MIA. S4E4 cover
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Ça Va Bien S'Passer

MIA. S4E4

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46min |19/04/2024
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Description

Ca Va Bien S'Passer est LE podcast des récits de déflagrations.

J'y ai pensé durant tout l'enregistrement, parce que l'histoire de Mia nous montre d'une déflagration c'est comme un tremblement de sa terre. Il y a l'impact et puis il y a les folles répliques, des semaines, des mois, des années après le fracas.

Bonne écoute!

Sarah



Depuis 2019 Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject

Réalisation G. Carbonneaux



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    tu embrasseras très fort Ludivine qui est une de mes quasi-sœurs tu embrasseras très fort je ne sais plus qui fais attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi rien sur mon frère enfin c'est en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi quand

  • Speaker #1

    dans sa vie on a connu une déflagration on sait qu'on va être confronté à un choix continuer à vivre ou pas Et puis une fois ce plouf-plouf morbide tranché, ils continuent à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air. Et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'avant. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie.

  • Speaker #0

    Qu'ils soient contents,

  • Speaker #1

    drôles, outants, agaçants, secrets ou impudiques, ils ont tous en commun un truc dans le regard et va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la vie vous fasse une blague pour la dévorer. venez, écoutez leurs histoires pleurez, rire installez-vous confortablement et ça va bien se passer bonjour Mia bonjour Sarah Alors, est-ce que tu peux me dire quel âge tu as ? À peu près, on n'est pas... c'est pas la police. Et quelle est ta situation de famille ? Quelle est ta vie ?

  • Speaker #0

    Actuellement, j'ai donc 36 ans, tout récemment. Je suis mariée et j'ai deux enfants, deux petits garçons, Noé et Joseph.

  • Speaker #1

    Ah, c'est beau ça, comme prénom. Tu sais que Joseph, ça me touche particulièrement, mais Noé aussi, c'est très très bon. Est-ce que tu peux me parler un peu de ta vie de jeune femme ? Il y a une quinzaine d'années, quelle était ta vie ?

  • Speaker #0

    Alors, je vivais à Lyon, chez ma mère. J'étais étudiante en master professeur à des écoles. Et j'avais une vie étudiante tout à fait classique, à sortir tous les week-ends, à profiter, à dépenser l'argent du cross. Et puis j'avais un amoureux. Et voilà, tout allait bien.

  • Speaker #1

    Et il était à Lyon aussi,

  • Speaker #0

    lui ? Non, lui, à ce moment-là, il habite à Nice, enfin à Antibes, ce qui fait ses études à Schema, donc à Sofia Antipolis.

  • Speaker #1

    Et un jour, tu es en vacances à Antibes, chez ton amoureux. Oui. Et c'est à quelle occasion ? C'est les vacances d'été ?

  • Speaker #0

    Non, c'est juste après les vacances de Noël. Donc, ce n'est pas des vacances officielles, c'est moi qui suis partie en vacances. Mais voilà, c'est juste après le jour de l'an. Donc, c'est vraiment tout début du mois de janvier.

  • Speaker #1

    Et c'est sympa, il fait doux, c'est un endroit sympa pour être.

  • Speaker #0

    C'est très agréable, on est vraiment face à la mer. Et puis à Antibes, en hiver, ce n'est pas vraiment l'hiver, donc on sort, on est en gilet, on profite. Et puis c'est vrai qu'Edouard a une vie étudiante d'école de commerce, donc c'est très agréable, il y a des soirées tout le temps. On a toujours des choses à faire, on se promène en scooter. C'est un peu la Dolce Vita, mais d'un côté France.

  • Speaker #1

    Et puis tu ressens un coup de fil.

  • Speaker #0

    Oui, je ressens un coup de fil de ma grand-mère, qui cherche à me joindre plusieurs fois. Moi, je suis toute seule chez mon amoureux. Et j'avoue, sur le moment, je n'ai pas trop envie de lui répondre parce que je sais que ma mamie parle beaucoup de son. Donc, je voulais prendre le temps de la rappeler. Et en fait, elle insiste, elle insiste. Donc, je décroche et j'entends sa voix. Et là, je me dis que quelque chose ne va pas parce qu'elle sanglote, elle a peine à articuler. Et elle me dit, Mia, c'est ton père, il a fait une connerie. Et donc là, j'ai un moment de pause et je lui dis, mais c'est-à-dire, qu'est-ce qui se passe ? Et elle me dit, je ne sais pas, j'ai eu Cathy, qui est la femme de mon père.

  • Speaker #1

    Donc, mes parents sont séparés ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents sont séparés, pardon. D'accord.

  • Speaker #1

    Depuis longtemps ?

  • Speaker #0

    Depuis très longtemps, parce que moi, à ce moment, j'ai 24 ans et ils se sont séparés quand j'avais 3 ans.

  • Speaker #1

    D'accord, donc tu n'as plus un couple de plus longtemps.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et elle me dit, je ne sais pas, il a fait une connerie.

  • Speaker #1

    Mais dans ces cas-là, tu penses quoi ? Il a fait un cambriolage ?

  • Speaker #0

    Non, je ne sais même pas ce à quoi je pense, mais je comprends tout de suite, en fait, qu'en fait, il est mort. Mais je ne sais pas pourquoi je pense à ça tout de suite, mais je ne sais pas dans quelles circonstances, mais c'est la première chose à laquelle je pense, puisque tout de suite, je m'effondre, en fait. Mais je pense que le fait d'entendre aussi ma grand-mère en pleurs, ça m'a fait comprendre que ce n'était pas justement un cambriolage. C'était plus grave que ça. à notre sens on va dire et donc elle me dit il faut que tu rentres tout de suite

  • Speaker #1

    Elle sait que tu es à Antibes.

  • Speaker #0

    Elle sait que je suis à Antibes. Parce qu'en fait, oui, j'ai dit que je vivais chez ma mère. En fait, non, je vivais chez ma grand-mère à ce moment-là. Et du coup, elle me dit, il faut que tu rentres tout de suite. Et je dis, d'accord. Et en fait, j'essaye à ce moment-là de... Je comprends et je m'effondre vraiment en sanglots. Je me souviens, je suis dans les toilettes du tout petit studio et je pleure, je pleure. Et en fait, je ne veux pas qu'on m'entende parce que je sais qu'il y a les colocs de mon copain à côté. Mais c'est vraiment des sanglots, je ne pensais pas qu'on pouvait pleurer comme ça.

  • Speaker #1

    Mais en silence ?

  • Speaker #0

    Non, non, en fait, justement, je fais beaucoup de bruit. C'est vraiment des sanglots bruyants et je ne pensais pas qu'on allait être capable de faire autant de bruit.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a des choses, parfois, quand on vit un drame, on fait un arrêt sur image, on se voit faire quelque chose. Et c'est marrant que tu viennes apprendre une nouvelle fracassante. Et ta mémoire retient et tu dis tiens je pensais pas qu'on pouvait pleurer aussi fort et aussi intensément. C'est drôle quand même parfois certaines choses sur lesquelles le cerveau se bloque.

  • Speaker #0

    Surtout que, alors je suis peut-être un peu bizarre, mais ça m'était déjà arrivé d'imaginer une situation où je perds un de mes parents. Et pour moi je m'étais toujours dit qu'à ce moment-là soit je n'aurais pas de réaction ou alors je pleurerais en silence. Et pas du tout.

  • Speaker #1

    Comme quoi, ça ne sert à rien d'avoir peur à l'avance.

  • Speaker #0

    Tu ne sais jamais ce qui va se passer. Et donc, du coup, je raccroche, je pleure beaucoup et je me dis qu'il faut que j'appelle Edouard. Il faut que je prévienne ma mère qui est en Israël pour qu'elle prévienne mon frère qui vit là-bas. Et donc, je regarde mon téléphone et je réalise que je suis à une époque où on a encore un peu cette histoire de forfait et de crédit. Et je n'ai plus du tout de forfait, en fait. Donc, je n'ai plus aucun moyen de joindre qui que ce soit. Donc, je suis toute seule. Mon copain est donc parti voir des amis. Il doit revenir me chercher parce qu'on a une soirée le soir. Et je ne sais pas quoi faire, en fait. Je suis complètement démunie. J'utilise Internet et j'envoie un message à une amie d'enfance qui vit en Israël en lui disant je t'en supplie, appelle ma mère Et du lieu de me rappeler tout de suite, c'est très urgent.

  • Speaker #1

    Sur quoi ? Sur Facebook ?

  • Speaker #0

    Oui, sur Facebook. Et elle ne comprend pas et du coup, elle finit par prévenir ma mère qui m'appelle, donc je lui explique. et donc j'attends en fait j'attends là et je me souviens je suis sur le canapé bleu et je sais plus je sais pas quoi faire je suis complètement démunie et mon copain finit par et c'est pareil en fait j'ai plus d'argent pour prendre un billet de train non plus enfin c'est vraiment et donc mon copain finit par rentrer et il me dit alors on y va et en fait il voit ma tête et il comprend qu'il y a quelque chose de très grave qui s'est passé Je lui explique et je lui dis qu'il faut que je rentre là. Il faut que je rentre à Lyon, je ne sais pas ce qui s'est passé. Il faut que je rentre. Du coup, il me prend le billet de train pour le lendemain matin, parce que le soir, il n'y en avait plus. Et donc je rentre à Lyon le lendemain matin, je suis dans un Wingo avec encore des sièges bleus. Le bleu c'est un peu la couleur, très moche. Et je pleure, je pleure, je pleure, je pleure, cette fois en silence. Je fais des allers-retours dans les toilettes parce que c'est pareil, j'ai pas envie qu'on me voit pleurer. Mais il y a des moments où juste les larmes... Sorte, je pense que j'ai une tête de cadavre. Et donc j'arrive à la gare de Lyon-Pardieu, et donc il y a ma grand-mère qui est venue me chercher avec mon oncle et ma tante qui sont le frère et la sœur de mon père. Et en fait, je tombe dans les bras de mon oncle, que je n'ai pas vu depuis des années. Mais en fait, il a la même voix que mon père. Donc, du coup, c'est très perturbant. Et c'est un peu la figure qui me rattache à lui sur le moment. Donc voilà, on se prend dans les bras et on rentre chez ma grand-mère. Et c'est là que j'essaye de comprendre ce qui vient de se passer. parce que jusque là tu sais pas je sais pas ce qui s'est passé et donc là ma grand-mère m'a dit en fait il s'est suicidé et donc moi je me dis mais comment ça il s'est suicidé et elle m'a dit bah oui oui il s'est suicidé hier matin son corps a été retrouvé par un passant ou quelqu'un qui allait travailler je sais pas parce que mon père habitait en Ardèche dans un tout petit village et donc du coup c'est pas des endroits hyper fréquentés Et donc c'est quelqu'un qui a retrouvé le corps. et du coup là je me dis mais c'est quoi la suite en fait parce que moi j'ai jamais perdu quelqu'un j'ai perdu mes arrière-grands-parents mais quand j'étais toute petite donc je sais pas comment ça se passe et donc on décide de partir en Ardèche voir ma belle-mère et mes frères

  • Speaker #1

    Tes frères ?

  • Speaker #0

    Les frères de mon père et ma belle-mère ont eu deux enfants. D'accord. Et à cette époque, ils ont 16 et 18 ans. Donc on décide de partir pour aller voir tout le monde. Donc on part le jour même de mon arrivée. et je me souviens du en fait non je me souviens pas du trajet c'est très flou et en fait on arrive là-bas dans cette petite maison dans ce tout petit village et j'ai pas l'impression sur le moment qu'on est bienvenue ah oui ? enfin même pas du tout t'avais des relations comment avec ta belle-mère ? compliquées, très complexes c'était vraiment des relations un peu euh euh Elle, je pense que je lui faisais trop penser à ma mère. Et vu que mon père et ma mère se sont connus très jeunes, ils ont eu une histoire d'amour assez courte mais très intense. Je pense que de me voir, ça lui rappelait tout ça. Et elle avait des relations très particulières aussi avec ma grand-mère. Elle lui en a toujours voulu en disant que c'était à cause d'elle, si mon père avait fait ça, parce qu'elle n'avait pas voulu les aider financièrement. Attends,

  • Speaker #1

    on va finir. Parce que quand tu arrives sur place, à quel moment quelqu'un t'explique ce qu'il a fait, comment il s'est tué, où il était ? À quel moment quelqu'un te donne les informations cruciales dont tu as besoin pour comprendre ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, on arrive et peut-être cinq ou dix minutes après, ma belle-mère arrive et me dit viens, je vais t'expliquer ce qui s'est passé Et on est dans la cuisine et en fait, elle me dit de but en blanc ben voilà Il s'est suicidé, il s'est pendu sous le pont du petit village à côté. Et en fait, elle me dit ça, mais avec tellement de colère, ce qui est normal. Mais en fait, je me prends toute sa colère, donc j'ai l'impression que c'est de ma faute. Donc c'est un peu dirigé contre moi, alors que je sais maintenant que non, c'est juste que... quand on vit des choses comme ça, je pense qu'on ne sait pas trop comment gérer ses émotions.

  • Speaker #1

    Mais il n'empêche que tu te prends quand même ça. Oui, exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, moi, je reste sans voix, en fait. Et je lui dis, mais est-ce que tu sais pourquoi ? Et elle me dit, ben oui, voilà. C'était trop dur financièrement, donc c'est pour ça qu'il a laissé un mail où il explique qu'en fait il a fait ça pour que je puisse toucher l'assurance pour payer la maison. et il a laissé des lettres. Il nous a laissé des lettres. On s'est dit, d'accord. Et elle me dit, oui, il a laissé une lettre pour moi et pour tes frères. Et je lui dis, pour mon frère qui s'appelle Simon, qui vit en Israël, et je lui dis, pour Simon et moi. Elle me dit, rien. Elle me dit, mais de toute façon, ça faisait longtemps que vous n'étiez plus là pour lui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des mots très très mal élevés qui me viennent à l'esprit pour commenter, je ne veux pas le faire. Et comment tu réagis à ce moment-là quand elle te dit ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je ne réagis pas tout de suite. En fait, sur le moment, je me dis qu'elle a raison. Parce qu'effectivement, mon père, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. Je me souviens, pour le jour de l'an, il m'a écrit un message et je lui ai répondu assez sèchement parce qu'il ne prenait jamais de nouvelles et que je cherchais à le joindre, à le voir et il n'était jamais disponible. Donc je me dis, oui, en fait, moi, ça fait longtemps que je ne suis plus là et que j'ai fait ma vie et que finalement, je n'ai pas forcément cherché à voir comment lui, il allait. C'est par la suite où la colère va commencer à arriver. Et voilà.

  • Speaker #1

    Donc tu culpabilises.

  • Speaker #0

    Oui, tout de suite, je me dis... Forcément, tout de suite, il y a les et si qui arrivent. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    Pardon mais tu te dis pas, il y avait des lettres pour nous, elles nous les donnent pas ?

  • Speaker #0

    Si, si, si. Il y a encore quelques, peut-être pas quelques mois, mais encore au moins un an ou deux, je me dis, je pensais encore en me disant, il y a une lettre qui va aussi surgir, qui va arriver comme ça. En fait, elle s'était perdue. Mais non. Mais oui, non, non, j'y ai pensé pendant très très longtemps. Moi,

  • Speaker #1

    je n'ai pas imaginé une lettre qui pourrait ressurgir, mais une lettre qu'elle aurait planquée.

  • Speaker #0

    Alors, non, vraiment juste qu'elle s'était perdue ou pendant un temps, je lui disais qu'elle ne voulait pas nous la donner tout de suite ou qu'elle ne l'avait pas trouvée, mais pas qu'elle l'aurait planquée. Je n'espère pas qu'elle ait fait un truc pareil.

  • Speaker #1

    Ça arrivait dans ma famille, c'est pour ça que je pensais à ça.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc, Donc elle te dit ça, et puis vous faites quoi ? Vous dormez chez eux ?

  • Speaker #0

    Non. Pardon,

  • Speaker #1

    mais le corps, il est où là ? Il est à l'hôpital ? Il est à la morgue ?

  • Speaker #0

    Non, il n'y a pas de veillée. Je pense que peut-être qu'il est déjà à la morgue, parce que quand il y a un suicide, il y a une enquête qui est effectuée. Donc du coup, de toute façon... Mon père était athée, donc il n'y avait pas d'histoire de temps de mise en terre.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et donc du coup, ça a pris à peu près, si je me souviens bien, une semaine avant qu'il y ait la crémation. Oui, c'est très long. Oui.

  • Speaker #1

    Et tu savais qu'il voulait aller à une crémation ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, dans mon souvenir, il voulait être enterré dans un cercueil. Tu sais, biodégradable.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et en fait, je crois que c'était trop cher. Et si je me souviens bien, dans le mail, il précise qu'il ne veut pas d'enterrement, il ne veut pas de fleurs et il ne veut pas de cercueil. Il veut juste que son corps soit brûlé, en fait. Enfin, ainsi de suite. D'accord.

  • Speaker #1

    Mais tu as l'impression que c'est pour des raisons économiques ?

  • Speaker #0

    Euh... Non, pas spécialement. Je pense qu'il n'a jamais vraiment été attaché à tout ce qui est matériel et tout ce qui est son corps. Pendant un temps, il voulait donner son corps à la science, par exemple. Du coup, on rentre le jour même parce que l'ambiance est vraiment très particulière.

  • Speaker #1

    Vous ne vous sentez pas les bienvenus ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout.

  • Speaker #1

    Est-ce que sur le moment tu te dis, tu lui demandes est-ce que je peux prendre un t-shirt à lui, est-ce que je peux prendre un...

  • Speaker #0

    Non, j'y pense... Si j'y pense, mais en fait, je n'ose pas. C'est pour ça que je te disais que j'ai une relation très particulière. Ma belle-mère, c'est... J'ai... Enfin, maintenant, ça va mieux, mais j'ai toujours eu très peur d'elle et en même temps, toujours eu envie qu'elle m'aime très fort.

  • Speaker #1

    Ça s'entend. Les deux s'entendent. Parce que quand elle me fait peur, c'est déjà une distance.

  • Speaker #0

    Donc, du coup, j'ai pas osé. C'est Après l'incinération...

  • Speaker #1

    Donc vous repartez à Lyon et vous revenez pour l'incinération ?

  • Speaker #0

    C'est ça, on revient pour l'incinération. Et là, c'est pareil, c'est vraiment une ambiance... En fait, on sent qu'il y a deux côtés de la famille. Il y a le côté de mon père, sa vie d'avant. Donc il y a ma grand-mère, mon oncle, ma tante, mon frère et moi. Et de l'autre, il y a mon père et sa vie d'après. Donc mes frères, ma belle-mère et ses filles. Et... Il y a je ne sais pas combien d'amis de mes frères qui sont là aussi.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as des relations avec tes demi-frères et avec sa nouvelle famille ?

  • Speaker #0

    Oui, avec mes demi-frères, on s'entend très bien. Ça se passe très très bien. Avec mes quasi-sœurs. Il y en a une avec qui c'est un peu compliqué, mais parce qu'on a le même âge et qu'on a eu l'adolescence en même temps, donc forcément... donc c'est un peu compliqué mais oui on a quand même des relations c'est ça et donc voilà c'est vraiment cette espèce de séparation qui n'est pas forcément visible mais qui se sent qui se sent vraiment et je pense que en fait comme je disais tout à l'heure mon père a laissé un mail et dans ce mail que moi pour le coup j'ai demandé à ma belle-mère de me l'envoyer Il explique dedans. Donc, il a fait ça pour qu'elle puisse payer la maison. Il dit à un de mes frères qu'il faut qu'il termine ses études parce qu'il est en hôtellerie-restauration. À l'autre, pareil, qu'il faut qu'il termine, il fait un CAP pour être chauffeur routier. Donc, il doit terminer aussi. Il dit, embrasse... Enfin, tu embrasseras très fort Ludivine, qui est une de mes quasi-sœurs. Tu embrasseras... très fort je sais plus qui fait attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi, rien sur mon frère en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi et donc du coup je pense que la lecture de ce mail a aussi un peu repensé l'équilibre entre guillemets et c'est pour ça qu'il y avait cette séparation

  • Speaker #1

    entre ta mère est venue

  • Speaker #0

    Non, non, non, non. Je crois que ça finit sans plus, Gilles. Elle finit, je pense que ma mère et ma belle-mère se détestent. Donc non, ma mère n'est pas venue. Et voilà, donc du coup, il y a eu l'incinération. avec le choix de musique effectuée par ma belle-mère, mais qui représentait tout à fait mon père. Donc pas de soucis là-dessus. Et puis une fois terminé, chacun est reparti. Il n'y a pas eu de moment américain où on se retrouve. On est tous repartis chacun de notre côté.

  • Speaker #1

    Ton copain, à ce moment-là, il est présent ?

  • Speaker #0

    Il est là. Il est venu avec moi. Je lui ai demandé de venir. Après coup, je me dis que c'était peut-être pas une bonne idée parce que c'est le seul moment où il a rencontré mon père, finalement. Mais il est venu. Il est venu pour moi. Il connaissait aussi bien ma grand-mère. Je pense que pour elle, ça lui a fait du bien aussi. Il est venu. Il n'est pas venu voir le corps, quand même. Mais il était là.

  • Speaker #1

    T'es allée le voir, toi, le corps ?

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    T'as pas voulu t'épargner cette vision ?

