- Magaly
Bienvenue à toutes nos auditrices et tous nos auditeurs pour un nouvel épisode de Capital Humain. Aujourd'hui, nous accueillons Rassam Yaghmaei, un véritable innovateur dans le domaine du recrutement. Rassam est le directeur des talents chez Free et cofondateur de RIDH, un média RH qui révolutionne le recrutement et la communication en RH avec des approches très originales comme le rap et la vidéo. Rassam a su transposer sa créativité dans le monde des ressources humaines en apportant des perspectives différentes et efficaces pour attirer et retenir les talents. Il va nous en parler dans son podcast. Il va aussi donner quelques conseils aux millennials qui sont quand même assez intéressants à écouter. Donc, plein de sujets passionnants. Je vous souhaite une très bonne écoute. Bonjour Rassam.
- Rassam Yaghmaei
Bonjour Magaly.
- Magaly
Merci d'être là aujourd'hui avec nous et d'accepter de parler de ton parcours. Je vais remonter un peu avant ton poste actuel dont on parlera aujourd'hui. J'aimerais bien que tu nous parles de RIDH. D'ailleurs, comment tu dis ? Tu dis "ridh" ou "R.I.D.H." ? Comment tu le prononces et puis comment t'en es venu à intégrer rap et vidéo dans la stratégie RH parce que ça c'est hyper original ?
- Rassam Yaghmaei
Oui on dit plutôt "R.I.D.H." pourquoi parce que c'est une abréviation de "Recruiters in da House" et comme c'est un petit peu long on a trouvé l'abréviation RIDH donc plutôt "R.I.D.H". Et comment on en est venu là, c'est une rencontre comme souvent c'est des rencontres qui... qui foisonnent les idées. J'étais à l'époque chez Doctolib. Il m'arrivait quand même très souvent de prendre la parole sur LinkedIn, de faire du contenu vidéo, mais c'était principalement pour mes équipes. J'étais manager d'une grosse équipe et donc il y avait beaucoup de meetings offline, online, team building, etc. Donc j'avais investi dans une caméra, un fond vert, des choses comme ça, des micros de bonne qualité. Et sur un des posts, Mickael Sayad, que je ne connaissais pas à l'époque, qui était recruteur chez Content Square, me dit en off, c'est canon, est-ce que tu vas faire des lives, tu vas faire des shows sur Twitch, tu vas créer du contenu ? J'ai dit non, pas du tout. Il m'a dit "parce que moi j'ai ce projet un peu fou", lui il est youtubeur sur les mangas à la base, donc une grosse communauté quand même depuis quelques années. Il m'a dit "j'aimerais beaucoup appliquer ce que j'ai appris dans le monde des réseaux sociaux et notamment sur YouTube, sur LinkedIn avec du contenu recrutement pour les recruteurs" et "est-ce que ça te dirait de lancer une chaîne Twitch avec moi sur le recrutement ?" Et c'est comme ça que c'est né, et après très rapidement, on est passé à l'exécution, on a tous les deux des tempéraments qui ne sont pas trop dans l'analyse, faire de la stratégie pendant trop longtemps, on s'est dit, bon ben viens on s'appelle tout de suite, et je donne cet exemple parce qu'il est très concret, on s'est dit bon ben à l'occasion on se fait un déjeuner, on en reparle, et en fait beaucoup de rencontres s'arrêtent souvent là, et un mois, deux mois, trois mois plus tard reprennent, Et là, en fait, ce qu'on s'est dit, c'est pourquoi attendre de déjeuner plus tard ? On a tous les deux des vies assez remplies. Moi, j'ai cinq minutes chaud, on s'appelle tout de suite, on tombe et on fait un gym-it dans la seconde. Et tout de suite, on se dit, vendredi, on fait un test. Vendredi, on lance l'idée, on voit si ça prend, si on aime bien, on continue. Donc, c'est né comme ça, avec des lives, des contenus plutôt autour du recrutement. Et puis après, petit à petit, parce qu'on avait en fait tous les deux, on s'est retrouvés sur l'alignement des planètes, de discuter, de parler, cash, d'aimer un peu la parodie, la vidéo et le rap. Petit à petit, à chaque fois, on a rajouté des composantes jusqu'à en venir au rap RH.
