ARNAUD G. S4E6 cover
ARNAUD G. S4E6 cover
Ça Va Bien S'Passer

ARNAUD G. S4E6

ARNAUD G. S4E6

57min |24/05/2024
Play
ARNAUD G. S4E6 cover
ARNAUD G. S4E6 cover
Ça Va Bien S'Passer

ARNAUD G. S4E6

ARNAUD G. S4E6

57min |24/05/2024
Play

Description

"Je Iui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meures, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre."

Que peut-on ajouter à part bonne écoute?

Sarah


Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject depuis 2019

Réalisation G Carbonneaux


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je lui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meurs, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix, continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, on continue à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air, et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro, et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient puissants, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tous en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, rirez, installez-vous confortablement. Et ça va bien se passer. Bonjour Arnaud.

  • Speaker #0

    Bonjour Sarah.

  • Speaker #1

    Je suis content que tu sois à mon micro.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'inviter sur ce podcast.

  • Speaker #1

    Tu as une petite quarantaine d'années.

  • Speaker #0

    J'ai 43 ans exactement.

  • Speaker #1

    Voilà, j'essayais de tricher. Et tu es fils unique, si je ne me trompe pas ?

  • Speaker #0

    Je suis fils unique, exactement. Alors, j'ai une sœur qui est la ménant et qui est la fille de mon père, mais qui n'est pas la fille de ma mère.

  • Speaker #1

    C'est là que je voulais en venir. Est-ce que tu peux me raconter comment est ta vie et comment se passe pour vous le confinement et la suite du confinement ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je suis parisien, je vis à Paris, je suis chef d'entreprise. J'ai monté une société de conseil d'une dizaine de personnes que je co-dirige avec mon associé. Et... Je vis le confinement un peu comme tout le monde et ma mère pendant le confinement vit seule. J'ai perdu mon père il y a une dizaine d'années. Donc forcément le confinement est un peu difficile pour elle, comme pour beaucoup de nos aînés. Et à la sortie du confinement, moi j'observe chez ma mère des petits signaux de baisse de santé. Au début je ne me fais pas trop de questions, mais je vois que ma mère commence à avoir un peu de mal à marcher, parfois elle a du mal à s'exprimer, des petits problèmes d'élocution. Et je pense comme beaucoup de personnes, je mets ça un peu sur le dos du confinement, en me disant que le confinement était dur pour elle. Donc voilà, ça fait partie malheureusement de la vie et de l'âge qui avance.

  • Speaker #1

    Elle a quel âge, la taille mémoire ?

  • Speaker #0

    Elle a 70 ans, pas plus 70 ans. C'est une femme qui est hyper dynamique. Elle fait de la photo, elle fait des voyages, elle est hyper active. Et face à ces petits signaux, j'incite quand même ma mère à aller voir un neurologue, en se disant qu'à où, on ne sait jamais. En plus, les signaux ont tendance plutôt à s'aggraver. Ma mère va voir un premier neurologue. Alors, il faut savoir qu'on va voir un neurologue il y a trois mois d'attente. On voit le neurologue qui donne un examen. Ensuite, on revoit le neurologue deux mois plus tard avec les résultats de l'examen. Donc, tout ça prend du temps. Je pense que le premier neurologue n'est pas forcément la bonne personne. Elle finit par rencontrer un bon neurologue, et je fais l'histoire un peu rapide. Un jour, le neurologue lui diagnostique une maladie de Parkinson.

  • Speaker #1

    Ok. Comment elle le prend ?

  • Speaker #0

    C'est une nouvelle nouvelle, une maladie de Parkinson. Mais en même temps, aujourd'hui, il y a un certain nombre de traitements qui font qu'on peut vivre avec une maladie de Parkinson, continuer à avoir une vie active. Donc ma mère est très courageuse. Elle prend ses traitements. fait plein d'exercices de kiné chez elle, enfin voilà, elle est très très combative. Moi à ce moment-là j'essaie de l'accompagner là-dedans, de l'encourager, et on se rend très vite compte que finalement son état continue à se dégrader, les traitements ne font pas effet, elle commence à marcher avec une canne, elle est très épuisée, elle commence à perdre la vue aussi. Donc à ce moment-là... Je sens qu'il y a un problème. Elle fait des examens complémentaires et on se retrouve un jour, alors je l'accompagne du coup chez le neurologue, je sens que ça ne va pas très bien et dans un rendez-vous avec le neurologue, le neurologue lui explique qu'elle n'a pas de maladie de Parkinson mais une maladie rare qui s'appelle une paralysie supranucléaire progressive. D'accord. Désolé de m'avoir un peu compliqué, l'abréviation c'est PSP. La paralysie supranucléaire progressive, c'est une maladie qui touche 5 à 10 000 personnes en France. C'est une maladie qui est très rare, c'est une maladie neurodégénérative. Et très vite, le médecin nous dit, voilà, dans cette maladie, il n'y a aucun traitement. C'est-à-dire que c'est une maladie sans traitement.

  • Speaker #1

    Et vous dites ça tout de suite ?

  • Speaker #0

    Très vite, le médecin ne nous fait pas de faux espoirs. Il nous dit, voilà, aujourd'hui, en état actuel de la science, on ne sait pas soigner cette maladie. Il y a quelques traitements sur certains symptômes, mais il n'y a pas grand-chose à faire. Donc c'est le maladie qui touche le cerveau, qui est neurodégénérative et qui entraîne d'abord une perte de mobilité des membres inférieurs, donc les gens ont plus de mal à marcher, puis progressivement une perte de mobilité des membres supérieurs. Donc le dos se contracte, il y a des rigidités musculaires au niveau des bras. Les gens ont tendance à perdre la vue progressivement, avec souvent des douleurs aux yeux liées à la lumière. Les gens perdent aussi progressivement l'usage de la parole et la capacité de déglutition. Donc bien sûr, tout ça est très progressif.

  • Speaker #1

    Et c'est lui qui vous le dit ou c'est toi qui fais des recherches ?

  • Speaker #0

    Alors, le médecin, avec pas mal de subtilité et de finesse, nous présente un peu les différents symptômes. Il essaye non pas d'enromper les choses, je pense qu'il a très bien fait les choses, il a la foi claire sur les symptômes, mais on voit très vite la gravité de la maladie. Et surtout, on réalise, enfin moi je réalise que ma mère, en fait, la maladie est plus avancée que ce qu'on pense. Et que ça fait potentiellement plusieurs années qu'elle a ça. C'est une maladie qui est très très mal diagnostiquée en France aujourd'hui, qui est très peu connue aussi.

  • Speaker #1

    Et le confinement ?

  • Speaker #0

    Pendant le confinement, on n'a pas pu voir les choses. Et donc là, moi, je prends conscience de la situation. Et puis après, on fait des recherches avec ma mère. Je réalise que c'est une maladie.

  • Speaker #1

    Elle fait des Elle sait manier Internet ?

  • Speaker #0

    Elle fait un peu des recherches. Et alors, surtout, il y a un élément qui est hyper important à ce moment-là, c'est qu'en fait, on a perdu mon père d'une maladie d'Alzheimer. D'accord. Mon père est mort il y a 12 ans d'une maladie d'Alzheimer qui a été assez longue, assez dure. Et dans les dernières années de sa vie, mon père a été placé dans une institution spécialisée avec... que des gens qui sont atteints de maladies neurodégénératives. Et donc, ma mère, pendant trois ans, alors c'est forcément un drame familial, ça a été très dur pour elle, mais elle a vu, vraiment, elle a vu des malades en phase terminale, enfin, dans les dernières phases de ces maladies neurodégénératives.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas mystérieux pour elle ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas mystérieux pour elle, elle sait ce qui l'attend. Donc, tout de suite, quand le médecin lui annonce les choses, il n'a pas besoin de beaucoup dérouler, ma mère sait ce qui va l'attendre. Alors, on ne sait pas si c'est dans six mois, si c'est dans un an, si c'est dans trois ans, mais elle sait ce qui l'attend. Et surtout, suite à cette histoire, suite à la mort de mon père, ma mère m'avait dit à plusieurs reprises, Arnaud, si jamais il m'arrive la même chose, je veux que tu m'aides à partir plus tôt, plus vite. Ce qui est en fait assez fréquent, parce que c'est traumatisant d'avoir des gens comme ça dans cet état-là. Et elle m'avait dit, Arnaud, si jamais ça m'arrive, moi je veux que tu m'aides à partir plus vite. Alors moi à ce moment-là... Je lui avais dit bien sûr maman t'en fais pas mais objectivement ça passait par une oreille, ça sortait pas par l'autre. Je me disais de toute façon elle est trois fois plus dynamique que moi, elle est hyper active, le temps que ça arrive on n'en est pas là. Mais c'est quand même important pour la suite de l'histoire. Et donc, quand la maladie est annoncée, quand la paralysie supranucléaire est annoncée, concrètement, moi, je me transforme en aidant familial. Ça veut dire qu'il y a énormément de choses à faire. Alors, les gens qui ne sont pas confrontés à ces maladies, là, ne s'en rendent pas toujours compte. Mais il faut très vite mettre en place une assistante à domicile, faire en sorte que ma mère ait un bracelet pour pouvoir appuyer sur le téléphone si jamais elle tombe chez elle. Je me rends compte aussi que ma mère a... pas forcément communiqué sur l'état de sa maladie. Moi, j'étais peut-être aussi un peu dans le déni. Je me rends compte surtout que la maladie progresse très, très vite. Donc, très vite, il faut faire les courses, l'aider à préparer ses repas.

  • Speaker #1

    Elle n'a pas communiqué ? C'est-à-dire que c'est toi qui l'annonces aux membres de la famille ?

  • Speaker #0

    Alors, elle n'a pas communiqué, c'est-à-dire qu'elle ne m'a pas forcément dit la gravité de sa maladie, ce qu'elle vivait dans le quotidien.

  • Speaker #1

    Ah pardon, je n'avais pas compris. Donc, elle ne t'a pas raconté la réalité de l'ampleur, de comment ça l'affecte, de combien ça l'affecte ?

  • Speaker #0

    Je pense que ma mère, c'est une personne très pudique. donc elle cherche à montrer que tout va bien et moi à l'occasion du diagnostic je réalise que la maladie progresse très vite et qu'il y a plein de petites choses qu'elle n'arrive plus à faire dans son quotidien et donc tu organises toute sa vie ? donc j'organise, c'est hyper classique en fait malheureusement comme parcours d'aidant familial c'est à dire que je passe à peu près une journée par semaine à organiser des choses très concrètes, faire en sorte qu'il y ait un kiné, un orthophoniste qui puisse venir à domicile, organiser les repas, il y a plein de démarches administratives, trouver des aides aussi financières pour les enfants à domicile, donc il y a plein plein de choses à faire. Et moi à ce moment-là, je me réfugiais un peu dans l'action, je me dis, il y a un problème, je mets en place tout ce que je peux pour accompagner ma mère,

  • Speaker #1

    tout ce que je maîtrise,

  • Speaker #0

    il y a un enjeu de maîtrise de la situation. Et puis malheureusement dans cette maladie, en fait... Comme ça va très vite, les solutions qu'on met en place à un moment donné, un mois plus tard... il faut les renforcer il faut les revoir il faut les compléter donc c'est beaucoup de travail en fait c'est beaucoup d'accompagnement à côté ça bien sûr je passe beaucoup de temps avec ma mère j'essaye de lui accorder les meilleurs moments avec ma sœur on décide de l'emmener en bord de mer on va en Normandie on mange des fruits de mer enfin voyez on essaye quand même de faire en sorte on se dit à ce moment-là accordons-lui tous les moments dont elle peut profiter tant qu'elle peut encore en profiter donc quand même une chaîne de solidarité qui se met en place autour d'elle et puis très rapidement malheureusement la situation La situation arrive à un tel point qu'à peu près trois mois après l'annonce du diagnostic, ma mère doit aller en EHPAD. d'accord c'est une décision difficile mais à ce moment là ma mère se dit qu'elle sera plus en sécurité parce que elle risque de tomber, elle a du mal à se lever tous les gestes du quotidien deviennent très difficiles, elle est en train de perdre la vue donc c'est à la fois un drame pour elle d'aller en EHPAD mais en même temps c'est une femme très rationnelle et elle se dit voilà s'il m'arrive quelque chose j'aurai de toute manière un infirmier ou un médecin qui me déparage et je serai plus protégé Le placement en EHPAD est un moment difficile, mais ma mère affronte tout ça avec beaucoup de courage, avec beaucoup de pudeur. Je pense beaucoup de dignité, enfin pas je pense, clairement avec beaucoup de dignité.

  • Speaker #1

    Tu le choisis comment l'EHPAD ?

  • Speaker #0

    Alors je fais un truc, je fais le tour des Ehpad, c'est quelque chose qui n'est pas terrible à faire, mais je passe quelques semaines à visiter des Ehpad pour essayer de trouver le meilleur Ehpad. Ma mère est très parisienne, elle a grandi à Belleville, donc je choisis un Ehpad dans le centre de Paris, qui coûte un peu cher malheureusement, mais en me disant, l'avantage c'est qu'on peut sortir de l'Ehpad, aller à un petit café du coin, aller dans le bistrot du coin, et ma mère, voilà.

  • Speaker #1

    Elle retrouve un peu ce qu'elle aime.

  • Speaker #0

    Elle retrouve un peu ses repères. Et puis, je sais aussi que ça n'a pas forcément duré très longtemps, parce que la maladie progresse malheureusement très vite, donc de semaine en semaine, de mois en mois, on voit la maladie.

  • Speaker #1

    Ça va si vite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Ça va vite. Alors, moi, je le vois parce que je suis très proche d'elle. Bien sûr. Je la vois très souvent, mais ça va très vite. Ça va très vite. Un jour, ma mère voit le neurologue et elle lui pose une question. Ma mère lui dit, est-ce que je pourrais devenir cobaye et rentrer dans un programme de recherche ? Alors, moi, au début, je ne mesure pas forcément l'importance de cette question, mais ma mère est un peu en mode... pardon pour l'expression, mais fichu pour fichu, autant que je serve à la science, et donc elle demande aux médecins de rentrer dans un programme de recherche, non pas pour, avec l'espoir de se guérir, mais simplement avec l'espoir de dire, peut-être qu'au moins, je peux contribuer à la recherche. Le neurologue, qui est un homme très humain, comprend, mais il dit Désolé madame, en ce moment, on n'a pas de programme de recherche, il n'y a rien qui peut correspondre à cette maladie. Et donc, ce n'est pas possible. Je ne m'en rends pas tout de suite compte, mais c'est un moment difficile pour ma mère, parce que je pense que c'était une des choses qui l'accrochait encore à la vie ou qui lui donnait de l'espoir, de se dire Je peux contribuer à la recherche. Et quelques semaines plus tard, ma mère me dit Écoute Arnaud, J'ai bien réfléchi, je veux en finir plus vite. Je ne sais plus exactement comment elle me l'exprime, mais quand elle me le dit, c'est très rationnel, c'est très posé. Et là, vous savez, dans la vie, il y a parfois des choix, c'est-à-dire que j'aurais très bien pu répondre à ma mère, écoute, t'as une baisse de morale, t'en fais pas, ça va aller. Mais je vois tellement sa souffrance, parce que ma mère, à ce moment-là, commence à s'enfermer dans son corps. La vie, psychologiquement, c'est très dur pour elle. Et surtout, en fait, elle m'a tellement demandé. Pendant plusieurs années, à plusieurs moments, elle m'a tellement demandé de dire je ne veux pas me retrouver dans ces états de très grande dépendance Du coup, j'y réponds écoute maman, est-ce que tu veux que je me renseigne ? C'est-à-dire qu'à ce moment-là, moi je ne me dis pas grand-chose en fait.

  • Speaker #1

    Tu ne veux pas que ça s'aligne, tu me dis, mais en fait c'est quelque chose qu'elle me dit depuis dix ans.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qu'elle m'a pas mal répété. Moi, je lui ai dit, écoute, je lui ai déjà dit, maman, on le fera, t'en fais pas. Donc, je suis un peu engagé par cette promesse. Et surtout, à ce moment-là, moi, j'ai aucune idée de comment ça se passe. Et ce que je lui promets déjà, c'est de me renseigner. C'est-à-dire, je ne lui dis pas quoi que ce soit est possible. Je lui dis juste, écoute, je vais me renseigner. Pour me renseigner, la... Pour me renseigner, je vais... En fait, très vite, je prends la décision de rencontrer des familles. C'est-à-dire...

  • Speaker #1

    Qui ont vécu la même maladie ?

  • Speaker #0

    La même maladie. Et notamment des familles qui ont accompagné leurs parents déjà en soins palliatifs, en France. Et je rencontre des familles qui ont accompagné leurs proches en soins palliatifs, des patients atteints de cette maladie. J'ai la confirmation que les fins de vie sont très douloureuses. Ce qu'il faut savoir, c'est que ce n'est pas une maladie qui entraîne la mort, naturellement, des personnes. Donc les personnes peuvent rester... un certain temps dans un état de très grande dépendance.

  • Speaker #1

    Et de souffrance en plus de...

  • Speaker #0

    Et surtout, c'est une maladie qui a des petits troubles de l'attention et de la concentration, mais les gens restent conscients. Donc potentiellement, les personnes se retrouvent au bout d'un moment un peu enfermées dans leur corps. Comme il n'y a parfois plus la parole et plus la vue, ça veut dire qu'il n'y a plus de moyens de communiquer. Et puis comme il n'y a plus de capacité à déglutir, les personnes se retrouvent nourries par sondes, elles finissent par s'amaigrir, et sans rentrer dans les détails, c'était vraiment vite très difficile. Alors ça malgré bien sûr le courage, l'accompagnement, les soins palliatifs, et le confort qu'on peut installer, mais malgré le confort, à partir du moment où il n'y a plus de communication, ça reste très difficile. Voilà, et je vois des familles qui sont objectivement très marquées par ces moments-là. Et du coup, je me renseigne aussi sur les possibilités de mort anticipée. Je me rends compte, bien sûr, à ce moment-là, en France, rien n'est possible, tout est illégal. Et je vois très vite que la seule solution, c'est en Suisse, avec un suicide assisté. Et donc, je parle aussi à des familles qui ont accompagné leurs proches dans des suicides assistés. Le suicide assisté en Suisse, c'est de manière très simple. On pose aux personnes une perfusion et les personnes appuient sur un bouton qui libère un produit, qui les endort et qui met fin à leur vie.

  • Speaker #1

    Soi-même ?

  • Speaker #0

    Soi-même. Voilà. C'est-à-dire que les personnes ont juste un geste à faire, qui est d'appuyer sur un bouton. J'ai toutes ces infos, je reviens vers ma mère et je lui dis Maman, est-ce que tu es sûre que tu veux vraiment que je te donne ces informations ? Elle me dit Oui Arnaud, je te le demande et surtout elle me dit que je veux que tu sois cash avec moi, je veux tout savoir, je veux avoir toutes les informations. Donc là, je lui présente les deux solutions, je lui présente ce que j'ai trouvé et globalement, je lui dis, écoute, il y a deux possibilités. Soit on t'accompagne en soins palliatifs en France et on essaye de trouver le meilleur service et de t'accompagner avec le meilleur confort possible.

  • Speaker #1

    C'est dans le cadre de la loi Leonetti ?

  • Speaker #0

    C'est ça. C'est dans le cadre de la loi Leonetti. Alors la sédation profonde est possible, mais... En tout cas, le retour des familles que j'ai, c'est que c'est quand même à partir d'un certain état, c'est-à-dire que c'est très tardif. Et c'est souvent dans des moments très difficiles, et donc il y a beaucoup, beaucoup de souffrance avant d'arriver là. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de suicide anticipé en France, qu'on soit clair.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de suicide anticipé, et c'est quand les malades arrivent, généralement, enfin ce qui se passe souvent dans ces maladies, c'est qu'il y a des infections pulmonaires. Et c'est à l'occasion d'infections pulmonaires qu'on décide de provoquer une sédation profonde. Et puis je présente aussi à ma mère ce que j'ai compris du suicide à la cité en Suisse. Et là, ma mère me dit, écoute Arnaud, merci beaucoup, j'ai bien compris, je vais réfléchir.

  • Speaker #1

    Je pensais que tu allais dire, j'ai bien compris, voilà mon choix, ça me fait chaud.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout, pas du tout. Pas du tout, parce que vous savez, il y a plein de gens qui disent, voilà, s'il m'a dit grave, m'arrivait, je me suiciderais directement, j'arriverais en Suisse. Mais entre imaginer les choses et être confronté, l'écart, il est énorme. C'est un monde. Et donc ma mère rentre dans une longue phase de réflexion, alors longue, ça dure un mois. Ce qui est important de comprendre, et ce qui est difficile, c'est qu'au début, la réflexion de ma mère se fait pas par rapport à elle, mais par rapport à nous. C'est-à-dire, ma mère se dit, qu'est-ce qui est le moins douloureux pour mon entourage ? Et donc ça la fait hésiter énormément, parce que d'un coup, parfois elle se dit, je peux pas imposer à mes proches un sujet d'assister, psychologiquement c'est trop lourd. Et puis à d'autres moments elle se dit, mais je peux pas non plus leur imposer. une fin en soins palliatifs, ça va être trop lourd et trop dur pour eux. On rentre dans une période qui est... Alors, cette période, elle n'est pas simple. Et moi, un jour, j'ai une discussion, une conversation avec ma mère qui fait partie des conversations difficiles. J'ai eu des meilleures conversations dans ma vie. Et je lui ai dit, écoute, maman, de toute façon, moi, je n'ai pas envie que tu meurs. Je n'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté. Donc, les deux sont horribles, en fait. Mais... je m'engage, enfin mon engagement, c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre. Et par contre, je lui dis, la seule chose que je te demande, c'est que ton choix soit fait par rapport à toi et pas par rapport à ton entourage. Et ça, c'est hyper important. C'est-à-dire que je lui dis, moi, je ne t'accompagnerai pas dans son choix si ce n'est pas par rapport à toi.

  • Speaker #1

    Et ton maturité ?

  • Speaker #0

    Je vois un psy, ça aide, et ce n'est pas du luxe. Le meilleur investissement de ma vie. En fait, ce que je lui dis sur Toimer, c'est que je lui dis, imagine que... tu mets fin à tes jours en Suisse et que je sache que tu mets fin à tes jours pour m'épargner de t'accompagner dans un soin palliatif, jamais je pourrais m'en construire après ça. Donc il faut que ça soit que par rapport à toi. Et surtout, je lui dis autre chose qui est hyper important, c'est que je lui dis, quoi qu'il arrive, je m'en remettrai. Et ça, c'est un message hyper important, parce que je pense que pour un parent, c'est très angoissant de savoir que les conditions de sa mort vont potentiellement impacter ou voire traumatiser son entourage. Et donc moi, je dis, maman, ça sera très dur, ça sera très douloureux, mais je reconstruirai ma vie après et je serai heureux, quelle que soit la solution.

  • Speaker #1

    Quel cadeau de lui dire ça. qu'est-ce que c'est qu'est-ce que c'est le mot c'est pas généreux mais qu'est-ce que c'est spontanément j'ai dit quel cadeau de lui dire ça parce que ça libère et ça autorise à faire un choix alors c'est vraiment ce que je souhaite et c'est

  • Speaker #0

    vraiment ce que je souhaite ce qu'il faut bien voir c'est qu'à ce moment-là on est plusieurs autour d'elle, c'est-à-dire que Très vite, ma mère identifie deux amis, ma sœur et moi, et donc elle partage à peu de monde cette situation, cette réflexion, mais on est un petit groupe à l'accompagner dans sa réflexion, sachant que la règle du jeu entre nous, c'est d'être neutre. C'est-à-dire qu'on se dit, il faut que ça soit de sa décision, quoi qu'il arrive, c'est pas la nôtre. On n'a pas d'avis à avoir dessus, donc on peut l'aider dans sa décision, mais il faut que nous, on reste neutre. Donc on est là pour dialoguer avec elle, mais il faut que ça reste sa décision. Je trouve aussi un psy qui va voir ma mère, qui va discuter avec elle, qui accepte de cette posture très compliquée d'aider une personne à mûrir son choix sans chercher à l'influencer. Et on a convenu d'un petit protocole avec ma mère, c'est qu'on a convenu que le jour où elle choisirait, elle appellerait successivement ses deux amis proches d'elle, ma sœur et moi, et je lui ai dit voilà maman, il faudra que tu nous dises à tous la même chose, exactement la même chose. Et un matin, moi je suis au travail, je suis en train de faire des mails, des réunions, et je reçois un premier SMS ou coup de fil d'une amie de ma mère qui me dit Écoute Arnaud, ta mère a pris sa décision, elle veut aller en Suisse. Un deuxième coup de fil, la même chose. J'ai ma sœur qui m'appelle et qui me dit Arnaud, on va aller en Suisse, c'est horrible ! Et après ma mère m'appelle et me dit Arnaud, je souhaite te voir. Donc je vais voir ma mère, je vais voir ma mère avec un ami, parce que je ne veux pas être seul pour entendre ça. Et ma mère me dit Écoute Arnaud, j'ai bien réfléchi, je souhaite mettre fin à mes jours en Suisse, et je te demande de m'accompagner. Quand elle me dit ça, ce qu'il faut savoir, c'est que moi j'ai tout de suite un stress qui arrive à ce moment-là. c'est qu'en fait, je ne sais pas si c'est possible, c'est-à-dire que monter un dossier pour ce protocole-là en Suisse, ça prend beaucoup de temps. Or, il y a un élément d'information qui est important, c'est que la veille du suicide, les patients rencontrent un psychiatre et un médecin qui délivrent ce qu'on appelle une attestation de discernement. Ce qui est très bien. L'objectif, c'est juste de valider que la personne a toute sa tête et que c'est un choix libre et conscient et éclairé. Sauf que, vu la maladie, je sais que parfois, ma mère s'exprime très bien, mais... Mais il y a des moments de grande fatigue où elle a du mal à trouver ses mots. Et donc je sais que potentiellement, dans six mois, elle peut à un moment avoir énormément de difficultés à s'exprimer. Et si jamais elle n'arrive plus à s'exprimer, l'attestation de discernement est impossible, et donc le suicide est impossible.

  • Speaker #1

    C'est une course contre la montre, quoi.

  • Speaker #0

    Et là, je rentre, c'est-à-dire que là, mon stress à moi, tout de suite, c'est une course contre la montre, parce que je me dis, si jamais ma mère veut ça, et qu'en fait, ce n'est pas possible, ça va être super dur. Donc, je prends quelques jours de congé, et je monte un dossier. Alors, je monte un dossier, on est plusieurs. C'est assez long, donc il y a un dossier administratif à monter, avec plein de pièces. Il faut récupérer tous les éléments médicaux, tout son dossier médical. Et puis, ma mère rédige une lettre, enfin, elle dicte une lettre à une de ses amies, dans laquelle elle explique les raisons de son choix. Je récupère aussi des témoignages de tous ces quelques proches qui l'ont accompagné dans sa réflexion. On remplit un non-questionnaire, et on envoie tout ça. Quelques semaines après, j'ai un contact avec cette association en Suisse. Et là, je tombe sur une personne qui est très humaine, très à l'écoute. Et une des choses qui me surprend, c'est que cette personne connaît très bien sa maladie. Elle connaît très bien la maladie de ma mère. Donc cette maladie qui est connue de personne, la personne en Suisse de l'association me dit, Coucou monsieur, on connaît extrêmement bien cette maladie. On a régulièrement des personnes atteintes de cette maladie qui font ce choix-là.

  • Speaker #1

    on trouvera les moyens pour faire en sorte que ça a lieu et s'il ya besoin d'accélérer un peu les choses on accélère un peu les choses elle en parle à son équipe médicale ta mère va faire une équipe ou en tous les cas au moins le neuro ma mère décide enfin de pas en parler à son neurologue faut savoir qu'en france c'est illégal donc

  • Speaker #0

    les médecins ne peuvent pas en parler vous voyez parce qu'un médecin ne peut pas valider en soi une décision donc c'est forcément une conversation difficile voire impossible et même les certains psychologues refusent complètement d'en parler ah oui parce que ça peut être ça peut ...de leur être reprochés, vous voyez, on pourrait reprocher à des médecins.

  • Speaker #1

    Protéger son médecin, qu'elle lui en parle.

  • Speaker #0

    Oui, c'est pour protéger son médecin. D'accord. Ma mère dit, on va le mettre mal à l'aise, il saura pas quoi répondre, donc c'est mieux de pas lui en parler. Un jour, un matin, donc on a... une fois que je parle avec la personne de cette association, il y a un moment de validation du dossier, c'est-à-dire qu'au sein de l'association, je pense qu'ils se rencontrent, il y a un comité éthique qui valide le dossier. Et un matin, c'est un dimanche matin, je suis en train de prendre mon café, je joue un jeu sur mon téléphone mobile et j'ai un coup de fil de l'association et qui me dit, monsieur, le dossier est validé, maintenant, on veut parler très vite à votre mère. Je file à l'EHPAD, je mets ma mère sur un fauteuil, je mets le téléphone en. Je me lance une vidéo WhatsApp et ma mère parle à une personne de l'association. La personne au début lui pose quelques questions très simples pour savoir qui elle est, quel âge elle a. Un peu des questions pour justement mesurer son niveau de discernement, mesurer son niveau de conscience, quel mois on est, le métier qu'elle a fait, où est-ce qu'elle est, etc. Et très vite, la personne raconte vraiment dans le détail tout le protocole de suicide assisté. Et pendant une demi-heure, face à ma mère, la personne décrit de manière hyper précise, mais vraiment minute par minute, comment ça se passe, la veille, le jour même, le matin, tous les détails, l'injection du produit, le bouton, comment ça se passe dans le détail, sans chercher à rassurer. Et ça, c'est hyper important. Et je comprends quand la personne raconte ça, que c'est un test pour ma mère, pour savoir si elle a vraiment envie. Parce que la description est objective. C'est effectivement hyper difficile. Et je vois ma mère qui écoute, et à la fin de mon entretien, ma mère dit Écoutez, madame, merci beaucoup, c'est très clair. J'ai bien pris ma décision. Je souhaite mourir. Ma décision est ferme et irrévocable. Moi, je suis à côté. J'ai passé, j'ai déjà vécu des meilleurs moments dans ma vie. Donc j'entends ma mère dire ça, et c'est le moment où je sais que ça y est, on y est. C'est-à-dire que je sais que ça va se faire. Je sais que ma mère a vraiment, sa décision est vraiment prise. Et je sais que c'est possible, et je sais que ça va se faire. Donc très vite après, on rentre dans une autre question, qu'elle je ne m'attendais pas du tout, qui est terrible. C'est la fixation d'une date, parce qu'il faut trouver une date en fait. Au sein de ces associations, ils sont débordés par des demandes, et notamment débordés par des demandes de français. Et donc trouver une date c'est compliqué, et donc la personne nous dit, bah voilà, maintenant la prochaine étape, c'est juste de trouver une date. La question est hyper compliquée parce que... On ne sait pas exactement à quel moment le faire. Moi, je comprends intuitivement que ma mère ne veut pas le faire trop tard, maintenant qu'elle a pris sa décision. On est début mars et ma mère fête son anniversaire fin avril. Donc du coup, je dis à ma mère, écoute maman, si tu veux, on te fait un super anniversaire fin avril et après on y va. Et ma mère me dit, non, écoute Arnaud, moi je ne souhaite pas fêter mon anniversaire, je veux partir avant. Avec l'encul, je comprends. Et donc, très vite, l'association, je rappelle l'association, qui nous dit, écoutez, pas de souci, on va vous trouver une date, et donc la date est fixée au 15 avril. Là, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on rentre dans un monde différent, puisque à partir du moment où la date est fixée, on est dans un compte à rebours, et on sait que chaque jour qui passe est un jour de moins. Tu continues à travailler là ?

  • Speaker #1

    Je continue à travailler. Alors, je m'arrête quand même 3-4 semaines avant. Le boulot est compliqué. J'ai la chance d'avoir des collègues compréhensifs. On est une petite boîte, mais un jour je réunis toute l'équipe et je suis un des patrons de la boîte et j'explique à l'équipe ce qui se passe et j'explique que je vais partir pour un moment. Je ne rentre pas dans les détails, mais tout le monde sait et tout le monde sait que je vais devoir partir. Donc je m'arrête de travailler. Et à ce moment-là, ce qu'il faut comprendre, c'est que moi, j'ai un énorme sentiment de culpabilité qui arrive, parce que lorsqu'on parle de suicide assisté, en fait, l'assistance au suicide repose beaucoup sur les familles. Et ça, on n'en parle pas assez, c'est-à-dire que certes, il y a des médecins, des infirmiers qui, à la fin, facilitent l'injection, mais toute la phase de préparation et d'allogistique, toute l'organisation, tout repose sur les familles, tout repose sur l'entourage. Heureusement, j'ai une soeur extraordinaire. qui est une femme extraordinaire. Heureusement, ma mère a des super amis, mais tout repose sur la famille. Et du coup, moi, à ce moment-là, je me dis, en fait, je suis en train de participer activement à la mort de ma mère et au suicide de ma mère. Donc, c'est hyper culpabilisant pour moi, parce que je me dis, mais j'ai monté un dossier, j'organise des choses, c'est moi qui ai pris contact avec cette association, et donc j'aide activement ma mère à mourir. C'est une culpabilité qui est très lourde à porter. Au bout de quelques semaines, quelques nuits un peu agitées, mes... Au bout de quelques jours ou quelques semaines, je me dis, mais en fait, si je ne faisais pas ça, ma culpabilité serait encore plus grande. Parce que si je vois ma mère en soins palliatifs, dans un état de grande souffrance, et je la vois déjà souffrir, et que je sais que je n'ai pas activé, que je n'ai pas aidé...

