littérature, toutes les littératures c'est pour ça que je dis que ça m'a sauvée littéralement mais ce qui va avec la littérature ce qui va avec l'école c'est c'est la foultitude de questions et la remise en cause de ce qui au fond n'est pas normal et la prise de conscience de ce qui n'est pas normal et ça passe par plein de petites petites étapes je me souviens de deux à l'époque il y avait la visite médicale scolaire qui un jour ça se passe pas bien parce que la médecin me dit il faut vous avez un problème de vue il faut s'en occuper maintenant il faut des lunettes maintenant je mets fondre en larmes la médecin ne comprend pas pourquoi pourquoi je mets fondre en larmes parce Parce qu'au fond des lunettes, ça va, c'est pas... Pas l'horreur ! Et je lui explique que ce n'est pas du tout les lunettes qui me font peur, que je me fiche perdument de porter ou non des lunettes, mais que je sais qu'en rentrant à la maison avec ce mot de la médecin qui dit que j'ai besoin de lunettes, je vais avoir droit à une scène de violence parce que je suis encore celle qui va faire dépenser de l'argent, je suis encore celle qui... occasionne des soucis à ses parents, etc. Et la médecin est sidérée de m'entendre dire ça. Je pense qu'elle n'avait jamais entendu ça de sa vie, tout simplement. Elle me rassure, du moins elle tente de le faire. En fait, ce que j'avais prévu s'est passé comme ça s'est passé, et j'ai eu hurlement, etc. Mais tout ça, cet épisode parmi tant d'autres, je peux dire que ça fait partie des déclics qui m'ont aidé à me dire... Ça n'est pas normal, ce n'est pas comme ça qu'on élève une enfant, ça n'est pas comme ça qu'on protège, ça n'est pas comme ça qu'on prend soin.

  • Speaker #1

    Et c'est ce qui t'a conduit à 14 ans à t'enfuir frénétiquement ?

  • Speaker #0

    Exactement, il y a plein d'épisodes où je suis déchirée. entre l'idée de la séparation avec ce qu'on appelle mon papa, ma maman et mon frère, mais surtout mon papa, ma maman, et le moment arrive. où je me dis « sauve-toi, sauve-toi vraiment au sens propre, parce que sinon, si tu ne te sauves pas, tu meurs » . C'est ça qui fait que je me dis « il ne reste qu'une chose, la fugue » , comme un appel désespéré, mais la fugue, que je réitère plein de fois, pour ne pas mourir. J'ai cette conscience adolescente que j'en suis arrivée là, que cette idée, c'est pas la mort physique, mais c'est la mort de l'esprit, c'est la mort célébrale. C'est aussi l'idée que je vais m'éteindre et qu'en réalité, je ne suis pas la seule à le dire. La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique. Et puis un juge,

  • Speaker #1

    première personne en plus des profs sur ton chemin, va te donner un ticket de sortie.

  • Speaker #0

    Un inspecteur de police.

  • Speaker #1

    Un inspecteur de police,

  • Speaker #0

    pardon. Un inspecteur de police qui... parce que je fugue, mes parents signalent la fugue, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, je dors dans des immeubles, dans des escaliers, dans des ascenseurs, parfois... parents, de copines, mes berges, mais avec toutes les précautions parce que nous ne voulons pas être accusés de quoi que ce soit, évidemment. Et l'inspecteur, plusieurs fois, m'entend, m'écoute, me comprend parce qu'il auditionne aussi mes parents et se rend bien compte. que ce que je dis ne relève pas du fantasme, ne relève pas de mon imaginaire. Voilà, d'un imaginaire se rend compte aussi de la manière dont mes parents viennent me chercher. Ils ne viennent pas récupérer une jeune adolescente avec toute l'inquiétude que peuvent avoir des parents dans cette situation. Ils arrivent en hurlant, ils me hurlent dessus. Donc tous ces détails font qu'ils se rendent compte des choses. Et à plusieurs reprises, il me dit qu'il faut que je patiente, que c'est un peu long, un peu difficile, mais qu'il faut que je patiente. Il se rend compte que ma patience n'est à bout, et que je ne peux pas patienter, je ne peux plus patienter. Et c'est lui qui, à ce moment-là, s'adresse à un jeu. en vue d'un placement envoyé pour dire il n'y a plus d'autre issue que celle-là c'est peut-être pas la meilleure c'est pas ce que je pourrais espérer pour cette très jeune fille mais il n'y a pas d'autre choix que celui-là

  • Speaker #1

    Donc tu es placée en foyer, tu fais un premier et tu fais la révolution pour en partir. Parce qu'il est loin de chez toi, il est terrible. Et tu arrives à en partir, c'est le premier.

  • Speaker #0

    Oui, je suis dans ce foyer et ce foyer est un peu prison déjà, donc ça ne peut pas fonctionner. Je ne peux pas sortir de l'un pour entrer dans l'autre. J'ai en plus... C'est un foyer qui est loin de mon école. Et la seule chose que je demande au juge, c'est de garder mon école. C'est un peu une espèce de pilier auquel je me raccroche. Il ne faut pas me changer d'école. Ça, j'en suis persuadée. Il ne faut pas me changer d'école, Monsieur le juge, il ne faut pas me changer d'école. Je m'en fiche, je me lèverai à 5h du matin s'il faut, mais il ne faut pas me changer d'école. Le juge, j'accepte. je me dis quelle force de persuasion parce qu'une gamine c'est du pape changé d'école un juge avec l'affront et en réalité ça ne va pas bien dans ce foyer parce qu'il est foyer-prison parce que quand Ce sont des foyers un peu transitoires où on ne s'occupe pas vraiment de ce qui se passe pour les jeunes filles et les jeunes garçons. Et j'obtiens non seulement de ne pas changer d'école, ça c'est hors de question, et j'obtiens aussi ce qui n'était pas la normalité. D'aller dans un foyer dans la ville de mes parents, pas du tout parce qu'il y a mes parents, là pour le coup, mais parce qu'il y a mon école. Il y a mon havre de paix, de joie, parce que quand on vit tant d'années avec aussi peu de moments de joie et que l'école représente ces moments de joie, Voilà, c'est pour ça que je parle de pilier. Et j'obtiens ça, j'obtiens d'arriver dans ce foyer de ma ville de résidence.

  • Speaker #1

    Et t'es encore loin d'être majeure, parce qu'à l'époque, c'est 21 ans,

  • Speaker #0

    la majorité. C'est là où le propos de... De l'inspecteur de police, je le comprenais, et en même temps c'était un horizon beaucoup trop lointain. Beaucoup trop lointain. C'est la majorité 21 ans. Je savais que je n'obtiendrais rien. Pas d'émancipation anticipée, ou je ne sais quoi. Vraiment, c'était de l'ordre de l'impossible. Donc oui, 21 ans, on ne se rend plus compte, mais c'est comme accès à l'autonomie et à ses propres choix, à son indépendance, etc. C'est loin comme horizon, c'est vraiment loin.

  • Speaker #1

    Dans ce foyer, ils prennent un peu plus ou moins de toi. et il y a même des choses prévues l'été.

  • Speaker #0

    Tous les étés, sur les deux mois d'été, c'était réparti en deux temps. Un temps de vacances communes avec tous les résidents du foyer dans un lieu loué par le foyer. Et un temps... un autre temps où on pouvait choisir une colonie de vacances. Alors on pouvait choisir en fonction de la destination, en fonction de ce qui était proposé, activités, loisirs, sports, etc. Et qui était là pour le coup un choix individuel, où chacun allait là où il voulait. Et moi je choisis le lieu. Avant tout, je choisis la Corse, je choisis l'île. Et je vais en Corse, je découvre la Corse. Déjà, c'est loin, la Corse, par rapport à là où je suis. Donc, cette idée de mettre des kilomètres, ça me va bien. Et puis, j'arrive dans cette colonie. Et là, les moniteurs, les encadrants proposent quelque chose que je n'imaginais même pas que ça pouvait exister, c'est-à-dire une forme de trois semaines ensemble en autogestion. Déjà, le mot autogestion, je ne connais pas. Et je découvre ce qu'est l'autogestion. je découvre qu'on peut décider ensemble, assumer. ensemble, discuter, débattre de choix des uns et des autres. Et alors là, pour moi, c'est le monde merveilleux qui s'ouvre devant moi en me disant, mais on peut vivre cette vie-là. C'est tellement à des milliards de kilomètres de ce que j'ai vécu jusque-là, que je m'implique dans cette autogestion, mais... Je pense mille fois plus que d'autres. J'adore, vraiment. Et ça me plaît d'autant plus qu'il y a cette idée d'autonomie et d'émancipation, mais il y a cette idée où même les tâches à répartir... avec un tableau qui fait quoi, etc. Ça n'est plus une corvée. Du tout. Et c'est tout ça qui me plaît. Donc je vais, je fais trois semaines, mais magiques. Peut-être les trois premières semaines les plus magiques de ma vie.

  • Speaker #1

    Et le retour n'est pas trop dur ?

  • Speaker #0

    Ah bah si ! Ah bah si ! Ah oui, parce qu'entre l'autogestion dans une colonie de vacances et un foyer de l'aide sociale à l'enfance, il y a un gouffre, mais un gouffre abyssal. Et j'arrive avec toutes ces idées en tête, et moi j'ai envie de continuer à les appliquer, ces idées. Et j'ai envie de convaincre, surtout, pour dire, voilà, on peut arriver à faire... plein de choses ensemble, en les décidant ensemble, en les assumant ensemble.

  • Speaker #1

    Et alors,

  • Speaker #0

    ça marche ? Pas du tout. Ils ne sont pas du tout d'accord avec ça. Malheur, pas du tout, du tout. Et moi, c'est trop tard. Je suis ancrée là-dedans. Ça m'a trop plu pour que je revienne en arrière. Je suis trop contente. Donc, au bout d'un moment, je fugue de ce foyer. en me disant puisque vous ne voulez pas et que moi je veux, c'est moi qui vais décider. Et je fûle du foyer, je rejoins les moniteurs de la colonie de vacances. Et vous dites quoi ? Je leur explique en fait que je les rejoins parce que la porte de vie qui m'a ouverte, elle me donne un tel horizon. que je veux continuer à aller vers cet horizon-là.

  • Speaker #1

    Et alors ?

  • Speaker #0

    Et ils sont ravis. Ils sont ravis de ce que je leur dis, ils sont ravis de voir qu'en trois semaines de temps, ils ont semé des petites graines de choses, et que ça a fait son petit bout de chemin de réflexion. C'est ça qui leur importe à eux, en réalité. Ils sont ravis, mais ils savent aussi qui prennent un risque considérable parce que l'accusation, plainte de détournement de mineur, ça rigole pas. Et ça rigole pas que...

  • Speaker #1

    Détournement de mineur, c'est si tu fais des trucs avec le mineur.

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    C'est si t'héberges...

  • Speaker #1

    Ah, je l'ignorais.

  • Speaker #0

    Si t'héberges un mineur et que le mineur est en flux, c'est... Alors, je sais pas aujourd'hui, mais c'était strictement interdit. C'est strictement interdit. Ils savent ça, mais ils ne... peuvent pas se dire qu'ils vont me faucher l'arbre sous le pied.

  • Speaker #1

    Et donc ils te conseillent quoi ?

  • Speaker #0

    Et ils me disent... Et donc on a des très longues discussions avec eux où ils me disent, est-ce que tu veux raconter tout ça ? Est-ce que tu veux que ça se sache ? Est-ce que tu veux... Au fond, à quoi ça t'amène tout ce qu'on a ces trois semaines et puis le fait que tu sois chez nous aujourd'hui, etc. Et moi je dis oui, je veux raconter tout ça. Et je veux raconter tout ça, en fait, pas pour moi, mais parce que moi j'ai eu la chance de bénéficier de ça. J'ai eu la chance de commencer à comprendre des choses et j'ai envie de le partager. J'ai tout simplement envie de le partager. Et ils me disent ok. Et première action, un gala dans un chapiteau à Pantin. C'est fou. Pour moi, c'est fou. Je me retrouve sur une scène, je me retrouve face à des gens et je raconte tout ça. Et j'ai mon père qui vient. Mon père est fou de rage. fou de rage. Et il est fou de rage parce que ça correspond à ce qu'il a toujours maraîné de la façon la plus aigrée qu'il soit. Ma fille raconte notre vie. Ma fille dit des choses qu'elle n'a pas le droit de dire. Et moi je réponds si j'ai le droit et si je veux le faire. Et tant pis. Et donc, il y a ce gars-là, et il y a ce gars-là... Ce qui est faux pour moi, c'est qu'il y a des gens dans la salle pour écouter tout ça. Et à partir de là, je me dis... D'abord, je me dis que j'ai bien fait. Et je me dis, moi, l'amoureuse des livres, déjà, je me dis, il faut que je continue à réfléchir. Il faut que je continue à comprendre ce que tout ça signifie et surtout, qu'est-ce que je peux en faire ? Et je me dis aussi, c'est pas je, c'est nous. Et ça aussi, c'est les trois semaines de la petite graine. C'est pas je, c'est nous. Et ensuite, on... On prête ce gala quoi faire ? Parce que c'est bien, il y a eu un gala. Et bien quoi faire ? Et si on allait occuper la fac de Vincennes ? Tiens ! Eh oui ! Et que je découvre ! Il faut quand même réaliser que j'ai 16 ans à ce moment-là. Donc, ce monde-là... déjà je fais des bascules de monde totalement sidérant et ce monde là, ce monde en particulier de la fac de Vincennes qui est très particulier, qui est hyper particulier c'est toute la génération Guattari, Félix Guattari, Gilles Deleuze etc je découvre ce monde là des philosophes, des penseurs de la gauche oui et alors moi je... Je l'arrive dans cet endroit, d'autres mineurs nous rejoignent. On y est aussi parce qu'on sait que la police ne peut pas rentrer dans les facultés. Donc ça quand même, elle arrive tout de suite, mais elle arrive autour. Donc on ne peut pas en sortir, mais bon. Et moi, à 16 ans, je suis l'adolescente qui débarque dans les amphis. où Gilles Deleuze ou bien Guattari est en train de donner un cours, et moi j'arrive, j'interromps le cours, et j'interromps le cours en disant je vais vous expliquer pourquoi nous occupons la fac. Alisa prend son mignon, mais gonflé. Et ça passe.

  • Speaker #1

    Parce que c'est eux.

  • Speaker #0

    Parce que c'est eux. Et que ça correspond à toutes ces terres de réflexion-là. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    C'est une série de... C'est une période où tu es heureuse ?

  • Speaker #0

    C'est une période où je me découvre. C'est une période où enfin je commence à être moi-même.

  • Speaker #1

    Et comment tu vis, comment tu manges, où tu dors ? Là tu dors sur place.

  • Speaker #0

    Alors à la fac on dort sur place, on fait passer des cagnottes. pour nous aider, notamment effectivement sur le quotidien, parce qu'on peut bien manger, et ça fonctionne. Oui, c'est la solidarité. Oui, et donc ces 15 jours à la fac de Vincennes, de mémoire 15 jours, sont 15 jours hors du temps, parce que là, on ne peut pas sortir. La police est dehors, et je sais ce qui m'attend, mais nous on le sait tous. Mais c'est hors du temps, parce que je rencontre des gens qui m'écoutent, qui échangent, qui comprennent, qui m'amènent à la réflexion, et qui sont des gens qui me raccrochent à ma passion première, le livre. C'est ça qui est... Et là, j'existe. Ça y est, j'existe.

  • Speaker #1

    T'existes d'autant plus que la presse te tend le micro et que t'es en première ligne.

  • Speaker #0

    Et je le... Et j'assume. J'aime même d'être en première ligne. Je...

  • Speaker #1

    T'aimes ça ?

  • Speaker #0

    Alors... En réalité, ce que j'ai préféré, c'est vraiment les interventions dans les enfils, les discussions acharnées, les échanges, etc. Mais les micros qui se tendent, ce que j'aime, c'est que je surprends les gens, je surprends les journalistes. C'est-à-dire de se dire, mais qui sont-ils ces mineurs qui débarquent ? la fac de Vincennes, qui est cette jeune fille, qui, avec aplomb, pose beaucoup de questions, et des questions justement sur l'émancipation, et des questions sur cette fameuse majorité à 21 ans, qui est beaucoup trop tardive. Et je ne le lis même pas à la violence que j'ai vécue. Ça en fait partie, bien sûr. Mais je le lis, il faut qu'on arrive à vivre et à faire des choix avant 21 ans. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Et au bout de ces quinze jours, comment ?

  • Speaker #0

    Alors au bout de ces quinze jours, c'est difficile, puisque quand on quitte la fac de Vincennes, les majors sont interpellés, moi je suis interpellée, et c'est... Bon ben là c'est le monde judiciaire. Le monde judiciaire sous Alain Perchit il est extrêmement dur et je ne sais pas comment je vais faire surtout. Comment je vais arriver à me dépêtrer de tout ça ? Je vois bien en même temps que d'un point de vue judiciaire, on ne sait pas quoi faire de moi.

  • Speaker #1

    Et même une fois, ils ne savent tellement pas.

  • Speaker #0

    Oui. Ça te fait rire ? Oui. Il y a des fois, ils ne savent tellement pas qu'ils m'emmènent à l'hôpital psychiatrique. Ils en ont marre, en fait. Ils sont...

  • Speaker #1

    Et tu as une copine qui fait un truc très malin, tu peux le raconter ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est que quand j'arrive à l'hôpital psychiatrique, parce qu'une nouvelle fois interpellée, et je suis avec une copine, je suis en vacances, et voilà. Ma copine, par contre, elle est majeure, et elle flippe vraiment parce que... Elle s'est dit, oula, l'hôpital psychiatrique, c'est pas la même. Et là, elle s'inquiète vraiment en disant, qu'est-ce qu'ils vont lui faire ? On ne peut pas laisser ça. Alors elle fait un truc, elle alerte la presse, elle fait tout ce qu'il faut. Puis surtout, elle fait un truc très malin, c'est qu'elle appelle la CGT des infirmiers. Elle alerte. Et ça m'a protégée. Et ça m'a protégée. Donc, c'est en même temps ça, c'est que personne ne sait quoi faire de moi. Moi, je sais ce que je veux et je sais quoi faire de moi. Mais eux, ils ne savent pas. les autorités, les pouvoirs, ils ne savent pas et je je vais plus ou moins dans des squats parce que pas le choix et je continue, c'est-à-dire que je ne baisse pas les bras face à tout ça et tu fais une rencontre extraordinaire, mais extraordinaire une femme qui suit médiatiquement tout ça depuis quasiment le début et qui demande à me voir qui veut échanger avec moi c'est ça le début et avec qui j'ai un échange passionnant et qui m'explique que Il fait me rendre compte que mon combat, il relève aussi du combat féministe et que l'émancipation que je réclame à corps et à cri et ce besoin de pouvoir faire des choix, il est d'autant plus compliqué quand on est une jeune fille, plus compliqué que quand on est un garçon et que ce combat-là, il passe... par une étape absolument indispensable, c'est l'émancipation économique. Et que pour l'émancipation économique, il n'y a pas de mystère, il faut travailler, il faut un boulot. Et qu'on est d'autant plus solide qu'on accède à l'émancipation économique et qu'elle me propose un boulot. Et cette femme, elle s'appelle Anne Sylvestre, une chanteuse. qui sont pour les adultes et pour les enfants. Et elle a ce réflexe que je n'ai pas réalisé tout de suite, mais après de dire « Moi, j'ai des convictions, des convictions de femme de gauche, des convictions de féministe, des convictions de ce... » combat qu'elle-même a mené et continue à mener à travers les paroles de ses chansons et sur scène donc et je vais l'amener concrètement là solidement concrètement en lui donnant un job je vais lui donner un job c'est

  • Speaker #1

    extraordinaire oui c'est extraordinaire parce que ton parcours va être jalonné on va pas tout dévoiler mais de gens qui ont des valeurs et qui les qui les exposent et qui en parlent et qui dissertent dessus mais qui en parallèle les incarnent sainement et qui mettent en œuvre ce qu'ils prônent, pas juste pour la galerie.

  • Speaker #0

    Et d'autant plus quand elle fait ça, elle est consciente c'est ça qui est fou elle est consciente que je n'ai jamais travaillé de ma vie que je suis très jeune que je j'ai 17 ans et quelques à ce moment là donc c'est à dire des ennuis aussi d'aider et ben voilà et mais mais elle s'en fiche elle s'en fiche royalement elle a elle a soit là cette idée de Cette idée de « je peux faire quelque chose, je vais le faire » , y compris le jour où elle reçoit une convocation de police, convocation qui fait suite à une plainte de mon père, qui est « mon père se plaint parce qu'elle n'a pas demandé l'autorisation à mes parents d'embauche, non seulement elle n'a pas demandé d'autorisation, et en plus... Mon père réclame une partie de mon salaire. Et elle, évidemment qu'il n'en est pas question. Et elle va au commissariat. Elle y va. Elle est solide. Et elle revient en disant, c'est réglé. Et en fait, la plainte est partie à la poubelle. Mais voilà. Et elle, oui, solide. Et en même temps, elle n'en a jamais tiré. Le moindre avantage, je ne sais même pas si elle l'a raconté un jour. Vraiment pas. Ce n'était pas sa façon de voir les choses. Du tout.

  • Speaker #1

    Ensuite, toujours par son intermédiaire, tu travailles dans un théâtre.