- Magaly
Alors, j'aime bien parce que ce que tu expliques, c'est la façon, et je ne suis pas très étonnée quand je regarde ton parcours, dont vous avez procédé, ça a été théorisé, ça s'appelle l'effectuation. C'est le fait d'agir, c'est-à-dire de réfléchir, mais de ne pas laisser trop de temps à la réflexion et finalement d'adapter au fur et à mesure. Ça a été théorisé et surtout le chercheur français qui a travaillé là-dessus a montré que dans une start-up, ce sont ceux qui effectuent qui ont plus de succès que ceux qui ont une stratégie avec 200 slides et qui attendent d'avoir tout réfléchi pour démarrer. L'idée de l'effectuation, c'est vraiment l'idée je commence et je corrige et je suis OK en fait si je dois corriger. Mais, alors, je vais aller un petit peu plus loin. Rap et recrutement, ça vous est venu… Alors oui, je comprends bien qu'il y a eu un cheminement, mais qu'est-ce qui fait que vous vous êtes dit que le rap était quelque chose qui pouvait contribuer à rendre le recrutement plus facile ?
- Rassam Yaghmaei
Alors, c'est sûr que ce n'est pas tombé du ciel, et c'est plutôt venu de mon côté au départ, puisque j'ai eu une… des expériences dans la musique et dans le rap avant de travailler dans un contexte un peu plus professionnel et officiel, à savoir le bureau, le corporate, etc. Et donc, j'ai fait du rap pendant ma jeunesse jusqu'à ma jeune vie d'adulte, quand même très longtemps. Et j'ai mis ça entre parenthèses au moment où j'ai commencé à rentrer dans le monde pro officiellement, dans le recrutement, dans les RH, les cabinets, etc. Et en 2021-2022, ,j'ai eu l'occasion, je prenais déjà pas mal la parole, on m'invitait souvent dans des événements, des conférences pour parler de mon parcours, mes expériences, chez Doctolib, ailleurs dans la tech, scaler des équipes, des choses comme ça, le sourcing. Et en fait, j'ai eu l'occasion d'être invité au Disrupt RH au Grand Rex en 2022 par Golden Bees, Faria, qui m'a contacté. Et il sommeillait en moi cette idée depuis quelques mois déjà à l'époque ou quelques années en de vouloir tester ce que je faisais avant à savoir écrire sur plein de thématiques qui étaient plutôt du monde perso et les adapter au monde pro je me suis souvent dit mais c'est quand même bizarre qu'aucun artiste, tu prends Elvis Presley, Johnny Hallyday, Michael Jackson, ils n'ont jamais parlé de ce que c'est de se lever, aller au travail, avoir un boss avoir des contraintes, rentrer chez soi, gérer la vie pro-vie perso. En fait, ce concept de vie pro-vie perso était quand même assez flou dans le monde artistique. Et donc, je me suis dit, en vrai, tout le monde a un job, tout le monde prend les transports, tout le monde a un boss, tout le monde a des résultats, tout le monde a ce stress-là au travail. Et je me suis dit, le rap, c'est quand même pas mal parce que moi, j'ai toujours, du coup, parlé de ces péripéties de la vie, de ces conflits internes, externes, d'injustice, d'émotion à travers le rap. Et j'avais plein d'exemples de sujets que j'avais envie de traiter au niveau du taf. Et donc, j'ai proposé à l'époque à Faria en disant, moi, je fais le talk au Grand Rex, à une condition, c'est que je puisse aussi, à la fin, lâcher un freestyle. Freestyle, en fait, le terme freestyle est galvaudé, puisque ce n'était pas une improvisation, c'était bien un freestyle dans le sens où je rappais sur le thème de l'authenticité au travail, je racontais mon histoire perso, ou comment j'ai pu, petit à petit, en rentrant dans le monde du travail, me fondre dans la masse, porter un costume dans tous les sens du terme, ainsi de suite. Et à un moment donné, en étant expert, avoir une autorité sur mes sujets, j'ai lâché le costume cravate et j'ai pu un peu retrouver une certaine authenticité. Et en fait, c'est l'analogie de lâcher ce masque de ce costume-là. Et donc, c'est ça que je racontais dans le son. Et donc, le rap, à ce moment-là, face à un parterre de DRH, de dirigeants, qui ont tout de suite... compris le message sans forcément se dire est-ce que j'aime le rap ou pas m'a confirmé qu'il y a un truc à faire et j'ai convaincu Mickael Sayad du coup de se dire vas-y viens on continue sur ce thème là, toi aussi t'aimes le rap t'as peut-être pas beaucoup rappé mais on va le faire et puis c'est ce qu'on a fait depuis quelques années maintenant.
