- Speaker #0
Bonsoir, notre sponsor cette semaine, c'est Osco. Alors Osco, c'est ça, c'est une boisson sans alcool, un cocktail, un mocktail en fait. Le mocktail, c'est... je ne sais pas pourquoi on dit mocktail d'ailleurs, c'est un cocktail...
- Speaker #1
Pas smoké. ...
- Speaker #0
qui rend ivre mais sans lendemain difficile, vous voyez ?
- Speaker #1
C'est un Osco-bouco.
- Speaker #0
Alors cette version-là, ça s'appelle le rouge ardent. Il y a de la cerise,
- Speaker #1
hein ?
- Speaker #0
Il y a de la cerise, il y a un mélange d'épices, une longueur en bouche. Et on peut en boire jusqu'au bout de la nuit sans gueule de bois, donc c'est pas mal. Oui,
- Speaker #1
jusqu'au bout de la journée aussi.
- Speaker #0
Vous me parliez de Clément Rosset. Qu'est-ce que disait Clément Rosset sur l'alcool ?
- Speaker #1
Rosset disait, mon Clément Rosset merveilleux qui est mort en 2018, disait que l'homme ivre avait toujours un coup d'avance sur l'homme sobre parce que l'homme ivre sait qu'il est bourré, alors que l'homme sobre croit qu'il est lucide. C'est-à-dire qu'il n'a jamais rencontré un homme ivre qui ne soit conscient de son ivresse. Alors qu'il rencontre toute la journée des gens sobres qui votent Mélenchon ou qui croient que les chambres à gaz n'ont pas existé. Et donc voilà, il se dit que la sobriété n'est pas un gage de lucidité, l'ivresse oui.
- Speaker #0
Oui c'est vrai, et pourtant là,
- Speaker #1
même sans alcool, on est lucide.
- Speaker #0
Et ivre. Je suis extrêmement heureux de recevoir ce soir Raphaël Antoven pour son livre L'Albatros, publié aux éditions de l'Observatoire. Et je suis heureux d'avoir des invités qui manifestent un intérêt en se pliant à ce gimmick de début avec courtoisie.
- Speaker #1
Mais bien sûr, c'est la moindre des choses.
- Speaker #0
Merci beaucoup Raphaël.
- Speaker #1
Salut Frédéric.
- Speaker #0
Bientôt 50 ans.
- Speaker #1
C'est vrai.
- Speaker #0
Alors ça vraiment...
- Speaker #1
Vous en êtes un autre.
- Speaker #0
Moi beaucoup plus, mais je vous ai connu tout petit, ça me fait un choc.
- Speaker #1
Ah oui, oui, oui, moi-même qui me suis connu tout petit, j'avoue que je reste sidéré que quelqu'un d'aussi jeune que moi ait déjà cet âge-là.
- Speaker #0
Vous êtes philosophe, essayiste, écrivain, vous êtes éditorialiste à la revue Franck Tireur, et puis on vous voit souvent dans les médias, ce qui vous cause quelques ennuis d'ailleurs, on en parlera, mais vous n'êtes pas là pour ça, vous êtes ici pour parler de l'Albatros, et ça va peut-être vous intéresser. peut-être vous faire bizarre de pouvoir vous exprimer librement pendant une heure sans être interrompu par des hordes de vociférateurs.
- Speaker #1
C'est un plaisir dont je me délecte, que je devance vraiment avec bonheur. Je suis venu ici, j'étais à vélo et j'ai traversé un Paris pacifié pour arriver chez vous. Cette journée jusqu'ici est une merveille.
- Speaker #0
Nous n'avons pas prévenu. que vous veniez. C'est peut-être pour ça. On se débarrasse tout de suite de la polémique, si vous êtes d'accord. Il s'agit d'un tweet sur X. Vous avez dit qu'il n'y avait pas de journalistes à Gaza.
- Speaker #1
Non, j'ai dit qu'il n'y avait aucun journaliste à Gaza. C'est pire. J'aurais pas dû dire ça.
- Speaker #0
Non, je sais que vous vous êtes excusé depuis, mais...
- Speaker #1
ça partait d'un reportage réel ça partait d'un reportage sur le CV de quantité de gens flanqués d'un gilet presse qui était en réalité des cadres combattants du Hamas des terroristes et ces gens là étaient comptabilisés dans la liste des journalistes assassinés par Tsaïl et soi-disant visés en qualité de journaliste je suis désolé, je dénie la qualité de journaliste à quelqu'un qui est un combattant du Hamas même s'il porte un gilet presse par ailleurs, la presse sur place est sous la surveillance du Hamas
- Speaker #0
Et les chiffres qu'on donne d'ailleurs sont les chiffres...
- Speaker #1
Les chiffres sont ceux du ramasse. Et j'en veux pour preuve qu'il n'y a jamais de reportage sur les otages, ni sur les manifestations contre le ramasse. Mais cette phrase était injuste parce qu'elle faisait peu de cas des gens qui font passer de l'info et qui risquent leur vie. Donc c'était une phrase que je n'aurais pas dû prononcer. Vous êtes marqué au fer rouge quand vous prononcez quelque chose parce que les gens ont tellement envie de vous prendre en défaut que quand vous-même vous commettez une erreur, immédiatement ça devient une faute.
- Speaker #0
Vous êtes quand même très actif sur les réseaux sociaux. Est-ce que ce n'est pas aussi ça le problème ? Oui,
- Speaker #1
mais c'est un espace que je ne veux pas laisser, paradoxalement, aux vilaines manières. Alors j'en ai moi-même de temps en temps parce qu'on est contaminé par l'outil. Mais c'est un espace que je ne veux pas laisser aux préjugés ou au sectarisme.
- Speaker #0
Par ailleurs, moi, je vous dis, mon opinion, c'est que certes la phrase était fausse. Mais par ailleurs, la question de débattre sur... La liberté de la presse dans l'enclave, oui, ça me paraît important. Dans la bande de Gaza, on doit pouvoir en parler.
- Speaker #1
Je ne disais rien de plus que cela, mais je l'ai dit maladroitement, et je maintiens qu'il faut pouvoir en débattre. Des gens ont osé dire que je m'en prenais à la liberté d'expression parce que je disais qu'il n'y avait pas de journaliste à Gaza. Mais c'est bien le contraire. Je me souciais de la liberté d'expression, et c'est précisément la raison pour laquelle je déniais la qualité de journaliste à des combattants.