  • Speaker #0

    Non, je pense que j'en avais besoin pour me dire que c'était vraiment arrivé. Et puis je pense que, même si c'était mon père, il y a peut-être un peu de curiosité morbide. Tu crois ? Ouais, je pense, peut-être. De voir, de réaliser et de voir aussi. Et je me souviens, je rentre dans la pièce dédiée. C'est très sombre, il fait froid. C'est normal en même temps pour conserver. Et donc je m'approche et je vois qu'il a un pull col roulé. Et je me dis, je vais l'embrasser en fait. Parce que pour lui dire au revoir. Et puis je me dis aussi, c'est un peu comme ça qu'on fait normalement. Et en fait, je pose mes lèvres sur son front. Et c'est là où je réalise qu'il est vraiment parti. Parce que... C'est une enveloppe, il n'y a plus rien dedans. On sent vraiment que la vie est partie. Et ça m'a permis de réaliser, mais ça m'a beaucoup traumatisé aussi. Je n'aurais peut-être pas dû le faire. Et après, je suis sortie. Et voilà.

  • Speaker #1

    Tu es quelle âge à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    J'ai 24 ans.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu n'es plus un bébé, mais tu n'es pas une grande personne encore. Non,

  • Speaker #0

    pas tout à fait.

  • Speaker #1

    Et donc, ta vie doit reprendre, tu dois retourner à la fac.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Et tu arrives à le faire ?

  • Speaker #0

    Non, j'écris assez rapidement. J'avais un très bon groupe de copines. Je leur explique très rapidement la situation, alors je ne vais pas revenir tout de suite. J'écris pareil à mes professeurs. Et en fait, je pars pendant une semaine chez ma meilleure amie qui vit à Toulouse, qui me dit, viens à la maison et comme ça, on prend du temps ensemble pour te sortir de cette ambiance complètement morbide. Donc, je passe une semaine... Une semaine à Toulouse, qui me fait beaucoup de bien. Et du coup, pendant cette semaine, je me souviens, je fais un rêve où il y a mon père qui vient me voir et qui me dit Je ne peux pas te parler, je suis très pressée, mais sache que je t'aime et tout va bien. Et voilà. Depuis, je n'ai pas vraiment eu d'autres signes trop bons, mais je me suis beaucoup raccrochée à ça en me disant que peut-être que c'était vrai, peut-être que c'était en imaginaire complet, mais... et que c'est mon inconscient qui a voulu me rassurer et me relever. Mais je me suis dit que ça m'a fait du bien. Que peut-être c'était vraiment lui et que ça m'a permis d'avancer un tout petit peu. Et donc voilà, du coup, je finis par retourner à la fac, reprendre ma vie. Je vis toujours chez ma grand-mère. Donc on essaye de se soutenir l'une comme l'autre, comme on peut. On regarde le bachelor tous les soirs. parce que ça nous fait du bien et ça nous fait rire c'est votre mien de regarder ça avec sa grand-mère c'est très très sympa et du coup voilà le quotidien qui reprend et à la fin de cette année là c'était en 2013 donc il y a mon amoureux qui part et qui doit partir tout début, fin 2013, début 2014. Donc ça fait un an que mon père est mort. Il doit partir pendant six mois faire un échange en Chine. Et donc là, j'avais réussi à tenir jusque là, mais là c'est très très dur pour moi. Je pars de chez ma grand-mère, je retourne chez ma mère, qui entre-temps est partie vivre à Nice. Donc en fait, on a juste l'appartement avec mon frère Simon. Et donc je reste là-bas et je suis vraiment très très mal, je vais plus du tout en cours, j'arrête totalement. Je passe des heures dans ma chambre. Des heures à écrire à Edouard qui, de toute façon, est sur un autre fuseau horaire. Donc, on voit les messages beaucoup plus tard. C'est vraiment une période assez particulière. Je ne mange pratiquement plus ou alors je me fais des fringales et je vais vomir. Enfin, bref, un grand classique. En fait, j'essaye de faire sortir la douleur comme je peux.

  • Speaker #1

    Donc, tu te fais vomir ?

  • Speaker #0

    Oui. Soit je ne vais pas du tout manger, ou alors je vais beaucoup, beaucoup manger. Et en fait, de me faire vomir, j'ai l'impression que ça me soulage. Ça te libère ? Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Tu penses que tu fais une dépression à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je ne pense pas à ça, non. Je me dis que c'est juste... En fait, je n'y pense pas. Je suis tellement mal que je ne me laisse pas aller, mais je...

  • Speaker #1

    Tu tombes un peu là de ce que tu décris.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Sans me dire que je fais une dépression, je ne pose pas les mots là-dessus. Je laisse la douleur reprendre le pas complètement. Et donc, moi, mon seul but à ce moment-là, c'est que je pars rejoindre Edouard à Shanghai et qu'on va faire un voyage d'un mois et demi. autour un peu de la Chine et du Vietnam. Et voilà, c'est mon point. Je me dis, je travaille pour ça. C'est pour payer mes billets et profiter pendant un mois et demi. Et donc, je pars.

  • Speaker #1

    Attends, attends, avant de partir, tu vas voir quelqu'un pour parler de ça ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout. Je ne vais voir personne parce que... Parce que je me dis que ça ne sert à rien. Et il faut savoir que je suis très pétrie des idées de mon père et de ma belle-mère. Et pour eux, on ne va pas avoir des gens pour parler. En fait, on se soigne tout seul. La vie est dure et puis c'est tout. C'est comme ça. Donc, je ne veux voir personne. Et donc, je pars et j'arrive à Shanghai. Et moi, je rêvais d'aller en Chine depuis toute petite. Et donc c'est un rêve qui se réalise d'aller dans ce pays, je voulais parler chinois, visiter la muraille de Chine, la cité impériale. Et en fait j'arrive et peut-être deux, trois jours après mon arrivée, je commence à faire des crises de panique. Mais vraiment, moi je n'ai jamais fait ça de ma vie, je ne sais pas ce que c'est. Donc c'est vraiment très très violent, en fait mon corps se tétanise complètement. Et je me mets à trembler, j'arrive plus à respirer. Et ça... Ça prend 10, 15, 20 minutes avant que je réussisse à me calmer. Et en fait, on voyage et je suis dans un état complètement second. Je vois les paysages qui défilent. En fait, je suis là sans être là. J'ai l'impression d'être complètement dissociée. Et d'ailleurs je me souviens un moment, je suis sur une plage au Vietnam, et c'est l'endroit paradisinaire, et je suis face à la mer, et je me dis mais en fait c'est trop, c'est trop d'informations, c'est trop de choses qui arrivent à mon cerveau, j'arrive pas à réaliser ce qui se passe. Et en fait je me souviens, je mets mes mains devant moi et je regarde les mains. Je me dis mais c'est pas mes mains en fait. C'est vraiment les mains de... C'est pas à moi. Donc du coup, je suis là et...

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que tu crois que t'as un...

  • Speaker #0

    J'ai l'impression d'avoir un épisode de dépersonnalisation. Genre d'être... devenir folle, en fait. C'est juste ça.

  • Speaker #1

    Et Edouard, il gère ça comment ? Il voit ça ?

  • Speaker #0

    Il ne voit pas. Il ne voit pas parce que j'arrive très bien, en revanche, à donner le change. C'est-à-dire que quand c'est beau, je suis là, waouh, c'est beau. Quand on voyage, je... Voilà, je fais tout en fait pour qu'il ne voit rien et je m'évade moi dans ma tête en étant tout le temps sur mon téléphone les moments où je suis toute seule. C'est-à-dire que je me souviens, j'ai téléchargé tous les... J'ai téléchargé... Game of Thrones. Je ne me souviens plus du titre en français. Donc, je l'ai lu en français. Et j'ai lu tous les livres pendant le voyage, le soir, parce que ça me permettait de ne pas réfléchir. Je pensais juste à l'histoire.

  • Speaker #1

    Moi, c'était Twitter. Je faisais la vie des autres.

  • Speaker #0

    C'est très bien.

  • Speaker #1

    Les amoureux, je me noyais là-dedans. Exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, on rentre en France. Et donc, je m'étais dit peut-être que... Parce que je sais qu'il y a... Par exemple, quand certaines personnes d'origine chinoise ou japonaise arrivent en France, elles ont toujours eu cette espèce de fantasme sur la France. Et elles font des moments de dépersonnalisation. C'est le syndrome de Stendhal, ça s'appelle. Parce qu'elles trouvent ça vraiment trop beau. Et moi, je me dis, peut-être que c'est ça que j'ai vécu.

  • Speaker #1

    Trop beau ou trop loin de ce qu'elles imaginaient ? Aussi,

  • Speaker #0

    aussi, ouais. Et je me dis, c'est peut-être ça que j'ai vécu. Et je me dis, une fois rentrée en France, ça va aller mieux. Et pas du tout. C'est encore pire en fait. Du coup je rentre chez ma grand-mère et je me souviens, je ne sais pas ce que fait ma grand-mère. Je pense qu'elle est là mais je ne me souviens même plus si elle est là ou si elle n'est pas là. Et moi je passe peut-être trois semaines, un mois dans le noir, je ferme les volets et je regarde la télé. Je m'assomme avec la télé. Je regarde tout ce qui passe. Je ne regarde pas les infos, je ne regarde que des trucs... Voilà, les trucs les plus nuls possibles, je vais les regarder.

  • Speaker #1

    Oui, mais les trucs nuls, en fait, ils ne font pas de peine. Oui, c'est ça,

  • Speaker #0

    exactement. Et toi, tu poses le cerveau et c'est très bien. Et voilà. Et en fait, on a pris la décision avec Edouard de s'installer à Paris. Et donc on rentre en juillet et en août, on va pour chercher un appartement. On trouve un appartement très mignon. dans le 18ème, le premier cocon. Et moi je me dis, je ne vais pas pouvoir rester là en fait. Je ne vais pas pouvoir rester avec lui, je ne peux pas en fait. Je commence à paniquer de cette vie qui s'installe et qui commence à être une routine un peu classique, on va dire, l'appartement avec le copain, et puis après ça va être les fiançailles, le mariage, le bébé. Et moi je panique complètement. Et donc là, c'est pareil, je vais être dans le même état qu'en Chine, où je vais faire beaucoup de crises de panique. En fait, cette fois, je les sens arriver. Donc dès que j'en sens une arriver, je m'éloigne. Je ne veux pas qu'Edouard soit là. En fait, je veux la gérer toute seule. J'ai l'impression d'avoir un voile dans le visage tout le temps. Je vais au travail, je travaille dans une boulangerie. Je veux vraiment pardon pour les clients parce que je pense que j'ai des moments vraiment très désagréables. Et voilà, ma vie passe comme ça, je la regarde sans faire vraiment attention. Et puis cette année se passe et l'année suivante, Edouard doit faire sa dernière année dans son école. Donc je prends un autre appartement, un petit studio, toute seule. Et là, ça va être le pire du pire. Dès que je ne vais pas au travail, le soir je rentre chez moi et je prends des omnifères. Le week-end c'est pareil, quand Edouard ne vient pas, c'est pour faire passer le temps. Pour que ça passe plus vite. vite, et pour ne pas penser encore une fois. Je continue les crises de panique, sauf que maintenant, ça se déclenche vraiment pour tout et pour rien. Je me souviens du mariage du frère d'Edouard où on me demande juste si ça va à l'entrée de l'église et en fait, j'explose ensemble. Et c'est vraiment, voilà, rien ne me fait partir. Et donc, à la fin de cette année-là,

  • Speaker #1

    Tu continues à avoir des troubles alimentaires ? Oui.

  • Speaker #0

    Parce qu'ils veulent, d'accord. Exactement. Et donc, à la fin de cette année-là, Edouard revient à Paris. On s'installe à nouveau ensemble. Et donc moi, c'est moi qui commence à dire, ça fait longtemps qu'on est ensemble, j'ai envie qu'on se marie, j'ai envie qu'on fonde une famille. Pour moi, c'était ma famille, la mienne côté parents a volé en éclats, donc je veux construire la mienne. Et il me dit, mais Mia, comment tu veux qu'on se marie et qu'on ait des enfants, vu ton état en fait ? Donc là, en fait, ce qu'il faut que tu fasses, c'est que toi, déjà tu te soignes et tu te reconstruises, et après, peut-être que... Et sur le moment, je ne veux pas l'entendre, mais ça va très bien, c'est bon, c'était il y a 3-4 ans, je ne sais même plus. Et il me dit, non, non, mais là, c'est non en fait.

  • Speaker #1

    Tu crois que tu lui as caché des trucs ou en fait il a...

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, complètement. C'est clair. Et donc je finis par me reprendre en main en fait parce que je me dis je veux tellement ça que ok je vais le faire alors si c'est que ça qu'il faut faire. Et donc je vais trouver une psychologue. sur Paris, qui va me voir pendant un an toutes les semaines et qui va me dire que tout simplement j'ai subi un choc, je suis en choc post-traumatique du fait que la nouvelle a été trop violente, apprise d'une façon quand même particulière et du coup qu'il faut que j'apprenne à vivre avec, mais qu'il faut que je travaille et que... Et pas que je fasse le deuil, mais que j'en parle pour pouvoir avancer. Et donc, pendant un an, on va parler de ça et puis de plein d'autres choses. Et ça va beaucoup, beaucoup m'aider. Et donc, du coup, je vais commencer à aller de mieux en mieux. Je vais faire beaucoup moins de crises de panique. Je vais recommencer à bien manger. Un peu trop. Et en fait, là, après, à partir de ce moment-là, va se dérouler la vie. qui est quand même plus simple, où je me sens de mieux en mieux dans mon corps, où je profite de la vie parisienne. J'ai un travail qui ne me plaît pas forcément, mais j'ai des super collègues, on est amis en dehors du travail. La vie est sympa.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que la vie redevient un peu sereine et c'est comme si le voile partait.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Et de toute façon, j'avais fait un pacte. avec Dieu toi t'es religieuse ? moi je suis de confession juive et t'es croyante ? croyante, pratiquante un peu et du coup j'ai fait un pacte en disant là tu me fous la paix pendant 10 ans c'est horrible parce que ça fait une épée de damoclèche là du coup ça fait 11 ou 12 ans donc ça a l'air d'aller et pardon mais tu fais vraiment un pack dans ta tête dans ma tête où il faut savoir que avant ça moi j'étais pour le coup j'étais pratiquante J'étais vraiment très pratiquante. Ensuite, j'ai rencontré Edouard, qui n'est pas juif. J'ai un peu dévié. Même, je me souviens, au début, j'étais là, je ne peux pas me mettre avec lui parce qu'il n'est pas juif. On s'est quand même mis ensemble parce que l'amour est plus fort que tout. À partir du moment où je mangeais cachère, je mettais encore des jupes assez longues. J'ai gardé tout ça quand même.

  • Speaker #1

    Je viens d'apprendre l'expression t'snewt Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. J'adore.

  • Speaker #1

    Pour ça, ça veut dire que c'est les femmes juives qui respectent une certaine façon de s'habiller pudique.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et du coup...

  • Speaker #1

    Et là, t'as arrêté quand t'as commencé à sortir avec lui ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai continué. Ah d'accord. J'ai quand même continué. Alors, peut-être pas les vêtements, mais en tout cas, je continuais à... À manger le plus cachère possible, je faisais Shabbat, les fêtes. Et puis quand mon père est mort, j'ai dit non. Non. En fait, c'est bon. Parce que, enfin, pourquoi en fait ?

  • Speaker #1

    Si Dieu existe et qu'il a laissé pour ça,

  • Speaker #0

    c'est qu'il mérite pas ses efforts. Exactement. Et puis, voilà, après je... J'ai moi personnellement d'autres choses qui se sont passées avant dans ma vie qui n'étaient vraiment pas cool. Et je me dis mais ça, ça y est, il y a un moment, on ne peut pas, on s'acharne. C'est toujours les mêmes personnes en fait, on a l'impression. Et donc j'ai dit stop, c'est bon, moi j'arrête tout. Je m'habille comme je veux, je mange ce que je veux, ça y est. Et je lui ai dit on reverra dans dix ans, mais là, tu me fous la paix. Et donc voilà, du coup, cette psychothérapie se passe, enfin cette thérapie se passe.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Donc elle doit finir par me demander en mariage. On se marie et c'est génial. Et voilà, moi il n'y a pas un jour qui passe sans que je pense à mon père. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je sois en colère après lui, en me disant, mais pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? Parce qu'on peut me dire que c'est l'argent, mais moi j'y crois moyennement, puisque j'ai appris quelques semaines après son décès qu'il avait retrouvé du travail et qu'il allait signer un nouveau CDI. Enfin, voilà.

  • Speaker #1

    Et tu dis qu'il y a toujours une partie de rationnel et puis il y a des choses, parfois une maladie mentale elle se voit pas et se t'aime pas

  • Speaker #0

    C'est ça, je pense qu'il a toujours été Il a peut-être toujours été dépressif. Comme on disait, c'est une personne qui ne voulait pas se soigner dans tous les cas. Il ne serait jamais allé voir quelqu'un pour parler de quoi que ce soit. C'est ma mère qui m'a raconté quelques années après, quand ils étaient ensemble, ils avaient entre 16 et 18 ans, il lui avait dit, de toute façon, moi, je n'attendrai pas les 50 ans. Et il s'est suicidé à 42 ans. Donc voilà, il y avait quand même un terrain. Et donc du coup, moi, je vis ma vie, mais je suis quand même très, très en colère après lui. Je me pose des questions, je l'insulte dans ma tête, très clairement. Je n'arrive pas à passer... outre ce qu'il a fait, je n'arrive pas à me dire pourquoi il ne nous a pas laissé un mot, juste une attention, une pensée. Je ne comprends pas et je ne comprendrai jamais de toute façon. Du coup, cette colère sourde qui continue, même si moi ça va mieux, je n'arrive pas à passer à autre chose par rapport à ça. Et puis, je tombe enceinte de Noé, qui est le premier petit garçon. Et... Et là, en fait, je deviens maman. Et c'est trop beau. Et d'un côté, je me dis, mais regarde ce que t'as raté. Tu seras jamais grand-père, en fait. Et tu rencontreras jamais ton petit-fils. Et moi, Noé, je vais commencer à lui parler de mon père, il y a... Un an.

  • Speaker #1

    Il a quel âge ?

  • Speaker #0

    Il a 4 ans. Ok. Et j'ai commencé à lui parler il y a un an. Avant, je ne parlais même pas de lui. En fait, c'est Edouard qui parlait de temps en temps de lui. Moi, je ne voulais pas, en fait. Je ne dis même pas que je ne voulais pas. C'est que je n'y pensais pas. Je ne me disais pas, de toute façon, toi, tu as fait ça. Pourquoi tu aurais une place, finalement ? Et en fait... toujours cette colère et je vais découvrir à la naissance de Noé, je vais découvrir un compte sur Instagram d'une femme qui propose des ateliers d'écriture. Et donc je vais suivre ses ateliers, je vais écrire beaucoup sur mon père, beaucoup sur d'autres sujets, mais beaucoup sur mon père, je vais écrire toute la colère que j'ai. Mais vraiment, je crache les mots. C'est un exutoire. Oui, exactement. Je crache les mots et en fait, ça me fait du plaisir. chaque fois plus de bien de pouvoir écrire tout ça. C'est des choses que je n'ai jamais lues à personne, à part aux femmes qui étaient avec moi dans ces ateliers. Et ça me fait énormément de bien. Et donc, l'année dernière, c'était les 11 ans de sa mort ? Ou 12 ans, je ne sais plus. Et en fait, un mois avant, je me suis rendue compte que j'étais enceinte de mon deuxième fils. Et en fait, mon père s'est suicidé un 12 janvier. Et chaque 12 janvier, je pose ma journée. Et avant, c'était pour, je ne sais pas, peut-être me recueillir. Et puis voilà, laisser libre au cours justement à ma colère. Et l'année dernière, j'ai dit, je pose ma journée. Mais en fait, stop. Donc, je me souviens, on est partis se promener avec Edouard. Donc, on habite dans le sud. On s'est promenés dans la ville. On allait manger, restant. J'ai bu un verre de vin. Et je me suis dit, bah voilà. Là, en fait, j'arrête d'être en colère. Je n'ai plus de colère. Je ne pardonnerai pas. Je ne lui pardonnerai jamais. Et ce n'est pas grave, en fait. Ce n'est pas parce qu'on nous dit qu'il faut pardonner qu'on est obligé de le faire. Moi, je ne le ferai pas. il n'y arriverait pas. Mais par contre, je ne veux plus être en colère après lui. Et je veux juste profiter. Voilà, exactement. Et c'est du coup, à partir de ce moment-là aussi, que j'ai commencé à parler de Papy Laurent à Noé. Et voilà, il sait qu'il est mort. Il ne sait pas comment. Ça, je lui ai dit que c'est trop triste et qu'il le saura plus tard. Mais voilà, du coup, mon père, il a un peu regagné sa place, même s'il n'est pas présent. Mais voilà, je refais une petite place petit à petit dans mes pensées, sans être en colère, sans avoir de rancœur. juste il sait s'il est quelque part il sait qu'il ne sera jamais pardonné mais moi comme tu dis je me laisse le bonheur de pouvoir vivre sans avoir cette espèce de boulet de tristesse qui traîne avec moi

  • Speaker #1

    De ce que tu décris, les deux choses qui ont beaucoup changé les choses, c'est quand tu es allée voir quelqu'un pour te faire accompagner, et quand tu as fait des enfants avec un homme que tu aimes et qui t'aime. Et que ça veut dire que toi, t'as pas reproduit les choses et que t'as mis fin... Pardon, je suis pas psy, mais je te dis comme... Que t'as mis fin au cycle, quoi. Toi, t'as choisi la vie.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Oui, c'est exactement ça. J'y pense. C'est vrai que c'est ça. Et c'est pour ça que je pense que c'était aussi un besoin. D'avoir des enfants, c'était aussi d'avoir ma famille. C'était un besoin aussi de me réparer et de réparer, comme tu dis, ce que je n'ai pas eu étant plus petite. Et je sais que forcément, c'est une famille. Il y a des hauts, il y a des bas, mais on est heureux, on est bien tous les quatre. C'est facile et c'est simple.