  • Speaker #0

    Au Palais des Glaces. parce que son agent tourneur prend la programmation du Palais des Glaces. Et donc je vais moi aussi au Palais des Glaces, et là je gravis des gestions, j'apprends plein de choses. D'abord je suis ouvreuse, et puis après je grimpe, je fais du secrétariat, et puis après je travaille sur les collectivités et voilà je fais tout un... Je grimpe socialement, je peux dire ça comme ça et je me sens bien dans ce milieu du spectacle, du spectacle vivant. Je suis content d'être là, vraiment.

  • Speaker #1

    Et puis, tu arrives dans une nouvelle équipe, dans le cinéma ?

  • Speaker #0

    J'arrive au cinéma escurial. Une équipe qui a ensuite travaillé et repris le cinéma Max Linder. J'aime le cinéma, donc ça déjà, je me dis, j'ai de la chance, je suis contente. Et surtout, j'arrive, ils sont quatre. Eux aussi, ils ont une forte idée de l'autogestion. Eux aussi, ils sont dans cette mouvance de réflexion. Et ils me disent quelque chose qui m'accroche l'oreille. parce que jusque-là, je me débrouille. Et je me débrouille parce que j'ai travaillé pour Anne-Sylvès, parce que j'ai travaillé au Palais des Glaces. Mais ce qui m'accroche l'oreille, c'est au fait, tu veux faire quoi comme métier ? C'est quoi ton avenir professionnel ? Tu te situes comment ? Des questions que personne ne m'avait jamais posées. Autant Anne-Sylvès m'a aidée dans l'idée de l'émancipation économique, mais l'idée du choix professionnel, ça ne s'était pas posé. Et c'est avec cette équipe du cinéma escurial que je m'inscris à la fac. Et en disant, mais après tout, oui, il y a ce choix-là, je ne peux pas attendre trop longtemps. Et allons-y, puisque c'est possible. Et je m'inscris à la fac et je fais et du droit et de la comptabilité au hasard. L'émancipation des deux côtés. Et je suis ravie de faire ça, je suis vraiment ravie. Donc c'est ce jalonnement comme ça dans mon parcours où ce que j'ai envie de dire c'est que à la fois j'ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. et dans des moments difficiles, mais par contre...

  • Speaker #1

    Je pense qu'on attire les gens.

  • Speaker #0

    Peut-être. Ces fils qui m'étaient tendus, je les ai plus qu'attrapés. Je les ai tirés vers moi. Ah non, mais je prends là. Je prends, je tire, je tire, je tire. Et ça, c'est mon fil.

  • Speaker #1

    Tous ces gens-là, en fait, ils ont fait le travail de... de te faire grandir, de t'accompagner, de t'aider à déployer tes ailes comme des parents auraient dû le faire ?

  • Speaker #0

    Certainement. Je ne le vis pas comme ça, parce que mon père reste mon père, ma mère reste ma mère, mais je ne le vis pas, je n'ai pas cette idée un peu de transfert ou autre du tout. Mais ils ont tous joué un bout de ce rôle-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que ton frère est devenu médecin ?

  • Speaker #0

    Pas du tout. Mon frère ne devient pas médecin. Mon frère apprend, je ne sais pas trop comment, que je travaille dans le milieu du spectacle. Il fantasme en plus complètement sur ce milieu-là. Et il en est jaloux. Il me hurle un jour au téléphone en disant que lui, il est... dans une pharmacie et que moi, je travaille dans le milieu du spectacle et que moi, je devrais avoir honte. Honte de quoi ? Je ne sais pas, mais moi, je devrais avoir honte. Et ce que je veux dire pour raccorder aussi avec ta question précédente, c'est que grâce à ces fils-là que je tire absolument vers moi, prends-les, prends-les tous. Ça m'aide aussi à me dire, par rapport à mon père, par rapport à mon mère, par rapport à mon frère, et cet environnement-là, je mets le mot toxique dessus. Et en disant, puisque c'est toxique, fais autre chose. Et je mets le mot toxique, j'y arrive.

  • Speaker #1

    C'est drôle parce que tu as une maturité pour, à chaque étape de ce que tu racontes dans ton parcours, tu as encore un bébé et tu as déjà une vision de ce qui était bon pour toi, pas bon pour toi, de ce que tu devais fuir, de ce vers quoi tu devais aller.

  • Speaker #0

    C'est à la fois instinctif quand tu subis tout ça et que justement le mot subir devient le mot trop. cesser de subir. Donc il y a cet ordre-là. Et puis, je pense que oui, pour ça, mon amour des livres ne me quittera jamais. Mais je pense que ça a participé aussi à ma réflexion. Et au fait de de mieux vivre plus vite que d'autres. mais d'en être contente de m'ir plus vite que d'autres. Aussi, justement.

  • Speaker #1

    Tu fais quoi après, quand tu as ton diplôme ?

  • Speaker #0

    Je suis... Déjà, je suis fier. Oui, fier de ce que j'ai fait. que je pense pas possible et qui ce qui s'avère voilà donc la première étape c'est la vraie fierté la seconde étape c'est qu'est ce que tu ou tu vas dans quel donc l univers professionnel donc l'univers tout court même c'est de réfléchir à tout ça et d'avoir d'avoir la joie de le faire, de pouvoir le faire. Et donc, ce milieu du spectacle me plaît beaucoup parce qu'il a aussi, il représente et je pense que c'est normal qu'il représente ces terres de liberté, ces terres de liberté dans le sens créatif, dans le sens pouvoir dire des choses, comment les dire. c'est tout ça que ça représente pour moi donc j'aime ça et puis il y a un autre milieu qui me plaît bien mais qui sur lequel je peux dire exactement la même chose c'est le milieu d'édition et moi l'amoureuse des livres le milieu d'édition et en réalité le diplôme que la carte que j'ai dans ma poche et qui va être un peu plus déterminante par la suite, c'est la carte de productrice de Spectacle Vivant. Je l'ai, je l'ai ce sésame de productrice de Spectacle Vivant. Et dans ce fil de rencontre... Je rencontre le duo Patrick Fonte et Philippe Val et je deviens leur productrice. Moi qui arrive vraiment de nulle part, je deviens productrice de ce duo totalement explosé. à tout point de vue, qui racontent des choses sur scène que personne ne raconte, ou en tout cas pas grand monde. Et je découvre aussi cette forme d'expression-là, je découvre cet humour-là, je découvre qu'on peut... qu'il n'y a pas de sujet tabou, c'est le début. Au fond, on peut tout aborder, la question c'est pas d'aborder ou non un sujet, c'est comment on le fait. et avec l'humour et la transgression mais oui mais oui et donc je voilà je deviens je deviens productrice de ce duo là avec tout ce que ce que ça a pu comporter parce que oublier quand même malgré tout je suis une femme et que dans ce milieu là même même si ces milieux dans lequel on on réfléchit le plus et qui a évolué le plus et qui est ouvert dans tous les sens du terme, je reste quand même une femme qui doit faire sa place. on n'oublie pas de me le rappeler. Et surtout à cet accès-là, productrice, quand je vais à des réunions annuelles du syndicat des producteurs de spectacles, je me rends bien compte que un, je suis une femme, et deux, que je suis plus jeune que la moyenne. Et que donc, que ça m'est renvoyé quand même. Et il y en a un qui a été un appui dans ces deux questions-là. C'était le patron de l'Olympia de l'époque, Jean-Michel Boris, qui n'était pourtant un monsieur, qui était déjà d'un certain âge et qui avait une carrière professionnelle de programmateur absolument extraordinaire. Et c'est un peu ce monsieur-là... Parce que tu sais, dans les réunions, à un moment, quand une femme parle, on n'hésite pas à lui couper la parole. Alors, on se rend plus compte qu'elle est jeune, puisqu'elle n'a pas d'expérience et tout ça. Et on se fait une réunion où il a dit, on va l'écouter, on va l'écouter jusqu'au bout. Et bam ! Et donc, quand Jean-Michel Poiré se parlait, pour les autres producteurs, c'était quand même...

  • Speaker #1

    Un signal.

  • Speaker #0

    Oui. Voilà.

  • Speaker #1

    T'as qu'à elle, à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je dois être dans la vingtaine d'années, 22 ans, un truc comme ça, 20-22. Je suis dans ces eaux-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as l'impression à cette personne-là que... T'as un petit peu guéri de ton enfance ?

  • Speaker #0

    Dans ces années-là, l'enfance, je la mets de côté parce que je ne sais pas quoi faire avec ça, si ce n'est que je vais... Je suis en colère, je suis en colère. Je réalise quand même tout ce qui s'est passé. Je réalise ce que le mot « violence » sur un enfant veut dire. Enfance petite, des petites. Donc je réalise que j'ai vécu tout ça. Je réalise ce que ça veut dire. Je réalise aussi que je ne veux pas que ça soit ma carte de visite. Ça je le sais. Je veux exister par moi-même et pas là-dessus. Alors je la mets de côté cette enfance. Je la mets de côté en me disant, viendra bien le moment. ou peut-être j'en ferai quelque chose ou peut-être pas et parce qu'aussi je sens que quand je pense à mon enfance la colère me déborde que la colère me déborde parce que d'abord par la normalité des choses évidemment et aussi parce que c'est vivace c'est vivace tout ce ce que... tous ces mots, quelle que soit l'écriture du terme, c'est givasse et je sens que ça peut me déborder très vite, que cette colère à ce moment-là, elle peut me déborder très, très, très, très vite. Donc je la mets de côté, parce que je me dis que pour avancer, je ne peux pas éporter ça. et avancé. Et je suis dans une rupture totale et avec mes parents et avec mon frère. Et je dois aussi porter ça. C'est-à-dire vivre après l'enfance, l'adolescence, la jeune femme que je suis...

  • Speaker #1

    T'es totalement seule ?

  • Speaker #0

    Et seule. Elle est seule. Alors, pas totalement parce qu'il y a mon parrain, parce qu'il y a cette fameuse cousine qui s'est occupée de moi, qui avait raconté tout ça. Et c'est heureusement qu'ils sont là, bien sûr qu'heureusement qu'ils sont là. Ils sont déjà loin de mon domicile, donc ça n'est pas la même chose. Et je me dis, tu vas passer toutes les étapes de ta vie seul. Voilà. On va rencontrer des tas de gens, tu vas vivre ta vie de jeune femme, tu vas avoir des amoureux, tout ça, tout ça, mais tu n'auras pas l'épaule ni d'un père, ni d'une mère, ni non plus, ni confidence, même bagarreuse, d'un frère. Tu ne les auras pas. Il faut l'admettre. Donc, je ne peux pas tout gérer en même temps. Et à partir du moment où je sais que la rupture, elle est profonde, je ne sais pas à ce moment-là si elle est définitive ou pas, mais je sais qu'elle est profonde, je mesure cette profondeur. Bon, on va mettre ça de côté, parce que sinon ça va me déborder terriblement. Et si je laisse l'ombre d'un millimètre, Euh... Sous- de ce lien revenir je vais morfler et ça s'est passé comme ça d'ailleurs quand j'ai quand mon père est décédé et qu'il a fallu aller chez le notaire d'abord ça s'est pas passé normalement mais plus ou moins rien ne se passe normalement donc voilà ma mère a fait une recherche dans l'intérêt des familles alors qu'il suffisait d'appeler mon parrain pour savoir où j'étais mais bon ça voilà et c'est tombé à un moment où je refaisais mon passeport et en fait j'ai su que il y avait cette recherche dans l'intérêt des familles parce que au moins je vais chercher mon passeport commissariat de quartier me dit ah non non faut aller à la préfecture centrale on peut pas vous le donner je suis complètement abasourde en me disant mais qu'est ce qu'il y a et je vais à la préfecture et j'attends et là il y a une il y a une fliquette qui vient me voir et qui me dit « On va vous donner votre passeport, ne vous inquiétez pas » . Ah bah oui, ça fait 24 heures que je m'inquiète ! Mais c'est parce qu'on vous dise, il faut absolument qu'on vous dise quelque chose. Oui, votre père est décédé. Et je la regarde ahurie. Non mais je le sais. Et non seulement je le sais, mais j'étais à la cérémonie d'enterrement. C'était terrible. J'étais isolée, j'étais à l'écart, j'étais seule. Mais j'y étais. Et Flickati comprend rien. Seulement, c'est pas normal. Et voilà, ça c'est ce genre de situation. Je me dis, si je les laisse rentrer dans ma vie par n'importe quel petit bout, c'est moi qui vais morfler. Et donc, non, stop. Donc, à ce moment-là, je ne règle rien, mais je mets de côté pour pouvoir avancer.

  • Speaker #1

    Merci.

Description

"La violence des coups c'est atroce, mais la violence psychologique, c'est pire, parce que c'est ton esprit qui meurt".

Marika Bret, militante inlassable de la lutte contre l'obscurantisme, RH et partenaire historique de la bande de Charlie Hebdo, se confie pour la première fois sur les racines de ses convictions, sa jeunesse et comment elle a réussi à surmonter le règne de la violence. Déjà.

Par Sarah Gaubert et LargerThanLifeProject depuis 2019

Réalisation G Carbonneau

Toute ressemblance est une imitation ;)


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie, on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix. Continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, il continue à vivre. D'accord, mais comment ? Mes invités ont vu leur vase sauter en l'air et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient putains, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tout en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, riez. Installez-vous confortablement. Et ça va bien. Bonjour Marika.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Merci d'être là.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Je souris parce qu'à la perspective des deux ou trois heures qu'on va passer ensemble, parce que les gens vont peut-être le découvrir en écoutant, mais on va faire deux épisodes à la suite. Et en fait, pourquoi deux épisodes ? Parce que je t'ai vue pour ta déflagration. Et en discutant, on s'est aperçu que tu avais beaucoup de choses à raconter et qu'on allait faire deux histoires. Enfin, une histoire moins deux fois.

  • Speaker #0

    C'est un fil que tu as remonté. C'est un fil qui a été énoncé en toute confiance et en toute tranquillité. C'est un fil qui est finalement un parcours de vie et qui dit tant de choses.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille... Tu as quel âge ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui j'ai 61 ans.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille tu arrives ?

  • Speaker #0

    Alors j'arrive, ce sont les années 60, j'ai resitué le contexte, la période historique, l'évolution... d'aujourd'hui n'était évidemment salutaire et pas la même. Et j'arrive surtout, je suis un bébé non désiré, et férocement, atrocement non désiré. Ma maman était la secrétaire de mon père. Mon père est un homme marié. Avoir une relation extra-conjugale, c'est pas top. Ça ne se fait pas, c'est honteux. Et puis ma maman tombe enceinte, elle tombe enceinte de mon petit frère. Et là c'est déjà un premier désastre puisque enceinte, non mariée pour une femme, sur cette période c'est extrêmement difficile. Une famille, la sienne, ultra catholique, donc ça en rajoute encore un peu. Et puis mon père c'est le directeur de la société. donc Donc l'enjeu pour lui, sa réputation, il s'en a été tout saisi, un enjeu qui l'aura obnubilé, obsédé tout le temps. Et donc mon frère arrive, naît en novembre 61.

  • Speaker #1

    Et donc du coup tes parents se...

  • Speaker #0

    Alors mes parents, mon père divorce. avec sa femme de l'époque et ils divorcent extrêmement rapidement et elle l'accepte parce que sa première femme ne pouvait pas avoir d'enfant et ça pour mon père c'était il y avait quelque chose de viscéralement odieux de ne pas avoir de descendance de ne pas pouvoir avoir de descendance ils divorcent très vite ma mère et mon père se marient Merci. Elle est vraiment sainte, ça se voit. Mais la cérémonie ne peut se passer qu'en tout petit comité parce qu'il y a la honte qui est là et qui s'impose. Et donc mon frère est... Quelques mois après, très peu de mois après, ma mère retombe enceinte. C'est le drame. Elle ne veut pas d'un deuxième enfant. Elle ne veut pas d'une telle rapidité entre les deux. Et dès le départ, elle déteste ce bébé à venir, donc moi. Et mon père. entre deux chaises parce que finalement une famille avec deux enfants lui ça lui convient Mais il l'aime je suppose encore à ce moment là sa femme et donc donc il il accepte cette situation et je n'ai dans ces conditions là dans des conditions de repoussoir absolue à tel point et de refus surtout, à tel point que ni mon père ni ma mère ne me déclarent à l'état civil. Je suis pendant plusieurs jours un bébé qui n'a pas de prénom et qui n'est pas là. C'est le début d'une histoire qui sera toujours le reflet de ce refus et d'un refus qui va... pasculer malheureusement très vite dans une forme de haine terrible et de haine qui aboutit à la violence. Et la violence, elle a commencé en réalité 15 jours après ma naissance. Ma mère part au sport d'hiver avec mon petit frère. Il a un an.

  • Speaker #1

    C'est ton grand frère ?

  • Speaker #0

    C'est mon grand frère. Il a un an et il abandonne Elle abandonne son bébé à un homme qui est absolument incapable de s'occuper d'un bébé, ne serait-ce que de le langer, ne serait-ce que de le nourrir, ne serait-ce que tout ça. Et c'est la première violence de ma vie, c'est cet abandon de ma mère pendant 15 jours et une première fracture terrible pour mon père. Parce que ne sachant pas quoi faire, et quand même, avec un bébé dans les bras, en disant qu'il prenait tous les risques de ne sachant pas quoi faire, il est obligé d'appeler au secours une de ses cousines. Et ça, pour lui, ça a été la première méga honte de sa vie, d'appeler au secours une femme, déjà, et une cousine, et obligé de lui dire, de lui révéler pourquoi il l'appelait au secours. Voilà l'ambiance, si je puis dire, et le climat dans lequel le bébé que je suis commence sa vie, avec cette idée qu'il ne quittera jamais ni mon père ni ma mère, le refus, le refus absolu. Et c'est ça qu'il faut, c'est que ça n'a jamais changé.

  • Speaker #1

    Quand tu grandis dans ce foyer, comment est la vie, comment est le quotidien, comment ça s'incarne le fait qu'ils refusent que tu sois là ?

  • Speaker #0

    Ça s'incarne par... Par l'idée que finalement mes parents vont s'inscrire toute leur vie dans la vengeance, c'est-à-dire dans la vie finalement, dans une vie qu'ils auraient voulu qu'elle soit autre. Et c'est sur leur fille que cette vengeance va s'exercer. et c'est la chille et donc moi qui prends des coups des coups d'une violence Inouï, parce que on pourrait raconter les coups de Martinet jusqu'à ce que les lanières se détachent. Ça, c'est déjà très violent, mais pour moi, l'épisode peut-être qui a été le plus marquant. et qui peut-être a été un début de conscience sur une violence anormale, parce que les coups de Martinet... Je me disais que je les avais méritées. Je me dis à ce moment-là que je suis une petite fille pas sage, une petite fille pas obéissante, une petite fille qui ne correspond pas à la bonne éducation que tes parents veulent donner, etc. Mais il y a un épisode où je me dis non, ça ne peut pas correspondre, ce n'est pas possible, ça ne peut pas correspondre à ça. C'est le jour où ma mère m'a brûlé la main avec un fer à repasser. Et ça, ce n'était pas une punition normale. C'est-à-dire que les coups de martinets...

  • Speaker #1

    Ce n'était pas un accident ?

  • Speaker #0

    Ah non, non, non, ce n'était pas un accident. Et ça, voilà, quand... Prends des gifles ou le martinet ou etc. et que tu n'as aucun élément pour comprendre quoi que ce soit et que la seule chose que tu peux te dire c'est qu'il faut que tu fasses des efforts, des efforts. pour plaire à tes parents déjà, ce sont tes premiers référents adultes, mais le faire à repasser, ça sortait, je vais mettre des guillemets, mais de la norme, de la norme punition.

  • Speaker #1

    Il s'est passé quoi concrètement ?

  • Speaker #0

    Il s'est passé concrètement que, c'était assez pervers d'ailleurs, que je suis... à côté de ma mère, elle est en train de repasser. Dans sa tête, elle se dit que, il a peut-être raison d'ailleurs, elle se dit que les coups ne me font plus rien parce que j'ai appris à me protéger, j'ai appris à me mettre en boule. Je pense que c'est une espèce de réflexe de tout à chacun, bien sûr. Il me dit de poser ma main sur la table à repasser et je le fais parce que je n'imagine pas une seule seconde ce qui va se passer derrière. Et je le fais en me disant je vais obéir à ma mère. Je suis obnubilée par l'idée qu'il faut que j'obéisse pour que la situation change. Et je prends ce coup, je fais repasser sur ma main. Voilà. Ça, c'était un déclic, un vrai déclic de me dire... Tout le reste était normal pour moi. Tout le reste faisait partie de l'éducation. Mais le faire repasser, non. Incapable de dire pourquoi, mais non. Ça ne pouvait pas être... Dans ma tête, en tout cas, ça ne pouvait pas être une punition.

  • Speaker #1

    Tu vas à l'hôpital ?

  • Speaker #0

    Non. Non. Ma mère ne m'emmène pas à l'hôpital. Le soir, mon père rentre, j'ai la main brûlée. Ma mère lui explique. Et mon père acquiesce. Mon père s'inscrit... Toujours dans la séduction avec une femme avec qui rien ne fonctionne. Et donc il acquiesce, il acquiesce à cette violence et j'en fais les frais.

  • Speaker #1

    Souvent, quand on entend des histoires de violence de parents sur leurs enfants, on est étonné parce que les enfants les défendent et les enfants continuent à les aimer. T'aimes tes parents, toi ?