- Speaker #0
Alors, en vous souciant de la liberté d'expression, on vous supprime la vôtre, puisque maintenant quand vous allez dans un événement, une rencontre, une conférence, vous avez tout de suite des interruptions, des problèmes. Voilà,
- Speaker #1
il faut que je parle de ma mère et de sa maladie de Parkinson au cri d'Israël assassin en tovaine complice et avec des cornes de brume et tout. Il faut que j'aille dans les festivals sous protection policière. Mais je suis heureux de vivre dans ce pays où la police garantit la liberté et où ce sont des hordes qui la menacent. C'est ça qui est intéressant. C'est qu'on vit une époque qui est une époque hyper démocratique où la censure a cessé d'être verticale pour devenir horizontale. Vous êtes censuré maintenant par votre voisin, vous êtes censuré pour délit d'opinion. Vous n'êtes pas censuré parce que vous avez dit quelque chose qui contreviendrait à des mœurs officielles. Il n'y a plus de mœurs officielles, il n'y a que l'État qui est seul garant des libertés quand les gens deviennent fous.
- Speaker #0
Alors il y a une autre affaire aussi, c'est que vous avez un procès pour diffamation contre la France insoumise. Ils m'ont attaqué pour injure,
- Speaker #1
ils n'ont pas voulu m'attaquer pour diffamation.
- Speaker #0
La France Insoumise, que vous avez qualifiée d'organisation antisémite.
- Speaker #1
Oui, j'ai dit qu'ils étaient passionnément antisémites. C'était tout l'objet de la plaidoirie de mon avocat, Richard Malka, qui a plaidé pendant 2h30 la thèse de l'antisémitisme viscéral des Insoumis, qui d'une certaine manière remonte à Barès, et qui prend des formes tout à fait diversifiées. Il en a fait la recension exhaustive, et le texte va paraître en novembre.
- Speaker #0
Et le procès aura un résultat. Le 6 novembre, la décision est rendue le 6 novembre. Il faut que je diffuse cette émission avant.
- Speaker #1
Il faut diffuser cette émission avant, c'était la question que j'allais vous poser en off.
- Speaker #0
Non, du tout en in. Mais en in, bien sûr, nous n'avons pas de secret. Non, c'est un lieu de liberté. Bien sûr. Bon, alors, maintenant parlons sérieusement de Catherine David, votre mère. Avec joie. Vous êtes le fils de deux journalistes du Nouvelle Ops, Catherine David.
- Speaker #1
Pour ne pas faire comme eux, j'ai fait du journalisme.
- Speaker #0
Jean-Paul Antoven. Donc, s'il n'y avait pas eu le Nouvel Obs, vous ne seriez pas là. Vous devez votre vie à...
- Speaker #1
Non, non, non, je ne dois pas ma vie au Nouvel Obs. Je dois ma vie à Sciences Po. C'est là qu'ils se sont rencontrés. Ah oui, d'accord. Qu'ils aient ensuite intégré l'équipe du Nouvel Obs à l'époque bénie. Bénie, où on faisait des longs papiers, où on rentrait tout de suite dans la rédaction, où on avait un job et où on était au milieu d'une équipe merveilleuse. C'est tant mieux pour eux, mais ils se sont rencontrés à Sciences Po.
- Speaker #0
Je vais vous demander de lire un extrait. du livre qui cumule un extrait de la prose de votre mère et puis ensuite votre prose à vous. Les deux sont collés et ça donne une idée de ce portrait et de votre style.
- Speaker #1
L'écriture, assurait-elle, est faite pour nous, les lents, les pâteaux. Les inadaptés, les gaffeurs, les timides, elles nous permettent de mesurer nos paroles, de trouver enfin la réplique cinglante, de freiner nos impulsions, de cacher nos ridicules, de rendre comestible cet infâme brouet qui nous sort des tripes. L'écriture, ça sert à dégueuler poliment sans trop gêner les voisins. Ne surtout pas fermer les yeux, interroger le caniveau, le reflet de l'immeuble d'en face dans la vitre, le boulanger, la couleur des chaussures, le murmure des moteurs, la mousse sur le café tranquille. Écrire au hasard comme on se verse du rosé, remplir l'instant à ras bord. Tant que la plume trace ses petits oiseaux à pattes noires sur la feuille, l'angoisse est tenue en respect.
- Speaker #0
Voilà, alors la première partie était de Catherine David, la deuxième moitié de ce que vous avez lu. Oui,
- Speaker #1
j'ai truffé le texte de passages qui sont d'elles-mêmes, ce que je n'ai eu aucune peine à faire parce que nous étions quasi gémellaires. dans nos réflexes, nos façons de penser ou bien ceux qui attiraient notre attention. Donc on s'entendait si bien que j'ai eu aucune peine, il n'y a rien d'artificiel, tout m'est venu naturellement à greffer quelques textes de ma mère à l'intérieur du mien.
- Speaker #0
Oui, et c'est très beau d'ailleurs parce que vous dites, au fond le message de ce livre, s'il y en a un, c'est que vous portez le nom de votre père, Jean-Paul Antoven, qui est un écrivain certes très important et brillant, mais vous avez peut-être plus un style... proche de celui de votre mère.
- Speaker #1
C'est-à-dire que j'ai des affinités philosophiques beaucoup plus proches de celles de ma mère. C'est vrai. Je suis infiniment proche de la façon dont ma mère était. Ma mère était une spiritualiste. C'était quelqu'un qui, en toutes choses, recherchait l'esprit. Ça pouvait être le trait d'humour, ça pouvait être le refus que tout puisse être mécanisé. C'était quelqu'un qui, musicalement, traquait la perfection. Et le geste parfait. Et nous avions ces scrupules en commun, très profondément. Et par le plus grand des hasards, je m'en suis aperçu quand j'avais 25 ans. Je me suis aperçu en lisant un de ses livres qu'en réalité on était quasiment jumeaux, d'une certaine manière, plus que mère et fils.
- Speaker #0
Je lis l'extrait, page 199, « Ma mère et moi étions jumeaux de soucis, cousins, voisins. » parents, obsédés par les mêmes questions, saisis des mêmes vertiges, tentés par la même modalité de l'insaisissable, le même matérialisme enchanté, la même façon de ne pas croire en Dieu. C'est une déclaration d'amour, c'est aussi un récit de guerre contre la maladie de Parkinson.
- Speaker #1
C'est un récit de guerre contre la maladie de Parkinson. C'est une guerre... Perdue d'avance. C'est tout à fait perdu d'avance que je comparais à la charge des officiers polonais à cheval contre les... tanks des divisions allemandes parce que c'est vraiment ça qui s'est passé.
- Speaker #0
J'ai vécu la même chose. Mon père est mort de la maladie de Parkinson également. Et la différence c'est que votre mère étant pianiste évidemment pour elle c'était terrible que ses doigts ne répondent plus.