- Magaly
Tu as prononcé un mot que j'aime beaucoup c'est le mot d'authenticité c'est-à-dire que est-ce que finalement fait d'utiliser comme ça des méthodes qui sont pas forcément habituelles c'est... aussi une façon de ramener l'authenticité dans un monde du travail qui, pendant longtemps, n'en a pas eu. Pendant longtemps, on nous a demandé de porter des masques, de porter des cravates, de mettre des talons. Est-ce que c'est aussi une façon de dire qu'on peut travailler et être authentique ?
- Rassam Yaghmaei
Oui, c'est clairement une façon de le dire, c'est quelque chose que je porte et je suis un avocat de cette authenticité, tout en étant très conscient que ça peut paraître "chou à la crème" et surtout ça peut être un peu dangereux si on l'applique de manière un peu absolue. Je prends encore une fois souvent mon exemple, moi quand j'ai démarré dans le monde du travail, quand j'étais junior, ou quand justement je ne savais pas encore ce que je ne savais pas, dans un certain type de métier, etc. Je me suis quand même fondu dans la masse. J'ai d'abord voulu être performant, bon, créer de la valeur avant de vouloir absolument montrer ma singularité. Et le risque, et j'y contribue peut-être sûrement moi-même en prônant autant l'authenticité, soyons nous-mêmes au travail, ainsi de suite, c'est que certains prennent ce raccourci de se dire qu'en fait, il suffit d'être pour vouloir, quand je dis être, d'être là, d'être au travail, d'exister pour devoir exiger qu'on respecte sa singularité. C'est vrai, dans un monde un peu idéal et utopique, en réalité le monde du travail est un monde très pragmatique et cynique quand même. Donc en fait, si tu veux apporter ces singularités et qu'elles soient perçues de la bonne façon, il faut quand même se dire en parallèle, j'apporte ma valeur ajoutée, je démontre d'abord, pour que les gens soient curieux ou qu'ils me voient comme performant. Et ça, en tout cas, c'est mon parcours personnel. Et c'est ça qui a fait que le jour où j'ai commencé à rapporter qui j'étais réellement, de manière authentique, etc., ça a été forcément amplifié en valeur ajoutée, comme si je l'avais fait dès le jour 1, en disant, non, moi, je viens, je veux rapper, je veux parler de qui j'étais, etc.
- Magaly
Ce que tu es en train de nous dire, c'est finalement, tu as commencé par faire tes preuves. Et quand tu as été encore plus authentique alors que tu avais fait tes preuves, ça donnait encore plus de potentiel. C'est un peu l'idée de dire, vous avez vu, vous m'avez trouvé bon, et je suis aussi ça. Donc finalement, on peut être bon en étant ça aussi. C'est cette idée-là ?
- Rassam Yaghmaei
Oui, exactement. Je pense que c'est vrai dans tous les rapports humains. En fait, quand tu t'intéresses à quelqu'un par rapport à quelque chose qui est important pour toi ou qui a de la valeur pour toi, ensuite, quand la personne t'a prouvé ou a démontré qu'elle pouvait être là. On est tous en fait… et on y viendra peut-être un peu plus tard, c'est qu'in fine, on veut tous être écoutés, on a tous des peurs. Et en fait, une fois qu'on est rassuré, on sait que son interlocuteur est bienveillant, est expert et on ne va pas nous exploser à la face, on commence à lui accorder de plus en plus de crédit, de confiance. Donc, ce que je dis, c'est bien sûr l'authenticité au travail et c'est très cool que le monde pro en France et en Europe s'ouvre de plus en plus à réfléchir différemment sur ces sujets. Mais je me fais aussi souvent l'avocat du diable face à des générations un peu plus jeunes, des étudiants qui pourraient comprendre par ça qu'il faut tout de suite être 100% authentique et ne pas faire de concessions. Bien sûr qu'il faut voir le monde du travail, c'est que des concessions.
