- Speaker #0
Bienvenue dans Cultiver la Biodiversité, le podcast qui vous dit pourquoi la biodiversité c'est un trésor à cultiver. Je suis Estelle Serpolet.
- Speaker #1
Je suis Emma Flippon. Nous sommes ingénieurs agronomes spécialistes de la biodiversité cultivée et passionnés par la sélection participative. Ici, on vous parle de graines, de celles et ceux qui les cultivent et les étudient, de semences paysannes mais pas que, d'autonomie des agriculteurs, de collectifs. Parce que les semences sont à la base de notre alimentation.
- Speaker #0
Bref, on vous donne des clés pour comprendre l'importance de la diversité génétique dans les systèmes agricoles et des outils pour agir.
- Speaker #1
Cultiver la biodiversité, épisode 4. C'est quoi les semences paysannes ? Avant de rentrer dans le vif du sujet, juste pour vous dire que parfois, on va vous parler de semences paysannes et d'autres fois de variétés paysannes. Bon, globalement, en fait, c'est à peu près la même chose. Il y a juste une petite différence quand même, c'est que la semence, c'est la graine, ça représente la graine. Et la variété, c'est ce qu'on voit dans les champs quand les graines ont poussé.
- Speaker #0
Dans les premiers épisodes de ce podcast, on a utilisé beaucoup de mots différents pour parler des variétés qui sont utilisées par les agriculteurs. On a parlé de variétés population, d'hybrides, de variétés modernes, conventionnelles. Et on a aussi parlé de semences paysannes. Semences paysannes, semences anciennes, ces deux termes qu'on entend souvent, surtout quand on parle d'alimentation locale, de produits de qualité, de pain au levain, de terroir, tout ça, tout ça. Est-ce qu'il y a une différence entre ces deux termes ? Et puis, ça veut dire quoi au final, semences paysannes ? Vous savez, vous ? Si vous ne savez pas, ça tombe bien, parce qu'en fait, c'est ce dont on va vous parler aujourd'hui. Et qu'est-ce qui fait la différence entre une variété population et une semence paysanne ? Eh bien voilà, c'est de tout ça dont on va vous parler aujourd'hui.
- Speaker #1
Eh oui, c'est vrai que ça, c'est une question ou des questions qui reviennent assez souvent. Nous, avec Estelle, et même avec nos collègues, quand on explique notre travail, on nous dit souvent « Ah oui ! » « Ah oui, vous travaillez avec les semences anciennes ! » Et nous, on répond toujours que, bah non, les semences avec lesquelles on travaille, elles sont pas anciennes. On préfère parler, par exemple, de biodiversité cultivée, et aussi, souvent, mais pas tout le temps, de semences paysannes. Alors, notre travail, en fait, il porte pas que sur les semences paysannes, mais elles en font fortement partie. Et c'est pour ça qu'on a eu envie de vous faire un épisode spécifiquement sur le sujet. On vous a parlé d'ailleurs plusieurs fois au cours des premiers épisodes du réseau Semences Paysannes. Et bien ce réseau, c'est un réseau national français. Et d'ailleurs, allez voir leur site internet, il est vraiment super chouette. Il y a beaucoup de ressources dessus si ça vous intéresse. Et ce réseau national français, il a pour but de fédérer toutes les associations qui promeuvent les semences paysannes. Ce réseau, il a été créé en 2003 à Haussville. En fait, c'est à cette période, donc dans les années... 90 et dans les années 2000, que le terme de semences paysannes, il a commencé à être utilisé au sein des réseaux paysans. En fait, c'est une reprise, une référence à l'agriculture paysanne qui, elle aussi, elle était beaucoup défendue dans les années 90 et 2000. Et cette agriculture, elle repose sur dix principes, dont notamment le principe de solidarité, de respect de l'environnement, de qualité des produits et lien avec les semences aussi. d'autonomie. Donc le mot semences paysannes, ou comme on disait tout à l'heure, de variété paysanne, il fait référence à un réseau de personnes qui ont une vision commune sur la gestion des semences. Et pour définir ce qu'est une semence paysanne, ces personnes, elles ont appliqué certaines valeurs de l'agriculture paysanne aux semences. Et c'est un super vaste sujet. Bizarrement, quand on pense agriculture, de nos jours, on ne pense pas tout de suite semences. Alors qu'évidemment, on vous en a déjà parlé dans les épisodes précédents, les semences, c'est la base de l'alimentation. Mais heureusement, du coup, il y a ce réseau, le réseau semences paysannes, qui s'est structuré à partir de 2003 et qui a peu à peu affiné la définition de ce qu'est une semence paysanne. Et donc, la dernière définition, elle date de 2019. C'est une définition qui a été votée à l'Assemblée Générale du Réseau Semences Paysannes. Et elle a été votée par consentement, donc un peu aussi dans les valeurs des semences paysannes, parce que les membres, ils ont discuté de cette définition jusqu'à ce que tout le monde consente à celle-ci. Et un autre point important pour le réseau, c'est que cette définition-là, elle reste ouverte. Et elle peut être amenée à changer s'il y a besoin, et si des membres voient d'autres choses à rajouter dans la définition ou à retirer. Alors, c'est cette définition qu'on vous propose d'explorer aujourd'hui. Comme je vous disais, comme elle a été proposée et votée par le réseau Semences Paysannes, vous pouvez la retrouver sur son site, mais c'est un texte qui est quand même assez complexe pour un novice. C'est un condensé de beaucoup de discussions, et du coup forcément c'est quelque chose qui est assez complexe. Et donc pour vous qui voulez en savoir plus sur le sujet, mais qui n'êtes pas expert ou qui n'avez pas participé à ces discussions, on a choisi avec Estelle... de simplifier, de schématiser cette définition sous forme d'une étoile à cinq branches parce qu'on a trouvé que cette définition, elle comportait cinq grands piliers de ce qui fait une semence paysanne.