- Speaker #1
Et en même temps elle s'en est aperçue plus tôt probablement parce qu'on s'en aperçoit très tôt quand on joue régulièrement et qu'elle s'est aperçue d'abord que la main tremblait un peu et ensuite qu'elle s'enquistait après avoir joué, ce qui n'était pas normal. Et on l'a donc tôt diagnostiquée, elle a pris de la dopamine rapidement et pendant ce temps-là, c'était la drôle de guerre. C'était la drôle de guerre, c'est-à-dire il ne se passe rien, on attend l'ennemi, il ne se passe rien ou presque rien, elle combat l'arthrose, elle prend ses médicaments et elle se fabrique toute une série de réflexions autour des neurones miroirs, de la plasticité cérébrale... Oui,
- Speaker #0
parce qu'elle était une vraie grande journaliste et donc elle s'était informée.
- Speaker #1
C'était une érudite. C'était une érudite, elle avait vraiment une érudition au sens que l'honnête homme peut avoir. Elle était extrêmement savante et elle le faisait là à dessein pour essayer de comprendre ce qui lui arrivait et pour édifier une sorte de rempart spirituel à l'agression qu'elle pressentait. Et évidemment tout ça a été balayé par les premiers symptômes.
- Speaker #0
Mais il n'est pas impossible que bientôt la génétique, les cellules souches, les implants électroniques dans le cerveau... puissent guérir cette maladie. Donc c'est terrible. J'en sais rien.
- Speaker #1
Je ne crois pas qu'on puisse guérir d'une maladie neurodégénérative. On peut peut-être la soigner mieux. Ou retarder les efforts. Voilà, c'est-à-dire mieux la soigner. Mais guérir de ça...
- Speaker #0
Alors, il y a une épidémie de tombeaux en ce moment dans la rentrée littéraire. Arnaud Vivian, au Masque et la Plume, a dit que ce n'était pas une rentrée, mais un cimetière. Je donne la liste. Sur les maires, Emmanuel Carrère, Amélie Nothomb, Justine Lévy, Régis Geoffray. Yakuta Ali Kavazovitch, Catherine Millet, Paul Gassnier, Mathilde Matteo, c'est quand même, c'est fou. Est-ce que vous avez une explication à ce phénomène ? Pourquoi est-ce que tout le monde s'est mis à écrire en même temps sur la mort de sa mère ?
- Speaker #1
C'est tout à fait mystérieux. Il y aurait une explication si on avait tous le même âge. Alors peut-être qu'on a à peu près tous le même âge, c'est-à-dire en gros qu'on est dans la décennie où les parents meurent et les enfants se droguent, je ne sais pas. Il y a peut-être de ça. Mais c'est peut-être de ça, mais je ne sais pas, je ne sais pas, c'est un mystère.
- Speaker #0
Je vais vous donner ma théorie. C'est notre guerre à nous. Nous, on n'a pas connu de guerre, on n'a pas connu de violence, on a grandi dans un monde, enfin, vous êtes plus jeunes que moi, mais dans un monde protégé. On est des enfants gâtés, des trottinettes glorieuses, si vous voulez. Et là, tout d'un coup, un parent meurt, on voit un cadavre, vous décrivez le cadavre de votre mère, son visage jauni. en fait on n'avait pas de mort C'est la mort de votre mère, c'est la première mort qui vous touche et donc c'est votre guerre à vous.
- Speaker #1
Non, ce que vous dites serait vrai si c'était ma première mort. Mais malheureusement, j'ai déjà croisé quantité de pertes cardinales. De cette façon, j'ai eu ma dose. Non, je reste sidéré que tout le monde parle de sa mère ou reparle de sa mère.
- Speaker #0
Est-ce que ce n'est pas aussi pour analyser une génération qui nous a précédés ?
- Speaker #1
Il n'y a rien de délibéré dans tout ça. En ce qui me concerne, ma mère meurt en janvier 2023. Je me plonge dans ses livres pour éponger mes larmes. Je lis, je lis, je lis, je lis, je lis. Je lis passionnément ce qu'elle écrit. Je tisse des liens entre chacun de ses livres. Je fais un travail de cagneux, de thésard sur son oeuvre. Et je me console, enfin je me console. Je gère ma peine de cette façon-là.
- Speaker #0
Vous restez avec elle pendant le temps de l'écriture du livre. Je reste avec elle,
- Speaker #1
je retrouve sa voix dans ses livres parce qu'elle ne trichait pas. Je me sens proche d'elle, etc. Et puis... J'avais pris quelques notes pendant sa maladie et au bout d'un moment, j'amalgame ce savoir acquis dans ses livres et l'expérience de sa maladie. Et j'avais là la matière d'un livre. Ça s'est fait comme ça. Je n'ai pas choisi le calendrier. Je n'ai rien décidé. Non, non, non. C'est ça qui est étonnant.
- Speaker #0
Je vous pose une question de sociologue en fait.
- Speaker #1
Faut-il une théorie ou bien peut-être, suprême merveille, ce serait un pur hasard ?
- Speaker #0
Oui. Peut-être aussi.
- Speaker #1
Un pur hasard. Pourquoi faut-il trouver un sens à cette convergence d'intérêts ? C'est un pur hasard, après tout. Pourquoi pas ?
- Speaker #0
Vous faites un portrait de Catherine David qui est... assez émouvant parce qu'elle était très distraite. Vous la décrivez comme une sorte de Annie Hall. Vous vous souvenez de ce personnage de Woody Allen ? Elle est à la fois une écrivaine truculente, une grande pianiste, mais aussi elle est tout le temps maladroite. Avant même d'avoir Parkinson, elle était déjà très maladroite.
- Speaker #1
Toujours maladroite, gaffeuse, mal attiffée, qui s'arrangeait mal la vie. Elle s'arrangeait mal la vie. Pourtant très belle.
- Speaker #0
Magnifique.
- Speaker #1
Mais elle s'arrangeait mal la vie, elle s'était mal arrangée l'existence, incontestablement. Mais ce qui est vrai, c'est qu'à l'intérieur même de la solitude, du désarroi ou de ce qu'elle pouvait traverser, elle se retrouvait parfois à son piano ou à son bureau et là vraiment elle prenait sa revanche. Et c'est ça qui est beau dans l'histoire, c'est qu'elle était capable d'envol sublime. Elle était, quand elle déployait ses ailes, capable de merveilles. C'est pour ça que je l'appelle l'albatros, parce qu'elle a cette ambivalence de l'oiseau que ses ailes de géant empêchent de marcher, mais qui prend son envol et se rit de l'archer.
- Speaker #0
Le fil conducteur du livre est un spectacle où vous deviez lire des extraits de Proust et elle jouait du Schubert, du Chopin, du Brahms. Et ce spectacle, il a eu lieu.