Description

Ca Va Bien S'Passer est LE podcast des récits de déflagrations.

J'y ai pensé durant tout l'enregistrement, parce que l'histoire de Mia nous montre d'une déflagration c'est comme un tremblement de sa terre. Il y a l'impact et puis il y a les folles répliques, des semaines, des mois, des années après le fracas.

Bonne écoute!

Sarah



Depuis 2019 Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject

Réalisation G. Carbonneaux



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    tu embrasseras très fort Ludivine qui est une de mes quasi-sœurs tu embrasseras très fort je ne sais plus qui fais attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi rien sur mon frère enfin c'est en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi quand

  • Speaker #1

    dans sa vie on a connu une déflagration on sait qu'on va être confronté à un choix continuer à vivre ou pas Et puis une fois ce plouf-plouf morbide tranché, ils continuent à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air. Et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'avant. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie.

  • Speaker #0

    Qu'ils soient contents,

  • Speaker #1

    drôles, outants, agaçants, secrets ou impudiques, ils ont tous en commun un truc dans le regard et va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la vie vous fasse une blague pour la dévorer. venez, écoutez leurs histoires pleurez, rire installez-vous confortablement et ça va bien se passer bonjour Mia bonjour Sarah Alors, est-ce que tu peux me dire quel âge tu as ? À peu près, on n'est pas... c'est pas la police. Et quelle est ta situation de famille ? Quelle est ta vie ?

  • Speaker #0

    Actuellement, j'ai donc 36 ans, tout récemment. Je suis mariée et j'ai deux enfants, deux petits garçons, Noé et Joseph.

  • Speaker #1

    Ah, c'est beau ça, comme prénom. Tu sais que Joseph, ça me touche particulièrement, mais Noé aussi, c'est très très bon. Est-ce que tu peux me parler un peu de ta vie de jeune femme ? Il y a une quinzaine d'années, quelle était ta vie ?

  • Speaker #0

    Alors, je vivais à Lyon, chez ma mère. J'étais étudiante en master professeur à des écoles. Et j'avais une vie étudiante tout à fait classique, à sortir tous les week-ends, à profiter, à dépenser l'argent du cross. Et puis j'avais un amoureux. Et voilà, tout allait bien.

  • Speaker #1

    Et il était à Lyon aussi,

  • Speaker #0

    lui ? Non, lui, à ce moment-là, il habite à Nice, enfin à Antibes, ce qui fait ses études à Schema, donc à Sofia Antipolis.

  • Speaker #1

    Et un jour, tu es en vacances à Antibes, chez ton amoureux. Oui. Et c'est à quelle occasion ? C'est les vacances d'été ?

  • Speaker #0

    Non, c'est juste après les vacances de Noël. Donc, ce n'est pas des vacances officielles, c'est moi qui suis partie en vacances. Mais voilà, c'est juste après le jour de l'an. Donc, c'est vraiment tout début du mois de janvier.

  • Speaker #1

    Et c'est sympa, il fait doux, c'est un endroit sympa pour être.

  • Speaker #0

    C'est très agréable, on est vraiment face à la mer. Et puis à Antibes, en hiver, ce n'est pas vraiment l'hiver, donc on sort, on est en gilet, on profite. Et puis c'est vrai qu'Edouard a une vie étudiante d'école de commerce, donc c'est très agréable, il y a des soirées tout le temps. On a toujours des choses à faire, on se promène en scooter. C'est un peu la Dolce Vita, mais d'un côté France.

  • Speaker #1

    Et puis tu ressens un coup de fil.

  • Speaker #0

    Oui, je ressens un coup de fil de ma grand-mère, qui cherche à me joindre plusieurs fois. Moi, je suis toute seule chez mon amoureux. Et j'avoue, sur le moment, je n'ai pas trop envie de lui répondre parce que je sais que ma mamie parle beaucoup de son. Donc, je voulais prendre le temps de la rappeler. Et en fait, elle insiste, elle insiste. Donc, je décroche et j'entends sa voix. Et là, je me dis que quelque chose ne va pas parce qu'elle sanglote, elle a peine à articuler. Et elle me dit, Mia, c'est ton père, il a fait une connerie. Et donc là, j'ai un moment de pause et je lui dis, mais c'est-à-dire, qu'est-ce qui se passe ? Et elle me dit, je ne sais pas, j'ai eu Cathy, qui est la femme de mon père.

  • Speaker #1

    Donc, mes parents sont séparés ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents sont séparés, pardon. D'accord.

  • Speaker #1

    Depuis longtemps ?

  • Speaker #0

    Depuis très longtemps, parce que moi, à ce moment, j'ai 24 ans et ils se sont séparés quand j'avais 3 ans.

  • Speaker #1

    D'accord, donc tu n'as plus un couple de plus longtemps.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et elle me dit, je ne sais pas, il a fait une connerie.

  • Speaker #1

    Mais dans ces cas-là, tu penses quoi ? Il a fait un cambriolage ?

  • Speaker #0

    Non, je ne sais même pas ce à quoi je pense, mais je comprends tout de suite, en fait, qu'en fait, il est mort. Mais je ne sais pas pourquoi je pense à ça tout de suite, mais je ne sais pas dans quelles circonstances, mais c'est la première chose à laquelle je pense, puisque tout de suite, je m'effondre, en fait. Mais je pense que le fait d'entendre aussi ma grand-mère en pleurs, ça m'a fait comprendre que ce n'était pas justement un cambriolage. C'était plus grave que ça. à notre sens on va dire et donc elle me dit il faut que tu rentres tout de suite

  • Speaker #1

    Elle sait que tu es à Antibes.

  • Speaker #0

    Elle sait que je suis à Antibes. Parce qu'en fait, oui, j'ai dit que je vivais chez ma mère. En fait, non, je vivais chez ma grand-mère à ce moment-là. Et du coup, elle me dit, il faut que tu rentres tout de suite. Et je dis, d'accord. Et en fait, j'essaye à ce moment-là de... Je comprends et je m'effondre vraiment en sanglots. Je me souviens, je suis dans les toilettes du tout petit studio et je pleure, je pleure. Et en fait, je ne veux pas qu'on m'entende parce que je sais qu'il y a les colocs de mon copain à côté. Mais c'est vraiment des sanglots, je ne pensais pas qu'on pouvait pleurer comme ça.

  • Speaker #1

    Mais en silence ?

  • Speaker #0

    Non, non, en fait, justement, je fais beaucoup de bruit. C'est vraiment des sanglots bruyants et je ne pensais pas qu'on allait être capable de faire autant de bruit.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a des choses, parfois, quand on vit un drame, on fait un arrêt sur image, on se voit faire quelque chose. Et c'est marrant que tu viennes apprendre une nouvelle fracassante. Et ta mémoire retient et tu dis tiens je pensais pas qu'on pouvait pleurer aussi fort et aussi intensément. C'est drôle quand même parfois certaines choses sur lesquelles le cerveau se bloque.

  • Speaker #0

    Surtout que, alors je suis peut-être un peu bizarre, mais ça m'était déjà arrivé d'imaginer une situation où je perds un de mes parents. Et pour moi je m'étais toujours dit qu'à ce moment-là soit je n'aurais pas de réaction ou alors je pleurerais en silence. Et pas du tout.

  • Speaker #1

    Comme quoi, ça ne sert à rien d'avoir peur à l'avance.

  • Speaker #0

    Tu ne sais jamais ce qui va se passer. Et donc, du coup, je raccroche, je pleure beaucoup et je me dis qu'il faut que j'appelle Edouard. Il faut que je prévienne ma mère qui est en Israël pour qu'elle prévienne mon frère qui vit là-bas. Et donc, je regarde mon téléphone et je réalise que je suis à une époque où on a encore un peu cette histoire de forfait et de crédit. Et je n'ai plus du tout de forfait, en fait. Donc, je n'ai plus aucun moyen de joindre qui que ce soit. Donc, je suis toute seule. Mon copain est donc parti voir des amis. Il doit revenir me chercher parce qu'on a une soirée le soir. Et je ne sais pas quoi faire, en fait. Je suis complètement démunie. J'utilise Internet et j'envoie un message à une amie d'enfance qui vit en Israël en lui disant je t'en supplie, appelle ma mère Et du lieu de me rappeler tout de suite, c'est très urgent.

  • Speaker #1

    Sur quoi ? Sur Facebook ?

  • Speaker #0

    Oui, sur Facebook. Et elle ne comprend pas et du coup, elle finit par prévenir ma mère qui m'appelle, donc je lui explique. et donc j'attends en fait j'attends là et je me souviens je suis sur le canapé bleu et je sais plus je sais pas quoi faire je suis complètement démunie et mon copain finit par et c'est pareil en fait j'ai plus d'argent pour prendre un billet de train non plus enfin c'est vraiment et donc mon copain finit par rentrer et il me dit alors on y va et en fait il voit ma tête et il comprend qu'il y a quelque chose de très grave qui s'est passé Je lui explique et je lui dis qu'il faut que je rentre là. Il faut que je rentre à Lyon, je ne sais pas ce qui s'est passé. Il faut que je rentre. Du coup, il me prend le billet de train pour le lendemain matin, parce que le soir, il n'y en avait plus. Et donc je rentre à Lyon le lendemain matin, je suis dans un Wingo avec encore des sièges bleus. Le bleu c'est un peu la couleur, très moche. Et je pleure, je pleure, je pleure, je pleure, cette fois en silence. Je fais des allers-retours dans les toilettes parce que c'est pareil, j'ai pas envie qu'on me voit pleurer. Mais il y a des moments où juste les larmes... Sorte, je pense que j'ai une tête de cadavre. Et donc j'arrive à la gare de Lyon-Pardieu, et donc il y a ma grand-mère qui est venue me chercher avec mon oncle et ma tante qui sont le frère et la sœur de mon père. Et en fait, je tombe dans les bras de mon oncle, que je n'ai pas vu depuis des années. Mais en fait, il a la même voix que mon père. Donc, du coup, c'est très perturbant. Et c'est un peu la figure qui me rattache à lui sur le moment. Donc voilà, on se prend dans les bras et on rentre chez ma grand-mère. Et c'est là que j'essaye de comprendre ce qui vient de se passer. parce que jusque là tu sais pas je sais pas ce qui s'est passé et donc là ma grand-mère m'a dit en fait il s'est suicidé et donc moi je me dis mais comment ça il s'est suicidé et elle m'a dit bah oui oui il s'est suicidé hier matin son corps a été retrouvé par un passant ou quelqu'un qui allait travailler je sais pas parce que mon père habitait en Ardèche dans un tout petit village et donc du coup c'est pas des endroits hyper fréquentés Et donc c'est quelqu'un qui a retrouvé le corps. et du coup là je me dis mais c'est quoi la suite en fait parce que moi j'ai jamais perdu quelqu'un j'ai perdu mes arrière-grands-parents mais quand j'étais toute petite donc je sais pas comment ça se passe et donc on décide de partir en Ardèche voir ma belle-mère et mes frères

  • Speaker #1

    Tes frères ?

  • Speaker #0

    Les frères de mon père et ma belle-mère ont eu deux enfants. D'accord. Et à cette époque, ils ont 16 et 18 ans. Donc on décide de partir pour aller voir tout le monde. Donc on part le jour même de mon arrivée. et je me souviens du en fait non je me souviens pas du trajet c'est très flou et en fait on arrive là-bas dans cette petite maison dans ce tout petit village et j'ai pas l'impression sur le moment qu'on est bienvenue ah oui ? enfin même pas du tout t'avais des relations comment avec ta belle-mère ? compliquées, très complexes c'était vraiment des relations un peu euh euh Elle, je pense que je lui faisais trop penser à ma mère. Et vu que mon père et ma mère se sont connus très jeunes, ils ont eu une histoire d'amour assez courte mais très intense. Je pense que de me voir, ça lui rappelait tout ça. Et elle avait des relations très particulières aussi avec ma grand-mère. Elle lui en a toujours voulu en disant que c'était à cause d'elle, si mon père avait fait ça, parce qu'elle n'avait pas voulu les aider financièrement. Attends,

  • Speaker #1

    on va finir. Parce que quand tu arrives sur place, à quel moment quelqu'un t'explique ce qu'il a fait, comment il s'est tué, où il était ? À quel moment quelqu'un te donne les informations cruciales dont tu as besoin pour comprendre ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, on arrive et peut-être cinq ou dix minutes après, ma belle-mère arrive et me dit viens, je vais t'expliquer ce qui s'est passé Et on est dans la cuisine et en fait, elle me dit de but en blanc ben voilà Il s'est suicidé, il s'est pendu sous le pont du petit village à côté. Et en fait, elle me dit ça, mais avec tellement de colère, ce qui est normal. Mais en fait, je me prends toute sa colère, donc j'ai l'impression que c'est de ma faute. Donc c'est un peu dirigé contre moi, alors que je sais maintenant que non, c'est juste que... quand on vit des choses comme ça, je pense qu'on ne sait pas trop comment gérer ses émotions.

  • Speaker #1

    Mais il n'empêche que tu te prends quand même ça. Oui, exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, moi, je reste sans voix, en fait. Et je lui dis, mais est-ce que tu sais pourquoi ? Et elle me dit, ben oui, voilà. C'était trop dur financièrement, donc c'est pour ça qu'il a laissé un mail où il explique qu'en fait il a fait ça pour que je puisse toucher l'assurance pour payer la maison. et il a laissé des lettres. Il nous a laissé des lettres. On s'est dit, d'accord. Et elle me dit, oui, il a laissé une lettre pour moi et pour tes frères. Et je lui dis, pour mon frère qui s'appelle Simon, qui vit en Israël, et je lui dis, pour Simon et moi. Elle me dit, rien. Elle me dit, mais de toute façon, ça faisait longtemps que vous n'étiez plus là pour lui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des mots très très mal élevés qui me viennent à l'esprit pour commenter, je ne veux pas le faire. Et comment tu réagis à ce moment-là quand elle te dit ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je ne réagis pas tout de suite. En fait, sur le moment, je me dis qu'elle a raison. Parce qu'effectivement, mon père, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. Je me souviens, pour le jour de l'an, il m'a écrit un message et je lui ai répondu assez sèchement parce qu'il ne prenait jamais de nouvelles et que je cherchais à le joindre, à le voir et il n'était jamais disponible. Donc je me dis, oui, en fait, moi, ça fait longtemps que je ne suis plus là et que j'ai fait ma vie et que finalement, je n'ai pas forcément cherché à voir comment lui, il allait. C'est par la suite où la colère va commencer à arriver. Et voilà.

  • Speaker #1

    Donc tu culpabilises.

  • Speaker #0

    Oui, tout de suite, je me dis... Forcément, tout de suite, il y a les et si qui arrivent. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    Pardon mais tu te dis pas, il y avait des lettres pour nous, elles nous les donnent pas ?

  • Speaker #0

    Si, si, si. Il y a encore quelques, peut-être pas quelques mois, mais encore au moins un an ou deux, je me dis, je pensais encore en me disant, il y a une lettre qui va aussi surgir, qui va arriver comme ça. En fait, elle s'était perdue. Mais non. Mais oui, non, non, j'y ai pensé pendant très très longtemps. Moi,

  • Speaker #1

    je n'ai pas imaginé une lettre qui pourrait ressurgir, mais une lettre qu'elle aurait planquée.

  • Speaker #0

    Alors, non, vraiment juste qu'elle s'était perdue ou pendant un temps, je lui disais qu'elle ne voulait pas nous la donner tout de suite ou qu'elle ne l'avait pas trouvée, mais pas qu'elle l'aurait planquée. Je n'espère pas qu'elle ait fait un truc pareil.

  • Speaker #1

    Ça arrivait dans ma famille, c'est pour ça que je pensais à ça.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc, Donc elle te dit ça, et puis vous faites quoi ? Vous dormez chez eux ?

  • Speaker #0

    Non. Pardon,

  • Speaker #1

    mais le corps, il est où là ? Il est à l'hôpital ? Il est à la morgue ?

  • Speaker #0

    Non, il n'y a pas de veillée. Je pense que peut-être qu'il est déjà à la morgue, parce que quand il y a un suicide, il y a une enquête qui est effectuée. Donc du coup, de toute façon... Mon père était athée, donc il n'y avait pas d'histoire de temps de mise en terre.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et donc du coup, ça a pris à peu près, si je me souviens bien, une semaine avant qu'il y ait la crémation. Oui, c'est très long. Oui.

  • Speaker #1

    Et tu savais qu'il voulait aller à une crémation ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, dans mon souvenir, il voulait être enterré dans un cercueil. Tu sais, biodégradable.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et en fait, je crois que c'était trop cher. Et si je me souviens bien, dans le mail, il précise qu'il ne veut pas d'enterrement, il ne veut pas de fleurs et il ne veut pas de cercueil. Il veut juste que son corps soit brûlé, en fait. Enfin, ainsi de suite. D'accord.

  • Speaker #1

    Mais tu as l'impression que c'est pour des raisons économiques ?

  • Speaker #0

    Euh... Non, pas spécialement. Je pense qu'il n'a jamais vraiment été attaché à tout ce qui est matériel et tout ce qui est son corps. Pendant un temps, il voulait donner son corps à la science, par exemple. Du coup, on rentre le jour même parce que l'ambiance est vraiment très particulière.

  • Speaker #1

    Vous ne vous sentez pas les bienvenus ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout.

  • Speaker #1

    Est-ce que sur le moment tu te dis, tu lui demandes est-ce que je peux prendre un t-shirt à lui, est-ce que je peux prendre un...

  • Speaker #0

    Non, j'y pense... Si j'y pense, mais en fait, je n'ose pas. C'est pour ça que je te disais que j'ai une relation très particulière. Ma belle-mère, c'est... J'ai... Enfin, maintenant, ça va mieux, mais j'ai toujours eu très peur d'elle et en même temps, toujours eu envie qu'elle m'aime très fort.

  • Speaker #1

    Ça s'entend. Les deux s'entendent. Parce que quand elle me fait peur, c'est déjà une distance.

  • Speaker #0

    Donc, du coup, j'ai pas osé. C'est Après l'incinération...

  • Speaker #1

    Donc vous repartez à Lyon et vous revenez pour l'incinération ?

  • Speaker #0

    C'est ça, on revient pour l'incinération. Et là, c'est pareil, c'est vraiment une ambiance... En fait, on sent qu'il y a deux côtés de la famille. Il y a le côté de mon père, sa vie d'avant. Donc il y a ma grand-mère, mon oncle, ma tante, mon frère et moi. Et de l'autre, il y a mon père et sa vie d'après. Donc mes frères, ma belle-mère et ses filles. Et... Il y a je ne sais pas combien d'amis de mes frères qui sont là aussi.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as des relations avec tes demi-frères et avec sa nouvelle famille ?

  • Speaker #0

    Oui, avec mes demi-frères, on s'entend très bien. Ça se passe très très bien. Avec mes quasi-sœurs. Il y en a une avec qui c'est un peu compliqué, mais parce qu'on a le même âge et qu'on a eu l'adolescence en même temps, donc forcément... donc c'est un peu compliqué mais oui on a quand même des relations c'est ça et donc voilà c'est vraiment cette espèce de séparation qui n'est pas forcément visible mais qui se sent qui se sent vraiment et je pense que en fait comme je disais tout à l'heure mon père a laissé un mail et dans ce mail que moi pour le coup j'ai demandé à ma belle-mère de me l'envoyer Il explique dedans. Donc, il a fait ça pour qu'elle puisse payer la maison. Il dit à un de mes frères qu'il faut qu'il termine ses études parce qu'il est en hôtellerie-restauration. À l'autre, pareil, qu'il faut qu'il termine, il fait un CAP pour être chauffeur routier. Donc, il doit terminer aussi. Il dit, embrasse... Enfin, tu embrasseras très fort Ludivine, qui est une de mes quasi-sœurs. Tu embrasseras... très fort je sais plus qui fait attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi, rien sur mon frère en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi et donc du coup je pense que la lecture de ce mail a aussi un peu repensé l'équilibre entre guillemets et c'est pour ça qu'il y avait cette séparation

  • Speaker #1

    entre ta mère est venue

  • Speaker #0

    Non, non, non, non. Je crois que ça finit sans plus, Gilles. Elle finit, je pense que ma mère et ma belle-mère se détestent. Donc non, ma mère n'est pas venue. Et voilà, donc du coup, il y a eu l'incinération. avec le choix de musique effectuée par ma belle-mère, mais qui représentait tout à fait mon père. Donc pas de soucis là-dessus. Et puis une fois terminé, chacun est reparti. Il n'y a pas eu de moment américain où on se retrouve. On est tous repartis chacun de notre côté.

  • Speaker #1

    Ton copain, à ce moment-là, il est présent ?

  • Speaker #0

    Il est là. Il est venu avec moi. Je lui ai demandé de venir. Après coup, je me dis que c'était peut-être pas une bonne idée parce que c'est le seul moment où il a rencontré mon père, finalement. Mais il est venu. Il est venu pour moi. Il connaissait aussi bien ma grand-mère. Je pense que pour elle, ça lui a fait du bien aussi. Il est venu. Il n'est pas venu voir le corps, quand même. Mais il était là.

  • Speaker #1

    T'es allée le voir, toi, le corps ?

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    T'as pas voulu t'épargner cette vision ?

  • Speaker #0

    Non, je pense que j'en avais besoin pour me dire que c'était vraiment arrivé. Et puis je pense que, même si c'était mon père, il y a peut-être un peu de curiosité morbide. Tu crois ? Ouais, je pense, peut-être. De voir, de réaliser et de voir aussi. Et je me souviens, je rentre dans la pièce dédiée. C'est très sombre, il fait froid. C'est normal en même temps pour conserver. Et donc je m'approche et je vois qu'il a un pull col roulé. Et je me dis, je vais l'embrasser en fait. Parce que pour lui dire au revoir. Et puis je me dis aussi, c'est un peu comme ça qu'on fait normalement. Et en fait, je pose mes lèvres sur son front. Et c'est là où je réalise qu'il est vraiment parti. Parce que... C'est une enveloppe, il n'y a plus rien dedans. On sent vraiment que la vie est partie. Et ça m'a permis de réaliser, mais ça m'a beaucoup traumatisé aussi. Je n'aurais peut-être pas dû le faire. Et après, je suis sortie. Et voilà.