- Magaly
Et alors, tu as utilisé, je pense, au moins deux fois le mot "scaler". Donc, effectivement… tu as bossé chez Doctolib, tu as bossé dans d'autres startups qui sont des réussites françaises. C'est quoi ce qui est important pour un DRH dans une entreprise qui est en phase de scale ?
- Rassam Yaghmaei
Pour un DRH ou pour un dirigeant, je pense que le scale, c'est la croissance et le fait d'aller vite. Et donc, le concept de temps dans le scale est super important parce qu'en fait, tout le monde veut faire plus de chiffre d'affaires, plus de rentabilité, rétention de clients, d'abonnés ou de collaborateurs. Ça, c'est à peu près vrai pour n'importe quelle entreprise, j'imagine, même si tu ouvres un restaurant dans un quartier. La spécificité qui était très vraie dans un écosystème il y a quelques années, ça change un petit peu, mais ça reste vrai, c'est que l'hypercroissance, les levées de fonds exigeaient surtout un développement de jour en jour, de mois en mois, qui se percevait à travers plus d'abonnés, plus de clients, plus de collaborateurs. En chiffres on était en train de vouloir faire cette course à l'hyper croissance et donc de très très bien faire dans un temps très restreint c'était le sujet du scale et donc un DRH il voulait recruter les meilleurs mais le plus rapidement possible il voulait onboarder les collaborateurs ou des clients de manière simple mais le plus rapidement possible et le plus rapidement possible c'est quand même toujours le truc qui faisait que l'équation était compliqué donc qu'il fallait trouver des hacks, qu'il fallait trouver des façons de réfléchir différemment. Je dis que c'est un peu différent aujourd'hui, même si dans l'absolu, c'est quand même le cas, mais simplement le fait que la crise des levées de fonds, la crise de l'argent, grosso modo chez les investisseurs, chez les VCs, dans les banques, fait qu'aujourd'hui, on regarde un petit peu plus la valeur ajoutée type rentabilité et EBITDA que simplement la croissance d'autres indicateurs. Et que finalement, c'est assez sain parce que ça nous amène aussi à réfléchir sur l'enjeu de la qualité et de la rétention en tant que RH. Mais pour un DRH, l'élément en hypercroissance, c'est… comment réussir à maintenir ce rythme-là, tout en essayant d'insuffler quand même, j'imagine en tant qu'RH, une vision qui est un peu durable, sustainable en termes de développement des personnes, d'intégration des personnes, courbe d'apprentissage et laisser le temps aux gens d'arriver à un moment où ils peuvent avoir toutes les informations et les outils pour performer dans leur job, et ainsi de suite.
- Magaly
Et est-ce que tu parles de hack ? Un hack qui a été pour toi le meilleur à partager en matière de recrutement à ce moment-là ?
