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MARC WEITZMANN : "PHILIP ROTH ÉTAIT TROP SAUVAGE POUR AVOIR LE NOBEL." cover
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Conversations chez Lapérouse

MARC WEITZMANN : "PHILIP ROTH ÉTAIT TROP SAUVAGE POUR AVOIR LE NOBEL."

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53min |24/10/2025
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MARC WEITZMANN : "PHILIP ROTH ÉTAIT TROP SAUVAGE POUR AVOIR LE NOBEL."

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Description

En racontant sa rencontre avec Philip Roth, l'homme et l'œuvre, Marc Weitzmann nous parle aussi de notre génération, de l'Amérique, de la littérature et de lui-même. Dans cet essai subjectif, on voit la déliquescence de la démocratie occidentale, à travers les yeux de deux écrivains, de part et d'autre de l'Atlantique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Alors, comme chaque semaine, la conversation chez La Pérouse est sponsorisée, et cette semaine, c'est Osco, qui est un apéritif sans alcool, à base de romarin. Et donc, ça change beaucoup, parce qu'autrefois, Marc Wetzman et moi-même, nous buvions de la vodka. Mais les temps changent, nous avons vieilli. Et donc, nous avons un cocktail sans alcool. Mais c'est assez frais. C'est intéressant, voilà, et qu'est-ce que je peux vous dire de plus ? C'est à base de plantes méridionales et de verjus, le verju étant le raisin avant fermentation. C'est pour ça que ça a ce petit goût amer, doux, amer, comme la littérature. Bonsoir vous. les intellectuels qui nous regardaient, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec...

  • Speaker #1

    Marc Wetzman.

  • Speaker #0

    Pour son livre...

  • Speaker #1

    La part sauvage.

  • Speaker #0

    Publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset.

  • Speaker #0

    Vous avez été parfait Marc, merci beaucoup d'être là. C'est quoi la part sauvage ?

  • Speaker #1

    C'est quoi la part sauvage ? C'est beaucoup de choses dans le livre. C'est essentiellement ce qui bouillonne sous les apparences, pour le dire en un mot. ce qui bouillonne sous le quotidien.

  • Speaker #0

    Philippe Roth, au fond, s'il n'a qu'un message, c'est de dire que la vie est incontrôlable. Il y a cette part sauvage qui est l'imprévisible, qui peut détruire la vie d'un homme. Alors généralement, ça vient quand même de la grande histoire.

  • Speaker #1

    Ça dépend, ça peut venir de l'individu lui-même, sur un mode comique comme dans Portnoy. Ça peut venir... sur un mode moins comique, plus éruptif, comme dans le théâtre de Sabah, et puis ça peut venir effectivement de la grande histoire. La grande histoire qui prend sous la plume de Roth l'apparence de quelque chose d'incontrôlable, d'imprévisible, et c'est essentiellement le surgissement du mal, M.A.L., d'une manière ou d'une autre, à un moment donné. Conception qui partage d'ailleurs avec des gens comme Aaron Appelfeld et d'autres, on en parlera peut-être.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Donc, La part sauvage raconte votre rencontre avec Philip Roth en 1999 pour un interview à New York chez son agent, qui tourne à une vraie amitié sur une vingtaine d'années. Vous le voyez très régulièrement, vous êtes même parti vivre à New York, vous déjeuniez avec lui toutes les semaines, et vous avez raconté dans ce livre cette chance finalement que vous avez eue de devenir assez proche. Il vous appelait le French Bandit, assez proche d'un des plus grands écrivains américains du XXe et XXIe siècle. C'est marrant parce qu'il y a une tradition dans la littérature depuis toujours de la visite aux grands écrivains. Je pense à Eckerman qui va voir Goethe, à Weimar, vous savez, tous les jeunes écrivains en général ont envie de rencontrer leur idole. Mais vous, vous écrivez, vous appartenez à cette tradition.

  • Speaker #1

    De certaine façon, oui, on peut le voir comme ça. C'était surtout... Quand j'ai pensé... J'ai beaucoup réfléchi à ce livre avant de l'écrire, pendant plusieurs années, parce que j'avais l'impression de lui devoir, en quelque sorte, ce livre. Mais la question était de savoir comment le faire. Et une des choses que je ne voulais pas faire, c'était précisément un livre de souvenirs littéraires. Mes promenades dans Central Park avec Philippe Prol, ça m'endormait d'avance.

  • Speaker #0

    Il y en a un peu.

  • Speaker #1

    Il y en a un peu, mais il fallait que je trouve un récit, il fallait que je trouve quelque chose. Et il fallait que j'explique pourquoi quelqu'un de ma génération française, d'origine juive, pouvait s'intéresser à ce point à quelqu'un d'une autre génération, d'un autre continent, tel que Philippe Prott, en dehors de l'évidence du génie littéraire, je veux dire. Donc voilà, c'est le point de départ du livre. C'était une chance, et en même temps, c'est une chance d'avoir eu ce lien et cette amitié-là. C'est une chance à laquelle j'essaie de rendre hommage dans ce livre. Et en même temps, c'était quelque chose de... Comment dire ? C'est le résultat de beaucoup de refus de ma part. Ce n'est pas seulement une chance, c'est aussi le résultat d'une certaine forme de colère qui m'a conduit à partir. Oui, à partir là-bas.

  • Speaker #0

    C'est assez drôle parce qu'au début, il vous teste. Vous êtes arrivé avec plein de fiches comme moi, laborieux, besogneux. Vous avez préparé vos questions et il fait la gueule. Très vite, vous laissez tomber vos fiches et vous lancez dans la conversation. Alors, je vous dis tout de suite que ce sera raté pour moi aujourd'hui parce que... Sans mes fiches, je ne suis plus rien. Mais c'est assez marrant. Il était assez compliqué. D'abord,

  • Speaker #1

    intimidant. Il était intimidant au début, oui, bien sûr. En fait, en l'occurrence, cette histoire de fiches, c'est que le premier entretien, je connaissais ses livres depuis longtemps. Et je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il finisse par accepter une interview. Je lui avais demandé plusieurs interviews. Il avait toujours refusé. Soudainement, il dit oui. Donc, je m'étais hyper préparé parce que je savais que j'avais qu'une heure. En général, je ne fais jamais ça. Je ne prépare jamais à ce point des interviews. Ça me semble contre-productif de ne pas laisser une conversation se dérouler. Et là, pour une fois, j'y suis allé bardé avec une structure mentale très précise. et évidemment, ça n'a pas marché. Effectivement, j'ai laissé tomber les questions et à partir de là, on a commencé à discuter normalement. Et puis par la suite, on s'est mis à discuter normalement quand on a commencé à se voir régulièrement. Et en fait, il était... Il était intimidant, mais ce n'est pas seulement ça. C'est qu'il n'avait pas les... Hemingway parle du bullshit detector, le détecteur de conneries. Certains écrivains ont ça. Et la cérébralité, il y voyait une forme de bullshit. Il ne fallait pas être cérébral. C'était un mélange de... Humainement, c'était un mélange de grande sophistication littéraire et de complète spontanéité. et c'était ce mélange là dans ses livres c'est comme ça dans ses livres ça donne cette apparence mais c'était ce mélange là qui était détonnant et qui donnait l'épaisseur humaine qui le rendait extrêmement séduisant dans la relation et qui déclenchait l'affection très vite il n'était pas spécialement ce n'était pas tellement qu'il était intimidant c'était qu'on sentait une sorte de sauvagerie Merci. affleurante. Si la bêtise était une forme de trahison.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Il le vivait comme ça. Il avait peur d'être déçu par vous.

  • Speaker #1

    Voilà, la peur d'être déçu par les gens qui l'entouraient. Ça, c'était très... Il avait un côté ultra sensible. Il réagissait très vite. Et on sentait qu'il pouvait disparaître s'il se sentait trahi. Mais une fois que la confiance était établie, tout se passait bien.

  • Speaker #0

    Je me suis demandé si la part sauvage de votre livre, ce n'était pas aussi une manière d'écrire sur aujourd'hui ce que lui, qui est mort en 2018, peut-être écrirait sur le monde actuel. Comme si vous aviez envie de regarder notre époque avec les yeux du maître.

  • Speaker #1

    Oui, pour une part, c'est très vrai. La part sauvage, c'est évidemment l'époque dans laquelle on est entré. Maintenant que tout a craqué, que tout le vernis des années 90 a explosé, que n'importe quoi peut arriver. C'est effectivement ce qu'on trouve dans ces livres. En quelque sorte, ces livres sont des avertissements du fait que la stabilité, le quotidien est quelque chose de très fragile et que tout peut exploser. Et effectivement, tout a explosé. Donc c'est pour ça qu'il faut les lire, ces livres. Et je regarde l'époque depuis... On regarde toujours l'époque depuis les écrivains qui nous ont formés, d'une certaine façon. Donc, il y a lui, beaucoup dans ce livre. Il y a Don DeLillo, il y en a un ou deux autres. Mais c'est... Il y a Norman Miller. Mais effectivement, oui. J'essaye de poser sur l'époque un regard littéraire à travers les écrivains qui m'ont formé et à travers ce que j'en ai compris.

  • Speaker #0

    Mais Philippe Roff, moi, je vais plus loin que vous. Il a été une sorte de prophète. Il a vu beaucoup de choses. de notre temps. Il a pressenti. Il a pressenti des tas de choses. Alors, il se trouve que la Pléiade publie ces jours-ci un tome 3 des œuvres complètes de Roth avec quatre romans et ces quatre romans, on peut les passer en revue l'un après l'autre très rapidement, ces quatre romans annoncent le monde actuel. C'est fascinant. Alors, ça commence avec Opération Shylock en 1993 qui est un regard sur Israël et la Palestine. En gros, Philippe Roth apprend qu'il existe un autre Philippe Roth là-bas, qui serait plus ou moins un agent du Mossad.

  • Speaker #1

    Ou un escroc.

  • Speaker #0

    Ou un escroc et un mythomane, en fait un avatar qui s'appelle comme lui. Et ça donne un roman sur l'antisémitisme, ça donne un roman aussi sur le fait de ne pas vouloir être juif quand on est juif. Et ça, c'est quelque chose qu'on voit aujourd'hui qui est... absolument totalement d'actualité. Comment les Juifs sont pointés du doigt. pour des choses qui ne les concernent pas forcément. Lui, en fait, Ross, c'est l'écrivain qui avait envie de s'en foutre d'être juif au départ.

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions dans votre question. Oui, oui, bien sûr. L'opération Shylock, c'est la grande préscience d'opération Shylock. Elle est dans ce qui sous-tend l'intrigue, c'est-à-dire ses rencontres avec Aaron Appelfeld, qui était dans la vie de son ami. Et l'interview qu'il y a dans le livre est une interview réelle, qu'Appelfeld a réellement faite. et dans laquelle il dit notamment, Appelfeld étant un survivant de la Shoah, ce qui nous est arrivé ressemble à quelque chose de rationnel, il y avait des trains, des heures précises, des chambres à gaz, des trucs administratifs extrêmement concrets, mais en réalité on a affronté des forces archaïques, je ne sais toujours pas pourquoi ce qui est arrivé est arrivé. C'est une grande réflexion sur le mal et sur l'histoire. Et ça, c'est quelque chose qui, je le disais tout à l'heure, qui sous-tend absolument tous les bouquins de Roth. C'est ça la part sauvage. C'est ça la part sauvage. Et Appelfeld lui donne un reflet un peu métaphysique, comme si l'histoire était gouvernée par une sorte de démiurge. Philippe Roth fait plutôt que l'histoire est faite par les hommes, et les hommes ont une nature imprédictible.

  • Speaker #0

    Et il assiste au procès de John Demianuk.

  • Speaker #1

    John Demianuk, qui était considéré comme le bourreau de Treblinka, qui était donc en procès et qui avait été arrêté aux États-Unis comme un ouvrier métallurgique et un bon père de famille américain immigré. Et tout le roman, l'un des axes du roman, c'est est-ce qu'il est vraiment ce qu'il a l'air d'être ou est-ce que c'est un monstre ? Et ça aussi, c'est encore une voie de plus. très présents dans toute l'œuvre de Philippe Roth, comme dans Shakespeare, est-ce que les apparences sont fiables, ou est-ce que derrière les apparences rassurantes, la violence, la monstruosité n'est pas dissimulée ? Pourquoi est-ce que ça donne ce côté contemporain au livre de Roth ? C'est que le paradoxe, c'est qu'il s'intéressait beaucoup à l'histoire. Tous ses livres sont très ancrés historiquement, enfin en tout cas à ceux-là, Shylock, Passer à l'Américaine et les autres. Mais en même temps, à travers l'histoire, ce qu'il montre, c'est la permanence d'une nature humaine absolument incontrôlable, violente, ridicule, hilarante, bouleversante, ce qu'il appelle la Némésis.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Alors c'est quoi la

  • Speaker #0

    Némésis ? Némésis c'est une déesse de la mythologie grecque.

  • Speaker #1

    La Némésis c'est beaucoup de choses différentes. C'est le prix à payer pour l'hubris. L'hubris, c'est une forme d'orgueil, d'arrogance, quelque chose qui fait qu'on croit pouvoir s'affranchir de la règle commune et de la prudence commune qu'il faut faire attention dans la vie. Et la némésis, c'est la vengeance des dieux. Dans la mythologie grecque, quand l'individu oublie son humilité, il est châtié. Mais c'est aussi... Chez les Romains, c'était devenu la rumeur, la réputation. Oui, d'accord. Donc, il y a plusieurs sens possibles.

  • Speaker #0

    Non, mais ce que je veux dire, c'est... Opération Shylock, c'est quand même un des premiers romans. D'abord, c'est un des premiers romans dans la littérature où l'auteur met un personnage qui porte son nom. Ça se faisait... Plus ou moins, mais rarement. Et lui, il a carrément un héros qui s'appelle Philippe Roth, mais qui n'est pas lui. Donc c'est très compliqué. C'est une auto-fiction au vrai sens du terme. Et puis, c'est un livre sur ce problème, être juif. Pourquoi c'est si compliqué ? Pourquoi les écrivains juifs ne peuvent pas fuir ça ? Il finit même par être embauché par le Mossad dans le livre.

  • Speaker #1

    À la fin, oui, c'est un jeu avec ça. La judéité de Rhodes, c'était particulier parce qu'il était américain. Et il considérait que les juifs américains de sa génération, ceux qui venaient des familles juives de sa génération, avaient la chance d'être américains, donc d'avoir échappé au sort des juifs européens. Et il fallait profiter de cette chance. Il l'explique dans plusieurs bouquins. L'ambassadeur américain, il fait dire à ses parents, faites quelque chose de votre vie. Vous avez la chance d'avoir échappé, d'être dans le pays où tout est possible. Donnez un sens à votre vie, foncez, américanisez-vous, assimilez-vous, devenez vraiment américain. Et lui, il était entièrement là-dedans. Il pensait que contrairement à ce que pensait un certain nombre de... L'appareil de la communauté juive de sa génération, dans les années 50, la fidélité aux morts de la Shoah consistait justement à se débarrasser du deuil pour pouvoir vivre pleinement, mais en même temps... L'éducation qu'il a reçue, en même temps qu'il y avait cette injonction à faire quelque chose de sa vie, il y avait la prudence, il y avait le sentiment, il y avait ce qu'il appelle une forme d'angoisse historique qui faisait que les parents disaient attention, attention, attention, restons prudents, ça peut revenir, on ne sait jamais. Dans la vie réelle, le jeune Philippe Roth ne supportait pas du tout cette contradiction et ça a généré des conflits avec ses parents, etc. Le génie de Roth, écrivain, ça a consisté à faire de cette ambivalence tribale, en quelque sorte, une sorte de réflexion progressivement philosophique et métaphysique sur l'imprédictibilité de l'histoire. Il commence par le traiter de manière comique, et puis soudainement c'est de moins en moins comique, et puis finalement c'est de plus en plus tragique. Et ce jeu entre le comique et le tragique, on le trouve dans beaucoup de ses livres, dans beaucoup de ses chefs-d'œuvre. En particulier, le premier qui m'a fait cet effet, c'était l'écrivain Fantôme, qui est une satire, qui commence comme une satire sur trois chapitres, qui est hilarante. Et puis soudainement, on tourne une page, on arrive à l'histoire qu'invente Zuckerman, mais qui peut être réelle dans le roman, qui est qu'Anne Frank a survécu à l'Héritage et vit clandestinement aux États-Unis à moitié dingue. Et là, on est soudainement dans la pathologie lourde et dans le tragique de l'histoire. Et on y croit complètement.

  • Speaker #0

    Et tous ces livres fonctionnent un peu de cette manière-là, c'est vrai. Alors ensuite, toujours dans la Pléiade, il y a le théâtre de Sabath, publié en 1995. D'ailleurs, au passage, Philippe Roth a été extrêmement prolifique et travailleur après ses 60 ans. Ça, c'est une très bonne nouvelle pour les écrivains âgés que nous sommes. C'est qu'il y a un exemple d'un écrivain qui a été peut-être le meilleur au sommet de son art à la fin de sa vie. En tout cas, à partir de 60 ans. jusqu'à sa mort, c'est absolument incroyable jusqu'au moment où il se retire, il dit j'arrête d'écrire j'ai tout dit vous l'avez connu à ce moment là comment faisait-il ?

  • Speaker #1

    on ne sait pas, lui-même ne savait pas tous ces livres qui sont publiés, c'est incroyable il y a quelque chose qui monte quand on lit les bouquins dans l'ordre ça fait un peu l'effet que fait Dostoevsky quand on lit ses romans dans l'ordre, on sent une espèce de pression mentale monter et dans les années 70, une force, mais en même temps quelque chose qui est proche de l'explosion et à partir de la contrevie incluse, la contrevie Opération Shylock, le théâtre de Sabah, Pastoral américaine, J'ai épousé un communiste, La Tâche, tout ça c'est... C'est étonnant,

  • Speaker #0

    publier tous ces livres-là à un âge avancé où on a tendance à prendre sa retraite. Bon, ça, c'est un premier point. Mais le théâtre de Sabath, ce qu'il y a d'amusant, je m'en souviens très bien, c'est que nous n'étions pas d'accord, vous et moi, à l'époque. Moi, j'ai descendu le livre, j'ai fait un article très, très méchant parce que je ne comprenais rien à ce personnage de Mickey Sabath qui, donc, passe son temps à se masturber, est un obsédé sexuel. Ça faisait un peu roman de vieux dégoûtant. c'était un livre qui a fait un peu scandale et vous vous l'aviez adoré, vous l'aviez défendu à mort dans les arts occultifs, j'en souviens on était en total désaccord et là donc je l'ai relu et je change d'avis complètement parce qu'évidemment aujourd'hui de lire un livre comme ça qui est très libre, très provoque très romantique aussi Sabath se masturbe sur la tombe de sa maîtresse morte c'est une scène inouïe c'est une scène d'une beauté inouïe et alors quand en plus on vit dans un monde aujourd'hui très puritain un monde post-metoo où ce genre de comportement de prédateur lubrique est absolument interdit c'est un défouloir total de lire le théâtre de Sabaf et en plus dans la Pléiade collection prestigieuse mais c'est absolument franchement avec une

  • Speaker #1

    traduction revue génialement ils ont fait un travail qu'il faut saluer parce que c'est vraiment intéressant on pense que c'est sérieux

  • Speaker #0

    Mais franchement, le théâtre de sa base, je vous le recommande comme un délire rablaisien.

  • Speaker #1

    En même temps, c'est un délire, c'est drôle, c'est brutal, c'est noir, c'est quand même historique. C'est une histoire d'un type qui s'interroge pendant plusieurs jours sur la question de savoir s'il va se suicider ou pas, et qui décide de ne pas le faire parce qu'il y a dans ce monde tout ce qu'il déteste, tout ce qu'il haïssait. C'est la dernière phrase du livre. Donc c'est un livre là-dessus. Effectivement, il y a beaucoup de sexe. Soit dit en passant, les scènes de sexe en particulier, il y a une scène de masturbation au téléphone qui est absolument invraisemblable parce que ça ne devrait pas passer à l'écrit. Et on ne sait pas comment il fait,

  • Speaker #0

    mais ça passe. Cela dit, c'est le spécialiste des romans sur la masturbation parce que dans Portnoy, son premier roman... Oui. Il y avait déjà une branlette dans un rôti. Oui, oui. C'est conservé ensuite à toute la famille.

  • Speaker #1

    Mais ça, c'est beaucoup plus fort parce que c'est une scène de masturbation commune. Donc, il y a tout un dialogue, ce qu'il n'y a pas dans Portnoy. Et c'est en bas de page en plus. C'est ce qui est un coup de génie d'avoir mis en bas de page. En autre, en bas de page, sur plusieurs pages. Bref, c'est un très grand roman. Et effectivement, il y a deux fois cette scène qui vient à la fin du premier chapitre et à la fin du livre, où le personnage principal, Maggie Sabas, va se masturber sur la tombe de sa maîtresse. C'est entre autres choses une très belle histoire d'amour qu'il a racontée. Et avec un drapeau américain sur les épaules et une kippa sur la tête. Et il attend la police. Et il attend la police. C'est un livre qui a commencé à poser des problèmes sérieux après sa sortie.

  • Speaker #0

    Il a fait scandale.

  • Speaker #1

    Qui a fait scandale. Et scandale redoublé parce qu'il est sorti à peu près au moment où sa seconde femme a publié ses mémoires.

  • Speaker #0

    Qui s'appelait Claire Bloom.

  • Speaker #1

    Qui s'appelait Claire Bloom. Dans lequel il y a un portrait de Roth. Et que la presse et même tout l'establishment littéraire a pris pour argent comptant. A l'exception de deux journalistes femmes qui ont bien lu le bouquin de Claire Bloom et qui se sont méfiées d'elle. Et tous les autres ont pris ce portrait pour argent comptant et l'ont plaqué sur... le portrait de Maggie Sabas dans le théâtre de Sabah pour dessiner de Philippe Prott un mélange. du vrai Philippe Roth, un mélange de Maggie Savas, misogyne et obsédé. Voilà, et à partir de là, ça a posé des problèmes. Il est devenu obsédé, misogyne, misanthrope, brutal. Ce que dans la vraie vie, il faut dire aussi, il n'était pas du tout, d'une part, et c'était quelqu'un d'extraordinairement généreux, ce qu'on dit peu, avec les hommes comme avec les femmes. Il a aidé beaucoup de monde. littérairement aussi. C'était quelqu'un qui, quand il pensait que les gens valaient la peine, quand il pensait que les gens étaient vraiment investis dans ce qu'il faisait, pouvait se montrer d'une très grande générosité, d'une très grande compréhension. Il avait un don pour l'écoute et pour l'intuition et pour le rapport à l'autre assez rare. Moi, j'ai rarement vu ça à ce point.

  • Speaker #0

    Oui, il vous a aidé, il vous a trouvé, par exemple, une place dans un atelier d'écriture. Oui, oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Et il m'a aidé, il est à l'origine de mon précédent livre, Un temps pour haïr, que j'ai écrit d'abord en anglais, à sa suggestion, parce que c'était une série de reportages que j'avais fait dans la presse américaine sur l'antisémitisme en France, mais je ne pensais pas du tout en faire un livre. C'est lui qui a eu l'idée, qui m'a dit qu'il fallait que j'en fasse un livre, qui m'a présenté son éditeur américain, son agent américain, et ça s'est fait comme ça.

  • Speaker #0

    Non, non, mais... Bon, le sexe est un des grands sujets de Love the Roth, c'est présent parce qu'il s'est libéré, parce qu'en fait c'est une période aussi, la publication du complexe de Portnoy c'est quelle année ? 69 ?

  • Speaker #1

    68 même. Oui 68,

  • Speaker #0

    donc c'est la période de libération sexuelle.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement, c'est que la question de Roth c'est qu'est-ce qu'on fait de ce qu'on est, quoi qu'on soit, en l'occurrence dans son cas, américain d'origine juive, homme. Donc c'est quoi les déterminants, c'est quoi qui vous empêche d'être libre ? C'est tout ce que vous êtes en fait. La question de Rhodes c'est la liberté, mais comment est-ce qu'on s'affranchit de ce qu'on est sans le nier ? C'est ça la question. Donc tous ces bouquins sont des réflexions sur ce que c'est qu'être un Américain, ce que c'est qu'être quelqu'un d'origine juive. Ils ne se revendiquaient pas comme juifs au sens religieux du terme, mais historiquement bien sûr. Il était juif. Culturellement, son éducation à Newark. Il ne parle pas de son éducation. Et enfin, qu'est-ce que c'est qu'être un homme, avec tout ce que ça suppose de discutable, voire de franchement nul. Voilà, c'est ça.

  • Speaker #0

    Alors, le livre suivant, encore plus prophétique, c'est Le complot contre l'Amérique, qui est le troisième livre dans cette édition de La Pléiade. C'est en 2004, où là, carrément, il décrit un fascisme américain. puisqu'on est en 1940, il imagine que Charles Lindbergh gagne l'élection présidentielle, Charles Lindbergh était pro-nazi, et quand on pense aujourd'hui, à l'époque on s'est demandé, mais pourquoi, qu'est-ce qui lui prend, pourquoi est-ce qu'il écrit ce livre, et en fait il est visionnaire, je ne dis pas que les nazis soient au pouvoir aujourd'hui en Amérique, mais enfin nous avons Donald Trump qui est un... Voilà, un mouvement un peu hybride entre le complotisme, le conservatisme, le suprémacisme. Et il a eu cette intuition.

  • Speaker #1

    C'est le complot contre l'Amérique, c'est un livre qui n'a pas du tout été compris en France. En revanche, aux États-Unis, quand il est sorti en 2004, ça a été un succès. Avant même sa sortie, il y avait des précommandes chez Amazon qui étaient démentes. Le bouquin était quasiment un best-seller. Tout le monde l'a vu à l'époque comme une dénonciation. du gouvernement Bush, que ça n'était pas du tout. Et moi, quand il m'a donné le premier manuscrit qu'il me donnait à lire, je l'ai lu dans l'avion comme un écho à ce que j'avais l'impression de vivre en France. C'est-à-dire que tout le monde a plaqué ce qu'il voulait sur ce bouquin.

  • Speaker #0

    Et peut-être que moi, quand je plaque Trump là-dessus, c'est une autre erreur.