- Speaker #1
Bien sûr, il a eu lieu. On l'a même fait tourner un peu. C'était en 2013. C'était en 2014, je crois. 2013-2014 sur deux ans, je devais... Il y a dans la recherche du temps perdu une petite phrase musicale qui hante le texte sur plusieurs milliers de pages. La sonate de Vinteuil. La sonate de Vinteuil qui est au milieu de laquelle se trouve une fameuse petite phrase musicale dont le narrateur fait l'hymne de l'amour comme de la détresse. Or, la seule information sur les dizaines de pages qu'il consacre à la décrire, la seule information qu'on a sur la sonate, c'est son rythme. il ne nous renseigne que sur le rythme de la sonate c'est tout ce qu'on sait, pour le reste ça peut être Forêt, César Franck Mozart, Schumann Chopin, Scott Shoplin peu importe, ça peut être ce qu'on veut et donc ce qui était beau dans l'histoire c'était, moi je lise quelques passages où il parle de la petite phrase et de la tristesse qu'elle charrie ou de la joie qu'elle porte et ma mère proposait une version musicale de la chose c'est comme ça qu'on a travaillé donc j'arrivais avec un texte sur la détresse de Swan et elle me sortait telle fantaisie de Chopin.
- Speaker #0
Et là, quand vous étiez sur scène avec votre mère pour ce spectacle, elle était déjà malade ou pas encore ?
- Speaker #1
Elle était déjà malade. Elle était déjà malade. C'était le début de la maladie et on avait décidé de la combattre par le haut, par l'exercice. Rien ne la motivait davantage que d'aller sur scène avec moi. Et donc on l'a fait de cette façon-là. Et on a fait un peu tourner le spectacle, un tout petit peu. Parce que c'était joli. C'était joli. et puis... Et puis les morceaux étaient merveilleusement choisis. Donc les gens étaient contents.
- Speaker #0
Alors, vous avez été bien plus dur avec elle dans le livre précédent, Le Temps Gagné. Elle ne vous en a pas voulu. Vous avez un peu raconté qu'elle vous avait giflé. Mais vous dites, ma mère avait la main leste, mais elle était pianiste. Et ses doigts bénis n'avaient aucune force quand il devenait une arme.
- Speaker #1
C'est vrai, c'est vrai. Donc voilà. Non mais ma mère m'avait giflé par mimétisme avec mon beau-père. Donc c'est un mimétisme, c'est par mimétisme de la même manière qu'elle m'avait d'une certaine manière laissé dans une certaine détresse alors que je vivais chez elle et que j'ai fini par en partir. Ce n'est pas la période la plus glorieuse de son existence mais c'est une période dont elle a rétroactivement admis tous les torts qu'elle avait. Elle a tout retenu, elle a tout admis. On en a parlé mille fois, de sorte qu'on a purgé la chose. Oui,
- Speaker #0
oui, et vous le racontez d'ailleurs très bien dans le livre, qu'après sa séparation avec Isidore, le beau-père, finalement, s'est retrouvé...
- Speaker #1
On s'est retrouvé, on s'est retrouvé, on s'est compris, et on a évacué la chose. Et d'une certaine manière, on a fait l'économie d'un rapport pathogène, pathogéniquement oedipien. On en a fait l'économie, on n'en a jamais eu besoin.
- Speaker #0
Mais comme quoi... La littérature autobiographique, même si elle est parfois brutale, elle a une utilité. Oui, mais ça reste... Ça s'explique. Bien sûr,
- Speaker #1
on dit les choses, mais ça reste quand même un exercice d'une violence inouïe pour les autres. Je veux dire, l'autofiction est un motif littéraire incontestable, mais ça reste une entreprise prédatrice. On se transforme vraiment en brut quand on fait ça. C'est dangereux. C'est extrêmement dangereux, c'est extrêmement violent.
- Speaker #0
Vous-même étiez dans les livres de quelqu'un d'autre.
- Speaker #1
Non mais j'en ai fait l'objet plusieurs fois, mais ça reste un exercice que je trouve détestable. Même si je m'y suis livré.
- Speaker #0
Ah ça c'est drôle, c'est intéressant d'entendre dire ça.
- Speaker #1
C'est vrai, c'est vrai.
- Speaker #0
Pour quelqu'un qui aime Proust ?
- Speaker #1
Oui, vous avez raison.
- Speaker #0
Proust a scandalisé pas mal de ses proches. Oui, oui, oui.
- Speaker #1
Mais je maintiens qu'on n'est pas dans l'autofiction avec la recherche, mais dans l'invention pure. Mais moi, pour m'y être livré, je m'y suis livré avec délice. Mais j'ai vraiment eu le sentiment de me livrer à un exercice. C'est un pouvoir qu'on prend sur les autres et c'est une violence extrême qu'on exerce.
- Speaker #0
Dans l'Albatros, l'humour vous protège de l'émotion, souvent. On sent que, même ça décuple l'émotion de sourire, de plaisanter. Je pense à cette scène où votre mère vous saisit le bras en disant, ça c'est de la bonne fabrication.
- Speaker #1
Oui, c'est vrai. C'est-à-dire qu'elle avait ces idiomes qui revenaient très souvent comme ça, donc elle m'attrapait le bras et elle disait, ça c'est de la bonne fabrication. Et elle le disait chaque fois. C'est elle qui l'avait fait. Oui, mais elle le disait chaque fois avec gourmandise comme si elle le disait pour la première fois. Et elle éclatait de rire toujours de la même manière. C'était comme elle disait mieux vaut entendre ça que d'être sourde. Ça revenait comme un leitmotiv et ça l'éclatait toujours de la même façon. Le génie des sentences de ma mère, notamment il n'y a qu'un seul Dieu et nous n'y croyons pas ou bien des choses comme ça, il et son féminin, il avec un E. Le génie des sentences de ma mère s'est longtemps perdu dans le psittacisme de ma mère et non sa capacité à les énoncer de façon constante. Et c'est avec le silence de ma mère... que j'ai fini par retrouver ces phrases et par leur trouver une intelligence plus particulière.
- Speaker #0
Alors sur le piano, j'aimerais que vous m'expliquiez, elle disait qu'il fallait jouer au milieu de la touche. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire moins fort, moins appuyé ?
- Speaker #1
C'était une disciple de Marie-Jaël et d'une psychophysiologie du toucher. Donc elle insistait beaucoup sur la façon dont le doigt devait toucher la touche, dont la pulpe du doigt devait toucher la touche, sauf le... pousse naturellement, qui est notre doigt bancal, qui est notre nain qui s'est adapté à sa petite taille et qui joue avec la deuxième phalange. Elle travaillait beaucoup sur la façon dont la pulpe devait toucher la touche et se replier au départ de la note comme si elle l'emportait avec elle. C'était très important. Et donc, ses doigts effectuaient sur le piano une sorte de gymnastique extraordinaire où, au lieu de produire une purée de bonnes factures comme font les bons élèves, elle était capable d'interprétations inouïes.