- Rassam Yaghmaei
Oui, en fait, quand je dis hack, encore une fois, le terme est un peu galvaudé aujourd'hui, mais typiquement, ça peut être quelque chose de très simple, de se dire qu'on a toujours fait comme ça nos annonces, on a toujours fait comme ça nos messages d'approche, on a toujours fait comme ça nos entretiens avec tant d'étapes dans le process, ou on a toujours voulu recruter dans telle école ou telle école. Le premier hack, c'est déjà de se dire est-ce que c'est vraiment valable et à quel point est-ce que c'est nécessaire. Et vu que le scale, c'est d'aller plus vite, souvent quand on enlève, comme dans une recherche de maison ou recherche d'appartement, les agents immobiliers, c'est un peu cliché, mais bon, vous dire, il faut faire des concessions, bon, le balcon et la piscine et le grand salon, on ne peut peut-être pas tout avoir. Qu'est-ce qui est le plus important ? Tentons différemment. Si on a deux pièces comme ça, que je vous propose un bien, ainsi de suite. Et dans le recrutement ou dans les sujets RH, c'est à peu près pareil. C'est de trouver des compromis, des alternatives. Et en fait, ça passe souvent par… questionner un peu le statu quo. Et donc ce qui a très bien marché dans le contexte Doctolib par exemple, parce que moi j'étais notamment en charge de recruter les équipes tech, data, digital, produits, etc. C'était de se dire, ok, cette population elle a des attentes de plus en plus spécifiques sur le marché, que ce soit en termes de conditions de travail, mais aussi en termes technologiques, en termes de partage d'expériences, en termes de challenges technologiques, en termes de salaires. etc. Et comment est-ce qu'on peut tout de suite prendre des petits raccourcis pour parler à cette population sur cette audience cible ? Et je prends souvent cet exemple-là, mais sur la féminisation des équipes tech. C'est un sujet, par exemple, moi, qui était assez loin de mes préoccupations à titre perso. Je n'avais pas, dans d'autres boîtes, réfléchi sur le sujet avant. Chez Doctolib, elle ne m'est pas apparue comme une espèce de morale absolue que je voulais défendre. Elle est arrivée, c'est pour ça que je dis le cynisme et le pragmatisme de l'entreprise sont souvent la meilleure façon d'arriver aux bonnes solutions. Et ensuite, il faut aussi, une fois qu'on a compris quelque chose, commencer à ouvrir son cœur pour voir le fond du sujet. Je prends cet exemple. En voulant recruter les meilleurs devs du marché à l'époque en France, j'ai compris que ces devs-là, parfois, refusaient les offres de Doctolib parce qu'ils se disaient, en fait, je n'ai vu aucune femme dans le process de recrutement, je ne vois pas de contenu sur votre blog tech qui en parle, où il y a des autrices sur le sujet. Et en fait, pour moi, c'est de plus en plus important parce que je veux développer des produits qui ont de l'impact. Pour avoir de l'impact, j'ai compris à mon niveau que la diversité et l'inclusion étaient importants. C'est parce que les meilleurs devs, pour moi, je le dis comme ça, les meilleurs devs du marché à l'époque, il y a 5, 6, 7, 10 ans, en France, avaient eu des expériences dans des boîtes européennes, des US qui avaient scalé aussi, où ce sujet avait déjà été approché. Et donc... Pour recruter ces personnes-là, s'est posée la question de, il faut qu'on commence à se positionner, et ensuite, quand on a compris le sujet, on s'est évidemment attardé sur le fond aussi. Voilà le genre de hack et de statu quo qu'il faut.
- Magaly
Hyper intéressant. Et alors aujourd'hui, ce n'est plus une startup, puisque aujourd'hui tu bosses chez Free, c'est plus de 10 000 personnes en France. Comment ça fait de passer du monde de la startup scale-up au monde de l'entreprise installée ? Et est-ce que tu vois une grosse différence ?
- Rassam Yaghmaei
Oui, alors c'était une question que beaucoup m'ont… Enfin, une alerte que beaucoup m'ont fait quand je leur ai dit que je passais de… Doctolib, par exemple, à Free, ils m'ont dit, attention, tu vas dans une grande structure, ce n'est pas la même chose. Plein de personnes qui ont d'ailleurs fait des entreprises type banque, assurance, etc. Mon épouse est dans les assurances. D'accord. Elle m'a dit, tu sais, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas pareilles quand tu passes sur des boîtes à plus grande échelle. Alors oui, il y a plein de choses qui sont très différentes. Et non, en réalité, j'ai quand même une continuité par rapport à ce que je recherchais, puisque j'ai quand même fait aussi le choix de Free par rapport à ce que Free représentait dans mon esprit, à savoir toujours un