  • Speaker #1

    C'est ce que j'allais dire. C'est en partie seulement une erreur. C'est-à-dire que ce livre est bizarre parce qu'il a été lu comme ça par la presse américaine. Une histoire américaine authentique. à travers un présupposé de fiction invraisemblable. La dernière interview que j'ai faite de lui, d'Europe, en 2018, Trump était élu, et on a parlé de Lindbergh. Et il m'a dit, quoi qu'on pense de Lindbergh, c'était un véritable héros américain. Il avait traversé l'Atlantique en solitaire, tout le monde l'idolâtrait, etc. Trump, c'est un voyou, c'est un escroc, c'est un minable. Bref, il ne tarissait pas de critiques sur Trump. En fait... L'intelligence de Roth dans le livre, c'est d'avoir fait de Lindbergh un président qui n'est pas un fasciste, mais qui signe avec Hitler un pacte de non-agression, ce qui est très différent. C'est-à-dire qu'il avait dans la vie réelle, Lindbergh avait des sympathies pour le nazisme et il était gentiment antisémite. Mais ce que Roth invente, c'est un pacte de non-agression avec Hitler, un peu comme Trump pourrait signer un pacte de non-agression avec Poutine, par exemple. Disons isolationniste. Exactement. Il fait deux choses. C'est un gouvernement isolationniste qui invente, comme dans la réalité, le slogan « America first » , qui a été repris dans la réalité par Trump. Et il fait une autre chose. Comme les Juifs sont considérés comme les fauteurs de guerre, ça aussi, ça correspond à la réalité historique. c'est en 40. et entre 1940 et 1942, avant que Roosevelt décide à entrer en guerre, Les juifs sont considérés comme le lobby qui cherche à pousser les Américains dans la guerre. Et donc non américains, parce que l'Amérique se tient à distance du chaos et de la décadence européenne. Et ce que fait donc Lindbergh dans le roman d'Horoth, c'est de mettre en place une politique d'assimilation des juifs. On va démanteler les communautés juives de Newark et d'ailleurs, on va les embarquer dans le Kentucky, je ne sais pas, dans le sud, pour qu'ils deviennent de vrais américains. Et ces deux éléments... Pacte de non-agression d'un côté et assimilation disséminée au fin fond du Midwest de l'autre va suffire à créer chez les Juifs un sentiment d'angoisse historique et ça va partir en vrille à partir de là. Chacun va réagir comme il veut. Et donc l'intelligence de Roth, en fait, ce qu'il fait, c'est qu'à travers sa propre famille qu'il met en scène dans cette fiction, il étudie les mécanismes de la peur à l'œuvre dans la communauté juive à partir d'éléments qui sont un peu comme aujourd'hui avec Trump, effectivement. C'est-à-dire qu'on voit Trump. Mais ce qui est intéressant dans ce qui se passe aujourd'hui, c'est que le gouvernement Trump, quoi qu'on en pense, pour l'instant, n'est pas un gouvernement fasciste. Mais il éveille chez les gens un sentiment de peur qui fait qu'on se met à dire beaucoup de choses, tout et son contraire à son sujet. Et pour le coup, c'est une des choses qu'il a sentie.

  • Speaker #0

    C'est très curieux parce que... Roth venait de publier La Tâche. La Tâche n'est pas dans ce volume-là, mais c'est un livre très important sur la cancel culture. C'est le premier grand roman du politiquement correct, avec ce personnage de prof qui est cancelé, qui est annulé, qui perd son travail pour avoir dit un mot à double sens. Bref, il faut lire le livre. Mais ça, c'est en l'an 2000. Et quatre ans après, le complot contre l'Amérique, c'est comme s'il avait senti deux mouvements, le wokisme, Et le trumpisme. Deux mouvements qui sont aujourd'hui les deux dangers qui nous menacent, nous, occidentaux.

  • Speaker #1

    Qui vont plus que nous menacer. Qui sont en train de détruire la fabrique de la démocratie libérale occidentale. Oui,

  • Speaker #0

    c'est le seul écrivain qui ait vu venir ces deux mouvements.

  • Speaker #1

    De manière aussi précise, oui. Moi, j'ai posé la question un jour. Je lui ai dit, mais c'est quand même bizarre. vous êtes Vous avez grandi dans une... Vous avez eu une enfance très stable. Vous avez été élevé par des parents aimants. Il ne vous est arrivé aucune tragédie historique particulière. Et vous mettez en scène systématiquement, dans vos dernières, en particulier, un chaos historique invraisemblable. Pourquoi ? Et je vais dire, est-ce que ce n'est pas l'influence des écrivains d'Europe et des brebis de l'Est en particulier qui vous nourrit ? puisqu'il en a connu beaucoup. Il a été ami à Kundera, il a été ami avec beaucoup d'écrivains tchèques. Et il m'a dit, peut-être, il reconnaissait l'influence de la littérature européenne, et il m'a dit aussi, en fait, j'ai une très forte conscience, je paraphrase, du privilège que j'ai d'être américain. L'Amérique, pour moi, c'est formidable, mais je... Je fais l'éloge de l'Amérique par implication, c'est-à-dire en creusant tout ce qui pourrait arriver, en creusant sa fragilité, tout ce qui pourrait arriver. Et effectivement, c'est arrivé.

  • Speaker #0

    C'est arrivé. L'Amérique était fragile. Il avait raison. Alors, il y a le quatrième roman du volume qui existe, Le Fantôme, c'était en 2007. Bon, là, c'est plus. C'est le dernier Zuckerman,

  • Speaker #1

    c'est un livre sur la vieillesse. C'est une sorte de point d'orgue, c'est moins fort que les autres romans et surtout moins fort que la série des Zuckerman, mais c'est très intéressant quand même parce que là aussi c'est un livre de deuil, c'est le livre de deuil d'un New York qui est en train de disparaître. Moi c'est comme ça que je l'ai lu en tout cas.

  • Speaker #0

    Alors, il y aura un tome 4 de la Pléiade avec Pastoral américaine, J'ai été un communiste et La Tâche qui sont la trilogie. Mais quand on regarde tout ça, on se demande pourquoi il n'a pas obtenu le Nobel. Alors, est-ce qu'il était trop incorrect ? Est-ce qu'il était trop sexuel ? Est-ce qu'il était trop provocateur ?

  • Speaker #1

    C'est la phrase que je cite de la romancière irlandaise Edna O'Brien pour son 80e anniversaire. très grande romancière d'ailleurs, soit dit, soit dit, elle dit quelque chose comme... Il est assis à la première table de l'establishment littéraire, mais il n'en fait pas partie. Trop provoquant, trop précis, trop... Je ne sais plus quelle est la phrase, mais peut-être que... Si je peux la chercher, je vais essayer de la retrouver. Mais je pense que c'est ça, je pense qu'il y avait quelque chose qui... Voilà. Il siégeait à la première table de l'establishment littéraire, mais n'en faisait pas partie. Trop sauvage, trop esthétiquement acéré, trop honnête. Je pense que ça répond à la question du Nobel.

  • Speaker #0

    Le Nobel n'a pas couronné beaucoup d'écrivains insolents. Peut-être l'italien, Dario Faux. Dario Faux, c'est le seul.

  • Speaker #1

    Je le considérais comme un écrivain. comme un écrivain alors

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il rendait tout le monde plus intelligent, même vous. C'est vrai que c'est aussi ça la qualité d'un grand romancier, finalement. C'est de nous rendre un peu meilleurs que nous ne sommes. Mais est-ce que vous pensez... Alors ça, c'est la question tabou. Attention. Est-ce que vous pensez que c'est un libertaire de gauche qui est devenu un réacte de droite, un peu comme nous tous ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. Alors, je ne pense ni l'un ni l'autre. Je ne pense pas que nous tous, qui ont des libertaires de gauche... Vous ne considérez pas que vous,

  • Speaker #0

    vous étiez de gauche et que vous êtes devenu de droite ?

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions. Moi, je ne me suis jamais considéré vraiment comme de gauche, d'une part. J'ai baigné dans un milieu de gauche, parce que dans les milieux culturels, on se retrouve dans les milieux de gauche. Je n'ai jamais de ma vie milité nulle part. Dieu m'en préserve. Et je ne me considère pas comme quelqu'un de droite aujourd'hui, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que je pense que ces termes, s'ils ont eu un sens à un moment donné, ils n'en ont vraiment plus du tout. Je rappelle que les deux personnalités...

  • Speaker #0

    Progressiste devenu conservateur.

  • Speaker #1

    Non, mais oui. Je vais répondre sur Roth, c'est plus intéressant que moi. Mais je pense que Roth n'est jamais devenu conservateur. Alors, politiquement, sûrement pas. Il s'inscrivait vraiment dans la tradition démocrate américaine, par certains aspects la moins intéressante d'ailleurs, de mon point de vue. Mais d'autre part, dans ses livres, ce qui est plus intéressant, un livre comme Pastoral américaine, par exemple, qui a été lu effectivement comme une critique des années 60 et un livre conservateur, à mon avis, ne l'est pas du tout. C'est une réflexion sur le chaos américain, à travers ce qu'il montre. Du chaos des années 60, là aussi, c'est un livre qui a commencé dans les années 70. Il montre l'émergence d'une forme de pathologie nihiliste américaine.

  • Speaker #0

    Je résume l'histoire. C'est l'homme parfait, l'américain parfait, qui a une fille qui est terroriste. Et il ne comprend pas. Sa fille est engagée contre la guerre du Vietnam. militante vraiment, qu'on pourrait dire aujourd'hui, d'ultra-gauche. Et c'est vrai que c'est aussi un des premiers livres sur le wokisme, d'une certaine façon, sur l'incompréhension entre les générations.

  • Speaker #1

    Oui, sur l'aspect le plus sociopathe du wokisme. Mais comme on voyait des figures comme ça émerger à l'époque, comme Valérie Solanas, comme d'autres, comme Lierre Véosvald, évidemment, comme Jean-Claude Son. Action directe en France. Voilà. Mais avec un élément plus franchement cinglé aux États-Unis. Le livre, il a commencé à l'écrire dans les années 70. Et d'après ce qu'il m'a raconté, il a cessé de l'écrire pour la bonne raison qu'il était d'accord avec la fille. Donc, il n'y avait pas de tension. Et il l'a repris dans les années 90, quand il a commencé à comprendre que le point de vue intéressant était celui du père. Parce que ça créait... à nouveau cette réflexion sur l'histoire, quelque chose d'incompréhensible vient heurter la vie de ce type.

  • Speaker #0

    Elle a grandi dans une bourgeoisie moyenne, parfaite, dans une banlieue à Newark.

  • Speaker #1

    Mais étant Roth, prend bien soin de présenter son héros dans le premier chapitre, qui à mon avis est un trou de force littéraire, qui faisait vraiment la leçon de Flaubert retenue, dans une sorte de confrontation avec le narrateur. et le narrateur découvre ce héros qui va être le héros du livre pendant 400 pages et il découvre un monument d'ennui. C'est-à-dire que le type, effectivement, va se heurter au chaos du monde, mais à travers son incompréhension et son incompréhension, c'est celle d'un type tout à fait ordinaire qui est d'un ennui profond. Et ça, c'est cette tension-là. Donc, il n'y a pas de... Tout ça pour dire qu'il n'y a pas de repli conservateur. Il n'y a pas une seconde dans Pasteur l'Américaine, il dit... Il laisse entendre que les épressantes c'était... Le début de la décadence, c'était affreux. Il faut tenir à l'ordre.

  • Speaker #0

    Ce qui est bien chez lui, c'est qu'il nous prend pour intelligents et ça ne pointe pas les gentils et les méchants. C'est toujours pour compliquer l'histoire. C'est ça qui est bien. Alors, on passe au jeu devine tes citations. Marc Wetzman, je vais vous lire des citations qui sont peut-être de vous et peut-être de Philip Roth. Et vous devez me dire, ça c'est moi ou c'est l'autre. Et il y a un piège. Tout de suite. C'est à propos du 11 septembre 2001. Le prodige de l'exploit émerveillait. Quelque chose se payait.

  • Speaker #1

    Ça c'est ni de lui ni de moi, c'est de Annie Ernaux.

  • Speaker #0

    Exactement, Annie Ernaux a écrit, je découvre ça dans votre livre.

  • Speaker #1

    Dans nos années.

  • Speaker #0

    Dans les années 2008, oui. Le prodige de l'exploit émerveillait, quelque chose se payait. Ça, il faut le faire, d'écrire ça. Autre phrase. Les pièges les plus parfaits ne sont-ils pas toujours ceux que l'on se tend à soi-même ?

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    C'est vous dans... La part sauvage. La part sauvage. Alors je ne peux pas ne pas vous demander à propos de pièges qu'on se tend à soi-même. Qu'est-ce qui s'est passé à France Culture ? Vous animiez une émission, signe des temps, depuis 2018, depuis la mort de Philippe Roth, vous aviez une émission, vous étiez rentré en France et elle a été supprimée cette année. Qu'est-ce que vous avez fait de mal pour être puni ?

  • Speaker #1

    Ce qui s'est passé, comment dire, je ne veux pas trop développer parce que je suis en procédure avec eux de toute façon, mais ce qui s'est passé, c'est que pour me limiter à ce que... que la direction m'a dit, ils trouvaient l'émission confuse, c'est-à-dire plus ou moins incompréhensible. Comme la mienne ! Voilà.

  • Speaker #0

    C'est parce que la vie est confuse.

  • Speaker #1

    Par ailleurs, ils ont écrit, enfin ils ont publié des communiqués expliquant qu'il n'y avait aucune audience, que c'était nul, que bref, c'était catastrophique. La réalité, c'est qu'il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas entre eux et moi. Voilà. Bon, je ne peux pas tellement développer. Oui, non, non,

  • Speaker #0

    mais c'est ce qui arrive. Moi, mon émission, elle a été supprimée par Radio Classique, et puis je l'ai continuée quand même.

  • Speaker #1

    Ils ont considéré que quelque chose ne fonctionnait pas entre eux et moi, parce que je ne m'inscrivais pas suffisamment dans le...

  • Speaker #0

    Dans la ligne éditoriale.

  • Speaker #1

    Dans la ligne éditoriale, oui, puisqu'ils ont parlé de ligne éditoriale.

  • Speaker #0

    De toute façon, vous pouvez, vous savez, avec les nouvelles technologies, vous pouvez continuer votre émission si vous en avez envie. Eh bien, on verra ça, on va voir ça. Voilà, peut-être. Autre phrase de vous, non, pas de vous, enfin, je ne sais pas, est-ce que c'est de vous ou pas de vous ? Tu crois que tu sais ce qu'est un homme ? Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme.

  • Speaker #1

    Ça, c'est Roth, c'est dans Pastoral American, c'est le frère du personnage principal qui lui parle. Il est fort,

  • Speaker #0

    il est très fort, il est très fort. Et au fond, c'est ça le sujet de tous ses livres. Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme. Un de ses derniers livres s'intitule « Everyman » , qui était traduit « un homme » en français. C'était intraduisible, « everyman » . Non,

  • Speaker #1

    parce qu'en plus, ça fait référence à « everyman » , ça fait référence à des pièces du Moyen-Âge en Angleterre, où c'était une sorte de fable où l'homme était confronté à la mort.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi l'idée que... Parce qu'il y a une autre phrase dans « Pastoral américaine » , il dit « l'homme n'est pas fait pour la tragédie » . C'est ça la tragédie de tout homme. C'est qu'il n'est pas fait pour la tragédie. En gros, il expliquait que l'homme est détruit, défait par quoi ? Par l'histoire, par la vie, par la mort ?

  • Speaker #1

    Par quelque chose qui se produit soit en lui, soit à l'extérieur de lui, mais il y a toujours quelque chose à un moment donné qui vient frapper et qui vient détruire. Alors, son intérêt, c'était... de mettre en scène des hommes forts qui se sont construits une vie indépendante et qui se sont battus pour se réaliser et quand ils y arrivent, quand tout est gagné soudainement quelque chose se passe qui va les détruire mais ça c'est normal il faut l'accepter toute la discussion qu'on avait et que je mets en scène dans le livre c'est la question de savoir dans quelle mesure on est responsable ou pas de ce qui nous arrive oui c'est ça ça dépend et c'est... Et bon, il n'y a pas vraiment de réponse à cette question, évidemment, mais... Et à la fin, au moment de Némésis, je crois, je lui ai posé la question de... Parce qu'il y a quelque... La seule occurrence, la seule fois où il parle religion, c'est dans Némésis, c'est dans son dernier livre, et il parle d'égnostique, c'est-à-dire de cette... aux religions contemporaines de Jésus selon laquelle le monde avait été créé par un démiurge mauvais. Le vrai Dieu était exilé hors du monde et le monde était créé et dirigé par une espèce de monstre. Et c'est ce que croit le personnage principal de Némésis. Et je lui ai demandé dans quelle mesure il y avait quelque chose comme ça chez lui parce que Il me semble qu'il y a quelque chose comme ça dans la culture américaine. Il y a cette idée que...

  • Speaker #0

    Le pays s'est construit sur un massacre et un esclavage.

  • Speaker #1

    Et alors il m'a répondu, si j'étais religieux, je croirais quelque chose comme ça. Mais je ne suis pas religieux, donc pas du tout.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Qui a écrit ça ? Vous ou lui ? Une bande d'individus qui ont un penchant pour la provocation canaille, l'improvisation satirique, l'imposture impétueuse, l'irrévérence railleuse, le monologue démesuré, la réalité corporelle vociférante, le faux délire. Et ça, c'est une définition de l'homme.

  • Speaker #1

    C'est lui. C'est une définition de ses personnages, en fait.

  • Speaker #0

    Sur ses héros, il écrit ça, oui, tout à fait. J'avais récusé ma famille à 20 ans et à 40, démissionné des positions sociales acquises entre-temps. Et j'avais voyagé.

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    Ça, c'est vous dans La part sauvage. Mais ça ressemble un peu à du Philip Roth. Parce qu'avec sa famille, son milieu, sa judéité, ses ex-épouses,

  • Speaker #1

    il y avait des points communs. Sinon, on n'aurait pas été amis, je suppose. Il avait un goût certain pour les personnages, dans la vie, je veux dire, pour les gens en rupture de banc. Et c'était mon cas à l'époque, et pour les gens qui sont en conflit avec leur père, ce qui était mon cas aussi.

  • Speaker #0

    Vous faites plusieurs fois allusion, dans le livre, à une idée folle, mais qui me plaît beaucoup. Cette idée, c'est que l'extermination des Juifs d'Europe expliquerait notre nullité actuelle. Et qu'au fond, on ne peut pas tuer 6 millions de gens.

  • Speaker #1

    C'est pas le nombre, c'est que...

  • Speaker #0

    Sans qu'il y ait une conséquence sur le présent.

  • Speaker #1

    Il y a deux choses. D'abord, je pense qu'effectivement, au-delà ou à côté de la question des Juifs, un continent qui s'est suicidé collectivement pendant un demi-siècle, entre 14 et 45, parce que c'est en fait la même histoire, on ne se réunit pas d'un suicide. C'est aussi simple que ça. On a cru que oui, parce que... la consommation les années 60. Quand on était sous le parapluie américain, on avait l'air de vivre normalement. En réalité, la fin de la guerre froide, c'est la fin du dégel du cadavre, tout simplement. Et on se rend compte à quel point il est pourri. C'est ça ce qui se passe en Europe, à mon avis. D'autre part, pour ce qui est des Juifs, ma thèse c'est que, et ce n'est pas seulement la mienne, d'ailleurs c'est celle de Georges Steiner aussi et de quelques autres, les Juifs en Occident, et pas seulement en Occident, mais surtout en Occident, et Ils apportent une espèce d'énergie urbaine, culturelle. C'est pas tellement qu'ils peuvent inventer, mais surtout, ils poussent l'énergie à son paroxysme. Quand vous regardez les grands centres culturels de l'histoire occidentale, l'Espagne de l'âge d'or, la Vienne du XIXe siècle, New York dans la deuxième moitié du XXe siècle, L'élément juif et l'élément homosexuel, d'ailleurs, sont les ressorts des centres culturels occidentaux. Je n'arrive pas à le dire autrement. Non,

  • Speaker #0

    mais je le pense, moi, en tant que Goy, je pense que les écrivains juifs, par exemple, ils ont quelque chose de plus intelligent que nous, qui est lié à cette histoire. horrible.

  • Speaker #1

    Évidemment,

  • Speaker #0

    quand on est obligé d'être un peu plus parano que les autres.

  • Speaker #1

    Les juifs sont bons sous la pression. Il y a une sorte de truc comme ça. Il y a quelque chose qui fait que... En Israël, quand j'étais en Israël en 2000, au moment où le processus de paix a explosé, jusque-là, pendant toutes les années 90, on pensait que c'était réglé, on allait vers la paix au Moyen-Orient, et d'ailleurs vers la paix dans le monde entier. Et quand ça a explosé, quand les... Quand les attentats suicides ont commencé à se produire, tout le monde avait quelque chose à dire. Il y avait 15 idées par jour, toutes intelligentes, toutes intéressantes. Évidemment, c'est le problème, toutes inutiles.

  • Speaker #0

    En conclusion, on va faire le questionnaire quand même. Mon questionnaire de Big BD est très important. Sur la vie amoureuse de Roth, c'est plutôt un désastre, la vie amoureuse. à un moment vous le voyez il note le téléphone d'une serveuse c'est un peu triste plusieurs oui on a parlé du livre de sa deuxième femme qui était terrible peut-on être un grand romancier et heureux en amour

  • Speaker #1

    Ça, je n'en sais rien, il y en a. Il y en a. Je ne sais pas s'il était parce qu'il était grand romancier. Je pense que c'est tout simplement parce qu'il avait un goût catastrophique pour ses partenaires. Il n'est pas le seul comme ça. Il y a plein d'hommes et de femmes qui ont des goûts catastrophiques.

  • Speaker #0

    Qui ne sont pas attirés vers la bonté. Voilà. Je voulais montrer ceci parce que c'est un livre que vous avez publié il y a 20 ans. 28 raisons de se faire détester, et peut-être c'est ça le point commun entre Philippe Roth et vous et moi, c'est de penser que c'est pas mal de créer de l'urticaire chez son lecteur, je ne sais pas. Pourquoi vous aviez choisi ce titre ?

  • Speaker #1

    Parce qu'à l'époque j'étais aux Inoccupables, et donc c'est un recueil d'articles que j'ai publiés dans les Inoccupables, et j'avais une image détestable. Les quelques amis que j'avais me disaient que j'étais détesté par tout le monde.

  • Speaker #0

    donc pourquoi pas vous poussez le jeu jusqu'au bout c'est une grande qualité au contraire alors le questionnaire le célèbre questionnaire de Bec BD tout ce qui restera de moi pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok

  • Speaker #1

    C'est une question très importante. Parce que... Je ne sais pas comment répondre à cette question. Parce qu'il perdra moins de temps. Ce livre-là en particulier, parce que c'est un livre où il est beaucoup question de colère et je pense qu'il y a beaucoup de colère qui traîne. Donc je pense que ça peut échoer des choses.

  • Speaker #0

    Puis, je pense que c'est quand même un peu plus intelligent que TikTok. Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #1

    Écrire un livre comme ça.

  • Speaker #0

    Oui. Vous n'avez jamais eu peur en l'écrivant que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #1

    Non, parce que je pense qu'aucun livre ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Oui. Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Non. Ni méchant d'ailleurs, je veux dire, c'est pas le sujet.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'écrire ? La pauvreté, la folie ou la solitude ?

  • Speaker #1

    La solitude.

  • Speaker #0

    Avez-vous déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ou juste une perte de temps ?

  • Speaker #1

    Il faudrait qu'il y en ait une.

  • Speaker #0

    C'est un livre de critique littéraire, là.

  • Speaker #1

    Ah bon, pardon. Non, mais c'est un livre... Je ne te conseille pas du tout comme ça, moi, mais...

  • Speaker #0

    C'est un livre sur la littérature.

  • Speaker #1

    Oui, la critique littéraire qui est de la littérature, elle fait partie de la littérature, voilà. La critique littéraire en tant que telle, je ne suis pas sûr de savoir à quoi ça correspond.

  • Speaker #0

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné une interview de sa vie.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un roman doit-il réparer le monde ? On entend beaucoup ça.

  • Speaker #1

    Non, certainement pas.

  • Speaker #0

    Quel est votre chef-d'œuvre ?

  • Speaker #1

    Quel est mon chef-d'œuvre ? À moi, personnellement ? Oui, à vous, oui. Quand on publie un livre, on pense toujours que c'est le dernier qu'on vient de publier qui est le meilleur. Donc, voilà, par sauvage, oui.

  • Speaker #0

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    Un quoi ?

  • Speaker #0

    Un ouin-ouin, vous ne connaissez pas cette expression ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Les écrivains, notamment de sexe masculin, qui se lamentent sur leurs conditions, sur leur virilité perdue. Ah, non, pas du tout. Ils féminisent les traites de ouin-ouin.

  • Speaker #1

    Ah non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #1

    Non, oui, il serait plutôt de dire la vérité sans se faire prendre.

  • Speaker #0

    Quel est le meilleur écrivain français vivant ? Je passe mon tour. Le seul qui a répondu « moi » , c'est Régis Geoffray. Il a eu du mal, mais il a fini par le faire. Si vous étiez très riche, cesseriez-vous d'écrire ? Non. La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #1

    Je suis incapable de vous dire parce que je ne connais pas mes phrases par cœur.

  • Speaker #0

    Avez-vous menti durant cette conversation ? Non. La question Fahrenheit 451. Alors, imaginez un monde où les livres sont interdits. Lequel apprendriez-vous par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #1

    Alors là... Peut-être une pièce de Shakespeare.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'au moins, ça c'est riche. C'est-à-dire que c'est dense. On ne peut pas s'ennuyer en apprenant par cœur. Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #1

    Sauver la vie physiquement, non, mais certainement que les livres de Roth, entre autres, m'ont vraiment aidé à vivre avec un ou deux autres auteurs.

  • Speaker #0

    Et enfin ? Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #1

    J'en ai vraiment aucune idée. Quelque part entre 7 et 77 ans.

  • Speaker #0

    Il y a une dernière question qu'on a ajoutée. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Ou que vous écririez différemment aujourd'hui ? Peut-être vos premiers romans ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas que je les écrirais. Je reprendrais peut-être des trucs à la marche, des phrases mal foutues, peut-être. Mais je ne crois pas que je... Celui que j'aurais écrit le plus, c'est probablement Mariage Mixte. Mais non...

  • Speaker #0

    Mariage Mixte avait eu un procès.

  • Speaker #1

    Oui, il y avait eu un procès, mais ce n'est pas pour ça que je l'aurais écrit.

  • Speaker #0

    Eh bien, merci infiniment Marc Wetzman.