  • Speaker #0

    Je ne veux pas de ce qu'elle veut en plus.

  • Speaker #1

    C'est ça. Du coup, je me dis, ma culpabilité serait encore plus grande. Ça m'aide beaucoup. Et un jour, je me dis, non, je ne vais pas me laisser avoir par la culpabilité. En plus, ma mère est une femme hyper indépendante. Sa liberté a toujours été sa valeur principale, et pour elle, au-delà de la douleur physique, ce qui est important de comprendre, c'est que c'est insupportable, psychologiquement, d'être enfermé dans son corps, et elle décrit déjà ces mécanismes d'enfermement dans son corps. Donc j'essaye de me libérer de la culpabilité, je crois que j'y arrive pas trop mal. Et surtout, on rentre dans ces périodes-là dans un moment très particulier. C'est-à-dire que ma mère veut profiter de tous ces derniers moments. Et on fait quelque chose qui est très beau. C'est-à-dire que moi, je dis à ma mère, écoute maman, dis-moi tout ce que tu veux faire avant de mourir. Et on a quelques semaines. Comme une bucket list. On fait la bucket list.

  • Speaker #0

    Oui, prononcez.

  • Speaker #1

    On fait la bucket list avant de mourir. Alors, heureusement c'est des choses simples, dans la bucket list il y a surtout manger des huîtres avec un petit verre de Chablis, donc il y a un budget huîtres. je vous cache pas que comme ma mère a des problèmes pour déglutir vraiment les huîtres c'est pas ce qu'elle nous plus conseillait mais on va dans ce moment là vous savez on va au resto, on mange des huîtres du coup il y a une blague entre nous c'est à dire que je dis à ma mère, maman on est pas en train de mettre tout ça en place pour que tu t'étouffes avec une huître dans une brasserie parisienne trois semaines avant d'aller en Suisse, ça fait beaucoup rire je l'accompagne dans des expos, je la pousse en fauteuil roulant bien sûr euh... on fait un tour en faudré embrouillé, vous voyez, plein de petites choses, je l'emmène dans les grands magasins en fauteuil roulant et je vis des très grands moments de complicité, on parle énormément, il y a beaucoup d'amour, on se confie beaucoup de choses, donc j'ai aussi la chance à ce moment-là d'avoir des très belles discussions avec ma mère et je me retrouve à un moment, c'est un moment très particulier à vivre, c'est-à-dire qu'il y a à la fois énormément d'amour et de complicité, donc des très très beaux moments et en même temps une angoisse terrible, parce que chaque jour qui passe, c'est un jour C'est un peu comme si j'avais une main plongée dans l'eau glacée et l'autre main plongée dans l'eau bouillante. C'est-à-dire que c'est en même temps beaucoup d'angoisse et en même temps beaucoup d'amour et de complicité au même moment. Donc oui, c'est compliqué à vivre. Alors heureusement, en fait, il y a toute une chaîne de solidarité. Moi, j'ai la chance d'avoir un compagnon à côté de moi avec qui je suis fiancé, qui s'appelle Yann, qui est très soutenant. Et donc il y a une chaîne de solidarité, je suis très entouré. Il y a beaucoup de manifestations de solidarité autour de nous, de gens qui sont plus ou moins proches, d'amis. Alors moi j'ai l'occasion, enfin j'ai la chance d'être entouré. Donc c'est, j'ai beaucoup parlé de moi, mais c'est une aventure collective. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens qui expriment leur solidarité. Et puis surtout ma mère souhaite l'annoncer. Donc elle l'annonce à sa famille, elle l'annonce à toutes les personnes autour d'elle. Donc on fait aussi la liste des gens à qui il faut l'annoncer. Ma mère est très fatiguée, donc il y a une partie des personnes, c'est elle qui l'annonce, l'autre partie c'est moi. Souvent on m'a dit ça doit être difficile à accepter pour les gens qui sont religieux et en fait mon expérience c'est pas du tout

  • Speaker #0

    Vous êtes pas religieux ?

  • Speaker #1

    Moi non, je suis sensibilité chrétienne je suis pas pratiquant mais ma mère a autour d'elle des gens qui sont catholiques pratiquants, et ces gens-là réagissent en réalité avec beaucoup d'humanité, en disant écoute, ce ne serait pas notre choix, c'est contraire à nos valeurs, mais dans une situation de souffrance, on ne peut que comprendre, on ne peut pas se projeter dans cette situation, et on a des gens qui disent voilà, nous on ne peut qu'accompagner par la prière, essayer d'être présent, et je pense qu'il y a beaucoup de gens chrétiens qui réagissent avec beaucoup de compassion. Ça ne veut pas dire être d'accord, mais ça veut dire simplement chercher à être présent.

  • Speaker #0

    C'est de l'amour.

  • Speaker #1

    C'est de l'amour. Donc, il y a des beaux moments. Ce qui est compliqué pour les gens dans l'annonce, ce n'est pas tant le suicide assisté, mais c'est le fait de savoir qu'ils vont perdre cette personne. Et puis, c'est très particulier de voir quelqu'un en pleine conscience, de voir une personne qui vous dit qu'elle souhaite mourir. Et en plus, ma mère est relativement sereine, elle est décidée. ça ne lui empêche pas d'avoir très peur. C'est-à-dire que ma mère me dit souvent qu'elle a peur de ne pas arriver à appuyer sur le bouton. Donc c'est une de ses grandes angoisses.

  • Speaker #0

    Arriver à cause de sa maladie ou de ne pas avoir le...

  • Speaker #1

    De ne pas avoir le courage.

  • Speaker #0

    L'impulsion, le courage, je ne sais pas dire le mot.

  • Speaker #1

    Non, non, ne pas avoir le courage et l'envie, mais entre avoir envie et arriver à appuyer sur le bouton. Donc la principale angoisse de ma mère, c'est vraiment de se dire comment est-ce que je vais faire pour arriver à appuyer sur ce fichu bouton ? À ce moment-là, on décide de parler de tout. Vous voyez, on a un niveau d'ouverture et de discussion qui est très fort.

  • Speaker #0

    t'as déjà vous avez je ne sais plus si on se dit tu ou vous enfin est-ce que tu te retiens de pleurer de montrer ton émotion ou est-ce que tu dis il faut que pour elle je en fait je me dis il ne faut pas que je pleure

  • Speaker #1

    parce que je vois la dignité de ma mère, je vois la manière dont elle affronte la maladie, je me dis, en fait, je ne veux pas lui montrer moi ma souffrance, elle connaît cette souffrance. Un jour, je n'y arrive pas, et un jour, les nerfs lâchent un peu. Je pleure devant ma mère, et ma mère, à ce moment-là, me dit, Arnaud, je sais que je t'en demande beaucoup, et je crois que je t'en demande un peu trop. Et à ce point-là, moi, je lui dis Oui, maman, tu m'en demandes trop, clairement. Mais je lui dis Tu sais, moi aussi, parfois, je t'en ai demandé trop et c'est OK, parfois, d'en demander trop à des gens qu'on aime. Voilà et les jours se passent progressivement, on essaye de profiter au maximum de tous les moments. Il y a une très belle chaîne de solidarité qui s'organise. On rédige avec ma mère son faire-part de décès, ce qui est très particulier. Mais ma mère souhaite avoir un faire-part de décès très coloré. Donc moi je fais appel à une graphiste que je connais, qui est adorable et qui dessine vraiment, qui design le faire-part de décès. Ma mère du coup choisit entre plusieurs versions du faire-part, elle veut qu'il y ait des fleurs, des papillons, c'est une femme très égoïste. exigeante, donc il faut vraiment que le faire part ressemble exactement à ce qu'elle veut. Mais c'est aussi thérapeutique, c'est aussi une manière de s'approprier un peu la mort qui vient. C'est aussi une manière de dédramatiser.

  • Speaker #0

    Tout ça, c'est vraiment pour elle de lutter contre l'impuissance que lui impose la maladie.

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il faut comprendre dans ces moments-là, c'est que quand des gens se retrouvent enfermés dans leur corps, c'est une manière de reprendre le pouvoir, c'est une manière de reprendre le contrôle, et c'est une manière de se sentir acteur de sa vie. Et ma mère, qui est une femme très forte et très indépendante, ça lui fait du bien. Les jours passent et arrive ce fameux moment où on part en Suisse. Donc on prévoit deux voitures, il y a une amie de ma mère, il y a ma soeur, mon beau-frère, ma mère, un ami qui est infirmier, qui nous accompagne. Je pars aussi avec ma chienne, j'ai une petite chienne qui s'appelle Najah, petite mais pas si petite. Donc on part tous ensemble en voiture en Suisse, on fait le trajet et on passe les derniers jours en Suisse dans un petit hôtel. En Suisse, ce qui est très particulier à comprendre, c'est que les derniers moments sont curieusement très joyeux. Très joyeux parce que ma mère veut profiter de la vie jusqu'au dernier moment. Donc on mange bien, on passe beaucoup de temps à rire en fait. Je pense que ce qu'on n'a pas vécu, c'est très difficile à imaginer. Mais quand on sait que la mort va arriver dans 48 heures ou dans 72 heures, les personnes confrontées à ça veulent profiter de chaque instant.

  • Speaker #0

    Ça rend tout plus intense, chaque minute plus intense.

  • Speaker #1

    Chaque minute, chaque instant est hyper intense. La maladie a progressé, ma mère est en fauteuil roulant, tout est compliqué à faire, mais elle donne toute son énergie dans ces derniers moments. La veille de son suicide, on joue tous aux jeux de société. Alors ce serait particulier, mais on passe une après-midi à jouer à des jeux de société. Bien sûr, pendant tous ces moments-là, on dit beaucoup à ma mère qu'on l'aime, on parle beaucoup, ma mère nous confie aussi ses angoisses, ses inquiétudes, on essaye de l'écouter, on essaye de l'accompagner comme on peut. Et c'est aussi ce qui est important, que si jamais elle veut tout arrêter, on arrête tout. C'est-à-dire qu'elle sait très bien qu'on lui a dit que si jamais au dernier moment... Elle voulait arrêter, on arrêtait tout. Et c'était une des conditions qu'on avait posées. Et le soir, donc la veille de son suicide, elle rencontre un médecin, un psychiatre. Moi, je ne suis pas là pendant l'entretien. Et les infirmiers, enfin l'équipe médicale qui va l'accompagner. Et suite à l'entretien, ces personnes reviennent vers nous et nous disent, écoutez, votre mère est décidée, elle souhaite mourir. Et ce dernier contact rassure beaucoup ma mère. Et à ce moment-là, elle est très décidée, très sereine. C'est-à-dire qu'à partir du moment où elle a rencontré cette équipe médicale, elle est rassurée, elle est sereine, elle sait comment ça va se passer, elle sait qu'elle sera accompagnée. Donc le lendemain, l'heure du petit déjeuner arrive, on a un dernier petit déjeuner tous ensemble, et puis on retrouve ces personnes de l'association à l'hôtel, et on les suit en voiture pour aller jusqu'à un local associatif. Ce qui est important de savoir, c'est qu'en Suisse, ça n'a pas lieu dans une clinique. Oui,

  • Speaker #0

    moi je pensais que c'était dans un...

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. En fait, c'est pas... Alors en Suisse, il y a aussi beaucoup d'opposants au suicide assisté, donc c'est dans un local associatif qui est tenu secret jusqu'au dernier moment. Puisque les personnes de l'association en Suisse ne veulent pas qu'il y ait une manifestation devant, ou qu'il y ait des personnes qui viennent empêcher les choses, donc c'est un endroit qui est totalement secret. On ne connaît pas le lieu jusqu'au jour, donc on se retrouve à suivre en voiture une personne jusqu'au local associatif en Suisse. Moi je suis dans la voiture, je conduis ma mère. J'ai vécu des meilleurs moments. On arrive dans ce local associatif, et là on fait, la dernière volonté de ma mère, c'était une coupe de champagne. Donc on arrive dans ce local, et on sort de champagne, on sort de foie gras. Les derniers moments de ma mère sont très français. On prend l'apéro, et donc un matin, on se retrouve comme ça, à boire de champagne, à se dire qu'on s'aime, surtout. Et c'est comme une déclaration d'amour à la vie, vous voyez, de dire, le dernier moment, on fait en sorte qu'il soit le plus beau possible. Ma mère est sereine, Elle est très déterminée, elle nous dit qu'elle nous aime, elle est très souriante, c'est très particulier, c'est presque perturbant de voir quelqu'un, une personne affronter la mort avec autant de sérénité. Et puis, une fois qu'on a partagé cette coupe de champagne, ma mère va dans une pièce à côté, elle s'allonge sur un lit, on lui pose une perfusion. Moi, je suis à côté d'elle, on discute et je dis à ma mère, Voilà, maman, maintenant, quand tu veux que j'y aille, tu me dis. Ce qu'il faut comprendre, c'est que les familles ont la possibilité de rester jusqu'au dernier moment ou de partir avant. Et moi, j'ai rencontré plusieurs familles qui sont restées jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire qu'on est personne appuie sur le bouton. Et à titre personnel, j'ai dit à ma mère, une des limites que j'ai fixées, c'est que je lui ai dit, moi je ne veux pas devoir mourir sous mes yeux. Donc en fait, je t'accompagne jusqu'à un moment, mais je veux partir avant que tu appuies sur le bouton parce que c'est invivable, enfin insupportable de devoir mourir sous mes yeux. Donc j'embrasse ma mère et je lui ai dit, écoute, quand c'est bon pour toi, tu me dis, j'y vais. On sait que c'est le signal. Et ma mère me regarde, elle m'embrasse, elle me dit Arnaud, c'est bon, tu peux y aller Elle me dit qu'elle m'aime, je lui dis que je l'aime, je me lève et je pars. Je pars avec ma sœur et mon compagnon, Yann, donc on quitte tous les trois la pièce. À côté de ma mère vont rester mon beau-frère et une amie de ma mère, qu'on décide de rester jusqu'à un moment. Et quand je franchis la porte, je sais que ma mère, à ce moment-là, appuie sur le bouton. Je sais pas de quoi je parle après. Vous pouvez même me poser une question.

  • Speaker #0

    Vous faites quoi dans les minutes ? Vous allez où déjà ? Et puis qu'est-ce que vous disent les uns et les autres ? Ils vous prennent en charge et vous disent c'est quoi l'étape d'après ?

  • Speaker #1

    Alors l'étape d'après, c'est que la police arrive. La police arrive parce qu'il y a un constat d'essai, et avec la police vient un médecin légiste pour constater que c'est bien un suicide. Donc on voit la police suisse allemande arriver, qui sont sympas, enfin sympas pour des policiers suisse allemands. Et les derniers moments, je pense que vous savez, c'est des tas de sidérations. Donc moi je ne sais plus trop où j'habite, je ne sais plus trop ce qui se passe, c'est terriblement triste. On vient de passer un moment très très beau à Bois-Champagne et on se retrouve, voilà. Donc moi je vais devant ma mère, enfin son corps, je lis une prière. La police arrive, on fait quelques papiers, et puis après le corps de ma mère sera incinéré en Suisse. Donc ensuite en famille, avec ce petit groupe, on passe encore quelques jours en Suisse entre nous pour essayer de décompresser un peu, et puis ensuite on rentre à Paris.

  • Speaker #0

    Tu me dis que tu fais... Une prière. Ta mère, elle avait des interrogations sur l'après. Elle en a parlé avec toi, ça fait partie des sujets...

  • Speaker #1

    Oui, on a beaucoup parlé de la mort et de la vie après la mort. En fait, ce qu'il faut savoir, c'est que ma mère était... Elle adorait mon père. Et donc, sa grande question pour elle, c'était est-ce que je retrouverais mon mari après la mort ? Et c'était une vraie question. Ça a été une vraie question. Je pense que ce qui l'a aidé, c'était l'idée de retrouver l'homme qu'elle aimait après la mort. C'est une question qui est hyper importante, en fait, parce que je pense que derrière cette question, la vraie question, c'est de dire est-ce qu'il y a quelque chose du lien d'amour qu'on partage qui nous survit ? Et ma mère a répondu oui à cette question. C'est-à-dire qu'elle est morte avec la foi, sans être chrétienne ou sans être religieuse, mais elle est morte avec la foi de se dire, ce lien d'amour que j'ai eu avec l'homme que j'aimais, je le retrouverai d'une manière ou d'une autre, sous des conditions que je ne connais pas, mais je le retrouverai.

  • Speaker #0

    C'était sa décision d'être incinérée ?

  • Speaker #1

    C'est très compliqué dans un suicide en Suisse de ne pas procéder à une incinération. D'accord. Pour des raisons administratives et légales, c'est extrêmement compliqué.

  • Speaker #0

    Elle a été enterrée là-bas ?

  • Speaker #1

    Alors, la volonté de ma mère, c'était que ses cendres soient dispersées en France, au cimetière du Père Lachaise, là où les cendres de mon père ont été dispersées. Donc, elle m'a dit, avant de mourir, Arnaud, je te demande une chose, c'est que mes cendres soient dispersées à cet endroit. Malheureusement, ce qui est compliqué dans un fils en Suisse, c'est qu'après la mort de ma mère, il y a eu une enquête de police. Et du coup, le certificat de décès en Suisse est assez long à obtenir. Donc, on met à peu près deux mois à obtenir ce certificat. de décès. Et ensuite, il faut faire traduire et valider ce certificat de décès en France. Ça prend aussi énormément de temps. Donc au final, on a le certificat de décès à peu près cinq mois après sa mort. Ce qui veut dire que pendant cinq mois, on ne peut rien faire. Et donc, on organisera la dispersion des cendres six mois après sa mort.

  • Speaker #0

    J'ai pu le faire.

  • Speaker #1

    Et on a décidé... On souhaitait faire une cérémonie religieuse. Donc j'ai contacté le diocèse de Paris. J'ai été très bien accueilli par des gens qui ont été très compréhensifs. C'est vrai ? Oui, vraiment. Et alors, être compréhensif, ça ne veut pas dire valider ou encourager ou approuver. Mais on est tombé sur des gens qui ont compris notre situation. Et il y a eu un prêtre qui a accepté de mener une cérémonie de prière pour ma mère. Et quelqu'un qui a su trouver des mots très justes et très beaux par rapport à cette décision. C'est ça. Vous savez, je pense que quand on est présent ou qu'on accompagne quelqu'un dans une décision qu'on n'aurait pas prise pour soi, ça nous élève en humanité. Et le prêtre, les gens qu'on a rencontrés, c'était des gens hyper humains, sans chercher à valider ou encourager, vous voyez, c'est des gens qu'on suit être présents. Et donc ça a été un très beau moment, et je pense un moment très important pour la famille. Voilà, il y a des gens qui sont chrétiens dans la famille, donc c'était aussi hyper important de savoir que ma mère pouvait avoir ce dernier hommage.

  • Speaker #0

    Je comprends.

  • Speaker #1

    les... Pardon, vas-y. Non, non, vas-y. Vas-y, vas-y.

  • Speaker #0

    Je me demandais si vous aviez prévenu le... son médecin après.

  • Speaker #1

    Moi j'ai envoyé un mail à son médecin en lui expliquant la situation et le médecin m'a répondu un petit mot très gentil, très humain, en me disant qu'il comprenait complètement la situation. Voilà. C'est pour ça que je ne dirai jamais le nom de ce médecin, mais il m'a dit qu'il comprenait parfaitement la situation. Ce qu'il faut bien comprendre dans le suicide assisté, c'est que plein de gens peuvent avoir plein d'avis sur la situation, mais quand on est confronté au réel, donc au réel de la souffrance d'une personne, Quand on est confronté vraiment à la maladie, et quand on est confronté surtout à des gens qui font des choix, on aura méconscience, et qu'on mesure la souffrance de certaines maladies, je pense qu'on ne peut que réagir avec humanité. On ne peut que réagir avec humanité.

  • Speaker #0

    Et ça a été son cas.

  • Speaker #1

    Ça a été son cas. Vous savez, je vais vous confier une anecdote. On se redit vous,

  • Speaker #0

    ça y est.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, on va se redire. Tu sais, Sarah, je vais te confier une anecdote. La veille de la mort de ma mère, j'ai rencontré une dame en Suisse, à l'hôtel. qui était une dame très élégante, 93 ans. Et je savais qu'elle... En fait, je comprends, j'ai vite compris qu'en fait, elle venait en Suisse avec la même optique que ma mère. Et donc...

  • Speaker #0

    Pour prendre des renseignements ?

  • Speaker #1

    Pour prendre des renseignements. Cette personne venait un peu en repérage. Et donc, elle avait un peu plus de capacité que ma mère. Elle était accompagnée par une amie à elle. Et oui, cette personne venait en repérage. Et donc je vois cette femme de 93 ans qui perdait complètement la vue, elle était quasiment aveugle, avec qui je discute, elle me prend les mains, et elle me dit mais vous savez monsieur, je suis tellement content de savoir que je peux mourir en paix et partir dans quelques mois, dans une mort douce Elle me dit mon quotidien est insupportable, j'ai perdu la vue, je suis encore chez moi, mais tous les gestes du quotidien sont infaisables Elle me dit à 93 ans, ma vie est derrière moi, j'ai juste envie de partir doucement Et là, elle me dit quelque chose qui est très beau, elle me dit la mort est un grand mystère, mais moi j'ai toujours aimé les mystères

  • Speaker #0

    C'est très romanesque.

  • Speaker #1

    C'est très romanesque, et quand vous avez une personne en face de vous, qu'est-ce que vous pouvez lui répondre ?

  • Speaker #0

    On s'incline.

  • Speaker #1

    On s'incline, vous voyez, on ne peut que s'incliner face à ça. Le retour au travail est un peu compliqué. J'ai jamais pensé ça. C'est-à-dire que reprendre une vie normale après, c'est compliqué. Et en même temps, je pense que ce qui est dur, en fait, c'est le deuil de ma mère. Mais en fait, sincèrement, je pense que perdre un parent dans un suite d'assistés ou dans un accident, c'est la même douleur. Enfin, c'est des douleurs différentes, mais il n'y a pas une douleur qui est plus grave ou plus douloureuse. Vous voyez, c'est tout le temps très douloureux. Donc voilà, moi, je traverse le deuil de ma mère. Et puis j'ai quand même pendant longtemps des réminiscences de tous les moments que j'ai vécu, c'est-à-dire que tous les derniers mois, les dernières semaines passent dans ma tête régulièrement, du coup c'est compliqué parce que pour me concentrer, pour être au travail, vous voyez j'ai souvent des réminiscences de ces situations-là. Petit à petit, avec le temps, ça passe. Je pense que... Comment dire ? Dans les deuils, il n'y a pas de raccourci. C'est-à-dire que le temps doit faire son œuvre. Et il n'y a pas de chemin, moi. Parfois, j'aimerais bien prendre des raccourcis et me dire, allez, si on pouvait se dire en deux semaines, on surmonte le chagrin. En fait, c'est pas possible. C'est pas possible. Mais... Ce que je voulais dire, c'est que j'ai jamais eu de regrets. J'ai jamais eu de regrets, vraiment. C'était ma grande crainte. En fait, je craignais, après ça, regretter. Je craignais vraiment regretter. Et en fait, j'ai jamais eu de regrets parce que j'ai vu ma mère partir en paix. Et surtout, je sais que pour elle, elle est partie de la manière dont elle souhaitait partir. Et qu'elle est partie en accord avec ses valeurs. Et la question pour moi, ça n'a jamais été de me dire, est-ce que moi je suis d'accord ? Est-ce que c'est conforme avec mes valeurs ? Je ne me suis pas posé cette question-là. Je me suis dit, en fait... Ce qui est bien, c'est que ma mère est partie de la manière dont elle le souhaitait. Une autre anecdote, ma mère m'avait dit Je souhaite partir lorsque je n'arriverai plus à mettre mes boucles d'oreilles. En fait, ma mère avait toujours des boucles d'oreilles. C'est une femme qui aimait bien des boucles d'oreilles, qui était assez élégante. Et son signal à elle, c'est qu'elle voulait partir avant de ne plus arriver à mettre ses boucles d'oreilles. Deux semaines avant sa mort, un jour je la vois à l'EHPAD et elle me dit Arnaud, ce matin, je ne suis pas arrivé à mettre mes boucles d'oreilles. J'ai cherché à les mettre une première fois, je ne suis pas arrivé. Une deuxième fois, je ne suis pas arrivé. Et la troisième fois, c'est là de soignant. qui m'a aidé. Et curieusement, quand elle m'a dit ça, quelque part, ça m'a presque apaisé, parce que je me suis dit, ok, ça veut dire que c'est le bon moment. Et ce moment-là, ça m'a beaucoup réconcilié. Voilà, ça m'a fait dire que c'est le bon moment.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, t'as eu des interactions avec eux ? Vous en avez parlé ? Vous avez parlé de ce sujet ?

  • Speaker #1

    Alors à l'EPAD, on a parlé au directeur, mais c'est tout. Et le directeur nous a dit, c'est mieux de ne pas en parler au personnel, parce que forcément le personnel risque d'en parler avec ma mère, ou que ce n'est pas qu'ils peuvent être réactions. Et du coup, on a préféré ne pas en parler.

  • Speaker #0

    Il y a le retour au travail et puis le retour dans le quotidien aussi qui est du coup statut couranté. Tu reviens trois ans avant. Comment ça se passe le quotidien et avec ton fiancé et tes copains ? Tu arrives à reprendre une vie ?

  • Speaker #1

    Oui, j'y arrive.

  • Speaker #0

    Recentrer sur vous, sur des projets, sur des choses.

  • Speaker #1

    J'y arrive, j'ai la chance d'avoir un compagnon, Yann, qui a été extrêmement soutenant. J'ai plein d'amis qui sont autour de moi, je suis très entouré, donc la vie reprend son cours petit à petit. Mais je pense que dans ces épreuves, en fait, on se découvre parfois des ressources qu'on n'imagine pas avoir. Bien sûr. Et donc la vie reprend petit à petit son cours et ce qui aide dans ces moments-là, c'est tous les petits moments de plaisir du quotidien. Et en plus, ma mère est partie avec un formidable message de vie. Je pense que ce qu'il faut comprendre, c'est que les gens qui décident de mettre fin à leur jour de cette manière-là, ce n'est pas par détestation de la vie. Parfois, il y a des gens qui aiment tellement la vie, qui ne souhaitent pas la quitter dans des conditions trop dégradées. Bien sûr. Donc, il y a aussi ce message de vie que ma mère a manifesté dans certains moments, qui, moi, m'encourage aussi à reprendre ma vie et à profiter de tous les moments. Donc, la vie reprend son cours, je fais mon deuil.

  • Speaker #0

    et oui la vie avance la vie gagne toujours la vie finit toujours par gagner est-ce que c'est très intime ce que tu as partagé c'est intime pour toi c'est intime parce que c'était aussi l'intimité de la vie de ta maman qu'est-ce qui t'a décidé ou donné envie de partager ça ? Même si je suis très connaissante.

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr, il y a plusieurs raisons. La première raison, c'est que je pense que c'est important parce qu'aujourd'hui, il y a plein de familles qui sont confrontées à ce type de situation, à ce type de choix. Et je me dis peut-être que mon témoignage peut aider ou en tout cas éclairer les familles. Je ne pense pas du tout à m'être comporté de manière idéale. J'ai fait ce que j'ai pu, donc mon histoire n'est pas exemplaire. Mais je me dis, les questions qu'on s'est posées, le fait de savoir que des familles sont passées, ça peut aider des personnes. Ça, c'est la première raison.

  • Speaker #0

    Comme toi, ça t'a aidé de...

  • Speaker #1

    Ça m'a aidé, vous voyez. Et ce que je vous dis aujourd'hui, c'est exactement ce que m'ont raconté des familles. La deuxième raison, c'est qu'aujourd'hui, il y a un grand débat sur la fin de vie. On entend des hommes politiques, on entend des médecins, on entend des responsables religieux s'exprimer. Toutes ces paroles sont très légitimes, mais on n'entend jamais des familles qui ont vécu ça. Et je pense que ça manque énormément, parce que si on ne comprend pas l'intimité des questionnements qui se posent, Du côté des aidants, on ne peut pas comprendre la situation. Toutes les paroles sont légitimes. On a à la fois besoin de philosophes pour éclairer la situation, mais on a aussi besoin de savoir ce que vivent les familles.

  • Speaker #0

    De témoins directs.

  • Speaker #1

    De témoins directs. Donc, en ça, voilà, moi, ce témoignage, c'est juste pour éclairer la situation. Pour être très clair, je ne pense pas du tout que le suicide à citer soit une bonne solution. Vraiment pas. Je pense simplement que pour certaines personnes, dans certaines situations, c'est la moins pire des solutions. Je souhaite à personne d'être confronté à ce choix-là. Je souhaite aussi, surtout, convaincre personne. Je ne suis pas militant, je ne suis pas responsable d'associatif. Simplement, ce qui est important, c'est que je pense que pour que les gens comprennent la situation, la parole des aidants, elle est hyper importante. Il faut comprendre exactement ce qui se passe. Je pense aussi que, forcément, les malades ne partagent pas toujours ce qu'ils ressentent avec les médecins. Moi, je comprends que des soignants soient complètement opposés au fait de participer à ça, c'est totalement légitime. Mais vous voyez... comprendre ce qui se passe au sein d'une famille, c'est hyper important. Et un autre point qui est important pour moi, c'est qu'on a parfois entendu dans les médias que procéder d'insidacité, c'est une manière de ne pas accompagner ses proches. Et en fait, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire que moi, ce que j'aimerais que les gens retiennent de ce témoignage, c'est que lorsqu'on accompagne un proche dans une décision comme ça, c'est un acte d'amour. C'est-à-dire qu'on le fait par amour pour les personnes. Ça demande énormément d'énergie. Et oui, c'est vraiment un acte d'amour et de solidarité pour ces personnes-là.

  • Speaker #0

    Alors, tu vous as déjà un peu répondu, mais qu'est-ce qu'idéalement tu voudrais que les gens, donc j'imagine que tu t'adresses autant aux soignants qu'aux familles, qu'aux gens qui pourraient un jour être concernés à titre intime et personnel, qu'est-ce que tu voudrais qu'ils retiennent de ton histoire, de votre histoire ?

  • Speaker #1

    Je sais pas si j'ai envie qu'ils retiennent quelque chose, mais j'aimerais juste que ça les aide à se poser des questions. Je pense que...

  • Speaker #0

    Sur ce genre de sujet, les réponses hâtives ou fermées, elles sont... C'est pas parce que ça n'existe pas. Ce qui est important, c'est de se poser des questions, mais ce qui est important surtout, c'est de prendre en compte le réel. Le réel de la souffrance des personnes, le réel du choix de certaines personnes. Ce qui est important surtout, c'est de considérer que on peut accompagner ou aider quelqu'un qui fait un choix qui n'est pas le nôtre. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de se dire que c'est hyper important d'aider les familles. Parce qu'en fait, c'est collectif, un suicide assisté, dans la mesure où les malades qui sont atteints de maladies graves ne peuvent pas procéder à ça seuls. Donc en fait, ça n'engage pas seulement le malade, mais ça engage tout l'entourage. Et cette question de l'entourage et des aidants, elle n'est, je pense, pas très bien prise en compte et pas très bien adressée. Si aujourd'hui, on doit réfléchir à cette question-là, une des questions au centre, c'est comment on accompagne les aidants. Comment on aide les aidants à faire ça ? Je sais que ce qu'on a fait pour ma mère, c'est un privilège. C'est cher. Ma mère avait un peu d'argent de côté, donc on a eu le mouvement de le faire.

  • Speaker #1

    Tout le monde n'a pas le temps à dégager.

  • Speaker #0

    Psychologiquement, c'est compliqué. Donc voilà, la question de l'aide des aidants et de l'accompagnement des aidants, elle est hyper importante.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un message de conclusion ? Oui.

  • Speaker #0

    Le message de conclusion, c'est que je pense que dans une fin de vie, quelles que soient les conditions de la fin de vie, que ce soit une mort programmée, une mort anticipée ou une mort en soins palliatifs, en tant qu'aidant, c'est quand même... C'est très dur, c'est très dur à vivre, mais c'est aussi l'occasion de témoigner notre amour à nos proches. Et je pense que ça, c'est beau, et que quand on a cette occasion-là, et c'est pas donné à tout le monde, parfois on n'a pas cette occasion-là, mais je pense qu'il faut savoir la saisir. Moi, je me sens chanceux d'avoir eu toutes ces discussions avec ma mère que je n'aurais pas eu autrement. Je me sens chanceux d'avoir pu témoigner mon amour. Vous savez, ma mère m'a dit, un peu avant de mourir, elle m'a dit, Arnaud, si j'avais des doutes sur le fait que tu m'aimes, là, maintenant, je n'en ai plus. C'est très beau, vous voyez, donc c'est... Voilà, je pense que c'est... En tout cas, ce qui est important, c'est de se dire que, quelles que soient les conditions de la mort, c'est important que les personnes soient entourées d'affection de la part de leurs proches.