- Speaker #0
Mais jouer au milieu de la touche, c'est aussi un art de vivre, c'est un art de respecter les autres, d'être toujours un peu en retrait, de ne pas se faire remarquer, de se mettre en avant.
- Speaker #1
C'est vrai, c'est vrai, et je n'y avais jamais pensé. Vous voyez,
- Speaker #0
c'est important de rencontrer des gens... C'est important de rencontrer de merveilleux lecteurs comme vous, mais bien sûr, c'est important. Merci Frédéric. C'est aussi une autobiographie de philosophe proustien. Ça m'a fait penser au mot de Sartre, c'est-à-dire que vous parlez de votre enfance. Et vous cherchez à répondre à des questions philosophiques. Par exemple, que peut le piano contre Parkinson ?
- Speaker #1
Ah oui, c'est une vraie question. Vous avez 4 heures. Mais alors, c'est Spinoza qui se demande dans son traité des passions, dans la troisième partie de l'éthique, ce que peut le corps. Nul ne sait ce que peut le corps. Et que peut le piano contre Parkinson ? C'était tout l'enjeu du débat et des discussions infinies qu'on avait, ma mère et moi. Tu as la maladie de Parkinson, mais tu peux beaucoup avec le piano. et ma mère était... se consolait de vieillir en pariant sur le fait que la vieillesse n'était pas une altération au sens d'une diminution d'elle-même, mais une altération au sens d'un devenir autre. Et donc c'est ainsi qu'elle regardait les choses. Et elle disait, il y a, dans certaines disciplines en particulier, notamment le piano, quand on vieillit, un espace possible pour la joie. Et donc tout mon propos quand elle a commencé à être malade, c'était de lui dire que Il y avait un espace possible pour la joie malgré la maladie.
- Speaker #0
Il y a une expression très belle dans le livre, des dépressions combattues à coups de toccata.
- Speaker #1
C'est ça, exactement, c'était le sens de la bataille.
- Speaker #0
Et vous écrivez aussi, elle faisait son piano comme on fait un jogging, des mains, au milieu d'un parc à rêve. C'est vraiment écrit, je recommande ce livre pour sa qualité d'écriture, attention. Ce jeune homme est un intellectuel médiatique mais aussi un écrivain. Qu'est-ce que je voulais vous demander ? Je voulais vous faire lire encore un autre extrait. Ah, je remets mes lunettes alors. Oui, un extrait sur la philosophie de votre mère. Et je trouve que c'est très beau. Voilà.
- Speaker #1
Ma mère... Pardon. Il va peut-être pleurer. Pardon. Ma mère, ma mère, qui imitait à la perfection le recoulement des tourterelles, c'était une amoureuse. Elle n'aimait rien tant que marcher dans la nuit, contempler les traves des péniches au clair de lune, écouter le pas décadencé de deux amants qui longent les quais, sentir sa main dans la sienne comme un oiseau content, s'étonner au passage qu'en France le clochard soit un rebut de la société alors qu'en Inde les renonçants font l'objet d'un culte, se dire que la tiédeur n'est pas assez chaude pour qualifier cet instant et se souvenir à jamais des êtres qu'elle a croisés ce soir-là témoins involontaires de sa bonne fortune. Elle appelait ça... Les épiphanies ambulatoires.
- Speaker #0
Les épiphanies ambulatoires, c'est génial, c'est une philosophie pour la vie. C'est dans son texte qui s'appelle... Dans la vie, tout est pourri, on va crever, c'est un toboggan vers la mort et nous sommes des tragédies ambulantes. Mais, il y a des épiphanies.
- Speaker #1
Les épiphanies ambulatoires, c'est dans la beauté du geste qu'elle décrit ça. Parce qu'elle était émerveillée que la vie ménage tant de merveilles à celui qui se soucie de les regarder. Et elle était fascinée par ça, c'est-à-dire que... Elle faisait de la qualité du regard une aptitude à mieux vivre en ce monde. Donc évidemment, les épiphanies ambulatoires, ça occupait une place très importante pour elle.
- Speaker #0
que la guerre en Palestine ne vous empêche pas de lire l'Albatros et en écoutant les morceaux, parce que vous citez énormément de morceaux de musique que votre mère interprétait au piano. Du coup, j'ai fait ça, moi j'ai lu le livre en écoutant les morceaux à chaque fois. Ça marche bien. Et ça marche très très bien, c'est vraiment très agréable. C'est aussi un livre qui éduque l'oreille à la musique classique. Nous passons au grand jeu célèbre de l'émission Devine tes citations. Vous êtes déjà venu, donc je n'ai pas besoin de vous rappeler que... je vais vous lire des phrases de vous et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit ceci.
- Speaker #1
Oh mon Dieu.
- Speaker #0
L'Himalaya n'éclipse pas le Mont Blanc.
- Speaker #1
Ah ça c'est dans l'Albatros, c'est une phrase de mon grand-père. Oui. Du père de ma mère.
- Speaker #0
Alors qu'est-ce qu'il voulait dire par là votre grand-père ?
- Speaker #1
Il voulait dire que Victor Hugo n'éclipse pas Alexandre Dumas, qu'on peut aimer les deux et que nous pourrissons de comparer les choses et les génies entre eux.
- Speaker #0
Oui, notamment les artistes.
- Speaker #1
On ne compare pas l'incomparable, ils ne sont pas là pour ça.
- Speaker #0
Ma mère était un cœur vaillant, né... dans un silence de tombe. Il connaît par cœur son livre. Et après, il y a quoi ?
- Speaker #1
Entre un père absent et une mère endormie.
- Speaker #0
Exact. Qui a mis 4 ans, le père, à reconnaître qu'il l'avait reconnu. Oui, oui, oui. Pourquoi ? Le style est plutôt de droite, je trouve. Vous avez un style de droite, en fait.
- Speaker #1
Oh, quel plaisir !
- Speaker #0
Je relis. Ma mère était un cœur vaillant, né dans un silence de tombe. Oui, ça a un côté... C'est un côté presque Châteaubriand, enfin vous voyez. J'aimerais bien. À l'ancienne.
- Speaker #1
Alors non, en fait elle est née, oui c'est post-tombe, elle est née, mon grand-père avait deux enfants déjà et il était marié quand ma mère est née. Donc il l'a reconnu, mais il l'a reconnu du bout des lèvres quoi. Et quant à ma grand-mère, elle était endormie. Donc ma mère est née dans un silence de tombe entre une mère endormie et un père qui n'était pas là ce jour-là.