  • Speaker #1

    Tu es quelle âge à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    J'ai 24 ans.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu n'es plus un bébé, mais tu n'es pas une grande personne encore. Non,

  • Speaker #0

    pas tout à fait.

  • Speaker #1

    Et donc, ta vie doit reprendre, tu dois retourner à la fac.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Et tu arrives à le faire ?

  • Speaker #0

    Non, j'écris assez rapidement. J'avais un très bon groupe de copines. Je leur explique très rapidement la situation, alors je ne vais pas revenir tout de suite. J'écris pareil à mes professeurs. Et en fait, je pars pendant une semaine chez ma meilleure amie qui vit à Toulouse, qui me dit, viens à la maison et comme ça, on prend du temps ensemble pour te sortir de cette ambiance complètement morbide. Donc, je passe une semaine... Une semaine à Toulouse, qui me fait beaucoup de bien. Et du coup, pendant cette semaine, je me souviens, je fais un rêve où il y a mon père qui vient me voir et qui me dit Je ne peux pas te parler, je suis très pressée, mais sache que je t'aime et tout va bien. Et voilà. Depuis, je n'ai pas vraiment eu d'autres signes trop bons, mais je me suis beaucoup raccrochée à ça en me disant que peut-être que c'était vrai, peut-être que c'était en imaginaire complet, mais... et que c'est mon inconscient qui a voulu me rassurer et me relever. Mais je me suis dit que ça m'a fait du bien. Que peut-être c'était vraiment lui et que ça m'a permis d'avancer un tout petit peu. Et donc voilà, du coup, je finis par retourner à la fac, reprendre ma vie. Je vis toujours chez ma grand-mère. Donc on essaye de se soutenir l'une comme l'autre, comme on peut. On regarde le bachelor tous les soirs. parce que ça nous fait du bien et ça nous fait rire c'est votre mien de regarder ça avec sa grand-mère c'est très très sympa et du coup voilà le quotidien qui reprend et à la fin de cette année là c'était en 2013 donc il y a mon amoureux qui part et qui doit partir tout début, fin 2013, début 2014. Donc ça fait un an que mon père est mort. Il doit partir pendant six mois faire un échange en Chine. Et donc là, j'avais réussi à tenir jusque là, mais là c'est très très dur pour moi. Je pars de chez ma grand-mère, je retourne chez ma mère, qui entre-temps est partie vivre à Nice. Donc en fait, on a juste l'appartement avec mon frère Simon. Et donc je reste là-bas et je suis vraiment très très mal, je vais plus du tout en cours, j'arrête totalement. Je passe des heures dans ma chambre. Des heures à écrire à Edouard qui, de toute façon, est sur un autre fuseau horaire. Donc, on voit les messages beaucoup plus tard. C'est vraiment une période assez particulière. Je ne mange pratiquement plus ou alors je me fais des fringales et je vais vomir. Enfin, bref, un grand classique. En fait, j'essaye de faire sortir la douleur comme je peux.

  • Speaker #1

    Donc, tu te fais vomir ?

  • Speaker #0

    Oui. Soit je ne vais pas du tout manger, ou alors je vais beaucoup, beaucoup manger. Et en fait, de me faire vomir, j'ai l'impression que ça me soulage. Ça te libère ? Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Tu penses que tu fais une dépression à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je ne pense pas à ça, non. Je me dis que c'est juste... En fait, je n'y pense pas. Je suis tellement mal que je ne me laisse pas aller, mais je...

  • Speaker #1

    Tu tombes un peu là de ce que tu décris.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Sans me dire que je fais une dépression, je ne pose pas les mots là-dessus. Je laisse la douleur reprendre le pas complètement. Et donc, moi, mon seul but à ce moment-là, c'est que je pars rejoindre Edouard à Shanghai et qu'on va faire un voyage d'un mois et demi. autour un peu de la Chine et du Vietnam. Et voilà, c'est mon point. Je me dis, je travaille pour ça. C'est pour payer mes billets et profiter pendant un mois et demi. Et donc, je pars.

  • Speaker #1

    Attends, attends, avant de partir, tu vas voir quelqu'un pour parler de ça ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout. Je ne vais voir personne parce que... Parce que je me dis que ça ne sert à rien. Et il faut savoir que je suis très pétrie des idées de mon père et de ma belle-mère. Et pour eux, on ne va pas avoir des gens pour parler. En fait, on se soigne tout seul. La vie est dure et puis c'est tout. C'est comme ça. Donc, je ne veux voir personne. Et donc, je pars et j'arrive à Shanghai. Et moi, je rêvais d'aller en Chine depuis toute petite. Et donc c'est un rêve qui se réalise d'aller dans ce pays, je voulais parler chinois, visiter la muraille de Chine, la cité impériale. Et en fait j'arrive et peut-être deux, trois jours après mon arrivée, je commence à faire des crises de panique. Mais vraiment, moi je n'ai jamais fait ça de ma vie, je ne sais pas ce que c'est. Donc c'est vraiment très très violent, en fait mon corps se tétanise complètement. Et je me mets à trembler, j'arrive plus à respirer. Et ça... Ça prend 10, 15, 20 minutes avant que je réussisse à me calmer. Et en fait, on voyage et je suis dans un état complètement second. Je vois les paysages qui défilent. En fait, je suis là sans être là. J'ai l'impression d'être complètement dissociée. Et d'ailleurs je me souviens un moment, je suis sur une plage au Vietnam, et c'est l'endroit paradisinaire, et je suis face à la mer, et je me dis mais en fait c'est trop, c'est trop d'informations, c'est trop de choses qui arrivent à mon cerveau, j'arrive pas à réaliser ce qui se passe. Et en fait je me souviens, je mets mes mains devant moi et je regarde les mains. Je me dis mais c'est pas mes mains en fait. C'est vraiment les mains de... C'est pas à moi. Donc du coup, je suis là et...

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que tu crois que t'as un...

  • Speaker #0

    J'ai l'impression d'avoir un épisode de dépersonnalisation. Genre d'être... devenir folle, en fait. C'est juste ça.

  • Speaker #1

    Et Edouard, il gère ça comment ? Il voit ça ?

  • Speaker #0

    Il ne voit pas. Il ne voit pas parce que j'arrive très bien, en revanche, à donner le change. C'est-à-dire que quand c'est beau, je suis là, waouh, c'est beau. Quand on voyage, je... Voilà, je fais tout en fait pour qu'il ne voit rien et je m'évade moi dans ma tête en étant tout le temps sur mon téléphone les moments où je suis toute seule. C'est-à-dire que je me souviens, j'ai téléchargé tous les... J'ai téléchargé... Game of Thrones. Je ne me souviens plus du titre en français. Donc, je l'ai lu en français. Et j'ai lu tous les livres pendant le voyage, le soir, parce que ça me permettait de ne pas réfléchir. Je pensais juste à l'histoire.

  • Speaker #1

    Moi, c'était Twitter. Je faisais la vie des autres.

  • Speaker #0

    C'est très bien.

  • Speaker #1

    Les amoureux, je me noyais là-dedans. Exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, on rentre en France. Et donc, je m'étais dit peut-être que... Parce que je sais qu'il y a... Par exemple, quand certaines personnes d'origine chinoise ou japonaise arrivent en France, elles ont toujours eu cette espèce de fantasme sur la France. Et elles font des moments de dépersonnalisation. C'est le syndrome de Stendhal, ça s'appelle. Parce qu'elles trouvent ça vraiment trop beau. Et moi, je me dis, peut-être que c'est ça que j'ai vécu.

  • Speaker #1

    Trop beau ou trop loin de ce qu'elles imaginaient ? Aussi,

  • Speaker #0

    aussi, ouais. Et je me dis, c'est peut-être ça que j'ai vécu. Et je me dis, une fois rentrée en France, ça va aller mieux. Et pas du tout. C'est encore pire en fait. Du coup je rentre chez ma grand-mère et je me souviens, je ne sais pas ce que fait ma grand-mère. Je pense qu'elle est là mais je ne me souviens même plus si elle est là ou si elle n'est pas là. Et moi je passe peut-être trois semaines, un mois dans le noir, je ferme les volets et je regarde la télé. Je m'assomme avec la télé. Je regarde tout ce qui passe. Je ne regarde pas les infos, je ne regarde que des trucs... Voilà, les trucs les plus nuls possibles, je vais les regarder.

  • Speaker #1

    Oui, mais les trucs nuls, en fait, ils ne font pas de peine. Oui, c'est ça,

  • Speaker #0

    exactement. Et toi, tu poses le cerveau et c'est très bien. Et voilà. Et en fait, on a pris la décision avec Edouard de s'installer à Paris. Et donc on rentre en juillet et en août, on va pour chercher un appartement. On trouve un appartement très mignon. dans le 18ème, le premier cocon. Et moi je me dis, je ne vais pas pouvoir rester là en fait. Je ne vais pas pouvoir rester avec lui, je ne peux pas en fait. Je commence à paniquer de cette vie qui s'installe et qui commence à être une routine un peu classique, on va dire, l'appartement avec le copain, et puis après ça va être les fiançailles, le mariage, le bébé. Et moi je panique complètement. Et donc là, c'est pareil, je vais être dans le même état qu'en Chine, où je vais faire beaucoup de crises de panique. En fait, cette fois, je les sens arriver. Donc dès que j'en sens une arriver, je m'éloigne. Je ne veux pas qu'Edouard soit là. En fait, je veux la gérer toute seule. J'ai l'impression d'avoir un voile dans le visage tout le temps. Je vais au travail, je travaille dans une boulangerie. Je veux vraiment pardon pour les clients parce que je pense que j'ai des moments vraiment très désagréables. Et voilà, ma vie passe comme ça, je la regarde sans faire vraiment attention. Et puis cette année se passe et l'année suivante, Edouard doit faire sa dernière année dans son école. Donc je prends un autre appartement, un petit studio, toute seule. Et là, ça va être le pire du pire. Dès que je ne vais pas au travail, le soir je rentre chez moi et je prends des omnifères. Le week-end c'est pareil, quand Edouard ne vient pas, c'est pour faire passer le temps. Pour que ça passe plus vite. vite, et pour ne pas penser encore une fois. Je continue les crises de panique, sauf que maintenant, ça se déclenche vraiment pour tout et pour rien. Je me souviens du mariage du frère d'Edouard où on me demande juste si ça va à l'entrée de l'église et en fait, j'explose ensemble. Et c'est vraiment, voilà, rien ne me fait partir. Et donc, à la fin de cette année-là,

  • Speaker #1

    Tu continues à avoir des troubles alimentaires ? Oui.

  • Speaker #0

    Parce qu'ils veulent, d'accord. Exactement. Et donc, à la fin de cette année-là, Edouard revient à Paris. On s'installe à nouveau ensemble. Et donc moi, c'est moi qui commence à dire, ça fait longtemps qu'on est ensemble, j'ai envie qu'on se marie, j'ai envie qu'on fonde une famille. Pour moi, c'était ma famille, la mienne côté parents a volé en éclats, donc je veux construire la mienne. Et il me dit, mais Mia, comment tu veux qu'on se marie et qu'on ait des enfants, vu ton état en fait ? Donc là, en fait, ce qu'il faut que tu fasses, c'est que toi, déjà tu te soignes et tu te reconstruises, et après, peut-être que... Et sur le moment, je ne veux pas l'entendre, mais ça va très bien, c'est bon, c'était il y a 3-4 ans, je ne sais même plus. Et il me dit, non, non, mais là, c'est non en fait.

  • Speaker #1

    Tu crois que tu lui as caché des trucs ou en fait il a...

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, complètement. C'est clair. Et donc je finis par me reprendre en main en fait parce que je me dis je veux tellement ça que ok je vais le faire alors si c'est que ça qu'il faut faire. Et donc je vais trouver une psychologue. sur Paris, qui va me voir pendant un an toutes les semaines et qui va me dire que tout simplement j'ai subi un choc, je suis en choc post-traumatique du fait que la nouvelle a été trop violente, apprise d'une façon quand même particulière et du coup qu'il faut que j'apprenne à vivre avec, mais qu'il faut que je travaille et que... Et pas que je fasse le deuil, mais que j'en parle pour pouvoir avancer. Et donc, pendant un an, on va parler de ça et puis de plein d'autres choses. Et ça va beaucoup, beaucoup m'aider. Et donc, du coup, je vais commencer à aller de mieux en mieux. Je vais faire beaucoup moins de crises de panique. Je vais recommencer à bien manger. Un peu trop. Et en fait, là, après, à partir de ce moment-là, va se dérouler la vie. qui est quand même plus simple, où je me sens de mieux en mieux dans mon corps, où je profite de la vie parisienne. J'ai un travail qui ne me plaît pas forcément, mais j'ai des super collègues, on est amis en dehors du travail. La vie est sympa.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que la vie redevient un peu sereine et c'est comme si le voile partait.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Et de toute façon, j'avais fait un pacte. avec Dieu toi t'es religieuse ? moi je suis de confession juive et t'es croyante ? croyante, pratiquante un peu et du coup j'ai fait un pacte en disant là tu me fous la paix pendant 10 ans c'est horrible parce que ça fait une épée de damoclèche là du coup ça fait 11 ou 12 ans donc ça a l'air d'aller et pardon mais tu fais vraiment un pack dans ta tête dans ma tête où il faut savoir que avant ça moi j'étais pour le coup j'étais pratiquante J'étais vraiment très pratiquante. Ensuite, j'ai rencontré Edouard, qui n'est pas juif. J'ai un peu dévié. Même, je me souviens, au début, j'étais là, je ne peux pas me mettre avec lui parce qu'il n'est pas juif. On s'est quand même mis ensemble parce que l'amour est plus fort que tout. À partir du moment où je mangeais cachère, je mettais encore des jupes assez longues. J'ai gardé tout ça quand même.

  • Speaker #1

    Je viens d'apprendre l'expression t'snewt Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. J'adore.

  • Speaker #1

    Pour ça, ça veut dire que c'est les femmes juives qui respectent une certaine façon de s'habiller pudique.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et du coup...

  • Speaker #1

    Et là, t'as arrêté quand t'as commencé à sortir avec lui ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai continué. Ah d'accord. J'ai quand même continué. Alors, peut-être pas les vêtements, mais en tout cas, je continuais à... À manger le plus cachère possible, je faisais Shabbat, les fêtes. Et puis quand mon père est mort, j'ai dit non. Non. En fait, c'est bon. Parce que, enfin, pourquoi en fait ?

  • Speaker #1

    Si Dieu existe et qu'il a laissé pour ça,

  • Speaker #0

    c'est qu'il mérite pas ses efforts. Exactement. Et puis, voilà, après je... J'ai moi personnellement d'autres choses qui se sont passées avant dans ma vie qui n'étaient vraiment pas cool. Et je me dis mais ça, ça y est, il y a un moment, on ne peut pas, on s'acharne. C'est toujours les mêmes personnes en fait, on a l'impression. Et donc j'ai dit stop, c'est bon, moi j'arrête tout. Je m'habille comme je veux, je mange ce que je veux, ça y est. Et je lui ai dit on reverra dans dix ans, mais là, tu me fous la paix. Et donc voilà, du coup, cette psychothérapie se passe, enfin cette thérapie se passe.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Donc elle doit finir par me demander en mariage. On se marie et c'est génial. Et voilà, moi il n'y a pas un jour qui passe sans que je pense à mon père. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je sois en colère après lui, en me disant, mais pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? Parce qu'on peut me dire que c'est l'argent, mais moi j'y crois moyennement, puisque j'ai appris quelques semaines après son décès qu'il avait retrouvé du travail et qu'il allait signer un nouveau CDI. Enfin, voilà.

  • Speaker #1

    Et tu dis qu'il y a toujours une partie de rationnel et puis il y a des choses, parfois une maladie mentale elle se voit pas et se t'aime pas

  • Speaker #0

    C'est ça, je pense qu'il a toujours été Il a peut-être toujours été dépressif. Comme on disait, c'est une personne qui ne voulait pas se soigner dans tous les cas. Il ne serait jamais allé voir quelqu'un pour parler de quoi que ce soit. C'est ma mère qui m'a raconté quelques années après, quand ils étaient ensemble, ils avaient entre 16 et 18 ans, il lui avait dit, de toute façon, moi, je n'attendrai pas les 50 ans. Et il s'est suicidé à 42 ans. Donc voilà, il y avait quand même un terrain. Et donc du coup, moi, je vis ma vie, mais je suis quand même très, très en colère après lui. Je me pose des questions, je l'insulte dans ma tête, très clairement. Je n'arrive pas à passer... outre ce qu'il a fait, je n'arrive pas à me dire pourquoi il ne nous a pas laissé un mot, juste une attention, une pensée. Je ne comprends pas et je ne comprendrai jamais de toute façon. Du coup, cette colère sourde qui continue, même si moi ça va mieux, je n'arrive pas à passer à autre chose par rapport à ça. Et puis, je tombe enceinte de Noé, qui est le premier petit garçon. Et... Et là, en fait, je deviens maman. Et c'est trop beau. Et d'un côté, je me dis, mais regarde ce que t'as raté. Tu seras jamais grand-père, en fait. Et tu rencontreras jamais ton petit-fils. Et moi, Noé, je vais commencer à lui parler de mon père, il y a... Un an.

  • Speaker #1

    Il a quel âge ?

  • Speaker #0

    Il a 4 ans. Ok. Et j'ai commencé à lui parler il y a un an. Avant, je ne parlais même pas de lui. En fait, c'est Edouard qui parlait de temps en temps de lui. Moi, je ne voulais pas, en fait. Je ne dis même pas que je ne voulais pas. C'est que je n'y pensais pas. Je ne me disais pas, de toute façon, toi, tu as fait ça. Pourquoi tu aurais une place, finalement ? Et en fait... toujours cette colère et je vais découvrir à la naissance de Noé, je vais découvrir un compte sur Instagram d'une femme qui propose des ateliers d'écriture. Et donc je vais suivre ses ateliers, je vais écrire beaucoup sur mon père, beaucoup sur d'autres sujets, mais beaucoup sur mon père, je vais écrire toute la colère que j'ai. Mais vraiment, je crache les mots. C'est un exutoire. Oui, exactement. Je crache les mots et en fait, ça me fait du plaisir. chaque fois plus de bien de pouvoir écrire tout ça. C'est des choses que je n'ai jamais lues à personne, à part aux femmes qui étaient avec moi dans ces ateliers. Et ça me fait énormément de bien. Et donc, l'année dernière, c'était les 11 ans de sa mort ? Ou 12 ans, je ne sais plus. Et en fait, un mois avant, je me suis rendue compte que j'étais enceinte de mon deuxième fils. Et en fait, mon père s'est suicidé un 12 janvier. Et chaque 12 janvier, je pose ma journée. Et avant, c'était pour, je ne sais pas, peut-être me recueillir. Et puis voilà, laisser libre au cours justement à ma colère. Et l'année dernière, j'ai dit, je pose ma journée. Mais en fait, stop. Donc, je me souviens, on est partis se promener avec Edouard. Donc, on habite dans le sud. On s'est promenés dans la ville. On allait manger, restant. J'ai bu un verre de vin. Et je me suis dit, bah voilà. Là, en fait, j'arrête d'être en colère. Je n'ai plus de colère. Je ne pardonnerai pas. Je ne lui pardonnerai jamais. Et ce n'est pas grave, en fait. Ce n'est pas parce qu'on nous dit qu'il faut pardonner qu'on est obligé de le faire. Moi, je ne le ferai pas. il n'y arriverait pas. Mais par contre, je ne veux plus être en colère après lui. Et je veux juste profiter. Voilà, exactement. Et c'est du coup, à partir de ce moment-là aussi, que j'ai commencé à parler de Papy Laurent à Noé. Et voilà, il sait qu'il est mort. Il ne sait pas comment. Ça, je lui ai dit que c'est trop triste et qu'il le saura plus tard. Mais voilà, du coup, mon père, il a un peu regagné sa place, même s'il n'est pas présent. Mais voilà, je refais une petite place petit à petit dans mes pensées, sans être en colère, sans avoir de rancœur. juste il sait s'il est quelque part il sait qu'il ne sera jamais pardonné mais moi comme tu dis je me laisse le bonheur de pouvoir vivre sans avoir cette espèce de boulet de tristesse qui traîne avec moi

  • Speaker #1

    De ce que tu décris, les deux choses qui ont beaucoup changé les choses, c'est quand tu es allée voir quelqu'un pour te faire accompagner, et quand tu as fait des enfants avec un homme que tu aimes et qui t'aime. Et que ça veut dire que toi, t'as pas reproduit les choses et que t'as mis fin... Pardon, je suis pas psy, mais je te dis comme... Que t'as mis fin au cycle, quoi. Toi, t'as choisi la vie.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Oui, c'est exactement ça. J'y pense. C'est vrai que c'est ça. Et c'est pour ça que je pense que c'était aussi un besoin. D'avoir des enfants, c'était aussi d'avoir ma famille. C'était un besoin aussi de me réparer et de réparer, comme tu dis, ce que je n'ai pas eu étant plus petite. Et je sais que forcément, c'est une famille. Il y a des hauts, il y a des bas, mais on est heureux, on est bien tous les quatre. C'est facile et c'est simple.

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Description

Ca Va Bien S'Passer est LE podcast des récits de déflagrations.