  • Speaker #1

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Je vous ordonne de lire la part sauvage de Marc Wetzman aux éditions Grasset. N'hésitez pas à commenter les vidéos, à polémiquer, à m'insulter. C'est la vie, c'est vivant. Et n'oubliez pas, la littérature est à l'esprit ce que le sport est au corps. Bonsoir. Merci.

Description

En racontant sa rencontre avec Philip Roth, l'homme et l'œuvre, Marc Weitzmann nous parle aussi de notre génération, de l'Amérique, de la littérature et de lui-même. Dans cet essai subjectif, on voit la déliquescence de la démocratie occidentale, à travers les yeux de deux écrivains, de part et d'autre de l'Atlantique.


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Transcription

  • Speaker #0

    Alors, comme chaque semaine, la conversation chez La Pérouse est sponsorisée, et cette semaine, c'est Osco, qui est un apéritif sans alcool, à base de romarin. Et donc, ça change beaucoup, parce qu'autrefois, Marc Wetzman et moi-même, nous buvions de la vodka. Mais les temps changent, nous avons vieilli. Et donc, nous avons un cocktail sans alcool. Mais c'est assez frais. C'est intéressant, voilà, et qu'est-ce que je peux vous dire de plus ? C'est à base de plantes méridionales et de verjus, le verju étant le raisin avant fermentation. C'est pour ça que ça a ce petit goût amer, doux, amer, comme la littérature. Bonsoir vous. les intellectuels qui nous regardaient, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec...

  • Speaker #1

    Marc Wetzman.

  • Speaker #0

    Pour son livre...

  • Speaker #1

    La part sauvage.

  • Speaker #0

    Publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset.

  • Speaker #0

    Vous avez été parfait Marc, merci beaucoup d'être là. C'est quoi la part sauvage ?

  • Speaker #1

    C'est quoi la part sauvage ? C'est beaucoup de choses dans le livre. C'est essentiellement ce qui bouillonne sous les apparences, pour le dire en un mot. ce qui bouillonne sous le quotidien.

  • Speaker #0

    Philippe Roth, au fond, s'il n'a qu'un message, c'est de dire que la vie est incontrôlable. Il y a cette part sauvage qui est l'imprévisible, qui peut détruire la vie d'un homme. Alors généralement, ça vient quand même de la grande histoire.

  • Speaker #1

    Ça dépend, ça peut venir de l'individu lui-même, sur un mode comique comme dans Portnoy. Ça peut venir... sur un mode moins comique, plus éruptif, comme dans le théâtre de Sabah, et puis ça peut venir effectivement de la grande histoire. La grande histoire qui prend sous la plume de Roth l'apparence de quelque chose d'incontrôlable, d'imprévisible, et c'est essentiellement le surgissement du mal, M.A.L., d'une manière ou d'une autre, à un moment donné. Conception qui partage d'ailleurs avec des gens comme Aaron Appelfeld et d'autres, on en parlera peut-être.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Donc, La part sauvage raconte votre rencontre avec Philip Roth en 1999 pour un interview à New York chez son agent, qui tourne à une vraie amitié sur une vingtaine d'années. Vous le voyez très régulièrement, vous êtes même parti vivre à New York, vous déjeuniez avec lui toutes les semaines, et vous avez raconté dans ce livre cette chance finalement que vous avez eue de devenir assez proche. Il vous appelait le French Bandit, assez proche d'un des plus grands écrivains américains du XXe et XXIe siècle. C'est marrant parce qu'il y a une tradition dans la littérature depuis toujours de la visite aux grands écrivains. Je pense à Eckerman qui va voir Goethe, à Weimar, vous savez, tous les jeunes écrivains en général ont envie de rencontrer leur idole. Mais vous, vous écrivez, vous appartenez à cette tradition.

  • Speaker #1

    De certaine façon, oui, on peut le voir comme ça. C'était surtout... Quand j'ai pensé... J'ai beaucoup réfléchi à ce livre avant de l'écrire, pendant plusieurs années, parce que j'avais l'impression de lui devoir, en quelque sorte, ce livre. Mais la question était de savoir comment le faire. Et une des choses que je ne voulais pas faire, c'était précisément un livre de souvenirs littéraires. Mes promenades dans Central Park avec Philippe Prol, ça m'endormait d'avance.

  • Speaker #0

    Il y en a un peu.

  • Speaker #1

    Il y en a un peu, mais il fallait que je trouve un récit, il fallait que je trouve quelque chose. Et il fallait que j'explique pourquoi quelqu'un de ma génération française, d'origine juive, pouvait s'intéresser à ce point à quelqu'un d'une autre génération, d'un autre continent, tel que Philippe Prott, en dehors de l'évidence du génie littéraire, je veux dire. Donc voilà, c'est le point de départ du livre. C'était une chance, et en même temps, c'est une chance d'avoir eu ce lien et cette amitié-là. C'est une chance à laquelle j'essaie de rendre hommage dans ce livre. Et en même temps, c'était quelque chose de... Comment dire ? C'est le résultat de beaucoup de refus de ma part. Ce n'est pas seulement une chance, c'est aussi le résultat d'une certaine forme de colère qui m'a conduit à partir. Oui, à partir là-bas.

  • Speaker #0

    C'est assez drôle parce qu'au début, il vous teste. Vous êtes arrivé avec plein de fiches comme moi, laborieux, besogneux. Vous avez préparé vos questions et il fait la gueule. Très vite, vous laissez tomber vos fiches et vous lancez dans la conversation. Alors, je vous dis tout de suite que ce sera raté pour moi aujourd'hui parce que... Sans mes fiches, je ne suis plus rien. Mais c'est assez marrant. Il était assez compliqué. D'abord,

  • Speaker #1

    intimidant. Il était intimidant au début, oui, bien sûr. En fait, en l'occurrence, cette histoire de fiches, c'est que le premier entretien, je connaissais ses livres depuis longtemps. Et je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il finisse par accepter une interview. Je lui avais demandé plusieurs interviews. Il avait toujours refusé. Soudainement, il dit oui. Donc, je m'étais hyper préparé parce que je savais que j'avais qu'une heure. En général, je ne fais jamais ça. Je ne prépare jamais à ce point des interviews. Ça me semble contre-productif de ne pas laisser une conversation se dérouler. Et là, pour une fois, j'y suis allé bardé avec une structure mentale très précise. et évidemment, ça n'a pas marché. Effectivement, j'ai laissé tomber les questions et à partir de là, on a commencé à discuter normalement. Et puis par la suite, on s'est mis à discuter normalement quand on a commencé à se voir régulièrement. Et en fait, il était... Il était intimidant, mais ce n'est pas seulement ça. C'est qu'il n'avait pas les... Hemingway parle du bullshit detector, le détecteur de conneries. Certains écrivains ont ça. Et la cérébralité, il y voyait une forme de bullshit. Il ne fallait pas être cérébral. C'était un mélange de... Humainement, c'était un mélange de grande sophistication littéraire et de complète spontanéité. et c'était ce mélange là dans ses livres c'est comme ça dans ses livres ça donne cette apparence mais c'était ce mélange là qui était détonnant et qui donnait l'épaisseur humaine qui le rendait extrêmement séduisant dans la relation et qui déclenchait l'affection très vite il n'était pas spécialement ce n'était pas tellement qu'il était intimidant c'était qu'on sentait une sorte de sauvagerie Merci. affleurante. Si la bêtise était une forme de trahison.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Il le vivait comme ça. Il avait peur d'être déçu par vous.

  • Speaker #1

    Voilà, la peur d'être déçu par les gens qui l'entouraient. Ça, c'était très... Il avait un côté ultra sensible. Il réagissait très vite. Et on sentait qu'il pouvait disparaître s'il se sentait trahi. Mais une fois que la confiance était établie, tout se passait bien.

  • Speaker #0

    Je me suis demandé si la part sauvage de votre livre, ce n'était pas aussi une manière d'écrire sur aujourd'hui ce que lui, qui est mort en 2018, peut-être écrirait sur le monde actuel. Comme si vous aviez envie de regarder notre époque avec les yeux du maître.

  • Speaker #1

    Oui, pour une part, c'est très vrai. La part sauvage, c'est évidemment l'époque dans laquelle on est entré. Maintenant que tout a craqué, que tout le vernis des années 90 a explosé, que n'importe quoi peut arriver. C'est effectivement ce qu'on trouve dans ces livres. En quelque sorte, ces livres sont des avertissements du fait que la stabilité, le quotidien est quelque chose de très fragile et que tout peut exploser. Et effectivement, tout a explosé. Donc c'est pour ça qu'il faut les lire, ces livres. Et je regarde l'époque depuis... On regarde toujours l'époque depuis les écrivains qui nous ont formés, d'une certaine façon. Donc, il y a lui, beaucoup dans ce livre. Il y a Don DeLillo, il y en a un ou deux autres. Mais c'est... Il y a Norman Miller. Mais effectivement, oui. J'essaye de poser sur l'époque un regard littéraire à travers les écrivains qui m'ont formé et à travers ce que j'en ai compris.

  • Speaker #0

    Mais Philippe Roff, moi, je vais plus loin que vous. Il a été une sorte de prophète. Il a vu beaucoup de choses. de notre temps. Il a pressenti. Il a pressenti des tas de choses. Alors, il se trouve que la Pléiade publie ces jours-ci un tome 3 des œuvres complètes de Roth avec quatre romans et ces quatre romans, on peut les passer en revue l'un après l'autre très rapidement, ces quatre romans annoncent le monde actuel. C'est fascinant. Alors, ça commence avec Opération Shylock en 1993 qui est un regard sur Israël et la Palestine. En gros, Philippe Roth apprend qu'il existe un autre Philippe Roth là-bas, qui serait plus ou moins un agent du Mossad.

  • Speaker #1

    Ou un escroc.

  • Speaker #0

    Ou un escroc et un mythomane, en fait un avatar qui s'appelle comme lui. Et ça donne un roman sur l'antisémitisme, ça donne un roman aussi sur le fait de ne pas vouloir être juif quand on est juif. Et ça, c'est quelque chose qu'on voit aujourd'hui qui est... absolument totalement d'actualité. Comment les Juifs sont pointés du doigt. pour des choses qui ne les concernent pas forcément. Lui, en fait, Ross, c'est l'écrivain qui avait envie de s'en foutre d'être juif au départ.

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions dans votre question. Oui, oui, bien sûr. L'opération Shylock, c'est la grande préscience d'opération Shylock. Elle est dans ce qui sous-tend l'intrigue, c'est-à-dire ses rencontres avec Aaron Appelfeld, qui était dans la vie de son ami. Et l'interview qu'il y a dans le livre est une interview réelle, qu'Appelfeld a réellement faite. et dans laquelle il dit notamment, Appelfeld étant un survivant de la Shoah, ce qui nous est arrivé ressemble à quelque chose de rationnel, il y avait des trains, des heures précises, des chambres à gaz, des trucs administratifs extrêmement concrets, mais en réalité on a affronté des forces archaïques, je ne sais toujours pas pourquoi ce qui est arrivé est arrivé. C'est une grande réflexion sur le mal et sur l'histoire. Et ça, c'est quelque chose qui, je le disais tout à l'heure, qui sous-tend absolument tous les bouquins de Roth. C'est ça la part sauvage. C'est ça la part sauvage. Et Appelfeld lui donne un reflet un peu métaphysique, comme si l'histoire était gouvernée par une sorte de démiurge. Philippe Roth fait plutôt que l'histoire est faite par les hommes, et les hommes ont une nature imprédictible.

  • Speaker #0

    Et il assiste au procès de John Demianuk.

  • Speaker #1

    John Demianuk, qui était considéré comme le bourreau de Treblinka, qui était donc en procès et qui avait été arrêté aux États-Unis comme un ouvrier métallurgique et un bon père de famille américain immigré. Et tout le roman, l'un des axes du roman, c'est est-ce qu'il est vraiment ce qu'il a l'air d'être ou est-ce que c'est un monstre ? Et ça aussi, c'est encore une voie de plus. très présents dans toute l'œuvre de Philippe Roth, comme dans Shakespeare, est-ce que les apparences sont fiables, ou est-ce que derrière les apparences rassurantes, la violence, la monstruosité n'est pas dissimulée ? Pourquoi est-ce que ça donne ce côté contemporain au livre de Roth ? C'est que le paradoxe, c'est qu'il s'intéressait beaucoup à l'histoire. Tous ses livres sont très ancrés historiquement, enfin en tout cas à ceux-là, Shylock, Passer à l'Américaine et les autres. Mais en même temps, à travers l'histoire, ce qu'il montre, c'est la permanence d'une nature humaine absolument incontrôlable, violente, ridicule, hilarante, bouleversante, ce qu'il appelle la Némésis.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Alors c'est quoi la

  • Speaker #0

    Némésis ? Némésis c'est une déesse de la mythologie grecque.

  • Speaker #1

    La Némésis c'est beaucoup de choses différentes. C'est le prix à payer pour l'hubris. L'hubris, c'est une forme d'orgueil, d'arrogance, quelque chose qui fait qu'on croit pouvoir s'affranchir de la règle commune et de la prudence commune qu'il faut faire attention dans la vie. Et la némésis, c'est la vengeance des dieux. Dans la mythologie grecque, quand l'individu oublie son humilité, il est châtié. Mais c'est aussi... Chez les Romains, c'était devenu la rumeur, la réputation. Oui, d'accord. Donc, il y a plusieurs sens possibles.

  • Speaker #0

    Non, mais ce que je veux dire, c'est... Opération Shylock, c'est quand même un des premiers romans. D'abord, c'est un des premiers romans dans la littérature où l'auteur met un personnage qui porte son nom. Ça se faisait... Plus ou moins, mais rarement. Et lui, il a carrément un héros qui s'appelle Philippe Roth, mais qui n'est pas lui. Donc c'est très compliqué. C'est une auto-fiction au vrai sens du terme. Et puis, c'est un livre sur ce problème, être juif. Pourquoi c'est si compliqué ? Pourquoi les écrivains juifs ne peuvent pas fuir ça ? Il finit même par être embauché par le Mossad dans le livre.

  • Speaker #1

    À la fin, oui, c'est un jeu avec ça. La judéité de Rhodes, c'était particulier parce qu'il était américain. Et il considérait que les juifs américains de sa génération, ceux qui venaient des familles juives de sa génération, avaient la chance d'être américains, donc d'avoir échappé au sort des juifs européens. Et il fallait profiter de cette chance. Il l'explique dans plusieurs bouquins. L'ambassadeur américain, il fait dire à ses parents, faites quelque chose de votre vie. Vous avez la chance d'avoir échappé, d'être dans le pays où tout est possible. Donnez un sens à votre vie, foncez, américanisez-vous, assimilez-vous, devenez vraiment américain. Et lui, il était entièrement là-dedans. Il pensait que contrairement à ce que pensait un certain nombre de... L'appareil de la communauté juive de sa génération, dans les années 50, la fidélité aux morts de la Shoah consistait justement à se débarrasser du deuil pour pouvoir vivre pleinement, mais en même temps... L'éducation qu'il a reçue, en même temps qu'il y avait cette injonction à faire quelque chose de sa vie, il y avait la prudence, il y avait le sentiment, il y avait ce qu'il appelle une forme d'angoisse historique qui faisait que les parents disaient attention, attention, attention, restons prudents, ça peut revenir, on ne sait jamais. Dans la vie réelle, le jeune Philippe Roth ne supportait pas du tout cette contradiction et ça a généré des conflits avec ses parents, etc. Le génie de Roth, écrivain, ça a consisté à faire de cette ambivalence tribale, en quelque sorte, une sorte de réflexion progressivement philosophique et métaphysique sur l'imprédictibilité de l'histoire. Il commence par le traiter de manière comique, et puis soudainement c'est de moins en moins comique, et puis finalement c'est de plus en plus tragique. Et ce jeu entre le comique et le tragique, on le trouve dans beaucoup de ses livres, dans beaucoup de ses chefs-d'œuvre. En particulier, le premier qui m'a fait cet effet, c'était l'écrivain Fantôme, qui est une satire, qui commence comme une satire sur trois chapitres, qui est hilarante. Et puis soudainement, on tourne une page, on arrive à l'histoire qu'invente Zuckerman, mais qui peut être réelle dans le roman, qui est qu'Anne Frank a survécu à l'Héritage et vit clandestinement aux États-Unis à moitié dingue. Et là, on est soudainement dans la pathologie lourde et dans le tragique de l'histoire. Et on y croit complètement.

  • Speaker #0

    Et tous ces livres fonctionnent un peu de cette manière-là, c'est vrai. Alors ensuite, toujours dans la Pléiade, il y a le théâtre de Sabath, publié en 1995. D'ailleurs, au passage, Philippe Roth a été extrêmement prolifique et travailleur après ses 60 ans. Ça, c'est une très bonne nouvelle pour les écrivains âgés que nous sommes. C'est qu'il y a un exemple d'un écrivain qui a été peut-être le meilleur au sommet de son art à la fin de sa vie. En tout cas, à partir de 60 ans. jusqu'à sa mort, c'est absolument incroyable jusqu'au moment où il se retire, il dit j'arrête d'écrire j'ai tout dit vous l'avez connu à ce moment là comment faisait-il ?

  • Speaker #1

    on ne sait pas, lui-même ne savait pas tous ces livres qui sont publiés, c'est incroyable il y a quelque chose qui monte quand on lit les bouquins dans l'ordre ça fait un peu l'effet que fait Dostoevsky quand on lit ses romans dans l'ordre, on sent une espèce de pression mentale monter et dans les années 70, une force, mais en même temps quelque chose qui est proche de l'explosion et à partir de la contrevie incluse, la contrevie Opération Shylock, le théâtre de Sabah, Pastoral américaine, J'ai épousé un communiste, La Tâche, tout ça c'est... C'est étonnant,

  • Speaker #0

    publier tous ces livres-là à un âge avancé où on a tendance à prendre sa retraite. Bon, ça, c'est un premier point. Mais le théâtre de Sabath, ce qu'il y a d'amusant, je m'en souviens très bien, c'est que nous n'étions pas d'accord, vous et moi, à l'époque. Moi, j'ai descendu le livre, j'ai fait un article très, très méchant parce que je ne comprenais rien à ce personnage de Mickey Sabath qui, donc, passe son temps à se masturber, est un obsédé sexuel. Ça faisait un peu roman de vieux dégoûtant. c'était un livre qui a fait un peu scandale et vous vous l'aviez adoré, vous l'aviez défendu à mort dans les arts occultifs, j'en souviens on était en total désaccord et là donc je l'ai relu et je change d'avis complètement parce qu'évidemment aujourd'hui de lire un livre comme ça qui est très libre, très provoque très romantique aussi Sabath se masturbe sur la tombe de sa maîtresse morte c'est une scène inouïe c'est une scène d'une beauté inouïe et alors quand en plus on vit dans un monde aujourd'hui très puritain un monde post-metoo où ce genre de comportement de prédateur lubrique est absolument interdit c'est un défouloir total de lire le théâtre de Sabaf et en plus dans la Pléiade collection prestigieuse mais c'est absolument franchement avec une

  • Speaker #1

    traduction revue génialement ils ont fait un travail qu'il faut saluer parce que c'est vraiment intéressant on pense que c'est sérieux

  • Speaker #0

    Mais franchement, le théâtre de sa base, je vous le recommande comme un délire rablaisien.

  • Speaker #1

    En même temps, c'est un délire, c'est drôle, c'est brutal, c'est noir, c'est quand même historique. C'est une histoire d'un type qui s'interroge pendant plusieurs jours sur la question de savoir s'il va se suicider ou pas, et qui décide de ne pas le faire parce qu'il y a dans ce monde tout ce qu'il déteste, tout ce qu'il haïssait. C'est la dernière phrase du livre. Donc c'est un livre là-dessus. Effectivement, il y a beaucoup de sexe. Soit dit en passant, les scènes de sexe en particulier, il y a une scène de masturbation au téléphone qui est absolument invraisemblable parce que ça ne devrait pas passer à l'écrit. Et on ne sait pas comment il fait,

  • Speaker #0

    mais ça passe. Cela dit, c'est le spécialiste des romans sur la masturbation parce que dans Portnoy, son premier roman... Oui. Il y avait déjà une branlette dans un rôti. Oui, oui. C'est conservé ensuite à toute la famille.

  • Speaker #1

    Mais ça, c'est beaucoup plus fort parce que c'est une scène de masturbation commune. Donc, il y a tout un dialogue, ce qu'il n'y a pas dans Portnoy. Et c'est en bas de page en plus. C'est ce qui est un coup de génie d'avoir mis en bas de page. En autre, en bas de page, sur plusieurs pages. Bref, c'est un très grand roman. Et effectivement, il y a deux fois cette scène qui vient à la fin du premier chapitre et à la fin du livre, où le personnage principal, Maggie Sabas, va se masturber sur la tombe de sa maîtresse. C'est entre autres choses une très belle histoire d'amour qu'il a racontée. Et avec un drapeau américain sur les épaules et une kippa sur la tête. Et il attend la police. Et il attend la police. C'est un livre qui a commencé à poser des problèmes sérieux après sa sortie.

  • Speaker #0

    Il a fait scandale.

  • Speaker #1

    Qui a fait scandale. Et scandale redoublé parce qu'il est sorti à peu près au moment où sa seconde femme a publié ses mémoires.

  • Speaker #0

    Qui s'appelait Claire Bloom.

  • Speaker #1

    Qui s'appelait Claire Bloom. Dans lequel il y a un portrait de Roth. Et que la presse et même tout l'establishment littéraire a pris pour argent comptant. A l'exception de deux journalistes femmes qui ont bien lu le bouquin de Claire Bloom et qui se sont méfiées d'elle. Et tous les autres ont pris ce portrait pour argent comptant et l'ont plaqué sur... le portrait de Maggie Sabas dans le théâtre de Sabah pour dessiner de Philippe Prott un mélange. du vrai Philippe Roth, un mélange de Maggie Savas, misogyne et obsédé. Voilà, et à partir de là, ça a posé des problèmes. Il est devenu obsédé, misogyne, misanthrope, brutal. Ce que dans la vraie vie, il faut dire aussi, il n'était pas du tout, d'une part, et c'était quelqu'un d'extraordinairement généreux, ce qu'on dit peu, avec les hommes comme avec les femmes. Il a aidé beaucoup de monde. littérairement aussi. C'était quelqu'un qui, quand il pensait que les gens valaient la peine, quand il pensait que les gens étaient vraiment investis dans ce qu'il faisait, pouvait se montrer d'une très grande générosité, d'une très grande compréhension. Il avait un don pour l'écoute et pour l'intuition et pour le rapport à l'autre assez rare. Moi, j'ai rarement vu ça à ce point.

  • Speaker #0

    Oui, il vous a aidé, il vous a trouvé, par exemple, une place dans un atelier d'écriture. Oui, oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Et il m'a aidé, il est à l'origine de mon précédent livre, Un temps pour haïr, que j'ai écrit d'abord en anglais, à sa suggestion, parce que c'était une série de reportages que j'avais fait dans la presse américaine sur l'antisémitisme en France, mais je ne pensais pas du tout en faire un livre. C'est lui qui a eu l'idée, qui m'a dit qu'il fallait que j'en fasse un livre, qui m'a présenté son éditeur américain, son agent américain, et ça s'est fait comme ça.

  • Speaker #0

    Non, non, mais... Bon, le sexe est un des grands sujets de Love the Roth, c'est présent parce qu'il s'est libéré, parce qu'en fait c'est une période aussi, la publication du complexe de Portnoy c'est quelle année ? 69 ?

  • Speaker #1

    68 même. Oui 68,

  • Speaker #0

    donc c'est la période de libération sexuelle.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement, c'est que la question de Roth c'est qu'est-ce qu'on fait de ce qu'on est, quoi qu'on soit, en l'occurrence dans son cas, américain d'origine juive, homme. Donc c'est quoi les déterminants, c'est quoi qui vous empêche d'être libre ? C'est tout ce que vous êtes en fait. La question de Rhodes c'est la liberté, mais comment est-ce qu'on s'affranchit de ce qu'on est sans le nier ? C'est ça la question. Donc tous ces bouquins sont des réflexions sur ce que c'est qu'être un Américain, ce que c'est qu'être quelqu'un d'origine juive. Ils ne se revendiquaient pas comme juifs au sens religieux du terme, mais historiquement bien sûr. Il était juif. Culturellement, son éducation à Newark. Il ne parle pas de son éducation. Et enfin, qu'est-ce que c'est qu'être un homme, avec tout ce que ça suppose de discutable, voire de franchement nul. Voilà, c'est ça.

  • Speaker #0

    Alors, le livre suivant, encore plus prophétique, c'est Le complot contre l'Amérique, qui est le troisième livre dans cette édition de La Pléiade. C'est en 2004, où là, carrément, il décrit un fascisme américain. puisqu'on est en 1940, il imagine que Charles Lindbergh gagne l'élection présidentielle, Charles Lindbergh était pro-nazi, et quand on pense aujourd'hui, à l'époque on s'est demandé, mais pourquoi, qu'est-ce qui lui prend, pourquoi est-ce qu'il écrit ce livre, et en fait il est visionnaire, je ne dis pas que les nazis soient au pouvoir aujourd'hui en Amérique, mais enfin nous avons Donald Trump qui est un... Voilà, un mouvement un peu hybride entre le complotisme, le conservatisme, le suprémacisme. Et il a eu cette intuition.

  • Speaker #1

    C'est le complot contre l'Amérique, c'est un livre qui n'a pas du tout été compris en France. En revanche, aux États-Unis, quand il est sorti en 2004, ça a été un succès. Avant même sa sortie, il y avait des précommandes chez Amazon qui étaient démentes. Le bouquin était quasiment un best-seller. Tout le monde l'a vu à l'époque comme une dénonciation. du gouvernement Bush, que ça n'était pas du tout. Et moi, quand il m'a donné le premier manuscrit qu'il me donnait à lire, je l'ai lu dans l'avion comme un écho à ce que j'avais l'impression de vivre en France. C'est-à-dire que tout le monde a plaqué ce qu'il voulait sur ce bouquin.

  • Speaker #0

    Et peut-être que moi, quand je plaque Trump là-dessus, c'est une autre erreur.