état d'esprit de troublion, un peu différent, un opérateur singulier, un employeur singulier. L'enjeu de tech avec cet écosystème indirectement lié à Xavier, qui n'est pas que du fantasme évidemment, parce que quand on sait que le fondateur de Free a aussi par ailleurs été le fondateur de Station F, de 42, de plein d'initiatives qui ont disrupté un petit peu peu le marché technologique en France, on se dit que forcément c'est peut-être un endroit où on ne va pas retrouver les mêmes enjeux de lenteur, de process. Et ça pour le coup, Free n'a pas du tout cette lourdeur de process, de réunion, de présentation, que je commençais d'ailleurs à trouver chez Doctolib parce qu'on était bientôt 3000, on avait de la structure partout, une vision très très très précise d'où on voulait aller avec beaucoup de KPI, beaucoup de choses, que je n'ai pas du tout retrouvé. Et donc, cette notion de simplicité, de rapidité d'exécution, d'itération dont on parlait, je l'ai trouvé très vite chez Free. Après, c'est sûr que quand on lance un nouveau programme et qu'on veut onboarder d'un coup 2 000, 3 000, 4 000, 5 000 personnes, ou on lance des entretiens annuels avec un nouvel outil quand c'est pour 100 personnes versus 5 000, 8 000, ce n'est pas la même chose en termes d'adoption, de changement, non... et ne serait-ce qu'au moment où on est prêt à dire, on commence à avoir des résultats. Parce que quand on est 100, on fait vite le tour, on peut itérer, regarder, mesurer, exploiter des données. Et là, l'exploitation de ces données, le temps n'est pas le même et la mesure et les indicateurs ne sont pas les mêmes parce qu'en fait, dans un grand groupe, il y a des multidimensionnels, tout le monde n'a pas la définition des mêmes termes. Donc, ça prend plus de temps, ça m'a appris à être plus patient aussi, et de me dire, OK, ça va prendre plus de temps, mais en fait, c'est aussi ça le challenge. Et de réussir à le faire sur la longueur, parfois, c'est quand même presque plus gratifiant que de trouver ces fameux hacks dont on parlait.
- Magaly
Mais alors finalement, quand ils t'ont recruté, tu étais déjà, alors je vais mettre les guillemets qu'on ne verra pas à l'écran, qu'on ne verra pas à la voix, mais tu étais déjà authentique, c'est-à-dire qu'ils t'ont recruté en sachant discuter. Est-ce qu'une fois que tu as intégré Free, Ça t'a fait bouger dans ton authenticité, soit parce qu'il y a des choses qui ont évolué, soit parce que tu t'es rendu compte que tu redémarrais dans une boîte où tu étais obligé d'être, comme tu l'as dit, un peu plus dans la preuve, ce conseil que tu donnes aux jeunes avant de pouvoir être vraiment toi. Est-ce que ça t'est arrivé à nouveau ? Ou est-ce que finalement, arriver à une certaine maturité de carrière, c'est plus nécessaire ?
- Rassam Yaghmaei
Je pense que c'est toujours nécessaire. Je fais partie aussi de ceux qui sont assez... humbles de nature et donc toujours prêts à se dire que je ne sais encore pas beaucoup de choses. Et donc, à la fois, oui, j'étais déjà dans cette voie de l'authenticité, de prise de parole, etc. Et donc ça, en tout état de cause, c'était d'ailleurs assez perceptible dans les entretiens que j'ai eu avec Free, avec notamment Thomas Reynaud, le CEO Iliad, qui a mis les mots là-dessus en me demandant "Bon, c'est vrai que tu fais aussi ça, ça, ça, ça à côté aujourd'hui, est-ce que tu y vois un intérêt ? Nous, ça nous intéresse. On ne vient pas te chercher pour ça, mais en tout cas, on peut se dire que ça peut matcher." Et donc, on a tout de suite dit qu'on pouvait avoir des opportunités à côté du scope de la fiche de poste sur papier qui pouvaient être intéressantes à creuser. Ensuite, oui, quand j'ai démarré, il y avait quand même beaucoup de choses que j'ai dû apprendre. Non seulement parce que mon scope qui était très, très recrutement avant s'est élargi dans des scopes plus larges. Et surtout, il y a plein de choses au niveau… RH en fait, que je n'avais pas vu à un tel niveau d'échelle, et sur lequel j'ai été très humble, et je le suis encore beaucoup, grâce à une équipe qui est là pour aider, etc. Donc les deux sont vrais.
- Magaly
Donc aujourd'hui, tu travailles sur la partie attirer les talents. Donc ça veut dire qu'attirer les talents, il faut aussi une marque employeur robuste et attractive. Ce sont des sujets sur lesquels tu travailles. Tu as vu un effet de ton profil finalement, alors atypique, c'est un mot qui commence à être utilisé à toutes les sauces, mais quand même tu as un profil atypique. Est-ce que tu as vu un effet sur la marque employeur et derrière un impact sur les recrutements ?