  • Speaker #2

    Merci.

Description

"Je Iui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meures, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre."

Que peut-on ajouter à part bonne écoute?

Sarah


Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject depuis 2019

Réalisation G Carbonneaux


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je lui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meurs, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix, continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, on continue à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air, et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro, et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient puissants, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tous en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, rirez, installez-vous confortablement. Et ça va bien se passer. Bonjour Arnaud.

  • Speaker #0

    Bonjour Sarah.

  • Speaker #1

    Je suis content que tu sois à mon micro.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'inviter sur ce podcast.

  • Speaker #1

    Tu as une petite quarantaine d'années.

  • Speaker #0

    J'ai 43 ans exactement.

  • Speaker #1

    Voilà, j'essayais de tricher. Et tu es fils unique, si je ne me trompe pas ?

  • Speaker #0

    Je suis fils unique, exactement. Alors, j'ai une sœur qui est la ménant et qui est la fille de mon père, mais qui n'est pas la fille de ma mère.

  • Speaker #1

    C'est là que je voulais en venir. Est-ce que tu peux me raconter comment est ta vie et comment se passe pour vous le confinement et la suite du confinement ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je suis parisien, je vis à Paris, je suis chef d'entreprise. J'ai monté une société de conseil d'une dizaine de personnes que je co-dirige avec mon associé. Et... Je vis le confinement un peu comme tout le monde et ma mère pendant le confinement vit seule. J'ai perdu mon père il y a une dizaine d'années. Donc forcément le confinement est un peu difficile pour elle, comme pour beaucoup de nos aînés. Et à la sortie du confinement, moi j'observe chez ma mère des petits signaux de baisse de santé. Au début je ne me fais pas trop de questions, mais je vois que ma mère commence à avoir un peu de mal à marcher, parfois elle a du mal à s'exprimer, des petits problèmes d'élocution. Et je pense comme beaucoup de personnes, je mets ça un peu sur le dos du confinement, en me disant que le confinement était dur pour elle. Donc voilà, ça fait partie malheureusement de la vie et de l'âge qui avance.

  • Speaker #1

    Elle a quel âge, la taille mémoire ?

  • Speaker #0

    Elle a 70 ans, pas plus 70 ans. C'est une femme qui est hyper dynamique. Elle fait de la photo, elle fait des voyages, elle est hyper active. Et face à ces petits signaux, j'incite quand même ma mère à aller voir un neurologue, en se disant qu'à où, on ne sait jamais. En plus, les signaux ont tendance plutôt à s'aggraver. Ma mère va voir un premier neurologue. Alors, il faut savoir qu'on va voir un neurologue il y a trois mois d'attente. On voit le neurologue qui donne un examen. Ensuite, on revoit le neurologue deux mois plus tard avec les résultats de l'examen. Donc, tout ça prend du temps. Je pense que le premier neurologue n'est pas forcément la bonne personne. Elle finit par rencontrer un bon neurologue, et je fais l'histoire un peu rapide. Un jour, le neurologue lui diagnostique une maladie de Parkinson.

  • Speaker #1

    Ok. Comment elle le prend ?

  • Speaker #0

    C'est une nouvelle nouvelle, une maladie de Parkinson. Mais en même temps, aujourd'hui, il y a un certain nombre de traitements qui font qu'on peut vivre avec une maladie de Parkinson, continuer à avoir une vie active. Donc ma mère est très courageuse. Elle prend ses traitements. fait plein d'exercices de kiné chez elle, enfin voilà, elle est très très combative. Moi à ce moment-là j'essaie de l'accompagner là-dedans, de l'encourager, et on se rend très vite compte que finalement son état continue à se dégrader, les traitements ne font pas effet, elle commence à marcher avec une canne, elle est très épuisée, elle commence à perdre la vue aussi. Donc à ce moment-là... Je sens qu'il y a un problème. Elle fait des examens complémentaires et on se retrouve un jour, alors je l'accompagne du coup chez le neurologue, je sens que ça ne va pas très bien et dans un rendez-vous avec le neurologue, le neurologue lui explique qu'elle n'a pas de maladie de Parkinson mais une maladie rare qui s'appelle une paralysie supranucléaire progressive. D'accord. Désolé de m'avoir un peu compliqué, l'abréviation c'est PSP. La paralysie supranucléaire progressive, c'est une maladie qui touche 5 à 10 000 personnes en France. C'est une maladie qui est très rare, c'est une maladie neurodégénérative. Et très vite, le médecin nous dit, voilà, dans cette maladie, il n'y a aucun traitement. C'est-à-dire que c'est une maladie sans traitement.

  • Speaker #1

    Et vous dites ça tout de suite ?

  • Speaker #0

    Très vite, le médecin ne nous fait pas de faux espoirs. Il nous dit, voilà, aujourd'hui, en état actuel de la science, on ne sait pas soigner cette maladie. Il y a quelques traitements sur certains symptômes, mais il n'y a pas grand-chose à faire. Donc c'est le maladie qui touche le cerveau, qui est neurodégénérative et qui entraîne d'abord une perte de mobilité des membres inférieurs, donc les gens ont plus de mal à marcher, puis progressivement une perte de mobilité des membres supérieurs. Donc le dos se contracte, il y a des rigidités musculaires au niveau des bras. Les gens ont tendance à perdre la vue progressivement, avec souvent des douleurs aux yeux liées à la lumière. Les gens perdent aussi progressivement l'usage de la parole et la capacité de déglutition. Donc bien sûr, tout ça est très progressif.

  • Speaker #1

    Et c'est lui qui vous le dit ou c'est toi qui fais des recherches ?

  • Speaker #0

    Alors, le médecin, avec pas mal de subtilité et de finesse, nous présente un peu les différents symptômes. Il essaye non pas d'enromper les choses, je pense qu'il a très bien fait les choses, il a la foi claire sur les symptômes, mais on voit très vite la gravité de la maladie. Et surtout, on réalise, enfin moi je réalise que ma mère, en fait, la maladie est plus avancée que ce qu'on pense. Et que ça fait potentiellement plusieurs années qu'elle a ça. C'est une maladie qui est très très mal diagnostiquée en France aujourd'hui, qui est très peu connue aussi.

  • Speaker #1

    Et le confinement ?

  • Speaker #0

    Pendant le confinement, on n'a pas pu voir les choses. Et donc là, moi, je prends conscience de la situation. Et puis après, on fait des recherches avec ma mère. Je réalise que c'est une maladie.

  • Speaker #1

    Elle fait des Elle sait manier Internet ?

  • Speaker #0

    Elle fait un peu des recherches. Et alors, surtout, il y a un élément qui est hyper important à ce moment-là, c'est qu'en fait, on a perdu mon père d'une maladie d'Alzheimer. D'accord. Mon père est mort il y a 12 ans d'une maladie d'Alzheimer qui a été assez longue, assez dure. Et dans les dernières années de sa vie, mon père a été placé dans une institution spécialisée avec... que des gens qui sont atteints de maladies neurodégénératives. Et donc, ma mère, pendant trois ans, alors c'est forcément un drame familial, ça a été très dur pour elle, mais elle a vu, vraiment, elle a vu des malades en phase terminale, enfin, dans les dernières phases de ces maladies neurodégénératives.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas mystérieux pour elle ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas mystérieux pour elle, elle sait ce qui l'attend. Donc, tout de suite, quand le médecin lui annonce les choses, il n'a pas besoin de beaucoup dérouler, ma mère sait ce qui va l'attendre. Alors, on ne sait pas si c'est dans six mois, si c'est dans un an, si c'est dans trois ans, mais elle sait ce qui l'attend. Et surtout, suite à cette histoire, suite à la mort de mon père, ma mère m'avait dit à plusieurs reprises, Arnaud, si jamais il m'arrive la même chose, je veux que tu m'aides à partir plus tôt, plus vite. Ce qui est en fait assez fréquent, parce que c'est traumatisant d'avoir des gens comme ça dans cet état-là. Et elle m'avait dit, Arnaud, si jamais ça m'arrive, moi je veux que tu m'aides à partir plus vite. Alors moi à ce moment-là... Je lui avais dit bien sûr maman t'en fais pas mais objectivement ça passait par une oreille, ça sortait pas par l'autre. Je me disais de toute façon elle est trois fois plus dynamique que moi, elle est hyper active, le temps que ça arrive on n'en est pas là. Mais c'est quand même important pour la suite de l'histoire. Et donc, quand la maladie est annoncée, quand la paralysie supranucléaire est annoncée, concrètement, moi, je me transforme en aidant familial. Ça veut dire qu'il y a énormément de choses à faire. Alors, les gens qui ne sont pas confrontés à ces maladies, là, ne s'en rendent pas toujours compte. Mais il faut très vite mettre en place une assistante à domicile, faire en sorte que ma mère ait un bracelet pour pouvoir appuyer sur le téléphone si jamais elle tombe chez elle. Je me rends compte aussi que ma mère a... pas forcément communiqué sur l'état de sa maladie. Moi, j'étais peut-être aussi un peu dans le déni. Je me rends compte surtout que la maladie progresse très, très vite. Donc, très vite, il faut faire les courses, l'aider à préparer ses repas.

  • Speaker #1

    Elle n'a pas communiqué ? C'est-à-dire que c'est toi qui l'annonces aux membres de la famille ?

  • Speaker #0

    Alors, elle n'a pas communiqué, c'est-à-dire qu'elle ne m'a pas forcément dit la gravité de sa maladie, ce qu'elle vivait dans le quotidien.

  • Speaker #1

    Ah pardon, je n'avais pas compris. Donc, elle ne t'a pas raconté la réalité de l'ampleur, de comment ça l'affecte, de combien ça l'affecte ?

  • Speaker #0

    Je pense que ma mère, c'est une personne très pudique. donc elle cherche à montrer que tout va bien et moi à l'occasion du diagnostic je réalise que la maladie progresse très vite et qu'il y a plein de petites choses qu'elle n'arrive plus à faire dans son quotidien et donc tu organises toute sa vie ? donc j'organise, c'est hyper classique en fait malheureusement comme parcours d'aidant familial c'est à dire que je passe à peu près une journée par semaine à organiser des choses très concrètes, faire en sorte qu'il y ait un kiné, un orthophoniste qui puisse venir à domicile, organiser les repas, il y a plein de démarches administratives, trouver des aides aussi financières pour les enfants à domicile, donc il y a plein plein de choses à faire. Et moi à ce moment-là, je me réfugiais un peu dans l'action, je me dis, il y a un problème, je mets en place tout ce que je peux pour accompagner ma mère,

  • Speaker #1

    tout ce que je maîtrise,

  • Speaker #0

    il y a un enjeu de maîtrise de la situation. Et puis malheureusement dans cette maladie, en fait... Comme ça va très vite, les solutions qu'on met en place à un moment donné, un mois plus tard... il faut les renforcer il faut les revoir il faut les compléter donc c'est beaucoup de travail en fait c'est beaucoup d'accompagnement à côté ça bien sûr je passe beaucoup de temps avec ma mère j'essaye de lui accorder les meilleurs moments avec ma sœur on décide de l'emmener en bord de mer on va en Normandie on mange des fruits de mer enfin voyez on essaye quand même de faire en sorte on se dit à ce moment-là accordons-lui tous les moments dont elle peut profiter tant qu'elle peut encore en profiter donc quand même une chaîne de solidarité qui se met en place autour d'elle et puis très rapidement malheureusement la situation La situation arrive à un tel point qu'à peu près trois mois après l'annonce du diagnostic, ma mère doit aller en EHPAD. d'accord c'est une décision difficile mais à ce moment là ma mère se dit qu'elle sera plus en sécurité parce que elle risque de tomber, elle a du mal à se lever tous les gestes du quotidien deviennent très difficiles, elle est en train de perdre la vue donc c'est à la fois un drame pour elle d'aller en EHPAD mais en même temps c'est une femme très rationnelle et elle se dit voilà s'il m'arrive quelque chose j'aurai de toute manière un infirmier ou un médecin qui me déparage et je serai plus protégé Le placement en EHPAD est un moment difficile, mais ma mère affronte tout ça avec beaucoup de courage, avec beaucoup de pudeur. Je pense beaucoup de dignité, enfin pas je pense, clairement avec beaucoup de dignité.

  • Speaker #1

    Tu le choisis comment l'EHPAD ?

  • Speaker #0

    Alors je fais un truc, je fais le tour des Ehpad, c'est quelque chose qui n'est pas terrible à faire, mais je passe quelques semaines à visiter des Ehpad pour essayer de trouver le meilleur Ehpad. Ma mère est très parisienne, elle a grandi à Belleville, donc je choisis un Ehpad dans le centre de Paris, qui coûte un peu cher malheureusement, mais en me disant, l'avantage c'est qu'on peut sortir de l'Ehpad, aller à un petit café du coin, aller dans le bistrot du coin, et ma mère, voilà.

  • Speaker #1

    Elle retrouve un peu ce qu'elle aime.

  • Speaker #0

    Elle retrouve un peu ses repères. Et puis, je sais aussi que ça n'a pas forcément duré très longtemps, parce que la maladie progresse malheureusement très vite, donc de semaine en semaine, de mois en mois, on voit la maladie.

  • Speaker #1

    Ça va si vite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Ça va vite. Alors, moi, je le vois parce que je suis très proche d'elle. Bien sûr. Je la vois très souvent, mais ça va très vite. Ça va très vite. Un jour, ma mère voit le neurologue et elle lui pose une question. Ma mère lui dit, est-ce que je pourrais devenir cobaye et rentrer dans un programme de recherche ? Alors, moi, au début, je ne mesure pas forcément l'importance de cette question, mais ma mère est un peu en mode... pardon pour l'expression, mais fichu pour fichu, autant que je serve à la science, et donc elle demande aux médecins de rentrer dans un programme de recherche, non pas pour, avec l'espoir de se guérir, mais simplement avec l'espoir de dire, peut-être qu'au moins, je peux contribuer à la recherche. Le neurologue, qui est un homme très humain, comprend, mais il dit Désolé madame, en ce moment, on n'a pas de programme de recherche, il n'y a rien qui peut correspondre à cette maladie. Et donc, ce n'est pas possible. Je ne m'en rends pas tout de suite compte, mais c'est un moment difficile pour ma mère, parce que je pense que c'était une des choses qui l'accrochait encore à la vie ou qui lui donnait de l'espoir, de se dire Je peux contribuer à la recherche. Et quelques semaines plus tard, ma mère me dit Écoute Arnaud, J'ai bien réfléchi, je veux en finir plus vite. Je ne sais plus exactement comment elle me l'exprime, mais quand elle me le dit, c'est très rationnel, c'est très posé. Et là, vous savez, dans la vie, il y a parfois des choix, c'est-à-dire que j'aurais très bien pu répondre à ma mère, écoute, t'as une baisse de morale, t'en fais pas, ça va aller. Mais je vois tellement sa souffrance, parce que ma mère, à ce moment-là, commence à s'enfermer dans son corps. La vie, psychologiquement, c'est très dur pour elle. Et surtout, en fait, elle m'a tellement demandé. Pendant plusieurs années, à plusieurs moments, elle m'a tellement demandé de dire je ne veux pas me retrouver dans ces états de très grande dépendance Du coup, j'y réponds écoute maman, est-ce que tu veux que je me renseigne ? C'est-à-dire qu'à ce moment-là, moi je ne me dis pas grand-chose en fait.

  • Speaker #1

    Tu ne veux pas que ça s'aligne, tu me dis, mais en fait c'est quelque chose qu'elle me dit depuis dix ans.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qu'elle m'a pas mal répété. Moi, je lui ai dit, écoute, je lui ai déjà dit, maman, on le fera, t'en fais pas. Donc, je suis un peu engagé par cette promesse. Et surtout, à ce moment-là, moi, j'ai aucune idée de comment ça se passe. Et ce que je lui promets déjà, c'est de me renseigner. C'est-à-dire, je ne lui dis pas quoi que ce soit est possible. Je lui dis juste, écoute, je vais me renseigner. Pour me renseigner, la... Pour me renseigner, je vais... En fait, très vite, je prends la décision de rencontrer des familles. C'est-à-dire...

  • Speaker #1

    Qui ont vécu la même maladie ?

  • Speaker #0

    La même maladie. Et notamment des familles qui ont accompagné leurs parents déjà en soins palliatifs, en France. Et je rencontre des familles qui ont accompagné leurs proches en soins palliatifs, des patients atteints de cette maladie. J'ai la confirmation que les fins de vie sont très douloureuses. Ce qu'il faut savoir, c'est que ce n'est pas une maladie qui entraîne la mort, naturellement, des personnes. Donc les personnes peuvent rester... un certain temps dans un état de très grande dépendance.

  • Speaker #1

    Et de souffrance en plus de...

  • Speaker #0

    Et surtout, c'est une maladie qui a des petits troubles de l'attention et de la concentration, mais les gens restent conscients. Donc potentiellement, les personnes se retrouvent au bout d'un moment un peu enfermées dans leur corps. Comme il n'y a parfois plus la parole et plus la vue, ça veut dire qu'il n'y a plus de moyens de communiquer. Et puis comme il n'y a plus de capacité à déglutir, les personnes se retrouvent nourries par sondes, elles finissent par s'amaigrir, et sans rentrer dans les détails, c'était vraiment vite très difficile. Alors ça malgré bien sûr le courage, l'accompagnement, les soins palliatifs, et le confort qu'on peut installer, mais malgré le confort, à partir du moment où il n'y a plus de communication, ça reste très difficile. Voilà, et je vois des familles qui sont objectivement très marquées par ces moments-là. Et du coup, je me renseigne aussi sur les possibilités de mort anticipée. Je me rends compte, bien sûr, à ce moment-là, en France, rien n'est possible, tout est illégal. Et je vois très vite que la seule solution, c'est en Suisse, avec un suicide assisté. Et donc, je parle aussi à des familles qui ont accompagné leurs proches dans des suicides assistés. Le suicide assisté en Suisse, c'est de manière très simple. On pose aux personnes une perfusion et les personnes appuient sur un bouton qui libère un produit, qui les endort et qui met fin à leur vie.

  • Speaker #1

    Soi-même ?

  • Speaker #0

    Soi-même. Voilà. C'est-à-dire que les personnes ont juste un geste à faire, qui est d'appuyer sur un bouton. J'ai toutes ces infos, je reviens vers ma mère et je lui dis Maman, est-ce que tu es sûre que tu veux vraiment que je te donne ces informations ? Elle me dit Oui Arnaud, je te le demande et surtout elle me dit que je veux que tu sois cash avec moi, je veux tout savoir, je veux avoir toutes les informations. Donc là, je lui présente les deux solutions, je lui présente ce que j'ai trouvé et globalement, je lui dis, écoute, il y a deux possibilités. Soit on t'accompagne en soins palliatifs en France et on essaye de trouver le meilleur service et de t'accompagner avec le meilleur confort possible.

  • Speaker #1

    C'est dans le cadre de la loi Leonetti ?

  • Speaker #0

    C'est ça. C'est dans le cadre de la loi Leonetti. Alors la sédation profonde est possible, mais... En tout cas, le retour des familles que j'ai, c'est que c'est quand même à partir d'un certain état, c'est-à-dire que c'est très tardif. Et c'est souvent dans des moments très difficiles, et donc il y a beaucoup, beaucoup de souffrance avant d'arriver là. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de suicide anticipé en France, qu'on soit clair.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de suicide anticipé, et c'est quand les malades arrivent, généralement, enfin ce qui se passe souvent dans ces maladies, c'est qu'il y a des infections pulmonaires. Et c'est à l'occasion d'infections pulmonaires qu'on décide de provoquer une sédation profonde. Et puis je présente aussi à ma mère ce que j'ai compris du suicide à la cité en Suisse. Et là, ma mère me dit, écoute Arnaud, merci beaucoup, j'ai bien compris, je vais réfléchir.

  • Speaker #1

    Je pensais que tu allais dire, j'ai bien compris, voilà mon choix, ça me fait chaud.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout, pas du tout. Pas du tout, parce que vous savez, il y a plein de gens qui disent, voilà, s'il m'a dit grave, m'arrivait, je me suiciderais directement, j'arriverais en Suisse. Mais entre imaginer les choses et être confronté, l'écart, il est énorme. C'est un monde. Et donc ma mère rentre dans une longue phase de réflexion, alors longue, ça dure un mois. Ce qui est important de comprendre, et ce qui est difficile, c'est qu'au début, la réflexion de ma mère se fait pas par rapport à elle, mais par rapport à nous. C'est-à-dire, ma mère se dit, qu'est-ce qui est le moins douloureux pour mon entourage ? Et donc ça la fait hésiter énormément, parce que d'un coup, parfois elle se dit, je peux pas imposer à mes proches un sujet d'assister, psychologiquement c'est trop lourd. Et puis à d'autres moments elle se dit, mais je peux pas non plus leur imposer. une fin en soins palliatifs, ça va être trop lourd et trop dur pour eux. On rentre dans une période qui est... Alors, cette période, elle n'est pas simple. Et moi, un jour, j'ai une discussion, une conversation avec ma mère qui fait partie des conversations difficiles. J'ai eu des meilleures conversations dans ma vie. Et je lui ai dit, écoute, maman, de toute façon, moi, je n'ai pas envie que tu meurs. Je n'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté. Donc, les deux sont horribles, en fait. Mais... je m'engage, enfin mon engagement, c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre. Et par contre, je lui dis, la seule chose que je te demande, c'est que ton choix soit fait par rapport à toi et pas par rapport à ton entourage. Et ça, c'est hyper important. C'est-à-dire que je lui dis, moi, je ne t'accompagnerai pas dans son choix si ce n'est pas par rapport à toi.

  • Speaker #1

    Et ton maturité ?

  • Speaker #0

    Je vois un psy, ça aide, et ce n'est pas du luxe. Le meilleur investissement de ma vie. En fait, ce que je lui dis sur Toimer, c'est que je lui dis, imagine que... tu mets fin à tes jours en Suisse et que je sache que tu mets fin à tes jours pour m'épargner de t'accompagner dans un soin palliatif, jamais je pourrais m'en construire après ça. Donc il faut que ça soit que par rapport à toi. Et surtout, je lui dis autre chose qui est hyper important, c'est que je lui dis, quoi qu'il arrive, je m'en remettrai. Et ça, c'est un message hyper important, parce que je pense que pour un parent, c'est très angoissant de savoir que les conditions de sa mort vont potentiellement impacter ou voire traumatiser son entourage. Et donc moi, je dis, maman, ça sera très dur, ça sera très douloureux, mais je reconstruirai ma vie après et je serai heureux, quelle que soit la solution.

  • Speaker #1

    Quel cadeau de lui dire ça. qu'est-ce que c'est qu'est-ce que c'est le mot c'est pas généreux mais qu'est-ce que c'est spontanément j'ai dit quel cadeau de lui dire ça parce que ça libère et ça autorise à faire un choix alors c'est vraiment ce que je souhaite et c'est

  • Speaker #0

    vraiment ce que je souhaite ce qu'il faut bien voir c'est qu'à ce moment-là on est plusieurs autour d'elle, c'est-à-dire que Très vite, ma mère identifie deux amis, ma sœur et moi, et donc elle partage à peu de monde cette situation, cette réflexion, mais on est un petit groupe à l'accompagner dans sa réflexion, sachant que la règle du jeu entre nous, c'est d'être neutre. C'est-à-dire qu'on se dit, il faut que ça soit de sa décision, quoi qu'il arrive, c'est pas la nôtre. On n'a pas d'avis à avoir dessus, donc on peut l'aider dans sa décision, mais il faut que nous, on reste neutre. Donc on est là pour dialoguer avec elle, mais il faut que ça reste sa décision. Je trouve aussi un psy qui va voir ma mère, qui va discuter avec elle, qui accepte de cette posture très compliquée d'aider une personne à mûrir son choix sans chercher à l'influencer. Et on a convenu d'un petit protocole avec ma mère, c'est qu'on a convenu que le jour où elle choisirait, elle appellerait successivement ses deux amis proches d'elle, ma sœur et moi, et je lui ai dit voilà maman, il faudra que tu nous dises à tous la même chose, exactement la même chose. Et un matin, moi je suis au travail, je suis en train de faire des mails, des réunions, et je reçois un premier SMS ou coup de fil d'une amie de ma mère qui me dit Écoute Arnaud, ta mère a pris sa décision, elle veut aller en Suisse. Un deuxième coup de fil, la même chose. J'ai ma sœur qui m'appelle et qui me dit Arnaud, on va aller en Suisse, c'est horrible ! Et après ma mère m'appelle et me dit Arnaud, je souhaite te voir. Donc je vais voir ma mère, je vais voir ma mère avec un ami, parce que je ne veux pas être seul pour entendre ça. Et ma mère me dit Écoute Arnaud, j'ai bien réfléchi, je souhaite mettre fin à mes jours en Suisse, et je te demande de m'accompagner. Quand elle me dit ça, ce qu'il faut savoir, c'est que moi j'ai tout de suite un stress qui arrive à ce moment-là. c'est qu'en fait, je ne sais pas si c'est possible, c'est-à-dire que monter un dossier pour ce protocole-là en Suisse, ça prend beaucoup de temps. Or, il y a un élément d'information qui est important, c'est que la veille du suicide, les patients rencontrent un psychiatre et un médecin qui délivrent ce qu'on appelle une attestation de discernement. Ce qui est très bien. L'objectif, c'est juste de valider que la personne a toute sa tête et que c'est un choix libre et conscient et éclairé. Sauf que, vu la maladie, je sais que parfois, ma mère s'exprime très bien, mais... Mais il y a des moments de grande fatigue où elle a du mal à trouver ses mots. Et donc je sais que potentiellement, dans six mois, elle peut à un moment avoir énormément de difficultés à s'exprimer. Et si jamais elle n'arrive plus à s'exprimer, l'attestation de discernement est impossible, et donc le suicide est impossible.

  • Speaker #1

    C'est une course contre la montre, quoi.

  • Speaker #0

    Et là, je rentre, c'est-à-dire que là, mon stress à moi, tout de suite, c'est une course contre la montre, parce que je me dis, si jamais ma mère veut ça, et qu'en fait, ce n'est pas possible, ça va être super dur. Donc, je prends quelques jours de congé, et je monte un dossier. Alors, je monte un dossier, on est plusieurs. C'est assez long, donc il y a un dossier administratif à monter, avec plein de pièces. Il faut récupérer tous les éléments médicaux, tout son dossier médical. Et puis, ma mère rédige une lettre, enfin, elle dicte une lettre à une de ses amies, dans laquelle elle explique les raisons de son choix. Je récupère aussi des témoignages de tous ces quelques proches qui l'ont accompagné dans sa réflexion. On remplit un non-questionnaire, et on envoie tout ça. Quelques semaines après, j'ai un contact avec cette association en Suisse. Et là, je tombe sur une personne qui est très humaine, très à l'écoute. Et une des choses qui me surprend, c'est que cette personne connaît très bien sa maladie. Elle connaît très bien la maladie de ma mère. Donc cette maladie qui est connue de personne, la personne en Suisse de l'association me dit, Coucou monsieur, on connaît extrêmement bien cette maladie. On a régulièrement des personnes atteintes de cette maladie qui font ce choix-là.

  • Speaker #1

    on trouvera les moyens pour faire en sorte que ça a lieu et s'il ya besoin d'accélérer un peu les choses on accélère un peu les choses elle en parle à son équipe médicale ta mère va faire une équipe ou en tous les cas au moins le neuro ma mère décide enfin de pas en parler à son neurologue faut savoir qu'en france c'est illégal donc

  • Speaker #0

    les médecins ne peuvent pas en parler vous voyez parce qu'un médecin ne peut pas valider en soi une décision donc c'est forcément une conversation difficile voire impossible et même les certains psychologues refusent complètement d'en parler ah oui parce que ça peut être ça peut ...de leur être reprochés, vous voyez, on pourrait reprocher à des médecins.

  • Speaker #1

    Protéger son médecin, qu'elle lui en parle.

  • Speaker #0

    Oui, c'est pour protéger son médecin. D'accord. Ma mère dit, on va le mettre mal à l'aise, il saura pas quoi répondre, donc c'est mieux de pas lui en parler. Un jour, un matin, donc on a... une fois que je parle avec la personne de cette association, il y a un moment de validation du dossier, c'est-à-dire qu'au sein de l'association, je pense qu'ils se rencontrent, il y a un comité éthique qui valide le dossier. Et un matin, c'est un dimanche matin, je suis en train de prendre mon café, je joue un jeu sur mon téléphone mobile et j'ai un coup de fil de l'association et qui me dit, monsieur, le dossier est validé, maintenant, on veut parler très vite à votre mère. Je file à l'EHPAD, je mets ma mère sur un fauteuil, je mets le téléphone en. Je me lance une vidéo WhatsApp et ma mère parle à une personne de l'association. La personne au début lui pose quelques questions très simples pour savoir qui elle est, quel âge elle a. Un peu des questions pour justement mesurer son niveau de discernement, mesurer son niveau de conscience, quel mois on est, le métier qu'elle a fait, où est-ce qu'elle est, etc. Et très vite, la personne raconte vraiment dans le détail tout le protocole de suicide assisté. Et pendant une demi-heure, face à ma mère, la personne décrit de manière hyper précise, mais vraiment minute par minute, comment ça se passe, la veille, le jour même, le matin, tous les détails, l'injection du produit, le bouton, comment ça se passe dans le détail, sans chercher à rassurer. Et ça, c'est hyper important. Et je comprends quand la personne raconte ça, que c'est un test pour ma mère, pour savoir si elle a vraiment envie. Parce que la description est objective. C'est effectivement hyper difficile. Et je vois ma mère qui écoute, et à la fin de mon entretien, ma mère dit Écoutez, madame, merci beaucoup, c'est très clair. J'ai bien pris ma décision. Je souhaite mourir. Ma décision est ferme et irrévocable. Moi, je suis à côté. J'ai passé, j'ai déjà vécu des meilleurs moments dans ma vie. Donc j'entends ma mère dire ça, et c'est le moment où je sais que ça y est, on y est. C'est-à-dire que je sais que ça va se faire. Je sais que ma mère a vraiment, sa décision est vraiment prise. Et je sais que c'est possible, et je sais que ça va se faire. Donc très vite après, on rentre dans une autre question, qu'elle je ne m'attendais pas du tout, qui est terrible. C'est la fixation d'une date, parce qu'il faut trouver une date en fait. Au sein de ces associations, ils sont débordés par des demandes, et notamment débordés par des demandes de français. Et donc trouver une date c'est compliqué, et donc la personne nous dit, bah voilà, maintenant la prochaine étape, c'est juste de trouver une date. La question est hyper compliquée parce que... On ne sait pas exactement à quel moment le faire. Moi, je comprends intuitivement que ma mère ne veut pas le faire trop tard, maintenant qu'elle a pris sa décision. On est début mars et ma mère fête son anniversaire fin avril. Donc du coup, je dis à ma mère, écoute maman, si tu veux, on te fait un super anniversaire fin avril et après on y va. Et ma mère me dit, non, écoute Arnaud, moi je ne souhaite pas fêter mon anniversaire, je veux partir avant. Avec l'encul, je comprends. Et donc, très vite, l'association, je rappelle l'association, qui nous dit, écoutez, pas de souci, on va vous trouver une date, et donc la date est fixée au 15 avril. Là, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on rentre dans un monde différent, puisque à partir du moment où la date est fixée, on est dans un compte à rebours, et on sait que chaque jour qui passe est un jour de moins. Tu continues à travailler là ?

  • Speaker #1

    Je continue à travailler. Alors, je m'arrête quand même 3-4 semaines avant. Le boulot est compliqué. J'ai la chance d'avoir des collègues compréhensifs. On est une petite boîte, mais un jour je réunis toute l'équipe et je suis un des patrons de la boîte et j'explique à l'équipe ce qui se passe et j'explique que je vais partir pour un moment. Je ne rentre pas dans les détails, mais tout le monde sait et tout le monde sait que je vais devoir partir. Donc je m'arrête de travailler. Et à ce moment-là, ce qu'il faut comprendre, c'est que moi, j'ai un énorme sentiment de culpabilité qui arrive, parce que lorsqu'on parle de suicide assisté, en fait, l'assistance au suicide repose beaucoup sur les familles. Et ça, on n'en parle pas assez, c'est-à-dire que certes, il y a des médecins, des infirmiers qui, à la fin, facilitent l'injection, mais toute la phase de préparation et d'allogistique, toute l'organisation, tout repose sur les familles, tout repose sur l'entourage. Heureusement, j'ai une soeur extraordinaire. qui est une femme extraordinaire. Heureusement, ma mère a des super amis, mais tout repose sur la famille. Et du coup, moi, à ce moment-là, je me dis, en fait, je suis en train de participer activement à la mort de ma mère et au suicide de ma mère. Donc, c'est hyper culpabilisant pour moi, parce que je me dis, mais j'ai monté un dossier, j'organise des choses, c'est moi qui ai pris contact avec cette association, et donc j'aide activement ma mère à mourir. C'est une culpabilité qui est très lourde à porter. Au bout de quelques semaines, quelques nuits un peu agitées, mes... Au bout de quelques jours ou quelques semaines, je me dis, mais en fait, si je ne faisais pas ça, ma culpabilité serait encore plus grande. Parce que si je vois ma mère en soins palliatifs, dans un état de grande souffrance, et je la vois déjà souffrir, et que je sais que je n'ai pas activé, que je n'ai pas aidé...