  • Speaker #1

    C'est ce que j'allais dire. C'est en partie seulement une erreur. C'est-à-dire que ce livre est bizarre parce qu'il a été lu comme ça par la presse américaine. Une histoire américaine authentique. à travers un présupposé de fiction invraisemblable. La dernière interview que j'ai faite de lui, d'Europe, en 2018, Trump était élu, et on a parlé de Lindbergh. Et il m'a dit, quoi qu'on pense de Lindbergh, c'était un véritable héros américain. Il avait traversé l'Atlantique en solitaire, tout le monde l'idolâtrait, etc. Trump, c'est un voyou, c'est un escroc, c'est un minable. Bref, il ne tarissait pas de critiques sur Trump. En fait... L'intelligence de Roth dans le livre, c'est d'avoir fait de Lindbergh un président qui n'est pas un fasciste, mais qui signe avec Hitler un pacte de non-agression, ce qui est très différent. C'est-à-dire qu'il avait dans la vie réelle, Lindbergh avait des sympathies pour le nazisme et il était gentiment antisémite. Mais ce que Roth invente, c'est un pacte de non-agression avec Hitler, un peu comme Trump pourrait signer un pacte de non-agression avec Poutine, par exemple. Disons isolationniste. Exactement. Il fait deux choses. C'est un gouvernement isolationniste qui invente, comme dans la réalité, le slogan « America first » , qui a été repris dans la réalité par Trump. Et il fait une autre chose. Comme les Juifs sont considérés comme les fauteurs de guerre, ça aussi, ça correspond à la réalité historique. c'est en 40. et entre 1940 et 1942, avant que Roosevelt décide à entrer en guerre, Les juifs sont considérés comme le lobby qui cherche à pousser les Américains dans la guerre. Et donc non américains, parce que l'Amérique se tient à distance du chaos et de la décadence européenne. Et ce que fait donc Lindbergh dans le roman d'Horoth, c'est de mettre en place une politique d'assimilation des juifs. On va démanteler les communautés juives de Newark et d'ailleurs, on va les embarquer dans le Kentucky, je ne sais pas, dans le sud, pour qu'ils deviennent de vrais américains. Et ces deux éléments... Pacte de non-agression d'un côté et assimilation disséminée au fin fond du Midwest de l'autre va suffire à créer chez les Juifs un sentiment d'angoisse historique et ça va partir en vrille à partir de là. Chacun va réagir comme il veut. Et donc l'intelligence de Roth, en fait, ce qu'il fait, c'est qu'à travers sa propre famille qu'il met en scène dans cette fiction, il étudie les mécanismes de la peur à l'œuvre dans la communauté juive à partir d'éléments qui sont un peu comme aujourd'hui avec Trump, effectivement. C'est-à-dire qu'on voit Trump. Mais ce qui est intéressant dans ce qui se passe aujourd'hui, c'est que le gouvernement Trump, quoi qu'on en pense, pour l'instant, n'est pas un gouvernement fasciste. Mais il éveille chez les gens un sentiment de peur qui fait qu'on se met à dire beaucoup de choses, tout et son contraire à son sujet. Et pour le coup, c'est une des choses qu'il a sentie.

  • Speaker #0

    C'est très curieux parce que... Roth venait de publier La Tâche. La Tâche n'est pas dans ce volume-là, mais c'est un livre très important sur la cancel culture. C'est le premier grand roman du politiquement correct, avec ce personnage de prof qui est cancelé, qui est annulé, qui perd son travail pour avoir dit un mot à double sens. Bref, il faut lire le livre. Mais ça, c'est en l'an 2000. Et quatre ans après, le complot contre l'Amérique, c'est comme s'il avait senti deux mouvements, le wokisme, Et le trumpisme. Deux mouvements qui sont aujourd'hui les deux dangers qui nous menacent, nous, occidentaux.

  • Speaker #1

    Qui vont plus que nous menacer. Qui sont en train de détruire la fabrique de la démocratie libérale occidentale. Oui,

  • Speaker #0

    c'est le seul écrivain qui ait vu venir ces deux mouvements.

  • Speaker #1

    De manière aussi précise, oui. Moi, j'ai posé la question un jour. Je lui ai dit, mais c'est quand même bizarre. vous êtes Vous avez grandi dans une... Vous avez eu une enfance très stable. Vous avez été élevé par des parents aimants. Il ne vous est arrivé aucune tragédie historique particulière. Et vous mettez en scène systématiquement, dans vos dernières, en particulier, un chaos historique invraisemblable. Pourquoi ? Et je vais dire, est-ce que ce n'est pas l'influence des écrivains d'Europe et des brebis de l'Est en particulier qui vous nourrit ? puisqu'il en a connu beaucoup. Il a été ami à Kundera, il a été ami avec beaucoup d'écrivains tchèques. Et il m'a dit, peut-être, il reconnaissait l'influence de la littérature européenne, et il m'a dit aussi, en fait, j'ai une très forte conscience, je paraphrase, du privilège que j'ai d'être américain. L'Amérique, pour moi, c'est formidable, mais je... Je fais l'éloge de l'Amérique par implication, c'est-à-dire en creusant tout ce qui pourrait arriver, en creusant sa fragilité, tout ce qui pourrait arriver. Et effectivement, c'est arrivé.

  • Speaker #0

    C'est arrivé. L'Amérique était fragile. Il avait raison. Alors, il y a le quatrième roman du volume qui existe, Le Fantôme, c'était en 2007. Bon, là, c'est plus. C'est le dernier Zuckerman,

  • Speaker #1

    c'est un livre sur la vieillesse. C'est une sorte de point d'orgue, c'est moins fort que les autres romans et surtout moins fort que la série des Zuckerman, mais c'est très intéressant quand même parce que là aussi c'est un livre de deuil, c'est le livre de deuil d'un New York qui est en train de disparaître. Moi c'est comme ça que je l'ai lu en tout cas.

  • Speaker #0

    Alors, il y aura un tome 4 de la Pléiade avec Pastoral américaine, J'ai été un communiste et La Tâche qui sont la trilogie. Mais quand on regarde tout ça, on se demande pourquoi il n'a pas obtenu le Nobel. Alors, est-ce qu'il était trop incorrect ? Est-ce qu'il était trop sexuel ? Est-ce qu'il était trop provocateur ?

  • Speaker #1

    C'est la phrase que je cite de la romancière irlandaise Edna O'Brien pour son 80e anniversaire. très grande romancière d'ailleurs, soit dit, soit dit, elle dit quelque chose comme... Il est assis à la première table de l'establishment littéraire, mais il n'en fait pas partie. Trop provoquant, trop précis, trop... Je ne sais plus quelle est la phrase, mais peut-être que... Si je peux la chercher, je vais essayer de la retrouver. Mais je pense que c'est ça, je pense qu'il y avait quelque chose qui... Voilà. Il siégeait à la première table de l'establishment littéraire, mais n'en faisait pas partie. Trop sauvage, trop esthétiquement acéré, trop honnête. Je pense que ça répond à la question du Nobel.

  • Speaker #0

    Le Nobel n'a pas couronné beaucoup d'écrivains insolents. Peut-être l'italien, Dario Faux. Dario Faux, c'est le seul.

  • Speaker #1

    Je le considérais comme un écrivain. comme un écrivain alors

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il rendait tout le monde plus intelligent, même vous. C'est vrai que c'est aussi ça la qualité d'un grand romancier, finalement. C'est de nous rendre un peu meilleurs que nous ne sommes. Mais est-ce que vous pensez... Alors ça, c'est la question tabou. Attention. Est-ce que vous pensez que c'est un libertaire de gauche qui est devenu un réacte de droite, un peu comme nous tous ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. Alors, je ne pense ni l'un ni l'autre. Je ne pense pas que nous tous, qui ont des libertaires de gauche... Vous ne considérez pas que vous,

  • Speaker #0

    vous étiez de gauche et que vous êtes devenu de droite ?

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions. Moi, je ne me suis jamais considéré vraiment comme de gauche, d'une part. J'ai baigné dans un milieu de gauche, parce que dans les milieux culturels, on se retrouve dans les milieux de gauche. Je n'ai jamais de ma vie milité nulle part. Dieu m'en préserve. Et je ne me considère pas comme quelqu'un de droite aujourd'hui, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que je pense que ces termes, s'ils ont eu un sens à un moment donné, ils n'en ont vraiment plus du tout. Je rappelle que les deux personnalités...

  • Speaker #0

    Progressiste devenu conservateur.

  • Speaker #1

    Non, mais oui. Je vais répondre sur Roth, c'est plus intéressant que moi. Mais je pense que Roth n'est jamais devenu conservateur. Alors, politiquement, sûrement pas. Il s'inscrivait vraiment dans la tradition démocrate américaine, par certains aspects la moins intéressante d'ailleurs, de mon point de vue. Mais d'autre part, dans ses livres, ce qui est plus intéressant, un livre comme Pastoral américaine, par exemple, qui a été lu effectivement comme une critique des années 60 et un livre conservateur, à mon avis, ne l'est pas du tout. C'est une réflexion sur le chaos américain, à travers ce qu'il montre. Du chaos des années 60, là aussi, c'est un livre qui a commencé dans les années 70. Il montre l'émergence d'une forme de pathologie nihiliste américaine.

  • Speaker #0

    Je résume l'histoire. C'est l'homme parfait, l'américain parfait, qui a une fille qui est terroriste. Et il ne comprend pas. Sa fille est engagée contre la guerre du Vietnam. militante vraiment, qu'on pourrait dire aujourd'hui, d'ultra-gauche. Et c'est vrai que c'est aussi un des premiers livres sur le wokisme, d'une certaine façon, sur l'incompréhension entre les générations.

  • Speaker #1

    Oui, sur l'aspect le plus sociopathe du wokisme. Mais comme on voyait des figures comme ça émerger à l'époque, comme Valérie Solanas, comme d'autres, comme Lierre Véosvald, évidemment, comme Jean-Claude Son. Action directe en France. Voilà. Mais avec un élément plus franchement cinglé aux États-Unis. Le livre, il a commencé à l'écrire dans les années 70. Et d'après ce qu'il m'a raconté, il a cessé de l'écrire pour la bonne raison qu'il était d'accord avec la fille. Donc, il n'y avait pas de tension. Et il l'a repris dans les années 90, quand il a commencé à comprendre que le point de vue intéressant était celui du père. Parce que ça créait... à nouveau cette réflexion sur l'histoire, quelque chose d'incompréhensible vient heurter la vie de ce type.

  • Speaker #0

    Elle a grandi dans une bourgeoisie moyenne, parfaite, dans une banlieue à Newark.

  • Speaker #1

    Mais étant Roth, prend bien soin de présenter son héros dans le premier chapitre, qui à mon avis est un trou de force littéraire, qui faisait vraiment la leçon de Flaubert retenue, dans une sorte de confrontation avec le narrateur. et le narrateur découvre ce héros qui va être le héros du livre pendant 400 pages et il découvre un monument d'ennui. C'est-à-dire que le type, effectivement, va se heurter au chaos du monde, mais à travers son incompréhension et son incompréhension, c'est celle d'un type tout à fait ordinaire qui est d'un ennui profond. Et ça, c'est cette tension-là. Donc, il n'y a pas de... Tout ça pour dire qu'il n'y a pas de repli conservateur. Il n'y a pas une seconde dans Pasteur l'Américaine, il dit... Il laisse entendre que les épressantes c'était... Le début de la décadence, c'était affreux. Il faut tenir à l'ordre.

  • Speaker #0

    Ce qui est bien chez lui, c'est qu'il nous prend pour intelligents et ça ne pointe pas les gentils et les méchants. C'est toujours pour compliquer l'histoire. C'est ça qui est bien. Alors, on passe au jeu devine tes citations. Marc Wetzman, je vais vous lire des citations qui sont peut-être de vous et peut-être de Philip Roth. Et vous devez me dire, ça c'est moi ou c'est l'autre. Et il y a un piège. Tout de suite. C'est à propos du 11 septembre 2001. Le prodige de l'exploit émerveillait. Quelque chose se payait.

  • Speaker #1

    Ça c'est ni de lui ni de moi, c'est de Annie Ernaux.

  • Speaker #0

    Exactement, Annie Ernaux a écrit, je découvre ça dans votre livre.

  • Speaker #1

    Dans nos années.

  • Speaker #0

    Dans les années 2008, oui. Le prodige de l'exploit émerveillait, quelque chose se payait. Ça, il faut le faire, d'écrire ça. Autre phrase. Les pièges les plus parfaits ne sont-ils pas toujours ceux que l'on se tend à soi-même ?

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    C'est vous dans... La part sauvage. La part sauvage. Alors je ne peux pas ne pas vous demander à propos de pièges qu'on se tend à soi-même. Qu'est-ce qui s'est passé à France Culture ? Vous animiez une émission, signe des temps, depuis 2018, depuis la mort de Philippe Roth, vous aviez une émission, vous étiez rentré en France et elle a été supprimée cette année. Qu'est-ce que vous avez fait de mal pour être puni ?

  • Speaker #1

    Ce qui s'est passé, comment dire, je ne veux pas trop développer parce que je suis en procédure avec eux de toute façon, mais ce qui s'est passé, c'est que pour me limiter à ce que... que la direction m'a dit, ils trouvaient l'émission confuse, c'est-à-dire plus ou moins incompréhensible. Comme la mienne ! Voilà.

  • Speaker #0

    C'est parce que la vie est confuse.

  • Speaker #1

    Par ailleurs, ils ont écrit, enfin ils ont publié des communiqués expliquant qu'il n'y avait aucune audience, que c'était nul, que bref, c'était catastrophique. La réalité, c'est qu'il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas entre eux et moi. Voilà. Bon, je ne peux pas tellement développer. Oui, non, non,

  • Speaker #0

    mais c'est ce qui arrive. Moi, mon émission, elle a été supprimée par Radio Classique, et puis je l'ai continuée quand même.

  • Speaker #1

    Ils ont considéré que quelque chose ne fonctionnait pas entre eux et moi, parce que je ne m'inscrivais pas suffisamment dans le...

  • Speaker #0

    Dans la ligne éditoriale.

  • Speaker #1

    Dans la ligne éditoriale, oui, puisqu'ils ont parlé de ligne éditoriale.

  • Speaker #0

    De toute façon, vous pouvez, vous savez, avec les nouvelles technologies, vous pouvez continuer votre émission si vous en avez envie. Eh bien, on verra ça, on va voir ça. Voilà, peut-être. Autre phrase de vous, non, pas de vous, enfin, je ne sais pas, est-ce que c'est de vous ou pas de vous ? Tu crois que tu sais ce qu'est un homme ? Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme.

  • Speaker #1

    Ça, c'est Roth, c'est dans Pastoral American, c'est le frère du personnage principal qui lui parle. Il est fort,

  • Speaker #0

    il est très fort, il est très fort. Et au fond, c'est ça le sujet de tous ses livres. Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme. Un de ses derniers livres s'intitule « Everyman » , qui était traduit « un homme » en français. C'était intraduisible, « everyman » . Non,

  • Speaker #1

    parce qu'en plus, ça fait référence à « everyman » , ça fait référence à des pièces du Moyen-Âge en Angleterre, où c'était une sorte de fable où l'homme était confronté à la mort.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi l'idée que... Parce qu'il y a une autre phrase dans « Pastoral américaine » , il dit « l'homme n'est pas fait pour la tragédie » . C'est ça la tragédie de tout homme. C'est qu'il n'est pas fait pour la tragédie. En gros, il expliquait que l'homme est détruit, défait par quoi ? Par l'histoire, par la vie, par la mort ?

  • Speaker #1

    Par quelque chose qui se produit soit en lui, soit à l'extérieur de lui, mais il y a toujours quelque chose à un moment donné qui vient frapper et qui vient détruire. Alors, son intérêt, c'était... de mettre en scène des hommes forts qui se sont construits une vie indépendante et qui se sont battus pour se réaliser et quand ils y arrivent, quand tout est gagné soudainement quelque chose se passe qui va les détruire mais ça c'est normal il faut l'accepter toute la discussion qu'on avait et que je mets en scène dans le livre c'est la question de savoir dans quelle mesure on est responsable ou pas de ce qui nous arrive oui c'est ça ça dépend et c'est... Et bon, il n'y a pas vraiment de réponse à cette question, évidemment, mais... Et à la fin, au moment de Némésis, je crois, je lui ai posé la question de... Parce qu'il y a quelque... La seule occurrence, la seule fois où il parle religion, c'est dans Némésis, c'est dans son dernier livre, et il parle d'égnostique, c'est-à-dire de cette... aux religions contemporaines de Jésus selon laquelle le monde avait été créé par un démiurge mauvais. Le vrai Dieu était exilé hors du monde et le monde était créé et dirigé par une espèce de monstre. Et c'est ce que croit le personnage principal de Némésis. Et je lui ai demandé dans quelle mesure il y avait quelque chose comme ça chez lui parce que Il me semble qu'il y a quelque chose comme ça dans la culture américaine. Il y a cette idée que...

  • Speaker #0

    Le pays s'est construit sur un massacre et un esclavage.

  • Speaker #1

    Et alors il m'a répondu, si j'étais religieux, je croirais quelque chose comme ça. Mais je ne suis pas religieux, donc pas du tout.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Qui a écrit ça ? Vous ou lui ? Une bande d'individus qui ont un penchant pour la provocation canaille, l'improvisation satirique, l'imposture impétueuse, l'irrévérence railleuse, le monologue démesuré, la réalité corporelle vociférante, le faux délire. Et ça, c'est une définition de l'homme.

  • Speaker #1

    C'est lui. C'est une définition de ses personnages, en fait.

  • Speaker #0

    Sur ses héros, il écrit ça, oui, tout à fait. J'avais récusé ma famille à 20 ans et à 40, démissionné des positions sociales acquises entre-temps. Et j'avais voyagé.

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    Ça, c'est vous dans La part sauvage. Mais ça ressemble un peu à du Philip Roth. Parce qu'avec sa famille, son milieu, sa judéité, ses ex-épouses,

  • Speaker #1

    il y avait des points communs. Sinon, on n'aurait pas été amis, je suppose. Il avait un goût certain pour les personnages, dans la vie, je veux dire, pour les gens en rupture de banc. Et c'était mon cas à l'époque, et pour les gens qui sont en conflit avec leur père, ce qui était mon cas aussi.

  • Speaker #0

    Vous faites plusieurs fois allusion, dans le livre, à une idée folle, mais qui me plaît beaucoup. Cette idée, c'est que l'extermination des Juifs d'Europe expliquerait notre nullité actuelle. Et qu'au fond, on ne peut pas tuer 6 millions de gens.

  • Speaker #1

    C'est pas le nombre, c'est que...

  • Speaker #0

    Sans qu'il y ait une conséquence sur le présent.

  • Speaker #1

    Il y a deux choses. D'abord, je pense qu'effectivement, au-delà ou à côté de la question des Juifs, un continent qui s'est suicidé collectivement pendant un demi-siècle, entre 14 et 45, parce que c'est en fait la même histoire, on ne se réunit pas d'un suicide. C'est aussi simple que ça. On a cru que oui, parce que... la consommation les années 60. Quand on était sous le parapluie américain, on avait l'air de vivre normalement. En réalité, la fin de la guerre froide, c'est la fin du dégel du cadavre, tout simplement. Et on se rend compte à quel point il est pourri. C'est ça ce qui se passe en Europe, à mon avis. D'autre part, pour ce qui est des Juifs, ma thèse c'est que, et ce n'est pas seulement la mienne, d'ailleurs c'est celle de Georges Steiner aussi et de quelques autres, les Juifs en Occident, et pas seulement en Occident, mais surtout en Occident, et Ils apportent une espèce d'énergie urbaine, culturelle. C'est pas tellement qu'ils peuvent inventer, mais surtout, ils poussent l'énergie à son paroxysme. Quand vous regardez les grands centres culturels de l'histoire occidentale, l'Espagne de l'âge d'or, la Vienne du XIXe siècle, New York dans la deuxième moitié du XXe siècle, L'élément juif et l'élément homosexuel, d'ailleurs, sont les ressorts des centres culturels occidentaux. Je n'arrive pas à le dire autrement. Non,

  • Speaker #0

    mais je le pense, moi, en tant que Goy, je pense que les écrivains juifs, par exemple, ils ont quelque chose de plus intelligent que nous, qui est lié à cette histoire. horrible.

  • Speaker #1

    Évidemment,

  • Speaker #0

    quand on est obligé d'être un peu plus parano que les autres.

  • Speaker #1

    Les juifs sont bons sous la pression. Il y a une sorte de truc comme ça. Il y a quelque chose qui fait que... En Israël, quand j'étais en Israël en 2000, au moment où le processus de paix a explosé, jusque-là, pendant toutes les années 90, on pensait que c'était réglé, on allait vers la paix au Moyen-Orient, et d'ailleurs vers la paix dans le monde entier. Et quand ça a explosé, quand les... Quand les attentats suicides ont commencé à se produire, tout le monde avait quelque chose à dire. Il y avait 15 idées par jour, toutes intelligentes, toutes intéressantes. Évidemment, c'est le problème, toutes inutiles.

  • Speaker #0

    En conclusion, on va faire le questionnaire quand même. Mon questionnaire de Big BD est très important. Sur la vie amoureuse de Roth, c'est plutôt un désastre, la vie amoureuse. à un moment vous le voyez il note le téléphone d'une serveuse c'est un peu triste plusieurs oui on a parlé du livre de sa deuxième femme qui était terrible peut-on être un grand romancier et heureux en amour

  • Speaker #1

    Ça, je n'en sais rien, il y en a. Il y en a. Je ne sais pas s'il était parce qu'il était grand romancier. Je pense que c'est tout simplement parce qu'il avait un goût catastrophique pour ses partenaires. Il n'est pas le seul comme ça. Il y a plein d'hommes et de femmes qui ont des goûts catastrophiques.

  • Speaker #0

    Qui ne sont pas attirés vers la bonté. Voilà. Je voulais montrer ceci parce que c'est un livre que vous avez publié il y a 20 ans. 28 raisons de se faire détester, et peut-être c'est ça le point commun entre Philippe Roth et vous et moi, c'est de penser que c'est pas mal de créer de l'urticaire chez son lecteur, je ne sais pas. Pourquoi vous aviez choisi ce titre ?

  • Speaker #1

    Parce qu'à l'époque j'étais aux Inoccupables, et donc c'est un recueil d'articles que j'ai publiés dans les Inoccupables, et j'avais une image détestable. Les quelques amis que j'avais me disaient que j'étais détesté par tout le monde.

  • Speaker #0

    donc pourquoi pas vous poussez le jeu jusqu'au bout c'est une grande qualité au contraire alors le questionnaire le célèbre questionnaire de Bec BD tout ce qui restera de moi pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok

  • Speaker #1

    C'est une question très importante. Parce que... Je ne sais pas comment répondre à cette question. Parce qu'il perdra moins de temps. Ce livre-là en particulier, parce que c'est un livre où il est beaucoup question de colère et je pense qu'il y a beaucoup de colère qui traîne. Donc je pense que ça peut échoer des choses.

  • Speaker #0

    Puis, je pense que c'est quand même un peu plus intelligent que TikTok. Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #1

    Écrire un livre comme ça.

  • Speaker #0

    Oui. Vous n'avez jamais eu peur en l'écrivant que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #1

    Non, parce que je pense qu'aucun livre ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Oui. Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Non. Ni méchant d'ailleurs, je veux dire, c'est pas le sujet.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'écrire ? La pauvreté, la folie ou la solitude ?

  • Speaker #1

    La solitude.

  • Speaker #0

    Avez-vous déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ou juste une perte de temps ?

  • Speaker #1

    Il faudrait qu'il y en ait une.

  • Speaker #0

    C'est un livre de critique littéraire, là.

  • Speaker #1

    Ah bon, pardon. Non, mais c'est un livre... Je ne te conseille pas du tout comme ça, moi, mais...

  • Speaker #0

    C'est un livre sur la littérature.

  • Speaker #1

    Oui, la critique littéraire qui est de la littérature, elle fait partie de la littérature, voilà. La critique littéraire en tant que telle, je ne suis pas sûr de savoir à quoi ça correspond.

  • Speaker #0

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné une interview de sa vie.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un roman doit-il réparer le monde ? On entend beaucoup ça.

  • Speaker #1

    Non, certainement pas.

  • Speaker #0

    Quel est votre chef-d'œuvre ?

  • Speaker #1

    Quel est mon chef-d'œuvre ? À moi, personnellement ? Oui, à vous, oui. Quand on publie un livre, on pense toujours que c'est le dernier qu'on vient de publier qui est le meilleur. Donc, voilà, par sauvage, oui.

  • Speaker #0

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    Un quoi ?

  • Speaker #0

    Un ouin-ouin, vous ne connaissez pas cette expression ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Les écrivains, notamment de sexe masculin, qui se lamentent sur leurs conditions, sur leur virilité perdue. Ah, non, pas du tout. Ils féminisent les traites de ouin-ouin.

  • Speaker #1

    Ah non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #1

    Non, oui, il serait plutôt de dire la vérité sans se faire prendre.

  • Speaker #0

    Quel est le meilleur écrivain français vivant ? Je passe mon tour. Le seul qui a répondu « moi » , c'est Régis Geoffray. Il a eu du mal, mais il a fini par le faire. Si vous étiez très riche, cesseriez-vous d'écrire ? Non. La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #1

    Je suis incapable de vous dire parce que je ne connais pas mes phrases par cœur.

  • Speaker #0

    Avez-vous menti durant cette conversation ? Non. La question Fahrenheit 451. Alors, imaginez un monde où les livres sont interdits. Lequel apprendriez-vous par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #1

    Alors là... Peut-être une pièce de Shakespeare.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'au moins, ça c'est riche. C'est-à-dire que c'est dense. On ne peut pas s'ennuyer en apprenant par cœur. Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #1

    Sauver la vie physiquement, non, mais certainement que les livres de Roth, entre autres, m'ont vraiment aidé à vivre avec un ou deux autres auteurs.

  • Speaker #0

    Et enfin ? Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #1

    J'en ai vraiment aucune idée. Quelque part entre 7 et 77 ans.

  • Speaker #0

    Il y a une dernière question qu'on a ajoutée. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Ou que vous écririez différemment aujourd'hui ? Peut-être vos premiers romans ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas que je les écrirais. Je reprendrais peut-être des trucs à la marche, des phrases mal foutues, peut-être. Mais je ne crois pas que je... Celui que j'aurais écrit le plus, c'est probablement Mariage Mixte. Mais non...

  • Speaker #0

    Mariage Mixte avait eu un procès.

  • Speaker #1

    Oui, il y avait eu un procès, mais ce n'est pas pour ça que je l'aurais écrit.

  • Speaker #0

    Eh bien, merci infiniment Marc Wetzman.

  • Speaker #1

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Je vous ordonne de lire la part sauvage de Marc Wetzman aux éditions Grasset. N'hésitez pas à commenter les vidéos, à polémiquer, à m'insulter. C'est la vie, c'est vivant. Et n'oubliez pas, la littérature est à l'esprit ce que le sport est au corps. Bonsoir. Merci.