- Rassam Yaghmaei
Alors la marque employeur, oui bien sûr, parce qu'on a… depuis que je suis arrivé, il y avait déjà l'idée de lancer une campagne marque employeur, donc la première de l'histoire de Free. Depuis 25 ans, Free ne s'était pas positionné, il n'avait pas forcément travaillé sur une marque employeur qui explique les avantages en tant que collaborateur, pourquoi Free est un employeur, pas comme les autres. En fait, pendant 20 ans, tout le monde a très vite compris pourquoi Free n'était pas un opérateur comme les autres. Et donc... Ça, c'était un projet hyper enrichissant aussi, sur lequel on a abouti à cette campagne qui est une réussite lancée en juin dernier, la campagne "Et toi, t'es libre". Et donc, pour ceux qui écoutent, allez sur être-free.fr. On a créé un site de zéro, 100% en interne, qui, à travers des contenus un peu innovants, parle de cette spécificité autour de valeurs internes et donc, en fait bon ils ne m'avaient pas attendu pour que tout ça soit vrai, ils m'ont pas attendu non plus pour se différencier en tant qu'opérateur là où on a commencé à nommer les choses et de commencer à centrer peut-être un petit peu plus la discussion vers l'expérience collaborateurs ou la réalité collaborateurs plus que la marque et les produits, l'innovation, la marque, le positionnement de Free était différent et ça ça a été nouveau. Est ce qu'on a un ROI, oui parce qu'on le mesure par rapport à la campagne on a déjà vu qu'on avait X candidatures de plus plus ou moins entre 30 à 50% de candidatures de plus sur des métiers niche comme la boutique, comme la tech digitale chez nous, on a des retours tous les jours en interne et je dirais que ça c'est la valeur la plus forte pour moi c'est d'avoir des collaborateurs qui sont super engagés on a créé une communauté d'ambassadeurs sur LinkedIn qu'on forme qu'on amène à prendre la parole et en fait on a individualisé et personnalisé, je dirais, plutôt ce que les gens mettaient plutôt derrière le logo Free, derrière l'icône Xavier Niel. On a essayé de les décliner en expérience individuelle de collaborateurs et de voix de collaborateurs, et je dirais que c'est ça la réussite majeure.
- Magaly
Et ça, dans une boîte qui est quand même, qui est une grosse boîte un peu installée, ça a bien suivi ? Oui, tu dis que visiblement l'engagement a été important, il n'y a pas eu de réticence, parce que c'est un peu une modification des pratiques ?
- Rassam Yaghmaei
Oui. En fait, j'ai eu de la chance parce que le logiciel de vouloir faire des choses un peu barrées, un peu différentes, rapidement, sans le dire à personne, c'est dans l'ADN depuis toujours. Donc ça, là-dessus, j'ai eu de la chance. Par contre, de commencer à vouloir le faire pour une voix collaborateur d'un point de vue RH, ça, c'est un peu nouveau parce que le métier RH n'avait pas non plus été forcément sur tous ces sujets-là de manière intentionnelle, créé avec des programmes, etc. Donc ça, c'était nouveau de se dire que… il y a un intérêt à le faire ou pas, pourquoi on le fait, grosso modo, puisque tout marche bien depuis 25 ans. Et donc, bien sûr, il y a eu quelques éléments pour convaincre et se dire, non, non, c'est important et il faut le faire. Mais je dirais que, et j'en reviens sur le point, c'est que la plupart du temps, quand tu prouves par des petits bouts que quelque chose peut marcher, ensuite, tu peux aller un petit peu plus loin. Je pense que ça ne sert à rien d'être hyper ambitieux tout de suite à vouloir... tout changer mais en changeant par petits bouts et en montrant que rien ne casse et c'est souvent lié à des peurs de se dire non mais on risque d'avoir une baisse de ci, on risque d'avoir un shitstorm comme on dit, un bad buzz, et en réalité quand tu montres par petits bouts tu vois c'est un peu comme dans le code quand tu changes du code, voilà on n'a pas cassé la prod en changeant ce petit bout de cod,e on peut aller peut-être un peu plus loin un peu plus loin etc.