  • Speaker #0

    Je ne veux pas de ce qu'elle veut en plus.

  • Speaker #1

    C'est ça. Du coup, je me dis, ma culpabilité serait encore plus grande. Ça m'aide beaucoup. Et un jour, je me dis, non, je ne vais pas me laisser avoir par la culpabilité. En plus, ma mère est une femme hyper indépendante. Sa liberté a toujours été sa valeur principale, et pour elle, au-delà de la douleur physique, ce qui est important de comprendre, c'est que c'est insupportable, psychologiquement, d'être enfermé dans son corps, et elle décrit déjà ces mécanismes d'enfermement dans son corps. Donc j'essaye de me libérer de la culpabilité, je crois que j'y arrive pas trop mal. Et surtout, on rentre dans ces périodes-là dans un moment très particulier. C'est-à-dire que ma mère veut profiter de tous ces derniers moments. Et on fait quelque chose qui est très beau. C'est-à-dire que moi, je dis à ma mère, écoute maman, dis-moi tout ce que tu veux faire avant de mourir. Et on a quelques semaines. Comme une bucket list. On fait la bucket list.

  • Speaker #0

    Oui, prononcez.

  • Speaker #1

    On fait la bucket list avant de mourir. Alors, heureusement c'est des choses simples, dans la bucket list il y a surtout manger des huîtres avec un petit verre de Chablis, donc il y a un budget huîtres. je vous cache pas que comme ma mère a des problèmes pour déglutir vraiment les huîtres c'est pas ce qu'elle nous plus conseillait mais on va dans ce moment là vous savez on va au resto, on mange des huîtres du coup il y a une blague entre nous c'est à dire que je dis à ma mère, maman on est pas en train de mettre tout ça en place pour que tu t'étouffes avec une huître dans une brasserie parisienne trois semaines avant d'aller en Suisse, ça fait beaucoup rire je l'accompagne dans des expos, je la pousse en fauteuil roulant bien sûr euh... on fait un tour en faudré embrouillé, vous voyez, plein de petites choses, je l'emmène dans les grands magasins en fauteuil roulant et je vis des très grands moments de complicité, on parle énormément, il y a beaucoup d'amour, on se confie beaucoup de choses, donc j'ai aussi la chance à ce moment-là d'avoir des très belles discussions avec ma mère et je me retrouve à un moment, c'est un moment très particulier à vivre, c'est-à-dire qu'il y a à la fois énormément d'amour et de complicité, donc des très très beaux moments et en même temps une angoisse terrible, parce que chaque jour qui passe, c'est un jour C'est un peu comme si j'avais une main plongée dans l'eau glacée et l'autre main plongée dans l'eau bouillante. C'est-à-dire que c'est en même temps beaucoup d'angoisse et en même temps beaucoup d'amour et de complicité au même moment. Donc oui, c'est compliqué à vivre. Alors heureusement, en fait, il y a toute une chaîne de solidarité. Moi, j'ai la chance d'avoir un compagnon à côté de moi avec qui je suis fiancé, qui s'appelle Yann, qui est très soutenant. Et donc il y a une chaîne de solidarité, je suis très entouré. Il y a beaucoup de manifestations de solidarité autour de nous, de gens qui sont plus ou moins proches, d'amis. Alors moi j'ai l'occasion, enfin j'ai la chance d'être entouré. Donc c'est, j'ai beaucoup parlé de moi, mais c'est une aventure collective. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens qui expriment leur solidarité. Et puis surtout ma mère souhaite l'annoncer. Donc elle l'annonce à sa famille, elle l'annonce à toutes les personnes autour d'elle. Donc on fait aussi la liste des gens à qui il faut l'annoncer. Ma mère est très fatiguée, donc il y a une partie des personnes, c'est elle qui l'annonce, l'autre partie c'est moi. Souvent on m'a dit ça doit être difficile à accepter pour les gens qui sont religieux et en fait mon expérience c'est pas du tout

  • Speaker #0

    Vous êtes pas religieux ?

  • Speaker #1

    Moi non, je suis sensibilité chrétienne je suis pas pratiquant mais ma mère a autour d'elle des gens qui sont catholiques pratiquants, et ces gens-là réagissent en réalité avec beaucoup d'humanité, en disant écoute, ce ne serait pas notre choix, c'est contraire à nos valeurs, mais dans une situation de souffrance, on ne peut que comprendre, on ne peut pas se projeter dans cette situation, et on a des gens qui disent voilà, nous on ne peut qu'accompagner par la prière, essayer d'être présent, et je pense qu'il y a beaucoup de gens chrétiens qui réagissent avec beaucoup de compassion. Ça ne veut pas dire être d'accord, mais ça veut dire simplement chercher à être présent.

  • Speaker #0

    C'est de l'amour.

  • Speaker #1

    C'est de l'amour. Donc, il y a des beaux moments. Ce qui est compliqué pour les gens dans l'annonce, ce n'est pas tant le suicide assisté, mais c'est le fait de savoir qu'ils vont perdre cette personne. Et puis, c'est très particulier de voir quelqu'un en pleine conscience, de voir une personne qui vous dit qu'elle souhaite mourir. Et en plus, ma mère est relativement sereine, elle est décidée. ça ne lui empêche pas d'avoir très peur. C'est-à-dire que ma mère me dit souvent qu'elle a peur de ne pas arriver à appuyer sur le bouton. Donc c'est une de ses grandes angoisses.

  • Speaker #0

    Arriver à cause de sa maladie ou de ne pas avoir le...

  • Speaker #1

    De ne pas avoir le courage.

  • Speaker #0

    L'impulsion, le courage, je ne sais pas dire le mot.

  • Speaker #1

    Non, non, ne pas avoir le courage et l'envie, mais entre avoir envie et arriver à appuyer sur le bouton. Donc la principale angoisse de ma mère, c'est vraiment de se dire comment est-ce que je vais faire pour arriver à appuyer sur ce fichu bouton ? À ce moment-là, on décide de parler de tout. Vous voyez, on a un niveau d'ouverture et de discussion qui est très fort.

  • Speaker #0

    t'as déjà vous avez je ne sais plus si on se dit tu ou vous enfin est-ce que tu te retiens de pleurer de montrer ton émotion ou est-ce que tu dis il faut que pour elle je en fait je me dis il ne faut pas que je pleure

  • Speaker #1

    parce que je vois la dignité de ma mère, je vois la manière dont elle affronte la maladie, je me dis, en fait, je ne veux pas lui montrer moi ma souffrance, elle connaît cette souffrance. Un jour, je n'y arrive pas, et un jour, les nerfs lâchent un peu. Je pleure devant ma mère, et ma mère, à ce moment-là, me dit, Arnaud, je sais que je t'en demande beaucoup, et je crois que je t'en demande un peu trop. Et à ce point-là, moi, je lui dis Oui, maman, tu m'en demandes trop, clairement. Mais je lui dis Tu sais, moi aussi, parfois, je t'en ai demandé trop et c'est OK, parfois, d'en demander trop à des gens qu'on aime. Voilà et les jours se passent progressivement, on essaye de profiter au maximum de tous les moments. Il y a une très belle chaîne de solidarité qui s'organise. On rédige avec ma mère son faire-part de décès, ce qui est très particulier. Mais ma mère souhaite avoir un faire-part de décès très coloré. Donc moi je fais appel à une graphiste que je connais, qui est adorable et qui dessine vraiment, qui design le faire-part de décès. Ma mère du coup choisit entre plusieurs versions du faire-part, elle veut qu'il y ait des fleurs, des papillons, c'est une femme très égoïste. exigeante, donc il faut vraiment que le faire part ressemble exactement à ce qu'elle veut. Mais c'est aussi thérapeutique, c'est aussi une manière de s'approprier un peu la mort qui vient. C'est aussi une manière de dédramatiser.

  • Speaker #0

    Tout ça, c'est vraiment pour elle de lutter contre l'impuissance que lui impose la maladie.

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il faut comprendre dans ces moments-là, c'est que quand des gens se retrouvent enfermés dans leur corps, c'est une manière de reprendre le pouvoir, c'est une manière de reprendre le contrôle, et c'est une manière de se sentir acteur de sa vie. Et ma mère, qui est une femme très forte et très indépendante, ça lui fait du bien. Les jours passent et arrive ce fameux moment où on part en Suisse. Donc on prévoit deux voitures, il y a une amie de ma mère, il y a ma soeur, mon beau-frère, ma mère, un ami qui est infirmier, qui nous accompagne. Je pars aussi avec ma chienne, j'ai une petite chienne qui s'appelle Najah, petite mais pas si petite. Donc on part tous ensemble en voiture en Suisse, on fait le trajet et on passe les derniers jours en Suisse dans un petit hôtel. En Suisse, ce qui est très particulier à comprendre, c'est que les derniers moments sont curieusement très joyeux. Très joyeux parce que ma mère veut profiter de la vie jusqu'au dernier moment. Donc on mange bien, on passe beaucoup de temps à rire en fait. Je pense que ce qu'on n'a pas vécu, c'est très difficile à imaginer. Mais quand on sait que la mort va arriver dans 48 heures ou dans 72 heures, les personnes confrontées à ça veulent profiter de chaque instant.

  • Speaker #0

    Ça rend tout plus intense, chaque minute plus intense.

  • Speaker #1

    Chaque minute, chaque instant est hyper intense. La maladie a progressé, ma mère est en fauteuil roulant, tout est compliqué à faire, mais elle donne toute son énergie dans ces derniers moments. La veille de son suicide, on joue tous aux jeux de société. Alors ce serait particulier, mais on passe une après-midi à jouer à des jeux de société. Bien sûr, pendant tous ces moments-là, on dit beaucoup à ma mère qu'on l'aime, on parle beaucoup, ma mère nous confie aussi ses angoisses, ses inquiétudes, on essaye de l'écouter, on essaye de l'accompagner comme on peut. Et c'est aussi ce qui est important, que si jamais elle veut tout arrêter, on arrête tout. C'est-à-dire qu'elle sait très bien qu'on lui a dit que si jamais au dernier moment... Elle voulait arrêter, on arrêtait tout. Et c'était une des conditions qu'on avait posées. Et le soir, donc la veille de son suicide, elle rencontre un médecin, un psychiatre. Moi, je ne suis pas là pendant l'entretien. Et les infirmiers, enfin l'équipe médicale qui va l'accompagner. Et suite à l'entretien, ces personnes reviennent vers nous et nous disent, écoutez, votre mère est décidée, elle souhaite mourir. Et ce dernier contact rassure beaucoup ma mère. Et à ce moment-là, elle est très décidée, très sereine. C'est-à-dire qu'à partir du moment où elle a rencontré cette équipe médicale, elle est rassurée, elle est sereine, elle sait comment ça va se passer, elle sait qu'elle sera accompagnée. Donc le lendemain, l'heure du petit déjeuner arrive, on a un dernier petit déjeuner tous ensemble, et puis on retrouve ces personnes de l'association à l'hôtel, et on les suit en voiture pour aller jusqu'à un local associatif. Ce qui est important de savoir, c'est qu'en Suisse, ça n'a pas lieu dans une clinique. Oui,

  • Speaker #0

    moi je pensais que c'était dans un...

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. En fait, c'est pas... Alors en Suisse, il y a aussi beaucoup d'opposants au suicide assisté, donc c'est dans un local associatif qui est tenu secret jusqu'au dernier moment. Puisque les personnes de l'association en Suisse ne veulent pas qu'il y ait une manifestation devant, ou qu'il y ait des personnes qui viennent empêcher les choses, donc c'est un endroit qui est totalement secret. On ne connaît pas le lieu jusqu'au jour, donc on se retrouve à suivre en voiture une personne jusqu'au local associatif en Suisse. Moi je suis dans la voiture, je conduis ma mère. J'ai vécu des meilleurs moments. On arrive dans ce local associatif, et là on fait, la dernière volonté de ma mère, c'était une coupe de champagne. Donc on arrive dans ce local, et on sort de champagne, on sort de foie gras. Les derniers moments de ma mère sont très français. On prend l'apéro, et donc un matin, on se retrouve comme ça, à boire de champagne, à se dire qu'on s'aime, surtout. Et c'est comme une déclaration d'amour à la vie, vous voyez, de dire, le dernier moment, on fait en sorte qu'il soit le plus beau possible. Ma mère est sereine, Elle est très déterminée, elle nous dit qu'elle nous aime, elle est très souriante, c'est très particulier, c'est presque perturbant de voir quelqu'un, une personne affronter la mort avec autant de sérénité. Et puis, une fois qu'on a partagé cette coupe de champagne, ma mère va dans une pièce à côté, elle s'allonge sur un lit, on lui pose une perfusion. Moi, je suis à côté d'elle, on discute et je dis à ma mère, Voilà, maman, maintenant, quand tu veux que j'y aille, tu me dis. Ce qu'il faut comprendre, c'est que les familles ont la possibilité de rester jusqu'au dernier moment ou de partir avant. Et moi, j'ai rencontré plusieurs familles qui sont restées jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire qu'on est personne appuie sur le bouton. Et à titre personnel, j'ai dit à ma mère, une des limites que j'ai fixées, c'est que je lui ai dit, moi je ne veux pas devoir mourir sous mes yeux. Donc en fait, je t'accompagne jusqu'à un moment, mais je veux partir avant que tu appuies sur le bouton parce que c'est invivable, enfin insupportable de devoir mourir sous mes yeux. Donc j'embrasse ma mère et je lui ai dit, écoute, quand c'est bon pour toi, tu me dis, j'y vais. On sait que c'est le signal. Et ma mère me regarde, elle m'embrasse, elle me dit Arnaud, c'est bon, tu peux y aller Elle me dit qu'elle m'aime, je lui dis que je l'aime, je me lève et je pars. Je pars avec ma sœur et mon compagnon, Yann, donc on quitte tous les trois la pièce. À côté de ma mère vont rester mon beau-frère et une amie de ma mère, qu'on décide de rester jusqu'à un moment. Et quand je franchis la porte, je sais que ma mère, à ce moment-là, appuie sur le bouton. Je sais pas de quoi je parle après. Vous pouvez même me poser une question.

  • Speaker #0

    Vous faites quoi dans les minutes ? Vous allez où déjà ? Et puis qu'est-ce que vous disent les uns et les autres ? Ils vous prennent en charge et vous disent c'est quoi l'étape d'après ?

  • Speaker #1

    Alors l'étape d'après, c'est que la police arrive. La police arrive parce qu'il y a un constat d'essai, et avec la police vient un médecin légiste pour constater que c'est bien un suicide. Donc on voit la police suisse allemande arriver, qui sont sympas, enfin sympas pour des policiers suisse allemands. Et les derniers moments, je pense que vous savez, c'est des tas de sidérations. Donc moi je ne sais plus trop où j'habite, je ne sais plus trop ce qui se passe, c'est terriblement triste. On vient de passer un moment très très beau à Bois-Champagne et on se retrouve, voilà. Donc moi je vais devant ma mère, enfin son corps, je lis une prière. La police arrive, on fait quelques papiers, et puis après le corps de ma mère sera incinéré en Suisse. Donc ensuite en famille, avec ce petit groupe, on passe encore quelques jours en Suisse entre nous pour essayer de décompresser un peu, et puis ensuite on rentre à Paris.

  • Speaker #0

    Tu me dis que tu fais... Une prière. Ta mère, elle avait des interrogations sur l'après. Elle en a parlé avec toi, ça fait partie des sujets...

  • Speaker #1

    Oui, on a beaucoup parlé de la mort et de la vie après la mort. En fait, ce qu'il faut savoir, c'est que ma mère était... Elle adorait mon père. Et donc, sa grande question pour elle, c'était est-ce que je retrouverais mon mari après la mort ? Et c'était une vraie question. Ça a été une vraie question. Je pense que ce qui l'a aidé, c'était l'idée de retrouver l'homme qu'elle aimait après la mort. C'est une question qui est hyper importante, en fait, parce que je pense que derrière cette question, la vraie question, c'est de dire est-ce qu'il y a quelque chose du lien d'amour qu'on partage qui nous survit ? Et ma mère a répondu oui à cette question. C'est-à-dire qu'elle est morte avec la foi, sans être chrétienne ou sans être religieuse, mais elle est morte avec la foi de se dire, ce lien d'amour que j'ai eu avec l'homme que j'aimais, je le retrouverai d'une manière ou d'une autre, sous des conditions que je ne connais pas, mais je le retrouverai.

  • Speaker #0

    C'était sa décision d'être incinérée ?

  • Speaker #1

    C'est très compliqué dans un suicide en Suisse de ne pas procéder à une incinération. D'accord. Pour des raisons administratives et légales, c'est extrêmement compliqué.

  • Speaker #0

    Elle a été enterrée là-bas ?

  • Speaker #1

    Alors, la volonté de ma mère, c'était que ses cendres soient dispersées en France, au cimetière du Père Lachaise, là où les cendres de mon père ont été dispersées. Donc, elle m'a dit, avant de mourir, Arnaud, je te demande une chose, c'est que mes cendres soient dispersées à cet endroit. Malheureusement, ce qui est compliqué dans un fils en Suisse, c'est qu'après la mort de ma mère, il y a eu une enquête de police. Et du coup, le certificat de décès en Suisse est assez long à obtenir. Donc, on met à peu près deux mois à obtenir ce certificat. de décès. Et ensuite, il faut faire traduire et valider ce certificat de décès en France. Ça prend aussi énormément de temps. Donc au final, on a le certificat de décès à peu près cinq mois après sa mort. Ce qui veut dire que pendant cinq mois, on ne peut rien faire. Et donc, on organisera la dispersion des cendres six mois après sa mort.

  • Speaker #0

    J'ai pu le faire.

  • Speaker #1

    Et on a décidé... On souhaitait faire une cérémonie religieuse. Donc j'ai contacté le diocèse de Paris. J'ai été très bien accueilli par des gens qui ont été très compréhensifs. C'est vrai ? Oui, vraiment. Et alors, être compréhensif, ça ne veut pas dire valider ou encourager ou approuver. Mais on est tombé sur des gens qui ont compris notre situation. Et il y a eu un prêtre qui a accepté de mener une cérémonie de prière pour ma mère. Et quelqu'un qui a su trouver des mots très justes et très beaux par rapport à cette décision. C'est ça. Vous savez, je pense que quand on est présent ou qu'on accompagne quelqu'un dans une décision qu'on n'aurait pas prise pour soi, ça nous élève en humanité. Et le prêtre, les gens qu'on a rencontrés, c'était des gens hyper humains, sans chercher à valider ou encourager, vous voyez, c'est des gens qu'on suit être présents. Et donc ça a été un très beau moment, et je pense un moment très important pour la famille. Voilà, il y a des gens qui sont chrétiens dans la famille, donc c'était aussi hyper important de savoir que ma mère pouvait avoir ce dernier hommage.

  • Speaker #0

    Je comprends.

  • Speaker #1

    les... Pardon, vas-y. Non, non, vas-y. Vas-y, vas-y.

  • Speaker #0

    Je me demandais si vous aviez prévenu le... son médecin après.

  • Speaker #1

    Moi j'ai envoyé un mail à son médecin en lui expliquant la situation et le médecin m'a répondu un petit mot très gentil, très humain, en me disant qu'il comprenait complètement la situation. Voilà. C'est pour ça que je ne dirai jamais le nom de ce médecin, mais il m'a dit qu'il comprenait parfaitement la situation. Ce qu'il faut bien comprendre dans le suicide assisté, c'est que plein de gens peuvent avoir plein d'avis sur la situation, mais quand on est confronté au réel, donc au réel de la souffrance d'une personne, Quand on est confronté vraiment à la maladie, et quand on est confronté surtout à des gens qui font des choix, on aura méconscience, et qu'on mesure la souffrance de certaines maladies, je pense qu'on ne peut que réagir avec humanité. On ne peut que réagir avec humanité.

  • Speaker #0

    Et ça a été son cas.

  • Speaker #1

    Ça a été son cas. Vous savez, je vais vous confier une anecdote. On se redit vous,

  • Speaker #0

    ça y est.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, on va se redire. Tu sais, Sarah, je vais te confier une anecdote. La veille de la mort de ma mère, j'ai rencontré une dame en Suisse, à l'hôtel. qui était une dame très élégante, 93 ans. Et je savais qu'elle... En fait, je comprends, j'ai vite compris qu'en fait, elle venait en Suisse avec la même optique que ma mère. Et donc...

  • Speaker #0

    Pour prendre des renseignements ?

  • Speaker #1

    Pour prendre des renseignements. Cette personne venait un peu en repérage. Et donc, elle avait un peu plus de capacité que ma mère. Elle était accompagnée par une amie à elle. Et oui, cette personne venait en repérage. Et donc je vois cette femme de 93 ans qui perdait complètement la vue, elle était quasiment aveugle, avec qui je discute, elle me prend les mains, et elle me dit mais vous savez monsieur, je suis tellement content de savoir que je peux mourir en paix et partir dans quelques mois, dans une mort douce Elle me dit mon quotidien est insupportable, j'ai perdu la vue, je suis encore chez moi, mais tous les gestes du quotidien sont infaisables Elle me dit à 93 ans, ma vie est derrière moi, j'ai juste envie de partir doucement Et là, elle me dit quelque chose qui est très beau, elle me dit la mort est un grand mystère, mais moi j'ai toujours aimé les mystères

  • Speaker #0

    C'est très romanesque.

  • Speaker #1

    C'est très romanesque, et quand vous avez une personne en face de vous, qu'est-ce que vous pouvez lui répondre ?

  • Speaker #0

    On s'incline.

  • Speaker #1

    On s'incline, vous voyez, on ne peut que s'incliner face à ça. Le retour au travail est un peu compliqué. J'ai jamais pensé ça. C'est-à-dire que reprendre une vie normale après, c'est compliqué. Et en même temps, je pense que ce qui est dur, en fait, c'est le deuil de ma mère. Mais en fait, sincèrement, je pense que perdre un parent dans un suite d'assistés ou dans un accident, c'est la même douleur. Enfin, c'est des douleurs différentes, mais il n'y a pas une douleur qui est plus grave ou plus douloureuse. Vous voyez, c'est tout le temps très douloureux. Donc voilà, moi, je traverse le deuil de ma mère. Et puis j'ai quand même pendant longtemps des réminiscences de tous les moments que j'ai vécu, c'est-à-dire que tous les derniers mois, les dernières semaines passent dans ma tête régulièrement, du coup c'est compliqué parce que pour me concentrer, pour être au travail, vous voyez j'ai souvent des réminiscences de ces situations-là. Petit à petit, avec le temps, ça passe. Je pense que... Comment dire ? Dans les deuils, il n'y a pas de raccourci. C'est-à-dire que le temps doit faire son œuvre. Et il n'y a pas de chemin, moi. Parfois, j'aimerais bien prendre des raccourcis et me dire, allez, si on pouvait se dire en deux semaines, on surmonte le chagrin. En fait, c'est pas possible. C'est pas possible. Mais... Ce que je voulais dire, c'est que j'ai jamais eu de regrets. J'ai jamais eu de regrets, vraiment. C'était ma grande crainte. En fait, je craignais, après ça, regretter. Je craignais vraiment regretter. Et en fait, j'ai jamais eu de regrets parce que j'ai vu ma mère partir en paix. Et surtout, je sais que pour elle, elle est partie de la manière dont elle souhaitait partir. Et qu'elle est partie en accord avec ses valeurs. Et la question pour moi, ça n'a jamais été de me dire, est-ce que moi je suis d'accord ? Est-ce que c'est conforme avec mes valeurs ? Je ne me suis pas posé cette question-là. Je me suis dit, en fait... Ce qui est bien, c'est que ma mère est partie de la manière dont elle le souhaitait. Une autre anecdote, ma mère m'avait dit Je souhaite partir lorsque je n'arriverai plus à mettre mes boucles d'oreilles. En fait, ma mère avait toujours des boucles d'oreilles. C'est une femme qui aimait bien des boucles d'oreilles, qui était assez élégante. Et son signal à elle, c'est qu'elle voulait partir avant de ne plus arriver à mettre ses boucles d'oreilles. Deux semaines avant sa mort, un jour je la vois à l'EHPAD et elle me dit Arnaud, ce matin, je ne suis pas arrivé à mettre mes boucles d'oreilles. J'ai cherché à les mettre une première fois, je ne suis pas arrivé. Une deuxième fois, je ne suis pas arrivé. Et la troisième fois, c'est là de soignant. qui m'a aidé. Et curieusement, quand elle m'a dit ça, quelque part, ça m'a presque apaisé, parce que je me suis dit, ok, ça veut dire que c'est le bon moment. Et ce moment-là, ça m'a beaucoup réconcilié. Voilà, ça m'a fait dire que c'est le bon moment.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, t'as eu des interactions avec eux ? Vous en avez parlé ? Vous avez parlé de ce sujet ?

  • Speaker #1

    Alors à l'EPAD, on a parlé au directeur, mais c'est tout. Et le directeur nous a dit, c'est mieux de ne pas en parler au personnel, parce que forcément le personnel risque d'en parler avec ma mère, ou que ce n'est pas qu'ils peuvent être réactions. Et du coup, on a préféré ne pas en parler.

  • Speaker #0

    Il y a le retour au travail et puis le retour dans le quotidien aussi qui est du coup statut couranté. Tu reviens trois ans avant. Comment ça se passe le quotidien et avec ton fiancé et tes copains ? Tu arrives à reprendre une vie ?

  • Speaker #1

    Oui, j'y arrive.

  • Speaker #0

    Recentrer sur vous, sur des projets, sur des choses.

  • Speaker #1

    J'y arrive, j'ai la chance d'avoir un compagnon, Yann, qui a été extrêmement soutenant. J'ai plein d'amis qui sont autour de moi, je suis très entouré, donc la vie reprend son cours petit à petit. Mais je pense que dans ces épreuves, en fait, on se découvre parfois des ressources qu'on n'imagine pas avoir. Bien sûr. Et donc la vie reprend petit à petit son cours et ce qui aide dans ces moments-là, c'est tous les petits moments de plaisir du quotidien. Et en plus, ma mère est partie avec un formidable message de vie. Je pense que ce qu'il faut comprendre, c'est que les gens qui décident de mettre fin à leur jour de cette manière-là, ce n'est pas par détestation de la vie. Parfois, il y a des gens qui aiment tellement la vie, qui ne souhaitent pas la quitter dans des conditions trop dégradées. Bien sûr. Donc, il y a aussi ce message de vie que ma mère a manifesté dans certains moments, qui, moi, m'encourage aussi à reprendre ma vie et à profiter de tous les moments. Donc, la vie reprend son cours, je fais mon deuil.

  • Speaker #0

    et oui la vie avance la vie gagne toujours la vie finit toujours par gagner est-ce que c'est très intime ce que tu as partagé c'est intime pour toi c'est intime parce que c'était aussi l'intimité de la vie de ta maman qu'est-ce qui t'a décidé ou donné envie de partager ça ? Même si je suis très connaissante.

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr, il y a plusieurs raisons. La première raison, c'est que je pense que c'est important parce qu'aujourd'hui, il y a plein de familles qui sont confrontées à ce type de situation, à ce type de choix. Et je me dis peut-être que mon témoignage peut aider ou en tout cas éclairer les familles. Je ne pense pas du tout à m'être comporté de manière idéale. J'ai fait ce que j'ai pu, donc mon histoire n'est pas exemplaire. Mais je me dis, les questions qu'on s'est posées, le fait de savoir que des familles sont passées, ça peut aider des personnes. Ça, c'est la première raison.

  • Speaker #0

    Comme toi, ça t'a aidé de...

  • Speaker #1

    Ça m'a aidé, vous voyez. Et ce que je vous dis aujourd'hui, c'est exactement ce que m'ont raconté des familles. La deuxième raison, c'est qu'aujourd'hui, il y a un grand débat sur la fin de vie. On entend des hommes politiques, on entend des médecins, on entend des responsables religieux s'exprimer. Toutes ces paroles sont très légitimes, mais on n'entend jamais des familles qui ont vécu ça. Et je pense que ça manque énormément, parce que si on ne comprend pas l'intimité des questionnements qui se posent, Du côté des aidants, on ne peut pas comprendre la situation. Toutes les paroles sont légitimes. On a à la fois besoin de philosophes pour éclairer la situation, mais on a aussi besoin de savoir ce que vivent les familles.

  • Speaker #0

    De témoins directs.

  • Speaker #1

    De témoins directs. Donc, en ça, voilà, moi, ce témoignage, c'est juste pour éclairer la situation. Pour être très clair, je ne pense pas du tout que le suicide à citer soit une bonne solution. Vraiment pas. Je pense simplement que pour certaines personnes, dans certaines situations, c'est la moins pire des solutions. Je souhaite à personne d'être confronté à ce choix-là. Je souhaite aussi, surtout, convaincre personne. Je ne suis pas militant, je ne suis pas responsable d'associatif. Simplement, ce qui est important, c'est que je pense que pour que les gens comprennent la situation, la parole des aidants, elle est hyper importante. Il faut comprendre exactement ce qui se passe. Je pense aussi que, forcément, les malades ne partagent pas toujours ce qu'ils ressentent avec les médecins. Moi, je comprends que des soignants soient complètement opposés au fait de participer à ça, c'est totalement légitime. Mais vous voyez... comprendre ce qui se passe au sein d'une famille, c'est hyper important. Et un autre point qui est important pour moi, c'est qu'on a parfois entendu dans les médias que procéder d'insidacité, c'est une manière de ne pas accompagner ses proches. Et en fait, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire que moi, ce que j'aimerais que les gens retiennent de ce témoignage, c'est que lorsqu'on accompagne un proche dans une décision comme ça, c'est un acte d'amour. C'est-à-dire qu'on le fait par amour pour les personnes. Ça demande énormément d'énergie. Et oui, c'est vraiment un acte d'amour et de solidarité pour ces personnes-là.

  • Speaker #0

    Alors, tu vous as déjà un peu répondu, mais qu'est-ce qu'idéalement tu voudrais que les gens, donc j'imagine que tu t'adresses autant aux soignants qu'aux familles, qu'aux gens qui pourraient un jour être concernés à titre intime et personnel, qu'est-ce que tu voudrais qu'ils retiennent de ton histoire, de votre histoire ?

  • Speaker #1

    Je sais pas si j'ai envie qu'ils retiennent quelque chose, mais j'aimerais juste que ça les aide à se poser des questions. Je pense que...

  • Speaker #0

    Sur ce genre de sujet, les réponses hâtives ou fermées, elles sont... C'est pas parce que ça n'existe pas. Ce qui est important, c'est de se poser des questions, mais ce qui est important surtout, c'est de prendre en compte le réel. Le réel de la souffrance des personnes, le réel du choix de certaines personnes. Ce qui est important surtout, c'est de considérer que on peut accompagner ou aider quelqu'un qui fait un choix qui n'est pas le nôtre. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de se dire que c'est hyper important d'aider les familles. Parce qu'en fait, c'est collectif, un suicide assisté, dans la mesure où les malades qui sont atteints de maladies graves ne peuvent pas procéder à ça seuls. Donc en fait, ça n'engage pas seulement le malade, mais ça engage tout l'entourage. Et cette question de l'entourage et des aidants, elle n'est, je pense, pas très bien prise en compte et pas très bien adressée. Si aujourd'hui, on doit réfléchir à cette question-là, une des questions au centre, c'est comment on accompagne les aidants. Comment on aide les aidants à faire ça ? Je sais que ce qu'on a fait pour ma mère, c'est un privilège. C'est cher. Ma mère avait un peu d'argent de côté, donc on a eu le mouvement de le faire.

  • Speaker #1

    Tout le monde n'a pas le temps à dégager.

  • Speaker #0

    Psychologiquement, c'est compliqué. Donc voilà, la question de l'aide des aidants et de l'accompagnement des aidants, elle est hyper importante.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un message de conclusion ? Oui.

  • Speaker #0

    Le message de conclusion, c'est que je pense que dans une fin de vie, quelles que soient les conditions de la fin de vie, que ce soit une mort programmée, une mort anticipée ou une mort en soins palliatifs, en tant qu'aidant, c'est quand même... C'est très dur, c'est très dur à vivre, mais c'est aussi l'occasion de témoigner notre amour à nos proches. Et je pense que ça, c'est beau, et que quand on a cette occasion-là, et c'est pas donné à tout le monde, parfois on n'a pas cette occasion-là, mais je pense qu'il faut savoir la saisir. Moi, je me sens chanceux d'avoir eu toutes ces discussions avec ma mère que je n'aurais pas eu autrement. Je me sens chanceux d'avoir pu témoigner mon amour. Vous savez, ma mère m'a dit, un peu avant de mourir, elle m'a dit, Arnaud, si j'avais des doutes sur le fait que tu m'aimes, là, maintenant, je n'en ai plus. C'est très beau, vous voyez, donc c'est... Voilà, je pense que c'est... En tout cas, ce qui est important, c'est de se dire que, quelles que soient les conditions de la mort, c'est important que les personnes soient entourées d'affection de la part de leurs proches.

  • Speaker #2

    Merci.

Share

Embed

You may also like

Description

"Je Iui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meures, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre."

Que peut-on ajouter à part bonne écoute?

Sarah


Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject depuis 2019

Réalisation G Carbonneaux


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je lui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meurs, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix, continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, on continue à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air, et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro, et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient puissants, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tous en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, rirez, installez-vous confortablement. Et ça va bien se passer. Bonjour Arnaud.