- Speaker #0
Le schéma de la définition des semences paysannes, vous pourrez la trouver évidemment dans la description de l'épisode. Alors, c'est notre interprétation à nous de la définition qu'on trouve sur le site. Mais voilà, c'est à partir de celle-ci qu'on va vous parler des semences paysannes. Donc c'est parti, non ? On commence par la première branche ? Mais d'ailleurs, tu commencerais par quelle branche, toi ?
- Speaker #1
Ah oui, et bien, en fait, toutes les branches, elles sont liées entre elles. Et on ne peut pas vraiment dire qu'il y a de premiers piliers de la définition. Mais il faut bien commencer quelque part. Et du coup, j'ai choisi de partir du pilier de la diversité génétique. Et oui, vous l'aurez compris avec nos trois premiers épisodes, la diversité, c'est la clé d'une agriculture résiliente et respectueuse de l'environnement. Et donc, pour être paysanne... Une variété, ça doit être une population. C'est-à-dire que les individus de la variété, par exemple deux pieds de concombre pour une même variété, ne sont pas identiques tout à fait, mais qu'ils se ressemblent suffisamment pour qu'on puisse reconnaître qu'ils sont de la même variété. Donc par exemple, les concombres, ils ont à peu près la même forme, à peu près la même taille, et puis la plante en elle-même, voilà, on peut voir que les plantes, elles se ressemblent. Et surtout aussi, pour que ce soit une population, Il faut que les plantes de cette variété, elles se reproduisent entre elles sans contrôle de l'homme. C'est l'inverse par exemple des hybrides où l'humain, il utilise des techniques pour maîtriser la reproduction de ces hybrides. Ou par exemple, c'est aussi différent de ce qu'on appelle les lignées pures, où l'homme en fait, il fait attention à éliminer des individus qui ne ressemblent pas au type variétal qu'on veut. Donc en conclusion, il faut que la population, elle soit reproductible. Donc que l'homme laisse cette dernière se reproduire toute seule. Et donc je vous disais que la diversité elle était importante. Donc tout à l'heure je vous ai parlé de l'aspect des concombres par exemple. Mais en fait la diversité elle se retrouve à d'autres niveaux que des niveaux simplement d'aspect des plantes. Elle peut se retrouver aussi au niveau de la résistance aux maladies des individus de la population. Par exemple vous pouvez imaginer dans votre tête... à un champ de seigle. Eh bien, alors si vous ne voyez pas à quoi ressemble le seigle, vous pouvez imaginer une population de blé. C'est juste que le seigle, je trouve que c'est une céréale qui est aussi très belle et souvent un peu plus élancée, plus haute que le blé. Et donc, si on revient à notre question de la résistance aux maladies, si certains plants de seigle, c'est-à-dire certains individus, membres de la population, sont résistants à une maladie, ça limite la propagation de la maladie. parce que vu qu'ils sont résistants, ils ne tombent pas malades, donc ils ne transmettent pas la maladie à leurs voisins, et donc on a ce qu'on appelle un effet de dilution de la maladie. Un autre exemple, toujours avec notre population de seigles, si on a une année sèche, certains individus de la population seront plus résistants à la sécheresse que d'autres si on a de la diversité dans la population, et donc on limite les pertes de rendement les mauvaises années s'il y a certains pieds qui résistent à la sécheresse. On aura évidemment un rendement plus faible qu'en dehors des périodes de sécheresse, mais au moins, certains individus auront pu se reproduire. Et donc ça, c'est quelque chose qui est très intéressant pour des agriculteurs qui souhaitent mettre en place une agriculture résiliente, respectueuse de l'environnement, parce que quand on est dans cette démarche-là, on n'utilise pas de pesticides et d'engrais, ou de manière très limitée, pour modifier l'environnement et faciliter la vie des plantes. Et donc, pour que les plantes s'adaptent... il faut de la diversité. Quand on prend une semence commerciale par contre, il y a des exigences d'homogénéité et de stabilité pour que ces variétés puissent être vendues. Donc pas de diversité, donc pas d'adaptation.