  • Speaker #0

    J'ai longtemps aimé mes parents. tout en me posant cette question, est-ce que je les aime ou est-ce que je cherche à leur plaire ? Ce n'est pas la même question en réalité. Alors, il y a eu des étapes dans la vie et les étapes correspondent à ce que l'on comprend, à ce qu'on appréhende, comment on appréhende les choses. Et je vis dans une famille en vase clos. Cette famille n'invite pas grand monde à la maison. Mon père est fier parce que la seule personne qu'il reçoive Chaque dimanche, qui vient flatter l'égo de petits notables, c'est le curé. Ça c'était une espèce de marque, voilà, une marque d'honneur, et prise comme telle, mais ma propre famille, mon parrain, ma marraine... Il me faudra attendre plusieurs années avant de les rencontrer. Donc c'est un vase clos et dans ce vase clos, je le dis parce que j'ai peu de repères dans ce vase clos. Et c'est pour ça que je pense que dans ce vase clos, sans en avoir conscience, pour tenter de respirer, j'essaye de plaire. Et j'accepte cette violence d'une certaine façon. je l'accepte longtemps cette violence j'envis mes copines parce que je vois bien qu'elles ne vivent pas la même vie que moi mais j'interprète ça en disant que moi je vis une vie normale et qu'elles ont une vie géniale et

  • Speaker #1

    dans ce huis clos est-ce que ton frère c'est un secours un allié ?

  • Speaker #0

    Mon frère ne pourra et n'a jamais pu, ne sera jamais un allié, de par l'éducation qu'il reçoit. C'est le premier enfant, c'est un garçon, c'est une fierté. Alors à mon frère, on lui cède tout, on lui offre tout, on le protège, on lui promet... Mon zémerveille, la plus grande carrière professionnelle, en l'occurrence médecin, il était déjà déterminé qu'il serait médecin. Les meilleures écoles, les loisirs, tout un tas de loisirs auxquels moi je n'ai pas accès, du sport, des spectacles et choses comme ça. Et donc, lui, il est sur un piédestal, il est bien sur son piédestal, il est heureux sur ce piédestal et sa façon de remercier mes parents, c'est de me haïr. C'est de considérer que sa sœur est le vilain petit canard de la famille, sème la zizanie, que c'est sa sœur qui introduit la violence c'est pas c'est pas les parents c'est sa soeur qui introduit ce climat qui est à l'origine je sais la façon de protéger ses oui ses privilèges oui et ce qui est ce qui est fou c'est qu'il n'a jamais changé d'avis jamais et puis l'adolescence arrive l'adolescence arrive Je vais à l'école. Heureusement, l'école, c'est mon havre de paix. J'aime l'école. Mais j'aime l'école aussi parce que à l'école, je ne m'étouffe pas. À l'école, j'apprends des choses. Je suis contente d'apprendre des choses. Et aussi grâce à l'école, j'apprends à lire et cet apprentissage de la lecture c'est ce qui me sauve de tout parce que face à tout ce climat oppressant, étouffant mon refuge c'est le livre, mon refuge c'est la littérature, toutes les littératures c'est pour ça que je dis que ça m'a sauvée littéralement mais ce qui va avec la littérature ce qui va avec l'école c'est c'est la foultitude de questions et la remise en cause de ce qui au fond n'est pas normal et la prise de conscience de ce qui n'est pas normal et ça passe par plein de petites petites étapes je me souviens de deux à l'époque il y avait la visite médicale scolaire qui un jour ça se passe pas bien parce que la médecin me dit il faut vous avez un problème de vue il faut s'en occuper maintenant il faut des lunettes maintenant je mets fondre en larmes la médecin ne comprend pas pourquoi pourquoi je mets fondre en larmes parce Parce qu'au fond des lunettes, ça va, c'est pas... Pas l'horreur ! Et je lui explique que ce n'est pas du tout les lunettes qui me font peur, que je me fiche perdument de porter ou non des lunettes, mais que je sais qu'en rentrant à la maison avec ce mot de la médecin qui dit que j'ai besoin de lunettes, je vais avoir droit à une scène de violence parce que je suis encore celle qui va faire dépenser de l'argent, je suis encore celle qui... occasionne des soucis à ses parents, etc. Et la médecin est sidérée de m'entendre dire ça. Je pense qu'elle n'avait jamais entendu ça de sa vie, tout simplement. Elle me rassure, du moins elle tente de le faire. En fait, ce que j'avais prévu s'est passé comme ça s'est passé, et j'ai eu hurlement, etc. Mais tout ça, cet épisode parmi tant d'autres, je peux dire que ça fait partie des déclics qui m'ont aidé à me dire... Ça n'est pas normal, ce n'est pas comme ça qu'on élève une enfant, ça n'est pas comme ça qu'on protège, ça n'est pas comme ça qu'on prend soin.

  • Speaker #1

    Et c'est ce qui t'a conduit à 14 ans à t'enfuir frénétiquement ?

  • Speaker #0

    Exactement, il y a plein d'épisodes où je suis déchirée. entre l'idée de la séparation avec ce qu'on appelle mon papa, ma maman et mon frère, mais surtout mon papa, ma maman, et le moment arrive. où je me dis « sauve-toi, sauve-toi vraiment au sens propre, parce que sinon, si tu ne te sauves pas, tu meurs » . C'est ça qui fait que je me dis « il ne reste qu'une chose, la fugue » , comme un appel désespéré, mais la fugue, que je réitère plein de fois, pour ne pas mourir. J'ai cette conscience adolescente que j'en suis arrivée là, que cette idée, c'est pas la mort physique, mais c'est la mort de l'esprit, c'est la mort célébrale. C'est aussi l'idée que je vais m'éteindre et qu'en réalité, je ne suis pas la seule à le dire. La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique. Et puis un juge,

  • Speaker #1

    première personne en plus des profs sur ton chemin, va te donner un ticket de sortie.

  • Speaker #0

    Un inspecteur de police.

  • Speaker #1

    Un inspecteur de police,

  • Speaker #0

    pardon. Un inspecteur de police qui... parce que je fugue, mes parents signalent la fugue, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, je dors dans des immeubles, dans des escaliers, dans des ascenseurs, parfois... parents, de copines, mes berges, mais avec toutes les précautions parce que nous ne voulons pas être accusés de quoi que ce soit, évidemment. Et l'inspecteur, plusieurs fois, m'entend, m'écoute, me comprend parce qu'il auditionne aussi mes parents et se rend bien compte. que ce que je dis ne relève pas du fantasme, ne relève pas de mon imaginaire. Voilà, d'un imaginaire se rend compte aussi de la manière dont mes parents viennent me chercher. Ils ne viennent pas récupérer une jeune adolescente avec toute l'inquiétude que peuvent avoir des parents dans cette situation. Ils arrivent en hurlant, ils me hurlent dessus. Donc tous ces détails font qu'ils se rendent compte des choses. Et à plusieurs reprises, il me dit qu'il faut que je patiente, que c'est un peu long, un peu difficile, mais qu'il faut que je patiente. Il se rend compte que ma patience n'est à bout, et que je ne peux pas patienter, je ne peux plus patienter. Et c'est lui qui, à ce moment-là, s'adresse à un jeu. en vue d'un placement envoyé pour dire il n'y a plus d'autre issue que celle-là c'est peut-être pas la meilleure c'est pas ce que je pourrais espérer pour cette très jeune fille mais il n'y a pas d'autre choix que celui-là

  • Speaker #1

    Donc tu es placée en foyer, tu fais un premier et tu fais la révolution pour en partir. Parce qu'il est loin de chez toi, il est terrible. Et tu arrives à en partir, c'est le premier.

  • Speaker #0

    Oui, je suis dans ce foyer et ce foyer est un peu prison déjà, donc ça ne peut pas fonctionner. Je ne peux pas sortir de l'un pour entrer dans l'autre. J'ai en plus... C'est un foyer qui est loin de mon école. Et la seule chose que je demande au juge, c'est de garder mon école. C'est un peu une espèce de pilier auquel je me raccroche. Il ne faut pas me changer d'école. Ça, j'en suis persuadée. Il ne faut pas me changer d'école, Monsieur le juge, il ne faut pas me changer d'école. Je m'en fiche, je me lèverai à 5h du matin s'il faut, mais il ne faut pas me changer d'école. Le juge, j'accepte. je me dis quelle force de persuasion parce qu'une gamine c'est du pape changé d'école un juge avec l'affront et en réalité ça ne va pas bien dans ce foyer parce qu'il est foyer-prison parce que quand Ce sont des foyers un peu transitoires où on ne s'occupe pas vraiment de ce qui se passe pour les jeunes filles et les jeunes garçons. Et j'obtiens non seulement de ne pas changer d'école, ça c'est hors de question, et j'obtiens aussi ce qui n'était pas la normalité. D'aller dans un foyer dans la ville de mes parents, pas du tout parce qu'il y a mes parents, là pour le coup, mais parce qu'il y a mon école. Il y a mon havre de paix, de joie, parce que quand on vit tant d'années avec aussi peu de moments de joie et que l'école représente ces moments de joie, Voilà, c'est pour ça que je parle de pilier. Et j'obtiens ça, j'obtiens d'arriver dans ce foyer de ma ville de résidence.

  • Speaker #1

    Et t'es encore loin d'être majeure, parce qu'à l'époque, c'est 21 ans,

  • Speaker #0

    la majorité. C'est là où le propos de... De l'inspecteur de police, je le comprenais, et en même temps c'était un horizon beaucoup trop lointain. Beaucoup trop lointain. C'est la majorité 21 ans. Je savais que je n'obtiendrais rien. Pas d'émancipation anticipée, ou je ne sais quoi. Vraiment, c'était de l'ordre de l'impossible. Donc oui, 21 ans, on ne se rend plus compte, mais c'est comme accès à l'autonomie et à ses propres choix, à son indépendance, etc. C'est loin comme horizon, c'est vraiment loin.

  • Speaker #1

    Dans ce foyer, ils prennent un peu plus ou moins de toi. et il y a même des choses prévues l'été.

  • Speaker #0

    Tous les étés, sur les deux mois d'été, c'était réparti en deux temps. Un temps de vacances communes avec tous les résidents du foyer dans un lieu loué par le foyer. Et un temps... un autre temps où on pouvait choisir une colonie de vacances. Alors on pouvait choisir en fonction de la destination, en fonction de ce qui était proposé, activités, loisirs, sports, etc. Et qui était là pour le coup un choix individuel, où chacun allait là où il voulait. Et moi je choisis le lieu. Avant tout, je choisis la Corse, je choisis l'île. Et je vais en Corse, je découvre la Corse. Déjà, c'est loin, la Corse, par rapport à là où je suis. Donc, cette idée de mettre des kilomètres, ça me va bien. Et puis, j'arrive dans cette colonie. Et là, les moniteurs, les encadrants proposent quelque chose que je n'imaginais même pas que ça pouvait exister, c'est-à-dire une forme de trois semaines ensemble en autogestion. Déjà, le mot autogestion, je ne connais pas. Et je découvre ce qu'est l'autogestion. je découvre qu'on peut décider ensemble, assumer. ensemble, discuter, débattre de choix des uns et des autres. Et alors là, pour moi, c'est le monde merveilleux qui s'ouvre devant moi en me disant, mais on peut vivre cette vie-là. C'est tellement à des milliards de kilomètres de ce que j'ai vécu jusque-là, que je m'implique dans cette autogestion, mais... Je pense mille fois plus que d'autres. J'adore, vraiment. Et ça me plaît d'autant plus qu'il y a cette idée d'autonomie et d'émancipation, mais il y a cette idée où même les tâches à répartir... avec un tableau qui fait quoi, etc. Ça n'est plus une corvée. Du tout. Et c'est tout ça qui me plaît. Donc je vais, je fais trois semaines, mais magiques. Peut-être les trois premières semaines les plus magiques de ma vie.

  • Speaker #1

    Et le retour n'est pas trop dur ?

  • Speaker #0

    Ah bah si ! Ah bah si ! Ah oui, parce qu'entre l'autogestion dans une colonie de vacances et un foyer de l'aide sociale à l'enfance, il y a un gouffre, mais un gouffre abyssal. Et j'arrive avec toutes ces idées en tête, et moi j'ai envie de continuer à les appliquer, ces idées. Et j'ai envie de convaincre, surtout, pour dire, voilà, on peut arriver à faire... plein de choses ensemble, en les décidant ensemble, en les assumant ensemble.

  • Speaker #1

    Et alors,

  • Speaker #0

    ça marche ? Pas du tout. Ils ne sont pas du tout d'accord avec ça. Malheur, pas du tout, du tout. Et moi, c'est trop tard. Je suis ancrée là-dedans. Ça m'a trop plu pour que je revienne en arrière. Je suis trop contente. Donc, au bout d'un moment, je fugue de ce foyer. en me disant puisque vous ne voulez pas et que moi je veux, c'est moi qui vais décider. Et je fûle du foyer, je rejoins les moniteurs de la colonie de vacances. Et vous dites quoi ? Je leur explique en fait que je les rejoins parce que la porte de vie qui m'a ouverte, elle me donne un tel horizon. que je veux continuer à aller vers cet horizon-là.

  • Speaker #1

    Et alors ?

  • Speaker #0

    Et ils sont ravis. Ils sont ravis de ce que je leur dis, ils sont ravis de voir qu'en trois semaines de temps, ils ont semé des petites graines de choses, et que ça a fait son petit bout de chemin de réflexion. C'est ça qui leur importe à eux, en réalité. Ils sont ravis, mais ils savent aussi qui prennent un risque considérable parce que l'accusation, plainte de détournement de mineur, ça rigole pas. Et ça rigole pas que...

  • Speaker #1

    Détournement de mineur, c'est si tu fais des trucs avec le mineur.

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    C'est si t'héberges...

  • Speaker #1

    Ah, je l'ignorais.

  • Speaker #0

    Si t'héberges un mineur et que le mineur est en flux, c'est... Alors, je sais pas aujourd'hui, mais c'était strictement interdit. C'est strictement interdit. Ils savent ça, mais ils ne... peuvent pas se dire qu'ils vont me faucher l'arbre sous le pied.

  • Speaker #1

    Et donc ils te conseillent quoi ?

  • Speaker #0

    Et ils me disent... Et donc on a des très longues discussions avec eux où ils me disent, est-ce que tu veux raconter tout ça ? Est-ce que tu veux que ça se sache ? Est-ce que tu veux... Au fond, à quoi ça t'amène tout ce qu'on a ces trois semaines et puis le fait que tu sois chez nous aujourd'hui, etc. Et moi je dis oui, je veux raconter tout ça. Et je veux raconter tout ça, en fait, pas pour moi, mais parce que moi j'ai eu la chance de bénéficier de ça. J'ai eu la chance de commencer à comprendre des choses et j'ai envie de le partager. J'ai tout simplement envie de le partager. Et ils me disent ok. Et première action, un gala dans un chapiteau à Pantin. C'est fou. Pour moi, c'est fou. Je me retrouve sur une scène, je me retrouve face à des gens et je raconte tout ça. Et j'ai mon père qui vient. Mon père est fou de rage. fou de rage. Et il est fou de rage parce que ça correspond à ce qu'il a toujours maraîné de la façon la plus aigrée qu'il soit. Ma fille raconte notre vie. Ma fille dit des choses qu'elle n'a pas le droit de dire. Et moi je réponds si j'ai le droit et si je veux le faire. Et tant pis. Et donc, il y a ce gars-là, et il y a ce gars-là... Ce qui est faux pour moi, c'est qu'il y a des gens dans la salle pour écouter tout ça. Et à partir de là, je me dis... D'abord, je me dis que j'ai bien fait. Et je me dis, moi, l'amoureuse des livres, déjà, je me dis, il faut que je continue à réfléchir. Il faut que je continue à comprendre ce que tout ça signifie et surtout, qu'est-ce que je peux en faire ? Et je me dis aussi, c'est pas je, c'est nous. Et ça aussi, c'est les trois semaines de la petite graine. C'est pas je, c'est nous. Et ensuite, on... On prête ce gala quoi faire ? Parce que c'est bien, il y a eu un gala. Et bien quoi faire ? Et si on allait occuper la fac de Vincennes ? Tiens ! Eh oui ! Et que je découvre ! Il faut quand même réaliser que j'ai 16 ans à ce moment-là. Donc, ce monde-là... déjà je fais des bascules de monde totalement sidérant et ce monde là, ce monde en particulier de la fac de Vincennes qui est très particulier, qui est hyper particulier c'est toute la génération Guattari, Félix Guattari, Gilles Deleuze etc je découvre ce monde là des philosophes, des penseurs de la gauche oui et alors moi je... Je l'arrive dans cet endroit, d'autres mineurs nous rejoignent. On y est aussi parce qu'on sait que la police ne peut pas rentrer dans les facultés. Donc ça quand même, elle arrive tout de suite, mais elle arrive autour. Donc on ne peut pas en sortir, mais bon. Et moi, à 16 ans, je suis l'adolescente qui débarque dans les amphis. où Gilles Deleuze ou bien Guattari est en train de donner un cours, et moi j'arrive, j'interromps le cours, et j'interromps le cours en disant je vais vous expliquer pourquoi nous occupons la fac. Alisa prend son mignon, mais gonflé. Et ça passe.

  • Speaker #1

    Parce que c'est eux.

  • Speaker #0

    Parce que c'est eux. Et que ça correspond à toutes ces terres de réflexion-là. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    C'est une série de... C'est une période où tu es heureuse ?

  • Speaker #0

    C'est une période où je me découvre. C'est une période où enfin je commence à être moi-même.

  • Speaker #1

    Et comment tu vis, comment tu manges, où tu dors ? Là tu dors sur place.

  • Speaker #0

    Alors à la fac on dort sur place, on fait passer des cagnottes. pour nous aider, notamment effectivement sur le quotidien, parce qu'on peut bien manger, et ça fonctionne. Oui, c'est la solidarité. Oui, et donc ces 15 jours à la fac de Vincennes, de mémoire 15 jours, sont 15 jours hors du temps, parce que là, on ne peut pas sortir. La police est dehors, et je sais ce qui m'attend, mais nous on le sait tous. Mais c'est hors du temps, parce que je rencontre des gens qui m'écoutent, qui échangent, qui comprennent, qui m'amènent à la réflexion, et qui sont des gens qui me raccrochent à ma passion première, le livre. C'est ça qui est... Et là, j'existe. Ça y est, j'existe.

  • Speaker #1

    T'existes d'autant plus que la presse te tend le micro et que t'es en première ligne.

  • Speaker #0

    Et je le... Et j'assume. J'aime même d'être en première ligne. Je...

  • Speaker #1

    T'aimes ça ?

  • Speaker #0

    Alors... En réalité, ce que j'ai préféré, c'est vraiment les interventions dans les enfils, les discussions acharnées, les échanges, etc. Mais les micros qui se tendent, ce que j'aime, c'est que je surprends les gens, je surprends les journalistes. C'est-à-dire de se dire, mais qui sont-ils ces mineurs qui débarquent ? la fac de Vincennes, qui est cette jeune fille, qui, avec aplomb, pose beaucoup de questions, et des questions justement sur l'émancipation, et des questions sur cette fameuse majorité à 21 ans, qui est beaucoup trop tardive. Et je ne le lis même pas à la violence que j'ai vécue. Ça en fait partie, bien sûr. Mais je le lis, il faut qu'on arrive à vivre et à faire des choix avant 21 ans. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Et au bout de ces quinze jours, comment ?

  • Speaker #0

    Alors au bout de ces quinze jours, c'est difficile, puisque quand on quitte la fac de Vincennes, les majors sont interpellés, moi je suis interpellée, et c'est... Bon ben là c'est le monde judiciaire. Le monde judiciaire sous Alain Perchit il est extrêmement dur et je ne sais pas comment je vais faire surtout. Comment je vais arriver à me dépêtrer de tout ça ? Je vois bien en même temps que d'un point de vue judiciaire, on ne sait pas quoi faire de moi.

  • Speaker #1

    Et même une fois, ils ne savent tellement pas.

  • Speaker #0

    Oui. Ça te fait rire ? Oui. Il y a des fois, ils ne savent tellement pas qu'ils m'emmènent à l'hôpital psychiatrique. Ils en ont marre, en fait. Ils sont...