  • Speaker #0

    Bonjour Sarah.

  • Speaker #1

    Je suis content que tu sois à mon micro.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'inviter sur ce podcast.

  • Speaker #1

    Tu as une petite quarantaine d'années.

  • Speaker #0

    J'ai 43 ans exactement.

  • Speaker #1

    Voilà, j'essayais de tricher. Et tu es fils unique, si je ne me trompe pas ?

  • Speaker #0

    Je suis fils unique, exactement. Alors, j'ai une sœur qui est la ménant et qui est la fille de mon père, mais qui n'est pas la fille de ma mère.

  • Speaker #1

    C'est là que je voulais en venir. Est-ce que tu peux me raconter comment est ta vie et comment se passe pour vous le confinement et la suite du confinement ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je suis parisien, je vis à Paris, je suis chef d'entreprise. J'ai monté une société de conseil d'une dizaine de personnes que je co-dirige avec mon associé. Et... Je vis le confinement un peu comme tout le monde et ma mère pendant le confinement vit seule. J'ai perdu mon père il y a une dizaine d'années. Donc forcément le confinement est un peu difficile pour elle, comme pour beaucoup de nos aînés. Et à la sortie du confinement, moi j'observe chez ma mère des petits signaux de baisse de santé. Au début je ne me fais pas trop de questions, mais je vois que ma mère commence à avoir un peu de mal à marcher, parfois elle a du mal à s'exprimer, des petits problèmes d'élocution. Et je pense comme beaucoup de personnes, je mets ça un peu sur le dos du confinement, en me disant que le confinement était dur pour elle. Donc voilà, ça fait partie malheureusement de la vie et de l'âge qui avance.

  • Speaker #1

    Elle a quel âge, la taille mémoire ?

  • Speaker #0

    Elle a 70 ans, pas plus 70 ans. C'est une femme qui est hyper dynamique. Elle fait de la photo, elle fait des voyages, elle est hyper active. Et face à ces petits signaux, j'incite quand même ma mère à aller voir un neurologue, en se disant qu'à où, on ne sait jamais. En plus, les signaux ont tendance plutôt à s'aggraver. Ma mère va voir un premier neurologue. Alors, il faut savoir qu'on va voir un neurologue il y a trois mois d'attente. On voit le neurologue qui donne un examen. Ensuite, on revoit le neurologue deux mois plus tard avec les résultats de l'examen. Donc, tout ça prend du temps. Je pense que le premier neurologue n'est pas forcément la bonne personne. Elle finit par rencontrer un bon neurologue, et je fais l'histoire un peu rapide. Un jour, le neurologue lui diagnostique une maladie de Parkinson.

  • Speaker #1

    Ok. Comment elle le prend ?

  • Speaker #0

    C'est une nouvelle nouvelle, une maladie de Parkinson. Mais en même temps, aujourd'hui, il y a un certain nombre de traitements qui font qu'on peut vivre avec une maladie de Parkinson, continuer à avoir une vie active. Donc ma mère est très courageuse. Elle prend ses traitements. fait plein d'exercices de kiné chez elle, enfin voilà, elle est très très combative. Moi à ce moment-là j'essaie de l'accompagner là-dedans, de l'encourager, et on se rend très vite compte que finalement son état continue à se dégrader, les traitements ne font pas effet, elle commence à marcher avec une canne, elle est très épuisée, elle commence à perdre la vue aussi. Donc à ce moment-là... Je sens qu'il y a un problème. Elle fait des examens complémentaires et on se retrouve un jour, alors je l'accompagne du coup chez le neurologue, je sens que ça ne va pas très bien et dans un rendez-vous avec le neurologue, le neurologue lui explique qu'elle n'a pas de maladie de Parkinson mais une maladie rare qui s'appelle une paralysie supranucléaire progressive. D'accord. Désolé de m'avoir un peu compliqué, l'abréviation c'est PSP. La paralysie supranucléaire progressive, c'est une maladie qui touche 5 à 10 000 personnes en France. C'est une maladie qui est très rare, c'est une maladie neurodégénérative. Et très vite, le médecin nous dit, voilà, dans cette maladie, il n'y a aucun traitement. C'est-à-dire que c'est une maladie sans traitement.

  • Speaker #1

    Et vous dites ça tout de suite ?

  • Speaker #0

    Très vite, le médecin ne nous fait pas de faux espoirs. Il nous dit, voilà, aujourd'hui, en état actuel de la science, on ne sait pas soigner cette maladie. Il y a quelques traitements sur certains symptômes, mais il n'y a pas grand-chose à faire. Donc c'est le maladie qui touche le cerveau, qui est neurodégénérative et qui entraîne d'abord une perte de mobilité des membres inférieurs, donc les gens ont plus de mal à marcher, puis progressivement une perte de mobilité des membres supérieurs. Donc le dos se contracte, il y a des rigidités musculaires au niveau des bras. Les gens ont tendance à perdre la vue progressivement, avec souvent des douleurs aux yeux liées à la lumière. Les gens perdent aussi progressivement l'usage de la parole et la capacité de déglutition. Donc bien sûr, tout ça est très progressif.

  • Speaker #1

    Et c'est lui qui vous le dit ou c'est toi qui fais des recherches ?

  • Speaker #0

    Alors, le médecin, avec pas mal de subtilité et de finesse, nous présente un peu les différents symptômes. Il essaye non pas d'enromper les choses, je pense qu'il a très bien fait les choses, il a la foi claire sur les symptômes, mais on voit très vite la gravité de la maladie. Et surtout, on réalise, enfin moi je réalise que ma mère, en fait, la maladie est plus avancée que ce qu'on pense. Et que ça fait potentiellement plusieurs années qu'elle a ça. C'est une maladie qui est très très mal diagnostiquée en France aujourd'hui, qui est très peu connue aussi.

  • Speaker #1

    Et le confinement ?

  • Speaker #0

    Pendant le confinement, on n'a pas pu voir les choses. Et donc là, moi, je prends conscience de la situation. Et puis après, on fait des recherches avec ma mère. Je réalise que c'est une maladie.

  • Speaker #1

    Elle fait des Elle sait manier Internet ?

  • Speaker #0

    Elle fait un peu des recherches. Et alors, surtout, il y a un élément qui est hyper important à ce moment-là, c'est qu'en fait, on a perdu mon père d'une maladie d'Alzheimer. D'accord. Mon père est mort il y a 12 ans d'une maladie d'Alzheimer qui a été assez longue, assez dure. Et dans les dernières années de sa vie, mon père a été placé dans une institution spécialisée avec... que des gens qui sont atteints de maladies neurodégénératives. Et donc, ma mère, pendant trois ans, alors c'est forcément un drame familial, ça a été très dur pour elle, mais elle a vu, vraiment, elle a vu des malades en phase terminale, enfin, dans les dernières phases de ces maladies neurodégénératives.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas mystérieux pour elle ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas mystérieux pour elle, elle sait ce qui l'attend. Donc, tout de suite, quand le médecin lui annonce les choses, il n'a pas besoin de beaucoup dérouler, ma mère sait ce qui va l'attendre. Alors, on ne sait pas si c'est dans six mois, si c'est dans un an, si c'est dans trois ans, mais elle sait ce qui l'attend. Et surtout, suite à cette histoire, suite à la mort de mon père, ma mère m'avait dit à plusieurs reprises, Arnaud, si jamais il m'arrive la même chose, je veux que tu m'aides à partir plus tôt, plus vite. Ce qui est en fait assez fréquent, parce que c'est traumatisant d'avoir des gens comme ça dans cet état-là. Et elle m'avait dit, Arnaud, si jamais ça m'arrive, moi je veux que tu m'aides à partir plus vite. Alors moi à ce moment-là... Je lui avais dit bien sûr maman t'en fais pas mais objectivement ça passait par une oreille, ça sortait pas par l'autre. Je me disais de toute façon elle est trois fois plus dynamique que moi, elle est hyper active, le temps que ça arrive on n'en est pas là. Mais c'est quand même important pour la suite de l'histoire. Et donc, quand la maladie est annoncée, quand la paralysie supranucléaire est annoncée, concrètement, moi, je me transforme en aidant familial. Ça veut dire qu'il y a énormément de choses à faire. Alors, les gens qui ne sont pas confrontés à ces maladies, là, ne s'en rendent pas toujours compte. Mais il faut très vite mettre en place une assistante à domicile, faire en sorte que ma mère ait un bracelet pour pouvoir appuyer sur le téléphone si jamais elle tombe chez elle. Je me rends compte aussi que ma mère a... pas forcément communiqué sur l'état de sa maladie. Moi, j'étais peut-être aussi un peu dans le déni. Je me rends compte surtout que la maladie progresse très, très vite. Donc, très vite, il faut faire les courses, l'aider à préparer ses repas.

  • Speaker #1

    Elle n'a pas communiqué ? C'est-à-dire que c'est toi qui l'annonces aux membres de la famille ?

  • Speaker #0

    Alors, elle n'a pas communiqué, c'est-à-dire qu'elle ne m'a pas forcément dit la gravité de sa maladie, ce qu'elle vivait dans le quotidien.

  • Speaker #1

    Ah pardon, je n'avais pas compris. Donc, elle ne t'a pas raconté la réalité de l'ampleur, de comment ça l'affecte, de combien ça l'affecte ?

  • Speaker #0

    Je pense que ma mère, c'est une personne très pudique. donc elle cherche à montrer que tout va bien et moi à l'occasion du diagnostic je réalise que la maladie progresse très vite et qu'il y a plein de petites choses qu'elle n'arrive plus à faire dans son quotidien et donc tu organises toute sa vie ? donc j'organise, c'est hyper classique en fait malheureusement comme parcours d'aidant familial c'est à dire que je passe à peu près une journée par semaine à organiser des choses très concrètes, faire en sorte qu'il y ait un kiné, un orthophoniste qui puisse venir à domicile, organiser les repas, il y a plein de démarches administratives, trouver des aides aussi financières pour les enfants à domicile, donc il y a plein plein de choses à faire. Et moi à ce moment-là, je me réfugiais un peu dans l'action, je me dis, il y a un problème, je mets en place tout ce que je peux pour accompagner ma mère,

  • Speaker #1

    tout ce que je maîtrise,

  • Speaker #0

    il y a un enjeu de maîtrise de la situation. Et puis malheureusement dans cette maladie, en fait... Comme ça va très vite, les solutions qu'on met en place à un moment donné, un mois plus tard... il faut les renforcer il faut les revoir il faut les compléter donc c'est beaucoup de travail en fait c'est beaucoup d'accompagnement à côté ça bien sûr je passe beaucoup de temps avec ma mère j'essaye de lui accorder les meilleurs moments avec ma sœur on décide de l'emmener en bord de mer on va en Normandie on mange des fruits de mer enfin voyez on essaye quand même de faire en sorte on se dit à ce moment-là accordons-lui tous les moments dont elle peut profiter tant qu'elle peut encore en profiter donc quand même une chaîne de solidarité qui se met en place autour d'elle et puis très rapidement malheureusement la situation La situation arrive à un tel point qu'à peu près trois mois après l'annonce du diagnostic, ma mère doit aller en EHPAD. d'accord c'est une décision difficile mais à ce moment là ma mère se dit qu'elle sera plus en sécurité parce que elle risque de tomber, elle a du mal à se lever tous les gestes du quotidien deviennent très difficiles, elle est en train de perdre la vue donc c'est à la fois un drame pour elle d'aller en EHPAD mais en même temps c'est une femme très rationnelle et elle se dit voilà s'il m'arrive quelque chose j'aurai de toute manière un infirmier ou un médecin qui me déparage et je serai plus protégé Le placement en EHPAD est un moment difficile, mais ma mère affronte tout ça avec beaucoup de courage, avec beaucoup de pudeur. Je pense beaucoup de dignité, enfin pas je pense, clairement avec beaucoup de dignité.

  • Speaker #1

    Tu le choisis comment l'EHPAD ?

  • Speaker #0

    Alors je fais un truc, je fais le tour des Ehpad, c'est quelque chose qui n'est pas terrible à faire, mais je passe quelques semaines à visiter des Ehpad pour essayer de trouver le meilleur Ehpad. Ma mère est très parisienne, elle a grandi à Belleville, donc je choisis un Ehpad dans le centre de Paris, qui coûte un peu cher malheureusement, mais en me disant, l'avantage c'est qu'on peut sortir de l'Ehpad, aller à un petit café du coin, aller dans le bistrot du coin, et ma mère, voilà.

  • Speaker #1

    Elle retrouve un peu ce qu'elle aime.

  • Speaker #0

    Elle retrouve un peu ses repères. Et puis, je sais aussi que ça n'a pas forcément duré très longtemps, parce que la maladie progresse malheureusement très vite, donc de semaine en semaine, de mois en mois, on voit la maladie.

  • Speaker #1

    Ça va si vite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Ça va vite. Alors, moi, je le vois parce que je suis très proche d'elle. Bien sûr. Je la vois très souvent, mais ça va très vite. Ça va très vite. Un jour, ma mère voit le neurologue et elle lui pose une question. Ma mère lui dit, est-ce que je pourrais devenir cobaye et rentrer dans un programme de recherche ? Alors, moi, au début, je ne mesure pas forcément l'importance de cette question, mais ma mère est un peu en mode... pardon pour l'expression, mais fichu pour fichu, autant que je serve à la science, et donc elle demande aux médecins de rentrer dans un programme de recherche, non pas pour, avec l'espoir de se guérir, mais simplement avec l'espoir de dire, peut-être qu'au moins, je peux contribuer à la recherche. Le neurologue, qui est un homme très humain, comprend, mais il dit Désolé madame, en ce moment, on n'a pas de programme de recherche, il n'y a rien qui peut correspondre à cette maladie. Et donc, ce n'est pas possible. Je ne m'en rends pas tout de suite compte, mais c'est un moment difficile pour ma mère, parce que je pense que c'était une des choses qui l'accrochait encore à la vie ou qui lui donnait de l'espoir, de se dire Je peux contribuer à la recherche. Et quelques semaines plus tard, ma mère me dit Écoute Arnaud, J'ai bien réfléchi, je veux en finir plus vite. Je ne sais plus exactement comment elle me l'exprime, mais quand elle me le dit, c'est très rationnel, c'est très posé. Et là, vous savez, dans la vie, il y a parfois des choix, c'est-à-dire que j'aurais très bien pu répondre à ma mère, écoute, t'as une baisse de morale, t'en fais pas, ça va aller. Mais je vois tellement sa souffrance, parce que ma mère, à ce moment-là, commence à s'enfermer dans son corps. La vie, psychologiquement, c'est très dur pour elle. Et surtout, en fait, elle m'a tellement demandé. Pendant plusieurs années, à plusieurs moments, elle m'a tellement demandé de dire je ne veux pas me retrouver dans ces états de très grande dépendance Du coup, j'y réponds écoute maman, est-ce que tu veux que je me renseigne ? C'est-à-dire qu'à ce moment-là, moi je ne me dis pas grand-chose en fait.

  • Speaker #1

    Tu ne veux pas que ça s'aligne, tu me dis, mais en fait c'est quelque chose qu'elle me dit depuis dix ans.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qu'elle m'a pas mal répété. Moi, je lui ai dit, écoute, je lui ai déjà dit, maman, on le fera, t'en fais pas. Donc, je suis un peu engagé par cette promesse. Et surtout, à ce moment-là, moi, j'ai aucune idée de comment ça se passe. Et ce que je lui promets déjà, c'est de me renseigner. C'est-à-dire, je ne lui dis pas quoi que ce soit est possible. Je lui dis juste, écoute, je vais me renseigner. Pour me renseigner, la... Pour me renseigner, je vais... En fait, très vite, je prends la décision de rencontrer des familles. C'est-à-dire...

  • Speaker #1

    Qui ont vécu la même maladie ?

  • Speaker #0

    La même maladie. Et notamment des familles qui ont accompagné leurs parents déjà en soins palliatifs, en France. Et je rencontre des familles qui ont accompagné leurs proches en soins palliatifs, des patients atteints de cette maladie. J'ai la confirmation que les fins de vie sont très douloureuses. Ce qu'il faut savoir, c'est que ce n'est pas une maladie qui entraîne la mort, naturellement, des personnes. Donc les personnes peuvent rester... un certain temps dans un état de très grande dépendance.

  • Speaker #1

    Et de souffrance en plus de...

  • Speaker #0

    Et surtout, c'est une maladie qui a des petits troubles de l'attention et de la concentration, mais les gens restent conscients. Donc potentiellement, les personnes se retrouvent au bout d'un moment un peu enfermées dans leur corps. Comme il n'y a parfois plus la parole et plus la vue, ça veut dire qu'il n'y a plus de moyens de communiquer. Et puis comme il n'y a plus de capacité à déglutir, les personnes se retrouvent nourries par sondes, elles finissent par s'amaigrir, et sans rentrer dans les détails, c'était vraiment vite très difficile. Alors ça malgré bien sûr le courage, l'accompagnement, les soins palliatifs, et le confort qu'on peut installer, mais malgré le confort, à partir du moment où il n'y a plus de communication, ça reste très difficile. Voilà, et je vois des familles qui sont objectivement très marquées par ces moments-là. Et du coup, je me renseigne aussi sur les possibilités de mort anticipée. Je me rends compte, bien sûr, à ce moment-là, en France, rien n'est possible, tout est illégal. Et je vois très vite que la seule solution, c'est en Suisse, avec un suicide assisté. Et donc, je parle aussi à des familles qui ont accompagné leurs proches dans des suicides assistés. Le suicide assisté en Suisse, c'est de manière très simple. On pose aux personnes une perfusion et les personnes appuient sur un bouton qui libère un produit, qui les endort et qui met fin à leur vie.

  • Speaker #1

    Soi-même ?

  • Speaker #0

    Soi-même. Voilà. C'est-à-dire que les personnes ont juste un geste à faire, qui est d'appuyer sur un bouton. J'ai toutes ces infos, je reviens vers ma mère et je lui dis Maman, est-ce que tu es sûre que tu veux vraiment que je te donne ces informations ? Elle me dit Oui Arnaud, je te le demande et surtout elle me dit que je veux que tu sois cash avec moi, je veux tout savoir, je veux avoir toutes les informations. Donc là, je lui présente les deux solutions, je lui présente ce que j'ai trouvé et globalement, je lui dis, écoute, il y a deux possibilités. Soit on t'accompagne en soins palliatifs en France et on essaye de trouver le meilleur service et de t'accompagner avec le meilleur confort possible.

  • Speaker #1

    C'est dans le cadre de la loi Leonetti ?

  • Speaker #0

    C'est ça. C'est dans le cadre de la loi Leonetti. Alors la sédation profonde est possible, mais... En tout cas, le retour des familles que j'ai, c'est que c'est quand même à partir d'un certain état, c'est-à-dire que c'est très tardif. Et c'est souvent dans des moments très difficiles, et donc il y a beaucoup, beaucoup de souffrance avant d'arriver là. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de suicide anticipé en France, qu'on soit clair.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de suicide anticipé, et c'est quand les malades arrivent, généralement, enfin ce qui se passe souvent dans ces maladies, c'est qu'il y a des infections pulmonaires. Et c'est à l'occasion d'infections pulmonaires qu'on décide de provoquer une sédation profonde. Et puis je présente aussi à ma mère ce que j'ai compris du suicide à la cité en Suisse. Et là, ma mère me dit, écoute Arnaud, merci beaucoup, j'ai bien compris, je vais réfléchir.

  • Speaker #1

    Je pensais que tu allais dire, j'ai bien compris, voilà mon choix, ça me fait chaud.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout, pas du tout. Pas du tout, parce que vous savez, il y a plein de gens qui disent, voilà, s'il m'a dit grave, m'arrivait, je me suiciderais directement, j'arriverais en Suisse. Mais entre imaginer les choses et être confronté, l'écart, il est énorme. C'est un monde. Et donc ma mère rentre dans une longue phase de réflexion, alors longue, ça dure un mois. Ce qui est important de comprendre, et ce qui est difficile, c'est qu'au début, la réflexion de ma mère se fait pas par rapport à elle, mais par rapport à nous. C'est-à-dire, ma mère se dit, qu'est-ce qui est le moins douloureux pour mon entourage ? Et donc ça la fait hésiter énormément, parce que d'un coup, parfois elle se dit, je peux pas imposer à mes proches un sujet d'assister, psychologiquement c'est trop lourd. Et puis à d'autres moments elle se dit, mais je peux pas non plus leur imposer. une fin en soins palliatifs, ça va être trop lourd et trop dur pour eux. On rentre dans une période qui est... Alors, cette période, elle n'est pas simple. Et moi, un jour, j'ai une discussion, une conversation avec ma mère qui fait partie des conversations difficiles. J'ai eu des meilleures conversations dans ma vie. Et je lui ai dit, écoute, maman, de toute façon, moi, je n'ai pas envie que tu meurs. Je n'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté. Donc, les deux sont horribles, en fait. Mais... je m'engage, enfin mon engagement, c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre. Et par contre, je lui dis, la seule chose que je te demande, c'est que ton choix soit fait par rapport à toi et pas par rapport à ton entourage. Et ça, c'est hyper important. C'est-à-dire que je lui dis, moi, je ne t'accompagnerai pas dans son choix si ce n'est pas par rapport à toi.

  • Speaker #1

    Et ton maturité ?

  • Speaker #0

    Je vois un psy, ça aide, et ce n'est pas du luxe. Le meilleur investissement de ma vie. En fait, ce que je lui dis sur Toimer, c'est que je lui dis, imagine que... tu mets fin à tes jours en Suisse et que je sache que tu mets fin à tes jours pour m'épargner de t'accompagner dans un soin palliatif, jamais je pourrais m'en construire après ça. Donc il faut que ça soit que par rapport à toi. Et surtout, je lui dis autre chose qui est hyper important, c'est que je lui dis, quoi qu'il arrive, je m'en remettrai. Et ça, c'est un message hyper important, parce que je pense que pour un parent, c'est très angoissant de savoir que les conditions de sa mort vont potentiellement impacter ou voire traumatiser son entourage. Et donc moi, je dis, maman, ça sera très dur, ça sera très douloureux, mais je reconstruirai ma vie après et je serai heureux, quelle que soit la solution.

  • Speaker #1

    Quel cadeau de lui dire ça. qu'est-ce que c'est qu'est-ce que c'est le mot c'est pas généreux mais qu'est-ce que c'est spontanément j'ai dit quel cadeau de lui dire ça parce que ça libère et ça autorise à faire un choix alors c'est vraiment ce que je souhaite et c'est

  • Speaker #0

    vraiment ce que je souhaite ce qu'il faut bien voir c'est qu'à ce moment-là on est plusieurs autour d'elle, c'est-à-dire que Très vite, ma mère identifie deux amis, ma sœur et moi, et donc elle partage à peu de monde cette situation, cette réflexion, mais on est un petit groupe à l'accompagner dans sa réflexion, sachant que la règle du jeu entre nous, c'est d'être neutre. C'est-à-dire qu'on se dit, il faut que ça soit de sa décision, quoi qu'il arrive, c'est pas la nôtre. On n'a pas d'avis à avoir dessus, donc on peut l'aider dans sa décision, mais il faut que nous, on reste neutre. Donc on est là pour dialoguer avec elle, mais il faut que ça reste sa décision. Je trouve aussi un psy qui va voir ma mère, qui va discuter avec elle, qui accepte de cette posture très compliquée d'aider une personne à mûrir son choix sans chercher à l'influencer. Et on a convenu d'un petit protocole avec ma mère, c'est qu'on a convenu que le jour où elle choisirait, elle appellerait successivement ses deux amis proches d'elle, ma sœur et moi, et je lui ai dit voilà maman, il faudra que tu nous dises à tous la même chose, exactement la même chose. Et un matin, moi je suis au travail, je suis en train de faire des mails, des réunions, et je reçois un premier SMS ou coup de fil d'une amie de ma mère qui me dit Écoute Arnaud, ta mère a pris sa décision, elle veut aller en Suisse. Un deuxième coup de fil, la même chose. J'ai ma sœur qui m'appelle et qui me dit Arnaud, on va aller en Suisse, c'est horrible ! Et après ma mère m'appelle et me dit Arnaud, je souhaite te voir. Donc je vais voir ma mère, je vais voir ma mère avec un ami, parce que je ne veux pas être seul pour entendre ça. Et ma mère me dit Écoute Arnaud, j'ai bien réfléchi, je souhaite mettre fin à mes jours en Suisse, et je te demande de m'accompagner. Quand elle me dit ça, ce qu'il faut savoir, c'est que moi j'ai tout de suite un stress qui arrive à ce moment-là. c'est qu'en fait, je ne sais pas si c'est possible, c'est-à-dire que monter un dossier pour ce protocole-là en Suisse, ça prend beaucoup de temps. Or, il y a un élément d'information qui est important, c'est que la veille du suicide, les patients rencontrent un psychiatre et un médecin qui délivrent ce qu'on appelle une attestation de discernement. Ce qui est très bien. L'objectif, c'est juste de valider que la personne a toute sa tête et que c'est un choix libre et conscient et éclairé. Sauf que, vu la maladie, je sais que parfois, ma mère s'exprime très bien, mais... Mais il y a des moments de grande fatigue où elle a du mal à trouver ses mots. Et donc je sais que potentiellement, dans six mois, elle peut à un moment avoir énormément de difficultés à s'exprimer. Et si jamais elle n'arrive plus à s'exprimer, l'attestation de discernement est impossible, et donc le suicide est impossible.

  • Speaker #1

    C'est une course contre la montre, quoi.

  • Speaker #0

    Et là, je rentre, c'est-à-dire que là, mon stress à moi, tout de suite, c'est une course contre la montre, parce que je me dis, si jamais ma mère veut ça, et qu'en fait, ce n'est pas possible, ça va être super dur. Donc, je prends quelques jours de congé, et je monte un dossier. Alors, je monte un dossier, on est plusieurs. C'est assez long, donc il y a un dossier administratif à monter, avec plein de pièces. Il faut récupérer tous les éléments médicaux, tout son dossier médical. Et puis, ma mère rédige une lettre, enfin, elle dicte une lettre à une de ses amies, dans laquelle elle explique les raisons de son choix. Je récupère aussi des témoignages de tous ces quelques proches qui l'ont accompagné dans sa réflexion. On remplit un non-questionnaire, et on envoie tout ça. Quelques semaines après, j'ai un contact avec cette association en Suisse. Et là, je tombe sur une personne qui est très humaine, très à l'écoute. Et une des choses qui me surprend, c'est que cette personne connaît très bien sa maladie. Elle connaît très bien la maladie de ma mère. Donc cette maladie qui est connue de personne, la personne en Suisse de l'association me dit, Coucou monsieur, on connaît extrêmement bien cette maladie. On a régulièrement des personnes atteintes de cette maladie qui font ce choix-là.

  • Speaker #1

    on trouvera les moyens pour faire en sorte que ça a lieu et s'il ya besoin d'accélérer un peu les choses on accélère un peu les choses elle en parle à son équipe médicale ta mère va faire une équipe ou en tous les cas au moins le neuro ma mère décide enfin de pas en parler à son neurologue faut savoir qu'en france c'est illégal donc

  • Speaker #0

    les médecins ne peuvent pas en parler vous voyez parce qu'un médecin ne peut pas valider en soi une décision donc c'est forcément une conversation difficile voire impossible et même les certains psychologues refusent complètement d'en parler ah oui parce que ça peut être ça peut ...de leur être reprochés, vous voyez, on pourrait reprocher à des médecins.

  • Speaker #1

    Protéger son médecin, qu'elle lui en parle.

  • Speaker #0

    Oui, c'est pour protéger son médecin. D'accord. Ma mère dit, on va le mettre mal à l'aise, il saura pas quoi répondre, donc c'est mieux de pas lui en parler. Un jour, un matin, donc on a... une fois que je parle avec la personne de cette association, il y a un moment de validation du dossier, c'est-à-dire qu'au sein de l'association, je pense qu'ils se rencontrent, il y a un comité éthique qui valide le dossier. Et un matin, c'est un dimanche matin, je suis en train de prendre mon café, je joue un jeu sur mon téléphone mobile et j'ai un coup de fil de l'association et qui me dit, monsieur, le dossier est validé, maintenant, on veut parler très vite à votre mère. Je file à l'EHPAD, je mets ma mère sur un fauteuil, je mets le téléphone en. Je me lance une vidéo WhatsApp et ma mère parle à une personne de l'association. La personne au début lui pose quelques questions très simples pour savoir qui elle est, quel âge elle a. Un peu des questions pour justement mesurer son niveau de discernement, mesurer son niveau de conscience, quel mois on est, le métier qu'elle a fait, où est-ce qu'elle est, etc. Et très vite, la personne raconte vraiment dans le détail tout le protocole de suicide assisté. Et pendant une demi-heure, face à ma mère, la personne décrit de manière hyper précise, mais vraiment minute par minute, comment ça se passe, la veille, le jour même, le matin, tous les détails, l'injection du produit, le bouton, comment ça se passe dans le détail, sans chercher à rassurer. Et ça, c'est hyper important. Et je comprends quand la personne raconte ça, que c'est un test pour ma mère, pour savoir si elle a vraiment envie. Parce que la description est objective. C'est effectivement hyper difficile. Et je vois ma mère qui écoute, et à la fin de mon entretien, ma mère dit Écoutez, madame, merci beaucoup, c'est très clair. J'ai bien pris ma décision. Je souhaite mourir. Ma décision est ferme et irrévocable. Moi, je suis à côté. J'ai passé, j'ai déjà vécu des meilleurs moments dans ma vie. Donc j'entends ma mère dire ça, et c'est le moment où je sais que ça y est, on y est. C'est-à-dire que je sais que ça va se faire. Je sais que ma mère a vraiment, sa décision est vraiment prise. Et je sais que c'est possible, et je sais que ça va se faire. Donc très vite après, on rentre dans une autre question, qu'elle je ne m'attendais pas du tout, qui est terrible. C'est la fixation d'une date, parce qu'il faut trouver une date en fait. Au sein de ces associations, ils sont débordés par des demandes, et notamment débordés par des demandes de français. Et donc trouver une date c'est compliqué, et donc la personne nous dit, bah voilà, maintenant la prochaine étape, c'est juste de trouver une date. La question est hyper compliquée parce que... On ne sait pas exactement à quel moment le faire. Moi, je comprends intuitivement que ma mère ne veut pas le faire trop tard, maintenant qu'elle a pris sa décision. On est début mars et ma mère fête son anniversaire fin avril. Donc du coup, je dis à ma mère, écoute maman, si tu veux, on te fait un super anniversaire fin avril et après on y va. Et ma mère me dit, non, écoute Arnaud, moi je ne souhaite pas fêter mon anniversaire, je veux partir avant. Avec l'encul, je comprends. Et donc, très vite, l'association, je rappelle l'association, qui nous dit, écoutez, pas de souci, on va vous trouver une date, et donc la date est fixée au 15 avril. Là, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on rentre dans un monde différent, puisque à partir du moment où la date est fixée, on est dans un compte à rebours, et on sait que chaque jour qui passe est un jour de moins. Tu continues à travailler là ?

  • Speaker #1

    Je continue à travailler. Alors, je m'arrête quand même 3-4 semaines avant. Le boulot est compliqué. J'ai la chance d'avoir des collègues compréhensifs. On est une petite boîte, mais un jour je réunis toute l'équipe et je suis un des patrons de la boîte et j'explique à l'équipe ce qui se passe et j'explique que je vais partir pour un moment. Je ne rentre pas dans les détails, mais tout le monde sait et tout le monde sait que je vais devoir partir. Donc je m'arrête de travailler. Et à ce moment-là, ce qu'il faut comprendre, c'est que moi, j'ai un énorme sentiment de culpabilité qui arrive, parce que lorsqu'on parle de suicide assisté, en fait, l'assistance au suicide repose beaucoup sur les familles. Et ça, on n'en parle pas assez, c'est-à-dire que certes, il y a des médecins, des infirmiers qui, à la fin, facilitent l'injection, mais toute la phase de préparation et d'allogistique, toute l'organisation, tout repose sur les familles, tout repose sur l'entourage. Heureusement, j'ai une soeur extraordinaire. qui est une femme extraordinaire. Heureusement, ma mère a des super amis, mais tout repose sur la famille. Et du coup, moi, à ce moment-là, je me dis, en fait, je suis en train de participer activement à la mort de ma mère et au suicide de ma mère. Donc, c'est hyper culpabilisant pour moi, parce que je me dis, mais j'ai monté un dossier, j'organise des choses, c'est moi qui ai pris contact avec cette association, et donc j'aide activement ma mère à mourir. C'est une culpabilité qui est très lourde à porter. Au bout de quelques semaines, quelques nuits un peu agitées, mes... Au bout de quelques jours ou quelques semaines, je me dis, mais en fait, si je ne faisais pas ça, ma culpabilité serait encore plus grande. Parce que si je vois ma mère en soins palliatifs, dans un état de grande souffrance, et je la vois déjà souffrir, et que je sais que je n'ai pas activé, que je n'ai pas aidé...

  • Speaker #0

    Je ne veux pas de ce qu'elle veut en plus.