J'y ai pensé durant tout l'enregistrement, parce que l'histoire de Mia nous montre d'une déflagration c'est comme un tremblement de sa terre. Il y a l'impact et puis il y a les folles répliques, des semaines, des mois, des années après le fracas.

Bonne écoute!

Sarah



Depuis 2019 Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject

Réalisation G. Carbonneaux



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    tu embrasseras très fort Ludivine qui est une de mes quasi-sœurs tu embrasseras très fort je ne sais plus qui fais attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi rien sur mon frère enfin c'est en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi quand

  • Speaker #1

    dans sa vie on a connu une déflagration on sait qu'on va être confronté à un choix continuer à vivre ou pas Et puis une fois ce plouf-plouf morbide tranché, ils continuent à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air. Et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'avant. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie.

  • Speaker #0

    Qu'ils soient contents,

  • Speaker #1

    drôles, outants, agaçants, secrets ou impudiques, ils ont tous en commun un truc dans le regard et va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la vie vous fasse une blague pour la dévorer. venez, écoutez leurs histoires pleurez, rire installez-vous confortablement et ça va bien se passer bonjour Mia bonjour Sarah Alors, est-ce que tu peux me dire quel âge tu as ? À peu près, on n'est pas... c'est pas la police. Et quelle est ta situation de famille ? Quelle est ta vie ?

  • Speaker #0

    Actuellement, j'ai donc 36 ans, tout récemment. Je suis mariée et j'ai deux enfants, deux petits garçons, Noé et Joseph.

  • Speaker #1

    Ah, c'est beau ça, comme prénom. Tu sais que Joseph, ça me touche particulièrement, mais Noé aussi, c'est très très bon. Est-ce que tu peux me parler un peu de ta vie de jeune femme ? Il y a une quinzaine d'années, quelle était ta vie ?

  • Speaker #0

    Alors, je vivais à Lyon, chez ma mère. J'étais étudiante en master professeur à des écoles. Et j'avais une vie étudiante tout à fait classique, à sortir tous les week-ends, à profiter, à dépenser l'argent du cross. Et puis j'avais un amoureux. Et voilà, tout allait bien.

  • Speaker #1

    Et il était à Lyon aussi,

  • Speaker #0

    lui ? Non, lui, à ce moment-là, il habite à Nice, enfin à Antibes, ce qui fait ses études à Schema, donc à Sofia Antipolis.

  • Speaker #1

    Et un jour, tu es en vacances à Antibes, chez ton amoureux. Oui. Et c'est à quelle occasion ? C'est les vacances d'été ?

  • Speaker #0

    Non, c'est juste après les vacances de Noël. Donc, ce n'est pas des vacances officielles, c'est moi qui suis partie en vacances. Mais voilà, c'est juste après le jour de l'an. Donc, c'est vraiment tout début du mois de janvier.

  • Speaker #1

    Et c'est sympa, il fait doux, c'est un endroit sympa pour être.

  • Speaker #0

    C'est très agréable, on est vraiment face à la mer. Et puis à Antibes, en hiver, ce n'est pas vraiment l'hiver, donc on sort, on est en gilet, on profite. Et puis c'est vrai qu'Edouard a une vie étudiante d'école de commerce, donc c'est très agréable, il y a des soirées tout le temps. On a toujours des choses à faire, on se promène en scooter. C'est un peu la Dolce Vita, mais d'un côté France.

  • Speaker #1

    Et puis tu ressens un coup de fil.

  • Speaker #0

    Oui, je ressens un coup de fil de ma grand-mère, qui cherche à me joindre plusieurs fois. Moi, je suis toute seule chez mon amoureux. Et j'avoue, sur le moment, je n'ai pas trop envie de lui répondre parce que je sais que ma mamie parle beaucoup de son. Donc, je voulais prendre le temps de la rappeler. Et en fait, elle insiste, elle insiste. Donc, je décroche et j'entends sa voix. Et là, je me dis que quelque chose ne va pas parce qu'elle sanglote, elle a peine à articuler. Et elle me dit, Mia, c'est ton père, il a fait une connerie. Et donc là, j'ai un moment de pause et je lui dis, mais c'est-à-dire, qu'est-ce qui se passe ? Et elle me dit, je ne sais pas, j'ai eu Cathy, qui est la femme de mon père.

  • Speaker #1

    Donc, mes parents sont séparés ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents sont séparés, pardon. D'accord.

  • Speaker #1

    Depuis longtemps ?

  • Speaker #0

    Depuis très longtemps, parce que moi, à ce moment, j'ai 24 ans et ils se sont séparés quand j'avais 3 ans.

  • Speaker #1

    D'accord, donc tu n'as plus un couple de plus longtemps.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et elle me dit, je ne sais pas, il a fait une connerie.

  • Speaker #1

    Mais dans ces cas-là, tu penses quoi ? Il a fait un cambriolage ?

  • Speaker #0

    Non, je ne sais même pas ce à quoi je pense, mais je comprends tout de suite, en fait, qu'en fait, il est mort. Mais je ne sais pas pourquoi je pense à ça tout de suite, mais je ne sais pas dans quelles circonstances, mais c'est la première chose à laquelle je pense, puisque tout de suite, je m'effondre, en fait. Mais je pense que le fait d'entendre aussi ma grand-mère en pleurs, ça m'a fait comprendre que ce n'était pas justement un cambriolage. C'était plus grave que ça. à notre sens on va dire et donc elle me dit il faut que tu rentres tout de suite

  • Speaker #1

    Elle sait que tu es à Antibes.

  • Speaker #0

    Elle sait que je suis à Antibes. Parce qu'en fait, oui, j'ai dit que je vivais chez ma mère. En fait, non, je vivais chez ma grand-mère à ce moment-là. Et du coup, elle me dit, il faut que tu rentres tout de suite. Et je dis, d'accord. Et en fait, j'essaye à ce moment-là de... Je comprends et je m'effondre vraiment en sanglots. Je me souviens, je suis dans les toilettes du tout petit studio et je pleure, je pleure. Et en fait, je ne veux pas qu'on m'entende parce que je sais qu'il y a les colocs de mon copain à côté. Mais c'est vraiment des sanglots, je ne pensais pas qu'on pouvait pleurer comme ça.

  • Speaker #1

    Mais en silence ?

  • Speaker #0

    Non, non, en fait, justement, je fais beaucoup de bruit. C'est vraiment des sanglots bruyants et je ne pensais pas qu'on allait être capable de faire autant de bruit.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a des choses, parfois, quand on vit un drame, on fait un arrêt sur image, on se voit faire quelque chose. Et c'est marrant que tu viennes apprendre une nouvelle fracassante. Et ta mémoire retient et tu dis tiens je pensais pas qu'on pouvait pleurer aussi fort et aussi intensément. C'est drôle quand même parfois certaines choses sur lesquelles le cerveau se bloque.

  • Speaker #0

    Surtout que, alors je suis peut-être un peu bizarre, mais ça m'était déjà arrivé d'imaginer une situation où je perds un de mes parents. Et pour moi je m'étais toujours dit qu'à ce moment-là soit je n'aurais pas de réaction ou alors je pleurerais en silence. Et pas du tout.

  • Speaker #1

    Comme quoi, ça ne sert à rien d'avoir peur à l'avance.

  • Speaker #0

    Tu ne sais jamais ce qui va se passer. Et donc, du coup, je raccroche, je pleure beaucoup et je me dis qu'il faut que j'appelle Edouard. Il faut que je prévienne ma mère qui est en Israël pour qu'elle prévienne mon frère qui vit là-bas. Et donc, je regarde mon téléphone et je réalise que je suis à une époque où on a encore un peu cette histoire de forfait et de crédit. Et je n'ai plus du tout de forfait, en fait. Donc, je n'ai plus aucun moyen de joindre qui que ce soit. Donc, je suis toute seule. Mon copain est donc parti voir des amis. Il doit revenir me chercher parce qu'on a une soirée le soir. Et je ne sais pas quoi faire, en fait. Je suis complètement démunie. J'utilise Internet et j'envoie un message à une amie d'enfance qui vit en Israël en lui disant je t'en supplie, appelle ma mère Et du lieu de me rappeler tout de suite, c'est très urgent.

  • Speaker #1

    Sur quoi ? Sur Facebook ?

  • Speaker #0

    Oui, sur Facebook. Et elle ne comprend pas et du coup, elle finit par prévenir ma mère qui m'appelle, donc je lui explique. et donc j'attends en fait j'attends là et je me souviens je suis sur le canapé bleu et je sais plus je sais pas quoi faire je suis complètement démunie et mon copain finit par et c'est pareil en fait j'ai plus d'argent pour prendre un billet de train non plus enfin c'est vraiment et donc mon copain finit par rentrer et il me dit alors on y va et en fait il voit ma tête et il comprend qu'il y a quelque chose de très grave qui s'est passé Je lui explique et je lui dis qu'il faut que je rentre là. Il faut que je rentre à Lyon, je ne sais pas ce qui s'est passé. Il faut que je rentre. Du coup, il me prend le billet de train pour le lendemain matin, parce que le soir, il n'y en avait plus. Et donc je rentre à Lyon le lendemain matin, je suis dans un Wingo avec encore des sièges bleus. Le bleu c'est un peu la couleur, très moche. Et je pleure, je pleure, je pleure, je pleure, cette fois en silence. Je fais des allers-retours dans les toilettes parce que c'est pareil, j'ai pas envie qu'on me voit pleurer. Mais il y a des moments où juste les larmes... Sorte, je pense que j'ai une tête de cadavre. Et donc j'arrive à la gare de Lyon-Pardieu, et donc il y a ma grand-mère qui est venue me chercher avec mon oncle et ma tante qui sont le frère et la sœur de mon père. Et en fait, je tombe dans les bras de mon oncle, que je n'ai pas vu depuis des années. Mais en fait, il a la même voix que mon père. Donc, du coup, c'est très perturbant. Et c'est un peu la figure qui me rattache à lui sur le moment. Donc voilà, on se prend dans les bras et on rentre chez ma grand-mère. Et c'est là que j'essaye de comprendre ce qui vient de se passer. parce que jusque là tu sais pas je sais pas ce qui s'est passé et donc là ma grand-mère m'a dit en fait il s'est suicidé et donc moi je me dis mais comment ça il s'est suicidé et elle m'a dit bah oui oui il s'est suicidé hier matin son corps a été retrouvé par un passant ou quelqu'un qui allait travailler je sais pas parce que mon père habitait en Ardèche dans un tout petit village et donc du coup c'est pas des endroits hyper fréquentés Et donc c'est quelqu'un qui a retrouvé le corps. et du coup là je me dis mais c'est quoi la suite en fait parce que moi j'ai jamais perdu quelqu'un j'ai perdu mes arrière-grands-parents mais quand j'étais toute petite donc je sais pas comment ça se passe et donc on décide de partir en Ardèche voir ma belle-mère et mes frères

  • Speaker #1

    Tes frères ?

  • Speaker #0

    Les frères de mon père et ma belle-mère ont eu deux enfants. D'accord. Et à cette époque, ils ont 16 et 18 ans. Donc on décide de partir pour aller voir tout le monde. Donc on part le jour même de mon arrivée. et je me souviens du en fait non je me souviens pas du trajet c'est très flou et en fait on arrive là-bas dans cette petite maison dans ce tout petit village et j'ai pas l'impression sur le moment qu'on est bienvenue ah oui ? enfin même pas du tout t'avais des relations comment avec ta belle-mère ? compliquées, très complexes c'était vraiment des relations un peu euh euh Elle, je pense que je lui faisais trop penser à ma mère. Et vu que mon père et ma mère se sont connus très jeunes, ils ont eu une histoire d'amour assez courte mais très intense. Je pense que de me voir, ça lui rappelait tout ça. Et elle avait des relations très particulières aussi avec ma grand-mère. Elle lui en a toujours voulu en disant que c'était à cause d'elle, si mon père avait fait ça, parce qu'elle n'avait pas voulu les aider financièrement. Attends,

  • Speaker #1

    on va finir. Parce que quand tu arrives sur place, à quel moment quelqu'un t'explique ce qu'il a fait, comment il s'est tué, où il était ? À quel moment quelqu'un te donne les informations cruciales dont tu as besoin pour comprendre ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, on arrive et peut-être cinq ou dix minutes après, ma belle-mère arrive et me dit viens, je vais t'expliquer ce qui s'est passé Et on est dans la cuisine et en fait, elle me dit de but en blanc ben voilà Il s'est suicidé, il s'est pendu sous le pont du petit village à côté. Et en fait, elle me dit ça, mais avec tellement de colère, ce qui est normal. Mais en fait, je me prends toute sa colère, donc j'ai l'impression que c'est de ma faute. Donc c'est un peu dirigé contre moi, alors que je sais maintenant que non, c'est juste que... quand on vit des choses comme ça, je pense qu'on ne sait pas trop comment gérer ses émotions.

  • Speaker #1

    Mais il n'empêche que tu te prends quand même ça. Oui, exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, moi, je reste sans voix, en fait. Et je lui dis, mais est-ce que tu sais pourquoi ? Et elle me dit, ben oui, voilà. C'était trop dur financièrement, donc c'est pour ça qu'il a laissé un mail où il explique qu'en fait il a fait ça pour que je puisse toucher l'assurance pour payer la maison. et il a laissé des lettres. Il nous a laissé des lettres. On s'est dit, d'accord. Et elle me dit, oui, il a laissé une lettre pour moi et pour tes frères. Et je lui dis, pour mon frère qui s'appelle Simon, qui vit en Israël, et je lui dis, pour Simon et moi. Elle me dit, rien. Elle me dit, mais de toute façon, ça faisait longtemps que vous n'étiez plus là pour lui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des mots très très mal élevés qui me viennent à l'esprit pour commenter, je ne veux pas le faire. Et comment tu réagis à ce moment-là quand elle te dit ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je ne réagis pas tout de suite. En fait, sur le moment, je me dis qu'elle a raison. Parce qu'effectivement, mon père, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. Je me souviens, pour le jour de l'an, il m'a écrit un message et je lui ai répondu assez sèchement parce qu'il ne prenait jamais de nouvelles et que je cherchais à le joindre, à le voir et il n'était jamais disponible. Donc je me dis, oui, en fait, moi, ça fait longtemps que je ne suis plus là et que j'ai fait ma vie et que finalement, je n'ai pas forcément cherché à voir comment lui, il allait. C'est par la suite où la colère va commencer à arriver. Et voilà.

  • Speaker #1

    Donc tu culpabilises.

  • Speaker #0

    Oui, tout de suite, je me dis... Forcément, tout de suite, il y a les et si qui arrivent. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    Pardon mais tu te dis pas, il y avait des lettres pour nous, elles nous les donnent pas ?

  • Speaker #0

    Si, si, si. Il y a encore quelques, peut-être pas quelques mois, mais encore au moins un an ou deux, je me dis, je pensais encore en me disant, il y a une lettre qui va aussi surgir, qui va arriver comme ça. En fait, elle s'était perdue. Mais non. Mais oui, non, non, j'y ai pensé pendant très très longtemps. Moi,

  • Speaker #1

    je n'ai pas imaginé une lettre qui pourrait ressurgir, mais une lettre qu'elle aurait planquée.

  • Speaker #0

    Alors, non, vraiment juste qu'elle s'était perdue ou pendant un temps, je lui disais qu'elle ne voulait pas nous la donner tout de suite ou qu'elle ne l'avait pas trouvée, mais pas qu'elle l'aurait planquée. Je n'espère pas qu'elle ait fait un truc pareil.

  • Speaker #1

    Ça arrivait dans ma famille, c'est pour ça que je pensais à ça.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc, Donc elle te dit ça, et puis vous faites quoi ? Vous dormez chez eux ?

  • Speaker #0

    Non. Pardon,

  • Speaker #1

    mais le corps, il est où là ? Il est à l'hôpital ? Il est à la morgue ?

  • Speaker #0

    Non, il n'y a pas de veillée. Je pense que peut-être qu'il est déjà à la morgue, parce que quand il y a un suicide, il y a une enquête qui est effectuée. Donc du coup, de toute façon... Mon père était athée, donc il n'y avait pas d'histoire de temps de mise en terre.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et donc du coup, ça a pris à peu près, si je me souviens bien, une semaine avant qu'il y ait la crémation. Oui, c'est très long. Oui.

  • Speaker #1

    Et tu savais qu'il voulait aller à une crémation ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, dans mon souvenir, il voulait être enterré dans un cercueil. Tu sais, biodégradable.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et en fait, je crois que c'était trop cher. Et si je me souviens bien, dans le mail, il précise qu'il ne veut pas d'enterrement, il ne veut pas de fleurs et il ne veut pas de cercueil. Il veut juste que son corps soit brûlé, en fait. Enfin, ainsi de suite. D'accord.

  • Speaker #1

    Mais tu as l'impression que c'est pour des raisons économiques ?

  • Speaker #0

    Euh... Non, pas spécialement. Je pense qu'il n'a jamais vraiment été attaché à tout ce qui est matériel et tout ce qui est son corps. Pendant un temps, il voulait donner son corps à la science, par exemple. Du coup, on rentre le jour même parce que l'ambiance est vraiment très particulière.

  • Speaker #1

    Vous ne vous sentez pas les bienvenus ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout.

  • Speaker #1

    Est-ce que sur le moment tu te dis, tu lui demandes est-ce que je peux prendre un t-shirt à lui, est-ce que je peux prendre un...

  • Speaker #0

    Non, j'y pense... Si j'y pense, mais en fait, je n'ose pas. C'est pour ça que je te disais que j'ai une relation très particulière. Ma belle-mère, c'est... J'ai... Enfin, maintenant, ça va mieux, mais j'ai toujours eu très peur d'elle et en même temps, toujours eu envie qu'elle m'aime très fort.

  • Speaker #1

    Ça s'entend. Les deux s'entendent. Parce que quand elle me fait peur, c'est déjà une distance.

  • Speaker #0

    Donc, du coup, j'ai pas osé. C'est Après l'incinération...

  • Speaker #1

    Donc vous repartez à Lyon et vous revenez pour l'incinération ?

  • Speaker #0

    C'est ça, on revient pour l'incinération. Et là, c'est pareil, c'est vraiment une ambiance... En fait, on sent qu'il y a deux côtés de la famille. Il y a le côté de mon père, sa vie d'avant. Donc il y a ma grand-mère, mon oncle, ma tante, mon frère et moi. Et de l'autre, il y a mon père et sa vie d'après. Donc mes frères, ma belle-mère et ses filles. Et... Il y a je ne sais pas combien d'amis de mes frères qui sont là aussi.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as des relations avec tes demi-frères et avec sa nouvelle famille ?

  • Speaker #0

    Oui, avec mes demi-frères, on s'entend très bien. Ça se passe très très bien. Avec mes quasi-sœurs. Il y en a une avec qui c'est un peu compliqué, mais parce qu'on a le même âge et qu'on a eu l'adolescence en même temps, donc forcément... donc c'est un peu compliqué mais oui on a quand même des relations c'est ça et donc voilà c'est vraiment cette espèce de séparation qui n'est pas forcément visible mais qui se sent qui se sent vraiment et je pense que en fait comme je disais tout à l'heure mon père a laissé un mail et dans ce mail que moi pour le coup j'ai demandé à ma belle-mère de me l'envoyer Il explique dedans. Donc, il a fait ça pour qu'elle puisse payer la maison. Il dit à un de mes frères qu'il faut qu'il termine ses études parce qu'il est en hôtellerie-restauration. À l'autre, pareil, qu'il faut qu'il termine, il fait un CAP pour être chauffeur routier. Donc, il doit terminer aussi. Il dit, embrasse... Enfin, tu embrasseras très fort Ludivine, qui est une de mes quasi-sœurs. Tu embrasseras... très fort je sais plus qui fait attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi, rien sur mon frère en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi et donc du coup je pense que la lecture de ce mail a aussi un peu repensé l'équilibre entre guillemets et c'est pour ça qu'il y avait cette séparation

  • Speaker #1

    entre ta mère est venue

  • Speaker #0

    Non, non, non, non. Je crois que ça finit sans plus, Gilles. Elle finit, je pense que ma mère et ma belle-mère se détestent. Donc non, ma mère n'est pas venue. Et voilà, donc du coup, il y a eu l'incinération. avec le choix de musique effectuée par ma belle-mère, mais qui représentait tout à fait mon père. Donc pas de soucis là-dessus. Et puis une fois terminé, chacun est reparti. Il n'y a pas eu de moment américain où on se retrouve. On est tous repartis chacun de notre côté.

  • Speaker #1

    Ton copain, à ce moment-là, il est présent ?

  • Speaker #0

    Il est là. Il est venu avec moi. Je lui ai demandé de venir. Après coup, je me dis que c'était peut-être pas une bonne idée parce que c'est le seul moment où il a rencontré mon père, finalement. Mais il est venu. Il est venu pour moi. Il connaissait aussi bien ma grand-mère. Je pense que pour elle, ça lui a fait du bien aussi. Il est venu. Il n'est pas venu voir le corps, quand même. Mais il était là.

  • Speaker #1

    T'es allée le voir, toi, le corps ?

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    T'as pas voulu t'épargner cette vision ?

  • Speaker #0

    Non, je pense que j'en avais besoin pour me dire que c'était vraiment arrivé. Et puis je pense que, même si c'était mon père, il y a peut-être un peu de curiosité morbide. Tu crois ? Ouais, je pense, peut-être. De voir, de réaliser et de voir aussi. Et je me souviens, je rentre dans la pièce dédiée. C'est très sombre, il fait froid. C'est normal en même temps pour conserver. Et donc je m'approche et je vois qu'il a un pull col roulé. Et je me dis, je vais l'embrasser en fait. Parce que pour lui dire au revoir. Et puis je me dis aussi, c'est un peu comme ça qu'on fait normalement. Et en fait, je pose mes lèvres sur son front. Et c'est là où je réalise qu'il est vraiment parti. Parce que... C'est une enveloppe, il n'y a plus rien dedans. On sent vraiment que la vie est partie. Et ça m'a permis de réaliser, mais ça m'a beaucoup traumatisé aussi. Je n'aurais peut-être pas dû le faire. Et après, je suis sortie. Et voilà.