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Description

En racontant sa rencontre avec Philip Roth, l'homme et l'œuvre, Marc Weitzmann nous parle aussi de notre génération, de l'Amérique, de la littérature et de lui-même. Dans cet essai subjectif, on voit la déliquescence de la démocratie occidentale, à travers les yeux de deux écrivains, de part et d'autre de l'Atlantique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Alors, comme chaque semaine, la conversation chez La Pérouse est sponsorisée, et cette semaine, c'est Osco, qui est un apéritif sans alcool, à base de romarin. Et donc, ça change beaucoup, parce qu'autrefois, Marc Wetzman et moi-même, nous buvions de la vodka. Mais les temps changent, nous avons vieilli. Et donc, nous avons un cocktail sans alcool. Mais c'est assez frais. C'est intéressant, voilà, et qu'est-ce que je peux vous dire de plus ? C'est à base de plantes méridionales et de verjus, le verju étant le raisin avant fermentation. C'est pour ça que ça a ce petit goût amer, doux, amer, comme la littérature. Bonsoir vous. les intellectuels qui nous regardaient, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec...

  • Speaker #1

    Marc Wetzman.

  • Speaker #0

    Pour son livre...

  • Speaker #1

    La part sauvage.

  • Speaker #0

    Publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset.

  • Speaker #0

    Vous avez été parfait Marc, merci beaucoup d'être là. C'est quoi la part sauvage ?

  • Speaker #1

    C'est quoi la part sauvage ? C'est beaucoup de choses dans le livre. C'est essentiellement ce qui bouillonne sous les apparences, pour le dire en un mot. ce qui bouillonne sous le quotidien.

  • Speaker #0

    Philippe Roth, au fond, s'il n'a qu'un message, c'est de dire que la vie est incontrôlable. Il y a cette part sauvage qui est l'imprévisible, qui peut détruire la vie d'un homme. Alors généralement, ça vient quand même de la grande histoire.

  • Speaker #1

    Ça dépend, ça peut venir de l'individu lui-même, sur un mode comique comme dans Portnoy. Ça peut venir... sur un mode moins comique, plus éruptif, comme dans le théâtre de Sabah, et puis ça peut venir effectivement de la grande histoire. La grande histoire qui prend sous la plume de Roth l'apparence de quelque chose d'incontrôlable, d'imprévisible, et c'est essentiellement le surgissement du mal, M.A.L., d'une manière ou d'une autre, à un moment donné. Conception qui partage d'ailleurs avec des gens comme Aaron Appelfeld et d'autres, on en parlera peut-être.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Donc, La part sauvage raconte votre rencontre avec Philip Roth en 1999 pour un interview à New York chez son agent, qui tourne à une vraie amitié sur une vingtaine d'années. Vous le voyez très régulièrement, vous êtes même parti vivre à New York, vous déjeuniez avec lui toutes les semaines, et vous avez raconté dans ce livre cette chance finalement que vous avez eue de devenir assez proche. Il vous appelait le French Bandit, assez proche d'un des plus grands écrivains américains du XXe et XXIe siècle. C'est marrant parce qu'il y a une tradition dans la littérature depuis toujours de la visite aux grands écrivains. Je pense à Eckerman qui va voir Goethe, à Weimar, vous savez, tous les jeunes écrivains en général ont envie de rencontrer leur idole. Mais vous, vous écrivez, vous appartenez à cette tradition.

  • Speaker #1

    De certaine façon, oui, on peut le voir comme ça. C'était surtout... Quand j'ai pensé... J'ai beaucoup réfléchi à ce livre avant de l'écrire, pendant plusieurs années, parce que j'avais l'impression de lui devoir, en quelque sorte, ce livre. Mais la question était de savoir comment le faire. Et une des choses que je ne voulais pas faire, c'était précisément un livre de souvenirs littéraires. Mes promenades dans Central Park avec Philippe Prol, ça m'endormait d'avance.

  • Speaker #0

    Il y en a un peu.

  • Speaker #1

    Il y en a un peu, mais il fallait que je trouve un récit, il fallait que je trouve quelque chose. Et il fallait que j'explique pourquoi quelqu'un de ma génération française, d'origine juive, pouvait s'intéresser à ce point à quelqu'un d'une autre génération, d'un autre continent, tel que Philippe Prott, en dehors de l'évidence du génie littéraire, je veux dire. Donc voilà, c'est le point de départ du livre. C'était une chance, et en même temps, c'est une chance d'avoir eu ce lien et cette amitié-là. C'est une chance à laquelle j'essaie de rendre hommage dans ce livre. Et en même temps, c'était quelque chose de... Comment dire ? C'est le résultat de beaucoup de refus de ma part. Ce n'est pas seulement une chance, c'est aussi le résultat d'une certaine forme de colère qui m'a conduit à partir. Oui, à partir là-bas.

  • Speaker #0

    C'est assez drôle parce qu'au début, il vous teste. Vous êtes arrivé avec plein de fiches comme moi, laborieux, besogneux. Vous avez préparé vos questions et il fait la gueule. Très vite, vous laissez tomber vos fiches et vous lancez dans la conversation. Alors, je vous dis tout de suite que ce sera raté pour moi aujourd'hui parce que... Sans mes fiches, je ne suis plus rien. Mais c'est assez marrant. Il était assez compliqué. D'abord,

  • Speaker #1

    intimidant. Il était intimidant au début, oui, bien sûr. En fait, en l'occurrence, cette histoire de fiches, c'est que le premier entretien, je connaissais ses livres depuis longtemps. Et je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il finisse par accepter une interview. Je lui avais demandé plusieurs interviews. Il avait toujours refusé. Soudainement, il dit oui. Donc, je m'étais hyper préparé parce que je savais que j'avais qu'une heure. En général, je ne fais jamais ça. Je ne prépare jamais à ce point des interviews. Ça me semble contre-productif de ne pas laisser une conversation se dérouler. Et là, pour une fois, j'y suis allé bardé avec une structure mentale très précise. et évidemment, ça n'a pas marché. Effectivement, j'ai laissé tomber les questions et à partir de là, on a commencé à discuter normalement. Et puis par la suite, on s'est mis à discuter normalement quand on a commencé à se voir régulièrement. Et en fait, il était... Il était intimidant, mais ce n'est pas seulement ça. C'est qu'il n'avait pas les... Hemingway parle du bullshit detector, le détecteur de conneries. Certains écrivains ont ça. Et la cérébralité, il y voyait une forme de bullshit. Il ne fallait pas être cérébral. C'était un mélange de... Humainement, c'était un mélange de grande sophistication littéraire et de complète spontanéité. et c'était ce mélange là dans ses livres c'est comme ça dans ses livres ça donne cette apparence mais c'était ce mélange là qui était détonnant et qui donnait l'épaisseur humaine qui le rendait extrêmement séduisant dans la relation et qui déclenchait l'affection très vite il n'était pas spécialement ce n'était pas tellement qu'il était intimidant c'était qu'on sentait une sorte de sauvagerie Merci. affleurante. Si la bêtise était une forme de trahison.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Il le vivait comme ça. Il avait peur d'être déçu par vous.

  • Speaker #1

    Voilà, la peur d'être déçu par les gens qui l'entouraient. Ça, c'était très... Il avait un côté ultra sensible. Il réagissait très vite. Et on sentait qu'il pouvait disparaître s'il se sentait trahi. Mais une fois que la confiance était établie, tout se passait bien.

  • Speaker #0

    Je me suis demandé si la part sauvage de votre livre, ce n'était pas aussi une manière d'écrire sur aujourd'hui ce que lui, qui est mort en 2018, peut-être écrirait sur le monde actuel. Comme si vous aviez envie de regarder notre époque avec les yeux du maître.

  • Speaker #1

    Oui, pour une part, c'est très vrai. La part sauvage, c'est évidemment l'époque dans laquelle on est entré. Maintenant que tout a craqué, que tout le vernis des années 90 a explosé, que n'importe quoi peut arriver. C'est effectivement ce qu'on trouve dans ces livres. En quelque sorte, ces livres sont des avertissements du fait que la stabilité, le quotidien est quelque chose de très fragile et que tout peut exploser. Et effectivement, tout a explosé. Donc c'est pour ça qu'il faut les lire, ces livres. Et je regarde l'époque depuis... On regarde toujours l'époque depuis les écrivains qui nous ont formés, d'une certaine façon. Donc, il y a lui, beaucoup dans ce livre. Il y a Don DeLillo, il y en a un ou deux autres. Mais c'est... Il y a Norman Miller. Mais effectivement, oui. J'essaye de poser sur l'époque un regard littéraire à travers les écrivains qui m'ont formé et à travers ce que j'en ai compris.

  • Speaker #0

    Mais Philippe Roff, moi, je vais plus loin que vous. Il a été une sorte de prophète. Il a vu beaucoup de choses. de notre temps. Il a pressenti. Il a pressenti des tas de choses. Alors, il se trouve que la Pléiade publie ces jours-ci un tome 3 des œuvres complètes de Roth avec quatre romans et ces quatre romans, on peut les passer en revue l'un après l'autre très rapidement, ces quatre romans annoncent le monde actuel. C'est fascinant. Alors, ça commence avec Opération Shylock en 1993 qui est un regard sur Israël et la Palestine. En gros, Philippe Roth apprend qu'il existe un autre Philippe Roth là-bas, qui serait plus ou moins un agent du Mossad.

  • Speaker #1

    Ou un escroc.

  • Speaker #0

    Ou un escroc et un mythomane, en fait un avatar qui s'appelle comme lui. Et ça donne un roman sur l'antisémitisme, ça donne un roman aussi sur le fait de ne pas vouloir être juif quand on est juif. Et ça, c'est quelque chose qu'on voit aujourd'hui qui est... absolument totalement d'actualité. Comment les Juifs sont pointés du doigt. pour des choses qui ne les concernent pas forcément. Lui, en fait, Ross, c'est l'écrivain qui avait envie de s'en foutre d'être juif au départ.

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions dans votre question. Oui, oui, bien sûr. L'opération Shylock, c'est la grande préscience d'opération Shylock. Elle est dans ce qui sous-tend l'intrigue, c'est-à-dire ses rencontres avec Aaron Appelfeld, qui était dans la vie de son ami. Et l'interview qu'il y a dans le livre est une interview réelle, qu'Appelfeld a réellement faite. et dans laquelle il dit notamment, Appelfeld étant un survivant de la Shoah, ce qui nous est arrivé ressemble à quelque chose de rationnel, il y avait des trains, des heures précises, des chambres à gaz, des trucs administratifs extrêmement concrets, mais en réalité on a affronté des forces archaïques, je ne sais toujours pas pourquoi ce qui est arrivé est arrivé. C'est une grande réflexion sur le mal et sur l'histoire. Et ça, c'est quelque chose qui, je le disais tout à l'heure, qui sous-tend absolument tous les bouquins de Roth. C'est ça la part sauvage. C'est ça la part sauvage. Et Appelfeld lui donne un reflet un peu métaphysique, comme si l'histoire était gouvernée par une sorte de démiurge. Philippe Roth fait plutôt que l'histoire est faite par les hommes, et les hommes ont une nature imprédictible.

  • Speaker #0

    Et il assiste au procès de John Demianuk.

  • Speaker #1

    John Demianuk, qui était considéré comme le bourreau de Treblinka, qui était donc en procès et qui avait été arrêté aux États-Unis comme un ouvrier métallurgique et un bon père de famille américain immigré. Et tout le roman, l'un des axes du roman, c'est est-ce qu'il est vraiment ce qu'il a l'air d'être ou est-ce que c'est un monstre ? Et ça aussi, c'est encore une voie de plus. très présents dans toute l'œuvre de Philippe Roth, comme dans Shakespeare, est-ce que les apparences sont fiables, ou est-ce que derrière les apparences rassurantes, la violence, la monstruosité n'est pas dissimulée ? Pourquoi est-ce que ça donne ce côté contemporain au livre de Roth ? C'est que le paradoxe, c'est qu'il s'intéressait beaucoup à l'histoire. Tous ses livres sont très ancrés historiquement, enfin en tout cas à ceux-là, Shylock, Passer à l'Américaine et les autres. Mais en même temps, à travers l'histoire, ce qu'il montre, c'est la permanence d'une nature humaine absolument incontrôlable, violente, ridicule, hilarante, bouleversante, ce qu'il appelle la Némésis.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Alors c'est quoi la

  • Speaker #0

    Némésis ? Némésis c'est une déesse de la mythologie grecque.

  • Speaker #1

    La Némésis c'est beaucoup de choses différentes. C'est le prix à payer pour l'hubris. L'hubris, c'est une forme d'orgueil, d'arrogance, quelque chose qui fait qu'on croit pouvoir s'affranchir de la règle commune et de la prudence commune qu'il faut faire attention dans la vie. Et la némésis, c'est la vengeance des dieux. Dans la mythologie grecque, quand l'individu oublie son humilité, il est châtié. Mais c'est aussi... Chez les Romains, c'était devenu la rumeur, la réputation. Oui, d'accord. Donc, il y a plusieurs sens possibles.

  • Speaker #0

    Non, mais ce que je veux dire, c'est... Opération Shylock, c'est quand même un des premiers romans. D'abord, c'est un des premiers romans dans la littérature où l'auteur met un personnage qui porte son nom. Ça se faisait... Plus ou moins, mais rarement. Et lui, il a carrément un héros qui s'appelle Philippe Roth, mais qui n'est pas lui. Donc c'est très compliqué. C'est une auto-fiction au vrai sens du terme. Et puis, c'est un livre sur ce problème, être juif. Pourquoi c'est si compliqué ? Pourquoi les écrivains juifs ne peuvent pas fuir ça ? Il finit même par être embauché par le Mossad dans le livre.

  • Speaker #1

    À la fin, oui, c'est un jeu avec ça. La judéité de Rhodes, c'était particulier parce qu'il était américain. Et il considérait que les juifs américains de sa génération, ceux qui venaient des familles juives de sa génération, avaient la chance d'être américains, donc d'avoir échappé au sort des juifs européens. Et il fallait profiter de cette chance. Il l'explique dans plusieurs bouquins. L'ambassadeur américain, il fait dire à ses parents, faites quelque chose de votre vie. Vous avez la chance d'avoir échappé, d'être dans le pays où tout est possible. Donnez un sens à votre vie, foncez, américanisez-vous, assimilez-vous, devenez vraiment américain. Et lui, il était entièrement là-dedans. Il pensait que contrairement à ce que pensait un certain nombre de... L'appareil de la communauté juive de sa génération, dans les années 50, la fidélité aux morts de la Shoah consistait justement à se débarrasser du deuil pour pouvoir vivre pleinement, mais en même temps... L'éducation qu'il a reçue, en même temps qu'il y avait cette injonction à faire quelque chose de sa vie, il y avait la prudence, il y avait le sentiment, il y avait ce qu'il appelle une forme d'angoisse historique qui faisait que les parents disaient attention, attention, attention, restons prudents, ça peut revenir, on ne sait jamais. Dans la vie réelle, le jeune Philippe Roth ne supportait pas du tout cette contradiction et ça a généré des conflits avec ses parents, etc. Le génie de Roth, écrivain, ça a consisté à faire de cette ambivalence tribale, en quelque sorte, une sorte de réflexion progressivement philosophique et métaphysique sur l'imprédictibilité de l'histoire. Il commence par le traiter de manière comique, et puis soudainement c'est de moins en moins comique, et puis finalement c'est de plus en plus tragique. Et ce jeu entre le comique et le tragique, on le trouve dans beaucoup de ses livres, dans beaucoup de ses chefs-d'œuvre. En particulier, le premier qui m'a fait cet effet, c'était l'écrivain Fantôme, qui est une satire, qui commence comme une satire sur trois chapitres, qui est hilarante. Et puis soudainement, on tourne une page, on arrive à l'histoire qu'invente Zuckerman, mais qui peut être réelle dans le roman, qui est qu'Anne Frank a survécu à l'Héritage et vit clandestinement aux États-Unis à moitié dingue. Et là, on est soudainement dans la pathologie lourde et dans le tragique de l'histoire. Et on y croit complètement.

  • Speaker #0

    Et tous ces livres fonctionnent un peu de cette manière-là, c'est vrai. Alors ensuite, toujours dans la Pléiade, il y a le théâtre de Sabath, publié en 1995. D'ailleurs, au passage, Philippe Roth a été extrêmement prolifique et travailleur après ses 60 ans. Ça, c'est une très bonne nouvelle pour les écrivains âgés que nous sommes. C'est qu'il y a un exemple d'un écrivain qui a été peut-être le meilleur au sommet de son art à la fin de sa vie. En tout cas, à partir de 60 ans. jusqu'à sa mort, c'est absolument incroyable jusqu'au moment où il se retire, il dit j'arrête d'écrire j'ai tout dit vous l'avez connu à ce moment là comment faisait-il ?

  • Speaker #1

    on ne sait pas, lui-même ne savait pas tous ces livres qui sont publiés, c'est incroyable il y a quelque chose qui monte quand on lit les bouquins dans l'ordre ça fait un peu l'effet que fait Dostoevsky quand on lit ses romans dans l'ordre, on sent une espèce de pression mentale monter et dans les années 70, une force, mais en même temps quelque chose qui est proche de l'explosion et à partir de la contrevie incluse, la contrevie Opération Shylock, le théâtre de Sabah, Pastoral américaine, J'ai épousé un communiste, La Tâche, tout ça c'est... C'est étonnant,

  • Speaker #0

    publier tous ces livres-là à un âge avancé où on a tendance à prendre sa retraite. Bon, ça, c'est un premier point. Mais le théâtre de Sabath, ce qu'il y a d'amusant, je m'en souviens très bien, c'est que nous n'étions pas d'accord, vous et moi, à l'époque. Moi, j'ai descendu le livre, j'ai fait un article très, très méchant parce que je ne comprenais rien à ce personnage de Mickey Sabath qui, donc, passe son temps à se masturber, est un obsédé sexuel. Ça faisait un peu roman de vieux dégoûtant. c'était un livre qui a fait un peu scandale et vous vous l'aviez adoré, vous l'aviez défendu à mort dans les arts occultifs, j'en souviens on était en total désaccord et là donc je l'ai relu et je change d'avis complètement parce qu'évidemment aujourd'hui de lire un livre comme ça qui est très libre, très provoque très romantique aussi Sabath se masturbe sur la tombe de sa maîtresse morte c'est une scène inouïe c'est une scène d'une beauté inouïe et alors quand en plus on vit dans un monde aujourd'hui très puritain un monde post-metoo où ce genre de comportement de prédateur lubrique est absolument interdit c'est un défouloir total de lire le théâtre de Sabaf et en plus dans la Pléiade collection prestigieuse mais c'est absolument franchement avec une

  • Speaker #1

    traduction revue génialement ils ont fait un travail qu'il faut saluer parce que c'est vraiment intéressant on pense que c'est sérieux

  • Speaker #0

    Mais franchement, le théâtre de sa base, je vous le recommande comme un délire rablaisien.

  • Speaker #1

    En même temps, c'est un délire, c'est drôle, c'est brutal, c'est noir, c'est quand même historique. C'est une histoire d'un type qui s'interroge pendant plusieurs jours sur la question de savoir s'il va se suicider ou pas, et qui décide de ne pas le faire parce qu'il y a dans ce monde tout ce qu'il déteste, tout ce qu'il haïssait. C'est la dernière phrase du livre. Donc c'est un livre là-dessus. Effectivement, il y a beaucoup de sexe. Soit dit en passant, les scènes de sexe en particulier, il y a une scène de masturbation au téléphone qui est absolument invraisemblable parce que ça ne devrait pas passer à l'écrit. Et on ne sait pas comment il fait,

  • Speaker #0

    mais ça passe. Cela dit, c'est le spécialiste des romans sur la masturbation parce que dans Portnoy, son premier roman... Oui. Il y avait déjà une branlette dans un rôti. Oui, oui. C'est conservé ensuite à toute la famille.

  • Speaker #1

    Mais ça, c'est beaucoup plus fort parce que c'est une scène de masturbation commune. Donc, il y a tout un dialogue, ce qu'il n'y a pas dans Portnoy. Et c'est en bas de page en plus. C'est ce qui est un coup de génie d'avoir mis en bas de page. En autre, en bas de page, sur plusieurs pages. Bref, c'est un très grand roman. Et effectivement, il y a deux fois cette scène qui vient à la fin du premier chapitre et à la fin du livre, où le personnage principal, Maggie Sabas, va se masturber sur la tombe de sa maîtresse. C'est entre autres choses une très belle histoire d'amour qu'il a racontée. Et avec un drapeau américain sur les épaules et une kippa sur la tête. Et il attend la police. Et il attend la police. C'est un livre qui a commencé à poser des problèmes sérieux après sa sortie.

  • Speaker #0

    Il a fait scandale.

  • Speaker #1

    Qui a fait scandale. Et scandale redoublé parce qu'il est sorti à peu près au moment où sa seconde femme a publié ses mémoires.

  • Speaker #0

    Qui s'appelait Claire Bloom.

  • Speaker #1

    Qui s'appelait Claire Bloom. Dans lequel il y a un portrait de Roth. Et que la presse et même tout l'establishment littéraire a pris pour argent comptant. A l'exception de deux journalistes femmes qui ont bien lu le bouquin de Claire Bloom et qui se sont méfiées d'elle. Et tous les autres ont pris ce portrait pour argent comptant et l'ont plaqué sur... le portrait de Maggie Sabas dans le théâtre de Sabah pour dessiner de Philippe Prott un mélange. du vrai Philippe Roth, un mélange de Maggie Savas, misogyne et obsédé. Voilà, et à partir de là, ça a posé des problèmes. Il est devenu obsédé, misogyne, misanthrope, brutal. Ce que dans la vraie vie, il faut dire aussi, il n'était pas du tout, d'une part, et c'était quelqu'un d'extraordinairement généreux, ce qu'on dit peu, avec les hommes comme avec les femmes. Il a aidé beaucoup de monde. littérairement aussi. C'était quelqu'un qui, quand il pensait que les gens valaient la peine, quand il pensait que les gens étaient vraiment investis dans ce qu'il faisait, pouvait se montrer d'une très grande générosité, d'une très grande compréhension. Il avait un don pour l'écoute et pour l'intuition et pour le rapport à l'autre assez rare. Moi, j'ai rarement vu ça à ce point.

  • Speaker #0

    Oui, il vous a aidé, il vous a trouvé, par exemple, une place dans un atelier d'écriture. Oui, oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Et il m'a aidé, il est à l'origine de mon précédent livre, Un temps pour haïr, que j'ai écrit d'abord en anglais, à sa suggestion, parce que c'était une série de reportages que j'avais fait dans la presse américaine sur l'antisémitisme en France, mais je ne pensais pas du tout en faire un livre. C'est lui qui a eu l'idée, qui m'a dit qu'il fallait que j'en fasse un livre, qui m'a présenté son éditeur américain, son agent américain, et ça s'est fait comme ça.

  • Speaker #0

    Non, non, mais... Bon, le sexe est un des grands sujets de Love the Roth, c'est présent parce qu'il s'est libéré, parce qu'en fait c'est une période aussi, la publication du complexe de Portnoy c'est quelle année ? 69 ?

  • Speaker #1

    68 même. Oui 68,

  • Speaker #0

    donc c'est la période de libération sexuelle.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement, c'est que la question de Roth c'est qu'est-ce qu'on fait de ce qu'on est, quoi qu'on soit, en l'occurrence dans son cas, américain d'origine juive, homme. Donc c'est quoi les déterminants, c'est quoi qui vous empêche d'être libre ? C'est tout ce que vous êtes en fait. La question de Rhodes c'est la liberté, mais comment est-ce qu'on s'affranchit de ce qu'on est sans le nier ? C'est ça la question. Donc tous ces bouquins sont des réflexions sur ce que c'est qu'être un Américain, ce que c'est qu'être quelqu'un d'origine juive. Ils ne se revendiquaient pas comme juifs au sens religieux du terme, mais historiquement bien sûr. Il était juif. Culturellement, son éducation à Newark. Il ne parle pas de son éducation. Et enfin, qu'est-ce que c'est qu'être un homme, avec tout ce que ça suppose de discutable, voire de franchement nul. Voilà, c'est ça.

  • Speaker #0

    Alors, le livre suivant, encore plus prophétique, c'est Le complot contre l'Amérique, qui est le troisième livre dans cette édition de La Pléiade. C'est en 2004, où là, carrément, il décrit un fascisme américain. puisqu'on est en 1940, il imagine que Charles Lindbergh gagne l'élection présidentielle, Charles Lindbergh était pro-nazi, et quand on pense aujourd'hui, à l'époque on s'est demandé, mais pourquoi, qu'est-ce qui lui prend, pourquoi est-ce qu'il écrit ce livre, et en fait il est visionnaire, je ne dis pas que les nazis soient au pouvoir aujourd'hui en Amérique, mais enfin nous avons Donald Trump qui est un... Voilà, un mouvement un peu hybride entre le complotisme, le conservatisme, le suprémacisme. Et il a eu cette intuition.

  • Speaker #1

    C'est le complot contre l'Amérique, c'est un livre qui n'a pas du tout été compris en France. En revanche, aux États-Unis, quand il est sorti en 2004, ça a été un succès. Avant même sa sortie, il y avait des précommandes chez Amazon qui étaient démentes. Le bouquin était quasiment un best-seller. Tout le monde l'a vu à l'époque comme une dénonciation. du gouvernement Bush, que ça n'était pas du tout. Et moi, quand il m'a donné le premier manuscrit qu'il me donnait à lire, je l'ai lu dans l'avion comme un écho à ce que j'avais l'impression de vivre en France. C'est-à-dire que tout le monde a plaqué ce qu'il voulait sur ce bouquin.

  • Speaker #0

    Et peut-être que moi, quand je plaque Trump là-dessus, c'est une autre erreur.