- Magaly
Oui, et puis tu as prononcé un mot qui est essentiel, moi je pense, quand on attaque un projet de transformation, c'est l'humilité. C'est-à-dire que déjà, tu as eu une formule tout à l'heure en disant, quand on est jeune, on ne savait pas ce qu'on ne savait pas, mais je pense que l'humilité de montrer qu'on essaye justement, mais que c'est OK si on n'y arrive pas, on fera autrement, c'est essentiel pour donner envie en fait, c'est vraiment important. Donc c'est un atout. L'arrogance est un handicap pour pouvoir réussir un projet de transfo. Ce qui est dommage, c'est que ça n'a pas encore été théorisé, mais moi je pense qu'on pourrait le théoriser. Mais bon, quand j'aurai le temps, je ferai un livre dessus. J'ai une dernière question. Tu nous as parlé de ta femme. Alors, sans être indiscrète, je ne sais pas si tu as des enfants ou pas.
- Rassam Yaghmaei
Oui, j'ai deux filles de 11 et 8 ans.
- Magaly
Tu fais de la musique, tu aimes l'art, tu es quand même patron des talents d'une grosse boîte. Comment est-ce que tu arrives à tout concilier ? Tu dors de temps en temps ? Comment on fait ?
- Rassam Yaghmaei
Oui, on disait tout à l'heure qu'en scaling et en hypercroissance, le facteur X, c'est le temps, en fait le temps est toujours le facteur X dans n'importe quel projet ambitieux on a envie de bien faire et on a envie d'être un peu partout démultiplié. J'aimerais que les jours soient un peu plus longs parfois et que les nuits soient plus longues aussi surtout mais non, là dessus pareil, j'ai un discours de vérité absolue, c'est que je suis pas du tout un exemple d'équilibre vie pro-perso chaque semaine suffit sa peine, j'essaye de jongler au maximum avec le maximum de balles possibles et d'essayer d'en faire tomber le moins possible ou en tout cas ne pas faire tomber les plus importantes que j'identifie. J'en parle souvent avec mon associé Mickaël. On va jongler avec plein de balles, on va en faire tomber, ce n'est pas grave. On s'est dit que l'exécution est plus importante que la structure parfaite, plan parfait. Par contre, il y a des balles qu'il ne faut pas faire tomber. Et donc, pour toi, c'est peut-être tel endroit de ton taf. Pour moi, c'est peut-être tel endroit de ma vie perso, etc. C'est ça qui est le plus... L'enjeu majeur, c'est est-ce que je continue à faire jongler les balles les plus importantes en dominante et qu'en mineur, j'en prenne plein au vent ?
- Magaly
Écoute, c'est une de mes expertises pour lesquelles j'accompagne beaucoup de personnes en coaching. Tu as tout très bien résumé. C'est-à-dire, il faut se demander ce qui est important et s'y tenir et puis accepter que sur le reste, ça ne soit pas parfait. Et la notion d'équilibre, elle n'est pas pérenne, elle est quasiment quotidienne. Et donc, c'est exactement ça. C'est dans ma vision, mon équilibre à la journée, à la semaine ou au mois, est-ce que je suis bien sur ce que j'avais décidé d'être important. Donc, merci. Merci pour cette très bonne synthèse. Et puis, merci pour ce partage, Rassam.
- Rassam Yaghmaei
Merci à toi, Magaly.
- Magaly
Nous arrivons au terme de notre discussion avec Rassam, qui a partagé largement et avec générosité son approche et son parcours. Moi, je retiendrai particulièrement que, parfois, le pragmatisme sert, par exemple, la parité. Et que peut-être dans une entreprise, il vaut mieux avoir une intention d'efficacité pour atteindre un objectif que je qualifierais de moral qu'avoir uniquement des bonnes intentions sans qu'elles ne servent aucun objectif. Pour suivre Rassam et découvrir ses projets, n'hésitez pas à consulter son canal YouTube ou à le suivre sur les réseaux sociaux. À tous nos auditeurs et nos auditrices, merci de nous avoir rejoints pour cet épisode et à bientôt.