- Speaker #0
Autre phrase de vous. Ah ça j'aime beaucoup. Madame, sauf votre respect, allez vous faire enculer par un parapluie ouvert.
- Speaker #1
Oui, absolument, c'est ce que j'ai dit à un des docteurs de ma mère, qui était une femme épouvantable, qu'il avait fait attendre pendant une heure et demie dans une salle d'attente congelée avant de lui reprocher de ne pas avoir pris son dossier médical. Donc c'est toujours dans l'albatros. Mais racontez la scène. Je ne retiens pas, je...
- Speaker #0
Il y a des médecins qui sont non seulement blasés, parce qu'ils donnent des diagnostics froidement, et en plus Vous font poireauter. Alors, vous font poireauter. Parce qu'ils sont débordés.
- Speaker #1
On avait rendez-vous à 5h30. Je pars avec elle. Elle n'avait pas envie d'y aller. Et elle était au moment du Parkinson où la jambe gauche ne refusait d'avancer. Donc, il fallait la stimuler à chaque fois. Donc, si mauvaise volonté plus jambe gauche qui renacle, c'était un calvaire. Et la transporter jusqu'à chez son médecin, prendre le taxi, etc., etc. Arriver, remarcher. Un supplice. On arrive à l'heure. Et je découvre à ce moment-là qu'il y a six patients avant nous et dont chacun prend un quart d'heure. Et je me retrouve donc à devoir attendre pendant une heure et demie dans une salle d'attente congelée. Et quand la médecin débarque enfin, la première question qu'elle pose à ma mère c'est « Madame, avez-vous votre dossier médical ? » Mais ma mère ne savait même plus comment elle s'appelait. Elle ne savait même plus d'où elle venait. Et la médecin pose cette question. Et là, j'ai été chauffé à blanc par tant de froid. Je l'ai mal pris et j'ai proposé à la médecin de...
- Speaker #0
C'est malheureusement banal d'attendre dans des salles d'attente de médecins débordés. J'ai vécu des expériences similaires. Oui, mais attendre, je veux bien,
- Speaker #1
mais attendre, il n'y a pas de problème. Mais à ce moment-là, être accueilli d'une certaine manière, Madame, pardon pour l'attente. Peu de choses eussent suffi.
- Speaker #0
Oui, oui, oui. Le savoir nous distingue, mais l'ignorance nous réunit.
- Speaker #1
Oui. C'est où ça ? Ça, c'est dans le... Je dirais dans le philosophe de service. Exact !
- Speaker #0
Le philosophe de service en 2011.
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
Ce qui ne vous rajeunit pas.
- Speaker #1
Ce qui ne me rajeunit pas. Je ne retire pas un mot d'ailleurs de ce texte que j'avais écrit, qui était très barthésien dans son inspiration, et qui date d'une époque où je faisais le malin à la télévision.
- Speaker #0
Oui, mais attendez, cette phrase, le savoir nous distingue mais l'ignorance nous réunit, on le vérifie chaque jour. On le vérifie chaque jour. Beaucoup plus aujourd'hui qu'à l'époque. Mais bien sûr,
- Speaker #1
d'ailleurs c'est très intéressant de voir. Dans les dîners, que vous connaissez bien mon cher Frédéric, dans les dîners il y a souvent parfois quelqu'un qui dit « Moi qui n'y connais rien, je peux vous dire que... » Et c'est le moment où la personne s'apprête à enfoncer une porte ouverte. Moins on connaît un sujet, plus on en parlera, plus on en parle, et plus on balance la chose la plus banale à dire à son sujet. C'est la connaissance du sujet qui nous permet d'affiner notre opinion. Donc le savoir nous distingue et l'ignorance nous réunit.
- Speaker #0
Et l'ignorance, aujourd'hui, ce sont deux menaces. lune. à droite et l'une à gauche, disons le trumpisme d'un côté, populisme, et de l'autre le wokisme. Et vous combattez les deux avec le même acharnement ? Est-ce que c'est le même acharnement ?
- Speaker #1
Oui, c'est tout à fait le même acharnement parce que ce sont des dangers différenciés, ce sont des dangers distincts. D'un côté l'islamo-gauchisme tout simplement sous sa forme la plus élémentaire désormais, avec les masques qui tombent à mesure que le temps passe. Et de l'autre côté, une union des droites qui est en fait une absorption de la droite républicaine par l'extrême droite, qui met au pouvoir un peu partout en Europe des gens complotistes, des fous, et des illibéraux qui criminalisent l'adversité politique, qui mettent la main sur la justice ou qui mettent la main sur la presse. Donc oui, c'est très dangereux, c'est très dangereux et nous combattons les deux avec la même ardeur.
- Speaker #0
Bon, très bien.
- Speaker #1
Avec cette nuance peut-être. que la gauche n'est pas prête d'arriver au pouvoir. Alors que la droite, oui. Oui,
- Speaker #0
oui. On enchaîne avec le questionnaire de Bec Bédé, c'est moi.
- Speaker #1
Eh oui.
- Speaker #0
Pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok ?
- Speaker #1
Oh, quelle bonne question.
- Speaker #0
Vous aviez publié un livre qui s'appelait L'Esprit Artificiel. C'est vrai. C'était un peu sur...
- Speaker #1
C'était sur la notion d'esprit et puis sur l'intelligence artificielle.
- Speaker #0
Il y a de l'IA dans les algorithmes.
- Speaker #1
Mon livre est... Beaucoup moins amusant qu'un scrolling sur TikTok.
- Speaker #0
Alors pourquoi doit-on lire l'Albatros ?
- Speaker #1
Néanmoins, il contient plus de musique. Il contient plus de musique. Donc il y a plus de musique dans mon livre que sur TikTok. Je dirais ça.
- Speaker #0
Très bien. Que savez-vous faire que ne sait pas faire TchatGPT ?
- Speaker #1
De la philosophie.
- Speaker #0
Vous trouvez que, ah oui c'est vrai, c'était le propos de votre livre.
- Speaker #1
Voilà, c'est une buse en philosophie. Alors il fournit des réponses, il a tous les systèmes à portée de main, etc. Mais c'est une buse en philosophie. Il ne réfléchit pas par lui-même. Il ne pense pas, une machine ne pense pas.
- Speaker #0
Il n'a pas d'être.
- Speaker #1
Une machine ne pense pas, donc voilà. Je maintiens que le métier de prof de philo, convenablement exercé, c'est-à-dire dévoué aux élèves et avec un sens de la répartie permanent, éveille les consciences, plus qu'une IA ne pourra jamais le faire.
- Speaker #0
Espérons que vous soyez dans le vrai. Vous n'avez jamais eu peur, en écrivant votre livre, qu'il ne serve à rien ?