  • Speaker #1

    C'est ce que j'allais dire. C'est en partie seulement une erreur. C'est-à-dire que ce livre est bizarre parce qu'il a été lu comme ça par la presse américaine. Une histoire américaine authentique. à travers un présupposé de fiction invraisemblable. La dernière interview que j'ai faite de lui, d'Europe, en 2018, Trump était élu, et on a parlé de Lindbergh. Et il m'a dit, quoi qu'on pense de Lindbergh, c'était un véritable héros américain. Il avait traversé l'Atlantique en solitaire, tout le monde l'idolâtrait, etc. Trump, c'est un voyou, c'est un escroc, c'est un minable. Bref, il ne tarissait pas de critiques sur Trump. En fait... L'intelligence de Roth dans le livre, c'est d'avoir fait de Lindbergh un président qui n'est pas un fasciste, mais qui signe avec Hitler un pacte de non-agression, ce qui est très différent. C'est-à-dire qu'il avait dans la vie réelle, Lindbergh avait des sympathies pour le nazisme et il était gentiment antisémite. Mais ce que Roth invente, c'est un pacte de non-agression avec Hitler, un peu comme Trump pourrait signer un pacte de non-agression avec Poutine, par exemple. Disons isolationniste. Exactement. Il fait deux choses. C'est un gouvernement isolationniste qui invente, comme dans la réalité, le slogan « America first » , qui a été repris dans la réalité par Trump. Et il fait une autre chose. Comme les Juifs sont considérés comme les fauteurs de guerre, ça aussi, ça correspond à la réalité historique. c'est en 40. et entre 1940 et 1942, avant que Roosevelt décide à entrer en guerre, Les juifs sont considérés comme le lobby qui cherche à pousser les Américains dans la guerre. Et donc non américains, parce que l'Amérique se tient à distance du chaos et de la décadence européenne. Et ce que fait donc Lindbergh dans le roman d'Horoth, c'est de mettre en place une politique d'assimilation des juifs. On va démanteler les communautés juives de Newark et d'ailleurs, on va les embarquer dans le Kentucky, je ne sais pas, dans le sud, pour qu'ils deviennent de vrais américains. Et ces deux éléments... Pacte de non-agression d'un côté et assimilation disséminée au fin fond du Midwest de l'autre va suffire à créer chez les Juifs un sentiment d'angoisse historique et ça va partir en vrille à partir de là. Chacun va réagir comme il veut. Et donc l'intelligence de Roth, en fait, ce qu'il fait, c'est qu'à travers sa propre famille qu'il met en scène dans cette fiction, il étudie les mécanismes de la peur à l'œuvre dans la communauté juive à partir d'éléments qui sont un peu comme aujourd'hui avec Trump, effectivement. C'est-à-dire qu'on voit Trump. Mais ce qui est intéressant dans ce qui se passe aujourd'hui, c'est que le gouvernement Trump, quoi qu'on en pense, pour l'instant, n'est pas un gouvernement fasciste. Mais il éveille chez les gens un sentiment de peur qui fait qu'on se met à dire beaucoup de choses, tout et son contraire à son sujet. Et pour le coup, c'est une des choses qu'il a sentie.

  • Speaker #0

    C'est très curieux parce que... Roth venait de publier La Tâche. La Tâche n'est pas dans ce volume-là, mais c'est un livre très important sur la cancel culture. C'est le premier grand roman du politiquement correct, avec ce personnage de prof qui est cancelé, qui est annulé, qui perd son travail pour avoir dit un mot à double sens. Bref, il faut lire le livre. Mais ça, c'est en l'an 2000. Et quatre ans après, le complot contre l'Amérique, c'est comme s'il avait senti deux mouvements, le wokisme, Et le trumpisme. Deux mouvements qui sont aujourd'hui les deux dangers qui nous menacent, nous, occidentaux.

  • Speaker #1

    Qui vont plus que nous menacer. Qui sont en train de détruire la fabrique de la démocratie libérale occidentale. Oui,

  • Speaker #0

    c'est le seul écrivain qui ait vu venir ces deux mouvements.

  • Speaker #1

    De manière aussi précise, oui. Moi, j'ai posé la question un jour. Je lui ai dit, mais c'est quand même bizarre. vous êtes Vous avez grandi dans une... Vous avez eu une enfance très stable. Vous avez été élevé par des parents aimants. Il ne vous est arrivé aucune tragédie historique particulière. Et vous mettez en scène systématiquement, dans vos dernières, en particulier, un chaos historique invraisemblable. Pourquoi ? Et je vais dire, est-ce que ce n'est pas l'influence des écrivains d'Europe et des brebis de l'Est en particulier qui vous nourrit ? puisqu'il en a connu beaucoup. Il a été ami à Kundera, il a été ami avec beaucoup d'écrivains tchèques. Et il m'a dit, peut-être, il reconnaissait l'influence de la littérature européenne, et il m'a dit aussi, en fait, j'ai une très forte conscience, je paraphrase, du privilège que j'ai d'être américain. L'Amérique, pour moi, c'est formidable, mais je... Je fais l'éloge de l'Amérique par implication, c'est-à-dire en creusant tout ce qui pourrait arriver, en creusant sa fragilité, tout ce qui pourrait arriver. Et effectivement, c'est arrivé.

  • Speaker #0

    C'est arrivé. L'Amérique était fragile. Il avait raison. Alors, il y a le quatrième roman du volume qui existe, Le Fantôme, c'était en 2007. Bon, là, c'est plus. C'est le dernier Zuckerman,

  • Speaker #1

    c'est un livre sur la vieillesse. C'est une sorte de point d'orgue, c'est moins fort que les autres romans et surtout moins fort que la série des Zuckerman, mais c'est très intéressant quand même parce que là aussi c'est un livre de deuil, c'est le livre de deuil d'un New York qui est en train de disparaître. Moi c'est comme ça que je l'ai lu en tout cas.

  • Speaker #0

    Alors, il y aura un tome 4 de la Pléiade avec Pastoral américaine, J'ai été un communiste et La Tâche qui sont la trilogie. Mais quand on regarde tout ça, on se demande pourquoi il n'a pas obtenu le Nobel. Alors, est-ce qu'il était trop incorrect ? Est-ce qu'il était trop sexuel ? Est-ce qu'il était trop provocateur ?

  • Speaker #1

    C'est la phrase que je cite de la romancière irlandaise Edna O'Brien pour son 80e anniversaire. très grande romancière d'ailleurs, soit dit, soit dit, elle dit quelque chose comme... Il est assis à la première table de l'establishment littéraire, mais il n'en fait pas partie. Trop provoquant, trop précis, trop... Je ne sais plus quelle est la phrase, mais peut-être que... Si je peux la chercher, je vais essayer de la retrouver. Mais je pense que c'est ça, je pense qu'il y avait quelque chose qui... Voilà. Il siégeait à la première table de l'establishment littéraire, mais n'en faisait pas partie. Trop sauvage, trop esthétiquement acéré, trop honnête. Je pense que ça répond à la question du Nobel.

  • Speaker #0

    Le Nobel n'a pas couronné beaucoup d'écrivains insolents. Peut-être l'italien, Dario Faux. Dario Faux, c'est le seul.

  • Speaker #1

    Je le considérais comme un écrivain. comme un écrivain alors

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il rendait tout le monde plus intelligent, même vous. C'est vrai que c'est aussi ça la qualité d'un grand romancier, finalement. C'est de nous rendre un peu meilleurs que nous ne sommes. Mais est-ce que vous pensez... Alors ça, c'est la question tabou. Attention. Est-ce que vous pensez que c'est un libertaire de gauche qui est devenu un réacte de droite, un peu comme nous tous ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. Alors, je ne pense ni l'un ni l'autre. Je ne pense pas que nous tous, qui ont des libertaires de gauche... Vous ne considérez pas que vous,

  • Speaker #0

    vous étiez de gauche et que vous êtes devenu de droite ?

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions. Moi, je ne me suis jamais considéré vraiment comme de gauche, d'une part. J'ai baigné dans un milieu de gauche, parce que dans les milieux culturels, on se retrouve dans les milieux de gauche. Je n'ai jamais de ma vie milité nulle part. Dieu m'en préserve. Et je ne me considère pas comme quelqu'un de droite aujourd'hui, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que je pense que ces termes, s'ils ont eu un sens à un moment donné, ils n'en ont vraiment plus du tout. Je rappelle que les deux personnalités...

  • Speaker #0

    Progressiste devenu conservateur.

  • Speaker #1

    Non, mais oui. Je vais répondre sur Roth, c'est plus intéressant que moi. Mais je pense que Roth n'est jamais devenu conservateur. Alors, politiquement, sûrement pas. Il s'inscrivait vraiment dans la tradition démocrate américaine, par certains aspects la moins intéressante d'ailleurs, de mon point de vue. Mais d'autre part, dans ses livres, ce qui est plus intéressant, un livre comme Pastoral américaine, par exemple, qui a été lu effectivement comme une critique des années 60 et un livre conservateur, à mon avis, ne l'est pas du tout. C'est une réflexion sur le chaos américain, à travers ce qu'il montre. Du chaos des années 60, là aussi, c'est un livre qui a commencé dans les années 70. Il montre l'émergence d'une forme de pathologie nihiliste américaine.

  • Speaker #0

    Je résume l'histoire. C'est l'homme parfait, l'américain parfait, qui a une fille qui est terroriste. Et il ne comprend pas. Sa fille est engagée contre la guerre du Vietnam. militante vraiment, qu'on pourrait dire aujourd'hui, d'ultra-gauche. Et c'est vrai que c'est aussi un des premiers livres sur le wokisme, d'une certaine façon, sur l'incompréhension entre les générations.

  • Speaker #1

    Oui, sur l'aspect le plus sociopathe du wokisme. Mais comme on voyait des figures comme ça émerger à l'époque, comme Valérie Solanas, comme d'autres, comme Lierre Véosvald, évidemment, comme Jean-Claude Son. Action directe en France. Voilà. Mais avec un élément plus franchement cinglé aux États-Unis. Le livre, il a commencé à l'écrire dans les années 70. Et d'après ce qu'il m'a raconté, il a cessé de l'écrire pour la bonne raison qu'il était d'accord avec la fille. Donc, il n'y avait pas de tension. Et il l'a repris dans les années 90, quand il a commencé à comprendre que le point de vue intéressant était celui du père. Parce que ça créait... à nouveau cette réflexion sur l'histoire, quelque chose d'incompréhensible vient heurter la vie de ce type.

  • Speaker #0

    Elle a grandi dans une bourgeoisie moyenne, parfaite, dans une banlieue à Newark.

  • Speaker #1

    Mais étant Roth, prend bien soin de présenter son héros dans le premier chapitre, qui à mon avis est un trou de force littéraire, qui faisait vraiment la leçon de Flaubert retenue, dans une sorte de confrontation avec le narrateur. et le narrateur découvre ce héros qui va être le héros du livre pendant 400 pages et il découvre un monument d'ennui. C'est-à-dire que le type, effectivement, va se heurter au chaos du monde, mais à travers son incompréhension et son incompréhension, c'est celle d'un type tout à fait ordinaire qui est d'un ennui profond. Et ça, c'est cette tension-là. Donc, il n'y a pas de... Tout ça pour dire qu'il n'y a pas de repli conservateur. Il n'y a pas une seconde dans Pasteur l'Américaine, il dit... Il laisse entendre que les épressantes c'était... Le début de la décadence, c'était affreux. Il faut tenir à l'ordre.

  • Speaker #0

    Ce qui est bien chez lui, c'est qu'il nous prend pour intelligents et ça ne pointe pas les gentils et les méchants. C'est toujours pour compliquer l'histoire. C'est ça qui est bien. Alors, on passe au jeu devine tes citations. Marc Wetzman, je vais vous lire des citations qui sont peut-être de vous et peut-être de Philip Roth. Et vous devez me dire, ça c'est moi ou c'est l'autre. Et il y a un piège. Tout de suite. C'est à propos du 11 septembre 2001. Le prodige de l'exploit émerveillait. Quelque chose se payait.

  • Speaker #1

    Ça c'est ni de lui ni de moi, c'est de Annie Ernaux.

  • Speaker #0

    Exactement, Annie Ernaux a écrit, je découvre ça dans votre livre.

  • Speaker #1

    Dans nos années.

  • Speaker #0

    Dans les années 2008, oui. Le prodige de l'exploit émerveillait, quelque chose se payait. Ça, il faut le faire, d'écrire ça. Autre phrase. Les pièges les plus parfaits ne sont-ils pas toujours ceux que l'on se tend à soi-même ?

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    C'est vous dans... La part sauvage. La part sauvage. Alors je ne peux pas ne pas vous demander à propos de pièges qu'on se tend à soi-même. Qu'est-ce qui s'est passé à France Culture ? Vous animiez une émission, signe des temps, depuis 2018, depuis la mort de Philippe Roth, vous aviez une émission, vous étiez rentré en France et elle a été supprimée cette année. Qu'est-ce que vous avez fait de mal pour être puni ?

  • Speaker #1

    Ce qui s'est passé, comment dire, je ne veux pas trop développer parce que je suis en procédure avec eux de toute façon, mais ce qui s'est passé, c'est que pour me limiter à ce que... que la direction m'a dit, ils trouvaient l'émission confuse, c'est-à-dire plus ou moins incompréhensible. Comme la mienne ! Voilà.

  • Speaker #0

    C'est parce que la vie est confuse.

  • Speaker #1

    Par ailleurs, ils ont écrit, enfin ils ont publié des communiqués expliquant qu'il n'y avait aucune audience, que c'était nul, que bref, c'était catastrophique. La réalité, c'est qu'il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas entre eux et moi. Voilà. Bon, je ne peux pas tellement développer. Oui, non, non,

  • Speaker #0

    mais c'est ce qui arrive. Moi, mon émission, elle a été supprimée par Radio Classique, et puis je l'ai continuée quand même.

  • Speaker #1

    Ils ont considéré que quelque chose ne fonctionnait pas entre eux et moi, parce que je ne m'inscrivais pas suffisamment dans le...

  • Speaker #0

    Dans la ligne éditoriale.

  • Speaker #1

    Dans la ligne éditoriale, oui, puisqu'ils ont parlé de ligne éditoriale.

  • Speaker #0

    De toute façon, vous pouvez, vous savez, avec les nouvelles technologies, vous pouvez continuer votre émission si vous en avez envie. Eh bien, on verra ça, on va voir ça. Voilà, peut-être. Autre phrase de vous, non, pas de vous, enfin, je ne sais pas, est-ce que c'est de vous ou pas de vous ? Tu crois que tu sais ce qu'est un homme ? Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme.

  • Speaker #1

    Ça, c'est Roth, c'est dans Pastoral American, c'est le frère du personnage principal qui lui parle. Il est fort,

  • Speaker #0

    il est très fort, il est très fort. Et au fond, c'est ça le sujet de tous ses livres. Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme. Un de ses derniers livres s'intitule « Everyman » , qui était traduit « un homme » en français. C'était intraduisible, « everyman » . Non,

  • Speaker #1

    parce qu'en plus, ça fait référence à « everyman » , ça fait référence à des pièces du Moyen-Âge en Angleterre, où c'était une sorte de fable où l'homme était confronté à la mort.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi l'idée que... Parce qu'il y a une autre phrase dans « Pastoral américaine » , il dit « l'homme n'est pas fait pour la tragédie » . C'est ça la tragédie de tout homme. C'est qu'il n'est pas fait pour la tragédie. En gros, il expliquait que l'homme est détruit, défait par quoi ? Par l'histoire, par la vie, par la mort ?

  • Speaker #1

    Par quelque chose qui se produit soit en lui, soit à l'extérieur de lui, mais il y a toujours quelque chose à un moment donné qui vient frapper et qui vient détruire. Alors, son intérêt, c'était... de mettre en scène des hommes forts qui se sont construits une vie indépendante et qui se sont battus pour se réaliser et quand ils y arrivent, quand tout est gagné soudainement quelque chose se passe qui va les détruire mais ça c'est normal il faut l'accepter toute la discussion qu'on avait et que je mets en scène dans le livre c'est la question de savoir dans quelle mesure on est responsable ou pas de ce qui nous arrive oui c'est ça ça dépend et c'est... Et bon, il n'y a pas vraiment de réponse à cette question, évidemment, mais... Et à la fin, au moment de Némésis, je crois, je lui ai posé la question de... Parce qu'il y a quelque... La seule occurrence, la seule fois où il parle religion, c'est dans Némésis, c'est dans son dernier livre, et il parle d'égnostique, c'est-à-dire de cette... aux religions contemporaines de Jésus selon laquelle le monde avait été créé par un démiurge mauvais. Le vrai Dieu était exilé hors du monde et le monde était créé et dirigé par une espèce de monstre. Et c'est ce que croit le personnage principal de Némésis. Et je lui ai demandé dans quelle mesure il y avait quelque chose comme ça chez lui parce que Il me semble qu'il y a quelque chose comme ça dans la culture américaine. Il y a cette idée que...

  • Speaker #0

    Le pays s'est construit sur un massacre et un esclavage.

  • Speaker #1

    Et alors il m'a répondu, si j'étais religieux, je croirais quelque chose comme ça. Mais je ne suis pas religieux, donc pas du tout.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Qui a écrit ça ? Vous ou lui ? Une bande d'individus qui ont un penchant pour la provocation canaille, l'improvisation satirique, l'imposture impétueuse, l'irrévérence railleuse, le monologue démesuré, la réalité corporelle vociférante, le faux délire. Et ça, c'est une définition de l'homme.

  • Speaker #1

    C'est lui. C'est une définition de ses personnages, en fait.

  • Speaker #0

    Sur ses héros, il écrit ça, oui, tout à fait. J'avais récusé ma famille à 20 ans et à 40, démissionné des positions sociales acquises entre-temps. Et j'avais voyagé.

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    Ça, c'est vous dans La part sauvage. Mais ça ressemble un peu à du Philip Roth. Parce qu'avec sa famille, son milieu, sa judéité, ses ex-épouses,

  • Speaker #1

    il y avait des points communs. Sinon, on n'aurait pas été amis, je suppose. Il avait un goût certain pour les personnages, dans la vie, je veux dire, pour les gens en rupture de banc. Et c'était mon cas à l'époque, et pour les gens qui sont en conflit avec leur père, ce qui était mon cas aussi.

  • Speaker #0

    Vous faites plusieurs fois allusion, dans le livre, à une idée folle, mais qui me plaît beaucoup. Cette idée, c'est que l'extermination des Juifs d'Europe expliquerait notre nullité actuelle. Et qu'au fond, on ne peut pas tuer 6 millions de gens.

  • Speaker #1

    C'est pas le nombre, c'est que...

  • Speaker #0

    Sans qu'il y ait une conséquence sur le présent.

  • Speaker #1

    Il y a deux choses. D'abord, je pense qu'effectivement, au-delà ou à côté de la question des Juifs, un continent qui s'est suicidé collectivement pendant un demi-siècle, entre 14 et 45, parce que c'est en fait la même histoire, on ne se réunit pas d'un suicide. C'est aussi simple que ça. On a cru que oui, parce que... la consommation les années 60. Quand on était sous le parapluie américain, on avait l'air de vivre normalement. En réalité, la fin de la guerre froide, c'est la fin du dégel du cadavre, tout simplement. Et on se rend compte à quel point il est pourri. C'est ça ce qui se passe en Europe, à mon avis. D'autre part, pour ce qui est des Juifs, ma thèse c'est que, et ce n'est pas seulement la mienne, d'ailleurs c'est celle de Georges Steiner aussi et de quelques autres, les Juifs en Occident, et pas seulement en Occident, mais surtout en Occident, et Ils apportent une espèce d'énergie urbaine, culturelle. C'est pas tellement qu'ils peuvent inventer, mais surtout, ils poussent l'énergie à son paroxysme. Quand vous regardez les grands centres culturels de l'histoire occidentale, l'Espagne de l'âge d'or, la Vienne du XIXe siècle, New York dans la deuxième moitié du XXe siècle, L'élément juif et l'élément homosexuel, d'ailleurs, sont les ressorts des centres culturels occidentaux. Je n'arrive pas à le dire autrement. Non,

  • Speaker #0

    mais je le pense, moi, en tant que Goy, je pense que les écrivains juifs, par exemple, ils ont quelque chose de plus intelligent que nous, qui est lié à cette histoire. horrible.

  • Speaker #1

    Évidemment,

  • Speaker #0

    quand on est obligé d'être un peu plus parano que les autres.

  • Speaker #1

    Les juifs sont bons sous la pression. Il y a une sorte de truc comme ça. Il y a quelque chose qui fait que... En Israël, quand j'étais en Israël en 2000, au moment où le processus de paix a explosé, jusque-là, pendant toutes les années 90, on pensait que c'était réglé, on allait vers la paix au Moyen-Orient, et d'ailleurs vers la paix dans le monde entier. Et quand ça a explosé, quand les... Quand les attentats suicides ont commencé à se produire, tout le monde avait quelque chose à dire. Il y avait 15 idées par jour, toutes intelligentes, toutes intéressantes. Évidemment, c'est le problème, toutes inutiles.

  • Speaker #0

    En conclusion, on va faire le questionnaire quand même. Mon questionnaire de Big BD est très important. Sur la vie amoureuse de Roth, c'est plutôt un désastre, la vie amoureuse. à un moment vous le voyez il note le téléphone d'une serveuse c'est un peu triste plusieurs oui on a parlé du livre de sa deuxième femme qui était terrible peut-on être un grand romancier et heureux en amour

  • Speaker #1

    Ça, je n'en sais rien, il y en a. Il y en a. Je ne sais pas s'il était parce qu'il était grand romancier. Je pense que c'est tout simplement parce qu'il avait un goût catastrophique pour ses partenaires. Il n'est pas le seul comme ça. Il y a plein d'hommes et de femmes qui ont des goûts catastrophiques.

  • Speaker #0

    Qui ne sont pas attirés vers la bonté. Voilà. Je voulais montrer ceci parce que c'est un livre que vous avez publié il y a 20 ans. 28 raisons de se faire détester, et peut-être c'est ça le point commun entre Philippe Roth et vous et moi, c'est de penser que c'est pas mal de créer de l'urticaire chez son lecteur, je ne sais pas. Pourquoi vous aviez choisi ce titre ?

  • Speaker #1

    Parce qu'à l'époque j'étais aux Inoccupables, et donc c'est un recueil d'articles que j'ai publiés dans les Inoccupables, et j'avais une image détestable. Les quelques amis que j'avais me disaient que j'étais détesté par tout le monde.

  • Speaker #0

    donc pourquoi pas vous poussez le jeu jusqu'au bout c'est une grande qualité au contraire alors le questionnaire le célèbre questionnaire de Bec BD tout ce qui restera de moi pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok

  • Speaker #1

    C'est une question très importante. Parce que... Je ne sais pas comment répondre à cette question. Parce qu'il perdra moins de temps. Ce livre-là en particulier, parce que c'est un livre où il est beaucoup question de colère et je pense qu'il y a beaucoup de colère qui traîne. Donc je pense que ça peut échoer des choses.

  • Speaker #0

    Puis, je pense que c'est quand même un peu plus intelligent que TikTok. Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #1

    Écrire un livre comme ça.

  • Speaker #0

    Oui. Vous n'avez jamais eu peur en l'écrivant que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #1

    Non, parce que je pense qu'aucun livre ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Oui. Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Non. Ni méchant d'ailleurs, je veux dire, c'est pas le sujet.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'écrire ? La pauvreté, la folie ou la solitude ?

  • Speaker #1

    La solitude.

  • Speaker #0

    Avez-vous déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ou juste une perte de temps ?

  • Speaker #1

    Il faudrait qu'il y en ait une.

  • Speaker #0

    C'est un livre de critique littéraire, là.

  • Speaker #1

    Ah bon, pardon. Non, mais c'est un livre... Je ne te conseille pas du tout comme ça, moi, mais...

  • Speaker #0

    C'est un livre sur la littérature.

  • Speaker #1

    Oui, la critique littéraire qui est de la littérature, elle fait partie de la littérature, voilà. La critique littéraire en tant que telle, je ne suis pas sûr de savoir à quoi ça correspond.

  • Speaker #0

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné une interview de sa vie.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un roman doit-il réparer le monde ? On entend beaucoup ça.

  • Speaker #1

    Non, certainement pas.

  • Speaker #0

    Quel est votre chef-d'œuvre ?

  • Speaker #1

    Quel est mon chef-d'œuvre ? À moi, personnellement ? Oui, à vous, oui. Quand on publie un livre, on pense toujours que c'est le dernier qu'on vient de publier qui est le meilleur. Donc, voilà, par sauvage, oui.

  • Speaker #0

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    Un quoi ?

  • Speaker #0

    Un ouin-ouin, vous ne connaissez pas cette expression ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Les écrivains, notamment de sexe masculin, qui se lamentent sur leurs conditions, sur leur virilité perdue. Ah, non, pas du tout. Ils féminisent les traites de ouin-ouin.

  • Speaker #1

    Ah non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #1

    Non, oui, il serait plutôt de dire la vérité sans se faire prendre.

  • Speaker #0

    Quel est le meilleur écrivain français vivant ? Je passe mon tour. Le seul qui a répondu « moi » , c'est Régis Geoffray. Il a eu du mal, mais il a fini par le faire. Si vous étiez très riche, cesseriez-vous d'écrire ? Non. La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #1

    Je suis incapable de vous dire parce que je ne connais pas mes phrases par cœur.

  • Speaker #0

    Avez-vous menti durant cette conversation ? Non. La question Fahrenheit 451. Alors, imaginez un monde où les livres sont interdits. Lequel apprendriez-vous par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #1

    Alors là... Peut-être une pièce de Shakespeare.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'au moins, ça c'est riche. C'est-à-dire que c'est dense. On ne peut pas s'ennuyer en apprenant par cœur. Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #1

    Sauver la vie physiquement, non, mais certainement que les livres de Roth, entre autres, m'ont vraiment aidé à vivre avec un ou deux autres auteurs.

  • Speaker #0

    Et enfin ? Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #1

    J'en ai vraiment aucune idée. Quelque part entre 7 et 77 ans.

  • Speaker #0

    Il y a une dernière question qu'on a ajoutée. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Ou que vous écririez différemment aujourd'hui ? Peut-être vos premiers romans ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas que je les écrirais. Je reprendrais peut-être des trucs à la marche, des phrases mal foutues, peut-être. Mais je ne crois pas que je... Celui que j'aurais écrit le plus, c'est probablement Mariage Mixte. Mais non...

  • Speaker #0

    Mariage Mixte avait eu un procès.

  • Speaker #1

    Oui, il y avait eu un procès, mais ce n'est pas pour ça que je l'aurais écrit.

  • Speaker #0

    Eh bien, merci infiniment Marc Wetzman.

  • Speaker #1

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Je vous ordonne de lire la part sauvage de Marc Wetzman aux éditions Grasset. N'hésitez pas à commenter les vidéos, à polémiquer, à m'insulter. C'est la vie, c'est vivant. Et n'oubliez pas, la littérature est à l'esprit ce que le sport est au corps. Bonsoir. Merci.