  • Speaker #1

    Et tu as une copine qui fait un truc très malin, tu peux le raconter ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est que quand j'arrive à l'hôpital psychiatrique, parce qu'une nouvelle fois interpellée, et je suis avec une copine, je suis en vacances, et voilà. Ma copine, par contre, elle est majeure, et elle flippe vraiment parce que... Elle s'est dit, oula, l'hôpital psychiatrique, c'est pas la même. Et là, elle s'inquiète vraiment en disant, qu'est-ce qu'ils vont lui faire ? On ne peut pas laisser ça. Alors elle fait un truc, elle alerte la presse, elle fait tout ce qu'il faut. Puis surtout, elle fait un truc très malin, c'est qu'elle appelle la CGT des infirmiers. Elle alerte. Et ça m'a protégée. Et ça m'a protégée. Donc, c'est en même temps ça, c'est que personne ne sait quoi faire de moi. Moi, je sais ce que je veux et je sais quoi faire de moi. Mais eux, ils ne savent pas. les autorités, les pouvoirs, ils ne savent pas et je je vais plus ou moins dans des squats parce que pas le choix et je continue, c'est-à-dire que je ne baisse pas les bras face à tout ça et tu fais une rencontre extraordinaire, mais extraordinaire une femme qui suit médiatiquement tout ça depuis quasiment le début et qui demande à me voir qui veut échanger avec moi c'est ça le début et avec qui j'ai un échange passionnant et qui m'explique que Il fait me rendre compte que mon combat, il relève aussi du combat féministe et que l'émancipation que je réclame à corps et à cri et ce besoin de pouvoir faire des choix, il est d'autant plus compliqué quand on est une jeune fille, plus compliqué que quand on est un garçon et que ce combat-là, il passe... par une étape absolument indispensable, c'est l'émancipation économique. Et que pour l'émancipation économique, il n'y a pas de mystère, il faut travailler, il faut un boulot. Et qu'on est d'autant plus solide qu'on accède à l'émancipation économique et qu'elle me propose un boulot. Et cette femme, elle s'appelle Anne Sylvestre, une chanteuse. qui sont pour les adultes et pour les enfants. Et elle a ce réflexe que je n'ai pas réalisé tout de suite, mais après de dire « Moi, j'ai des convictions, des convictions de femme de gauche, des convictions de féministe, des convictions de ce... » combat qu'elle-même a mené et continue à mener à travers les paroles de ses chansons et sur scène donc et je vais l'amener concrètement là solidement concrètement en lui donnant un job je vais lui donner un job c'est

  • Speaker #1

    extraordinaire oui c'est extraordinaire parce que ton parcours va être jalonné on va pas tout dévoiler mais de gens qui ont des valeurs et qui les qui les exposent et qui en parlent et qui dissertent dessus mais qui en parallèle les incarnent sainement et qui mettent en œuvre ce qu'ils prônent, pas juste pour la galerie.

  • Speaker #0

    Et d'autant plus quand elle fait ça, elle est consciente c'est ça qui est fou elle est consciente que je n'ai jamais travaillé de ma vie que je suis très jeune que je j'ai 17 ans et quelques à ce moment là donc c'est à dire des ennuis aussi d'aider et ben voilà et mais mais elle s'en fiche elle s'en fiche royalement elle a elle a soit là cette idée de Cette idée de « je peux faire quelque chose, je vais le faire » , y compris le jour où elle reçoit une convocation de police, convocation qui fait suite à une plainte de mon père, qui est « mon père se plaint parce qu'elle n'a pas demandé l'autorisation à mes parents d'embauche, non seulement elle n'a pas demandé d'autorisation, et en plus... Mon père réclame une partie de mon salaire. Et elle, évidemment qu'il n'en est pas question. Et elle va au commissariat. Elle y va. Elle est solide. Et elle revient en disant, c'est réglé. Et en fait, la plainte est partie à la poubelle. Mais voilà. Et elle, oui, solide. Et en même temps, elle n'en a jamais tiré. Le moindre avantage, je ne sais même pas si elle l'a raconté un jour. Vraiment pas. Ce n'était pas sa façon de voir les choses. Du tout.

  • Speaker #1

    Ensuite, toujours par son intermédiaire, tu travailles dans un théâtre.

  • Speaker #0

    Au Palais des Glaces. parce que son agent tourneur prend la programmation du Palais des Glaces. Et donc je vais moi aussi au Palais des Glaces, et là je gravis des gestions, j'apprends plein de choses. D'abord je suis ouvreuse, et puis après je grimpe, je fais du secrétariat, et puis après je travaille sur les collectivités et voilà je fais tout un... Je grimpe socialement, je peux dire ça comme ça et je me sens bien dans ce milieu du spectacle, du spectacle vivant. Je suis content d'être là, vraiment.

  • Speaker #1

    Et puis, tu arrives dans une nouvelle équipe, dans le cinéma ?

  • Speaker #0

    J'arrive au cinéma escurial. Une équipe qui a ensuite travaillé et repris le cinéma Max Linder. J'aime le cinéma, donc ça déjà, je me dis, j'ai de la chance, je suis contente. Et surtout, j'arrive, ils sont quatre. Eux aussi, ils ont une forte idée de l'autogestion. Eux aussi, ils sont dans cette mouvance de réflexion. Et ils me disent quelque chose qui m'accroche l'oreille. parce que jusque-là, je me débrouille. Et je me débrouille parce que j'ai travaillé pour Anne-Sylvès, parce que j'ai travaillé au Palais des Glaces. Mais ce qui m'accroche l'oreille, c'est au fait, tu veux faire quoi comme métier ? C'est quoi ton avenir professionnel ? Tu te situes comment ? Des questions que personne ne m'avait jamais posées. Autant Anne-Sylvès m'a aidée dans l'idée de l'émancipation économique, mais l'idée du choix professionnel, ça ne s'était pas posé. Et c'est avec cette équipe du cinéma escurial que je m'inscris à la fac. Et en disant, mais après tout, oui, il y a ce choix-là, je ne peux pas attendre trop longtemps. Et allons-y, puisque c'est possible. Et je m'inscris à la fac et je fais et du droit et de la comptabilité au hasard. L'émancipation des deux côtés. Et je suis ravie de faire ça, je suis vraiment ravie. Donc c'est ce jalonnement comme ça dans mon parcours où ce que j'ai envie de dire c'est que à la fois j'ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. et dans des moments difficiles, mais par contre...

  • Speaker #1

    Je pense qu'on attire les gens.

  • Speaker #0

    Peut-être. Ces fils qui m'étaient tendus, je les ai plus qu'attrapés. Je les ai tirés vers moi. Ah non, mais je prends là. Je prends, je tire, je tire, je tire. Et ça, c'est mon fil.

  • Speaker #1

    Tous ces gens-là, en fait, ils ont fait le travail de... de te faire grandir, de t'accompagner, de t'aider à déployer tes ailes comme des parents auraient dû le faire ?

  • Speaker #0

    Certainement. Je ne le vis pas comme ça, parce que mon père reste mon père, ma mère reste ma mère, mais je ne le vis pas, je n'ai pas cette idée un peu de transfert ou autre du tout. Mais ils ont tous joué un bout de ce rôle-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que ton frère est devenu médecin ?

  • Speaker #0

    Pas du tout. Mon frère ne devient pas médecin. Mon frère apprend, je ne sais pas trop comment, que je travaille dans le milieu du spectacle. Il fantasme en plus complètement sur ce milieu-là. Et il en est jaloux. Il me hurle un jour au téléphone en disant que lui, il est... dans une pharmacie et que moi, je travaille dans le milieu du spectacle et que moi, je devrais avoir honte. Honte de quoi ? Je ne sais pas, mais moi, je devrais avoir honte. Et ce que je veux dire pour raccorder aussi avec ta question précédente, c'est que grâce à ces fils-là que je tire absolument vers moi, prends-les, prends-les tous. Ça m'aide aussi à me dire, par rapport à mon père, par rapport à mon mère, par rapport à mon frère, et cet environnement-là, je mets le mot toxique dessus. Et en disant, puisque c'est toxique, fais autre chose. Et je mets le mot toxique, j'y arrive.

  • Speaker #1

    C'est drôle parce que tu as une maturité pour, à chaque étape de ce que tu racontes dans ton parcours, tu as encore un bébé et tu as déjà une vision de ce qui était bon pour toi, pas bon pour toi, de ce que tu devais fuir, de ce vers quoi tu devais aller.

  • Speaker #0

    C'est à la fois instinctif quand tu subis tout ça et que justement le mot subir devient le mot trop. cesser de subir. Donc il y a cet ordre-là. Et puis, je pense que oui, pour ça, mon amour des livres ne me quittera jamais. Mais je pense que ça a participé aussi à ma réflexion. Et au fait de de mieux vivre plus vite que d'autres. mais d'en être contente de m'ir plus vite que d'autres. Aussi, justement.

  • Speaker #1

    Tu fais quoi après, quand tu as ton diplôme ?

  • Speaker #0

    Je suis... Déjà, je suis fier. Oui, fier de ce que j'ai fait. que je pense pas possible et qui ce qui s'avère voilà donc la première étape c'est la vraie fierté la seconde étape c'est qu'est ce que tu ou tu vas dans quel donc l univers professionnel donc l'univers tout court même c'est de réfléchir à tout ça et d'avoir d'avoir la joie de le faire, de pouvoir le faire. Et donc, ce milieu du spectacle me plaît beaucoup parce qu'il a aussi, il représente et je pense que c'est normal qu'il représente ces terres de liberté, ces terres de liberté dans le sens créatif, dans le sens pouvoir dire des choses, comment les dire. c'est tout ça que ça représente pour moi donc j'aime ça et puis il y a un autre milieu qui me plaît bien mais qui sur lequel je peux dire exactement la même chose c'est le milieu d'édition et moi l'amoureuse des livres le milieu d'édition et en réalité le diplôme que la carte que j'ai dans ma poche et qui va être un peu plus déterminante par la suite, c'est la carte de productrice de Spectacle Vivant. Je l'ai, je l'ai ce sésame de productrice de Spectacle Vivant. Et dans ce fil de rencontre... Je rencontre le duo Patrick Fonte et Philippe Val et je deviens leur productrice. Moi qui arrive vraiment de nulle part, je deviens productrice de ce duo totalement explosé. à tout point de vue, qui racontent des choses sur scène que personne ne raconte, ou en tout cas pas grand monde. Et je découvre aussi cette forme d'expression-là, je découvre cet humour-là, je découvre qu'on peut... qu'il n'y a pas de sujet tabou, c'est le début. Au fond, on peut tout aborder, la question c'est pas d'aborder ou non un sujet, c'est comment on le fait. et avec l'humour et la transgression mais oui mais oui et donc je voilà je deviens je deviens productrice de ce duo là avec tout ce que ce que ça a pu comporter parce que oublier quand même malgré tout je suis une femme et que dans ce milieu là même même si ces milieux dans lequel on on réfléchit le plus et qui a évolué le plus et qui est ouvert dans tous les sens du terme, je reste quand même une femme qui doit faire sa place. on n'oublie pas de me le rappeler. Et surtout à cet accès-là, productrice, quand je vais à des réunions annuelles du syndicat des producteurs de spectacles, je me rends bien compte que un, je suis une femme, et deux, que je suis plus jeune que la moyenne. Et que donc, que ça m'est renvoyé quand même. Et il y en a un qui a été un appui dans ces deux questions-là. C'était le patron de l'Olympia de l'époque, Jean-Michel Boris, qui n'était pourtant un monsieur, qui était déjà d'un certain âge et qui avait une carrière professionnelle de programmateur absolument extraordinaire. Et c'est un peu ce monsieur-là... Parce que tu sais, dans les réunions, à un moment, quand une femme parle, on n'hésite pas à lui couper la parole. Alors, on se rend plus compte qu'elle est jeune, puisqu'elle n'a pas d'expérience et tout ça. Et on se fait une réunion où il a dit, on va l'écouter, on va l'écouter jusqu'au bout. Et bam ! Et donc, quand Jean-Michel Poiré se parlait, pour les autres producteurs, c'était quand même...

  • Speaker #1

    Un signal.

  • Speaker #0

    Oui. Voilà.

  • Speaker #1

    T'as qu'à elle, à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je dois être dans la vingtaine d'années, 22 ans, un truc comme ça, 20-22. Je suis dans ces eaux-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as l'impression à cette personne-là que... T'as un petit peu guéri de ton enfance ?

  • Speaker #0

    Dans ces années-là, l'enfance, je la mets de côté parce que je ne sais pas quoi faire avec ça, si ce n'est que je vais... Je suis en colère, je suis en colère. Je réalise quand même tout ce qui s'est passé. Je réalise ce que le mot « violence » sur un enfant veut dire. Enfance petite, des petites. Donc je réalise que j'ai vécu tout ça. Je réalise ce que ça veut dire. Je réalise aussi que je ne veux pas que ça soit ma carte de visite. Ça je le sais. Je veux exister par moi-même et pas là-dessus. Alors je la mets de côté cette enfance. Je la mets de côté en me disant, viendra bien le moment. ou peut-être j'en ferai quelque chose ou peut-être pas et parce qu'aussi je sens que quand je pense à mon enfance la colère me déborde que la colère me déborde parce que d'abord par la normalité des choses évidemment et aussi parce que c'est vivace c'est vivace tout ce ce que... tous ces mots, quelle que soit l'écriture du terme, c'est givasse et je sens que ça peut me déborder très vite, que cette colère à ce moment-là, elle peut me déborder très, très, très, très vite. Donc je la mets de côté, parce que je me dis que pour avancer, je ne peux pas éporter ça. et avancé. Et je suis dans une rupture totale et avec mes parents et avec mon frère. Et je dois aussi porter ça. C'est-à-dire vivre après l'enfance, l'adolescence, la jeune femme que je suis...

  • Speaker #1

    T'es totalement seule ?

  • Speaker #0

    Et seule. Elle est seule. Alors, pas totalement parce qu'il y a mon parrain, parce qu'il y a cette fameuse cousine qui s'est occupée de moi, qui avait raconté tout ça. Et c'est heureusement qu'ils sont là, bien sûr qu'heureusement qu'ils sont là. Ils sont déjà loin de mon domicile, donc ça n'est pas la même chose. Et je me dis, tu vas passer toutes les étapes de ta vie seul. Voilà. On va rencontrer des tas de gens, tu vas vivre ta vie de jeune femme, tu vas avoir des amoureux, tout ça, tout ça, mais tu n'auras pas l'épaule ni d'un père, ni d'une mère, ni non plus, ni confidence, même bagarreuse, d'un frère. Tu ne les auras pas. Il faut l'admettre. Donc, je ne peux pas tout gérer en même temps. Et à partir du moment où je sais que la rupture, elle est profonde, je ne sais pas à ce moment-là si elle est définitive ou pas, mais je sais qu'elle est profonde, je mesure cette profondeur. Bon, on va mettre ça de côté, parce que sinon ça va me déborder terriblement. Et si je laisse l'ombre d'un millimètre, Euh... Sous- de ce lien revenir je vais morfler et ça s'est passé comme ça d'ailleurs quand j'ai quand mon père est décédé et qu'il a fallu aller chez le notaire d'abord ça s'est pas passé normalement mais plus ou moins rien ne se passe normalement donc voilà ma mère a fait une recherche dans l'intérêt des familles alors qu'il suffisait d'appeler mon parrain pour savoir où j'étais mais bon ça voilà et c'est tombé à un moment où je refaisais mon passeport et en fait j'ai su que il y avait cette recherche dans l'intérêt des familles parce que au moins je vais chercher mon passeport commissariat de quartier me dit ah non non faut aller à la préfecture centrale on peut pas vous le donner je suis complètement abasourde en me disant mais qu'est ce qu'il y a et je vais à la préfecture et j'attends et là il y a une il y a une fliquette qui vient me voir et qui me dit « On va vous donner votre passeport, ne vous inquiétez pas » . Ah bah oui, ça fait 24 heures que je m'inquiète ! Mais c'est parce qu'on vous dise, il faut absolument qu'on vous dise quelque chose. Oui, votre père est décédé. Et je la regarde ahurie. Non mais je le sais. Et non seulement je le sais, mais j'étais à la cérémonie d'enterrement. C'était terrible. J'étais isolée, j'étais à l'écart, j'étais seule. Mais j'y étais. Et Flickati comprend rien. Seulement, c'est pas normal. Et voilà, ça c'est ce genre de situation. Je me dis, si je les laisse rentrer dans ma vie par n'importe quel petit bout, c'est moi qui vais morfler. Et donc, non, stop. Donc, à ce moment-là, je ne règle rien, mais je mets de côté pour pouvoir avancer.

  • Speaker #1

    Merci.

Share

Embed

You may also like

Description

"La violence des coups c'est atroce, mais la violence psychologique, c'est pire, parce que c'est ton esprit qui meurt".

Marika Bret, militante inlassable de la lutte contre l'obscurantisme, RH et partenaire historique de la bande de Charlie Hebdo, se confie pour la première fois sur les racines de ses convictions, sa jeunesse et comment elle a réussi à surmonter le règne de la violence. Déjà.

Par Sarah Gaubert et LargerThanLifeProject depuis 2019

Réalisation G Carbonneau

Toute ressemblance est une imitation ;)


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie, on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix. Continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, il continue à vivre. D'accord, mais comment ? Mes invités ont vu leur vase sauter en l'air et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient putains, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tout en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, riez. Installez-vous confortablement. Et ça va bien. Bonjour Marika.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Merci d'être là.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Je souris parce qu'à la perspective des deux ou trois heures qu'on va passer ensemble, parce que les gens vont peut-être le découvrir en écoutant, mais on va faire deux épisodes à la suite. Et en fait, pourquoi deux épisodes ? Parce que je t'ai vue pour ta déflagration. Et en discutant, on s'est aperçu que tu avais beaucoup de choses à raconter et qu'on allait faire deux histoires. Enfin, une histoire moins deux fois.

  • Speaker #0

    C'est un fil que tu as remonté. C'est un fil qui a été énoncé en toute confiance et en toute tranquillité. C'est un fil qui est finalement un parcours de vie et qui dit tant de choses.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille... Tu as quel âge ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui j'ai 61 ans.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille tu arrives ?

  • Speaker #0

    Alors j'arrive, ce sont les années 60, j'ai resitué le contexte, la période historique, l'évolution... d'aujourd'hui n'était évidemment salutaire et pas la même. Et j'arrive surtout, je suis un bébé non désiré, et férocement, atrocement non désiré. Ma maman était la secrétaire de mon père. Mon père est un homme marié. Avoir une relation extra-conjugale, c'est pas top. Ça ne se fait pas, c'est honteux. Et puis ma maman tombe enceinte, elle tombe enceinte de mon petit frère. Et là c'est déjà un premier désastre puisque enceinte, non mariée pour une femme, sur cette période c'est extrêmement difficile. Une famille, la sienne, ultra catholique, donc ça en rajoute encore un peu. Et puis mon père c'est le directeur de la société. donc Donc l'enjeu pour lui, sa réputation, il s'en a été tout saisi, un enjeu qui l'aura obnubilé, obsédé tout le temps. Et donc mon frère arrive, naît en novembre 61.

  • Speaker #1

    Et donc du coup tes parents se...

  • Speaker #0

    Alors mes parents, mon père divorce. avec sa femme de l'époque et ils divorcent extrêmement rapidement et elle l'accepte parce que sa première femme ne pouvait pas avoir d'enfant et ça pour mon père c'était il y avait quelque chose de viscéralement odieux de ne pas avoir de descendance de ne pas pouvoir avoir de descendance ils divorcent très vite ma mère et mon père se marient Merci. Elle est vraiment sainte, ça se voit. Mais la cérémonie ne peut se passer qu'en tout petit comité parce qu'il y a la honte qui est là et qui s'impose. Et donc mon frère est... Quelques mois après, très peu de mois après, ma mère retombe enceinte. C'est le drame. Elle ne veut pas d'un deuxième enfant. Elle ne veut pas d'une telle rapidité entre les deux. Et dès le départ, elle déteste ce bébé à venir, donc moi. Et mon père. entre deux chaises parce que finalement une famille avec deux enfants lui ça lui convient Mais il l'aime je suppose encore à ce moment là sa femme et donc donc il il accepte cette situation et je n'ai dans ces conditions là dans des conditions de repoussoir absolue à tel point et de refus surtout, à tel point que ni mon père ni ma mère ne me déclarent à l'état civil. Je suis pendant plusieurs jours un bébé qui n'a pas de prénom et qui n'est pas là. C'est le début d'une histoire qui sera toujours le reflet de ce refus et d'un refus qui va... pasculer malheureusement très vite dans une forme de haine terrible et de haine qui aboutit à la violence. Et la violence, elle a commencé en réalité 15 jours après ma naissance. Ma mère part au sport d'hiver avec mon petit frère. Il a un an.

  • Speaker #1

    C'est ton grand frère ?

  • Speaker #0

    C'est mon grand frère. Il a un an et il abandonne Elle abandonne son bébé à un homme qui est absolument incapable de s'occuper d'un bébé, ne serait-ce que de le langer, ne serait-ce que de le nourrir, ne serait-ce que tout ça. Et c'est la première violence de ma vie, c'est cet abandon de ma mère pendant 15 jours et une première fracture terrible pour mon père. Parce que ne sachant pas quoi faire, et quand même, avec un bébé dans les bras, en disant qu'il prenait tous les risques de ne sachant pas quoi faire, il est obligé d'appeler au secours une de ses cousines. Et ça, pour lui, ça a été la première méga honte de sa vie, d'appeler au secours une femme, déjà, et une cousine, et obligé de lui dire, de lui révéler pourquoi il l'appelait au secours. Voilà l'ambiance, si je puis dire, et le climat dans lequel le bébé que je suis commence sa vie, avec cette idée qu'il ne quittera jamais ni mon père ni ma mère, le refus, le refus absolu. Et c'est ça qu'il faut, c'est que ça n'a jamais changé.

  • Speaker #1

    Quand tu grandis dans ce foyer, comment est la vie, comment est le quotidien, comment ça s'incarne le fait qu'ils refusent que tu sois là ?

  • Speaker #0

    Ça s'incarne par... Par l'idée que finalement mes parents vont s'inscrire toute leur vie dans la vengeance, c'est-à-dire dans la vie finalement, dans une vie qu'ils auraient voulu qu'elle soit autre. Et c'est sur leur fille que cette vengeance va s'exercer. et c'est la chille et donc moi qui prends des coups des coups d'une violence Inouï, parce que on pourrait raconter les coups de Martinet jusqu'à ce que les lanières se détachent. Ça, c'est déjà très violent, mais pour moi, l'épisode peut-être qui a été le plus marquant. et qui peut-être a été un début de conscience sur une violence anormale, parce que les coups de Martinet... Je me disais que je les avais méritées. Je me dis à ce moment-là que je suis une petite fille pas sage, une petite fille pas obéissante, une petite fille qui ne correspond pas à la bonne éducation que tes parents veulent donner, etc. Mais il y a un épisode où je me dis non, ça ne peut pas correspondre, ce n'est pas possible, ça ne peut pas correspondre à ça. C'est le jour où ma mère m'a brûlé la main avec un fer à repasser. Et ça, ce n'était pas une punition normale. C'est-à-dire que les coups de martinets...