  • Speaker #1

    Tu es quelle âge à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    J'ai 24 ans.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu n'es plus un bébé, mais tu n'es pas une grande personne encore. Non,

  • Speaker #0

    pas tout à fait.

  • Speaker #1

    Et donc, ta vie doit reprendre, tu dois retourner à la fac.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Et tu arrives à le faire ?

  • Speaker #0

    Non, j'écris assez rapidement. J'avais un très bon groupe de copines. Je leur explique très rapidement la situation, alors je ne vais pas revenir tout de suite. J'écris pareil à mes professeurs. Et en fait, je pars pendant une semaine chez ma meilleure amie qui vit à Toulouse, qui me dit, viens à la maison et comme ça, on prend du temps ensemble pour te sortir de cette ambiance complètement morbide. Donc, je passe une semaine... Une semaine à Toulouse, qui me fait beaucoup de bien. Et du coup, pendant cette semaine, je me souviens, je fais un rêve où il y a mon père qui vient me voir et qui me dit Je ne peux pas te parler, je suis très pressée, mais sache que je t'aime et tout va bien. Et voilà. Depuis, je n'ai pas vraiment eu d'autres signes trop bons, mais je me suis beaucoup raccrochée à ça en me disant que peut-être que c'était vrai, peut-être que c'était en imaginaire complet, mais... et que c'est mon inconscient qui a voulu me rassurer et me relever. Mais je me suis dit que ça m'a fait du bien. Que peut-être c'était vraiment lui et que ça m'a permis d'avancer un tout petit peu. Et donc voilà, du coup, je finis par retourner à la fac, reprendre ma vie. Je vis toujours chez ma grand-mère. Donc on essaye de se soutenir l'une comme l'autre, comme on peut. On regarde le bachelor tous les soirs. parce que ça nous fait du bien et ça nous fait rire c'est votre mien de regarder ça avec sa grand-mère c'est très très sympa et du coup voilà le quotidien qui reprend et à la fin de cette année là c'était en 2013 donc il y a mon amoureux qui part et qui doit partir tout début, fin 2013, début 2014. Donc ça fait un an que mon père est mort. Il doit partir pendant six mois faire un échange en Chine. Et donc là, j'avais réussi à tenir jusque là, mais là c'est très très dur pour moi. Je pars de chez ma grand-mère, je retourne chez ma mère, qui entre-temps est partie vivre à Nice. Donc en fait, on a juste l'appartement avec mon frère Simon. Et donc je reste là-bas et je suis vraiment très très mal, je vais plus du tout en cours, j'arrête totalement. Je passe des heures dans ma chambre. Des heures à écrire à Edouard qui, de toute façon, est sur un autre fuseau horaire. Donc, on voit les messages beaucoup plus tard. C'est vraiment une période assez particulière. Je ne mange pratiquement plus ou alors je me fais des fringales et je vais vomir. Enfin, bref, un grand classique. En fait, j'essaye de faire sortir la douleur comme je peux.

  • Speaker #1

    Donc, tu te fais vomir ?

  • Speaker #0

    Oui. Soit je ne vais pas du tout manger, ou alors je vais beaucoup, beaucoup manger. Et en fait, de me faire vomir, j'ai l'impression que ça me soulage. Ça te libère ? Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Tu penses que tu fais une dépression à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je ne pense pas à ça, non. Je me dis que c'est juste... En fait, je n'y pense pas. Je suis tellement mal que je ne me laisse pas aller, mais je...

  • Speaker #1

    Tu tombes un peu là de ce que tu décris.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Sans me dire que je fais une dépression, je ne pose pas les mots là-dessus. Je laisse la douleur reprendre le pas complètement. Et donc, moi, mon seul but à ce moment-là, c'est que je pars rejoindre Edouard à Shanghai et qu'on va faire un voyage d'un mois et demi. autour un peu de la Chine et du Vietnam. Et voilà, c'est mon point. Je me dis, je travaille pour ça. C'est pour payer mes billets et profiter pendant un mois et demi. Et donc, je pars.

  • Speaker #1

    Attends, attends, avant de partir, tu vas voir quelqu'un pour parler de ça ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout. Je ne vais voir personne parce que... Parce que je me dis que ça ne sert à rien. Et il faut savoir que je suis très pétrie des idées de mon père et de ma belle-mère. Et pour eux, on ne va pas avoir des gens pour parler. En fait, on se soigne tout seul. La vie est dure et puis c'est tout. C'est comme ça. Donc, je ne veux voir personne. Et donc, je pars et j'arrive à Shanghai. Et moi, je rêvais d'aller en Chine depuis toute petite. Et donc c'est un rêve qui se réalise d'aller dans ce pays, je voulais parler chinois, visiter la muraille de Chine, la cité impériale. Et en fait j'arrive et peut-être deux, trois jours après mon arrivée, je commence à faire des crises de panique. Mais vraiment, moi je n'ai jamais fait ça de ma vie, je ne sais pas ce que c'est. Donc c'est vraiment très très violent, en fait mon corps se tétanise complètement. Et je me mets à trembler, j'arrive plus à respirer. Et ça... Ça prend 10, 15, 20 minutes avant que je réussisse à me calmer. Et en fait, on voyage et je suis dans un état complètement second. Je vois les paysages qui défilent. En fait, je suis là sans être là. J'ai l'impression d'être complètement dissociée. Et d'ailleurs je me souviens un moment, je suis sur une plage au Vietnam, et c'est l'endroit paradisinaire, et je suis face à la mer, et je me dis mais en fait c'est trop, c'est trop d'informations, c'est trop de choses qui arrivent à mon cerveau, j'arrive pas à réaliser ce qui se passe. Et en fait je me souviens, je mets mes mains devant moi et je regarde les mains. Je me dis mais c'est pas mes mains en fait. C'est vraiment les mains de... C'est pas à moi. Donc du coup, je suis là et...

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que tu crois que t'as un...

  • Speaker #0

    J'ai l'impression d'avoir un épisode de dépersonnalisation. Genre d'être... devenir folle, en fait. C'est juste ça.

  • Speaker #1

    Et Edouard, il gère ça comment ? Il voit ça ?

  • Speaker #0

    Il ne voit pas. Il ne voit pas parce que j'arrive très bien, en revanche, à donner le change. C'est-à-dire que quand c'est beau, je suis là, waouh, c'est beau. Quand on voyage, je... Voilà, je fais tout en fait pour qu'il ne voit rien et je m'évade moi dans ma tête en étant tout le temps sur mon téléphone les moments où je suis toute seule. C'est-à-dire que je me souviens, j'ai téléchargé tous les... J'ai téléchargé... Game of Thrones. Je ne me souviens plus du titre en français. Donc, je l'ai lu en français. Et j'ai lu tous les livres pendant le voyage, le soir, parce que ça me permettait de ne pas réfléchir. Je pensais juste à l'histoire.

  • Speaker #1

    Moi, c'était Twitter. Je faisais la vie des autres.

  • Speaker #0

    C'est très bien.

  • Speaker #1

    Les amoureux, je me noyais là-dedans. Exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, on rentre en France. Et donc, je m'étais dit peut-être que... Parce que je sais qu'il y a... Par exemple, quand certaines personnes d'origine chinoise ou japonaise arrivent en France, elles ont toujours eu cette espèce de fantasme sur la France. Et elles font des moments de dépersonnalisation. C'est le syndrome de Stendhal, ça s'appelle. Parce qu'elles trouvent ça vraiment trop beau. Et moi, je me dis, peut-être que c'est ça que j'ai vécu.

  • Speaker #1

    Trop beau ou trop loin de ce qu'elles imaginaient ? Aussi,

  • Speaker #0

    aussi, ouais. Et je me dis, c'est peut-être ça que j'ai vécu. Et je me dis, une fois rentrée en France, ça va aller mieux. Et pas du tout. C'est encore pire en fait. Du coup je rentre chez ma grand-mère et je me souviens, je ne sais pas ce que fait ma grand-mère. Je pense qu'elle est là mais je ne me souviens même plus si elle est là ou si elle n'est pas là. Et moi je passe peut-être trois semaines, un mois dans le noir, je ferme les volets et je regarde la télé. Je m'assomme avec la télé. Je regarde tout ce qui passe. Je ne regarde pas les infos, je ne regarde que des trucs... Voilà, les trucs les plus nuls possibles, je vais les regarder.

  • Speaker #1

    Oui, mais les trucs nuls, en fait, ils ne font pas de peine. Oui, c'est ça,

  • Speaker #0

    exactement. Et toi, tu poses le cerveau et c'est très bien. Et voilà. Et en fait, on a pris la décision avec Edouard de s'installer à Paris. Et donc on rentre en juillet et en août, on va pour chercher un appartement. On trouve un appartement très mignon. dans le 18ème, le premier cocon. Et moi je me dis, je ne vais pas pouvoir rester là en fait. Je ne vais pas pouvoir rester avec lui, je ne peux pas en fait. Je commence à paniquer de cette vie qui s'installe et qui commence à être une routine un peu classique, on va dire, l'appartement avec le copain, et puis après ça va être les fiançailles, le mariage, le bébé. Et moi je panique complètement. Et donc là, c'est pareil, je vais être dans le même état qu'en Chine, où je vais faire beaucoup de crises de panique. En fait, cette fois, je les sens arriver. Donc dès que j'en sens une arriver, je m'éloigne. Je ne veux pas qu'Edouard soit là. En fait, je veux la gérer toute seule. J'ai l'impression d'avoir un voile dans le visage tout le temps. Je vais au travail, je travaille dans une boulangerie. Je veux vraiment pardon pour les clients parce que je pense que j'ai des moments vraiment très désagréables. Et voilà, ma vie passe comme ça, je la regarde sans faire vraiment attention. Et puis cette année se passe et l'année suivante, Edouard doit faire sa dernière année dans son école. Donc je prends un autre appartement, un petit studio, toute seule. Et là, ça va être le pire du pire. Dès que je ne vais pas au travail, le soir je rentre chez moi et je prends des omnifères. Le week-end c'est pareil, quand Edouard ne vient pas, c'est pour faire passer le temps. Pour que ça passe plus vite. vite, et pour ne pas penser encore une fois. Je continue les crises de panique, sauf que maintenant, ça se déclenche vraiment pour tout et pour rien. Je me souviens du mariage du frère d'Edouard où on me demande juste si ça va à l'entrée de l'église et en fait, j'explose ensemble. Et c'est vraiment, voilà, rien ne me fait partir. Et donc, à la fin de cette année-là,

  • Speaker #1

    Tu continues à avoir des troubles alimentaires ? Oui.

  • Speaker #0

    Parce qu'ils veulent, d'accord. Exactement. Et donc, à la fin de cette année-là, Edouard revient à Paris. On s'installe à nouveau ensemble. Et donc moi, c'est moi qui commence à dire, ça fait longtemps qu'on est ensemble, j'ai envie qu'on se marie, j'ai envie qu'on fonde une famille. Pour moi, c'était ma famille, la mienne côté parents a volé en éclats, donc je veux construire la mienne. Et il me dit, mais Mia, comment tu veux qu'on se marie et qu'on ait des enfants, vu ton état en fait ? Donc là, en fait, ce qu'il faut que tu fasses, c'est que toi, déjà tu te soignes et tu te reconstruises, et après, peut-être que... Et sur le moment, je ne veux pas l'entendre, mais ça va très bien, c'est bon, c'était il y a 3-4 ans, je ne sais même plus. Et il me dit, non, non, mais là, c'est non en fait.

  • Speaker #1

    Tu crois que tu lui as caché des trucs ou en fait il a...

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, complètement. C'est clair. Et donc je finis par me reprendre en main en fait parce que je me dis je veux tellement ça que ok je vais le faire alors si c'est que ça qu'il faut faire. Et donc je vais trouver une psychologue. sur Paris, qui va me voir pendant un an toutes les semaines et qui va me dire que tout simplement j'ai subi un choc, je suis en choc post-traumatique du fait que la nouvelle a été trop violente, apprise d'une façon quand même particulière et du coup qu'il faut que j'apprenne à vivre avec, mais qu'il faut que je travaille et que... Et pas que je fasse le deuil, mais que j'en parle pour pouvoir avancer. Et donc, pendant un an, on va parler de ça et puis de plein d'autres choses. Et ça va beaucoup, beaucoup m'aider. Et donc, du coup, je vais commencer à aller de mieux en mieux. Je vais faire beaucoup moins de crises de panique. Je vais recommencer à bien manger. Un peu trop. Et en fait, là, après, à partir de ce moment-là, va se dérouler la vie. qui est quand même plus simple, où je me sens de mieux en mieux dans mon corps, où je profite de la vie parisienne. J'ai un travail qui ne me plaît pas forcément, mais j'ai des super collègues, on est amis en dehors du travail. La vie est sympa.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que la vie redevient un peu sereine et c'est comme si le voile partait.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Et de toute façon, j'avais fait un pacte. avec Dieu toi t'es religieuse ? moi je suis de confession juive et t'es croyante ? croyante, pratiquante un peu et du coup j'ai fait un pacte en disant là tu me fous la paix pendant 10 ans c'est horrible parce que ça fait une épée de damoclèche là du coup ça fait 11 ou 12 ans donc ça a l'air d'aller et pardon mais tu fais vraiment un pack dans ta tête dans ma tête où il faut savoir que avant ça moi j'étais pour le coup j'étais pratiquante J'étais vraiment très pratiquante. Ensuite, j'ai rencontré Edouard, qui n'est pas juif. J'ai un peu dévié. Même, je me souviens, au début, j'étais là, je ne peux pas me mettre avec lui parce qu'il n'est pas juif. On s'est quand même mis ensemble parce que l'amour est plus fort que tout. À partir du moment où je mangeais cachère, je mettais encore des jupes assez longues. J'ai gardé tout ça quand même.

  • Speaker #1

    Je viens d'apprendre l'expression t'snewt Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. J'adore.

  • Speaker #1

    Pour ça, ça veut dire que c'est les femmes juives qui respectent une certaine façon de s'habiller pudique.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et du coup...

  • Speaker #1

    Et là, t'as arrêté quand t'as commencé à sortir avec lui ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai continué. Ah d'accord. J'ai quand même continué. Alors, peut-être pas les vêtements, mais en tout cas, je continuais à... À manger le plus cachère possible, je faisais Shabbat, les fêtes. Et puis quand mon père est mort, j'ai dit non. Non. En fait, c'est bon. Parce que, enfin, pourquoi en fait ?

  • Speaker #1

    Si Dieu existe et qu'il a laissé pour ça,

  • Speaker #0

    c'est qu'il mérite pas ses efforts. Exactement. Et puis, voilà, après je... J'ai moi personnellement d'autres choses qui se sont passées avant dans ma vie qui n'étaient vraiment pas cool. Et je me dis mais ça, ça y est, il y a un moment, on ne peut pas, on s'acharne. C'est toujours les mêmes personnes en fait, on a l'impression. Et donc j'ai dit stop, c'est bon, moi j'arrête tout. Je m'habille comme je veux, je mange ce que je veux, ça y est. Et je lui ai dit on reverra dans dix ans, mais là, tu me fous la paix. Et donc voilà, du coup, cette psychothérapie se passe, enfin cette thérapie se passe.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Donc elle doit finir par me demander en mariage. On se marie et c'est génial. Et voilà, moi il n'y a pas un jour qui passe sans que je pense à mon père. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je sois en colère après lui, en me disant, mais pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? Parce qu'on peut me dire que c'est l'argent, mais moi j'y crois moyennement, puisque j'ai appris quelques semaines après son décès qu'il avait retrouvé du travail et qu'il allait signer un nouveau CDI. Enfin, voilà.

  • Speaker #1

    Et tu dis qu'il y a toujours une partie de rationnel et puis il y a des choses, parfois une maladie mentale elle se voit pas et se t'aime pas

  • Speaker #0

    C'est ça, je pense qu'il a toujours été Il a peut-être toujours été dépressif. Comme on disait, c'est une personne qui ne voulait pas se soigner dans tous les cas. Il ne serait jamais allé voir quelqu'un pour parler de quoi que ce soit. C'est ma mère qui m'a raconté quelques années après, quand ils étaient ensemble, ils avaient entre 16 et 18 ans, il lui avait dit, de toute façon, moi, je n'attendrai pas les 50 ans. Et il s'est suicidé à 42 ans. Donc voilà, il y avait quand même un terrain. Et donc du coup, moi, je vis ma vie, mais je suis quand même très, très en colère après lui. Je me pose des questions, je l'insulte dans ma tête, très clairement. Je n'arrive pas à passer... outre ce qu'il a fait, je n'arrive pas à me dire pourquoi il ne nous a pas laissé un mot, juste une attention, une pensée. Je ne comprends pas et je ne comprendrai jamais de toute façon. Du coup, cette colère sourde qui continue, même si moi ça va mieux, je n'arrive pas à passer à autre chose par rapport à ça. Et puis, je tombe enceinte de Noé, qui est le premier petit garçon. Et... Et là, en fait, je deviens maman. Et c'est trop beau. Et d'un côté, je me dis, mais regarde ce que t'as raté. Tu seras jamais grand-père, en fait. Et tu rencontreras jamais ton petit-fils. Et moi, Noé, je vais commencer à lui parler de mon père, il y a... Un an.

  • Speaker #1

    Il a quel âge ?

  • Speaker #0

    Il a 4 ans. Ok. Et j'ai commencé à lui parler il y a un an. Avant, je ne parlais même pas de lui. En fait, c'est Edouard qui parlait de temps en temps de lui. Moi, je ne voulais pas, en fait. Je ne dis même pas que je ne voulais pas. C'est que je n'y pensais pas. Je ne me disais pas, de toute façon, toi, tu as fait ça. Pourquoi tu aurais une place, finalement ? Et en fait... toujours cette colère et je vais découvrir à la naissance de Noé, je vais découvrir un compte sur Instagram d'une femme qui propose des ateliers d'écriture. Et donc je vais suivre ses ateliers, je vais écrire beaucoup sur mon père, beaucoup sur d'autres sujets, mais beaucoup sur mon père, je vais écrire toute la colère que j'ai. Mais vraiment, je crache les mots. C'est un exutoire. Oui, exactement. Je crache les mots et en fait, ça me fait du plaisir. chaque fois plus de bien de pouvoir écrire tout ça. C'est des choses que je n'ai jamais lues à personne, à part aux femmes qui étaient avec moi dans ces ateliers. Et ça me fait énormément de bien. Et donc, l'année dernière, c'était les 11 ans de sa mort ? Ou 12 ans, je ne sais plus. Et en fait, un mois avant, je me suis rendue compte que j'étais enceinte de mon deuxième fils. Et en fait, mon père s'est suicidé un 12 janvier. Et chaque 12 janvier, je pose ma journée. Et avant, c'était pour, je ne sais pas, peut-être me recueillir. Et puis voilà, laisser libre au cours justement à ma colère. Et l'année dernière, j'ai dit, je pose ma journée. Mais en fait, stop. Donc, je me souviens, on est partis se promener avec Edouard. Donc, on habite dans le sud. On s'est promenés dans la ville. On allait manger, restant. J'ai bu un verre de vin. Et je me suis dit, bah voilà. Là, en fait, j'arrête d'être en colère. Je n'ai plus de colère. Je ne pardonnerai pas. Je ne lui pardonnerai jamais. Et ce n'est pas grave, en fait. Ce n'est pas parce qu'on nous dit qu'il faut pardonner qu'on est obligé de le faire. Moi, je ne le ferai pas. il n'y arriverait pas. Mais par contre, je ne veux plus être en colère après lui. Et je veux juste profiter. Voilà, exactement. Et c'est du coup, à partir de ce moment-là aussi, que j'ai commencé à parler de Papy Laurent à Noé. Et voilà, il sait qu'il est mort. Il ne sait pas comment. Ça, je lui ai dit que c'est trop triste et qu'il le saura plus tard. Mais voilà, du coup, mon père, il a un peu regagné sa place, même s'il n'est pas présent. Mais voilà, je refais une petite place petit à petit dans mes pensées, sans être en colère, sans avoir de rancœur. juste il sait s'il est quelque part il sait qu'il ne sera jamais pardonné mais moi comme tu dis je me laisse le bonheur de pouvoir vivre sans avoir cette espèce de boulet de tristesse qui traîne avec moi

  • Speaker #1

    De ce que tu décris, les deux choses qui ont beaucoup changé les choses, c'est quand tu es allée voir quelqu'un pour te faire accompagner, et quand tu as fait des enfants avec un homme que tu aimes et qui t'aime. Et que ça veut dire que toi, t'as pas reproduit les choses et que t'as mis fin... Pardon, je suis pas psy, mais je te dis comme... Que t'as mis fin au cycle, quoi. Toi, t'as choisi la vie.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Oui, c'est exactement ça. J'y pense. C'est vrai que c'est ça. Et c'est pour ça que je pense que c'était aussi un besoin. D'avoir des enfants, c'était aussi d'avoir ma famille. C'était un besoin aussi de me réparer et de réparer, comme tu dis, ce que je n'ai pas eu étant plus petite. Et je sais que forcément, c'est une famille. Il y a des hauts, il y a des bas, mais on est heureux, on est bien tous les quatre. C'est facile et c'est simple.

Description

Ca Va Bien S'Passer est LE podcast des récits de déflagrations.

J'y ai pensé durant tout l'enregistrement, parce que l'histoire de Mia nous montre d'une déflagration c'est comme un tremblement de sa terre. Il y a l'impact et puis il y a les folles répliques, des semaines, des mois, des années après le fracas.