  • Speaker #1

    C'est ça. Du coup, je me dis, ma culpabilité serait encore plus grande. Ça m'aide beaucoup. Et un jour, je me dis, non, je ne vais pas me laisser avoir par la culpabilité. En plus, ma mère est une femme hyper indépendante. Sa liberté a toujours été sa valeur principale, et pour elle, au-delà de la douleur physique, ce qui est important de comprendre, c'est que c'est insupportable, psychologiquement, d'être enfermé dans son corps, et elle décrit déjà ces mécanismes d'enfermement dans son corps. Donc j'essaye de me libérer de la culpabilité, je crois que j'y arrive pas trop mal. Et surtout, on rentre dans ces périodes-là dans un moment très particulier. C'est-à-dire que ma mère veut profiter de tous ces derniers moments. Et on fait quelque chose qui est très beau. C'est-à-dire que moi, je dis à ma mère, écoute maman, dis-moi tout ce que tu veux faire avant de mourir. Et on a quelques semaines. Comme une bucket list. On fait la bucket list.

  • Speaker #0

    Oui, prononcez.

  • Speaker #1

    On fait la bucket list avant de mourir. Alors, heureusement c'est des choses simples, dans la bucket list il y a surtout manger des huîtres avec un petit verre de Chablis, donc il y a un budget huîtres. je vous cache pas que comme ma mère a des problèmes pour déglutir vraiment les huîtres c'est pas ce qu'elle nous plus conseillait mais on va dans ce moment là vous savez on va au resto, on mange des huîtres du coup il y a une blague entre nous c'est à dire que je dis à ma mère, maman on est pas en train de mettre tout ça en place pour que tu t'étouffes avec une huître dans une brasserie parisienne trois semaines avant d'aller en Suisse, ça fait beaucoup rire je l'accompagne dans des expos, je la pousse en fauteuil roulant bien sûr euh... on fait un tour en faudré embrouillé, vous voyez, plein de petites choses, je l'emmène dans les grands magasins en fauteuil roulant et je vis des très grands moments de complicité, on parle énormément, il y a beaucoup d'amour, on se confie beaucoup de choses, donc j'ai aussi la chance à ce moment-là d'avoir des très belles discussions avec ma mère et je me retrouve à un moment, c'est un moment très particulier à vivre, c'est-à-dire qu'il y a à la fois énormément d'amour et de complicité, donc des très très beaux moments et en même temps une angoisse terrible, parce que chaque jour qui passe, c'est un jour C'est un peu comme si j'avais une main plongée dans l'eau glacée et l'autre main plongée dans l'eau bouillante. C'est-à-dire que c'est en même temps beaucoup d'angoisse et en même temps beaucoup d'amour et de complicité au même moment. Donc oui, c'est compliqué à vivre. Alors heureusement, en fait, il y a toute une chaîne de solidarité. Moi, j'ai la chance d'avoir un compagnon à côté de moi avec qui je suis fiancé, qui s'appelle Yann, qui est très soutenant. Et donc il y a une chaîne de solidarité, je suis très entouré. Il y a beaucoup de manifestations de solidarité autour de nous, de gens qui sont plus ou moins proches, d'amis. Alors moi j'ai l'occasion, enfin j'ai la chance d'être entouré. Donc c'est, j'ai beaucoup parlé de moi, mais c'est une aventure collective. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens qui expriment leur solidarité. Et puis surtout ma mère souhaite l'annoncer. Donc elle l'annonce à sa famille, elle l'annonce à toutes les personnes autour d'elle. Donc on fait aussi la liste des gens à qui il faut l'annoncer. Ma mère est très fatiguée, donc il y a une partie des personnes, c'est elle qui l'annonce, l'autre partie c'est moi. Souvent on m'a dit ça doit être difficile à accepter pour les gens qui sont religieux et en fait mon expérience c'est pas du tout

  • Speaker #0

    Vous êtes pas religieux ?

  • Speaker #1

    Moi non, je suis sensibilité chrétienne je suis pas pratiquant mais ma mère a autour d'elle des gens qui sont catholiques pratiquants, et ces gens-là réagissent en réalité avec beaucoup d'humanité, en disant écoute, ce ne serait pas notre choix, c'est contraire à nos valeurs, mais dans une situation de souffrance, on ne peut que comprendre, on ne peut pas se projeter dans cette situation, et on a des gens qui disent voilà, nous on ne peut qu'accompagner par la prière, essayer d'être présent, et je pense qu'il y a beaucoup de gens chrétiens qui réagissent avec beaucoup de compassion. Ça ne veut pas dire être d'accord, mais ça veut dire simplement chercher à être présent.

  • Speaker #0

    C'est de l'amour.

  • Speaker #1

    C'est de l'amour. Donc, il y a des beaux moments. Ce qui est compliqué pour les gens dans l'annonce, ce n'est pas tant le suicide assisté, mais c'est le fait de savoir qu'ils vont perdre cette personne. Et puis, c'est très particulier de voir quelqu'un en pleine conscience, de voir une personne qui vous dit qu'elle souhaite mourir. Et en plus, ma mère est relativement sereine, elle est décidée. ça ne lui empêche pas d'avoir très peur. C'est-à-dire que ma mère me dit souvent qu'elle a peur de ne pas arriver à appuyer sur le bouton. Donc c'est une de ses grandes angoisses.

  • Speaker #0

    Arriver à cause de sa maladie ou de ne pas avoir le...

  • Speaker #1

    De ne pas avoir le courage.

  • Speaker #0

    L'impulsion, le courage, je ne sais pas dire le mot.

  • Speaker #1

    Non, non, ne pas avoir le courage et l'envie, mais entre avoir envie et arriver à appuyer sur le bouton. Donc la principale angoisse de ma mère, c'est vraiment de se dire comment est-ce que je vais faire pour arriver à appuyer sur ce fichu bouton ? À ce moment-là, on décide de parler de tout. Vous voyez, on a un niveau d'ouverture et de discussion qui est très fort.

  • Speaker #0

    t'as déjà vous avez je ne sais plus si on se dit tu ou vous enfin est-ce que tu te retiens de pleurer de montrer ton émotion ou est-ce que tu dis il faut que pour elle je en fait je me dis il ne faut pas que je pleure

  • Speaker #1

    parce que je vois la dignité de ma mère, je vois la manière dont elle affronte la maladie, je me dis, en fait, je ne veux pas lui montrer moi ma souffrance, elle connaît cette souffrance. Un jour, je n'y arrive pas, et un jour, les nerfs lâchent un peu. Je pleure devant ma mère, et ma mère, à ce moment-là, me dit, Arnaud, je sais que je t'en demande beaucoup, et je crois que je t'en demande un peu trop. Et à ce point-là, moi, je lui dis Oui, maman, tu m'en demandes trop, clairement. Mais je lui dis Tu sais, moi aussi, parfois, je t'en ai demandé trop et c'est OK, parfois, d'en demander trop à des gens qu'on aime. Voilà et les jours se passent progressivement, on essaye de profiter au maximum de tous les moments. Il y a une très belle chaîne de solidarité qui s'organise. On rédige avec ma mère son faire-part de décès, ce qui est très particulier. Mais ma mère souhaite avoir un faire-part de décès très coloré. Donc moi je fais appel à une graphiste que je connais, qui est adorable et qui dessine vraiment, qui design le faire-part de décès. Ma mère du coup choisit entre plusieurs versions du faire-part, elle veut qu'il y ait des fleurs, des papillons, c'est une femme très égoïste. exigeante, donc il faut vraiment que le faire part ressemble exactement à ce qu'elle veut. Mais c'est aussi thérapeutique, c'est aussi une manière de s'approprier un peu la mort qui vient. C'est aussi une manière de dédramatiser.

  • Speaker #0

    Tout ça, c'est vraiment pour elle de lutter contre l'impuissance que lui impose la maladie.

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il faut comprendre dans ces moments-là, c'est que quand des gens se retrouvent enfermés dans leur corps, c'est une manière de reprendre le pouvoir, c'est une manière de reprendre le contrôle, et c'est une manière de se sentir acteur de sa vie. Et ma mère, qui est une femme très forte et très indépendante, ça lui fait du bien. Les jours passent et arrive ce fameux moment où on part en Suisse. Donc on prévoit deux voitures, il y a une amie de ma mère, il y a ma soeur, mon beau-frère, ma mère, un ami qui est infirmier, qui nous accompagne. Je pars aussi avec ma chienne, j'ai une petite chienne qui s'appelle Najah, petite mais pas si petite. Donc on part tous ensemble en voiture en Suisse, on fait le trajet et on passe les derniers jours en Suisse dans un petit hôtel. En Suisse, ce qui est très particulier à comprendre, c'est que les derniers moments sont curieusement très joyeux. Très joyeux parce que ma mère veut profiter de la vie jusqu'au dernier moment. Donc on mange bien, on passe beaucoup de temps à rire en fait. Je pense que ce qu'on n'a pas vécu, c'est très difficile à imaginer. Mais quand on sait que la mort va arriver dans 48 heures ou dans 72 heures, les personnes confrontées à ça veulent profiter de chaque instant.

  • Speaker #0

    Ça rend tout plus intense, chaque minute plus intense.

  • Speaker #1

    Chaque minute, chaque instant est hyper intense. La maladie a progressé, ma mère est en fauteuil roulant, tout est compliqué à faire, mais elle donne toute son énergie dans ces derniers moments. La veille de son suicide, on joue tous aux jeux de société. Alors ce serait particulier, mais on passe une après-midi à jouer à des jeux de société. Bien sûr, pendant tous ces moments-là, on dit beaucoup à ma mère qu'on l'aime, on parle beaucoup, ma mère nous confie aussi ses angoisses, ses inquiétudes, on essaye de l'écouter, on essaye de l'accompagner comme on peut. Et c'est aussi ce qui est important, que si jamais elle veut tout arrêter, on arrête tout. C'est-à-dire qu'elle sait très bien qu'on lui a dit que si jamais au dernier moment... Elle voulait arrêter, on arrêtait tout. Et c'était une des conditions qu'on avait posées. Et le soir, donc la veille de son suicide, elle rencontre un médecin, un psychiatre. Moi, je ne suis pas là pendant l'entretien. Et les infirmiers, enfin l'équipe médicale qui va l'accompagner. Et suite à l'entretien, ces personnes reviennent vers nous et nous disent, écoutez, votre mère est décidée, elle souhaite mourir. Et ce dernier contact rassure beaucoup ma mère. Et à ce moment-là, elle est très décidée, très sereine. C'est-à-dire qu'à partir du moment où elle a rencontré cette équipe médicale, elle est rassurée, elle est sereine, elle sait comment ça va se passer, elle sait qu'elle sera accompagnée. Donc le lendemain, l'heure du petit déjeuner arrive, on a un dernier petit déjeuner tous ensemble, et puis on retrouve ces personnes de l'association à l'hôtel, et on les suit en voiture pour aller jusqu'à un local associatif. Ce qui est important de savoir, c'est qu'en Suisse, ça n'a pas lieu dans une clinique. Oui,

  • Speaker #0

    moi je pensais que c'était dans un...

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. En fait, c'est pas... Alors en Suisse, il y a aussi beaucoup d'opposants au suicide assisté, donc c'est dans un local associatif qui est tenu secret jusqu'au dernier moment. Puisque les personnes de l'association en Suisse ne veulent pas qu'il y ait une manifestation devant, ou qu'il y ait des personnes qui viennent empêcher les choses, donc c'est un endroit qui est totalement secret. On ne connaît pas le lieu jusqu'au jour, donc on se retrouve à suivre en voiture une personne jusqu'au local associatif en Suisse. Moi je suis dans la voiture, je conduis ma mère. J'ai vécu des meilleurs moments. On arrive dans ce local associatif, et là on fait, la dernière volonté de ma mère, c'était une coupe de champagne. Donc on arrive dans ce local, et on sort de champagne, on sort de foie gras. Les derniers moments de ma mère sont très français. On prend l'apéro, et donc un matin, on se retrouve comme ça, à boire de champagne, à se dire qu'on s'aime, surtout. Et c'est comme une déclaration d'amour à la vie, vous voyez, de dire, le dernier moment, on fait en sorte qu'il soit le plus beau possible. Ma mère est sereine, Elle est très déterminée, elle nous dit qu'elle nous aime, elle est très souriante, c'est très particulier, c'est presque perturbant de voir quelqu'un, une personne affronter la mort avec autant de sérénité. Et puis, une fois qu'on a partagé cette coupe de champagne, ma mère va dans une pièce à côté, elle s'allonge sur un lit, on lui pose une perfusion. Moi, je suis à côté d'elle, on discute et je dis à ma mère, Voilà, maman, maintenant, quand tu veux que j'y aille, tu me dis. Ce qu'il faut comprendre, c'est que les familles ont la possibilité de rester jusqu'au dernier moment ou de partir avant. Et moi, j'ai rencontré plusieurs familles qui sont restées jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire qu'on est personne appuie sur le bouton. Et à titre personnel, j'ai dit à ma mère, une des limites que j'ai fixées, c'est que je lui ai dit, moi je ne veux pas devoir mourir sous mes yeux. Donc en fait, je t'accompagne jusqu'à un moment, mais je veux partir avant que tu appuies sur le bouton parce que c'est invivable, enfin insupportable de devoir mourir sous mes yeux. Donc j'embrasse ma mère et je lui ai dit, écoute, quand c'est bon pour toi, tu me dis, j'y vais. On sait que c'est le signal. Et ma mère me regarde, elle m'embrasse, elle me dit Arnaud, c'est bon, tu peux y aller Elle me dit qu'elle m'aime, je lui dis que je l'aime, je me lève et je pars. Je pars avec ma sœur et mon compagnon, Yann, donc on quitte tous les trois la pièce. À côté de ma mère vont rester mon beau-frère et une amie de ma mère, qu'on décide de rester jusqu'à un moment. Et quand je franchis la porte, je sais que ma mère, à ce moment-là, appuie sur le bouton. Je sais pas de quoi je parle après. Vous pouvez même me poser une question.

  • Speaker #0

    Vous faites quoi dans les minutes ? Vous allez où déjà ? Et puis qu'est-ce que vous disent les uns et les autres ? Ils vous prennent en charge et vous disent c'est quoi l'étape d'après ?

  • Speaker #1

    Alors l'étape d'après, c'est que la police arrive. La police arrive parce qu'il y a un constat d'essai, et avec la police vient un médecin légiste pour constater que c'est bien un suicide. Donc on voit la police suisse allemande arriver, qui sont sympas, enfin sympas pour des policiers suisse allemands. Et les derniers moments, je pense que vous savez, c'est des tas de sidérations. Donc moi je ne sais plus trop où j'habite, je ne sais plus trop ce qui se passe, c'est terriblement triste. On vient de passer un moment très très beau à Bois-Champagne et on se retrouve, voilà. Donc moi je vais devant ma mère, enfin son corps, je lis une prière. La police arrive, on fait quelques papiers, et puis après le corps de ma mère sera incinéré en Suisse. Donc ensuite en famille, avec ce petit groupe, on passe encore quelques jours en Suisse entre nous pour essayer de décompresser un peu, et puis ensuite on rentre à Paris.

  • Speaker #0

    Tu me dis que tu fais... Une prière. Ta mère, elle avait des interrogations sur l'après. Elle en a parlé avec toi, ça fait partie des sujets...

  • Speaker #1

    Oui, on a beaucoup parlé de la mort et de la vie après la mort. En fait, ce qu'il faut savoir, c'est que ma mère était... Elle adorait mon père. Et donc, sa grande question pour elle, c'était est-ce que je retrouverais mon mari après la mort ? Et c'était une vraie question. Ça a été une vraie question. Je pense que ce qui l'a aidé, c'était l'idée de retrouver l'homme qu'elle aimait après la mort. C'est une question qui est hyper importante, en fait, parce que je pense que derrière cette question, la vraie question, c'est de dire est-ce qu'il y a quelque chose du lien d'amour qu'on partage qui nous survit ? Et ma mère a répondu oui à cette question. C'est-à-dire qu'elle est morte avec la foi, sans être chrétienne ou sans être religieuse, mais elle est morte avec la foi de se dire, ce lien d'amour que j'ai eu avec l'homme que j'aimais, je le retrouverai d'une manière ou d'une autre, sous des conditions que je ne connais pas, mais je le retrouverai.

  • Speaker #0

    C'était sa décision d'être incinérée ?

  • Speaker #1

    C'est très compliqué dans un suicide en Suisse de ne pas procéder à une incinération. D'accord. Pour des raisons administratives et légales, c'est extrêmement compliqué.

  • Speaker #0

    Elle a été enterrée là-bas ?

  • Speaker #1

    Alors, la volonté de ma mère, c'était que ses cendres soient dispersées en France, au cimetière du Père Lachaise, là où les cendres de mon père ont été dispersées. Donc, elle m'a dit, avant de mourir, Arnaud, je te demande une chose, c'est que mes cendres soient dispersées à cet endroit. Malheureusement, ce qui est compliqué dans un fils en Suisse, c'est qu'après la mort de ma mère, il y a eu une enquête de police. Et du coup, le certificat de décès en Suisse est assez long à obtenir. Donc, on met à peu près deux mois à obtenir ce certificat. de décès. Et ensuite, il faut faire traduire et valider ce certificat de décès en France. Ça prend aussi énormément de temps. Donc au final, on a le certificat de décès à peu près cinq mois après sa mort. Ce qui veut dire que pendant cinq mois, on ne peut rien faire. Et donc, on organisera la dispersion des cendres six mois après sa mort.

  • Speaker #0

    J'ai pu le faire.

  • Speaker #1

    Et on a décidé... On souhaitait faire une cérémonie religieuse. Donc j'ai contacté le diocèse de Paris. J'ai été très bien accueilli par des gens qui ont été très compréhensifs. C'est vrai ? Oui, vraiment. Et alors, être compréhensif, ça ne veut pas dire valider ou encourager ou approuver. Mais on est tombé sur des gens qui ont compris notre situation. Et il y a eu un prêtre qui a accepté de mener une cérémonie de prière pour ma mère. Et quelqu'un qui a su trouver des mots très justes et très beaux par rapport à cette décision. C'est ça. Vous savez, je pense que quand on est présent ou qu'on accompagne quelqu'un dans une décision qu'on n'aurait pas prise pour soi, ça nous élève en humanité. Et le prêtre, les gens qu'on a rencontrés, c'était des gens hyper humains, sans chercher à valider ou encourager, vous voyez, c'est des gens qu'on suit être présents. Et donc ça a été un très beau moment, et je pense un moment très important pour la famille. Voilà, il y a des gens qui sont chrétiens dans la famille, donc c'était aussi hyper important de savoir que ma mère pouvait avoir ce dernier hommage.

  • Speaker #0

    Je comprends.

  • Speaker #1

    les... Pardon, vas-y. Non, non, vas-y. Vas-y, vas-y.

  • Speaker #0

    Je me demandais si vous aviez prévenu le... son médecin après.

  • Speaker #1

    Moi j'ai envoyé un mail à son médecin en lui expliquant la situation et le médecin m'a répondu un petit mot très gentil, très humain, en me disant qu'il comprenait complètement la situation. Voilà. C'est pour ça que je ne dirai jamais le nom de ce médecin, mais il m'a dit qu'il comprenait parfaitement la situation. Ce qu'il faut bien comprendre dans le suicide assisté, c'est que plein de gens peuvent avoir plein d'avis sur la situation, mais quand on est confronté au réel, donc au réel de la souffrance d'une personne, Quand on est confronté vraiment à la maladie, et quand on est confronté surtout à des gens qui font des choix, on aura méconscience, et qu'on mesure la souffrance de certaines maladies, je pense qu'on ne peut que réagir avec humanité. On ne peut que réagir avec humanité.

  • Speaker #0

    Et ça a été son cas.

  • Speaker #1

    Ça a été son cas. Vous savez, je vais vous confier une anecdote. On se redit vous,

  • Speaker #0

    ça y est.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, on va se redire. Tu sais, Sarah, je vais te confier une anecdote. La veille de la mort de ma mère, j'ai rencontré une dame en Suisse, à l'hôtel. qui était une dame très élégante, 93 ans. Et je savais qu'elle... En fait, je comprends, j'ai vite compris qu'en fait, elle venait en Suisse avec la même optique que ma mère. Et donc...

  • Speaker #0

    Pour prendre des renseignements ?

  • Speaker #1

    Pour prendre des renseignements. Cette personne venait un peu en repérage. Et donc, elle avait un peu plus de capacité que ma mère. Elle était accompagnée par une amie à elle. Et oui, cette personne venait en repérage. Et donc je vois cette femme de 93 ans qui perdait complètement la vue, elle était quasiment aveugle, avec qui je discute, elle me prend les mains, et elle me dit mais vous savez monsieur, je suis tellement content de savoir que je peux mourir en paix et partir dans quelques mois, dans une mort douce Elle me dit mon quotidien est insupportable, j'ai perdu la vue, je suis encore chez moi, mais tous les gestes du quotidien sont infaisables Elle me dit à 93 ans, ma vie est derrière moi, j'ai juste envie de partir doucement Et là, elle me dit quelque chose qui est très beau, elle me dit la mort est un grand mystère, mais moi j'ai toujours aimé les mystères

  • Speaker #0

    C'est très romanesque.

  • Speaker #1

    C'est très romanesque, et quand vous avez une personne en face de vous, qu'est-ce que vous pouvez lui répondre ?

  • Speaker #0

    On s'incline.

  • Speaker #1

    On s'incline, vous voyez, on ne peut que s'incliner face à ça. Le retour au travail est un peu compliqué. J'ai jamais pensé ça. C'est-à-dire que reprendre une vie normale après, c'est compliqué. Et en même temps, je pense que ce qui est dur, en fait, c'est le deuil de ma mère. Mais en fait, sincèrement, je pense que perdre un parent dans un suite d'assistés ou dans un accident, c'est la même douleur. Enfin, c'est des douleurs différentes, mais il n'y a pas une douleur qui est plus grave ou plus douloureuse. Vous voyez, c'est tout le temps très douloureux. Donc voilà, moi, je traverse le deuil de ma mère. Et puis j'ai quand même pendant longtemps des réminiscences de tous les moments que j'ai vécu, c'est-à-dire que tous les derniers mois, les dernières semaines passent dans ma tête régulièrement, du coup c'est compliqué parce que pour me concentrer, pour être au travail, vous voyez j'ai souvent des réminiscences de ces situations-là. Petit à petit, avec le temps, ça passe. Je pense que... Comment dire ? Dans les deuils, il n'y a pas de raccourci. C'est-à-dire que le temps doit faire son œuvre. Et il n'y a pas de chemin, moi. Parfois, j'aimerais bien prendre des raccourcis et me dire, allez, si on pouvait se dire en deux semaines, on surmonte le chagrin. En fait, c'est pas possible. C'est pas possible. Mais... Ce que je voulais dire, c'est que j'ai jamais eu de regrets. J'ai jamais eu de regrets, vraiment. C'était ma grande crainte. En fait, je craignais, après ça, regretter. Je craignais vraiment regretter. Et en fait, j'ai jamais eu de regrets parce que j'ai vu ma mère partir en paix. Et surtout, je sais que pour elle, elle est partie de la manière dont elle souhaitait partir. Et qu'elle est partie en accord avec ses valeurs. Et la question pour moi, ça n'a jamais été de me dire, est-ce que moi je suis d'accord ? Est-ce que c'est conforme avec mes valeurs ? Je ne me suis pas posé cette question-là. Je me suis dit, en fait... Ce qui est bien, c'est que ma mère est partie de la manière dont elle le souhaitait. Une autre anecdote, ma mère m'avait dit Je souhaite partir lorsque je n'arriverai plus à mettre mes boucles d'oreilles. En fait, ma mère avait toujours des boucles d'oreilles. C'est une femme qui aimait bien des boucles d'oreilles, qui était assez élégante. Et son signal à elle, c'est qu'elle voulait partir avant de ne plus arriver à mettre ses boucles d'oreilles. Deux semaines avant sa mort, un jour je la vois à l'EHPAD et elle me dit Arnaud, ce matin, je ne suis pas arrivé à mettre mes boucles d'oreilles. J'ai cherché à les mettre une première fois, je ne suis pas arrivé. Une deuxième fois, je ne suis pas arrivé. Et la troisième fois, c'est là de soignant. qui m'a aidé. Et curieusement, quand elle m'a dit ça, quelque part, ça m'a presque apaisé, parce que je me suis dit, ok, ça veut dire que c'est le bon moment. Et ce moment-là, ça m'a beaucoup réconcilié. Voilà, ça m'a fait dire que c'est le bon moment.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, t'as eu des interactions avec eux ? Vous en avez parlé ? Vous avez parlé de ce sujet ?

  • Speaker #1

    Alors à l'EPAD, on a parlé au directeur, mais c'est tout. Et le directeur nous a dit, c'est mieux de ne pas en parler au personnel, parce que forcément le personnel risque d'en parler avec ma mère, ou que ce n'est pas qu'ils peuvent être réactions. Et du coup, on a préféré ne pas en parler.

  • Speaker #0

    Il y a le retour au travail et puis le retour dans le quotidien aussi qui est du coup statut couranté. Tu reviens trois ans avant. Comment ça se passe le quotidien et avec ton fiancé et tes copains ? Tu arrives à reprendre une vie ?

  • Speaker #1

    Oui, j'y arrive.

  • Speaker #0

    Recentrer sur vous, sur des projets, sur des choses.

  • Speaker #1

    J'y arrive, j'ai la chance d'avoir un compagnon, Yann, qui a été extrêmement soutenant. J'ai plein d'amis qui sont autour de moi, je suis très entouré, donc la vie reprend son cours petit à petit. Mais je pense que dans ces épreuves, en fait, on se découvre parfois des ressources qu'on n'imagine pas avoir. Bien sûr. Et donc la vie reprend petit à petit son cours et ce qui aide dans ces moments-là, c'est tous les petits moments de plaisir du quotidien. Et en plus, ma mère est partie avec un formidable message de vie. Je pense que ce qu'il faut comprendre, c'est que les gens qui décident de mettre fin à leur jour de cette manière-là, ce n'est pas par détestation de la vie. Parfois, il y a des gens qui aiment tellement la vie, qui ne souhaitent pas la quitter dans des conditions trop dégradées. Bien sûr. Donc, il y a aussi ce message de vie que ma mère a manifesté dans certains moments, qui, moi, m'encourage aussi à reprendre ma vie et à profiter de tous les moments. Donc, la vie reprend son cours, je fais mon deuil.

  • Speaker #0

    et oui la vie avance la vie gagne toujours la vie finit toujours par gagner est-ce que c'est très intime ce que tu as partagé c'est intime pour toi c'est intime parce que c'était aussi l'intimité de la vie de ta maman qu'est-ce qui t'a décidé ou donné envie de partager ça ? Même si je suis très connaissante.

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr, il y a plusieurs raisons. La première raison, c'est que je pense que c'est important parce qu'aujourd'hui, il y a plein de familles qui sont confrontées à ce type de situation, à ce type de choix. Et je me dis peut-être que mon témoignage peut aider ou en tout cas éclairer les familles. Je ne pense pas du tout à m'être comporté de manière idéale. J'ai fait ce que j'ai pu, donc mon histoire n'est pas exemplaire. Mais je me dis, les questions qu'on s'est posées, le fait de savoir que des familles sont passées, ça peut aider des personnes. Ça, c'est la première raison.

  • Speaker #0

    Comme toi, ça t'a aidé de...

  • Speaker #1

    Ça m'a aidé, vous voyez. Et ce que je vous dis aujourd'hui, c'est exactement ce que m'ont raconté des familles. La deuxième raison, c'est qu'aujourd'hui, il y a un grand débat sur la fin de vie. On entend des hommes politiques, on entend des médecins, on entend des responsables religieux s'exprimer. Toutes ces paroles sont très légitimes, mais on n'entend jamais des familles qui ont vécu ça. Et je pense que ça manque énormément, parce que si on ne comprend pas l'intimité des questionnements qui se posent, Du côté des aidants, on ne peut pas comprendre la situation. Toutes les paroles sont légitimes. On a à la fois besoin de philosophes pour éclairer la situation, mais on a aussi besoin de savoir ce que vivent les familles.

  • Speaker #0

    De témoins directs.

  • Speaker #1

    De témoins directs. Donc, en ça, voilà, moi, ce témoignage, c'est juste pour éclairer la situation. Pour être très clair, je ne pense pas du tout que le suicide à citer soit une bonne solution. Vraiment pas. Je pense simplement que pour certaines personnes, dans certaines situations, c'est la moins pire des solutions. Je souhaite à personne d'être confronté à ce choix-là. Je souhaite aussi, surtout, convaincre personne. Je ne suis pas militant, je ne suis pas responsable d'associatif. Simplement, ce qui est important, c'est que je pense que pour que les gens comprennent la situation, la parole des aidants, elle est hyper importante. Il faut comprendre exactement ce qui se passe. Je pense aussi que, forcément, les malades ne partagent pas toujours ce qu'ils ressentent avec les médecins. Moi, je comprends que des soignants soient complètement opposés au fait de participer à ça, c'est totalement légitime. Mais vous voyez... comprendre ce qui se passe au sein d'une famille, c'est hyper important. Et un autre point qui est important pour moi, c'est qu'on a parfois entendu dans les médias que procéder d'insidacité, c'est une manière de ne pas accompagner ses proches. Et en fait, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire que moi, ce que j'aimerais que les gens retiennent de ce témoignage, c'est que lorsqu'on accompagne un proche dans une décision comme ça, c'est un acte d'amour. C'est-à-dire qu'on le fait par amour pour les personnes. Ça demande énormément d'énergie. Et oui, c'est vraiment un acte d'amour et de solidarité pour ces personnes-là.

  • Speaker #0

    Alors, tu vous as déjà un peu répondu, mais qu'est-ce qu'idéalement tu voudrais que les gens, donc j'imagine que tu t'adresses autant aux soignants qu'aux familles, qu'aux gens qui pourraient un jour être concernés à titre intime et personnel, qu'est-ce que tu voudrais qu'ils retiennent de ton histoire, de votre histoire ?

  • Speaker #1

    Je sais pas si j'ai envie qu'ils retiennent quelque chose, mais j'aimerais juste que ça les aide à se poser des questions. Je pense que...

  • Speaker #0

    Sur ce genre de sujet, les réponses hâtives ou fermées, elles sont... C'est pas parce que ça n'existe pas. Ce qui est important, c'est de se poser des questions, mais ce qui est important surtout, c'est de prendre en compte le réel. Le réel de la souffrance des personnes, le réel du choix de certaines personnes. Ce qui est important surtout, c'est de considérer que on peut accompagner ou aider quelqu'un qui fait un choix qui n'est pas le nôtre. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de se dire que c'est hyper important d'aider les familles. Parce qu'en fait, c'est collectif, un suicide assisté, dans la mesure où les malades qui sont atteints de maladies graves ne peuvent pas procéder à ça seuls. Donc en fait, ça n'engage pas seulement le malade, mais ça engage tout l'entourage. Et cette question de l'entourage et des aidants, elle n'est, je pense, pas très bien prise en compte et pas très bien adressée. Si aujourd'hui, on doit réfléchir à cette question-là, une des questions au centre, c'est comment on accompagne les aidants. Comment on aide les aidants à faire ça ? Je sais que ce qu'on a fait pour ma mère, c'est un privilège. C'est cher. Ma mère avait un peu d'argent de côté, donc on a eu le mouvement de le faire.

  • Speaker #1

    Tout le monde n'a pas le temps à dégager.

  • Speaker #0

    Psychologiquement, c'est compliqué. Donc voilà, la question de l'aide des aidants et de l'accompagnement des aidants, elle est hyper importante.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un message de conclusion ? Oui.

  • Speaker #0

    Le message de conclusion, c'est que je pense que dans une fin de vie, quelles que soient les conditions de la fin de vie, que ce soit une mort programmée, une mort anticipée ou une mort en soins palliatifs, en tant qu'aidant, c'est quand même... C'est très dur, c'est très dur à vivre, mais c'est aussi l'occasion de témoigner notre amour à nos proches. Et je pense que ça, c'est beau, et que quand on a cette occasion-là, et c'est pas donné à tout le monde, parfois on n'a pas cette occasion-là, mais je pense qu'il faut savoir la saisir. Moi, je me sens chanceux d'avoir eu toutes ces discussions avec ma mère que je n'aurais pas eu autrement. Je me sens chanceux d'avoir pu témoigner mon amour. Vous savez, ma mère m'a dit, un peu avant de mourir, elle m'a dit, Arnaud, si j'avais des doutes sur le fait que tu m'aimes, là, maintenant, je n'en ai plus. C'est très beau, vous voyez, donc c'est... Voilà, je pense que c'est... En tout cas, ce qui est important, c'est de se dire que, quelles que soient les conditions de la mort, c'est important que les personnes soient entourées d'affection de la part de leurs proches.

  • Speaker #2

    Merci.

Description

"Je Iui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meures, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre."

Que peut-on ajouter à part bonne écoute?

Sarah


Par Sarah Gaubert & Largerthanlifeproject depuis 2019

Réalisation G Carbonneaux


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je lui ai dit, écoute maman, de toute façon moi j'ai pas envie que tu meurs, j'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté, donc les deux sont horribles en fait, mais je m'engage, enfin mon engagement c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre.