  • Speaker #1

    Ce n'était pas un accident ?

  • Speaker #0

    Ah non, non, non, ce n'était pas un accident. Et ça, voilà, quand... Prends des gifles ou le martinet ou etc. et que tu n'as aucun élément pour comprendre quoi que ce soit et que la seule chose que tu peux te dire c'est qu'il faut que tu fasses des efforts, des efforts. pour plaire à tes parents déjà, ce sont tes premiers référents adultes, mais le faire à repasser, ça sortait, je vais mettre des guillemets, mais de la norme, de la norme punition.

  • Speaker #1

    Il s'est passé quoi concrètement ?

  • Speaker #0

    Il s'est passé concrètement que, c'était assez pervers d'ailleurs, que je suis... à côté de ma mère, elle est en train de repasser. Dans sa tête, elle se dit que, il a peut-être raison d'ailleurs, elle se dit que les coups ne me font plus rien parce que j'ai appris à me protéger, j'ai appris à me mettre en boule. Je pense que c'est une espèce de réflexe de tout à chacun, bien sûr. Il me dit de poser ma main sur la table à repasser et je le fais parce que je n'imagine pas une seule seconde ce qui va se passer derrière. Et je le fais en me disant je vais obéir à ma mère. Je suis obnubilée par l'idée qu'il faut que j'obéisse pour que la situation change. Et je prends ce coup, je fais repasser sur ma main. Voilà. Ça, c'était un déclic, un vrai déclic de me dire... Tout le reste était normal pour moi. Tout le reste faisait partie de l'éducation. Mais le faire repasser, non. Incapable de dire pourquoi, mais non. Ça ne pouvait pas être... Dans ma tête, en tout cas, ça ne pouvait pas être une punition.

  • Speaker #1

    Tu vas à l'hôpital ?

  • Speaker #0

    Non. Non. Ma mère ne m'emmène pas à l'hôpital. Le soir, mon père rentre, j'ai la main brûlée. Ma mère lui explique. Et mon père acquiesce. Mon père s'inscrit... Toujours dans la séduction avec une femme avec qui rien ne fonctionne. Et donc il acquiesce, il acquiesce à cette violence et j'en fais les frais.

  • Speaker #1

    Souvent, quand on entend des histoires de violence de parents sur leurs enfants, on est étonné parce que les enfants les défendent et les enfants continuent à les aimer. T'aimes tes parents, toi ?

  • Speaker #0

    J'ai longtemps aimé mes parents. tout en me posant cette question, est-ce que je les aime ou est-ce que je cherche à leur plaire ? Ce n'est pas la même question en réalité. Alors, il y a eu des étapes dans la vie et les étapes correspondent à ce que l'on comprend, à ce qu'on appréhende, comment on appréhende les choses. Et je vis dans une famille en vase clos. Cette famille n'invite pas grand monde à la maison. Mon père est fier parce que la seule personne qu'il reçoive Chaque dimanche, qui vient flatter l'égo de petits notables, c'est le curé. Ça c'était une espèce de marque, voilà, une marque d'honneur, et prise comme telle, mais ma propre famille, mon parrain, ma marraine... Il me faudra attendre plusieurs années avant de les rencontrer. Donc c'est un vase clos et dans ce vase clos, je le dis parce que j'ai peu de repères dans ce vase clos. Et c'est pour ça que je pense que dans ce vase clos, sans en avoir conscience, pour tenter de respirer, j'essaye de plaire. Et j'accepte cette violence d'une certaine façon. je l'accepte longtemps cette violence j'envis mes copines parce que je vois bien qu'elles ne vivent pas la même vie que moi mais j'interprète ça en disant que moi je vis une vie normale et qu'elles ont une vie géniale et

  • Speaker #1

    dans ce huis clos est-ce que ton frère c'est un secours un allié ?

  • Speaker #0

    Mon frère ne pourra et n'a jamais pu, ne sera jamais un allié, de par l'éducation qu'il reçoit. C'est le premier enfant, c'est un garçon, c'est une fierté. Alors à mon frère, on lui cède tout, on lui offre tout, on le protège, on lui promet... Mon zémerveille, la plus grande carrière professionnelle, en l'occurrence médecin, il était déjà déterminé qu'il serait médecin. Les meilleures écoles, les loisirs, tout un tas de loisirs auxquels moi je n'ai pas accès, du sport, des spectacles et choses comme ça. Et donc, lui, il est sur un piédestal, il est bien sur son piédestal, il est heureux sur ce piédestal et sa façon de remercier mes parents, c'est de me haïr. C'est de considérer que sa sœur est le vilain petit canard de la famille, sème la zizanie, que c'est sa sœur qui introduit la violence c'est pas c'est pas les parents c'est sa soeur qui introduit ce climat qui est à l'origine je sais la façon de protéger ses oui ses privilèges oui et ce qui est ce qui est fou c'est qu'il n'a jamais changé d'avis jamais et puis l'adolescence arrive l'adolescence arrive Je vais à l'école. Heureusement, l'école, c'est mon havre de paix. J'aime l'école. Mais j'aime l'école aussi parce que à l'école, je ne m'étouffe pas. À l'école, j'apprends des choses. Je suis contente d'apprendre des choses. Et aussi grâce à l'école, j'apprends à lire et cet apprentissage de la lecture c'est ce qui me sauve de tout parce que face à tout ce climat oppressant, étouffant mon refuge c'est le livre, mon refuge c'est la littérature, toutes les littératures c'est pour ça que je dis que ça m'a sauvée littéralement mais ce qui va avec la littérature ce qui va avec l'école c'est c'est la foultitude de questions et la remise en cause de ce qui au fond n'est pas normal et la prise de conscience de ce qui n'est pas normal et ça passe par plein de petites petites étapes je me souviens de deux à l'époque il y avait la visite médicale scolaire qui un jour ça se passe pas bien parce que la médecin me dit il faut vous avez un problème de vue il faut s'en occuper maintenant il faut des lunettes maintenant je mets fondre en larmes la médecin ne comprend pas pourquoi pourquoi je mets fondre en larmes parce Parce qu'au fond des lunettes, ça va, c'est pas... Pas l'horreur ! Et je lui explique que ce n'est pas du tout les lunettes qui me font peur, que je me fiche perdument de porter ou non des lunettes, mais que je sais qu'en rentrant à la maison avec ce mot de la médecin qui dit que j'ai besoin de lunettes, je vais avoir droit à une scène de violence parce que je suis encore celle qui va faire dépenser de l'argent, je suis encore celle qui... occasionne des soucis à ses parents, etc. Et la médecin est sidérée de m'entendre dire ça. Je pense qu'elle n'avait jamais entendu ça de sa vie, tout simplement. Elle me rassure, du moins elle tente de le faire. En fait, ce que j'avais prévu s'est passé comme ça s'est passé, et j'ai eu hurlement, etc. Mais tout ça, cet épisode parmi tant d'autres, je peux dire que ça fait partie des déclics qui m'ont aidé à me dire... Ça n'est pas normal, ce n'est pas comme ça qu'on élève une enfant, ça n'est pas comme ça qu'on protège, ça n'est pas comme ça qu'on prend soin.

  • Speaker #1

    Et c'est ce qui t'a conduit à 14 ans à t'enfuir frénétiquement ?

  • Speaker #0

    Exactement, il y a plein d'épisodes où je suis déchirée. entre l'idée de la séparation avec ce qu'on appelle mon papa, ma maman et mon frère, mais surtout mon papa, ma maman, et le moment arrive. où je me dis « sauve-toi, sauve-toi vraiment au sens propre, parce que sinon, si tu ne te sauves pas, tu meurs » . C'est ça qui fait que je me dis « il ne reste qu'une chose, la fugue » , comme un appel désespéré, mais la fugue, que je réitère plein de fois, pour ne pas mourir. J'ai cette conscience adolescente que j'en suis arrivée là, que cette idée, c'est pas la mort physique, mais c'est la mort de l'esprit, c'est la mort célébrale. C'est aussi l'idée que je vais m'éteindre et qu'en réalité, je ne suis pas la seule à le dire. La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique. Et puis un juge,

  • Speaker #1

    première personne en plus des profs sur ton chemin, va te donner un ticket de sortie.

  • Speaker #0

    Un inspecteur de police.

  • Speaker #1

    Un inspecteur de police,

  • Speaker #0

    pardon. Un inspecteur de police qui... parce que je fugue, mes parents signalent la fugue, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, je dors dans des immeubles, dans des escaliers, dans des ascenseurs, parfois... parents, de copines, mes berges, mais avec toutes les précautions parce que nous ne voulons pas être accusés de quoi que ce soit, évidemment. Et l'inspecteur, plusieurs fois, m'entend, m'écoute, me comprend parce qu'il auditionne aussi mes parents et se rend bien compte. que ce que je dis ne relève pas du fantasme, ne relève pas de mon imaginaire. Voilà, d'un imaginaire se rend compte aussi de la manière dont mes parents viennent me chercher. Ils ne viennent pas récupérer une jeune adolescente avec toute l'inquiétude que peuvent avoir des parents dans cette situation. Ils arrivent en hurlant, ils me hurlent dessus. Donc tous ces détails font qu'ils se rendent compte des choses. Et à plusieurs reprises, il me dit qu'il faut que je patiente, que c'est un peu long, un peu difficile, mais qu'il faut que je patiente. Il se rend compte que ma patience n'est à bout, et que je ne peux pas patienter, je ne peux plus patienter. Et c'est lui qui, à ce moment-là, s'adresse à un jeu. en vue d'un placement envoyé pour dire il n'y a plus d'autre issue que celle-là c'est peut-être pas la meilleure c'est pas ce que je pourrais espérer pour cette très jeune fille mais il n'y a pas d'autre choix que celui-là

  • Speaker #1

    Donc tu es placée en foyer, tu fais un premier et tu fais la révolution pour en partir. Parce qu'il est loin de chez toi, il est terrible. Et tu arrives à en partir, c'est le premier.

  • Speaker #0

    Oui, je suis dans ce foyer et ce foyer est un peu prison déjà, donc ça ne peut pas fonctionner. Je ne peux pas sortir de l'un pour entrer dans l'autre. J'ai en plus... C'est un foyer qui est loin de mon école. Et la seule chose que je demande au juge, c'est de garder mon école. C'est un peu une espèce de pilier auquel je me raccroche. Il ne faut pas me changer d'école. Ça, j'en suis persuadée. Il ne faut pas me changer d'école, Monsieur le juge, il ne faut pas me changer d'école. Je m'en fiche, je me lèverai à 5h du matin s'il faut, mais il ne faut pas me changer d'école. Le juge, j'accepte. je me dis quelle force de persuasion parce qu'une gamine c'est du pape changé d'école un juge avec l'affront et en réalité ça ne va pas bien dans ce foyer parce qu'il est foyer-prison parce que quand Ce sont des foyers un peu transitoires où on ne s'occupe pas vraiment de ce qui se passe pour les jeunes filles et les jeunes garçons. Et j'obtiens non seulement de ne pas changer d'école, ça c'est hors de question, et j'obtiens aussi ce qui n'était pas la normalité. D'aller dans un foyer dans la ville de mes parents, pas du tout parce qu'il y a mes parents, là pour le coup, mais parce qu'il y a mon école. Il y a mon havre de paix, de joie, parce que quand on vit tant d'années avec aussi peu de moments de joie et que l'école représente ces moments de joie, Voilà, c'est pour ça que je parle de pilier. Et j'obtiens ça, j'obtiens d'arriver dans ce foyer de ma ville de résidence.

  • Speaker #1

    Et t'es encore loin d'être majeure, parce qu'à l'époque, c'est 21 ans,

  • Speaker #0

    la majorité. C'est là où le propos de... De l'inspecteur de police, je le comprenais, et en même temps c'était un horizon beaucoup trop lointain. Beaucoup trop lointain. C'est la majorité 21 ans. Je savais que je n'obtiendrais rien. Pas d'émancipation anticipée, ou je ne sais quoi. Vraiment, c'était de l'ordre de l'impossible. Donc oui, 21 ans, on ne se rend plus compte, mais c'est comme accès à l'autonomie et à ses propres choix, à son indépendance, etc. C'est loin comme horizon, c'est vraiment loin.

  • Speaker #1

    Dans ce foyer, ils prennent un peu plus ou moins de toi. et il y a même des choses prévues l'été.

  • Speaker #0

    Tous les étés, sur les deux mois d'été, c'était réparti en deux temps. Un temps de vacances communes avec tous les résidents du foyer dans un lieu loué par le foyer. Et un temps... un autre temps où on pouvait choisir une colonie de vacances. Alors on pouvait choisir en fonction de la destination, en fonction de ce qui était proposé, activités, loisirs, sports, etc. Et qui était là pour le coup un choix individuel, où chacun allait là où il voulait. Et moi je choisis le lieu. Avant tout, je choisis la Corse, je choisis l'île. Et je vais en Corse, je découvre la Corse. Déjà, c'est loin, la Corse, par rapport à là où je suis. Donc, cette idée de mettre des kilomètres, ça me va bien. Et puis, j'arrive dans cette colonie. Et là, les moniteurs, les encadrants proposent quelque chose que je n'imaginais même pas que ça pouvait exister, c'est-à-dire une forme de trois semaines ensemble en autogestion. Déjà, le mot autogestion, je ne connais pas. Et je découvre ce qu'est l'autogestion. je découvre qu'on peut décider ensemble, assumer. ensemble, discuter, débattre de choix des uns et des autres. Et alors là, pour moi, c'est le monde merveilleux qui s'ouvre devant moi en me disant, mais on peut vivre cette vie-là. C'est tellement à des milliards de kilomètres de ce que j'ai vécu jusque-là, que je m'implique dans cette autogestion, mais... Je pense mille fois plus que d'autres. J'adore, vraiment. Et ça me plaît d'autant plus qu'il y a cette idée d'autonomie et d'émancipation, mais il y a cette idée où même les tâches à répartir... avec un tableau qui fait quoi, etc. Ça n'est plus une corvée. Du tout. Et c'est tout ça qui me plaît. Donc je vais, je fais trois semaines, mais magiques. Peut-être les trois premières semaines les plus magiques de ma vie.

  • Speaker #1

    Et le retour n'est pas trop dur ?

  • Speaker #0

    Ah bah si ! Ah bah si ! Ah oui, parce qu'entre l'autogestion dans une colonie de vacances et un foyer de l'aide sociale à l'enfance, il y a un gouffre, mais un gouffre abyssal. Et j'arrive avec toutes ces idées en tête, et moi j'ai envie de continuer à les appliquer, ces idées. Et j'ai envie de convaincre, surtout, pour dire, voilà, on peut arriver à faire... plein de choses ensemble, en les décidant ensemble, en les assumant ensemble.

  • Speaker #1

    Et alors,

  • Speaker #0

    ça marche ? Pas du tout. Ils ne sont pas du tout d'accord avec ça. Malheur, pas du tout, du tout. Et moi, c'est trop tard. Je suis ancrée là-dedans. Ça m'a trop plu pour que je revienne en arrière. Je suis trop contente. Donc, au bout d'un moment, je fugue de ce foyer. en me disant puisque vous ne voulez pas et que moi je veux, c'est moi qui vais décider. Et je fûle du foyer, je rejoins les moniteurs de la colonie de vacances. Et vous dites quoi ? Je leur explique en fait que je les rejoins parce que la porte de vie qui m'a ouverte, elle me donne un tel horizon. que je veux continuer à aller vers cet horizon-là.

  • Speaker #1

    Et alors ?

  • Speaker #0

    Et ils sont ravis. Ils sont ravis de ce que je leur dis, ils sont ravis de voir qu'en trois semaines de temps, ils ont semé des petites graines de choses, et que ça a fait son petit bout de chemin de réflexion. C'est ça qui leur importe à eux, en réalité. Ils sont ravis, mais ils savent aussi qui prennent un risque considérable parce que l'accusation, plainte de détournement de mineur, ça rigole pas. Et ça rigole pas que...

  • Speaker #1

    Détournement de mineur, c'est si tu fais des trucs avec le mineur.

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    C'est si t'héberges...

  • Speaker #1

    Ah, je l'ignorais.

  • Speaker #0

    Si t'héberges un mineur et que le mineur est en flux, c'est... Alors, je sais pas aujourd'hui, mais c'était strictement interdit. C'est strictement interdit. Ils savent ça, mais ils ne... peuvent pas se dire qu'ils vont me faucher l'arbre sous le pied.

  • Speaker #1

    Et donc ils te conseillent quoi ?

  • Speaker #0

    Et ils me disent... Et donc on a des très longues discussions avec eux où ils me disent, est-ce que tu veux raconter tout ça ? Est-ce que tu veux que ça se sache ? Est-ce que tu veux... Au fond, à quoi ça t'amène tout ce qu'on a ces trois semaines et puis le fait que tu sois chez nous aujourd'hui, etc. Et moi je dis oui, je veux raconter tout ça. Et je veux raconter tout ça, en fait, pas pour moi, mais parce que moi j'ai eu la chance de bénéficier de ça. J'ai eu la chance de commencer à comprendre des choses et j'ai envie de le partager. J'ai tout simplement envie de le partager. Et ils me disent ok. Et première action, un gala dans un chapiteau à Pantin. C'est fou. Pour moi, c'est fou. Je me retrouve sur une scène, je me retrouve face à des gens et je raconte tout ça. Et j'ai mon père qui vient. Mon père est fou de rage. fou de rage. Et il est fou de rage parce que ça correspond à ce qu'il a toujours maraîné de la façon la plus aigrée qu'il soit. Ma fille raconte notre vie. Ma fille dit des choses qu'elle n'a pas le droit de dire. Et moi je réponds si j'ai le droit et si je veux le faire. Et tant pis. Et donc, il y a ce gars-là, et il y a ce gars-là... Ce qui est faux pour moi, c'est qu'il y a des gens dans la salle pour écouter tout ça. Et à partir de là, je me dis... D'abord, je me dis que j'ai bien fait. Et je me dis, moi, l'amoureuse des livres, déjà, je me dis, il faut que je continue à réfléchir. Il faut que je continue à comprendre ce que tout ça signifie et surtout, qu'est-ce que je peux en faire ? Et je me dis aussi, c'est pas je, c'est nous. Et ça aussi, c'est les trois semaines de la petite graine. C'est pas je, c'est nous. Et ensuite, on... On prête ce gala quoi faire ? Parce que c'est bien, il y a eu un gala. Et bien quoi faire ? Et si on allait occuper la fac de Vincennes ? Tiens ! Eh oui ! Et que je découvre ! Il faut quand même réaliser que j'ai 16 ans à ce moment-là. Donc, ce monde-là... déjà je fais des bascules de monde totalement sidérant et ce monde là, ce monde en particulier de la fac de Vincennes qui est très particulier, qui est hyper particulier c'est toute la génération Guattari, Félix Guattari, Gilles Deleuze etc je découvre ce monde là des philosophes, des penseurs de la gauche oui et alors moi je... Je l'arrive dans cet endroit, d'autres mineurs nous rejoignent. On y est aussi parce qu'on sait que la police ne peut pas rentrer dans les facultés. Donc ça quand même, elle arrive tout de suite, mais elle arrive autour. Donc on ne peut pas en sortir, mais bon. Et moi, à 16 ans, je suis l'adolescente qui débarque dans les amphis. où Gilles Deleuze ou bien Guattari est en train de donner un cours, et moi j'arrive, j'interromps le cours, et j'interromps le cours en disant je vais vous expliquer pourquoi nous occupons la fac. Alisa prend son mignon, mais gonflé. Et ça passe.

  • Speaker #1

    Parce que c'est eux.

  • Speaker #0

    Parce que c'est eux. Et que ça correspond à toutes ces terres de réflexion-là. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    C'est une série de... C'est une période où tu es heureuse ?

  • Speaker #0

    C'est une période où je me découvre. C'est une période où enfin je commence à être moi-même.

  • Speaker #1

    Et comment tu vis, comment tu manges, où tu dors ? Là tu dors sur place.

  • Speaker #0

    Alors à la fac on dort sur place, on fait passer des cagnottes. pour nous aider, notamment effectivement sur le quotidien, parce qu'on peut bien manger, et ça fonctionne. Oui, c'est la solidarité. Oui, et donc ces 15 jours à la fac de Vincennes, de mémoire 15 jours, sont 15 jours hors du temps, parce que là, on ne peut pas sortir. La police est dehors, et je sais ce qui m'attend, mais nous on le sait tous. Mais c'est hors du temps, parce que je rencontre des gens qui m'écoutent, qui échangent, qui comprennent, qui m'amènent à la réflexion, et qui sont des gens qui me raccrochent à ma passion première, le livre. C'est ça qui est... Et là, j'existe. Ça y est, j'existe.

  • Speaker #1

    T'existes d'autant plus que la presse te tend le micro et que t'es en première ligne.

  • Speaker #0

    Et je le... Et j'assume. J'aime même d'être en première ligne. Je...