- Speaker #0
Alors moi je connais pas mal d'agriculteurs qui font des mélanges. Donc j'imagine dans la mélange il y a de la diversité. Ils mélangent plusieurs variétés de blé population par exemple. Et ils disent que ça leur permet de bien s'adapter à leurs conditions, donc c'est un peu ce que tu disais tout à l'heure, et d'évoluer. En fait, ces agriculteurs-là, souvent, c'est des bio ou en agriculture paysanne, et ils disent que c'est super important la diversité pour l'agriculture bio.
- Speaker #1
Oui, complètement. Et d'ailleurs, oui, je vous disais tout à l'heure que le mouvement du réseau Semences Paysannes, il avait repris des valeurs de l'agriculture paysanne, et en fait, c'est aussi des mouvements qui étaient proches des agriculteurs bio, et en fait, il y a... Eux, à la naissance du réseau semences paysannes, beaucoup d'agriculteurs bio qui ont été en recherche de semences adaptées à leur système. Et donc, ça m'amène à la deuxième branche ou au deuxième point de la définition des semences paysannes, c'est que c'est des semences qui sont adaptées à l'agriculture bio et à l'agroécologie. Effectivement, ces deux agricultures, elles utilisent peu voire pas de produits phytosanitaires comme les engrais ou les pesticides. Elles ont une approche de la santé des plantes et des animaux, qui est de dire que si l'écosystème dans lequel elles vivent est équilibré et en bonne santé, alors les plantes, elles le seront aussi. Mais du coup, les plantes aussi, si on n'utilise pas de produits phytosanitaires, elles sont entre guillemets moins boostées par les engrais, moins protégées par les pesticides, et donc elles doivent toujours entre guillemets être capables de se débrouiller toutes seules. Alors, on parle de plantes, c'est un peu bizarre de dire qu'elles doivent se débrouiller, mais vous avez l'idée. Et donc leur diversité génétique, elle leur permet de se débrouiller. Et d'ailleurs, pour aller plus loin, en agriculture biologique et en agroécologie, on valorise cette diversité à toutes les échelles, pas que à l'échelle de la diversité génétique dont je viens de vous parler. On favorise la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces cultivées sur la ferme, et donc la diversité des productions. Moi j'ai souvent entendu des agriculteurs bio dire il ne faut pas mettre tous ces œufs. dans le même panier pour que si on rate une culture, on puisse vendre d'autres choses. Diversité aussi des circuits de distribution, en amap, sur les marchés, à la biocop. Et donc la diversité génétique fait partie en fait de toute cette diversité, mais il faut réfléchir globalement quand on pense à ces types d'agriculture. Comme on vous disait dans l'épisode 2, les variétés paysannes, elles sont sélectionnées par les agriculteurs pour s'adapter à leurs pratiques qui valorisent la diversité à toutes les échelles. A la différence des variétés sélectionnées pour l'agriculture conventionnelle, les semences paysannes, elles sont plus rustiques, plus résistantes aux aléas, par exemple aux maladies, aux conditions climatiques un peu compliquées. Et du coup ça c'est très spécifique des semences paysannes, parce que comme vous le savez, il existe des semences commerciales qui sont estampillées bio, et ça il y en a en plus de plus en plus qui sont disponibles, mais pour la plupart, le plus souvent encore de nos jours, Elles ne sont pas sélectionnées dans des conditions bio, à part certaines exceptions. Ça veut dire que pendant les années où les sélectionneurs travaillent sur ces variétés, ils vont travailler en conditions conventionnelles. Et ensuite, pour que les semences puissent être vendues comme des semences bio, elles vont être cultivées pendant un à deux ans en bio. Et c'est tout. Et c'est tout.
- Speaker #0
Ok, mais moi j'ai entendu parler aussi des OGM, des biotechnologies, tout ça, et j'ai compris que ce n'était pas super compatible avec la bio. Du coup, est-ce que les semences qui sont sélectionnées en conventionnel et ensuite qui sont juste cultivées en bio pour être vendues en bio, est-ce qu'on a le droit de les vendre en bio ou pas ?
- Speaker #1
Pourquoi ?
- Speaker #0
Du coup, il n'y a pas un truc un peu plus précis sur les semences sélectionnées pour l'agriculture bio ou pas ? Tu peux m'en parler un peu plus ?