  • Speaker #1

    Quand dans sa vie on a connu une déflagration, on sait qu'on va être confronté à un choix, continuer à vivre ou pas. Et puis une fois ce plouf-plouf mort vite tranché, on continue à vivre d'accord. Mais comment ? Mes invités ont vu leur vie sauter en l'air, et on va s'intéresser aux stratégies de ces survivants de leur vie d'un. Ils regardent dans le rétro, et parlent sans tabou des histoires dingues qui ont fait briller leur vie. Qu'ils soient puissants, drôles, touchants, agaçants, secrets ou impuniques, ils ont tous en commun un truc dans le regard qui va s'entendre dans leur voix. N'attendez pas que la Bible vous fasse une blague pour la dévorer. Venez, écoutez leurs histoires, pleurez, rirez, installez-vous confortablement. Et ça va bien se passer. Bonjour Arnaud.

  • Speaker #0

    Bonjour Sarah.

  • Speaker #1

    Je suis content que tu sois à mon micro.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'inviter sur ce podcast.

  • Speaker #1

    Tu as une petite quarantaine d'années.

  • Speaker #0

    J'ai 43 ans exactement.

  • Speaker #1

    Voilà, j'essayais de tricher. Et tu es fils unique, si je ne me trompe pas ?

  • Speaker #0

    Je suis fils unique, exactement. Alors, j'ai une sœur qui est la ménant et qui est la fille de mon père, mais qui n'est pas la fille de ma mère.

  • Speaker #1

    C'est là que je voulais en venir. Est-ce que tu peux me raconter comment est ta vie et comment se passe pour vous le confinement et la suite du confinement ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je suis parisien, je vis à Paris, je suis chef d'entreprise. J'ai monté une société de conseil d'une dizaine de personnes que je co-dirige avec mon associé. Et... Je vis le confinement un peu comme tout le monde et ma mère pendant le confinement vit seule. J'ai perdu mon père il y a une dizaine d'années. Donc forcément le confinement est un peu difficile pour elle, comme pour beaucoup de nos aînés. Et à la sortie du confinement, moi j'observe chez ma mère des petits signaux de baisse de santé. Au début je ne me fais pas trop de questions, mais je vois que ma mère commence à avoir un peu de mal à marcher, parfois elle a du mal à s'exprimer, des petits problèmes d'élocution. Et je pense comme beaucoup de personnes, je mets ça un peu sur le dos du confinement, en me disant que le confinement était dur pour elle. Donc voilà, ça fait partie malheureusement de la vie et de l'âge qui avance.

  • Speaker #1

    Elle a quel âge, la taille mémoire ?

  • Speaker #0

    Elle a 70 ans, pas plus 70 ans. C'est une femme qui est hyper dynamique. Elle fait de la photo, elle fait des voyages, elle est hyper active. Et face à ces petits signaux, j'incite quand même ma mère à aller voir un neurologue, en se disant qu'à où, on ne sait jamais. En plus, les signaux ont tendance plutôt à s'aggraver. Ma mère va voir un premier neurologue. Alors, il faut savoir qu'on va voir un neurologue il y a trois mois d'attente. On voit le neurologue qui donne un examen. Ensuite, on revoit le neurologue deux mois plus tard avec les résultats de l'examen. Donc, tout ça prend du temps. Je pense que le premier neurologue n'est pas forcément la bonne personne. Elle finit par rencontrer un bon neurologue, et je fais l'histoire un peu rapide. Un jour, le neurologue lui diagnostique une maladie de Parkinson.

  • Speaker #1

    Ok. Comment elle le prend ?

  • Speaker #0

    C'est une nouvelle nouvelle, une maladie de Parkinson. Mais en même temps, aujourd'hui, il y a un certain nombre de traitements qui font qu'on peut vivre avec une maladie de Parkinson, continuer à avoir une vie active. Donc ma mère est très courageuse. Elle prend ses traitements. fait plein d'exercices de kiné chez elle, enfin voilà, elle est très très combative. Moi à ce moment-là j'essaie de l'accompagner là-dedans, de l'encourager, et on se rend très vite compte que finalement son état continue à se dégrader, les traitements ne font pas effet, elle commence à marcher avec une canne, elle est très épuisée, elle commence à perdre la vue aussi. Donc à ce moment-là... Je sens qu'il y a un problème. Elle fait des examens complémentaires et on se retrouve un jour, alors je l'accompagne du coup chez le neurologue, je sens que ça ne va pas très bien et dans un rendez-vous avec le neurologue, le neurologue lui explique qu'elle n'a pas de maladie de Parkinson mais une maladie rare qui s'appelle une paralysie supranucléaire progressive. D'accord. Désolé de m'avoir un peu compliqué, l'abréviation c'est PSP. La paralysie supranucléaire progressive, c'est une maladie qui touche 5 à 10 000 personnes en France. C'est une maladie qui est très rare, c'est une maladie neurodégénérative. Et très vite, le médecin nous dit, voilà, dans cette maladie, il n'y a aucun traitement. C'est-à-dire que c'est une maladie sans traitement.

  • Speaker #1

    Et vous dites ça tout de suite ?

  • Speaker #0

    Très vite, le médecin ne nous fait pas de faux espoirs. Il nous dit, voilà, aujourd'hui, en état actuel de la science, on ne sait pas soigner cette maladie. Il y a quelques traitements sur certains symptômes, mais il n'y a pas grand-chose à faire. Donc c'est le maladie qui touche le cerveau, qui est neurodégénérative et qui entraîne d'abord une perte de mobilité des membres inférieurs, donc les gens ont plus de mal à marcher, puis progressivement une perte de mobilité des membres supérieurs. Donc le dos se contracte, il y a des rigidités musculaires au niveau des bras. Les gens ont tendance à perdre la vue progressivement, avec souvent des douleurs aux yeux liées à la lumière. Les gens perdent aussi progressivement l'usage de la parole et la capacité de déglutition. Donc bien sûr, tout ça est très progressif.

  • Speaker #1

    Et c'est lui qui vous le dit ou c'est toi qui fais des recherches ?

  • Speaker #0

    Alors, le médecin, avec pas mal de subtilité et de finesse, nous présente un peu les différents symptômes. Il essaye non pas d'enromper les choses, je pense qu'il a très bien fait les choses, il a la foi claire sur les symptômes, mais on voit très vite la gravité de la maladie. Et surtout, on réalise, enfin moi je réalise que ma mère, en fait, la maladie est plus avancée que ce qu'on pense. Et que ça fait potentiellement plusieurs années qu'elle a ça. C'est une maladie qui est très très mal diagnostiquée en France aujourd'hui, qui est très peu connue aussi.

  • Speaker #1

    Et le confinement ?

  • Speaker #0

    Pendant le confinement, on n'a pas pu voir les choses. Et donc là, moi, je prends conscience de la situation. Et puis après, on fait des recherches avec ma mère. Je réalise que c'est une maladie.

  • Speaker #1

    Elle fait des Elle sait manier Internet ?

  • Speaker #0

    Elle fait un peu des recherches. Et alors, surtout, il y a un élément qui est hyper important à ce moment-là, c'est qu'en fait, on a perdu mon père d'une maladie d'Alzheimer. D'accord. Mon père est mort il y a 12 ans d'une maladie d'Alzheimer qui a été assez longue, assez dure. Et dans les dernières années de sa vie, mon père a été placé dans une institution spécialisée avec... que des gens qui sont atteints de maladies neurodégénératives. Et donc, ma mère, pendant trois ans, alors c'est forcément un drame familial, ça a été très dur pour elle, mais elle a vu, vraiment, elle a vu des malades en phase terminale, enfin, dans les dernières phases de ces maladies neurodégénératives.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas mystérieux pour elle ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas mystérieux pour elle, elle sait ce qui l'attend. Donc, tout de suite, quand le médecin lui annonce les choses, il n'a pas besoin de beaucoup dérouler, ma mère sait ce qui va l'attendre. Alors, on ne sait pas si c'est dans six mois, si c'est dans un an, si c'est dans trois ans, mais elle sait ce qui l'attend. Et surtout, suite à cette histoire, suite à la mort de mon père, ma mère m'avait dit à plusieurs reprises, Arnaud, si jamais il m'arrive la même chose, je veux que tu m'aides à partir plus tôt, plus vite. Ce qui est en fait assez fréquent, parce que c'est traumatisant d'avoir des gens comme ça dans cet état-là. Et elle m'avait dit, Arnaud, si jamais ça m'arrive, moi je veux que tu m'aides à partir plus vite. Alors moi à ce moment-là... Je lui avais dit bien sûr maman t'en fais pas mais objectivement ça passait par une oreille, ça sortait pas par l'autre. Je me disais de toute façon elle est trois fois plus dynamique que moi, elle est hyper active, le temps que ça arrive on n'en est pas là. Mais c'est quand même important pour la suite de l'histoire. Et donc, quand la maladie est annoncée, quand la paralysie supranucléaire est annoncée, concrètement, moi, je me transforme en aidant familial. Ça veut dire qu'il y a énormément de choses à faire. Alors, les gens qui ne sont pas confrontés à ces maladies, là, ne s'en rendent pas toujours compte. Mais il faut très vite mettre en place une assistante à domicile, faire en sorte que ma mère ait un bracelet pour pouvoir appuyer sur le téléphone si jamais elle tombe chez elle. Je me rends compte aussi que ma mère a... pas forcément communiqué sur l'état de sa maladie. Moi, j'étais peut-être aussi un peu dans le déni. Je me rends compte surtout que la maladie progresse très, très vite. Donc, très vite, il faut faire les courses, l'aider à préparer ses repas.

  • Speaker #1

    Elle n'a pas communiqué ? C'est-à-dire que c'est toi qui l'annonces aux membres de la famille ?

  • Speaker #0

    Alors, elle n'a pas communiqué, c'est-à-dire qu'elle ne m'a pas forcément dit la gravité de sa maladie, ce qu'elle vivait dans le quotidien.

  • Speaker #1

    Ah pardon, je n'avais pas compris. Donc, elle ne t'a pas raconté la réalité de l'ampleur, de comment ça l'affecte, de combien ça l'affecte ?

  • Speaker #0

    Je pense que ma mère, c'est une personne très pudique. donc elle cherche à montrer que tout va bien et moi à l'occasion du diagnostic je réalise que la maladie progresse très vite et qu'il y a plein de petites choses qu'elle n'arrive plus à faire dans son quotidien et donc tu organises toute sa vie ? donc j'organise, c'est hyper classique en fait malheureusement comme parcours d'aidant familial c'est à dire que je passe à peu près une journée par semaine à organiser des choses très concrètes, faire en sorte qu'il y ait un kiné, un orthophoniste qui puisse venir à domicile, organiser les repas, il y a plein de démarches administratives, trouver des aides aussi financières pour les enfants à domicile, donc il y a plein plein de choses à faire. Et moi à ce moment-là, je me réfugiais un peu dans l'action, je me dis, il y a un problème, je mets en place tout ce que je peux pour accompagner ma mère,

  • Speaker #1

    tout ce que je maîtrise,

  • Speaker #0

    il y a un enjeu de maîtrise de la situation. Et puis malheureusement dans cette maladie, en fait... Comme ça va très vite, les solutions qu'on met en place à un moment donné, un mois plus tard... il faut les renforcer il faut les revoir il faut les compléter donc c'est beaucoup de travail en fait c'est beaucoup d'accompagnement à côté ça bien sûr je passe beaucoup de temps avec ma mère j'essaye de lui accorder les meilleurs moments avec ma sœur on décide de l'emmener en bord de mer on va en Normandie on mange des fruits de mer enfin voyez on essaye quand même de faire en sorte on se dit à ce moment-là accordons-lui tous les moments dont elle peut profiter tant qu'elle peut encore en profiter donc quand même une chaîne de solidarité qui se met en place autour d'elle et puis très rapidement malheureusement la situation La situation arrive à un tel point qu'à peu près trois mois après l'annonce du diagnostic, ma mère doit aller en EHPAD. d'accord c'est une décision difficile mais à ce moment là ma mère se dit qu'elle sera plus en sécurité parce que elle risque de tomber, elle a du mal à se lever tous les gestes du quotidien deviennent très difficiles, elle est en train de perdre la vue donc c'est à la fois un drame pour elle d'aller en EHPAD mais en même temps c'est une femme très rationnelle et elle se dit voilà s'il m'arrive quelque chose j'aurai de toute manière un infirmier ou un médecin qui me déparage et je serai plus protégé Le placement en EHPAD est un moment difficile, mais ma mère affronte tout ça avec beaucoup de courage, avec beaucoup de pudeur. Je pense beaucoup de dignité, enfin pas je pense, clairement avec beaucoup de dignité.

  • Speaker #1

    Tu le choisis comment l'EHPAD ?

  • Speaker #0

    Alors je fais un truc, je fais le tour des Ehpad, c'est quelque chose qui n'est pas terrible à faire, mais je passe quelques semaines à visiter des Ehpad pour essayer de trouver le meilleur Ehpad. Ma mère est très parisienne, elle a grandi à Belleville, donc je choisis un Ehpad dans le centre de Paris, qui coûte un peu cher malheureusement, mais en me disant, l'avantage c'est qu'on peut sortir de l'Ehpad, aller à un petit café du coin, aller dans le bistrot du coin, et ma mère, voilà.

  • Speaker #1

    Elle retrouve un peu ce qu'elle aime.

  • Speaker #0

    Elle retrouve un peu ses repères. Et puis, je sais aussi que ça n'a pas forcément duré très longtemps, parce que la maladie progresse malheureusement très vite, donc de semaine en semaine, de mois en mois, on voit la maladie.

  • Speaker #1

    Ça va si vite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Ça va vite. Alors, moi, je le vois parce que je suis très proche d'elle. Bien sûr. Je la vois très souvent, mais ça va très vite. Ça va très vite. Un jour, ma mère voit le neurologue et elle lui pose une question. Ma mère lui dit, est-ce que je pourrais devenir cobaye et rentrer dans un programme de recherche ? Alors, moi, au début, je ne mesure pas forcément l'importance de cette question, mais ma mère est un peu en mode... pardon pour l'expression, mais fichu pour fichu, autant que je serve à la science, et donc elle demande aux médecins de rentrer dans un programme de recherche, non pas pour, avec l'espoir de se guérir, mais simplement avec l'espoir de dire, peut-être qu'au moins, je peux contribuer à la recherche. Le neurologue, qui est un homme très humain, comprend, mais il dit Désolé madame, en ce moment, on n'a pas de programme de recherche, il n'y a rien qui peut correspondre à cette maladie. Et donc, ce n'est pas possible. Je ne m'en rends pas tout de suite compte, mais c'est un moment difficile pour ma mère, parce que je pense que c'était une des choses qui l'accrochait encore à la vie ou qui lui donnait de l'espoir, de se dire Je peux contribuer à la recherche. Et quelques semaines plus tard, ma mère me dit Écoute Arnaud, J'ai bien réfléchi, je veux en finir plus vite. Je ne sais plus exactement comment elle me l'exprime, mais quand elle me le dit, c'est très rationnel, c'est très posé. Et là, vous savez, dans la vie, il y a parfois des choix, c'est-à-dire que j'aurais très bien pu répondre à ma mère, écoute, t'as une baisse de morale, t'en fais pas, ça va aller. Mais je vois tellement sa souffrance, parce que ma mère, à ce moment-là, commence à s'enfermer dans son corps. La vie, psychologiquement, c'est très dur pour elle. Et surtout, en fait, elle m'a tellement demandé. Pendant plusieurs années, à plusieurs moments, elle m'a tellement demandé de dire je ne veux pas me retrouver dans ces états de très grande dépendance Du coup, j'y réponds écoute maman, est-ce que tu veux que je me renseigne ? C'est-à-dire qu'à ce moment-là, moi je ne me dis pas grand-chose en fait.

  • Speaker #1

    Tu ne veux pas que ça s'aligne, tu me dis, mais en fait c'est quelque chose qu'elle me dit depuis dix ans.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qu'elle m'a pas mal répété. Moi, je lui ai dit, écoute, je lui ai déjà dit, maman, on le fera, t'en fais pas. Donc, je suis un peu engagé par cette promesse. Et surtout, à ce moment-là, moi, j'ai aucune idée de comment ça se passe. Et ce que je lui promets déjà, c'est de me renseigner. C'est-à-dire, je ne lui dis pas quoi que ce soit est possible. Je lui dis juste, écoute, je vais me renseigner. Pour me renseigner, la... Pour me renseigner, je vais... En fait, très vite, je prends la décision de rencontrer des familles. C'est-à-dire...

  • Speaker #1

    Qui ont vécu la même maladie ?

  • Speaker #0

    La même maladie. Et notamment des familles qui ont accompagné leurs parents déjà en soins palliatifs, en France. Et je rencontre des familles qui ont accompagné leurs proches en soins palliatifs, des patients atteints de cette maladie. J'ai la confirmation que les fins de vie sont très douloureuses. Ce qu'il faut savoir, c'est que ce n'est pas une maladie qui entraîne la mort, naturellement, des personnes. Donc les personnes peuvent rester... un certain temps dans un état de très grande dépendance.

  • Speaker #1

    Et de souffrance en plus de...

  • Speaker #0

    Et surtout, c'est une maladie qui a des petits troubles de l'attention et de la concentration, mais les gens restent conscients. Donc potentiellement, les personnes se retrouvent au bout d'un moment un peu enfermées dans leur corps. Comme il n'y a parfois plus la parole et plus la vue, ça veut dire qu'il n'y a plus de moyens de communiquer. Et puis comme il n'y a plus de capacité à déglutir, les personnes se retrouvent nourries par sondes, elles finissent par s'amaigrir, et sans rentrer dans les détails, c'était vraiment vite très difficile. Alors ça malgré bien sûr le courage, l'accompagnement, les soins palliatifs, et le confort qu'on peut installer, mais malgré le confort, à partir du moment où il n'y a plus de communication, ça reste très difficile. Voilà, et je vois des familles qui sont objectivement très marquées par ces moments-là. Et du coup, je me renseigne aussi sur les possibilités de mort anticipée. Je me rends compte, bien sûr, à ce moment-là, en France, rien n'est possible, tout est illégal. Et je vois très vite que la seule solution, c'est en Suisse, avec un suicide assisté. Et donc, je parle aussi à des familles qui ont accompagné leurs proches dans des suicides assistés. Le suicide assisté en Suisse, c'est de manière très simple. On pose aux personnes une perfusion et les personnes appuient sur un bouton qui libère un produit, qui les endort et qui met fin à leur vie.

  • Speaker #1

    Soi-même ?

  • Speaker #0

    Soi-même. Voilà. C'est-à-dire que les personnes ont juste un geste à faire, qui est d'appuyer sur un bouton. J'ai toutes ces infos, je reviens vers ma mère et je lui dis Maman, est-ce que tu es sûre que tu veux vraiment que je te donne ces informations ? Elle me dit Oui Arnaud, je te le demande et surtout elle me dit que je veux que tu sois cash avec moi, je veux tout savoir, je veux avoir toutes les informations. Donc là, je lui présente les deux solutions, je lui présente ce que j'ai trouvé et globalement, je lui dis, écoute, il y a deux possibilités. Soit on t'accompagne en soins palliatifs en France et on essaye de trouver le meilleur service et de t'accompagner avec le meilleur confort possible.

  • Speaker #1

    C'est dans le cadre de la loi Leonetti ?

  • Speaker #0

    C'est ça. C'est dans le cadre de la loi Leonetti. Alors la sédation profonde est possible, mais... En tout cas, le retour des familles que j'ai, c'est que c'est quand même à partir d'un certain état, c'est-à-dire que c'est très tardif. Et c'est souvent dans des moments très difficiles, et donc il y a beaucoup, beaucoup de souffrance avant d'arriver là. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de suicide anticipé en France, qu'on soit clair.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de suicide anticipé, et c'est quand les malades arrivent, généralement, enfin ce qui se passe souvent dans ces maladies, c'est qu'il y a des infections pulmonaires. Et c'est à l'occasion d'infections pulmonaires qu'on décide de provoquer une sédation profonde. Et puis je présente aussi à ma mère ce que j'ai compris du suicide à la cité en Suisse. Et là, ma mère me dit, écoute Arnaud, merci beaucoup, j'ai bien compris, je vais réfléchir.

  • Speaker #1

    Je pensais que tu allais dire, j'ai bien compris, voilà mon choix, ça me fait chaud.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout, pas du tout. Pas du tout, parce que vous savez, il y a plein de gens qui disent, voilà, s'il m'a dit grave, m'arrivait, je me suiciderais directement, j'arriverais en Suisse. Mais entre imaginer les choses et être confronté, l'écart, il est énorme. C'est un monde. Et donc ma mère rentre dans une longue phase de réflexion, alors longue, ça dure un mois. Ce qui est important de comprendre, et ce qui est difficile, c'est qu'au début, la réflexion de ma mère se fait pas par rapport à elle, mais par rapport à nous. C'est-à-dire, ma mère se dit, qu'est-ce qui est le moins douloureux pour mon entourage ? Et donc ça la fait hésiter énormément, parce que d'un coup, parfois elle se dit, je peux pas imposer à mes proches un sujet d'assister, psychologiquement c'est trop lourd. Et puis à d'autres moments elle se dit, mais je peux pas non plus leur imposer. une fin en soins palliatifs, ça va être trop lourd et trop dur pour eux. On rentre dans une période qui est... Alors, cette période, elle n'est pas simple. Et moi, un jour, j'ai une discussion, une conversation avec ma mère qui fait partie des conversations difficiles. J'ai eu des meilleures conversations dans ma vie. Et je lui ai dit, écoute, maman, de toute façon, moi, je n'ai pas envie que tu meurs. Je n'ai pas envie ni de t'accompagner en soins palliatifs, ni de t'accompagner dans un suicide assisté. Donc, les deux sont horribles, en fait. Mais... je m'engage, enfin mon engagement, c'est que je t'accompagnerai dans l'un ou dans l'autre. Et par contre, je lui dis, la seule chose que je te demande, c'est que ton choix soit fait par rapport à toi et pas par rapport à ton entourage. Et ça, c'est hyper important. C'est-à-dire que je lui dis, moi, je ne t'accompagnerai pas dans son choix si ce n'est pas par rapport à toi.

  • Speaker #1

    Et ton maturité ?

  • Speaker #0

    Je vois un psy, ça aide, et ce n'est pas du luxe. Le meilleur investissement de ma vie. En fait, ce que je lui dis sur Toimer, c'est que je lui dis, imagine que... tu mets fin à tes jours en Suisse et que je sache que tu mets fin à tes jours pour m'épargner de t'accompagner dans un soin palliatif, jamais je pourrais m'en construire après ça. Donc il faut que ça soit que par rapport à toi. Et surtout, je lui dis autre chose qui est hyper important, c'est que je lui dis, quoi qu'il arrive, je m'en remettrai. Et ça, c'est un message hyper important, parce que je pense que pour un parent, c'est très angoissant de savoir que les conditions de sa mort vont potentiellement impacter ou voire traumatiser son entourage. Et donc moi, je dis, maman, ça sera très dur, ça sera très douloureux, mais je reconstruirai ma vie après et je serai heureux, quelle que soit la solution.

  • Speaker #1

    Quel cadeau de lui dire ça. qu'est-ce que c'est qu'est-ce que c'est le mot c'est pas généreux mais qu'est-ce que c'est spontanément j'ai dit quel cadeau de lui dire ça parce que ça libère et ça autorise à faire un choix alors c'est vraiment ce que je souhaite et c'est

  • Speaker #0

    vraiment ce que je souhaite ce qu'il faut bien voir c'est qu'à ce moment-là on est plusieurs autour d'elle, c'est-à-dire que Très vite, ma mère identifie deux amis, ma sœur et moi, et donc elle partage à peu de monde cette situation, cette réflexion, mais on est un petit groupe à l'accompagner dans sa réflexion, sachant que la règle du jeu entre nous, c'est d'être neutre. C'est-à-dire qu'on se dit, il faut que ça soit de sa décision, quoi qu'il arrive, c'est pas la nôtre. On n'a pas d'avis à avoir dessus, donc on peut l'aider dans sa décision, mais il faut que nous, on reste neutre. Donc on est là pour dialoguer avec elle, mais il faut que ça reste sa décision. Je trouve aussi un psy qui va voir ma mère, qui va discuter avec elle, qui accepte de cette posture très compliquée d'aider une personne à mûrir son choix sans chercher à l'influencer. Et on a convenu d'un petit protocole avec ma mère, c'est qu'on a convenu que le jour où elle choisirait, elle appellerait successivement ses deux amis proches d'elle, ma sœur et moi, et je lui ai dit voilà maman, il faudra que tu nous dises à tous la même chose, exactement la même chose. Et un matin, moi je suis au travail, je suis en train de faire des mails, des réunions, et je reçois un premier SMS ou coup de fil d'une amie de ma mère qui me dit Écoute Arnaud, ta mère a pris sa décision, elle veut aller en Suisse. Un deuxième coup de fil, la même chose. J'ai ma sœur qui m'appelle et qui me dit Arnaud, on va aller en Suisse, c'est horrible ! Et après ma mère m'appelle et me dit Arnaud, je souhaite te voir. Donc je vais voir ma mère, je vais voir ma mère avec un ami, parce que je ne veux pas être seul pour entendre ça. Et ma mère me dit Écoute Arnaud, j'ai bien réfléchi, je souhaite mettre fin à mes jours en Suisse, et je te demande de m'accompagner. Quand elle me dit ça, ce qu'il faut savoir, c'est que moi j'ai tout de suite un stress qui arrive à ce moment-là. c'est qu'en fait, je ne sais pas si c'est possible, c'est-à-dire que monter un dossier pour ce protocole-là en Suisse, ça prend beaucoup de temps. Or, il y a un élément d'information qui est important, c'est que la veille du suicide, les patients rencontrent un psychiatre et un médecin qui délivrent ce qu'on appelle une attestation de discernement. Ce qui est très bien. L'objectif, c'est juste de valider que la personne a toute sa tête et que c'est un choix libre et conscient et éclairé. Sauf que, vu la maladie, je sais que parfois, ma mère s'exprime très bien, mais... Mais il y a des moments de grande fatigue où elle a du mal à trouver ses mots. Et donc je sais que potentiellement, dans six mois, elle peut à un moment avoir énormément de difficultés à s'exprimer. Et si jamais elle n'arrive plus à s'exprimer, l'attestation de discernement est impossible, et donc le suicide est impossible.

  • Speaker #1

    C'est une course contre la montre, quoi.

  • Speaker #0

    Et là, je rentre, c'est-à-dire que là, mon stress à moi, tout de suite, c'est une course contre la montre, parce que je me dis, si jamais ma mère veut ça, et qu'en fait, ce n'est pas possible, ça va être super dur. Donc, je prends quelques jours de congé, et je monte un dossier. Alors, je monte un dossier, on est plusieurs. C'est assez long, donc il y a un dossier administratif à monter, avec plein de pièces. Il faut récupérer tous les éléments médicaux, tout son dossier médical. Et puis, ma mère rédige une lettre, enfin, elle dicte une lettre à une de ses amies, dans laquelle elle explique les raisons de son choix. Je récupère aussi des témoignages de tous ces quelques proches qui l'ont accompagné dans sa réflexion. On remplit un non-questionnaire, et on envoie tout ça. Quelques semaines après, j'ai un contact avec cette association en Suisse. Et là, je tombe sur une personne qui est très humaine, très à l'écoute. Et une des choses qui me surprend, c'est que cette personne connaît très bien sa maladie. Elle connaît très bien la maladie de ma mère. Donc cette maladie qui est connue de personne, la personne en Suisse de l'association me dit, Coucou monsieur, on connaît extrêmement bien cette maladie. On a régulièrement des personnes atteintes de cette maladie qui font ce choix-là.

  • Speaker #1

    on trouvera les moyens pour faire en sorte que ça a lieu et s'il ya besoin d'accélérer un peu les choses on accélère un peu les choses elle en parle à son équipe médicale ta mère va faire une équipe ou en tous les cas au moins le neuro ma mère décide enfin de pas en parler à son neurologue faut savoir qu'en france c'est illégal donc

  • Speaker #0

    les médecins ne peuvent pas en parler vous voyez parce qu'un médecin ne peut pas valider en soi une décision donc c'est forcément une conversation difficile voire impossible et même les certains psychologues refusent complètement d'en parler ah oui parce que ça peut être ça peut ...de leur être reprochés, vous voyez, on pourrait reprocher à des médecins.

  • Speaker #1

    Protéger son médecin, qu'elle lui en parle.

  • Speaker #0

    Oui, c'est pour protéger son médecin. D'accord. Ma mère dit, on va le mettre mal à l'aise, il saura pas quoi répondre, donc c'est mieux de pas lui en parler. Un jour, un matin, donc on a... une fois que je parle avec la personne de cette association, il y a un moment de validation du dossier, c'est-à-dire qu'au sein de l'association, je pense qu'ils se rencontrent, il y a un comité éthique qui valide le dossier. Et un matin, c'est un dimanche matin, je suis en train de prendre mon café, je joue un jeu sur mon téléphone mobile et j'ai un coup de fil de l'association et qui me dit, monsieur, le dossier est validé, maintenant, on veut parler très vite à votre mère. Je file à l'EHPAD, je mets ma mère sur un fauteuil, je mets le téléphone en. Je me lance une vidéo WhatsApp et ma mère parle à une personne de l'association. La personne au début lui pose quelques questions très simples pour savoir qui elle est, quel âge elle a. Un peu des questions pour justement mesurer son niveau de discernement, mesurer son niveau de conscience, quel mois on est, le métier qu'elle a fait, où est-ce qu'elle est, etc. Et très vite, la personne raconte vraiment dans le détail tout le protocole de suicide assisté. Et pendant une demi-heure, face à ma mère, la personne décrit de manière hyper précise, mais vraiment minute par minute, comment ça se passe, la veille, le jour même, le matin, tous les détails, l'injection du produit, le bouton, comment ça se passe dans le détail, sans chercher à rassurer. Et ça, c'est hyper important. Et je comprends quand la personne raconte ça, que c'est un test pour ma mère, pour savoir si elle a vraiment envie. Parce que la description est objective. C'est effectivement hyper difficile. Et je vois ma mère qui écoute, et à la fin de mon entretien, ma mère dit Écoutez, madame, merci beaucoup, c'est très clair. J'ai bien pris ma décision. Je souhaite mourir. Ma décision est ferme et irrévocable. Moi, je suis à côté. J'ai passé, j'ai déjà vécu des meilleurs moments dans ma vie. Donc j'entends ma mère dire ça, et c'est le moment où je sais que ça y est, on y est. C'est-à-dire que je sais que ça va se faire. Je sais que ma mère a vraiment, sa décision est vraiment prise. Et je sais que c'est possible, et je sais que ça va se faire. Donc très vite après, on rentre dans une autre question, qu'elle je ne m'attendais pas du tout, qui est terrible. C'est la fixation d'une date, parce qu'il faut trouver une date en fait. Au sein de ces associations, ils sont débordés par des demandes, et notamment débordés par des demandes de français. Et donc trouver une date c'est compliqué, et donc la personne nous dit, bah voilà, maintenant la prochaine étape, c'est juste de trouver une date. La question est hyper compliquée parce que... On ne sait pas exactement à quel moment le faire. Moi, je comprends intuitivement que ma mère ne veut pas le faire trop tard, maintenant qu'elle a pris sa décision. On est début mars et ma mère fête son anniversaire fin avril. Donc du coup, je dis à ma mère, écoute maman, si tu veux, on te fait un super anniversaire fin avril et après on y va. Et ma mère me dit, non, écoute Arnaud, moi je ne souhaite pas fêter mon anniversaire, je veux partir avant. Avec l'encul, je comprends. Et donc, très vite, l'association, je rappelle l'association, qui nous dit, écoutez, pas de souci, on va vous trouver une date, et donc la date est fixée au 15 avril. Là, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on rentre dans un monde différent, puisque à partir du moment où la date est fixée, on est dans un compte à rebours, et on sait que chaque jour qui passe est un jour de moins. Tu continues à travailler là ?

  • Speaker #1

    Je continue à travailler. Alors, je m'arrête quand même 3-4 semaines avant. Le boulot est compliqué. J'ai la chance d'avoir des collègues compréhensifs. On est une petite boîte, mais un jour je réunis toute l'équipe et je suis un des patrons de la boîte et j'explique à l'équipe ce qui se passe et j'explique que je vais partir pour un moment. Je ne rentre pas dans les détails, mais tout le monde sait et tout le monde sait que je vais devoir partir. Donc je m'arrête de travailler. Et à ce moment-là, ce qu'il faut comprendre, c'est que moi, j'ai un énorme sentiment de culpabilité qui arrive, parce que lorsqu'on parle de suicide assisté, en fait, l'assistance au suicide repose beaucoup sur les familles. Et ça, on n'en parle pas assez, c'est-à-dire que certes, il y a des médecins, des infirmiers qui, à la fin, facilitent l'injection, mais toute la phase de préparation et d'allogistique, toute l'organisation, tout repose sur les familles, tout repose sur l'entourage. Heureusement, j'ai une soeur extraordinaire. qui est une femme extraordinaire. Heureusement, ma mère a des super amis, mais tout repose sur la famille. Et du coup, moi, à ce moment-là, je me dis, en fait, je suis en train de participer activement à la mort de ma mère et au suicide de ma mère. Donc, c'est hyper culpabilisant pour moi, parce que je me dis, mais j'ai monté un dossier, j'organise des choses, c'est moi qui ai pris contact avec cette association, et donc j'aide activement ma mère à mourir. C'est une culpabilité qui est très lourde à porter. Au bout de quelques semaines, quelques nuits un peu agitées, mes... Au bout de quelques jours ou quelques semaines, je me dis, mais en fait, si je ne faisais pas ça, ma culpabilité serait encore plus grande. Parce que si je vois ma mère en soins palliatifs, dans un état de grande souffrance, et je la vois déjà souffrir, et que je sais que je n'ai pas activé, que je n'ai pas aidé...