  • Speaker #1

    T'aimes ça ?

  • Speaker #0

    Alors... En réalité, ce que j'ai préféré, c'est vraiment les interventions dans les enfils, les discussions acharnées, les échanges, etc. Mais les micros qui se tendent, ce que j'aime, c'est que je surprends les gens, je surprends les journalistes. C'est-à-dire de se dire, mais qui sont-ils ces mineurs qui débarquent ? la fac de Vincennes, qui est cette jeune fille, qui, avec aplomb, pose beaucoup de questions, et des questions justement sur l'émancipation, et des questions sur cette fameuse majorité à 21 ans, qui est beaucoup trop tardive. Et je ne le lis même pas à la violence que j'ai vécue. Ça en fait partie, bien sûr. Mais je le lis, il faut qu'on arrive à vivre et à faire des choix avant 21 ans. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Et au bout de ces quinze jours, comment ?

  • Speaker #0

    Alors au bout de ces quinze jours, c'est difficile, puisque quand on quitte la fac de Vincennes, les majors sont interpellés, moi je suis interpellée, et c'est... Bon ben là c'est le monde judiciaire. Le monde judiciaire sous Alain Perchit il est extrêmement dur et je ne sais pas comment je vais faire surtout. Comment je vais arriver à me dépêtrer de tout ça ? Je vois bien en même temps que d'un point de vue judiciaire, on ne sait pas quoi faire de moi.

  • Speaker #1

    Et même une fois, ils ne savent tellement pas.

  • Speaker #0

    Oui. Ça te fait rire ? Oui. Il y a des fois, ils ne savent tellement pas qu'ils m'emmènent à l'hôpital psychiatrique. Ils en ont marre, en fait. Ils sont...

  • Speaker #1

    Et tu as une copine qui fait un truc très malin, tu peux le raconter ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est que quand j'arrive à l'hôpital psychiatrique, parce qu'une nouvelle fois interpellée, et je suis avec une copine, je suis en vacances, et voilà. Ma copine, par contre, elle est majeure, et elle flippe vraiment parce que... Elle s'est dit, oula, l'hôpital psychiatrique, c'est pas la même. Et là, elle s'inquiète vraiment en disant, qu'est-ce qu'ils vont lui faire ? On ne peut pas laisser ça. Alors elle fait un truc, elle alerte la presse, elle fait tout ce qu'il faut. Puis surtout, elle fait un truc très malin, c'est qu'elle appelle la CGT des infirmiers. Elle alerte. Et ça m'a protégée. Et ça m'a protégée. Donc, c'est en même temps ça, c'est que personne ne sait quoi faire de moi. Moi, je sais ce que je veux et je sais quoi faire de moi. Mais eux, ils ne savent pas. les autorités, les pouvoirs, ils ne savent pas et je je vais plus ou moins dans des squats parce que pas le choix et je continue, c'est-à-dire que je ne baisse pas les bras face à tout ça et tu fais une rencontre extraordinaire, mais extraordinaire une femme qui suit médiatiquement tout ça depuis quasiment le début et qui demande à me voir qui veut échanger avec moi c'est ça le début et avec qui j'ai un échange passionnant et qui m'explique que Il fait me rendre compte que mon combat, il relève aussi du combat féministe et que l'émancipation que je réclame à corps et à cri et ce besoin de pouvoir faire des choix, il est d'autant plus compliqué quand on est une jeune fille, plus compliqué que quand on est un garçon et que ce combat-là, il passe... par une étape absolument indispensable, c'est l'émancipation économique. Et que pour l'émancipation économique, il n'y a pas de mystère, il faut travailler, il faut un boulot. Et qu'on est d'autant plus solide qu'on accède à l'émancipation économique et qu'elle me propose un boulot. Et cette femme, elle s'appelle Anne Sylvestre, une chanteuse. qui sont pour les adultes et pour les enfants. Et elle a ce réflexe que je n'ai pas réalisé tout de suite, mais après de dire « Moi, j'ai des convictions, des convictions de femme de gauche, des convictions de féministe, des convictions de ce... » combat qu'elle-même a mené et continue à mener à travers les paroles de ses chansons et sur scène donc et je vais l'amener concrètement là solidement concrètement en lui donnant un job je vais lui donner un job c'est

  • Speaker #1

    extraordinaire oui c'est extraordinaire parce que ton parcours va être jalonné on va pas tout dévoiler mais de gens qui ont des valeurs et qui les qui les exposent et qui en parlent et qui dissertent dessus mais qui en parallèle les incarnent sainement et qui mettent en œuvre ce qu'ils prônent, pas juste pour la galerie.

  • Speaker #0

    Et d'autant plus quand elle fait ça, elle est consciente c'est ça qui est fou elle est consciente que je n'ai jamais travaillé de ma vie que je suis très jeune que je j'ai 17 ans et quelques à ce moment là donc c'est à dire des ennuis aussi d'aider et ben voilà et mais mais elle s'en fiche elle s'en fiche royalement elle a elle a soit là cette idée de Cette idée de « je peux faire quelque chose, je vais le faire » , y compris le jour où elle reçoit une convocation de police, convocation qui fait suite à une plainte de mon père, qui est « mon père se plaint parce qu'elle n'a pas demandé l'autorisation à mes parents d'embauche, non seulement elle n'a pas demandé d'autorisation, et en plus... Mon père réclame une partie de mon salaire. Et elle, évidemment qu'il n'en est pas question. Et elle va au commissariat. Elle y va. Elle est solide. Et elle revient en disant, c'est réglé. Et en fait, la plainte est partie à la poubelle. Mais voilà. Et elle, oui, solide. Et en même temps, elle n'en a jamais tiré. Le moindre avantage, je ne sais même pas si elle l'a raconté un jour. Vraiment pas. Ce n'était pas sa façon de voir les choses. Du tout.

  • Speaker #1

    Ensuite, toujours par son intermédiaire, tu travailles dans un théâtre.

  • Speaker #0

    Au Palais des Glaces. parce que son agent tourneur prend la programmation du Palais des Glaces. Et donc je vais moi aussi au Palais des Glaces, et là je gravis des gestions, j'apprends plein de choses. D'abord je suis ouvreuse, et puis après je grimpe, je fais du secrétariat, et puis après je travaille sur les collectivités et voilà je fais tout un... Je grimpe socialement, je peux dire ça comme ça et je me sens bien dans ce milieu du spectacle, du spectacle vivant. Je suis content d'être là, vraiment.

  • Speaker #1

    Et puis, tu arrives dans une nouvelle équipe, dans le cinéma ?

  • Speaker #0

    J'arrive au cinéma escurial. Une équipe qui a ensuite travaillé et repris le cinéma Max Linder. J'aime le cinéma, donc ça déjà, je me dis, j'ai de la chance, je suis contente. Et surtout, j'arrive, ils sont quatre. Eux aussi, ils ont une forte idée de l'autogestion. Eux aussi, ils sont dans cette mouvance de réflexion. Et ils me disent quelque chose qui m'accroche l'oreille. parce que jusque-là, je me débrouille. Et je me débrouille parce que j'ai travaillé pour Anne-Sylvès, parce que j'ai travaillé au Palais des Glaces. Mais ce qui m'accroche l'oreille, c'est au fait, tu veux faire quoi comme métier ? C'est quoi ton avenir professionnel ? Tu te situes comment ? Des questions que personne ne m'avait jamais posées. Autant Anne-Sylvès m'a aidée dans l'idée de l'émancipation économique, mais l'idée du choix professionnel, ça ne s'était pas posé. Et c'est avec cette équipe du cinéma escurial que je m'inscris à la fac. Et en disant, mais après tout, oui, il y a ce choix-là, je ne peux pas attendre trop longtemps. Et allons-y, puisque c'est possible. Et je m'inscris à la fac et je fais et du droit et de la comptabilité au hasard. L'émancipation des deux côtés. Et je suis ravie de faire ça, je suis vraiment ravie. Donc c'est ce jalonnement comme ça dans mon parcours où ce que j'ai envie de dire c'est que à la fois j'ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. et dans des moments difficiles, mais par contre...

  • Speaker #1

    Je pense qu'on attire les gens.

  • Speaker #0

    Peut-être. Ces fils qui m'étaient tendus, je les ai plus qu'attrapés. Je les ai tirés vers moi. Ah non, mais je prends là. Je prends, je tire, je tire, je tire. Et ça, c'est mon fil.

  • Speaker #1

    Tous ces gens-là, en fait, ils ont fait le travail de... de te faire grandir, de t'accompagner, de t'aider à déployer tes ailes comme des parents auraient dû le faire ?

  • Speaker #0

    Certainement. Je ne le vis pas comme ça, parce que mon père reste mon père, ma mère reste ma mère, mais je ne le vis pas, je n'ai pas cette idée un peu de transfert ou autre du tout. Mais ils ont tous joué un bout de ce rôle-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que ton frère est devenu médecin ?

  • Speaker #0

    Pas du tout. Mon frère ne devient pas médecin. Mon frère apprend, je ne sais pas trop comment, que je travaille dans le milieu du spectacle. Il fantasme en plus complètement sur ce milieu-là. Et il en est jaloux. Il me hurle un jour au téléphone en disant que lui, il est... dans une pharmacie et que moi, je travaille dans le milieu du spectacle et que moi, je devrais avoir honte. Honte de quoi ? Je ne sais pas, mais moi, je devrais avoir honte. Et ce que je veux dire pour raccorder aussi avec ta question précédente, c'est que grâce à ces fils-là que je tire absolument vers moi, prends-les, prends-les tous. Ça m'aide aussi à me dire, par rapport à mon père, par rapport à mon mère, par rapport à mon frère, et cet environnement-là, je mets le mot toxique dessus. Et en disant, puisque c'est toxique, fais autre chose. Et je mets le mot toxique, j'y arrive.

  • Speaker #1

    C'est drôle parce que tu as une maturité pour, à chaque étape de ce que tu racontes dans ton parcours, tu as encore un bébé et tu as déjà une vision de ce qui était bon pour toi, pas bon pour toi, de ce que tu devais fuir, de ce vers quoi tu devais aller.

  • Speaker #0

    C'est à la fois instinctif quand tu subis tout ça et que justement le mot subir devient le mot trop. cesser de subir. Donc il y a cet ordre-là. Et puis, je pense que oui, pour ça, mon amour des livres ne me quittera jamais. Mais je pense que ça a participé aussi à ma réflexion. Et au fait de de mieux vivre plus vite que d'autres. mais d'en être contente de m'ir plus vite que d'autres. Aussi, justement.

  • Speaker #1

    Tu fais quoi après, quand tu as ton diplôme ?

  • Speaker #0

    Je suis... Déjà, je suis fier. Oui, fier de ce que j'ai fait. que je pense pas possible et qui ce qui s'avère voilà donc la première étape c'est la vraie fierté la seconde étape c'est qu'est ce que tu ou tu vas dans quel donc l univers professionnel donc l'univers tout court même c'est de réfléchir à tout ça et d'avoir d'avoir la joie de le faire, de pouvoir le faire. Et donc, ce milieu du spectacle me plaît beaucoup parce qu'il a aussi, il représente et je pense que c'est normal qu'il représente ces terres de liberté, ces terres de liberté dans le sens créatif, dans le sens pouvoir dire des choses, comment les dire. c'est tout ça que ça représente pour moi donc j'aime ça et puis il y a un autre milieu qui me plaît bien mais qui sur lequel je peux dire exactement la même chose c'est le milieu d'édition et moi l'amoureuse des livres le milieu d'édition et en réalité le diplôme que la carte que j'ai dans ma poche et qui va être un peu plus déterminante par la suite, c'est la carte de productrice de Spectacle Vivant. Je l'ai, je l'ai ce sésame de productrice de Spectacle Vivant. Et dans ce fil de rencontre... Je rencontre le duo Patrick Fonte et Philippe Val et je deviens leur productrice. Moi qui arrive vraiment de nulle part, je deviens productrice de ce duo totalement explosé. à tout point de vue, qui racontent des choses sur scène que personne ne raconte, ou en tout cas pas grand monde. Et je découvre aussi cette forme d'expression-là, je découvre cet humour-là, je découvre qu'on peut... qu'il n'y a pas de sujet tabou, c'est le début. Au fond, on peut tout aborder, la question c'est pas d'aborder ou non un sujet, c'est comment on le fait. et avec l'humour et la transgression mais oui mais oui et donc je voilà je deviens je deviens productrice de ce duo là avec tout ce que ce que ça a pu comporter parce que oublier quand même malgré tout je suis une femme et que dans ce milieu là même même si ces milieux dans lequel on on réfléchit le plus et qui a évolué le plus et qui est ouvert dans tous les sens du terme, je reste quand même une femme qui doit faire sa place. on n'oublie pas de me le rappeler. Et surtout à cet accès-là, productrice, quand je vais à des réunions annuelles du syndicat des producteurs de spectacles, je me rends bien compte que un, je suis une femme, et deux, que je suis plus jeune que la moyenne. Et que donc, que ça m'est renvoyé quand même. Et il y en a un qui a été un appui dans ces deux questions-là. C'était le patron de l'Olympia de l'époque, Jean-Michel Boris, qui n'était pourtant un monsieur, qui était déjà d'un certain âge et qui avait une carrière professionnelle de programmateur absolument extraordinaire. Et c'est un peu ce monsieur-là... Parce que tu sais, dans les réunions, à un moment, quand une femme parle, on n'hésite pas à lui couper la parole. Alors, on se rend plus compte qu'elle est jeune, puisqu'elle n'a pas d'expérience et tout ça. Et on se fait une réunion où il a dit, on va l'écouter, on va l'écouter jusqu'au bout. Et bam ! Et donc, quand Jean-Michel Poiré se parlait, pour les autres producteurs, c'était quand même...

  • Speaker #1

    Un signal.

  • Speaker #0

    Oui. Voilà.

  • Speaker #1

    T'as qu'à elle, à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je dois être dans la vingtaine d'années, 22 ans, un truc comme ça, 20-22. Je suis dans ces eaux-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as l'impression à cette personne-là que... T'as un petit peu guéri de ton enfance ?

  • Speaker #0

    Dans ces années-là, l'enfance, je la mets de côté parce que je ne sais pas quoi faire avec ça, si ce n'est que je vais... Je suis en colère, je suis en colère. Je réalise quand même tout ce qui s'est passé. Je réalise ce que le mot « violence » sur un enfant veut dire. Enfance petite, des petites. Donc je réalise que j'ai vécu tout ça. Je réalise ce que ça veut dire. Je réalise aussi que je ne veux pas que ça soit ma carte de visite. Ça je le sais. Je veux exister par moi-même et pas là-dessus. Alors je la mets de côté cette enfance. Je la mets de côté en me disant, viendra bien le moment. ou peut-être j'en ferai quelque chose ou peut-être pas et parce qu'aussi je sens que quand je pense à mon enfance la colère me déborde que la colère me déborde parce que d'abord par la normalité des choses évidemment et aussi parce que c'est vivace c'est vivace tout ce ce que... tous ces mots, quelle que soit l'écriture du terme, c'est givasse et je sens que ça peut me déborder très vite, que cette colère à ce moment-là, elle peut me déborder très, très, très, très vite. Donc je la mets de côté, parce que je me dis que pour avancer, je ne peux pas éporter ça. et avancé. Et je suis dans une rupture totale et avec mes parents et avec mon frère. Et je dois aussi porter ça. C'est-à-dire vivre après l'enfance, l'adolescence, la jeune femme que je suis...

  • Speaker #1

    T'es totalement seule ?

  • Speaker #0

    Et seule. Elle est seule. Alors, pas totalement parce qu'il y a mon parrain, parce qu'il y a cette fameuse cousine qui s'est occupée de moi, qui avait raconté tout ça. Et c'est heureusement qu'ils sont là, bien sûr qu'heureusement qu'ils sont là. Ils sont déjà loin de mon domicile, donc ça n'est pas la même chose. Et je me dis, tu vas passer toutes les étapes de ta vie seul. Voilà. On va rencontrer des tas de gens, tu vas vivre ta vie de jeune femme, tu vas avoir des amoureux, tout ça, tout ça, mais tu n'auras pas l'épaule ni d'un père, ni d'une mère, ni non plus, ni confidence, même bagarreuse, d'un frère. Tu ne les auras pas. Il faut l'admettre. Donc, je ne peux pas tout gérer en même temps. Et à partir du moment où je sais que la rupture, elle est profonde, je ne sais pas à ce moment-là si elle est définitive ou pas, mais je sais qu'elle est profonde, je mesure cette profondeur. Bon, on va mettre ça de côté, parce que sinon ça va me déborder terriblement. Et si je laisse l'ombre d'un millimètre, Euh... Sous- de ce lien revenir je vais morfler et ça s'est passé comme ça d'ailleurs quand j'ai quand mon père est décédé et qu'il a fallu aller chez le notaire d'abord ça s'est pas passé normalement mais plus ou moins rien ne se passe normalement donc voilà ma mère a fait une recherche dans l'intérêt des familles alors qu'il suffisait d'appeler mon parrain pour savoir où j'étais mais bon ça voilà et c'est tombé à un moment où je refaisais mon passeport et en fait j'ai su que il y avait cette recherche dans l'intérêt des familles parce que au moins je vais chercher mon passeport commissariat de quartier me dit ah non non faut aller à la préfecture centrale on peut pas vous le donner je suis complètement abasourde en me disant mais qu'est ce qu'il y a et je vais à la préfecture et j'attends et là il y a une il y a une fliquette qui vient me voir et qui me dit « On va vous donner votre passeport, ne vous inquiétez pas » . Ah bah oui, ça fait 24 heures que je m'inquiète ! Mais c'est parce qu'on vous dise, il faut absolument qu'on vous dise quelque chose. Oui, votre père est décédé. Et je la regarde ahurie. Non mais je le sais. Et non seulement je le sais, mais j'étais à la cérémonie d'enterrement. C'était terrible. J'étais isolée, j'étais à l'écart, j'étais seule. Mais j'y étais. Et Flickati comprend rien. Seulement, c'est pas normal. Et voilà, ça c'est ce genre de situation. Je me dis, si je les laisse rentrer dans ma vie par n'importe quel petit bout, c'est moi qui vais morfler. Et donc, non, stop. Donc, à ce moment-là, je ne règle rien, mais je mets de côté pour pouvoir avancer.

  • Speaker #1

    Merci.

Description

"La violence des coups c'est atroce, mais la violence psychologique, c'est pire, parce que c'est ton esprit qui meurt".

Marika Bret, militante inlassable de la lutte contre l'obscurantisme, RH et partenaire historique de la bande de Charlie Hebdo, se confie pour la première fois sur les racines de ses convictions, sa jeunesse et comment elle a réussi à surmonter le règne de la violence. Déjà.

Par Sarah Gaubert et LargerThanLifeProject depuis 2019

Réalisation G Carbonneau

Toute ressemblance est une imitation ;)


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie, on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix. Continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, il continue à vivre. D'accord, mais comment ? Mes invités ont vu leur vase sauter en l'air et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient putains, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tout en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, riez. Installez-vous confortablement. Et ça va bien. Bonjour Marika.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Merci d'être là.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Je souris parce qu'à la perspective des deux ou trois heures qu'on va passer ensemble, parce que les gens vont peut-être le découvrir en écoutant, mais on va faire deux épisodes à la suite. Et en fait, pourquoi deux épisodes ? Parce que je t'ai vue pour ta déflagration. Et en discutant, on s'est aperçu que tu avais beaucoup de choses à raconter et qu'on allait faire deux histoires. Enfin, une histoire moins deux fois.

  • Speaker #0

    C'est un fil que tu as remonté. C'est un fil qui a été énoncé en toute confiance et en toute tranquillité. C'est un fil qui est finalement un parcours de vie et qui dit tant de choses.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille... Tu as quel âge ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui j'ai 61 ans.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux me raconter un peu dans quelle famille tu arrives ?

  • Speaker #0

    Alors j'arrive, ce sont les années 60, j'ai resitué le contexte, la période historique, l'évolution... d'aujourd'hui n'était évidemment salutaire et pas la même. Et j'arrive surtout, je suis un bébé non désiré, et férocement, atrocement non désiré. Ma maman était la secrétaire de mon père. Mon père est un homme marié. Avoir une relation extra-conjugale, c'est pas top. Ça ne se fait pas, c'est honteux. Et puis ma maman tombe enceinte, elle tombe enceinte de mon petit frère. Et là c'est déjà un premier désastre puisque enceinte, non mariée pour une femme, sur cette période c'est extrêmement difficile. Une famille, la sienne, ultra catholique, donc ça en rajoute encore un peu. Et puis mon père c'est le directeur de la société. donc Donc l'enjeu pour lui, sa réputation, il s'en a été tout saisi, un enjeu qui l'aura obnubilé, obsédé tout le temps. Et donc mon frère arrive, naît en novembre 61.

  • Speaker #1

    Et donc du coup tes parents se...