Description

En racontant sa rencontre avec Philip Roth, l'homme et l'œuvre, Marc Weitzmann nous parle aussi de notre génération, de l'Amérique, de la littérature et de lui-même. Dans cet essai subjectif, on voit la déliquescence de la démocratie occidentale, à travers les yeux de deux écrivains, de part et d'autre de l'Atlantique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Alors, comme chaque semaine, la conversation chez La Pérouse est sponsorisée, et cette semaine, c'est Osco, qui est un apéritif sans alcool, à base de romarin. Et donc, ça change beaucoup, parce qu'autrefois, Marc Wetzman et moi-même, nous buvions de la vodka. Mais les temps changent, nous avons vieilli. Et donc, nous avons un cocktail sans alcool. Mais c'est assez frais. C'est intéressant, voilà, et qu'est-ce que je peux vous dire de plus ? C'est à base de plantes méridionales et de verjus, le verju étant le raisin avant fermentation. C'est pour ça que ça a ce petit goût amer, doux, amer, comme la littérature. Bonsoir vous. les intellectuels qui nous regardaient, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec...

  • Speaker #1

    Marc Wetzman.

  • Speaker #0

    Pour son livre...

  • Speaker #1

    La part sauvage.

  • Speaker #0

    Publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset.

  • Speaker #0

    Vous avez été parfait Marc, merci beaucoup d'être là. C'est quoi la part sauvage ?

  • Speaker #1

    C'est quoi la part sauvage ? C'est beaucoup de choses dans le livre. C'est essentiellement ce qui bouillonne sous les apparences, pour le dire en un mot. ce qui bouillonne sous le quotidien.

  • Speaker #0

    Philippe Roth, au fond, s'il n'a qu'un message, c'est de dire que la vie est incontrôlable. Il y a cette part sauvage qui est l'imprévisible, qui peut détruire la vie d'un homme. Alors généralement, ça vient quand même de la grande histoire.

  • Speaker #1

    Ça dépend, ça peut venir de l'individu lui-même, sur un mode comique comme dans Portnoy. Ça peut venir... sur un mode moins comique, plus éruptif, comme dans le théâtre de Sabah, et puis ça peut venir effectivement de la grande histoire. La grande histoire qui prend sous la plume de Roth l'apparence de quelque chose d'incontrôlable, d'imprévisible, et c'est essentiellement le surgissement du mal, M.A.L., d'une manière ou d'une autre, à un moment donné. Conception qui partage d'ailleurs avec des gens comme Aaron Appelfeld et d'autres, on en parlera peut-être.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Donc, La part sauvage raconte votre rencontre avec Philip Roth en 1999 pour un interview à New York chez son agent, qui tourne à une vraie amitié sur une vingtaine d'années. Vous le voyez très régulièrement, vous êtes même parti vivre à New York, vous déjeuniez avec lui toutes les semaines, et vous avez raconté dans ce livre cette chance finalement que vous avez eue de devenir assez proche. Il vous appelait le French Bandit, assez proche d'un des plus grands écrivains américains du XXe et XXIe siècle. C'est marrant parce qu'il y a une tradition dans la littérature depuis toujours de la visite aux grands écrivains. Je pense à Eckerman qui va voir Goethe, à Weimar, vous savez, tous les jeunes écrivains en général ont envie de rencontrer leur idole. Mais vous, vous écrivez, vous appartenez à cette tradition.

  • Speaker #1

    De certaine façon, oui, on peut le voir comme ça. C'était surtout... Quand j'ai pensé... J'ai beaucoup réfléchi à ce livre avant de l'écrire, pendant plusieurs années, parce que j'avais l'impression de lui devoir, en quelque sorte, ce livre. Mais la question était de savoir comment le faire. Et une des choses que je ne voulais pas faire, c'était précisément un livre de souvenirs littéraires. Mes promenades dans Central Park avec Philippe Prol, ça m'endormait d'avance.

  • Speaker #0

    Il y en a un peu.

  • Speaker #1

    Il y en a un peu, mais il fallait que je trouve un récit, il fallait que je trouve quelque chose. Et il fallait que j'explique pourquoi quelqu'un de ma génération française, d'origine juive, pouvait s'intéresser à ce point à quelqu'un d'une autre génération, d'un autre continent, tel que Philippe Prott, en dehors de l'évidence du génie littéraire, je veux dire. Donc voilà, c'est le point de départ du livre. C'était une chance, et en même temps, c'est une chance d'avoir eu ce lien et cette amitié-là. C'est une chance à laquelle j'essaie de rendre hommage dans ce livre. Et en même temps, c'était quelque chose de... Comment dire ? C'est le résultat de beaucoup de refus de ma part. Ce n'est pas seulement une chance, c'est aussi le résultat d'une certaine forme de colère qui m'a conduit à partir. Oui, à partir là-bas.

  • Speaker #0

    C'est assez drôle parce qu'au début, il vous teste. Vous êtes arrivé avec plein de fiches comme moi, laborieux, besogneux. Vous avez préparé vos questions et il fait la gueule. Très vite, vous laissez tomber vos fiches et vous lancez dans la conversation. Alors, je vous dis tout de suite que ce sera raté pour moi aujourd'hui parce que... Sans mes fiches, je ne suis plus rien. Mais c'est assez marrant. Il était assez compliqué. D'abord,

  • Speaker #1

    intimidant. Il était intimidant au début, oui, bien sûr. En fait, en l'occurrence, cette histoire de fiches, c'est que le premier entretien, je connaissais ses livres depuis longtemps. Et je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il finisse par accepter une interview. Je lui avais demandé plusieurs interviews. Il avait toujours refusé. Soudainement, il dit oui. Donc, je m'étais hyper préparé parce que je savais que j'avais qu'une heure. En général, je ne fais jamais ça. Je ne prépare jamais à ce point des interviews. Ça me semble contre-productif de ne pas laisser une conversation se dérouler. Et là, pour une fois, j'y suis allé bardé avec une structure mentale très précise. et évidemment, ça n'a pas marché. Effectivement, j'ai laissé tomber les questions et à partir de là, on a commencé à discuter normalement. Et puis par la suite, on s'est mis à discuter normalement quand on a commencé à se voir régulièrement. Et en fait, il était... Il était intimidant, mais ce n'est pas seulement ça. C'est qu'il n'avait pas les... Hemingway parle du bullshit detector, le détecteur de conneries. Certains écrivains ont ça. Et la cérébralité, il y voyait une forme de bullshit. Il ne fallait pas être cérébral. C'était un mélange de... Humainement, c'était un mélange de grande sophistication littéraire et de complète spontanéité. et c'était ce mélange là dans ses livres c'est comme ça dans ses livres ça donne cette apparence mais c'était ce mélange là qui était détonnant et qui donnait l'épaisseur humaine qui le rendait extrêmement séduisant dans la relation et qui déclenchait l'affection très vite il n'était pas spécialement ce n'était pas tellement qu'il était intimidant c'était qu'on sentait une sorte de sauvagerie Merci. affleurante. Si la bêtise était une forme de trahison.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Il le vivait comme ça. Il avait peur d'être déçu par vous.

  • Speaker #1

    Voilà, la peur d'être déçu par les gens qui l'entouraient. Ça, c'était très... Il avait un côté ultra sensible. Il réagissait très vite. Et on sentait qu'il pouvait disparaître s'il se sentait trahi. Mais une fois que la confiance était établie, tout se passait bien.

  • Speaker #0

    Je me suis demandé si la part sauvage de votre livre, ce n'était pas aussi une manière d'écrire sur aujourd'hui ce que lui, qui est mort en 2018, peut-être écrirait sur le monde actuel. Comme si vous aviez envie de regarder notre époque avec les yeux du maître.

  • Speaker #1

    Oui, pour une part, c'est très vrai. La part sauvage, c'est évidemment l'époque dans laquelle on est entré. Maintenant que tout a craqué, que tout le vernis des années 90 a explosé, que n'importe quoi peut arriver. C'est effectivement ce qu'on trouve dans ces livres. En quelque sorte, ces livres sont des avertissements du fait que la stabilité, le quotidien est quelque chose de très fragile et que tout peut exploser. Et effectivement, tout a explosé. Donc c'est pour ça qu'il faut les lire, ces livres. Et je regarde l'époque depuis... On regarde toujours l'époque depuis les écrivains qui nous ont formés, d'une certaine façon. Donc, il y a lui, beaucoup dans ce livre. Il y a Don DeLillo, il y en a un ou deux autres. Mais c'est... Il y a Norman Miller. Mais effectivement, oui. J'essaye de poser sur l'époque un regard littéraire à travers les écrivains qui m'ont formé et à travers ce que j'en ai compris.

  • Speaker #0

    Mais Philippe Roff, moi, je vais plus loin que vous. Il a été une sorte de prophète. Il a vu beaucoup de choses. de notre temps. Il a pressenti. Il a pressenti des tas de choses. Alors, il se trouve que la Pléiade publie ces jours-ci un tome 3 des œuvres complètes de Roth avec quatre romans et ces quatre romans, on peut les passer en revue l'un après l'autre très rapidement, ces quatre romans annoncent le monde actuel. C'est fascinant. Alors, ça commence avec Opération Shylock en 1993 qui est un regard sur Israël et la Palestine. En gros, Philippe Roth apprend qu'il existe un autre Philippe Roth là-bas, qui serait plus ou moins un agent du Mossad.

  • Speaker #1

    Ou un escroc.

  • Speaker #0

    Ou un escroc et un mythomane, en fait un avatar qui s'appelle comme lui. Et ça donne un roman sur l'antisémitisme, ça donne un roman aussi sur le fait de ne pas vouloir être juif quand on est juif. Et ça, c'est quelque chose qu'on voit aujourd'hui qui est... absolument totalement d'actualité. Comment les Juifs sont pointés du doigt. pour des choses qui ne les concernent pas forcément. Lui, en fait, Ross, c'est l'écrivain qui avait envie de s'en foutre d'être juif au départ.

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions dans votre question. Oui, oui, bien sûr. L'opération Shylock, c'est la grande préscience d'opération Shylock. Elle est dans ce qui sous-tend l'intrigue, c'est-à-dire ses rencontres avec Aaron Appelfeld, qui était dans la vie de son ami. Et l'interview qu'il y a dans le livre est une interview réelle, qu'Appelfeld a réellement faite. et dans laquelle il dit notamment, Appelfeld étant un survivant de la Shoah, ce qui nous est arrivé ressemble à quelque chose de rationnel, il y avait des trains, des heures précises, des chambres à gaz, des trucs administratifs extrêmement concrets, mais en réalité on a affronté des forces archaïques, je ne sais toujours pas pourquoi ce qui est arrivé est arrivé. C'est une grande réflexion sur le mal et sur l'histoire. Et ça, c'est quelque chose qui, je le disais tout à l'heure, qui sous-tend absolument tous les bouquins de Roth. C'est ça la part sauvage. C'est ça la part sauvage. Et Appelfeld lui donne un reflet un peu métaphysique, comme si l'histoire était gouvernée par une sorte de démiurge. Philippe Roth fait plutôt que l'histoire est faite par les hommes, et les hommes ont une nature imprédictible.

  • Speaker #0

    Et il assiste au procès de John Demianuk.

  • Speaker #1

    John Demianuk, qui était considéré comme le bourreau de Treblinka, qui était donc en procès et qui avait été arrêté aux États-Unis comme un ouvrier métallurgique et un bon père de famille américain immigré. Et tout le roman, l'un des axes du roman, c'est est-ce qu'il est vraiment ce qu'il a l'air d'être ou est-ce que c'est un monstre ? Et ça aussi, c'est encore une voie de plus. très présents dans toute l'œuvre de Philippe Roth, comme dans Shakespeare, est-ce que les apparences sont fiables, ou est-ce que derrière les apparences rassurantes, la violence, la monstruosité n'est pas dissimulée ? Pourquoi est-ce que ça donne ce côté contemporain au livre de Roth ? C'est que le paradoxe, c'est qu'il s'intéressait beaucoup à l'histoire. Tous ses livres sont très ancrés historiquement, enfin en tout cas à ceux-là, Shylock, Passer à l'Américaine et les autres. Mais en même temps, à travers l'histoire, ce qu'il montre, c'est la permanence d'une nature humaine absolument incontrôlable, violente, ridicule, hilarante, bouleversante, ce qu'il appelle la Némésis.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Alors c'est quoi la

  • Speaker #0

    Némésis ? Némésis c'est une déesse de la mythologie grecque.

  • Speaker #1

    La Némésis c'est beaucoup de choses différentes. C'est le prix à payer pour l'hubris. L'hubris, c'est une forme d'orgueil, d'arrogance, quelque chose qui fait qu'on croit pouvoir s'affranchir de la règle commune et de la prudence commune qu'il faut faire attention dans la vie. Et la némésis, c'est la vengeance des dieux. Dans la mythologie grecque, quand l'individu oublie son humilité, il est châtié. Mais c'est aussi... Chez les Romains, c'était devenu la rumeur, la réputation. Oui, d'accord. Donc, il y a plusieurs sens possibles.

  • Speaker #0

    Non, mais ce que je veux dire, c'est... Opération Shylock, c'est quand même un des premiers romans. D'abord, c'est un des premiers romans dans la littérature où l'auteur met un personnage qui porte son nom. Ça se faisait... Plus ou moins, mais rarement. Et lui, il a carrément un héros qui s'appelle Philippe Roth, mais qui n'est pas lui. Donc c'est très compliqué. C'est une auto-fiction au vrai sens du terme. Et puis, c'est un livre sur ce problème, être juif. Pourquoi c'est si compliqué ? Pourquoi les écrivains juifs ne peuvent pas fuir ça ? Il finit même par être embauché par le Mossad dans le livre.

  • Speaker #1

    À la fin, oui, c'est un jeu avec ça. La judéité de Rhodes, c'était particulier parce qu'il était américain. Et il considérait que les juifs américains de sa génération, ceux qui venaient des familles juives de sa génération, avaient la chance d'être américains, donc d'avoir échappé au sort des juifs européens. Et il fallait profiter de cette chance. Il l'explique dans plusieurs bouquins. L'ambassadeur américain, il fait dire à ses parents, faites quelque chose de votre vie. Vous avez la chance d'avoir échappé, d'être dans le pays où tout est possible. Donnez un sens à votre vie, foncez, américanisez-vous, assimilez-vous, devenez vraiment américain. Et lui, il était entièrement là-dedans. Il pensait que contrairement à ce que pensait un certain nombre de... L'appareil de la communauté juive de sa génération, dans les années 50, la fidélité aux morts de la Shoah consistait justement à se débarrasser du deuil pour pouvoir vivre pleinement, mais en même temps... L'éducation qu'il a reçue, en même temps qu'il y avait cette injonction à faire quelque chose de sa vie, il y avait la prudence, il y avait le sentiment, il y avait ce qu'il appelle une forme d'angoisse historique qui faisait que les parents disaient attention, attention, attention, restons prudents, ça peut revenir, on ne sait jamais. Dans la vie réelle, le jeune Philippe Roth ne supportait pas du tout cette contradiction et ça a généré des conflits avec ses parents, etc. Le génie de Roth, écrivain, ça a consisté à faire de cette ambivalence tribale, en quelque sorte, une sorte de réflexion progressivement philosophique et métaphysique sur l'imprédictibilité de l'histoire. Il commence par le traiter de manière comique, et puis soudainement c'est de moins en moins comique, et puis finalement c'est de plus en plus tragique. Et ce jeu entre le comique et le tragique, on le trouve dans beaucoup de ses livres, dans beaucoup de ses chefs-d'œuvre. En particulier, le premier qui m'a fait cet effet, c'était l'écrivain Fantôme, qui est une satire, qui commence comme une satire sur trois chapitres, qui est hilarante. Et puis soudainement, on tourne une page, on arrive à l'histoire qu'invente Zuckerman, mais qui peut être réelle dans le roman, qui est qu'Anne Frank a survécu à l'Héritage et vit clandestinement aux États-Unis à moitié dingue. Et là, on est soudainement dans la pathologie lourde et dans le tragique de l'histoire. Et on y croit complètement.

  • Speaker #0

    Et tous ces livres fonctionnent un peu de cette manière-là, c'est vrai. Alors ensuite, toujours dans la Pléiade, il y a le théâtre de Sabath, publié en 1995. D'ailleurs, au passage, Philippe Roth a été extrêmement prolifique et travailleur après ses 60 ans. Ça, c'est une très bonne nouvelle pour les écrivains âgés que nous sommes. C'est qu'il y a un exemple d'un écrivain qui a été peut-être le meilleur au sommet de son art à la fin de sa vie. En tout cas, à partir de 60 ans. jusqu'à sa mort, c'est absolument incroyable jusqu'au moment où il se retire, il dit j'arrête d'écrire j'ai tout dit vous l'avez connu à ce moment là comment faisait-il ?

  • Speaker #1

    on ne sait pas, lui-même ne savait pas tous ces livres qui sont publiés, c'est incroyable il y a quelque chose qui monte quand on lit les bouquins dans l'ordre ça fait un peu l'effet que fait Dostoevsky quand on lit ses romans dans l'ordre, on sent une espèce de pression mentale monter et dans les années 70, une force, mais en même temps quelque chose qui est proche de l'explosion et à partir de la contrevie incluse, la contrevie Opération Shylock, le théâtre de Sabah, Pastoral américaine, J'ai épousé un communiste, La Tâche, tout ça c'est... C'est étonnant,

  • Speaker #0

    publier tous ces livres-là à un âge avancé où on a tendance à prendre sa retraite. Bon, ça, c'est un premier point. Mais le théâtre de Sabath, ce qu'il y a d'amusant, je m'en souviens très bien, c'est que nous n'étions pas d'accord, vous et moi, à l'époque. Moi, j'ai descendu le livre, j'ai fait un article très, très méchant parce que je ne comprenais rien à ce personnage de Mickey Sabath qui, donc, passe son temps à se masturber, est un obsédé sexuel. Ça faisait un peu roman de vieux dégoûtant. c'était un livre qui a fait un peu scandale et vous vous l'aviez adoré, vous l'aviez défendu à mort dans les arts occultifs, j'en souviens on était en total désaccord et là donc je l'ai relu et je change d'avis complètement parce qu'évidemment aujourd'hui de lire un livre comme ça qui est très libre, très provoque très romantique aussi Sabath se masturbe sur la tombe de sa maîtresse morte c'est une scène inouïe c'est une scène d'une beauté inouïe et alors quand en plus on vit dans un monde aujourd'hui très puritain un monde post-metoo où ce genre de comportement de prédateur lubrique est absolument interdit c'est un défouloir total de lire le théâtre de Sabaf et en plus dans la Pléiade collection prestigieuse mais c'est absolument franchement avec une

  • Speaker #1

    traduction revue génialement ils ont fait un travail qu'il faut saluer parce que c'est vraiment intéressant on pense que c'est sérieux

  • Speaker #0

    Mais franchement, le théâtre de sa base, je vous le recommande comme un délire rablaisien.

  • Speaker #1

    En même temps, c'est un délire, c'est drôle, c'est brutal, c'est noir, c'est quand même historique. C'est une histoire d'un type qui s'interroge pendant plusieurs jours sur la question de savoir s'il va se suicider ou pas, et qui décide de ne pas le faire parce qu'il y a dans ce monde tout ce qu'il déteste, tout ce qu'il haïssait. C'est la dernière phrase du livre. Donc c'est un livre là-dessus. Effectivement, il y a beaucoup de sexe. Soit dit en passant, les scènes de sexe en particulier, il y a une scène de masturbation au téléphone qui est absolument invraisemblable parce que ça ne devrait pas passer à l'écrit. Et on ne sait pas comment il fait,

  • Speaker #0

    mais ça passe. Cela dit, c'est le spécialiste des romans sur la masturbation parce que dans Portnoy, son premier roman... Oui. Il y avait déjà une branlette dans un rôti. Oui, oui. C'est conservé ensuite à toute la famille.

  • Speaker #1

    Mais ça, c'est beaucoup plus fort parce que c'est une scène de masturbation commune. Donc, il y a tout un dialogue, ce qu'il n'y a pas dans Portnoy. Et c'est en bas de page en plus. C'est ce qui est un coup de génie d'avoir mis en bas de page. En autre, en bas de page, sur plusieurs pages. Bref, c'est un très grand roman. Et effectivement, il y a deux fois cette scène qui vient à la fin du premier chapitre et à la fin du livre, où le personnage principal, Maggie Sabas, va se masturber sur la tombe de sa maîtresse. C'est entre autres choses une très belle histoire d'amour qu'il a racontée. Et avec un drapeau américain sur les épaules et une kippa sur la tête. Et il attend la police. Et il attend la police. C'est un livre qui a commencé à poser des problèmes sérieux après sa sortie.

  • Speaker #0

    Il a fait scandale.

  • Speaker #1

    Qui a fait scandale. Et scandale redoublé parce qu'il est sorti à peu près au moment où sa seconde femme a publié ses mémoires.

  • Speaker #0

    Qui s'appelait Claire Bloom.

  • Speaker #1

    Qui s'appelait Claire Bloom. Dans lequel il y a un portrait de Roth. Et que la presse et même tout l'establishment littéraire a pris pour argent comptant. A l'exception de deux journalistes femmes qui ont bien lu le bouquin de Claire Bloom et qui se sont méfiées d'elle. Et tous les autres ont pris ce portrait pour argent comptant et l'ont plaqué sur... le portrait de Maggie Sabas dans le théâtre de Sabah pour dessiner de Philippe Prott un mélange. du vrai Philippe Roth, un mélange de Maggie Savas, misogyne et obsédé. Voilà, et à partir de là, ça a posé des problèmes. Il est devenu obsédé, misogyne, misanthrope, brutal. Ce que dans la vraie vie, il faut dire aussi, il n'était pas du tout, d'une part, et c'était quelqu'un d'extraordinairement généreux, ce qu'on dit peu, avec les hommes comme avec les femmes. Il a aidé beaucoup de monde. littérairement aussi. C'était quelqu'un qui, quand il pensait que les gens valaient la peine, quand il pensait que les gens étaient vraiment investis dans ce qu'il faisait, pouvait se montrer d'une très grande générosité, d'une très grande compréhension. Il avait un don pour l'écoute et pour l'intuition et pour le rapport à l'autre assez rare. Moi, j'ai rarement vu ça à ce point.

  • Speaker #0

    Oui, il vous a aidé, il vous a trouvé, par exemple, une place dans un atelier d'écriture. Oui, oui, tout à fait.

  • Speaker #1

    Et il m'a aidé, il est à l'origine de mon précédent livre, Un temps pour haïr, que j'ai écrit d'abord en anglais, à sa suggestion, parce que c'était une série de reportages que j'avais fait dans la presse américaine sur l'antisémitisme en France, mais je ne pensais pas du tout en faire un livre. C'est lui qui a eu l'idée, qui m'a dit qu'il fallait que j'en fasse un livre, qui m'a présenté son éditeur américain, son agent américain, et ça s'est fait comme ça.

  • Speaker #0

    Non, non, mais... Bon, le sexe est un des grands sujets de Love the Roth, c'est présent parce qu'il s'est libéré, parce qu'en fait c'est une période aussi, la publication du complexe de Portnoy c'est quelle année ? 69 ?

  • Speaker #1

    68 même. Oui 68,

  • Speaker #0

    donc c'est la période de libération sexuelle.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement, c'est que la question de Roth c'est qu'est-ce qu'on fait de ce qu'on est, quoi qu'on soit, en l'occurrence dans son cas, américain d'origine juive, homme. Donc c'est quoi les déterminants, c'est quoi qui vous empêche d'être libre ? C'est tout ce que vous êtes en fait. La question de Rhodes c'est la liberté, mais comment est-ce qu'on s'affranchit de ce qu'on est sans le nier ? C'est ça la question. Donc tous ces bouquins sont des réflexions sur ce que c'est qu'être un Américain, ce que c'est qu'être quelqu'un d'origine juive. Ils ne se revendiquaient pas comme juifs au sens religieux du terme, mais historiquement bien sûr. Il était juif. Culturellement, son éducation à Newark. Il ne parle pas de son éducation. Et enfin, qu'est-ce que c'est qu'être un homme, avec tout ce que ça suppose de discutable, voire de franchement nul. Voilà, c'est ça.

  • Speaker #0

    Alors, le livre suivant, encore plus prophétique, c'est Le complot contre l'Amérique, qui est le troisième livre dans cette édition de La Pléiade. C'est en 2004, où là, carrément, il décrit un fascisme américain. puisqu'on est en 1940, il imagine que Charles Lindbergh gagne l'élection présidentielle, Charles Lindbergh était pro-nazi, et quand on pense aujourd'hui, à l'époque on s'est demandé, mais pourquoi, qu'est-ce qui lui prend, pourquoi est-ce qu'il écrit ce livre, et en fait il est visionnaire, je ne dis pas que les nazis soient au pouvoir aujourd'hui en Amérique, mais enfin nous avons Donald Trump qui est un... Voilà, un mouvement un peu hybride entre le complotisme, le conservatisme, le suprémacisme. Et il a eu cette intuition.

  • Speaker #1

    C'est le complot contre l'Amérique, c'est un livre qui n'a pas du tout été compris en France. En revanche, aux États-Unis, quand il est sorti en 2004, ça a été un succès. Avant même sa sortie, il y avait des précommandes chez Amazon qui étaient démentes. Le bouquin était quasiment un best-seller. Tout le monde l'a vu à l'époque comme une dénonciation. du gouvernement Bush, que ça n'était pas du tout. Et moi, quand il m'a donné le premier manuscrit qu'il me donnait à lire, je l'ai lu dans l'avion comme un écho à ce que j'avais l'impression de vivre en France. C'est-à-dire que tout le monde a plaqué ce qu'il voulait sur ce bouquin.

  • Speaker #0

    Et peut-être que moi, quand je plaque Trump là-dessus, c'est une autre erreur.