  • Speaker #0

    Je ne veux pas de ce qu'elle veut en plus.

  • Speaker #1

    C'est ça. Du coup, je me dis, ma culpabilité serait encore plus grande. Ça m'aide beaucoup. Et un jour, je me dis, non, je ne vais pas me laisser avoir par la culpabilité. En plus, ma mère est une femme hyper indépendante. Sa liberté a toujours été sa valeur principale, et pour elle, au-delà de la douleur physique, ce qui est important de comprendre, c'est que c'est insupportable, psychologiquement, d'être enfermé dans son corps, et elle décrit déjà ces mécanismes d'enfermement dans son corps. Donc j'essaye de me libérer de la culpabilité, je crois que j'y arrive pas trop mal. Et surtout, on rentre dans ces périodes-là dans un moment très particulier. C'est-à-dire que ma mère veut profiter de tous ces derniers moments. Et on fait quelque chose qui est très beau. C'est-à-dire que moi, je dis à ma mère, écoute maman, dis-moi tout ce que tu veux faire avant de mourir. Et on a quelques semaines. Comme une bucket list. On fait la bucket list.

  • Speaker #0

    Oui, prononcez.

  • Speaker #1

    On fait la bucket list avant de mourir. Alors, heureusement c'est des choses simples, dans la bucket list il y a surtout manger des huîtres avec un petit verre de Chablis, donc il y a un budget huîtres. je vous cache pas que comme ma mère a des problèmes pour déglutir vraiment les huîtres c'est pas ce qu'elle nous plus conseillait mais on va dans ce moment là vous savez on va au resto, on mange des huîtres du coup il y a une blague entre nous c'est à dire que je dis à ma mère, maman on est pas en train de mettre tout ça en place pour que tu t'étouffes avec une huître dans une brasserie parisienne trois semaines avant d'aller en Suisse, ça fait beaucoup rire je l'accompagne dans des expos, je la pousse en fauteuil roulant bien sûr euh... on fait un tour en faudré embrouillé, vous voyez, plein de petites choses, je l'emmène dans les grands magasins en fauteuil roulant et je vis des très grands moments de complicité, on parle énormément, il y a beaucoup d'amour, on se confie beaucoup de choses, donc j'ai aussi la chance à ce moment-là d'avoir des très belles discussions avec ma mère et je me retrouve à un moment, c'est un moment très particulier à vivre, c'est-à-dire qu'il y a à la fois énormément d'amour et de complicité, donc des très très beaux moments et en même temps une angoisse terrible, parce que chaque jour qui passe, c'est un jour C'est un peu comme si j'avais une main plongée dans l'eau glacée et l'autre main plongée dans l'eau bouillante. C'est-à-dire que c'est en même temps beaucoup d'angoisse et en même temps beaucoup d'amour et de complicité au même moment. Donc oui, c'est compliqué à vivre. Alors heureusement, en fait, il y a toute une chaîne de solidarité. Moi, j'ai la chance d'avoir un compagnon à côté de moi avec qui je suis fiancé, qui s'appelle Yann, qui est très soutenant. Et donc il y a une chaîne de solidarité, je suis très entouré. Il y a beaucoup de manifestations de solidarité autour de nous, de gens qui sont plus ou moins proches, d'amis. Alors moi j'ai l'occasion, enfin j'ai la chance d'être entouré. Donc c'est, j'ai beaucoup parlé de moi, mais c'est une aventure collective. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens qui expriment leur solidarité. Et puis surtout ma mère souhaite l'annoncer. Donc elle l'annonce à sa famille, elle l'annonce à toutes les personnes autour d'elle. Donc on fait aussi la liste des gens à qui il faut l'annoncer. Ma mère est très fatiguée, donc il y a une partie des personnes, c'est elle qui l'annonce, l'autre partie c'est moi. Souvent on m'a dit ça doit être difficile à accepter pour les gens qui sont religieux et en fait mon expérience c'est pas du tout

  • Speaker #0

    Vous êtes pas religieux ?

  • Speaker #1

    Moi non, je suis sensibilité chrétienne je suis pas pratiquant mais ma mère a autour d'elle des gens qui sont catholiques pratiquants, et ces gens-là réagissent en réalité avec beaucoup d'humanité, en disant écoute, ce ne serait pas notre choix, c'est contraire à nos valeurs, mais dans une situation de souffrance, on ne peut que comprendre, on ne peut pas se projeter dans cette situation, et on a des gens qui disent voilà, nous on ne peut qu'accompagner par la prière, essayer d'être présent, et je pense qu'il y a beaucoup de gens chrétiens qui réagissent avec beaucoup de compassion. Ça ne veut pas dire être d'accord, mais ça veut dire simplement chercher à être présent.

  • Speaker #0

    C'est de l'amour.

  • Speaker #1

    C'est de l'amour. Donc, il y a des beaux moments. Ce qui est compliqué pour les gens dans l'annonce, ce n'est pas tant le suicide assisté, mais c'est le fait de savoir qu'ils vont perdre cette personne. Et puis, c'est très particulier de voir quelqu'un en pleine conscience, de voir une personne qui vous dit qu'elle souhaite mourir. Et en plus, ma mère est relativement sereine, elle est décidée. ça ne lui empêche pas d'avoir très peur. C'est-à-dire que ma mère me dit souvent qu'elle a peur de ne pas arriver à appuyer sur le bouton. Donc c'est une de ses grandes angoisses.

  • Speaker #0

    Arriver à cause de sa maladie ou de ne pas avoir le...

  • Speaker #1

    De ne pas avoir le courage.

  • Speaker #0

    L'impulsion, le courage, je ne sais pas dire le mot.

  • Speaker #1

    Non, non, ne pas avoir le courage et l'envie, mais entre avoir envie et arriver à appuyer sur le bouton. Donc la principale angoisse de ma mère, c'est vraiment de se dire comment est-ce que je vais faire pour arriver à appuyer sur ce fichu bouton ? À ce moment-là, on décide de parler de tout. Vous voyez, on a un niveau d'ouverture et de discussion qui est très fort.

  • Speaker #0

    t'as déjà vous avez je ne sais plus si on se dit tu ou vous enfin est-ce que tu te retiens de pleurer de montrer ton émotion ou est-ce que tu dis il faut que pour elle je en fait je me dis il ne faut pas que je pleure

  • Speaker #1

    parce que je vois la dignité de ma mère, je vois la manière dont elle affronte la maladie, je me dis, en fait, je ne veux pas lui montrer moi ma souffrance, elle connaît cette souffrance. Un jour, je n'y arrive pas, et un jour, les nerfs lâchent un peu. Je pleure devant ma mère, et ma mère, à ce moment-là, me dit, Arnaud, je sais que je t'en demande beaucoup, et je crois que je t'en demande un peu trop. Et à ce point-là, moi, je lui dis Oui, maman, tu m'en demandes trop, clairement. Mais je lui dis Tu sais, moi aussi, parfois, je t'en ai demandé trop et c'est OK, parfois, d'en demander trop à des gens qu'on aime. Voilà et les jours se passent progressivement, on essaye de profiter au maximum de tous les moments. Il y a une très belle chaîne de solidarité qui s'organise. On rédige avec ma mère son faire-part de décès, ce qui est très particulier. Mais ma mère souhaite avoir un faire-part de décès très coloré. Donc moi je fais appel à une graphiste que je connais, qui est adorable et qui dessine vraiment, qui design le faire-part de décès. Ma mère du coup choisit entre plusieurs versions du faire-part, elle veut qu'il y ait des fleurs, des papillons, c'est une femme très égoïste. exigeante, donc il faut vraiment que le faire part ressemble exactement à ce qu'elle veut. Mais c'est aussi thérapeutique, c'est aussi une manière de s'approprier un peu la mort qui vient. C'est aussi une manière de dédramatiser.

  • Speaker #0

    Tout ça, c'est vraiment pour elle de lutter contre l'impuissance que lui impose la maladie.

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il faut comprendre dans ces moments-là, c'est que quand des gens se retrouvent enfermés dans leur corps, c'est une manière de reprendre le pouvoir, c'est une manière de reprendre le contrôle, et c'est une manière de se sentir acteur de sa vie. Et ma mère, qui est une femme très forte et très indépendante, ça lui fait du bien. Les jours passent et arrive ce fameux moment où on part en Suisse. Donc on prévoit deux voitures, il y a une amie de ma mère, il y a ma soeur, mon beau-frère, ma mère, un ami qui est infirmier, qui nous accompagne. Je pars aussi avec ma chienne, j'ai une petite chienne qui s'appelle Najah, petite mais pas si petite. Donc on part tous ensemble en voiture en Suisse, on fait le trajet et on passe les derniers jours en Suisse dans un petit hôtel. En Suisse, ce qui est très particulier à comprendre, c'est que les derniers moments sont curieusement très joyeux. Très joyeux parce que ma mère veut profiter de la vie jusqu'au dernier moment. Donc on mange bien, on passe beaucoup de temps à rire en fait. Je pense que ce qu'on n'a pas vécu, c'est très difficile à imaginer. Mais quand on sait que la mort va arriver dans 48 heures ou dans 72 heures, les personnes confrontées à ça veulent profiter de chaque instant.

  • Speaker #0

    Ça rend tout plus intense, chaque minute plus intense.

  • Speaker #1

    Chaque minute, chaque instant est hyper intense. La maladie a progressé, ma mère est en fauteuil roulant, tout est compliqué à faire, mais elle donne toute son énergie dans ces derniers moments. La veille de son suicide, on joue tous aux jeux de société. Alors ce serait particulier, mais on passe une après-midi à jouer à des jeux de société. Bien sûr, pendant tous ces moments-là, on dit beaucoup à ma mère qu'on l'aime, on parle beaucoup, ma mère nous confie aussi ses angoisses, ses inquiétudes, on essaye de l'écouter, on essaye de l'accompagner comme on peut. Et c'est aussi ce qui est important, que si jamais elle veut tout arrêter, on arrête tout. C'est-à-dire qu'elle sait très bien qu'on lui a dit que si jamais au dernier moment... Elle voulait arrêter, on arrêtait tout. Et c'était une des conditions qu'on avait posées. Et le soir, donc la veille de son suicide, elle rencontre un médecin, un psychiatre. Moi, je ne suis pas là pendant l'entretien. Et les infirmiers, enfin l'équipe médicale qui va l'accompagner. Et suite à l'entretien, ces personnes reviennent vers nous et nous disent, écoutez, votre mère est décidée, elle souhaite mourir. Et ce dernier contact rassure beaucoup ma mère. Et à ce moment-là, elle est très décidée, très sereine. C'est-à-dire qu'à partir du moment où elle a rencontré cette équipe médicale, elle est rassurée, elle est sereine, elle sait comment ça va se passer, elle sait qu'elle sera accompagnée. Donc le lendemain, l'heure du petit déjeuner arrive, on a un dernier petit déjeuner tous ensemble, et puis on retrouve ces personnes de l'association à l'hôtel, et on les suit en voiture pour aller jusqu'à un local associatif. Ce qui est important de savoir, c'est qu'en Suisse, ça n'a pas lieu dans une clinique. Oui,

  • Speaker #0

    moi je pensais que c'était dans un...

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. En fait, c'est pas... Alors en Suisse, il y a aussi beaucoup d'opposants au suicide assisté, donc c'est dans un local associatif qui est tenu secret jusqu'au dernier moment. Puisque les personnes de l'association en Suisse ne veulent pas qu'il y ait une manifestation devant, ou qu'il y ait des personnes qui viennent empêcher les choses, donc c'est un endroit qui est totalement secret. On ne connaît pas le lieu jusqu'au jour, donc on se retrouve à suivre en voiture une personne jusqu'au local associatif en Suisse. Moi je suis dans la voiture, je conduis ma mère. J'ai vécu des meilleurs moments. On arrive dans ce local associatif, et là on fait, la dernière volonté de ma mère, c'était une coupe de champagne. Donc on arrive dans ce local, et on sort de champagne, on sort de foie gras. Les derniers moments de ma mère sont très français. On prend l'apéro, et donc un matin, on se retrouve comme ça, à boire de champagne, à se dire qu'on s'aime, surtout. Et c'est comme une déclaration d'amour à la vie, vous voyez, de dire, le dernier moment, on fait en sorte qu'il soit le plus beau possible. Ma mère est sereine, Elle est très déterminée, elle nous dit qu'elle nous aime, elle est très souriante, c'est très particulier, c'est presque perturbant de voir quelqu'un, une personne affronter la mort avec autant de sérénité. Et puis, une fois qu'on a partagé cette coupe de champagne, ma mère va dans une pièce à côté, elle s'allonge sur un lit, on lui pose une perfusion. Moi, je suis à côté d'elle, on discute et je dis à ma mère, Voilà, maman, maintenant, quand tu veux que j'y aille, tu me dis. Ce qu'il faut comprendre, c'est que les familles ont la possibilité de rester jusqu'au dernier moment ou de partir avant. Et moi, j'ai rencontré plusieurs familles qui sont restées jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire qu'on est personne appuie sur le bouton. Et à titre personnel, j'ai dit à ma mère, une des limites que j'ai fixées, c'est que je lui ai dit, moi je ne veux pas devoir mourir sous mes yeux. Donc en fait, je t'accompagne jusqu'à un moment, mais je veux partir avant que tu appuies sur le bouton parce que c'est invivable, enfin insupportable de devoir mourir sous mes yeux. Donc j'embrasse ma mère et je lui ai dit, écoute, quand c'est bon pour toi, tu me dis, j'y vais. On sait que c'est le signal. Et ma mère me regarde, elle m'embrasse, elle me dit Arnaud, c'est bon, tu peux y aller Elle me dit qu'elle m'aime, je lui dis que je l'aime, je me lève et je pars. Je pars avec ma sœur et mon compagnon, Yann, donc on quitte tous les trois la pièce. À côté de ma mère vont rester mon beau-frère et une amie de ma mère, qu'on décide de rester jusqu'à un moment. Et quand je franchis la porte, je sais que ma mère, à ce moment-là, appuie sur le bouton. Je sais pas de quoi je parle après. Vous pouvez même me poser une question.

  • Speaker #0

    Vous faites quoi dans les minutes ? Vous allez où déjà ? Et puis qu'est-ce que vous disent les uns et les autres ? Ils vous prennent en charge et vous disent c'est quoi l'étape d'après ?

  • Speaker #1

    Alors l'étape d'après, c'est que la police arrive. La police arrive parce qu'il y a un constat d'essai, et avec la police vient un médecin légiste pour constater que c'est bien un suicide. Donc on voit la police suisse allemande arriver, qui sont sympas, enfin sympas pour des policiers suisse allemands. Et les derniers moments, je pense que vous savez, c'est des tas de sidérations. Donc moi je ne sais plus trop où j'habite, je ne sais plus trop ce qui se passe, c'est terriblement triste. On vient de passer un moment très très beau à Bois-Champagne et on se retrouve, voilà. Donc moi je vais devant ma mère, enfin son corps, je lis une prière. La police arrive, on fait quelques papiers, et puis après le corps de ma mère sera incinéré en Suisse. Donc ensuite en famille, avec ce petit groupe, on passe encore quelques jours en Suisse entre nous pour essayer de décompresser un peu, et puis ensuite on rentre à Paris.

  • Speaker #0

    Tu me dis que tu fais... Une prière. Ta mère, elle avait des interrogations sur l'après. Elle en a parlé avec toi, ça fait partie des sujets...

  • Speaker #1

    Oui, on a beaucoup parlé de la mort et de la vie après la mort. En fait, ce qu'il faut savoir, c'est que ma mère était... Elle adorait mon père. Et donc, sa grande question pour elle, c'était est-ce que je retrouverais mon mari après la mort ? Et c'était une vraie question. Ça a été une vraie question. Je pense que ce qui l'a aidé, c'était l'idée de retrouver l'homme qu'elle aimait après la mort. C'est une question qui est hyper importante, en fait, parce que je pense que derrière cette question, la vraie question, c'est de dire est-ce qu'il y a quelque chose du lien d'amour qu'on partage qui nous survit ? Et ma mère a répondu oui à cette question. C'est-à-dire qu'elle est morte avec la foi, sans être chrétienne ou sans être religieuse, mais elle est morte avec la foi de se dire, ce lien d'amour que j'ai eu avec l'homme que j'aimais, je le retrouverai d'une manière ou d'une autre, sous des conditions que je ne connais pas, mais je le retrouverai.

  • Speaker #0

    C'était sa décision d'être incinérée ?

  • Speaker #1

    C'est très compliqué dans un suicide en Suisse de ne pas procéder à une incinération. D'accord. Pour des raisons administratives et légales, c'est extrêmement compliqué.

  • Speaker #0

    Elle a été enterrée là-bas ?

  • Speaker #1

    Alors, la volonté de ma mère, c'était que ses cendres soient dispersées en France, au cimetière du Père Lachaise, là où les cendres de mon père ont été dispersées. Donc, elle m'a dit, avant de mourir, Arnaud, je te demande une chose, c'est que mes cendres soient dispersées à cet endroit. Malheureusement, ce qui est compliqué dans un fils en Suisse, c'est qu'après la mort de ma mère, il y a eu une enquête de police. Et du coup, le certificat de décès en Suisse est assez long à obtenir. Donc, on met à peu près deux mois à obtenir ce certificat. de décès. Et ensuite, il faut faire traduire et valider ce certificat de décès en France. Ça prend aussi énormément de temps. Donc au final, on a le certificat de décès à peu près cinq mois après sa mort. Ce qui veut dire que pendant cinq mois, on ne peut rien faire. Et donc, on organisera la dispersion des cendres six mois après sa mort.

  • Speaker #0

    J'ai pu le faire.

  • Speaker #1

    Et on a décidé... On souhaitait faire une cérémonie religieuse. Donc j'ai contacté le diocèse de Paris. J'ai été très bien accueilli par des gens qui ont été très compréhensifs. C'est vrai ? Oui, vraiment. Et alors, être compréhensif, ça ne veut pas dire valider ou encourager ou approuver. Mais on est tombé sur des gens qui ont compris notre situation. Et il y a eu un prêtre qui a accepté de mener une cérémonie de prière pour ma mère. Et quelqu'un qui a su trouver des mots très justes et très beaux par rapport à cette décision. C'est ça. Vous savez, je pense que quand on est présent ou qu'on accompagne quelqu'un dans une décision qu'on n'aurait pas prise pour soi, ça nous élève en humanité. Et le prêtre, les gens qu'on a rencontrés, c'était des gens hyper humains, sans chercher à valider ou encourager, vous voyez, c'est des gens qu'on suit être présents. Et donc ça a été un très beau moment, et je pense un moment très important pour la famille. Voilà, il y a des gens qui sont chrétiens dans la famille, donc c'était aussi hyper important de savoir que ma mère pouvait avoir ce dernier hommage.

  • Speaker #0

    Je comprends.

  • Speaker #1

    les... Pardon, vas-y. Non, non, vas-y. Vas-y, vas-y.

  • Speaker #0

    Je me demandais si vous aviez prévenu le... son médecin après.

  • Speaker #1

    Moi j'ai envoyé un mail à son médecin en lui expliquant la situation et le médecin m'a répondu un petit mot très gentil, très humain, en me disant qu'il comprenait complètement la situation. Voilà. C'est pour ça que je ne dirai jamais le nom de ce médecin, mais il m'a dit qu'il comprenait parfaitement la situation. Ce qu'il faut bien comprendre dans le suicide assisté, c'est que plein de gens peuvent avoir plein d'avis sur la situation, mais quand on est confronté au réel, donc au réel de la souffrance d'une personne, Quand on est confronté vraiment à la maladie, et quand on est confronté surtout à des gens qui font des choix, on aura méconscience, et qu'on mesure la souffrance de certaines maladies, je pense qu'on ne peut que réagir avec humanité. On ne peut que réagir avec humanité.

  • Speaker #0

    Et ça a été son cas.

  • Speaker #1

    Ça a été son cas. Vous savez, je vais vous confier une anecdote. On se redit vous,

  • Speaker #0

    ça y est.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, on va se redire. Tu sais, Sarah, je vais te confier une anecdote. La veille de la mort de ma mère, j'ai rencontré une dame en Suisse, à l'hôtel. qui était une dame très élégante, 93 ans. Et je savais qu'elle... En fait, je comprends, j'ai vite compris qu'en fait, elle venait en Suisse avec la même optique que ma mère. Et donc...

  • Speaker #0

    Pour prendre des renseignements ?

  • Speaker #1

    Pour prendre des renseignements. Cette personne venait un peu en repérage. Et donc, elle avait un peu plus de capacité que ma mère. Elle était accompagnée par une amie à elle. Et oui, cette personne venait en repérage. Et donc je vois cette femme de 93 ans qui perdait complètement la vue, elle était quasiment aveugle, avec qui je discute, elle me prend les mains, et elle me dit mais vous savez monsieur, je suis tellement content de savoir que je peux mourir en paix et partir dans quelques mois, dans une mort douce Elle me dit mon quotidien est insupportable, j'ai perdu la vue, je suis encore chez moi, mais tous les gestes du quotidien sont infaisables Elle me dit à 93 ans, ma vie est derrière moi, j'ai juste envie de partir doucement Et là, elle me dit quelque chose qui est très beau, elle me dit la mort est un grand mystère, mais moi j'ai toujours aimé les mystères

  • Speaker #0

    C'est très romanesque.

  • Speaker #1

    C'est très romanesque, et quand vous avez une personne en face de vous, qu'est-ce que vous pouvez lui répondre ?

  • Speaker #0

    On s'incline.

  • Speaker #1

    On s'incline, vous voyez, on ne peut que s'incliner face à ça. Le retour au travail est un peu compliqué. J'ai jamais pensé ça. C'est-à-dire que reprendre une vie normale après, c'est compliqué. Et en même temps, je pense que ce qui est dur, en fait, c'est le deuil de ma mère. Mais en fait, sincèrement, je pense que perdre un parent dans un suite d'assistés ou dans un accident, c'est la même douleur. Enfin, c'est des douleurs différentes, mais il n'y a pas une douleur qui est plus grave ou plus douloureuse. Vous voyez, c'est tout le temps très douloureux. Donc voilà, moi, je traverse le deuil de ma mère. Et puis j'ai quand même pendant longtemps des réminiscences de tous les moments que j'ai vécu, c'est-à-dire que tous les derniers mois, les dernières semaines passent dans ma tête régulièrement, du coup c'est compliqué parce que pour me concentrer, pour être au travail, vous voyez j'ai souvent des réminiscences de ces situations-là. Petit à petit, avec le temps, ça passe. Je pense que... Comment dire ? Dans les deuils, il n'y a pas de raccourci. C'est-à-dire que le temps doit faire son œuvre. Et il n'y a pas de chemin, moi. Parfois, j'aimerais bien prendre des raccourcis et me dire, allez, si on pouvait se dire en deux semaines, on surmonte le chagrin. En fait, c'est pas possible. C'est pas possible. Mais... Ce que je voulais dire, c'est que j'ai jamais eu de regrets. J'ai jamais eu de regrets, vraiment. C'était ma grande crainte. En fait, je craignais, après ça, regretter. Je craignais vraiment regretter. Et en fait, j'ai jamais eu de regrets parce que j'ai vu ma mère partir en paix. Et surtout, je sais que pour elle, elle est partie de la manière dont elle souhaitait partir. Et qu'elle est partie en accord avec ses valeurs. Et la question pour moi, ça n'a jamais été de me dire, est-ce que moi je suis d'accord ? Est-ce que c'est conforme avec mes valeurs ? Je ne me suis pas posé cette question-là. Je me suis dit, en fait... Ce qui est bien, c'est que ma mère est partie de la manière dont elle le souhaitait. Une autre anecdote, ma mère m'avait dit Je souhaite partir lorsque je n'arriverai plus à mettre mes boucles d'oreilles. En fait, ma mère avait toujours des boucles d'oreilles. C'est une femme qui aimait bien des boucles d'oreilles, qui était assez élégante. Et son signal à elle, c'est qu'elle voulait partir avant de ne plus arriver à mettre ses boucles d'oreilles. Deux semaines avant sa mort, un jour je la vois à l'EHPAD et elle me dit Arnaud, ce matin, je ne suis pas arrivé à mettre mes boucles d'oreilles. J'ai cherché à les mettre une première fois, je ne suis pas arrivé. Une deuxième fois, je ne suis pas arrivé. Et la troisième fois, c'est là de soignant. qui m'a aidé. Et curieusement, quand elle m'a dit ça, quelque part, ça m'a presque apaisé, parce que je me suis dit, ok, ça veut dire que c'est le bon moment. Et ce moment-là, ça m'a beaucoup réconcilié. Voilà, ça m'a fait dire que c'est le bon moment.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, t'as eu des interactions avec eux ? Vous en avez parlé ? Vous avez parlé de ce sujet ?

  • Speaker #1

    Alors à l'EPAD, on a parlé au directeur, mais c'est tout. Et le directeur nous a dit, c'est mieux de ne pas en parler au personnel, parce que forcément le personnel risque d'en parler avec ma mère, ou que ce n'est pas qu'ils peuvent être réactions. Et du coup, on a préféré ne pas en parler.

  • Speaker #0

    Il y a le retour au travail et puis le retour dans le quotidien aussi qui est du coup statut couranté. Tu reviens trois ans avant. Comment ça se passe le quotidien et avec ton fiancé et tes copains ? Tu arrives à reprendre une vie ?

  • Speaker #1

    Oui, j'y arrive.

  • Speaker #0

    Recentrer sur vous, sur des projets, sur des choses.

  • Speaker #1

    J'y arrive, j'ai la chance d'avoir un compagnon, Yann, qui a été extrêmement soutenant. J'ai plein d'amis qui sont autour de moi, je suis très entouré, donc la vie reprend son cours petit à petit. Mais je pense que dans ces épreuves, en fait, on se découvre parfois des ressources qu'on n'imagine pas avoir. Bien sûr. Et donc la vie reprend petit à petit son cours et ce qui aide dans ces moments-là, c'est tous les petits moments de plaisir du quotidien. Et en plus, ma mère est partie avec un formidable message de vie. Je pense que ce qu'il faut comprendre, c'est que les gens qui décident de mettre fin à leur jour de cette manière-là, ce n'est pas par détestation de la vie. Parfois, il y a des gens qui aiment tellement la vie, qui ne souhaitent pas la quitter dans des conditions trop dégradées. Bien sûr. Donc, il y a aussi ce message de vie que ma mère a manifesté dans certains moments, qui, moi, m'encourage aussi à reprendre ma vie et à profiter de tous les moments. Donc, la vie reprend son cours, je fais mon deuil.

  • Speaker #0

    et oui la vie avance la vie gagne toujours la vie finit toujours par gagner est-ce que c'est très intime ce que tu as partagé c'est intime pour toi c'est intime parce que c'était aussi l'intimité de la vie de ta maman qu'est-ce qui t'a décidé ou donné envie de partager ça ? Même si je suis très connaissante.

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr, il y a plusieurs raisons. La première raison, c'est que je pense que c'est important parce qu'aujourd'hui, il y a plein de familles qui sont confrontées à ce type de situation, à ce type de choix. Et je me dis peut-être que mon témoignage peut aider ou en tout cas éclairer les familles. Je ne pense pas du tout à m'être comporté de manière idéale. J'ai fait ce que j'ai pu, donc mon histoire n'est pas exemplaire. Mais je me dis, les questions qu'on s'est posées, le fait de savoir que des familles sont passées, ça peut aider des personnes. Ça, c'est la première raison.

  • Speaker #0

    Comme toi, ça t'a aidé de...

  • Speaker #1

    Ça m'a aidé, vous voyez. Et ce que je vous dis aujourd'hui, c'est exactement ce que m'ont raconté des familles. La deuxième raison, c'est qu'aujourd'hui, il y a un grand débat sur la fin de vie. On entend des hommes politiques, on entend des médecins, on entend des responsables religieux s'exprimer. Toutes ces paroles sont très légitimes, mais on n'entend jamais des familles qui ont vécu ça. Et je pense que ça manque énormément, parce que si on ne comprend pas l'intimité des questionnements qui se posent, Du côté des aidants, on ne peut pas comprendre la situation. Toutes les paroles sont légitimes. On a à la fois besoin de philosophes pour éclairer la situation, mais on a aussi besoin de savoir ce que vivent les familles.

  • Speaker #0

    De témoins directs.

  • Speaker #1

    De témoins directs. Donc, en ça, voilà, moi, ce témoignage, c'est juste pour éclairer la situation. Pour être très clair, je ne pense pas du tout que le suicide à citer soit une bonne solution. Vraiment pas. Je pense simplement que pour certaines personnes, dans certaines situations, c'est la moins pire des solutions. Je souhaite à personne d'être confronté à ce choix-là. Je souhaite aussi, surtout, convaincre personne. Je ne suis pas militant, je ne suis pas responsable d'associatif. Simplement, ce qui est important, c'est que je pense que pour que les gens comprennent la situation, la parole des aidants, elle est hyper importante. Il faut comprendre exactement ce qui se passe. Je pense aussi que, forcément, les malades ne partagent pas toujours ce qu'ils ressentent avec les médecins. Moi, je comprends que des soignants soient complètement opposés au fait de participer à ça, c'est totalement légitime. Mais vous voyez... comprendre ce qui se passe au sein d'une famille, c'est hyper important. Et un autre point qui est important pour moi, c'est qu'on a parfois entendu dans les médias que procéder d'insidacité, c'est une manière de ne pas accompagner ses proches. Et en fait, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire que moi, ce que j'aimerais que les gens retiennent de ce témoignage, c'est que lorsqu'on accompagne un proche dans une décision comme ça, c'est un acte d'amour. C'est-à-dire qu'on le fait par amour pour les personnes. Ça demande énormément d'énergie. Et oui, c'est vraiment un acte d'amour et de solidarité pour ces personnes-là.

  • Speaker #0

    Alors, tu vous as déjà un peu répondu, mais qu'est-ce qu'idéalement tu voudrais que les gens, donc j'imagine que tu t'adresses autant aux soignants qu'aux familles, qu'aux gens qui pourraient un jour être concernés à titre intime et personnel, qu'est-ce que tu voudrais qu'ils retiennent de ton histoire, de votre histoire ?

  • Speaker #1

    Je sais pas si j'ai envie qu'ils retiennent quelque chose, mais j'aimerais juste que ça les aide à se poser des questions. Je pense que...

  • Speaker #0

    Sur ce genre de sujet, les réponses hâtives ou fermées, elles sont... C'est pas parce que ça n'existe pas. Ce qui est important, c'est de se poser des questions, mais ce qui est important surtout, c'est de prendre en compte le réel. Le réel de la souffrance des personnes, le réel du choix de certaines personnes. Ce qui est important surtout, c'est de considérer que on peut accompagner ou aider quelqu'un qui fait un choix qui n'est pas le nôtre. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de se dire que c'est hyper important d'aider les familles. Parce qu'en fait, c'est collectif, un suicide assisté, dans la mesure où les malades qui sont atteints de maladies graves ne peuvent pas procéder à ça seuls. Donc en fait, ça n'engage pas seulement le malade, mais ça engage tout l'entourage. Et cette question de l'entourage et des aidants, elle n'est, je pense, pas très bien prise en compte et pas très bien adressée. Si aujourd'hui, on doit réfléchir à cette question-là, une des questions au centre, c'est comment on accompagne les aidants. Comment on aide les aidants à faire ça ? Je sais que ce qu'on a fait pour ma mère, c'est un privilège. C'est cher. Ma mère avait un peu d'argent de côté, donc on a eu le mouvement de le faire.

  • Speaker #1

    Tout le monde n'a pas le temps à dégager.

  • Speaker #0

    Psychologiquement, c'est compliqué. Donc voilà, la question de l'aide des aidants et de l'accompagnement des aidants, elle est hyper importante.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un message de conclusion ? Oui.

  • Speaker #0

    Le message de conclusion, c'est que je pense que dans une fin de vie, quelles que soient les conditions de la fin de vie, que ce soit une mort programmée, une mort anticipée ou une mort en soins palliatifs, en tant qu'aidant, c'est quand même... C'est très dur, c'est très dur à vivre, mais c'est aussi l'occasion de témoigner notre amour à nos proches. Et je pense que ça, c'est beau, et que quand on a cette occasion-là, et c'est pas donné à tout le monde, parfois on n'a pas cette occasion-là, mais je pense qu'il faut savoir la saisir. Moi, je me sens chanceux d'avoir eu toutes ces discussions avec ma mère que je n'aurais pas eu autrement. Je me sens chanceux d'avoir pu témoigner mon amour. Vous savez, ma mère m'a dit, un peu avant de mourir, elle m'a dit, Arnaud, si j'avais des doutes sur le fait que tu m'aimes, là, maintenant, je n'en ai plus. C'est très beau, vous voyez, donc c'est... Voilà, je pense que c'est... En tout cas, ce qui est important, c'est de se dire que, quelles que soient les conditions de la mort, c'est important que les personnes soient entourées d'affection de la part de leurs proches.

  • Speaker #2

    Merci.

Share

Embed

You may also like