  • Speaker #0

    Alors mes parents, mon père divorce. avec sa femme de l'époque et ils divorcent extrêmement rapidement et elle l'accepte parce que sa première femme ne pouvait pas avoir d'enfant et ça pour mon père c'était il y avait quelque chose de viscéralement odieux de ne pas avoir de descendance de ne pas pouvoir avoir de descendance ils divorcent très vite ma mère et mon père se marient Merci. Elle est vraiment sainte, ça se voit. Mais la cérémonie ne peut se passer qu'en tout petit comité parce qu'il y a la honte qui est là et qui s'impose. Et donc mon frère est... Quelques mois après, très peu de mois après, ma mère retombe enceinte. C'est le drame. Elle ne veut pas d'un deuxième enfant. Elle ne veut pas d'une telle rapidité entre les deux. Et dès le départ, elle déteste ce bébé à venir, donc moi. Et mon père. entre deux chaises parce que finalement une famille avec deux enfants lui ça lui convient Mais il l'aime je suppose encore à ce moment là sa femme et donc donc il il accepte cette situation et je n'ai dans ces conditions là dans des conditions de repoussoir absolue à tel point et de refus surtout, à tel point que ni mon père ni ma mère ne me déclarent à l'état civil. Je suis pendant plusieurs jours un bébé qui n'a pas de prénom et qui n'est pas là. C'est le début d'une histoire qui sera toujours le reflet de ce refus et d'un refus qui va... pasculer malheureusement très vite dans une forme de haine terrible et de haine qui aboutit à la violence. Et la violence, elle a commencé en réalité 15 jours après ma naissance. Ma mère part au sport d'hiver avec mon petit frère. Il a un an.

  • Speaker #1

    C'est ton grand frère ?

  • Speaker #0

    C'est mon grand frère. Il a un an et il abandonne Elle abandonne son bébé à un homme qui est absolument incapable de s'occuper d'un bébé, ne serait-ce que de le langer, ne serait-ce que de le nourrir, ne serait-ce que tout ça. Et c'est la première violence de ma vie, c'est cet abandon de ma mère pendant 15 jours et une première fracture terrible pour mon père. Parce que ne sachant pas quoi faire, et quand même, avec un bébé dans les bras, en disant qu'il prenait tous les risques de ne sachant pas quoi faire, il est obligé d'appeler au secours une de ses cousines. Et ça, pour lui, ça a été la première méga honte de sa vie, d'appeler au secours une femme, déjà, et une cousine, et obligé de lui dire, de lui révéler pourquoi il l'appelait au secours. Voilà l'ambiance, si je puis dire, et le climat dans lequel le bébé que je suis commence sa vie, avec cette idée qu'il ne quittera jamais ni mon père ni ma mère, le refus, le refus absolu. Et c'est ça qu'il faut, c'est que ça n'a jamais changé.

  • Speaker #1

    Quand tu grandis dans ce foyer, comment est la vie, comment est le quotidien, comment ça s'incarne le fait qu'ils refusent que tu sois là ?

  • Speaker #0

    Ça s'incarne par... Par l'idée que finalement mes parents vont s'inscrire toute leur vie dans la vengeance, c'est-à-dire dans la vie finalement, dans une vie qu'ils auraient voulu qu'elle soit autre. Et c'est sur leur fille que cette vengeance va s'exercer. et c'est la chille et donc moi qui prends des coups des coups d'une violence Inouï, parce que on pourrait raconter les coups de Martinet jusqu'à ce que les lanières se détachent. Ça, c'est déjà très violent, mais pour moi, l'épisode peut-être qui a été le plus marquant. et qui peut-être a été un début de conscience sur une violence anormale, parce que les coups de Martinet... Je me disais que je les avais méritées. Je me dis à ce moment-là que je suis une petite fille pas sage, une petite fille pas obéissante, une petite fille qui ne correspond pas à la bonne éducation que tes parents veulent donner, etc. Mais il y a un épisode où je me dis non, ça ne peut pas correspondre, ce n'est pas possible, ça ne peut pas correspondre à ça. C'est le jour où ma mère m'a brûlé la main avec un fer à repasser. Et ça, ce n'était pas une punition normale. C'est-à-dire que les coups de martinets...

  • Speaker #1

    Ce n'était pas un accident ?

  • Speaker #0

    Ah non, non, non, ce n'était pas un accident. Et ça, voilà, quand... Prends des gifles ou le martinet ou etc. et que tu n'as aucun élément pour comprendre quoi que ce soit et que la seule chose que tu peux te dire c'est qu'il faut que tu fasses des efforts, des efforts. pour plaire à tes parents déjà, ce sont tes premiers référents adultes, mais le faire à repasser, ça sortait, je vais mettre des guillemets, mais de la norme, de la norme punition.

  • Speaker #1

    Il s'est passé quoi concrètement ?

  • Speaker #0

    Il s'est passé concrètement que, c'était assez pervers d'ailleurs, que je suis... à côté de ma mère, elle est en train de repasser. Dans sa tête, elle se dit que, il a peut-être raison d'ailleurs, elle se dit que les coups ne me font plus rien parce que j'ai appris à me protéger, j'ai appris à me mettre en boule. Je pense que c'est une espèce de réflexe de tout à chacun, bien sûr. Il me dit de poser ma main sur la table à repasser et je le fais parce que je n'imagine pas une seule seconde ce qui va se passer derrière. Et je le fais en me disant je vais obéir à ma mère. Je suis obnubilée par l'idée qu'il faut que j'obéisse pour que la situation change. Et je prends ce coup, je fais repasser sur ma main. Voilà. Ça, c'était un déclic, un vrai déclic de me dire... Tout le reste était normal pour moi. Tout le reste faisait partie de l'éducation. Mais le faire repasser, non. Incapable de dire pourquoi, mais non. Ça ne pouvait pas être... Dans ma tête, en tout cas, ça ne pouvait pas être une punition.

  • Speaker #1

    Tu vas à l'hôpital ?

  • Speaker #0

    Non. Non. Ma mère ne m'emmène pas à l'hôpital. Le soir, mon père rentre, j'ai la main brûlée. Ma mère lui explique. Et mon père acquiesce. Mon père s'inscrit... Toujours dans la séduction avec une femme avec qui rien ne fonctionne. Et donc il acquiesce, il acquiesce à cette violence et j'en fais les frais.

  • Speaker #1

    Souvent, quand on entend des histoires de violence de parents sur leurs enfants, on est étonné parce que les enfants les défendent et les enfants continuent à les aimer. T'aimes tes parents, toi ?

  • Speaker #0

    J'ai longtemps aimé mes parents. tout en me posant cette question, est-ce que je les aime ou est-ce que je cherche à leur plaire ? Ce n'est pas la même question en réalité. Alors, il y a eu des étapes dans la vie et les étapes correspondent à ce que l'on comprend, à ce qu'on appréhende, comment on appréhende les choses. Et je vis dans une famille en vase clos. Cette famille n'invite pas grand monde à la maison. Mon père est fier parce que la seule personne qu'il reçoive Chaque dimanche, qui vient flatter l'égo de petits notables, c'est le curé. Ça c'était une espèce de marque, voilà, une marque d'honneur, et prise comme telle, mais ma propre famille, mon parrain, ma marraine... Il me faudra attendre plusieurs années avant de les rencontrer. Donc c'est un vase clos et dans ce vase clos, je le dis parce que j'ai peu de repères dans ce vase clos. Et c'est pour ça que je pense que dans ce vase clos, sans en avoir conscience, pour tenter de respirer, j'essaye de plaire. Et j'accepte cette violence d'une certaine façon. je l'accepte longtemps cette violence j'envis mes copines parce que je vois bien qu'elles ne vivent pas la même vie que moi mais j'interprète ça en disant que moi je vis une vie normale et qu'elles ont une vie géniale et

  • Speaker #1

    dans ce huis clos est-ce que ton frère c'est un secours un allié ?

  • Speaker #0

    Mon frère ne pourra et n'a jamais pu, ne sera jamais un allié, de par l'éducation qu'il reçoit. C'est le premier enfant, c'est un garçon, c'est une fierté. Alors à mon frère, on lui cède tout, on lui offre tout, on le protège, on lui promet... Mon zémerveille, la plus grande carrière professionnelle, en l'occurrence médecin, il était déjà déterminé qu'il serait médecin. Les meilleures écoles, les loisirs, tout un tas de loisirs auxquels moi je n'ai pas accès, du sport, des spectacles et choses comme ça. Et donc, lui, il est sur un piédestal, il est bien sur son piédestal, il est heureux sur ce piédestal et sa façon de remercier mes parents, c'est de me haïr. C'est de considérer que sa sœur est le vilain petit canard de la famille, sème la zizanie, que c'est sa sœur qui introduit la violence c'est pas c'est pas les parents c'est sa soeur qui introduit ce climat qui est à l'origine je sais la façon de protéger ses oui ses privilèges oui et ce qui est ce qui est fou c'est qu'il n'a jamais changé d'avis jamais et puis l'adolescence arrive l'adolescence arrive Je vais à l'école. Heureusement, l'école, c'est mon havre de paix. J'aime l'école. Mais j'aime l'école aussi parce que à l'école, je ne m'étouffe pas. À l'école, j'apprends des choses. Je suis contente d'apprendre des choses. Et aussi grâce à l'école, j'apprends à lire et cet apprentissage de la lecture c'est ce qui me sauve de tout parce que face à tout ce climat oppressant, étouffant mon refuge c'est le livre, mon refuge c'est la littérature, toutes les littératures c'est pour ça que je dis que ça m'a sauvée littéralement mais ce qui va avec la littérature ce qui va avec l'école c'est c'est la foultitude de questions et la remise en cause de ce qui au fond n'est pas normal et la prise de conscience de ce qui n'est pas normal et ça passe par plein de petites petites étapes je me souviens de deux à l'époque il y avait la visite médicale scolaire qui un jour ça se passe pas bien parce que la médecin me dit il faut vous avez un problème de vue il faut s'en occuper maintenant il faut des lunettes maintenant je mets fondre en larmes la médecin ne comprend pas pourquoi pourquoi je mets fondre en larmes parce Parce qu'au fond des lunettes, ça va, c'est pas... Pas l'horreur ! Et je lui explique que ce n'est pas du tout les lunettes qui me font peur, que je me fiche perdument de porter ou non des lunettes, mais que je sais qu'en rentrant à la maison avec ce mot de la médecin qui dit que j'ai besoin de lunettes, je vais avoir droit à une scène de violence parce que je suis encore celle qui va faire dépenser de l'argent, je suis encore celle qui... occasionne des soucis à ses parents, etc. Et la médecin est sidérée de m'entendre dire ça. Je pense qu'elle n'avait jamais entendu ça de sa vie, tout simplement. Elle me rassure, du moins elle tente de le faire. En fait, ce que j'avais prévu s'est passé comme ça s'est passé, et j'ai eu hurlement, etc. Mais tout ça, cet épisode parmi tant d'autres, je peux dire que ça fait partie des déclics qui m'ont aidé à me dire... Ça n'est pas normal, ce n'est pas comme ça qu'on élève une enfant, ça n'est pas comme ça qu'on protège, ça n'est pas comme ça qu'on prend soin.

  • Speaker #1

    Et c'est ce qui t'a conduit à 14 ans à t'enfuir frénétiquement ?

  • Speaker #0

    Exactement, il y a plein d'épisodes où je suis déchirée. entre l'idée de la séparation avec ce qu'on appelle mon papa, ma maman et mon frère, mais surtout mon papa, ma maman, et le moment arrive. où je me dis « sauve-toi, sauve-toi vraiment au sens propre, parce que sinon, si tu ne te sauves pas, tu meurs » . C'est ça qui fait que je me dis « il ne reste qu'une chose, la fugue » , comme un appel désespéré, mais la fugue, que je réitère plein de fois, pour ne pas mourir. J'ai cette conscience adolescente que j'en suis arrivée là, que cette idée, c'est pas la mort physique, mais c'est la mort de l'esprit, c'est la mort célébrale. C'est aussi l'idée que je vais m'éteindre et qu'en réalité, je ne suis pas la seule à le dire. La violence des coups, c'est atroce. Franchement, c'est atroce. Mais la violence psychologique, c'est pire. C'est pire parce que c'est ça qui meurt. C'est ton esprit qui meurt avec la violence psychologique. Et puis un juge,

  • Speaker #1

    première personne en plus des profs sur ton chemin, va te donner un ticket de sortie.

  • Speaker #0

    Un inspecteur de police.

  • Speaker #1

    Un inspecteur de police,

  • Speaker #0

    pardon. Un inspecteur de police qui... parce que je fugue, mes parents signalent la fugue, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, je dors dans des immeubles, dans des escaliers, dans des ascenseurs, parfois... parents, de copines, mes berges, mais avec toutes les précautions parce que nous ne voulons pas être accusés de quoi que ce soit, évidemment. Et l'inspecteur, plusieurs fois, m'entend, m'écoute, me comprend parce qu'il auditionne aussi mes parents et se rend bien compte. que ce que je dis ne relève pas du fantasme, ne relève pas de mon imaginaire. Voilà, d'un imaginaire se rend compte aussi de la manière dont mes parents viennent me chercher. Ils ne viennent pas récupérer une jeune adolescente avec toute l'inquiétude que peuvent avoir des parents dans cette situation. Ils arrivent en hurlant, ils me hurlent dessus. Donc tous ces détails font qu'ils se rendent compte des choses. Et à plusieurs reprises, il me dit qu'il faut que je patiente, que c'est un peu long, un peu difficile, mais qu'il faut que je patiente. Il se rend compte que ma patience n'est à bout, et que je ne peux pas patienter, je ne peux plus patienter. Et c'est lui qui, à ce moment-là, s'adresse à un jeu. en vue d'un placement envoyé pour dire il n'y a plus d'autre issue que celle-là c'est peut-être pas la meilleure c'est pas ce que je pourrais espérer pour cette très jeune fille mais il n'y a pas d'autre choix que celui-là

  • Speaker #1

    Donc tu es placée en foyer, tu fais un premier et tu fais la révolution pour en partir. Parce qu'il est loin de chez toi, il est terrible. Et tu arrives à en partir, c'est le premier.

  • Speaker #0

    Oui, je suis dans ce foyer et ce foyer est un peu prison déjà, donc ça ne peut pas fonctionner. Je ne peux pas sortir de l'un pour entrer dans l'autre. J'ai en plus... C'est un foyer qui est loin de mon école. Et la seule chose que je demande au juge, c'est de garder mon école. C'est un peu une espèce de pilier auquel je me raccroche. Il ne faut pas me changer d'école. Ça, j'en suis persuadée. Il ne faut pas me changer d'école, Monsieur le juge, il ne faut pas me changer d'école. Je m'en fiche, je me lèverai à 5h du matin s'il faut, mais il ne faut pas me changer d'école. Le juge, j'accepte. je me dis quelle force de persuasion parce qu'une gamine c'est du pape changé d'école un juge avec l'affront et en réalité ça ne va pas bien dans ce foyer parce qu'il est foyer-prison parce que quand Ce sont des foyers un peu transitoires où on ne s'occupe pas vraiment de ce qui se passe pour les jeunes filles et les jeunes garçons. Et j'obtiens non seulement de ne pas changer d'école, ça c'est hors de question, et j'obtiens aussi ce qui n'était pas la normalité. D'aller dans un foyer dans la ville de mes parents, pas du tout parce qu'il y a mes parents, là pour le coup, mais parce qu'il y a mon école. Il y a mon havre de paix, de joie, parce que quand on vit tant d'années avec aussi peu de moments de joie et que l'école représente ces moments de joie, Voilà, c'est pour ça que je parle de pilier. Et j'obtiens ça, j'obtiens d'arriver dans ce foyer de ma ville de résidence.

  • Speaker #1

    Et t'es encore loin d'être majeure, parce qu'à l'époque, c'est 21 ans,

  • Speaker #0

    la majorité. C'est là où le propos de... De l'inspecteur de police, je le comprenais, et en même temps c'était un horizon beaucoup trop lointain. Beaucoup trop lointain. C'est la majorité 21 ans. Je savais que je n'obtiendrais rien. Pas d'émancipation anticipée, ou je ne sais quoi. Vraiment, c'était de l'ordre de l'impossible. Donc oui, 21 ans, on ne se rend plus compte, mais c'est comme accès à l'autonomie et à ses propres choix, à son indépendance, etc. C'est loin comme horizon, c'est vraiment loin.

  • Speaker #1

    Dans ce foyer, ils prennent un peu plus ou moins de toi. et il y a même des choses prévues l'été.

  • Speaker #0

    Tous les étés, sur les deux mois d'été, c'était réparti en deux temps. Un temps de vacances communes avec tous les résidents du foyer dans un lieu loué par le foyer. Et un temps... un autre temps où on pouvait choisir une colonie de vacances. Alors on pouvait choisir en fonction de la destination, en fonction de ce qui était proposé, activités, loisirs, sports, etc. Et qui était là pour le coup un choix individuel, où chacun allait là où il voulait. Et moi je choisis le lieu. Avant tout, je choisis la Corse, je choisis l'île. Et je vais en Corse, je découvre la Corse. Déjà, c'est loin, la Corse, par rapport à là où je suis. Donc, cette idée de mettre des kilomètres, ça me va bien. Et puis, j'arrive dans cette colonie. Et là, les moniteurs, les encadrants proposent quelque chose que je n'imaginais même pas que ça pouvait exister, c'est-à-dire une forme de trois semaines ensemble en autogestion. Déjà, le mot autogestion, je ne connais pas. Et je découvre ce qu'est l'autogestion. je découvre qu'on peut décider ensemble, assumer. ensemble, discuter, débattre de choix des uns et des autres. Et alors là, pour moi, c'est le monde merveilleux qui s'ouvre devant moi en me disant, mais on peut vivre cette vie-là. C'est tellement à des milliards de kilomètres de ce que j'ai vécu jusque-là, que je m'implique dans cette autogestion, mais... Je pense mille fois plus que d'autres. J'adore, vraiment. Et ça me plaît d'autant plus qu'il y a cette idée d'autonomie et d'émancipation, mais il y a cette idée où même les tâches à répartir... avec un tableau qui fait quoi, etc. Ça n'est plus une corvée. Du tout. Et c'est tout ça qui me plaît. Donc je vais, je fais trois semaines, mais magiques. Peut-être les trois premières semaines les plus magiques de ma vie.

  • Speaker #1

    Et le retour n'est pas trop dur ?

  • Speaker #0

    Ah bah si ! Ah bah si ! Ah oui, parce qu'entre l'autogestion dans une colonie de vacances et un foyer de l'aide sociale à l'enfance, il y a un gouffre, mais un gouffre abyssal. Et j'arrive avec toutes ces idées en tête, et moi j'ai envie de continuer à les appliquer, ces idées. Et j'ai envie de convaincre, surtout, pour dire, voilà, on peut arriver à faire... plein de choses ensemble, en les décidant ensemble, en les assumant ensemble.

  • Speaker #1

    Et alors,

  • Speaker #0

    ça marche ? Pas du tout. Ils ne sont pas du tout d'accord avec ça. Malheur, pas du tout, du tout. Et moi, c'est trop tard. Je suis ancrée là-dedans. Ça m'a trop plu pour que je revienne en arrière. Je suis trop contente. Donc, au bout d'un moment, je fugue de ce foyer. en me disant puisque vous ne voulez pas et que moi je veux, c'est moi qui vais décider. Et je fûle du foyer, je rejoins les moniteurs de la colonie de vacances. Et vous dites quoi ? Je leur explique en fait que je les rejoins parce que la porte de vie qui m'a ouverte, elle me donne un tel horizon. que je veux continuer à aller vers cet horizon-là.

  • Speaker #1

    Et alors ?

  • Speaker #0

    Et ils sont ravis. Ils sont ravis de ce que je leur dis, ils sont ravis de voir qu'en trois semaines de temps, ils ont semé des petites graines de choses, et que ça a fait son petit bout de chemin de réflexion. C'est ça qui leur importe à eux, en réalité. Ils sont ravis, mais ils savent aussi qui prennent un risque considérable parce que l'accusation, plainte de détournement de mineur, ça rigole pas. Et ça rigole pas que...

  • Speaker #1

    Détournement de mineur, c'est si tu fais des trucs avec le mineur.

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    C'est si t'héberges...

  • Speaker #1

    Ah, je l'ignorais.

  • Speaker #0

    Si t'héberges un mineur et que le mineur est en flux, c'est... Alors, je sais pas aujourd'hui, mais c'était strictement interdit. C'est strictement interdit. Ils savent ça, mais ils ne... peuvent pas se dire qu'ils vont me faucher l'arbre sous le pied.

  • Speaker #1

    Et donc ils te conseillent quoi ?