Bonne écoute!

Sarah



Depuis 2019 Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject

Réalisation G. Carbonneaux



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    tu embrasseras très fort Ludivine qui est une de mes quasi-sœurs tu embrasseras très fort je ne sais plus qui fais attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi rien sur mon frère enfin c'est en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi quand

  • Speaker #1

    dans sa vie on a connu une déflagration on sait qu'on va être confronté à un choix continuer à vivre ou pas Et puis une fois ce plouf-plouf morbide tranché, ils continuent à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air. Et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'avant. Ils regardent dans le rétro et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie.

  • Speaker #0

    Qu'ils soient contents,

  • Speaker #1

    drôles, outants, agaçants, secrets ou impudiques, ils ont tous en commun un truc dans le regard et va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la vie vous fasse une blague pour la dévorer. venez, écoutez leurs histoires pleurez, rire installez-vous confortablement et ça va bien se passer bonjour Mia bonjour Sarah Alors, est-ce que tu peux me dire quel âge tu as ? À peu près, on n'est pas... c'est pas la police. Et quelle est ta situation de famille ? Quelle est ta vie ?

  • Speaker #0

    Actuellement, j'ai donc 36 ans, tout récemment. Je suis mariée et j'ai deux enfants, deux petits garçons, Noé et Joseph.

  • Speaker #1

    Ah, c'est beau ça, comme prénom. Tu sais que Joseph, ça me touche particulièrement, mais Noé aussi, c'est très très bon. Est-ce que tu peux me parler un peu de ta vie de jeune femme ? Il y a une quinzaine d'années, quelle était ta vie ?

  • Speaker #0

    Alors, je vivais à Lyon, chez ma mère. J'étais étudiante en master professeur à des écoles. Et j'avais une vie étudiante tout à fait classique, à sortir tous les week-ends, à profiter, à dépenser l'argent du cross. Et puis j'avais un amoureux. Et voilà, tout allait bien.

  • Speaker #1

    Et il était à Lyon aussi,

  • Speaker #0

    lui ? Non, lui, à ce moment-là, il habite à Nice, enfin à Antibes, ce qui fait ses études à Schema, donc à Sofia Antipolis.

  • Speaker #1

    Et un jour, tu es en vacances à Antibes, chez ton amoureux. Oui. Et c'est à quelle occasion ? C'est les vacances d'été ?

  • Speaker #0

    Non, c'est juste après les vacances de Noël. Donc, ce n'est pas des vacances officielles, c'est moi qui suis partie en vacances. Mais voilà, c'est juste après le jour de l'an. Donc, c'est vraiment tout début du mois de janvier.

  • Speaker #1

    Et c'est sympa, il fait doux, c'est un endroit sympa pour être.

  • Speaker #0

    C'est très agréable, on est vraiment face à la mer. Et puis à Antibes, en hiver, ce n'est pas vraiment l'hiver, donc on sort, on est en gilet, on profite. Et puis c'est vrai qu'Edouard a une vie étudiante d'école de commerce, donc c'est très agréable, il y a des soirées tout le temps. On a toujours des choses à faire, on se promène en scooter. C'est un peu la Dolce Vita, mais d'un côté France.

  • Speaker #1

    Et puis tu ressens un coup de fil.

  • Speaker #0

    Oui, je ressens un coup de fil de ma grand-mère, qui cherche à me joindre plusieurs fois. Moi, je suis toute seule chez mon amoureux. Et j'avoue, sur le moment, je n'ai pas trop envie de lui répondre parce que je sais que ma mamie parle beaucoup de son. Donc, je voulais prendre le temps de la rappeler. Et en fait, elle insiste, elle insiste. Donc, je décroche et j'entends sa voix. Et là, je me dis que quelque chose ne va pas parce qu'elle sanglote, elle a peine à articuler. Et elle me dit, Mia, c'est ton père, il a fait une connerie. Et donc là, j'ai un moment de pause et je lui dis, mais c'est-à-dire, qu'est-ce qui se passe ? Et elle me dit, je ne sais pas, j'ai eu Cathy, qui est la femme de mon père.

  • Speaker #1

    Donc, mes parents sont séparés ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents sont séparés, pardon. D'accord.

  • Speaker #1

    Depuis longtemps ?

  • Speaker #0

    Depuis très longtemps, parce que moi, à ce moment, j'ai 24 ans et ils se sont séparés quand j'avais 3 ans.

  • Speaker #1

    D'accord, donc tu n'as plus un couple de plus longtemps.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et elle me dit, je ne sais pas, il a fait une connerie.

  • Speaker #1

    Mais dans ces cas-là, tu penses quoi ? Il a fait un cambriolage ?

  • Speaker #0

    Non, je ne sais même pas ce à quoi je pense, mais je comprends tout de suite, en fait, qu'en fait, il est mort. Mais je ne sais pas pourquoi je pense à ça tout de suite, mais je ne sais pas dans quelles circonstances, mais c'est la première chose à laquelle je pense, puisque tout de suite, je m'effondre, en fait. Mais je pense que le fait d'entendre aussi ma grand-mère en pleurs, ça m'a fait comprendre que ce n'était pas justement un cambriolage. C'était plus grave que ça. à notre sens on va dire et donc elle me dit il faut que tu rentres tout de suite

  • Speaker #1

    Elle sait que tu es à Antibes.

  • Speaker #0

    Elle sait que je suis à Antibes. Parce qu'en fait, oui, j'ai dit que je vivais chez ma mère. En fait, non, je vivais chez ma grand-mère à ce moment-là. Et du coup, elle me dit, il faut que tu rentres tout de suite. Et je dis, d'accord. Et en fait, j'essaye à ce moment-là de... Je comprends et je m'effondre vraiment en sanglots. Je me souviens, je suis dans les toilettes du tout petit studio et je pleure, je pleure. Et en fait, je ne veux pas qu'on m'entende parce que je sais qu'il y a les colocs de mon copain à côté. Mais c'est vraiment des sanglots, je ne pensais pas qu'on pouvait pleurer comme ça.

  • Speaker #1

    Mais en silence ?

  • Speaker #0

    Non, non, en fait, justement, je fais beaucoup de bruit. C'est vraiment des sanglots bruyants et je ne pensais pas qu'on allait être capable de faire autant de bruit.

  • Speaker #1

    C'est marrant parce qu'il y a des choses, parfois, quand on vit un drame, on fait un arrêt sur image, on se voit faire quelque chose. Et c'est marrant que tu viennes apprendre une nouvelle fracassante. Et ta mémoire retient et tu dis tiens je pensais pas qu'on pouvait pleurer aussi fort et aussi intensément. C'est drôle quand même parfois certaines choses sur lesquelles le cerveau se bloque.

  • Speaker #0

    Surtout que, alors je suis peut-être un peu bizarre, mais ça m'était déjà arrivé d'imaginer une situation où je perds un de mes parents. Et pour moi je m'étais toujours dit qu'à ce moment-là soit je n'aurais pas de réaction ou alors je pleurerais en silence. Et pas du tout.

  • Speaker #1

    Comme quoi, ça ne sert à rien d'avoir peur à l'avance.

  • Speaker #0

    Tu ne sais jamais ce qui va se passer. Et donc, du coup, je raccroche, je pleure beaucoup et je me dis qu'il faut que j'appelle Edouard. Il faut que je prévienne ma mère qui est en Israël pour qu'elle prévienne mon frère qui vit là-bas. Et donc, je regarde mon téléphone et je réalise que je suis à une époque où on a encore un peu cette histoire de forfait et de crédit. Et je n'ai plus du tout de forfait, en fait. Donc, je n'ai plus aucun moyen de joindre qui que ce soit. Donc, je suis toute seule. Mon copain est donc parti voir des amis. Il doit revenir me chercher parce qu'on a une soirée le soir. Et je ne sais pas quoi faire, en fait. Je suis complètement démunie. J'utilise Internet et j'envoie un message à une amie d'enfance qui vit en Israël en lui disant je t'en supplie, appelle ma mère Et du lieu de me rappeler tout de suite, c'est très urgent.

  • Speaker #1

    Sur quoi ? Sur Facebook ?

  • Speaker #0

    Oui, sur Facebook. Et elle ne comprend pas et du coup, elle finit par prévenir ma mère qui m'appelle, donc je lui explique. et donc j'attends en fait j'attends là et je me souviens je suis sur le canapé bleu et je sais plus je sais pas quoi faire je suis complètement démunie et mon copain finit par et c'est pareil en fait j'ai plus d'argent pour prendre un billet de train non plus enfin c'est vraiment et donc mon copain finit par rentrer et il me dit alors on y va et en fait il voit ma tête et il comprend qu'il y a quelque chose de très grave qui s'est passé Je lui explique et je lui dis qu'il faut que je rentre là. Il faut que je rentre à Lyon, je ne sais pas ce qui s'est passé. Il faut que je rentre. Du coup, il me prend le billet de train pour le lendemain matin, parce que le soir, il n'y en avait plus. Et donc je rentre à Lyon le lendemain matin, je suis dans un Wingo avec encore des sièges bleus. Le bleu c'est un peu la couleur, très moche. Et je pleure, je pleure, je pleure, je pleure, cette fois en silence. Je fais des allers-retours dans les toilettes parce que c'est pareil, j'ai pas envie qu'on me voit pleurer. Mais il y a des moments où juste les larmes... Sorte, je pense que j'ai une tête de cadavre. Et donc j'arrive à la gare de Lyon-Pardieu, et donc il y a ma grand-mère qui est venue me chercher avec mon oncle et ma tante qui sont le frère et la sœur de mon père. Et en fait, je tombe dans les bras de mon oncle, que je n'ai pas vu depuis des années. Mais en fait, il a la même voix que mon père. Donc, du coup, c'est très perturbant. Et c'est un peu la figure qui me rattache à lui sur le moment. Donc voilà, on se prend dans les bras et on rentre chez ma grand-mère. Et c'est là que j'essaye de comprendre ce qui vient de se passer. parce que jusque là tu sais pas je sais pas ce qui s'est passé et donc là ma grand-mère m'a dit en fait il s'est suicidé et donc moi je me dis mais comment ça il s'est suicidé et elle m'a dit bah oui oui il s'est suicidé hier matin son corps a été retrouvé par un passant ou quelqu'un qui allait travailler je sais pas parce que mon père habitait en Ardèche dans un tout petit village et donc du coup c'est pas des endroits hyper fréquentés Et donc c'est quelqu'un qui a retrouvé le corps. et du coup là je me dis mais c'est quoi la suite en fait parce que moi j'ai jamais perdu quelqu'un j'ai perdu mes arrière-grands-parents mais quand j'étais toute petite donc je sais pas comment ça se passe et donc on décide de partir en Ardèche voir ma belle-mère et mes frères

  • Speaker #1

    Tes frères ?

  • Speaker #0

    Les frères de mon père et ma belle-mère ont eu deux enfants. D'accord. Et à cette époque, ils ont 16 et 18 ans. Donc on décide de partir pour aller voir tout le monde. Donc on part le jour même de mon arrivée. et je me souviens du en fait non je me souviens pas du trajet c'est très flou et en fait on arrive là-bas dans cette petite maison dans ce tout petit village et j'ai pas l'impression sur le moment qu'on est bienvenue ah oui ? enfin même pas du tout t'avais des relations comment avec ta belle-mère ? compliquées, très complexes c'était vraiment des relations un peu euh euh Elle, je pense que je lui faisais trop penser à ma mère. Et vu que mon père et ma mère se sont connus très jeunes, ils ont eu une histoire d'amour assez courte mais très intense. Je pense que de me voir, ça lui rappelait tout ça. Et elle avait des relations très particulières aussi avec ma grand-mère. Elle lui en a toujours voulu en disant que c'était à cause d'elle, si mon père avait fait ça, parce qu'elle n'avait pas voulu les aider financièrement. Attends,

  • Speaker #1

    on va finir. Parce que quand tu arrives sur place, à quel moment quelqu'un t'explique ce qu'il a fait, comment il s'est tué, où il était ? À quel moment quelqu'un te donne les informations cruciales dont tu as besoin pour comprendre ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, on arrive et peut-être cinq ou dix minutes après, ma belle-mère arrive et me dit viens, je vais t'expliquer ce qui s'est passé Et on est dans la cuisine et en fait, elle me dit de but en blanc ben voilà Il s'est suicidé, il s'est pendu sous le pont du petit village à côté. Et en fait, elle me dit ça, mais avec tellement de colère, ce qui est normal. Mais en fait, je me prends toute sa colère, donc j'ai l'impression que c'est de ma faute. Donc c'est un peu dirigé contre moi, alors que je sais maintenant que non, c'est juste que... quand on vit des choses comme ça, je pense qu'on ne sait pas trop comment gérer ses émotions.

  • Speaker #1

    Mais il n'empêche que tu te prends quand même ça. Oui, exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, moi, je reste sans voix, en fait. Et je lui dis, mais est-ce que tu sais pourquoi ? Et elle me dit, ben oui, voilà. C'était trop dur financièrement, donc c'est pour ça qu'il a laissé un mail où il explique qu'en fait il a fait ça pour que je puisse toucher l'assurance pour payer la maison. et il a laissé des lettres. Il nous a laissé des lettres. On s'est dit, d'accord. Et elle me dit, oui, il a laissé une lettre pour moi et pour tes frères. Et je lui dis, pour mon frère qui s'appelle Simon, qui vit en Israël, et je lui dis, pour Simon et moi. Elle me dit, rien. Elle me dit, mais de toute façon, ça faisait longtemps que vous n'étiez plus là pour lui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des mots très très mal élevés qui me viennent à l'esprit pour commenter, je ne veux pas le faire. Et comment tu réagis à ce moment-là quand elle te dit ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je ne réagis pas tout de suite. En fait, sur le moment, je me dis qu'elle a raison. Parce qu'effectivement, mon père, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. Je me souviens, pour le jour de l'an, il m'a écrit un message et je lui ai répondu assez sèchement parce qu'il ne prenait jamais de nouvelles et que je cherchais à le joindre, à le voir et il n'était jamais disponible. Donc je me dis, oui, en fait, moi, ça fait longtemps que je ne suis plus là et que j'ai fait ma vie et que finalement, je n'ai pas forcément cherché à voir comment lui, il allait. C'est par la suite où la colère va commencer à arriver. Et voilà.

  • Speaker #1

    Donc tu culpabilises.

  • Speaker #0

    Oui, tout de suite, je me dis... Forcément, tout de suite, il y a les et si qui arrivent. Et donc voilà.

  • Speaker #1

    Pardon mais tu te dis pas, il y avait des lettres pour nous, elles nous les donnent pas ?

  • Speaker #0

    Si, si, si. Il y a encore quelques, peut-être pas quelques mois, mais encore au moins un an ou deux, je me dis, je pensais encore en me disant, il y a une lettre qui va aussi surgir, qui va arriver comme ça. En fait, elle s'était perdue. Mais non. Mais oui, non, non, j'y ai pensé pendant très très longtemps. Moi,

  • Speaker #1

    je n'ai pas imaginé une lettre qui pourrait ressurgir, mais une lettre qu'elle aurait planquée.

  • Speaker #0

    Alors, non, vraiment juste qu'elle s'était perdue ou pendant un temps, je lui disais qu'elle ne voulait pas nous la donner tout de suite ou qu'elle ne l'avait pas trouvée, mais pas qu'elle l'aurait planquée. Je n'espère pas qu'elle ait fait un truc pareil.

  • Speaker #1

    Ça arrivait dans ma famille, c'est pour ça que je pensais à ça.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc, Donc elle te dit ça, et puis vous faites quoi ? Vous dormez chez eux ?

  • Speaker #0

    Non. Pardon,

  • Speaker #1

    mais le corps, il est où là ? Il est à l'hôpital ? Il est à la morgue ?

  • Speaker #0

    Non, il n'y a pas de veillée. Je pense que peut-être qu'il est déjà à la morgue, parce que quand il y a un suicide, il y a une enquête qui est effectuée. Donc du coup, de toute façon... Mon père était athée, donc il n'y avait pas d'histoire de temps de mise en terre.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et donc du coup, ça a pris à peu près, si je me souviens bien, une semaine avant qu'il y ait la crémation. Oui, c'est très long. Oui.

  • Speaker #1

    Et tu savais qu'il voulait aller à une crémation ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, dans mon souvenir, il voulait être enterré dans un cercueil. Tu sais, biodégradable.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et en fait, je crois que c'était trop cher. Et si je me souviens bien, dans le mail, il précise qu'il ne veut pas d'enterrement, il ne veut pas de fleurs et il ne veut pas de cercueil. Il veut juste que son corps soit brûlé, en fait. Enfin, ainsi de suite. D'accord.

  • Speaker #1

    Mais tu as l'impression que c'est pour des raisons économiques ?

  • Speaker #0

    Euh... Non, pas spécialement. Je pense qu'il n'a jamais vraiment été attaché à tout ce qui est matériel et tout ce qui est son corps. Pendant un temps, il voulait donner son corps à la science, par exemple. Du coup, on rentre le jour même parce que l'ambiance est vraiment très particulière.

  • Speaker #1

    Vous ne vous sentez pas les bienvenus ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout.

  • Speaker #1

    Est-ce que sur le moment tu te dis, tu lui demandes est-ce que je peux prendre un t-shirt à lui, est-ce que je peux prendre un...

  • Speaker #0

    Non, j'y pense... Si j'y pense, mais en fait, je n'ose pas. C'est pour ça que je te disais que j'ai une relation très particulière. Ma belle-mère, c'est... J'ai... Enfin, maintenant, ça va mieux, mais j'ai toujours eu très peur d'elle et en même temps, toujours eu envie qu'elle m'aime très fort.

  • Speaker #1

    Ça s'entend. Les deux s'entendent. Parce que quand elle me fait peur, c'est déjà une distance.

  • Speaker #0

    Donc, du coup, j'ai pas osé. C'est Après l'incinération...

  • Speaker #1

    Donc vous repartez à Lyon et vous revenez pour l'incinération ?

  • Speaker #0

    C'est ça, on revient pour l'incinération. Et là, c'est pareil, c'est vraiment une ambiance... En fait, on sent qu'il y a deux côtés de la famille. Il y a le côté de mon père, sa vie d'avant. Donc il y a ma grand-mère, mon oncle, ma tante, mon frère et moi. Et de l'autre, il y a mon père et sa vie d'après. Donc mes frères, ma belle-mère et ses filles. Et... Il y a je ne sais pas combien d'amis de mes frères qui sont là aussi.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as des relations avec tes demi-frères et avec sa nouvelle famille ?

  • Speaker #0

    Oui, avec mes demi-frères, on s'entend très bien. Ça se passe très très bien. Avec mes quasi-sœurs. Il y en a une avec qui c'est un peu compliqué, mais parce qu'on a le même âge et qu'on a eu l'adolescence en même temps, donc forcément... donc c'est un peu compliqué mais oui on a quand même des relations c'est ça et donc voilà c'est vraiment cette espèce de séparation qui n'est pas forcément visible mais qui se sent qui se sent vraiment et je pense que en fait comme je disais tout à l'heure mon père a laissé un mail et dans ce mail que moi pour le coup j'ai demandé à ma belle-mère de me l'envoyer Il explique dedans. Donc, il a fait ça pour qu'elle puisse payer la maison. Il dit à un de mes frères qu'il faut qu'il termine ses études parce qu'il est en hôtellerie-restauration. À l'autre, pareil, qu'il faut qu'il termine, il fait un CAP pour être chauffeur routier. Donc, il doit terminer aussi. Il dit, embrasse... Enfin, tu embrasseras très fort Ludivine, qui est une de mes quasi-sœurs. Tu embrasseras... très fort je sais plus qui fait attention aux chiens et aux perroquets et rien sur toi et rien sur moi, rien sur mon frère en fait c'est comme si on avait jamais existé quoi et donc du coup je pense que la lecture de ce mail a aussi un peu repensé l'équilibre entre guillemets et c'est pour ça qu'il y avait cette séparation

  • Speaker #1

    entre ta mère est venue

  • Speaker #0

    Non, non, non, non. Je crois que ça finit sans plus, Gilles. Elle finit, je pense que ma mère et ma belle-mère se détestent. Donc non, ma mère n'est pas venue. Et voilà, donc du coup, il y a eu l'incinération. avec le choix de musique effectuée par ma belle-mère, mais qui représentait tout à fait mon père. Donc pas de soucis là-dessus. Et puis une fois terminé, chacun est reparti. Il n'y a pas eu de moment américain où on se retrouve. On est tous repartis chacun de notre côté.

  • Speaker #1

    Ton copain, à ce moment-là, il est présent ?

  • Speaker #0

    Il est là. Il est venu avec moi. Je lui ai demandé de venir. Après coup, je me dis que c'était peut-être pas une bonne idée parce que c'est le seul moment où il a rencontré mon père, finalement. Mais il est venu. Il est venu pour moi. Il connaissait aussi bien ma grand-mère. Je pense que pour elle, ça lui a fait du bien aussi. Il est venu. Il n'est pas venu voir le corps, quand même. Mais il était là.

  • Speaker #1

    T'es allée le voir, toi, le corps ?

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    T'as pas voulu t'épargner cette vision ?

  • Speaker #0

    Non, je pense que j'en avais besoin pour me dire que c'était vraiment arrivé. Et puis je pense que, même si c'était mon père, il y a peut-être un peu de curiosité morbide. Tu crois ? Ouais, je pense, peut-être. De voir, de réaliser et de voir aussi. Et je me souviens, je rentre dans la pièce dédiée. C'est très sombre, il fait froid. C'est normal en même temps pour conserver. Et donc je m'approche et je vois qu'il a un pull col roulé. Et je me dis, je vais l'embrasser en fait. Parce que pour lui dire au revoir. Et puis je me dis aussi, c'est un peu comme ça qu'on fait normalement. Et en fait, je pose mes lèvres sur son front. Et c'est là où je réalise qu'il est vraiment parti. Parce que... C'est une enveloppe, il n'y a plus rien dedans. On sent vraiment que la vie est partie. Et ça m'a permis de réaliser, mais ça m'a beaucoup traumatisé aussi. Je n'aurais peut-être pas dû le faire. Et après, je suis sortie. Et voilà.