- Speaker #1
Non, parce que je l'ai écrit pour maintenir vivace et vivant le souvenir de ma mère, et que ceci était en soi un salaire. Par ailleurs, je n'ai pas eu peur qu'il ne serve à rien. Parce que je savais que je racontais là une expérience en laquelle beaucoup de gens pourraient se retrouver. Puisque l'expérience des maladies neurodégénératives en qualité d'aidant ou bien de souffrance soi-même, c'est quelque chose d'à peu près quasi universel. Donc je ne doutais pas que certains lecteurs s'y retrouvent, malheureusement.
- Speaker #0
Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?
- Speaker #1
Non, je pense qu'un écrivain n'a aucune obligation. Ni d'être gentil, ni d'être méchant. Qu'il n'a aucune obligation, mais qu'il a en revanche toutes les libertés. sinon ce qu'il écrit ne mérite pas une heure de peine ce qui range l'écrivain dans la catégorie des monstres nécessaires
- Speaker #0
Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'écrire ? La solitude, la pauvreté ou la folie ?
- Speaker #1
La liberté Et le paradoxe que on ne se sent jamais si libre quand on écrit que quand on a une idée en tête et que d'une certaine manière, on la recopie. Et c'est ça qui est étonnant. C'est une expérience très paradoxale de la liberté, c'est-à-dire que c'est une liberté par la soumission à une idée. Et c'est le sommet de la liberté. Ah,
- Speaker #0
quand vous écrivez, vous recopiez une idée. Parce que moi, quand j'écris, ça me fait avoir des idées. Oui,
- Speaker #1
ça peut marcher dans ce sens-là aussi. C'est dans les deux sens. Ça peut marcher dans ce sens-là aussi, mais ce que je veux dire, c'est que l'écrivain est un copiste. Il se trouve devant son texte, comme dans la position d'un copiste, d'une certaine manière. Les choses nous sont dictées, et plus elles nous sont dictées, plus on se sent libre. C'est ça que je trouve merveilleux dans l'expérience d'écrire.
- Speaker #0
Avez-vous déjà écrit en état d'ivresse ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr, très souvent.
- Speaker #0
Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ou juste une perte de temps ?
- Speaker #1
Non, ni l'un ni l'autre. C'est parfois l'occasion de choses intéressantes. J'avoue que je la lis assez peu.
- Speaker #0
Tu te souviens d'un Masque et la Plume ? qui était au théâtre de l'Opéra de Nancy, c'était quand même assez violent. C'était violent contre moi. J'étais un peu seul. C'était violent contre moi,
- Speaker #1
vous étiez un peu seul à me défendre, et vous l'avez fait vaillamment d'ailleurs, cher Frédéric, je m'en souviens, j'en garde un souvenir ému. J'en garde un souvenir ému, j'étais attaqué pour de mauvaises raisons, et par quelqu'un qui n'avait pas lu le livre et qui se piquait de ne pas l'avoir lu. Mais bon, c'est... Quand je vous dis que la critique littéraire... Non mais la critique littéraire, la critique est féroce. C'est un mal nécessaire qui produit parfois des perles et des trouvailles.
- Speaker #0
Donc ça peut être utile, je suis d'accord.
- Speaker #1
Oui, oui, oui. Et je préfère vivre dans un monde où les critiques littéraires sont libres de me cracher la gueule.
- Speaker #0
Très bonne vision des choses. Fantasmez-vous sur J.D. Salinger qui n'a jamais donné d'interview de sa vie.
- Speaker #1
Ah, c'est merveilleux ça.
- Speaker #0
Ah oui, hein.
- Speaker #1
Formidable.
- Speaker #0
Et voilà, on est là en train de parler de Peroré. Oui, oui, formidable. À quoi ça sert ?
- Speaker #1
Ah, Salinger avait le génie pour trouver des langages. Il trouvait des langues inédites, il savait parler des langages inédits. C'est un romancier prodigieux.
- Speaker #0
Un roman doit-il réparer le monde ?
- Speaker #1
Alors, je vous aurais bien volontiers dit que non, mais je suis bien obligé d'admettre que certains récits ont des vertus réparatrices. Oui,
- Speaker #0
ce n'est pas leur mission, mais ça peut, accidentellement.
- Speaker #1
Ça n'est pas leur mission, ils ont des vertus réparatrices. Ils peuvent réconcilier des êtres avec eux-mêmes ou avec d'autres. Exemple,
- Speaker #0
vous, quand vous avez lu La Recherche du Temps Perdu, ça... Ah, mais ça,
- Speaker #1
je m'en sers tous les jours. Vous savez, quand vous lisez La Recherche du Temps Perdu, vous apprenez un truc très important. Vous apprenez que, d'abord, le bonheur est infécond. Le bonheur est stérile, donc les années heureuses c'est sympa, mais c'est pas avec ça qu'on fait des bons romans. Le bonheur est un fécond, adage numéro un.
- Speaker #0
Vous voulez dire qu'il faut être malheureux pour avoir du talent ?
- Speaker #1
Si on est proustien, oui. Ça marche comme ça, ça marche au malheur. Néanmoins, dit-il, la vie est toujours plus intéressante que douloureuse. Et c'est ça qui est formidable. C'est-à-dire qu'on a toujours la ressource par l'écriture d'adopter ce pas de côté, de faire ce pas de côté sur le malheur qui nous accable. et de le trouver plus intéressant que douloureux. Et c'est là, d'ailleurs, en général, qu'on trouve quelque chose à dire. Donc il faut se respecter l'originalité de ses souffrances. Sinon, on n'écrit rien.
- Speaker #0
Quel est pour vous votre chef-d'œuvre ?
- Speaker #1
Je ne sais pas, je n'ai pas de chef-d'œuvre. Votre livre préféré de vous ? Le plus important, c'est celui que vous avez en main. C'est l'Albatros. C'est l'Albatros, oui, incontestablement. D'accord. C'est le plus touchant,
- Speaker #0
le plus personnel.
- Speaker #1
C'est le plus... Voilà. Mais... J'ai une tendresse parmi mes livres pour un livre qui a fait un four et dont je maintiens qu'il est le plus intime de tous, qui était une fable animalière politique qui s'appelait Krasnaya. Ah oui ? Et qui était une fable sur une démocratie qui pourrit sur elle-même. Un peu orwellienne, un peu ferme des animaux. Totalement orwellienne, c'était totalement ferme des animaux mais complexifiée à l'infini. J'avais inventé des langages nouveaux, j'écrivais la moitié du texte en russe, etc. Et je m'y suis livré. Mais alors vraiment, mes corps et âmes, dans l'indifférence générale, un flop, un accident industriel, l'indifférence de tous, etc. J'avoue que, alors aujourd'hui je me marre avec ça.