  • Speaker #1

    C'est ce que j'allais dire. C'est en partie seulement une erreur. C'est-à-dire que ce livre est bizarre parce qu'il a été lu comme ça par la presse américaine. Une histoire américaine authentique. à travers un présupposé de fiction invraisemblable. La dernière interview que j'ai faite de lui, d'Europe, en 2018, Trump était élu, et on a parlé de Lindbergh. Et il m'a dit, quoi qu'on pense de Lindbergh, c'était un véritable héros américain. Il avait traversé l'Atlantique en solitaire, tout le monde l'idolâtrait, etc. Trump, c'est un voyou, c'est un escroc, c'est un minable. Bref, il ne tarissait pas de critiques sur Trump. En fait... L'intelligence de Roth dans le livre, c'est d'avoir fait de Lindbergh un président qui n'est pas un fasciste, mais qui signe avec Hitler un pacte de non-agression, ce qui est très différent. C'est-à-dire qu'il avait dans la vie réelle, Lindbergh avait des sympathies pour le nazisme et il était gentiment antisémite. Mais ce que Roth invente, c'est un pacte de non-agression avec Hitler, un peu comme Trump pourrait signer un pacte de non-agression avec Poutine, par exemple. Disons isolationniste. Exactement. Il fait deux choses. C'est un gouvernement isolationniste qui invente, comme dans la réalité, le slogan « America first » , qui a été repris dans la réalité par Trump. Et il fait une autre chose. Comme les Juifs sont considérés comme les fauteurs de guerre, ça aussi, ça correspond à la réalité historique. c'est en 40. et entre 1940 et 1942, avant que Roosevelt décide à entrer en guerre, Les juifs sont considérés comme le lobby qui cherche à pousser les Américains dans la guerre. Et donc non américains, parce que l'Amérique se tient à distance du chaos et de la décadence européenne. Et ce que fait donc Lindbergh dans le roman d'Horoth, c'est de mettre en place une politique d'assimilation des juifs. On va démanteler les communautés juives de Newark et d'ailleurs, on va les embarquer dans le Kentucky, je ne sais pas, dans le sud, pour qu'ils deviennent de vrais américains. Et ces deux éléments... Pacte de non-agression d'un côté et assimilation disséminée au fin fond du Midwest de l'autre va suffire à créer chez les Juifs un sentiment d'angoisse historique et ça va partir en vrille à partir de là. Chacun va réagir comme il veut. Et donc l'intelligence de Roth, en fait, ce qu'il fait, c'est qu'à travers sa propre famille qu'il met en scène dans cette fiction, il étudie les mécanismes de la peur à l'œuvre dans la communauté juive à partir d'éléments qui sont un peu comme aujourd'hui avec Trump, effectivement. C'est-à-dire qu'on voit Trump. Mais ce qui est intéressant dans ce qui se passe aujourd'hui, c'est que le gouvernement Trump, quoi qu'on en pense, pour l'instant, n'est pas un gouvernement fasciste. Mais il éveille chez les gens un sentiment de peur qui fait qu'on se met à dire beaucoup de choses, tout et son contraire à son sujet. Et pour le coup, c'est une des choses qu'il a sentie.

  • Speaker #0

    C'est très curieux parce que... Roth venait de publier La Tâche. La Tâche n'est pas dans ce volume-là, mais c'est un livre très important sur la cancel culture. C'est le premier grand roman du politiquement correct, avec ce personnage de prof qui est cancelé, qui est annulé, qui perd son travail pour avoir dit un mot à double sens. Bref, il faut lire le livre. Mais ça, c'est en l'an 2000. Et quatre ans après, le complot contre l'Amérique, c'est comme s'il avait senti deux mouvements, le wokisme, Et le trumpisme. Deux mouvements qui sont aujourd'hui les deux dangers qui nous menacent, nous, occidentaux.

  • Speaker #1

    Qui vont plus que nous menacer. Qui sont en train de détruire la fabrique de la démocratie libérale occidentale. Oui,

  • Speaker #0

    c'est le seul écrivain qui ait vu venir ces deux mouvements.

  • Speaker #1

    De manière aussi précise, oui. Moi, j'ai posé la question un jour. Je lui ai dit, mais c'est quand même bizarre. vous êtes Vous avez grandi dans une... Vous avez eu une enfance très stable. Vous avez été élevé par des parents aimants. Il ne vous est arrivé aucune tragédie historique particulière. Et vous mettez en scène systématiquement, dans vos dernières, en particulier, un chaos historique invraisemblable. Pourquoi ? Et je vais dire, est-ce que ce n'est pas l'influence des écrivains d'Europe et des brebis de l'Est en particulier qui vous nourrit ? puisqu'il en a connu beaucoup. Il a été ami à Kundera, il a été ami avec beaucoup d'écrivains tchèques. Et il m'a dit, peut-être, il reconnaissait l'influence de la littérature européenne, et il m'a dit aussi, en fait, j'ai une très forte conscience, je paraphrase, du privilège que j'ai d'être américain. L'Amérique, pour moi, c'est formidable, mais je... Je fais l'éloge de l'Amérique par implication, c'est-à-dire en creusant tout ce qui pourrait arriver, en creusant sa fragilité, tout ce qui pourrait arriver. Et effectivement, c'est arrivé.

  • Speaker #0

    C'est arrivé. L'Amérique était fragile. Il avait raison. Alors, il y a le quatrième roman du volume qui existe, Le Fantôme, c'était en 2007. Bon, là, c'est plus. C'est le dernier Zuckerman,

  • Speaker #1

    c'est un livre sur la vieillesse. C'est une sorte de point d'orgue, c'est moins fort que les autres romans et surtout moins fort que la série des Zuckerman, mais c'est très intéressant quand même parce que là aussi c'est un livre de deuil, c'est le livre de deuil d'un New York qui est en train de disparaître. Moi c'est comme ça que je l'ai lu en tout cas.

  • Speaker #0

    Alors, il y aura un tome 4 de la Pléiade avec Pastoral américaine, J'ai été un communiste et La Tâche qui sont la trilogie. Mais quand on regarde tout ça, on se demande pourquoi il n'a pas obtenu le Nobel. Alors, est-ce qu'il était trop incorrect ? Est-ce qu'il était trop sexuel ? Est-ce qu'il était trop provocateur ?

  • Speaker #1

    C'est la phrase que je cite de la romancière irlandaise Edna O'Brien pour son 80e anniversaire. très grande romancière d'ailleurs, soit dit, soit dit, elle dit quelque chose comme... Il est assis à la première table de l'establishment littéraire, mais il n'en fait pas partie. Trop provoquant, trop précis, trop... Je ne sais plus quelle est la phrase, mais peut-être que... Si je peux la chercher, je vais essayer de la retrouver. Mais je pense que c'est ça, je pense qu'il y avait quelque chose qui... Voilà. Il siégeait à la première table de l'establishment littéraire, mais n'en faisait pas partie. Trop sauvage, trop esthétiquement acéré, trop honnête. Je pense que ça répond à la question du Nobel.

  • Speaker #0

    Le Nobel n'a pas couronné beaucoup d'écrivains insolents. Peut-être l'italien, Dario Faux. Dario Faux, c'est le seul.

  • Speaker #1

    Je le considérais comme un écrivain. comme un écrivain alors

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il rendait tout le monde plus intelligent, même vous. C'est vrai que c'est aussi ça la qualité d'un grand romancier, finalement. C'est de nous rendre un peu meilleurs que nous ne sommes. Mais est-ce que vous pensez... Alors ça, c'est la question tabou. Attention. Est-ce que vous pensez que c'est un libertaire de gauche qui est devenu un réacte de droite, un peu comme nous tous ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. Alors, je ne pense ni l'un ni l'autre. Je ne pense pas que nous tous, qui ont des libertaires de gauche... Vous ne considérez pas que vous,

  • Speaker #0

    vous étiez de gauche et que vous êtes devenu de droite ?

  • Speaker #1

    Alors, il y a plusieurs questions. Moi, je ne me suis jamais considéré vraiment comme de gauche, d'une part. J'ai baigné dans un milieu de gauche, parce que dans les milieux culturels, on se retrouve dans les milieux de gauche. Je n'ai jamais de ma vie milité nulle part. Dieu m'en préserve. Et je ne me considère pas comme quelqu'un de droite aujourd'hui, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que je pense que ces termes, s'ils ont eu un sens à un moment donné, ils n'en ont vraiment plus du tout. Je rappelle que les deux personnalités...

  • Speaker #0

    Progressiste devenu conservateur.

  • Speaker #1

    Non, mais oui. Je vais répondre sur Roth, c'est plus intéressant que moi. Mais je pense que Roth n'est jamais devenu conservateur. Alors, politiquement, sûrement pas. Il s'inscrivait vraiment dans la tradition démocrate américaine, par certains aspects la moins intéressante d'ailleurs, de mon point de vue. Mais d'autre part, dans ses livres, ce qui est plus intéressant, un livre comme Pastoral américaine, par exemple, qui a été lu effectivement comme une critique des années 60 et un livre conservateur, à mon avis, ne l'est pas du tout. C'est une réflexion sur le chaos américain, à travers ce qu'il montre. Du chaos des années 60, là aussi, c'est un livre qui a commencé dans les années 70. Il montre l'émergence d'une forme de pathologie nihiliste américaine.

  • Speaker #0

    Je résume l'histoire. C'est l'homme parfait, l'américain parfait, qui a une fille qui est terroriste. Et il ne comprend pas. Sa fille est engagée contre la guerre du Vietnam. militante vraiment, qu'on pourrait dire aujourd'hui, d'ultra-gauche. Et c'est vrai que c'est aussi un des premiers livres sur le wokisme, d'une certaine façon, sur l'incompréhension entre les générations.

  • Speaker #1

    Oui, sur l'aspect le plus sociopathe du wokisme. Mais comme on voyait des figures comme ça émerger à l'époque, comme Valérie Solanas, comme d'autres, comme Lierre Véosvald, évidemment, comme Jean-Claude Son. Action directe en France. Voilà. Mais avec un élément plus franchement cinglé aux États-Unis. Le livre, il a commencé à l'écrire dans les années 70. Et d'après ce qu'il m'a raconté, il a cessé de l'écrire pour la bonne raison qu'il était d'accord avec la fille. Donc, il n'y avait pas de tension. Et il l'a repris dans les années 90, quand il a commencé à comprendre que le point de vue intéressant était celui du père. Parce que ça créait... à nouveau cette réflexion sur l'histoire, quelque chose d'incompréhensible vient heurter la vie de ce type.

  • Speaker #0

    Elle a grandi dans une bourgeoisie moyenne, parfaite, dans une banlieue à Newark.

  • Speaker #1

    Mais étant Roth, prend bien soin de présenter son héros dans le premier chapitre, qui à mon avis est un trou de force littéraire, qui faisait vraiment la leçon de Flaubert retenue, dans une sorte de confrontation avec le narrateur. et le narrateur découvre ce héros qui va être le héros du livre pendant 400 pages et il découvre un monument d'ennui. C'est-à-dire que le type, effectivement, va se heurter au chaos du monde, mais à travers son incompréhension et son incompréhension, c'est celle d'un type tout à fait ordinaire qui est d'un ennui profond. Et ça, c'est cette tension-là. Donc, il n'y a pas de... Tout ça pour dire qu'il n'y a pas de repli conservateur. Il n'y a pas une seconde dans Pasteur l'Américaine, il dit... Il laisse entendre que les épressantes c'était... Le début de la décadence, c'était affreux. Il faut tenir à l'ordre.

  • Speaker #0

    Ce qui est bien chez lui, c'est qu'il nous prend pour intelligents et ça ne pointe pas les gentils et les méchants. C'est toujours pour compliquer l'histoire. C'est ça qui est bien. Alors, on passe au jeu devine tes citations. Marc Wetzman, je vais vous lire des citations qui sont peut-être de vous et peut-être de Philip Roth. Et vous devez me dire, ça c'est moi ou c'est l'autre. Et il y a un piège. Tout de suite. C'est à propos du 11 septembre 2001. Le prodige de l'exploit émerveillait. Quelque chose se payait.

  • Speaker #1

    Ça c'est ni de lui ni de moi, c'est de Annie Ernaux.

  • Speaker #0

    Exactement, Annie Ernaux a écrit, je découvre ça dans votre livre.

  • Speaker #1

    Dans nos années.

  • Speaker #0

    Dans les années 2008, oui. Le prodige de l'exploit émerveillait, quelque chose se payait. Ça, il faut le faire, d'écrire ça. Autre phrase. Les pièges les plus parfaits ne sont-ils pas toujours ceux que l'on se tend à soi-même ?

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    C'est vous dans... La part sauvage. La part sauvage. Alors je ne peux pas ne pas vous demander à propos de pièges qu'on se tend à soi-même. Qu'est-ce qui s'est passé à France Culture ? Vous animiez une émission, signe des temps, depuis 2018, depuis la mort de Philippe Roth, vous aviez une émission, vous étiez rentré en France et elle a été supprimée cette année. Qu'est-ce que vous avez fait de mal pour être puni ?

  • Speaker #1

    Ce qui s'est passé, comment dire, je ne veux pas trop développer parce que je suis en procédure avec eux de toute façon, mais ce qui s'est passé, c'est que pour me limiter à ce que... que la direction m'a dit, ils trouvaient l'émission confuse, c'est-à-dire plus ou moins incompréhensible. Comme la mienne ! Voilà.

  • Speaker #0

    C'est parce que la vie est confuse.

  • Speaker #1

    Par ailleurs, ils ont écrit, enfin ils ont publié des communiqués expliquant qu'il n'y avait aucune audience, que c'était nul, que bref, c'était catastrophique. La réalité, c'est qu'il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas entre eux et moi. Voilà. Bon, je ne peux pas tellement développer. Oui, non, non,

  • Speaker #0

    mais c'est ce qui arrive. Moi, mon émission, elle a été supprimée par Radio Classique, et puis je l'ai continuée quand même.

  • Speaker #1

    Ils ont considéré que quelque chose ne fonctionnait pas entre eux et moi, parce que je ne m'inscrivais pas suffisamment dans le...

  • Speaker #0

    Dans la ligne éditoriale.

  • Speaker #1

    Dans la ligne éditoriale, oui, puisqu'ils ont parlé de ligne éditoriale.

  • Speaker #0

    De toute façon, vous pouvez, vous savez, avec les nouvelles technologies, vous pouvez continuer votre émission si vous en avez envie. Eh bien, on verra ça, on va voir ça. Voilà, peut-être. Autre phrase de vous, non, pas de vous, enfin, je ne sais pas, est-ce que c'est de vous ou pas de vous ? Tu crois que tu sais ce qu'est un homme ? Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme.

  • Speaker #1

    Ça, c'est Roth, c'est dans Pastoral American, c'est le frère du personnage principal qui lui parle. Il est fort,

  • Speaker #0

    il est très fort, il est très fort. Et au fond, c'est ça le sujet de tous ses livres. Tu n'as aucune idée de ce qu'est un homme. Un de ses derniers livres s'intitule « Everyman » , qui était traduit « un homme » en français. C'était intraduisible, « everyman » . Non,

  • Speaker #1

    parce qu'en plus, ça fait référence à « everyman » , ça fait référence à des pièces du Moyen-Âge en Angleterre, où c'était une sorte de fable où l'homme était confronté à la mort.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi l'idée que... Parce qu'il y a une autre phrase dans « Pastoral américaine » , il dit « l'homme n'est pas fait pour la tragédie » . C'est ça la tragédie de tout homme. C'est qu'il n'est pas fait pour la tragédie. En gros, il expliquait que l'homme est détruit, défait par quoi ? Par l'histoire, par la vie, par la mort ?

  • Speaker #1

    Par quelque chose qui se produit soit en lui, soit à l'extérieur de lui, mais il y a toujours quelque chose à un moment donné qui vient frapper et qui vient détruire. Alors, son intérêt, c'était... de mettre en scène des hommes forts qui se sont construits une vie indépendante et qui se sont battus pour se réaliser et quand ils y arrivent, quand tout est gagné soudainement quelque chose se passe qui va les détruire mais ça c'est normal il faut l'accepter toute la discussion qu'on avait et que je mets en scène dans le livre c'est la question de savoir dans quelle mesure on est responsable ou pas de ce qui nous arrive oui c'est ça ça dépend et c'est... Et bon, il n'y a pas vraiment de réponse à cette question, évidemment, mais... Et à la fin, au moment de Némésis, je crois, je lui ai posé la question de... Parce qu'il y a quelque... La seule occurrence, la seule fois où il parle religion, c'est dans Némésis, c'est dans son dernier livre, et il parle d'égnostique, c'est-à-dire de cette... aux religions contemporaines de Jésus selon laquelle le monde avait été créé par un démiurge mauvais. Le vrai Dieu était exilé hors du monde et le monde était créé et dirigé par une espèce de monstre. Et c'est ce que croit le personnage principal de Némésis. Et je lui ai demandé dans quelle mesure il y avait quelque chose comme ça chez lui parce que Il me semble qu'il y a quelque chose comme ça dans la culture américaine. Il y a cette idée que...

  • Speaker #0

    Le pays s'est construit sur un massacre et un esclavage.

  • Speaker #1

    Et alors il m'a répondu, si j'étais religieux, je croirais quelque chose comme ça. Mais je ne suis pas religieux, donc pas du tout.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Qui a écrit ça ? Vous ou lui ? Une bande d'individus qui ont un penchant pour la provocation canaille, l'improvisation satirique, l'imposture impétueuse, l'irrévérence railleuse, le monologue démesuré, la réalité corporelle vociférante, le faux délire. Et ça, c'est une définition de l'homme.

  • Speaker #1

    C'est lui. C'est une définition de ses personnages, en fait.

  • Speaker #0

    Sur ses héros, il écrit ça, oui, tout à fait. J'avais récusé ma famille à 20 ans et à 40, démissionné des positions sociales acquises entre-temps. Et j'avais voyagé.

  • Speaker #1

    C'est moi.

  • Speaker #0

    Ça, c'est vous dans La part sauvage. Mais ça ressemble un peu à du Philip Roth. Parce qu'avec sa famille, son milieu, sa judéité, ses ex-épouses,

  • Speaker #1

    il y avait des points communs. Sinon, on n'aurait pas été amis, je suppose. Il avait un goût certain pour les personnages, dans la vie, je veux dire, pour les gens en rupture de banc. Et c'était mon cas à l'époque, et pour les gens qui sont en conflit avec leur père, ce qui était mon cas aussi.

  • Speaker #0

    Vous faites plusieurs fois allusion, dans le livre, à une idée folle, mais qui me plaît beaucoup. Cette idée, c'est que l'extermination des Juifs d'Europe expliquerait notre nullité actuelle. Et qu'au fond, on ne peut pas tuer 6 millions de gens.

  • Speaker #1

    C'est pas le nombre, c'est que...

  • Speaker #0

    Sans qu'il y ait une conséquence sur le présent.

  • Speaker #1

    Il y a deux choses. D'abord, je pense qu'effectivement, au-delà ou à côté de la question des Juifs, un continent qui s'est suicidé collectivement pendant un demi-siècle, entre 14 et 45, parce que c'est en fait la même histoire, on ne se réunit pas d'un suicide. C'est aussi simple que ça. On a cru que oui, parce que... la consommation les années 60. Quand on était sous le parapluie américain, on avait l'air de vivre normalement. En réalité, la fin de la guerre froide, c'est la fin du dégel du cadavre, tout simplement. Et on se rend compte à quel point il est pourri. C'est ça ce qui se passe en Europe, à mon avis. D'autre part, pour ce qui est des Juifs, ma thèse c'est que, et ce n'est pas seulement la mienne, d'ailleurs c'est celle de Georges Steiner aussi et de quelques autres, les Juifs en Occident, et pas seulement en Occident, mais surtout en Occident, et Ils apportent une espèce d'énergie urbaine, culturelle. C'est pas tellement qu'ils peuvent inventer, mais surtout, ils poussent l'énergie à son paroxysme. Quand vous regardez les grands centres culturels de l'histoire occidentale, l'Espagne de l'âge d'or, la Vienne du XIXe siècle, New York dans la deuxième moitié du XXe siècle, L'élément juif et l'élément homosexuel, d'ailleurs, sont les ressorts des centres culturels occidentaux. Je n'arrive pas à le dire autrement. Non,

  • Speaker #0

    mais je le pense, moi, en tant que Goy, je pense que les écrivains juifs, par exemple, ils ont quelque chose de plus intelligent que nous, qui est lié à cette histoire. horrible.

  • Speaker #1

    Évidemment,

  • Speaker #0

    quand on est obligé d'être un peu plus parano que les autres.

  • Speaker #1

    Les juifs sont bons sous la pression. Il y a une sorte de truc comme ça. Il y a quelque chose qui fait que... En Israël, quand j'étais en Israël en 2000, au moment où le processus de paix a explosé, jusque-là, pendant toutes les années 90, on pensait que c'était réglé, on allait vers la paix au Moyen-Orient, et d'ailleurs vers la paix dans le monde entier. Et quand ça a explosé, quand les... Quand les attentats suicides ont commencé à se produire, tout le monde avait quelque chose à dire. Il y avait 15 idées par jour, toutes intelligentes, toutes intéressantes. Évidemment, c'est le problème, toutes inutiles.

  • Speaker #0

    En conclusion, on va faire le questionnaire quand même. Mon questionnaire de Big BD est très important. Sur la vie amoureuse de Roth, c'est plutôt un désastre, la vie amoureuse. à un moment vous le voyez il note le téléphone d'une serveuse c'est un peu triste plusieurs oui on a parlé du livre de sa deuxième femme qui était terrible peut-on être un grand romancier et heureux en amour

  • Speaker #1

    Ça, je n'en sais rien, il y en a. Il y en a. Je ne sais pas s'il était parce qu'il était grand romancier. Je pense que c'est tout simplement parce qu'il avait un goût catastrophique pour ses partenaires. Il n'est pas le seul comme ça. Il y a plein d'hommes et de femmes qui ont des goûts catastrophiques.

  • Speaker #0

    Qui ne sont pas attirés vers la bonté. Voilà. Je voulais montrer ceci parce que c'est un livre que vous avez publié il y a 20 ans. 28 raisons de se faire détester, et peut-être c'est ça le point commun entre Philippe Roth et vous et moi, c'est de penser que c'est pas mal de créer de l'urticaire chez son lecteur, je ne sais pas. Pourquoi vous aviez choisi ce titre ?

  • Speaker #1

    Parce qu'à l'époque j'étais aux Inoccupables, et donc c'est un recueil d'articles que j'ai publiés dans les Inoccupables, et j'avais une image détestable. Les quelques amis que j'avais me disaient que j'étais détesté par tout le monde.

  • Speaker #0

    donc pourquoi pas vous poussez le jeu jusqu'au bout c'est une grande qualité au contraire alors le questionnaire le célèbre questionnaire de Bec BD tout ce qui restera de moi pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok

  • Speaker #1

    C'est une question très importante. Parce que... Je ne sais pas comment répondre à cette question. Parce qu'il perdra moins de temps. Ce livre-là en particulier, parce que c'est un livre où il est beaucoup question de colère et je pense qu'il y a beaucoup de colère qui traîne. Donc je pense que ça peut échoer des choses.

  • Speaker #0

    Puis, je pense que c'est quand même un peu plus intelligent que TikTok. Que savez-vous faire que ne sait pas faire Tchad GPT ?

  • Speaker #1

    Écrire un livre comme ça.

  • Speaker #0

    Oui. Vous n'avez jamais eu peur en l'écrivant que votre livre ne serve à rien ?

  • Speaker #1

    Non, parce que je pense qu'aucun livre ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Oui. Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Non. Ni méchant d'ailleurs, je veux dire, c'est pas le sujet.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'écrire ? La pauvreté, la folie ou la solitude ?

  • Speaker #1

    La solitude.

  • Speaker #0

    Avez-vous déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ou juste une perte de temps ?

  • Speaker #1

    Il faudrait qu'il y en ait une.

  • Speaker #0

    C'est un livre de critique littéraire, là.

  • Speaker #1

    Ah bon, pardon. Non, mais c'est un livre... Je ne te conseille pas du tout comme ça, moi, mais...

  • Speaker #0

    C'est un livre sur la littérature.

  • Speaker #1

    Oui, la critique littéraire qui est de la littérature, elle fait partie de la littérature, voilà. La critique littéraire en tant que telle, je ne suis pas sûr de savoir à quoi ça correspond.

  • Speaker #0

    Fantasmez-vous sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné une interview de sa vie.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Un roman doit-il réparer le monde ? On entend beaucoup ça.

  • Speaker #1

    Non, certainement pas.

  • Speaker #0

    Quel est votre chef-d'œuvre ?

  • Speaker #1

    Quel est mon chef-d'œuvre ? À moi, personnellement ? Oui, à vous, oui. Quand on publie un livre, on pense toujours que c'est le dernier qu'on vient de publier qui est le meilleur. Donc, voilà, par sauvage, oui.

  • Speaker #0

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    Un quoi ?

  • Speaker #0

    Un ouin-ouin, vous ne connaissez pas cette expression ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Les écrivains, notamment de sexe masculin, qui se lamentent sur leurs conditions, sur leur virilité perdue. Ah, non, pas du tout. Ils féminisent les traites de ouin-ouin.

  • Speaker #1

    Ah non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Le but de la littérature n'est-il pas de mentir sans se faire prendre ?

  • Speaker #1

    Non, oui, il serait plutôt de dire la vérité sans se faire prendre.

  • Speaker #0

    Quel est le meilleur écrivain français vivant ? Je passe mon tour. Le seul qui a répondu « moi » , c'est Régis Geoffray. Il a eu du mal, mais il a fini par le faire. Si vous étiez très riche, cesseriez-vous d'écrire ? Non. La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #1

    Je suis incapable de vous dire parce que je ne connais pas mes phrases par cœur.

  • Speaker #0

    Avez-vous menti durant cette conversation ? Non. La question Fahrenheit 451. Alors, imaginez un monde où les livres sont interdits. Lequel apprendriez-vous par cœur pour le sauver ?

  • Speaker #1

    Alors là... Peut-être une pièce de Shakespeare.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'au moins, ça c'est riche. C'est-à-dire que c'est dense. On ne peut pas s'ennuyer en apprenant par cœur. Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #1

    Sauver la vie physiquement, non, mais certainement que les livres de Roth, entre autres, m'ont vraiment aidé à vivre avec un ou deux autres auteurs.

  • Speaker #0

    Et enfin ? Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #1

    J'en ai vraiment aucune idée. Quelque part entre 7 et 77 ans.

  • Speaker #0

    Il y a une dernière question qu'on a ajoutée. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Ou que vous écririez différemment aujourd'hui ? Peut-être vos premiers romans ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas que je les écrirais. Je reprendrais peut-être des trucs à la marche, des phrases mal foutues, peut-être. Mais je ne crois pas que je... Celui que j'aurais écrit le plus, c'est probablement Mariage Mixte. Mais non...

  • Speaker #0

    Mariage Mixte avait eu un procès.

  • Speaker #1

    Oui, il y avait eu un procès, mais ce n'est pas pour ça que je l'aurais écrit.

  • Speaker #0

    Eh bien, merci infiniment Marc Wetzman.

  • Speaker #1

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Je vous ordonne de lire la part sauvage de Marc Wetzman aux éditions Grasset. N'hésitez pas à commenter les vidéos, à polémiquer, à m'insulter. C'est la vie, c'est vivant. Et n'oubliez pas, la littérature est à l'esprit ce que le sport est au corps. Bonsoir. Merci.

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