  • Speaker #0

    Et ils me disent... Et donc on a des très longues discussions avec eux où ils me disent, est-ce que tu veux raconter tout ça ? Est-ce que tu veux que ça se sache ? Est-ce que tu veux... Au fond, à quoi ça t'amène tout ce qu'on a ces trois semaines et puis le fait que tu sois chez nous aujourd'hui, etc. Et moi je dis oui, je veux raconter tout ça. Et je veux raconter tout ça, en fait, pas pour moi, mais parce que moi j'ai eu la chance de bénéficier de ça. J'ai eu la chance de commencer à comprendre des choses et j'ai envie de le partager. J'ai tout simplement envie de le partager. Et ils me disent ok. Et première action, un gala dans un chapiteau à Pantin. C'est fou. Pour moi, c'est fou. Je me retrouve sur une scène, je me retrouve face à des gens et je raconte tout ça. Et j'ai mon père qui vient. Mon père est fou de rage. fou de rage. Et il est fou de rage parce que ça correspond à ce qu'il a toujours maraîné de la façon la plus aigrée qu'il soit. Ma fille raconte notre vie. Ma fille dit des choses qu'elle n'a pas le droit de dire. Et moi je réponds si j'ai le droit et si je veux le faire. Et tant pis. Et donc, il y a ce gars-là, et il y a ce gars-là... Ce qui est faux pour moi, c'est qu'il y a des gens dans la salle pour écouter tout ça. Et à partir de là, je me dis... D'abord, je me dis que j'ai bien fait. Et je me dis, moi, l'amoureuse des livres, déjà, je me dis, il faut que je continue à réfléchir. Il faut que je continue à comprendre ce que tout ça signifie et surtout, qu'est-ce que je peux en faire ? Et je me dis aussi, c'est pas je, c'est nous. Et ça aussi, c'est les trois semaines de la petite graine. C'est pas je, c'est nous. Et ensuite, on... On prête ce gala quoi faire ? Parce que c'est bien, il y a eu un gala. Et bien quoi faire ? Et si on allait occuper la fac de Vincennes ? Tiens ! Eh oui ! Et que je découvre ! Il faut quand même réaliser que j'ai 16 ans à ce moment-là. Donc, ce monde-là... déjà je fais des bascules de monde totalement sidérant et ce monde là, ce monde en particulier de la fac de Vincennes qui est très particulier, qui est hyper particulier c'est toute la génération Guattari, Félix Guattari, Gilles Deleuze etc je découvre ce monde là des philosophes, des penseurs de la gauche oui et alors moi je... Je l'arrive dans cet endroit, d'autres mineurs nous rejoignent. On y est aussi parce qu'on sait que la police ne peut pas rentrer dans les facultés. Donc ça quand même, elle arrive tout de suite, mais elle arrive autour. Donc on ne peut pas en sortir, mais bon. Et moi, à 16 ans, je suis l'adolescente qui débarque dans les amphis. où Gilles Deleuze ou bien Guattari est en train de donner un cours, et moi j'arrive, j'interromps le cours, et j'interromps le cours en disant je vais vous expliquer pourquoi nous occupons la fac. Alisa prend son mignon, mais gonflé. Et ça passe.

  • Speaker #1

    Parce que c'est eux.

  • Speaker #0

    Parce que c'est eux. Et que ça correspond à toutes ces terres de réflexion-là. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    C'est une série de... C'est une période où tu es heureuse ?

  • Speaker #0

    C'est une période où je me découvre. C'est une période où enfin je commence à être moi-même.

  • Speaker #1

    Et comment tu vis, comment tu manges, où tu dors ? Là tu dors sur place.

  • Speaker #0

    Alors à la fac on dort sur place, on fait passer des cagnottes. pour nous aider, notamment effectivement sur le quotidien, parce qu'on peut bien manger, et ça fonctionne. Oui, c'est la solidarité. Oui, et donc ces 15 jours à la fac de Vincennes, de mémoire 15 jours, sont 15 jours hors du temps, parce que là, on ne peut pas sortir. La police est dehors, et je sais ce qui m'attend, mais nous on le sait tous. Mais c'est hors du temps, parce que je rencontre des gens qui m'écoutent, qui échangent, qui comprennent, qui m'amènent à la réflexion, et qui sont des gens qui me raccrochent à ma passion première, le livre. C'est ça qui est... Et là, j'existe. Ça y est, j'existe.

  • Speaker #1

    T'existes d'autant plus que la presse te tend le micro et que t'es en première ligne.

  • Speaker #0

    Et je le... Et j'assume. J'aime même d'être en première ligne. Je...

  • Speaker #1

    T'aimes ça ?

  • Speaker #0

    Alors... En réalité, ce que j'ai préféré, c'est vraiment les interventions dans les enfils, les discussions acharnées, les échanges, etc. Mais les micros qui se tendent, ce que j'aime, c'est que je surprends les gens, je surprends les journalistes. C'est-à-dire de se dire, mais qui sont-ils ces mineurs qui débarquent ? la fac de Vincennes, qui est cette jeune fille, qui, avec aplomb, pose beaucoup de questions, et des questions justement sur l'émancipation, et des questions sur cette fameuse majorité à 21 ans, qui est beaucoup trop tardive. Et je ne le lis même pas à la violence que j'ai vécue. Ça en fait partie, bien sûr. Mais je le lis, il faut qu'on arrive à vivre et à faire des choix avant 21 ans. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Et au bout de ces quinze jours, comment ?

  • Speaker #0

    Alors au bout de ces quinze jours, c'est difficile, puisque quand on quitte la fac de Vincennes, les majors sont interpellés, moi je suis interpellée, et c'est... Bon ben là c'est le monde judiciaire. Le monde judiciaire sous Alain Perchit il est extrêmement dur et je ne sais pas comment je vais faire surtout. Comment je vais arriver à me dépêtrer de tout ça ? Je vois bien en même temps que d'un point de vue judiciaire, on ne sait pas quoi faire de moi.

  • Speaker #1

    Et même une fois, ils ne savent tellement pas.

  • Speaker #0

    Oui. Ça te fait rire ? Oui. Il y a des fois, ils ne savent tellement pas qu'ils m'emmènent à l'hôpital psychiatrique. Ils en ont marre, en fait. Ils sont...

  • Speaker #1

    Et tu as une copine qui fait un truc très malin, tu peux le raconter ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est que quand j'arrive à l'hôpital psychiatrique, parce qu'une nouvelle fois interpellée, et je suis avec une copine, je suis en vacances, et voilà. Ma copine, par contre, elle est majeure, et elle flippe vraiment parce que... Elle s'est dit, oula, l'hôpital psychiatrique, c'est pas la même. Et là, elle s'inquiète vraiment en disant, qu'est-ce qu'ils vont lui faire ? On ne peut pas laisser ça. Alors elle fait un truc, elle alerte la presse, elle fait tout ce qu'il faut. Puis surtout, elle fait un truc très malin, c'est qu'elle appelle la CGT des infirmiers. Elle alerte. Et ça m'a protégée. Et ça m'a protégée. Donc, c'est en même temps ça, c'est que personne ne sait quoi faire de moi. Moi, je sais ce que je veux et je sais quoi faire de moi. Mais eux, ils ne savent pas. les autorités, les pouvoirs, ils ne savent pas et je je vais plus ou moins dans des squats parce que pas le choix et je continue, c'est-à-dire que je ne baisse pas les bras face à tout ça et tu fais une rencontre extraordinaire, mais extraordinaire une femme qui suit médiatiquement tout ça depuis quasiment le début et qui demande à me voir qui veut échanger avec moi c'est ça le début et avec qui j'ai un échange passionnant et qui m'explique que Il fait me rendre compte que mon combat, il relève aussi du combat féministe et que l'émancipation que je réclame à corps et à cri et ce besoin de pouvoir faire des choix, il est d'autant plus compliqué quand on est une jeune fille, plus compliqué que quand on est un garçon et que ce combat-là, il passe... par une étape absolument indispensable, c'est l'émancipation économique. Et que pour l'émancipation économique, il n'y a pas de mystère, il faut travailler, il faut un boulot. Et qu'on est d'autant plus solide qu'on accède à l'émancipation économique et qu'elle me propose un boulot. Et cette femme, elle s'appelle Anne Sylvestre, une chanteuse. qui sont pour les adultes et pour les enfants. Et elle a ce réflexe que je n'ai pas réalisé tout de suite, mais après de dire « Moi, j'ai des convictions, des convictions de femme de gauche, des convictions de féministe, des convictions de ce... » combat qu'elle-même a mené et continue à mener à travers les paroles de ses chansons et sur scène donc et je vais l'amener concrètement là solidement concrètement en lui donnant un job je vais lui donner un job c'est

  • Speaker #1

    extraordinaire oui c'est extraordinaire parce que ton parcours va être jalonné on va pas tout dévoiler mais de gens qui ont des valeurs et qui les qui les exposent et qui en parlent et qui dissertent dessus mais qui en parallèle les incarnent sainement et qui mettent en œuvre ce qu'ils prônent, pas juste pour la galerie.

  • Speaker #0

    Et d'autant plus quand elle fait ça, elle est consciente c'est ça qui est fou elle est consciente que je n'ai jamais travaillé de ma vie que je suis très jeune que je j'ai 17 ans et quelques à ce moment là donc c'est à dire des ennuis aussi d'aider et ben voilà et mais mais elle s'en fiche elle s'en fiche royalement elle a elle a soit là cette idée de Cette idée de « je peux faire quelque chose, je vais le faire » , y compris le jour où elle reçoit une convocation de police, convocation qui fait suite à une plainte de mon père, qui est « mon père se plaint parce qu'elle n'a pas demandé l'autorisation à mes parents d'embauche, non seulement elle n'a pas demandé d'autorisation, et en plus... Mon père réclame une partie de mon salaire. Et elle, évidemment qu'il n'en est pas question. Et elle va au commissariat. Elle y va. Elle est solide. Et elle revient en disant, c'est réglé. Et en fait, la plainte est partie à la poubelle. Mais voilà. Et elle, oui, solide. Et en même temps, elle n'en a jamais tiré. Le moindre avantage, je ne sais même pas si elle l'a raconté un jour. Vraiment pas. Ce n'était pas sa façon de voir les choses. Du tout.

  • Speaker #1

    Ensuite, toujours par son intermédiaire, tu travailles dans un théâtre.

  • Speaker #0

    Au Palais des Glaces. parce que son agent tourneur prend la programmation du Palais des Glaces. Et donc je vais moi aussi au Palais des Glaces, et là je gravis des gestions, j'apprends plein de choses. D'abord je suis ouvreuse, et puis après je grimpe, je fais du secrétariat, et puis après je travaille sur les collectivités et voilà je fais tout un... Je grimpe socialement, je peux dire ça comme ça et je me sens bien dans ce milieu du spectacle, du spectacle vivant. Je suis content d'être là, vraiment.

  • Speaker #1

    Et puis, tu arrives dans une nouvelle équipe, dans le cinéma ?

  • Speaker #0

    J'arrive au cinéma escurial. Une équipe qui a ensuite travaillé et repris le cinéma Max Linder. J'aime le cinéma, donc ça déjà, je me dis, j'ai de la chance, je suis contente. Et surtout, j'arrive, ils sont quatre. Eux aussi, ils ont une forte idée de l'autogestion. Eux aussi, ils sont dans cette mouvance de réflexion. Et ils me disent quelque chose qui m'accroche l'oreille. parce que jusque-là, je me débrouille. Et je me débrouille parce que j'ai travaillé pour Anne-Sylvès, parce que j'ai travaillé au Palais des Glaces. Mais ce qui m'accroche l'oreille, c'est au fait, tu veux faire quoi comme métier ? C'est quoi ton avenir professionnel ? Tu te situes comment ? Des questions que personne ne m'avait jamais posées. Autant Anne-Sylvès m'a aidée dans l'idée de l'émancipation économique, mais l'idée du choix professionnel, ça ne s'était pas posé. Et c'est avec cette équipe du cinéma escurial que je m'inscris à la fac. Et en disant, mais après tout, oui, il y a ce choix-là, je ne peux pas attendre trop longtemps. Et allons-y, puisque c'est possible. Et je m'inscris à la fac et je fais et du droit et de la comptabilité au hasard. L'émancipation des deux côtés. Et je suis ravie de faire ça, je suis vraiment ravie. Donc c'est ce jalonnement comme ça dans mon parcours où ce que j'ai envie de dire c'est que à la fois j'ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. et dans des moments difficiles, mais par contre...

  • Speaker #1

    Je pense qu'on attire les gens.

  • Speaker #0

    Peut-être. Ces fils qui m'étaient tendus, je les ai plus qu'attrapés. Je les ai tirés vers moi. Ah non, mais je prends là. Je prends, je tire, je tire, je tire. Et ça, c'est mon fil.

  • Speaker #1

    Tous ces gens-là, en fait, ils ont fait le travail de... de te faire grandir, de t'accompagner, de t'aider à déployer tes ailes comme des parents auraient dû le faire ?

  • Speaker #0

    Certainement. Je ne le vis pas comme ça, parce que mon père reste mon père, ma mère reste ma mère, mais je ne le vis pas, je n'ai pas cette idée un peu de transfert ou autre du tout. Mais ils ont tous joué un bout de ce rôle-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que ton frère est devenu médecin ?

  • Speaker #0

    Pas du tout. Mon frère ne devient pas médecin. Mon frère apprend, je ne sais pas trop comment, que je travaille dans le milieu du spectacle. Il fantasme en plus complètement sur ce milieu-là. Et il en est jaloux. Il me hurle un jour au téléphone en disant que lui, il est... dans une pharmacie et que moi, je travaille dans le milieu du spectacle et que moi, je devrais avoir honte. Honte de quoi ? Je ne sais pas, mais moi, je devrais avoir honte. Et ce que je veux dire pour raccorder aussi avec ta question précédente, c'est que grâce à ces fils-là que je tire absolument vers moi, prends-les, prends-les tous. Ça m'aide aussi à me dire, par rapport à mon père, par rapport à mon mère, par rapport à mon frère, et cet environnement-là, je mets le mot toxique dessus. Et en disant, puisque c'est toxique, fais autre chose. Et je mets le mot toxique, j'y arrive.

  • Speaker #1

    C'est drôle parce que tu as une maturité pour, à chaque étape de ce que tu racontes dans ton parcours, tu as encore un bébé et tu as déjà une vision de ce qui était bon pour toi, pas bon pour toi, de ce que tu devais fuir, de ce vers quoi tu devais aller.

  • Speaker #0

    C'est à la fois instinctif quand tu subis tout ça et que justement le mot subir devient le mot trop. cesser de subir. Donc il y a cet ordre-là. Et puis, je pense que oui, pour ça, mon amour des livres ne me quittera jamais. Mais je pense que ça a participé aussi à ma réflexion. Et au fait de de mieux vivre plus vite que d'autres. mais d'en être contente de m'ir plus vite que d'autres. Aussi, justement.

  • Speaker #1

    Tu fais quoi après, quand tu as ton diplôme ?

  • Speaker #0

    Je suis... Déjà, je suis fier. Oui, fier de ce que j'ai fait. que je pense pas possible et qui ce qui s'avère voilà donc la première étape c'est la vraie fierté la seconde étape c'est qu'est ce que tu ou tu vas dans quel donc l univers professionnel donc l'univers tout court même c'est de réfléchir à tout ça et d'avoir d'avoir la joie de le faire, de pouvoir le faire. Et donc, ce milieu du spectacle me plaît beaucoup parce qu'il a aussi, il représente et je pense que c'est normal qu'il représente ces terres de liberté, ces terres de liberté dans le sens créatif, dans le sens pouvoir dire des choses, comment les dire. c'est tout ça que ça représente pour moi donc j'aime ça et puis il y a un autre milieu qui me plaît bien mais qui sur lequel je peux dire exactement la même chose c'est le milieu d'édition et moi l'amoureuse des livres le milieu d'édition et en réalité le diplôme que la carte que j'ai dans ma poche et qui va être un peu plus déterminante par la suite, c'est la carte de productrice de Spectacle Vivant. Je l'ai, je l'ai ce sésame de productrice de Spectacle Vivant. Et dans ce fil de rencontre... Je rencontre le duo Patrick Fonte et Philippe Val et je deviens leur productrice. Moi qui arrive vraiment de nulle part, je deviens productrice de ce duo totalement explosé. à tout point de vue, qui racontent des choses sur scène que personne ne raconte, ou en tout cas pas grand monde. Et je découvre aussi cette forme d'expression-là, je découvre cet humour-là, je découvre qu'on peut... qu'il n'y a pas de sujet tabou, c'est le début. Au fond, on peut tout aborder, la question c'est pas d'aborder ou non un sujet, c'est comment on le fait. et avec l'humour et la transgression mais oui mais oui et donc je voilà je deviens je deviens productrice de ce duo là avec tout ce que ce que ça a pu comporter parce que oublier quand même malgré tout je suis une femme et que dans ce milieu là même même si ces milieux dans lequel on on réfléchit le plus et qui a évolué le plus et qui est ouvert dans tous les sens du terme, je reste quand même une femme qui doit faire sa place. on n'oublie pas de me le rappeler. Et surtout à cet accès-là, productrice, quand je vais à des réunions annuelles du syndicat des producteurs de spectacles, je me rends bien compte que un, je suis une femme, et deux, que je suis plus jeune que la moyenne. Et que donc, que ça m'est renvoyé quand même. Et il y en a un qui a été un appui dans ces deux questions-là. C'était le patron de l'Olympia de l'époque, Jean-Michel Boris, qui n'était pourtant un monsieur, qui était déjà d'un certain âge et qui avait une carrière professionnelle de programmateur absolument extraordinaire. Et c'est un peu ce monsieur-là... Parce que tu sais, dans les réunions, à un moment, quand une femme parle, on n'hésite pas à lui couper la parole. Alors, on se rend plus compte qu'elle est jeune, puisqu'elle n'a pas d'expérience et tout ça. Et on se fait une réunion où il a dit, on va l'écouter, on va l'écouter jusqu'au bout. Et bam ! Et donc, quand Jean-Michel Poiré se parlait, pour les autres producteurs, c'était quand même...

  • Speaker #1

    Un signal.

  • Speaker #0

    Oui. Voilà.

  • Speaker #1

    T'as qu'à elle, à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je dois être dans la vingtaine d'années, 22 ans, un truc comme ça, 20-22. Je suis dans ces eaux-là.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as l'impression à cette personne-là que... T'as un petit peu guéri de ton enfance ?

  • Speaker #0

    Dans ces années-là, l'enfance, je la mets de côté parce que je ne sais pas quoi faire avec ça, si ce n'est que je vais... Je suis en colère, je suis en colère. Je réalise quand même tout ce qui s'est passé. Je réalise ce que le mot « violence » sur un enfant veut dire. Enfance petite, des petites. Donc je réalise que j'ai vécu tout ça. Je réalise ce que ça veut dire. Je réalise aussi que je ne veux pas que ça soit ma carte de visite. Ça je le sais. Je veux exister par moi-même et pas là-dessus. Alors je la mets de côté cette enfance. Je la mets de côté en me disant, viendra bien le moment. ou peut-être j'en ferai quelque chose ou peut-être pas et parce qu'aussi je sens que quand je pense à mon enfance la colère me déborde que la colère me déborde parce que d'abord par la normalité des choses évidemment et aussi parce que c'est vivace c'est vivace tout ce ce que... tous ces mots, quelle que soit l'écriture du terme, c'est givasse et je sens que ça peut me déborder très vite, que cette colère à ce moment-là, elle peut me déborder très, très, très, très vite. Donc je la mets de côté, parce que je me dis que pour avancer, je ne peux pas éporter ça. et avancé. Et je suis dans une rupture totale et avec mes parents et avec mon frère. Et je dois aussi porter ça. C'est-à-dire vivre après l'enfance, l'adolescence, la jeune femme que je suis...

  • Speaker #1

    T'es totalement seule ?

  • Speaker #0

    Et seule. Elle est seule. Alors, pas totalement parce qu'il y a mon parrain, parce qu'il y a cette fameuse cousine qui s'est occupée de moi, qui avait raconté tout ça. Et c'est heureusement qu'ils sont là, bien sûr qu'heureusement qu'ils sont là. Ils sont déjà loin de mon domicile, donc ça n'est pas la même chose. Et je me dis, tu vas passer toutes les étapes de ta vie seul. Voilà. On va rencontrer des tas de gens, tu vas vivre ta vie de jeune femme, tu vas avoir des amoureux, tout ça, tout ça, mais tu n'auras pas l'épaule ni d'un père, ni d'une mère, ni non plus, ni confidence, même bagarreuse, d'un frère. Tu ne les auras pas. Il faut l'admettre. Donc, je ne peux pas tout gérer en même temps. Et à partir du moment où je sais que la rupture, elle est profonde, je ne sais pas à ce moment-là si elle est définitive ou pas, mais je sais qu'elle est profonde, je mesure cette profondeur. Bon, on va mettre ça de côté, parce que sinon ça va me déborder terriblement. Et si je laisse l'ombre d'un millimètre, Euh... Sous- de ce lien revenir je vais morfler et ça s'est passé comme ça d'ailleurs quand j'ai quand mon père est décédé et qu'il a fallu aller chez le notaire d'abord ça s'est pas passé normalement mais plus ou moins rien ne se passe normalement donc voilà ma mère a fait une recherche dans l'intérêt des familles alors qu'il suffisait d'appeler mon parrain pour savoir où j'étais mais bon ça voilà et c'est tombé à un moment où je refaisais mon passeport et en fait j'ai su que il y avait cette recherche dans l'intérêt des familles parce que au moins je vais chercher mon passeport commissariat de quartier me dit ah non non faut aller à la préfecture centrale on peut pas vous le donner je suis complètement abasourde en me disant mais qu'est ce qu'il y a et je vais à la préfecture et j'attends et là il y a une il y a une fliquette qui vient me voir et qui me dit « On va vous donner votre passeport, ne vous inquiétez pas » . Ah bah oui, ça fait 24 heures que je m'inquiète ! Mais c'est parce qu'on vous dise, il faut absolument qu'on vous dise quelque chose. Oui, votre père est décédé. Et je la regarde ahurie. Non mais je le sais. Et non seulement je le sais, mais j'étais à la cérémonie d'enterrement. C'était terrible. J'étais isolée, j'étais à l'écart, j'étais seule. Mais j'y étais. Et Flickati comprend rien. Seulement, c'est pas normal. Et voilà, ça c'est ce genre de situation. Je me dis, si je les laisse rentrer dans ma vie par n'importe quel petit bout, c'est moi qui vais morfler. Et donc, non, stop. Donc, à ce moment-là, je ne règle rien, mais je mets de côté pour pouvoir avancer.

  • Speaker #1

    Merci.

Share

Embed

You may also like