- Speaker #0
Il faudrait que je le reprenne parce que je dois dire que je n'ai rien compris. Mais oui,
- Speaker #1
mais c'est un très bon livre. C'est un très bon livre. Il ne méritait pas ce sort. Mais bon, c'est la vie,
- Speaker #0
c'est comme ça. Vous devriez vous réjouir. Souvenez-vous de ce que disait Oscar Wilde, je vis dans la terreur de ne pas être incompris. Oui, oui, oui. Soyez heureux d'être incompris.
- Speaker #1
J'ai été exaucé, c'est magnifique. Maintenant, je veux l'inverse.
- Speaker #0
Êtes-vous un ouin-ouin ?
- Speaker #1
Non.
- Speaker #0
Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?
- Speaker #1
Non plus, c'est plutôt de dire la vérité sans se faire avoir.
- Speaker #0
Qui est le meilleur écrivain français vivant ?
- Speaker #1
Vous voulez que je vous cite quelques noms ? Non, non, non,
- Speaker #0
c'est bon. peut-être que vous ne vous souvenez pas de cette phrase non,
- Speaker #1
je n'ai pas cette mémoire là pardon, je n'ai pas conservé un adage j'aime la phrase de Clément Rosset qu'il a écrite dans un état second d'ivresse très certainement il dit sois l'ami du présent qui passe le futur et le passé te seront donnés par surcroît Et je n'ai rien lu de mieux.
- Speaker #0
La question Farhané de 451. Si nous vivions dans un monde où les livres étaient interdits, quel livre apprendriez-vous par cœur pour le transmettre ?
- Speaker #1
À la recherche du temps perdu.
- Speaker #0
Mais attendez, 3000 pages ? Vous allez apprendre par...
- Speaker #1
La mémoire n'est pas un stock, la mémoire est un muscle. Et les plus beaux textes sur la recherche ont été écrits par des gens qui s'en sont souvenus. Le texte de Joseph Tchapsky par exemple, le colonel polonais qui est dans un camp et qui pour distraire ses camarades leur parle de Proust, il leur parle de Proust uniquement avec le souvenir qu'il en a. Dans Primo Levi, si c'est un homme, il récite du Dante et de façon fragmentaire, morcelé, quelques vers en bordel parce que c'est tout ce qu'il a dans la main. Et rien n'est plus important que d'opposer, ça c'était toute ma mère, sa petite mémoire au tsunami de l'oubli.
- Speaker #0
Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ? Ça, c'est vraiment une question un peu démagogique.
- Speaker #1
Le réel et son double de Clément Rosset m'a sauvé la vie parce que j'avais en le lisant, je faisais en le lisant, l'expérience incroyable d'y trouver consigné mes propres intuitions. Des idées à l'état latent, larvaire, gestationnel, naissant. Des idées toutes petites, minuscules, miniatures, qui soudain étaient déployées dans toutes leurs capacités sous mes yeux. Et donc j'ai fait des bonds de cabri en lisant ce texte parce que j'ai vieilli de plusieurs années en une seule lecture. Ça a été très important pour moi. Voilà, j'avais en tête, à l'état larvaire, des choses qu'il couchait sur le papier tant il en avait la maîtrise. Et donc j'ai...
- Speaker #0
Mais ça c'est à chaque fois qu'on tombe sur un... Sur un texte qui nous parle, comme on dit. Un grand chef-d'oeuvre. On passe de l'enfance à l'âge adulte.
- Speaker #1
Et donc j'ai fait cette expérience-là.
- Speaker #0
Quel est votre âge mental ?
- Speaker #1
Je ne sais pas. Ça dépend. Ça dépend. Moi, je suis le contemporain de mes souvenirs. Quand je me souviens de quelque chose, j'y suis présent. Il m'arrive d'avoir 10 ans et de terminer une phrase. Il m'arrive d'avoir 15 ans, 20 ans, 30 ans, 50 ans. Je suis rarement plus âgé que moi-même. Je n'ai pas cette mémoire-là. Je n'ai pas la nostalgie de l'avenir.
- Speaker #0
Et j'ai ajouté une nouvelle question à mon questionnaire aujourd'hui. Elles sont bien vos questions. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ou que vous écririez différemment ?
- Speaker #1
Ah, je pense que j'écrirais Le Temps Gagné différemment. Je pense que j'écrirais Le Temps Gagné différemment. Trop violent ? Oui, parce qu'il était trop violent et que la violence a un effet d'hypnose et capte le regard. Donc je pense que je l'écrirais différemment.
- Speaker #0
Peut-être que vous auriez dû le laisser reposer quelques mois. Comme de la pâte à crêpes, enfin pas quelques mois la pâte à crêpes, mais laisser reposer ce manuscrit dans un tiroir, le reprendre 6 mois plus tard. C'est vrai, c'est vrai,
- Speaker #1
la théorie de la pâte à crêpes marche bien, peut-être j'aurais dû faire ça.
- Speaker #0
Bon bah écoute, merci infiniment d'être venu passer ce moment en ma compagnie.
- Speaker #1
Je n'ai dit que la vérité.
- Speaker #0
Et je voulais terminer en faisant ça. Ça c'est de la bonne fabrication ! Merci beaucoup. Merci Frédéric. Je remercie l'équipe du Figaro Télé, notre sponsor... Osco. Osco, vous avez revenu la marque ! Mais bien sûr, inoubliable. Vous êtes meilleur que moi !
- Speaker #1
Osco Parfumserie.
- Speaker #0
et puis qu'est ce que je voulais dire d'autres j'étais toujours des choses à dire enfin l'émission pardon oui mais je ne me retrouve plus ma oui voilà alors abonnez vous s'il vous plaît en cliquant partout sur la chaîne YouTube, mais aussi en likant les trucs Instagram, TikTok et compagnie.
- Speaker #1
C'est important.
- Speaker #0
Sur Spotify aussi. Oui, parce que plus vous vous abonnez, plus vous recevez des nouvelles de nous. Et du coup, vous serez au courant des invités des semaines prochaines. Alors, je vais recevoir bientôt Marc Wetzman, par exemple. Oh, c'est bien. Oui, merveilleux. Son livre est formidable. Sur Philip Roth.
- Speaker #1
La part sauvage.
- Speaker #0
Et puis, vous avez aussi un moyen de m'écrire. c'est mon adresse conversation chez la la Pérouse à gmail.com. Elle est franchement facile à retenir. Ce n'est pas sa vraie adresse. Mais il regardera quand même. Et je réponds si j'ai envie. Et n'oubliez pas, bien sûr, lisez des livres. Sinon, vous mourrez idiot. Bonsoir.
- Speaker #1
Rien de mieux. Quoi de plus ?
- Speaker #0
On a fait combien de temps ?
- Speaker #1
Une heure pile.