  • Speaker #1

    Tu es quelle âge à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    J'ai 24 ans.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu n'es plus un bébé, mais tu n'es pas une grande personne encore. Non,

  • Speaker #0

    pas tout à fait.

  • Speaker #1

    Et donc, ta vie doit reprendre, tu dois retourner à la fac.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Et tu arrives à le faire ?

  • Speaker #0

    Non, j'écris assez rapidement. J'avais un très bon groupe de copines. Je leur explique très rapidement la situation, alors je ne vais pas revenir tout de suite. J'écris pareil à mes professeurs. Et en fait, je pars pendant une semaine chez ma meilleure amie qui vit à Toulouse, qui me dit, viens à la maison et comme ça, on prend du temps ensemble pour te sortir de cette ambiance complètement morbide. Donc, je passe une semaine... Une semaine à Toulouse, qui me fait beaucoup de bien. Et du coup, pendant cette semaine, je me souviens, je fais un rêve où il y a mon père qui vient me voir et qui me dit Je ne peux pas te parler, je suis très pressée, mais sache que je t'aime et tout va bien. Et voilà. Depuis, je n'ai pas vraiment eu d'autres signes trop bons, mais je me suis beaucoup raccrochée à ça en me disant que peut-être que c'était vrai, peut-être que c'était en imaginaire complet, mais... et que c'est mon inconscient qui a voulu me rassurer et me relever. Mais je me suis dit que ça m'a fait du bien. Que peut-être c'était vraiment lui et que ça m'a permis d'avancer un tout petit peu. Et donc voilà, du coup, je finis par retourner à la fac, reprendre ma vie. Je vis toujours chez ma grand-mère. Donc on essaye de se soutenir l'une comme l'autre, comme on peut. On regarde le bachelor tous les soirs. parce que ça nous fait du bien et ça nous fait rire c'est votre mien de regarder ça avec sa grand-mère c'est très très sympa et du coup voilà le quotidien qui reprend et à la fin de cette année là c'était en 2013 donc il y a mon amoureux qui part et qui doit partir tout début, fin 2013, début 2014. Donc ça fait un an que mon père est mort. Il doit partir pendant six mois faire un échange en Chine. Et donc là, j'avais réussi à tenir jusque là, mais là c'est très très dur pour moi. Je pars de chez ma grand-mère, je retourne chez ma mère, qui entre-temps est partie vivre à Nice. Donc en fait, on a juste l'appartement avec mon frère Simon. Et donc je reste là-bas et je suis vraiment très très mal, je vais plus du tout en cours, j'arrête totalement. Je passe des heures dans ma chambre. Des heures à écrire à Edouard qui, de toute façon, est sur un autre fuseau horaire. Donc, on voit les messages beaucoup plus tard. C'est vraiment une période assez particulière. Je ne mange pratiquement plus ou alors je me fais des fringales et je vais vomir. Enfin, bref, un grand classique. En fait, j'essaye de faire sortir la douleur comme je peux.

  • Speaker #1

    Donc, tu te fais vomir ?

  • Speaker #0

    Oui. Soit je ne vais pas du tout manger, ou alors je vais beaucoup, beaucoup manger. Et en fait, de me faire vomir, j'ai l'impression que ça me soulage. Ça te libère ? Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Tu penses que tu fais une dépression à ce moment-là ?

  • Speaker #0

    Je ne pense pas à ça, non. Je me dis que c'est juste... En fait, je n'y pense pas. Je suis tellement mal que je ne me laisse pas aller, mais je...

  • Speaker #1

    Tu tombes un peu là de ce que tu décris.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Sans me dire que je fais une dépression, je ne pose pas les mots là-dessus. Je laisse la douleur reprendre le pas complètement. Et donc, moi, mon seul but à ce moment-là, c'est que je pars rejoindre Edouard à Shanghai et qu'on va faire un voyage d'un mois et demi. autour un peu de la Chine et du Vietnam. Et voilà, c'est mon point. Je me dis, je travaille pour ça. C'est pour payer mes billets et profiter pendant un mois et demi. Et donc, je pars.

  • Speaker #1

    Attends, attends, avant de partir, tu vas voir quelqu'un pour parler de ça ? Non,

  • Speaker #0

    pas du tout. Je ne vais voir personne parce que... Parce que je me dis que ça ne sert à rien. Et il faut savoir que je suis très pétrie des idées de mon père et de ma belle-mère. Et pour eux, on ne va pas avoir des gens pour parler. En fait, on se soigne tout seul. La vie est dure et puis c'est tout. C'est comme ça. Donc, je ne veux voir personne. Et donc, je pars et j'arrive à Shanghai. Et moi, je rêvais d'aller en Chine depuis toute petite. Et donc c'est un rêve qui se réalise d'aller dans ce pays, je voulais parler chinois, visiter la muraille de Chine, la cité impériale. Et en fait j'arrive et peut-être deux, trois jours après mon arrivée, je commence à faire des crises de panique. Mais vraiment, moi je n'ai jamais fait ça de ma vie, je ne sais pas ce que c'est. Donc c'est vraiment très très violent, en fait mon corps se tétanise complètement. Et je me mets à trembler, j'arrive plus à respirer. Et ça... Ça prend 10, 15, 20 minutes avant que je réussisse à me calmer. Et en fait, on voyage et je suis dans un état complètement second. Je vois les paysages qui défilent. En fait, je suis là sans être là. J'ai l'impression d'être complètement dissociée. Et d'ailleurs je me souviens un moment, je suis sur une plage au Vietnam, et c'est l'endroit paradisinaire, et je suis face à la mer, et je me dis mais en fait c'est trop, c'est trop d'informations, c'est trop de choses qui arrivent à mon cerveau, j'arrive pas à réaliser ce qui se passe. Et en fait je me souviens, je mets mes mains devant moi et je regarde les mains. Je me dis mais c'est pas mes mains en fait. C'est vraiment les mains de... C'est pas à moi. Donc du coup, je suis là et...

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que tu crois que t'as un...

  • Speaker #0

    J'ai l'impression d'avoir un épisode de dépersonnalisation. Genre d'être... devenir folle, en fait. C'est juste ça.

  • Speaker #1

    Et Edouard, il gère ça comment ? Il voit ça ?

  • Speaker #0

    Il ne voit pas. Il ne voit pas parce que j'arrive très bien, en revanche, à donner le change. C'est-à-dire que quand c'est beau, je suis là, waouh, c'est beau. Quand on voyage, je... Voilà, je fais tout en fait pour qu'il ne voit rien et je m'évade moi dans ma tête en étant tout le temps sur mon téléphone les moments où je suis toute seule. C'est-à-dire que je me souviens, j'ai téléchargé tous les... J'ai téléchargé... Game of Thrones. Je ne me souviens plus du titre en français. Donc, je l'ai lu en français. Et j'ai lu tous les livres pendant le voyage, le soir, parce que ça me permettait de ne pas réfléchir. Je pensais juste à l'histoire.

  • Speaker #1

    Moi, c'était Twitter. Je faisais la vie des autres.

  • Speaker #0

    C'est très bien.

  • Speaker #1

    Les amoureux, je me noyais là-dedans. Exactement.

  • Speaker #0

    Et du coup, on rentre en France. Et donc, je m'étais dit peut-être que... Parce que je sais qu'il y a... Par exemple, quand certaines personnes d'origine chinoise ou japonaise arrivent en France, elles ont toujours eu cette espèce de fantasme sur la France. Et elles font des moments de dépersonnalisation. C'est le syndrome de Stendhal, ça s'appelle. Parce qu'elles trouvent ça vraiment trop beau. Et moi, je me dis, peut-être que c'est ça que j'ai vécu.

  • Speaker #1

    Trop beau ou trop loin de ce qu'elles imaginaient ? Aussi,

  • Speaker #0

    aussi, ouais. Et je me dis, c'est peut-être ça que j'ai vécu. Et je me dis, une fois rentrée en France, ça va aller mieux. Et pas du tout. C'est encore pire en fait. Du coup je rentre chez ma grand-mère et je me souviens, je ne sais pas ce que fait ma grand-mère. Je pense qu'elle est là mais je ne me souviens même plus si elle est là ou si elle n'est pas là. Et moi je passe peut-être trois semaines, un mois dans le noir, je ferme les volets et je regarde la télé. Je m'assomme avec la télé. Je regarde tout ce qui passe. Je ne regarde pas les infos, je ne regarde que des trucs... Voilà, les trucs les plus nuls possibles, je vais les regarder.

  • Speaker #1

    Oui, mais les trucs nuls, en fait, ils ne font pas de peine. Oui, c'est ça,

  • Speaker #0

    exactement. Et toi, tu poses le cerveau et c'est très bien. Et voilà. Et en fait, on a pris la décision avec Edouard de s'installer à Paris. Et donc on rentre en juillet et en août, on va pour chercher un appartement. On trouve un appartement très mignon. dans le 18ème, le premier cocon. Et moi je me dis, je ne vais pas pouvoir rester là en fait. Je ne vais pas pouvoir rester avec lui, je ne peux pas en fait. Je commence à paniquer de cette vie qui s'installe et qui commence à être une routine un peu classique, on va dire, l'appartement avec le copain, et puis après ça va être les fiançailles, le mariage, le bébé. Et moi je panique complètement. Et donc là, c'est pareil, je vais être dans le même état qu'en Chine, où je vais faire beaucoup de crises de panique. En fait, cette fois, je les sens arriver. Donc dès que j'en sens une arriver, je m'éloigne. Je ne veux pas qu'Edouard soit là. En fait, je veux la gérer toute seule. J'ai l'impression d'avoir un voile dans le visage tout le temps. Je vais au travail, je travaille dans une boulangerie. Je veux vraiment pardon pour les clients parce que je pense que j'ai des moments vraiment très désagréables. Et voilà, ma vie passe comme ça, je la regarde sans faire vraiment attention. Et puis cette année se passe et l'année suivante, Edouard doit faire sa dernière année dans son école. Donc je prends un autre appartement, un petit studio, toute seule. Et là, ça va être le pire du pire. Dès que je ne vais pas au travail, le soir je rentre chez moi et je prends des omnifères. Le week-end c'est pareil, quand Edouard ne vient pas, c'est pour faire passer le temps. Pour que ça passe plus vite. vite, et pour ne pas penser encore une fois. Je continue les crises de panique, sauf que maintenant, ça se déclenche vraiment pour tout et pour rien. Je me souviens du mariage du frère d'Edouard où on me demande juste si ça va à l'entrée de l'église et en fait, j'explose ensemble. Et c'est vraiment, voilà, rien ne me fait partir. Et donc, à la fin de cette année-là,

  • Speaker #1

    Tu continues à avoir des troubles alimentaires ? Oui.

  • Speaker #0

    Parce qu'ils veulent, d'accord. Exactement. Et donc, à la fin de cette année-là, Edouard revient à Paris. On s'installe à nouveau ensemble. Et donc moi, c'est moi qui commence à dire, ça fait longtemps qu'on est ensemble, j'ai envie qu'on se marie, j'ai envie qu'on fonde une famille. Pour moi, c'était ma famille, la mienne côté parents a volé en éclats, donc je veux construire la mienne. Et il me dit, mais Mia, comment tu veux qu'on se marie et qu'on ait des enfants, vu ton état en fait ? Donc là, en fait, ce qu'il faut que tu fasses, c'est que toi, déjà tu te soignes et tu te reconstruises, et après, peut-être que... Et sur le moment, je ne veux pas l'entendre, mais ça va très bien, c'est bon, c'était il y a 3-4 ans, je ne sais même plus. Et il me dit, non, non, mais là, c'est non en fait.

  • Speaker #1

    Tu crois que tu lui as caché des trucs ou en fait il a...

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, complètement. C'est clair. Et donc je finis par me reprendre en main en fait parce que je me dis je veux tellement ça que ok je vais le faire alors si c'est que ça qu'il faut faire. Et donc je vais trouver une psychologue. sur Paris, qui va me voir pendant un an toutes les semaines et qui va me dire que tout simplement j'ai subi un choc, je suis en choc post-traumatique du fait que la nouvelle a été trop violente, apprise d'une façon quand même particulière et du coup qu'il faut que j'apprenne à vivre avec, mais qu'il faut que je travaille et que... Et pas que je fasse le deuil, mais que j'en parle pour pouvoir avancer. Et donc, pendant un an, on va parler de ça et puis de plein d'autres choses. Et ça va beaucoup, beaucoup m'aider. Et donc, du coup, je vais commencer à aller de mieux en mieux. Je vais faire beaucoup moins de crises de panique. Je vais recommencer à bien manger. Un peu trop. Et en fait, là, après, à partir de ce moment-là, va se dérouler la vie. qui est quand même plus simple, où je me sens de mieux en mieux dans mon corps, où je profite de la vie parisienne. J'ai un travail qui ne me plaît pas forcément, mais j'ai des super collègues, on est amis en dehors du travail. La vie est sympa.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que la vie redevient un peu sereine et c'est comme si le voile partait.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Et de toute façon, j'avais fait un pacte. avec Dieu toi t'es religieuse ? moi je suis de confession juive et t'es croyante ? croyante, pratiquante un peu et du coup j'ai fait un pacte en disant là tu me fous la paix pendant 10 ans c'est horrible parce que ça fait une épée de damoclèche là du coup ça fait 11 ou 12 ans donc ça a l'air d'aller et pardon mais tu fais vraiment un pack dans ta tête dans ma tête où il faut savoir que avant ça moi j'étais pour le coup j'étais pratiquante J'étais vraiment très pratiquante. Ensuite, j'ai rencontré Edouard, qui n'est pas juif. J'ai un peu dévié. Même, je me souviens, au début, j'étais là, je ne peux pas me mettre avec lui parce qu'il n'est pas juif. On s'est quand même mis ensemble parce que l'amour est plus fort que tout. À partir du moment où je mangeais cachère, je mettais encore des jupes assez longues. J'ai gardé tout ça quand même.

  • Speaker #1

    Je viens d'apprendre l'expression t'snewt Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. J'adore.

  • Speaker #1

    Pour ça, ça veut dire que c'est les femmes juives qui respectent une certaine façon de s'habiller pudique.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et du coup...

  • Speaker #1

    Et là, t'as arrêté quand t'as commencé à sortir avec lui ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai continué. Ah d'accord. J'ai quand même continué. Alors, peut-être pas les vêtements, mais en tout cas, je continuais à... À manger le plus cachère possible, je faisais Shabbat, les fêtes. Et puis quand mon père est mort, j'ai dit non. Non. En fait, c'est bon. Parce que, enfin, pourquoi en fait ?

  • Speaker #1

    Si Dieu existe et qu'il a laissé pour ça,

  • Speaker #0

    c'est qu'il mérite pas ses efforts. Exactement. Et puis, voilà, après je... J'ai moi personnellement d'autres choses qui se sont passées avant dans ma vie qui n'étaient vraiment pas cool. Et je me dis mais ça, ça y est, il y a un moment, on ne peut pas, on s'acharne. C'est toujours les mêmes personnes en fait, on a l'impression. Et donc j'ai dit stop, c'est bon, moi j'arrête tout. Je m'habille comme je veux, je mange ce que je veux, ça y est. Et je lui ai dit on reverra dans dix ans, mais là, tu me fous la paix. Et donc voilà, du coup, cette psychothérapie se passe, enfin cette thérapie se passe.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Donc elle doit finir par me demander en mariage. On se marie et c'est génial. Et voilà, moi il n'y a pas un jour qui passe sans que je pense à mon père. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je sois en colère après lui, en me disant, mais pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? Parce qu'on peut me dire que c'est l'argent, mais moi j'y crois moyennement, puisque j'ai appris quelques semaines après son décès qu'il avait retrouvé du travail et qu'il allait signer un nouveau CDI. Enfin, voilà.

  • Speaker #1

    Et tu dis qu'il y a toujours une partie de rationnel et puis il y a des choses, parfois une maladie mentale elle se voit pas et se t'aime pas

  • Speaker #0

    C'est ça, je pense qu'il a toujours été Il a peut-être toujours été dépressif. Comme on disait, c'est une personne qui ne voulait pas se soigner dans tous les cas. Il ne serait jamais allé voir quelqu'un pour parler de quoi que ce soit. C'est ma mère qui m'a raconté quelques années après, quand ils étaient ensemble, ils avaient entre 16 et 18 ans, il lui avait dit, de toute façon, moi, je n'attendrai pas les 50 ans. Et il s'est suicidé à 42 ans. Donc voilà, il y avait quand même un terrain. Et donc du coup, moi, je vis ma vie, mais je suis quand même très, très en colère après lui. Je me pose des questions, je l'insulte dans ma tête, très clairement. Je n'arrive pas à passer... outre ce qu'il a fait, je n'arrive pas à me dire pourquoi il ne nous a pas laissé un mot, juste une attention, une pensée. Je ne comprends pas et je ne comprendrai jamais de toute façon. Du coup, cette colère sourde qui continue, même si moi ça va mieux, je n'arrive pas à passer à autre chose par rapport à ça. Et puis, je tombe enceinte de Noé, qui est le premier petit garçon. Et... Et là, en fait, je deviens maman. Et c'est trop beau. Et d'un côté, je me dis, mais regarde ce que t'as raté. Tu seras jamais grand-père, en fait. Et tu rencontreras jamais ton petit-fils. Et moi, Noé, je vais commencer à lui parler de mon père, il y a... Un an.

  • Speaker #1

    Il a quel âge ?

  • Speaker #0

    Il a 4 ans. Ok. Et j'ai commencé à lui parler il y a un an. Avant, je ne parlais même pas de lui. En fait, c'est Edouard qui parlait de temps en temps de lui. Moi, je ne voulais pas, en fait. Je ne dis même pas que je ne voulais pas. C'est que je n'y pensais pas. Je ne me disais pas, de toute façon, toi, tu as fait ça. Pourquoi tu aurais une place, finalement ? Et en fait... toujours cette colère et je vais découvrir à la naissance de Noé, je vais découvrir un compte sur Instagram d'une femme qui propose des ateliers d'écriture. Et donc je vais suivre ses ateliers, je vais écrire beaucoup sur mon père, beaucoup sur d'autres sujets, mais beaucoup sur mon père, je vais écrire toute la colère que j'ai. Mais vraiment, je crache les mots. C'est un exutoire. Oui, exactement. Je crache les mots et en fait, ça me fait du plaisir. chaque fois plus de bien de pouvoir écrire tout ça. C'est des choses que je n'ai jamais lues à personne, à part aux femmes qui étaient avec moi dans ces ateliers. Et ça me fait énormément de bien. Et donc, l'année dernière, c'était les 11 ans de sa mort ? Ou 12 ans, je ne sais plus. Et en fait, un mois avant, je me suis rendue compte que j'étais enceinte de mon deuxième fils. Et en fait, mon père s'est suicidé un 12 janvier. Et chaque 12 janvier, je pose ma journée. Et avant, c'était pour, je ne sais pas, peut-être me recueillir. Et puis voilà, laisser libre au cours justement à ma colère. Et l'année dernière, j'ai dit, je pose ma journée. Mais en fait, stop. Donc, je me souviens, on est partis se promener avec Edouard. Donc, on habite dans le sud. On s'est promenés dans la ville. On allait manger, restant. J'ai bu un verre de vin. Et je me suis dit, bah voilà. Là, en fait, j'arrête d'être en colère. Je n'ai plus de colère. Je ne pardonnerai pas. Je ne lui pardonnerai jamais. Et ce n'est pas grave, en fait. Ce n'est pas parce qu'on nous dit qu'il faut pardonner qu'on est obligé de le faire. Moi, je ne le ferai pas. il n'y arriverait pas. Mais par contre, je ne veux plus être en colère après lui. Et je veux juste profiter. Voilà, exactement. Et c'est du coup, à partir de ce moment-là aussi, que j'ai commencé à parler de Papy Laurent à Noé. Et voilà, il sait qu'il est mort. Il ne sait pas comment. Ça, je lui ai dit que c'est trop triste et qu'il le saura plus tard. Mais voilà, du coup, mon père, il a un peu regagné sa place, même s'il n'est pas présent. Mais voilà, je refais une petite place petit à petit dans mes pensées, sans être en colère, sans avoir de rancœur. juste il sait s'il est quelque part il sait qu'il ne sera jamais pardonné mais moi comme tu dis je me laisse le bonheur de pouvoir vivre sans avoir cette espèce de boulet de tristesse qui traîne avec moi

  • Speaker #1

    De ce que tu décris, les deux choses qui ont beaucoup changé les choses, c'est quand tu es allée voir quelqu'un pour te faire accompagner, et quand tu as fait des enfants avec un homme que tu aimes et qui t'aime. Et que ça veut dire que toi, t'as pas reproduit les choses et que t'as mis fin... Pardon, je suis pas psy, mais je te dis comme... Que t'as mis fin au cycle, quoi. Toi, t'as choisi la vie.

  • Speaker #0

    C'est ça, exactement. Oui, c'est exactement ça. J'y pense. C'est vrai que c'est ça. Et c'est pour ça que je pense que c'était aussi un besoin. D'avoir des enfants, c'était aussi d'avoir ma famille. C'était un besoin aussi de me réparer et de réparer, comme tu dis, ce que je n'ai pas eu étant plus petite. Et je sais que forcément, c'est une famille. Il y a des hauts, il y a des bas, mais on est heureux, on est bien tous les quatre. C'est facile et c'est simple.

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