- Speaker #1
Oui, complètement. Et du coup, ça nous amène d'ailleurs à notre troisième point de la définition des semences paysannes. C'est qu'une variété paysanne... Elle ne doit pas comporter d'usage de biotechnologie dans l'histoire de sa sélection. Concrètement, ça veut dire que d'abord, ça ne doit pas être un OGM ou qu'il ne doit y avoir eu aucun recours à une biotechnologie quelconque pour créer la variété ou dans l'arbre généalogique de la variété. Donc en gros, il ne doit pas y avoir eu de passage en laboratoire pour sélectionner et créer la variété. Et donc pour créer des variétés dites modernes, adaptées à l'agriculture conventionnelle, les sélectionneurs en fait, ils utilisent tout un tas de méthodes de laboratoire qui vont de la multiplication de cellules sur un milieu de culture à la fusion entre deux cellules. Donc ça c'est pour créer ce dont on vous a un peu parlé dans les épisodes précédents qui étaient les CMS, où en gros on filionne une cellule qui n'a pas de noyau avec une cellule qui en a un pour créer ces fameuses CMS. Ou il y a aussi les méthodes de la mutagénèse par exemple, et donc ces méthodes, elles ne sont pas considérées comme des OGM, et donc elles peuvent être utilisées dans les processus de sélection des variétés qui sont utilisées en agriculture conventionnelle. aujourd'hui.
- Speaker #0
Et qui sont autorisées en bio parce qu'en bio, on n'a pas le droit de mettre des OGM. Mais on peut utiliser une variété commerciale qui a été créée avec ces méthodes biotechnologiques, elle peut se retrouver produite en bio, c'est ça ?
- Speaker #1
C'est ça. Ok.
- Speaker #0
Et du coup, les semences paysannes, j'imagine que ce n'est pas tout à fait pareil.
- Speaker #1
Bah oui. Oui, parce qu'en fait, il y a aussi une autre chose qu'il faut considérer, c'est qu'actuellement on peut les utiliser en bio malgré le fait que ces techniques de laboratoire elles répondent pas tout à fait aux principes de l'IFOAM.
- Speaker #0
C'est quoi l'IFOAM ?
- Speaker #1
Alors l'IFOAM, c'est la Fédération Internationale des Mouvements de l'Agriculture Biologique. En gros, c'est ce qui rassemble tous les mouvements bio du monde, ou en tout cas une bonne majorité. Et du coup, cette fédération, elle a défini des principes de l'agriculture biologique, et notamment, du coup, elle a réfléchi à ce que ça voulait dire qu'une variété qui serait adaptée... à l'agriculture biologique et qui répondrait à ces principes. Ça, si ça vous intéresse, on pourra en parler dans d'autres épisodes. N'hésitez pas à nous le dire en commentaire si ça vous intéresse. Et on en a aussi parlé un petit peu dans l'épisode 2. En fait, il y a un organisme de recherche suisse, le FIBL, qui a publié un rapport qui recense toutes les techniques de sélection et qui précise lesquelles ne sont pas adaptées à la bio, selon les règles de l'IFOAM. Et donc le réseau Semence Paysanne, lui, Il a pris le parti de dire qu'on respectait les principes de l'IFOAM, entre guillemets, à la lettre, et non pas simplement ceux de la réglementation. Et donc leur idée c'est de dire pas de biotechnologie dans l'histoire de la sélection, pas de passage en laboratoire, quel qu'il soit, ni mutagénèse, ni évidemment OGM, ni fusion de deux cellules par exemple. Et donc le deuxième intérêt que ça a de ne pas avoir de biotechnologie dans l'histoire de la sélection et de ne pas être passé par l'étape laboratoire, c'est que ça veut dire que ces variétés, elles peuvent être obtenues et sélectionnées par les paysans, en fonction de leurs besoins, pendant tout le processus. Et que ces variétés ne sont jamais coupées du milieu dans lequel elles vont devoir produire. Et ça, c'est un aspect important aussi pour l'adaptation, en plus de la diversité. Parce que le fait de sélectionner une plante en laboratoire, ça la coupe de son milieu, et ça perturbe ses capacités d'adaptation. Donc par exemple, dans une étude, il a été montré que ... des plantes qui subissent des méthodes de sélection en laboratoire. Ensuite, elles génèrent des molécules de stress qu'on retrouve plusieurs générations après l'utilisation de la méthode de laboratoire. Ça, c'est des expérimentations qui sont un peu toutes nouvelles. On en est au début de la réflexion à ce niveau-là, mais c'est super intéressant. Donc, en gros, les semences paysannes, pas de biotechnologie pour toutes les raisons qu'on vous a expliquées.
- Speaker #0
OK, donc les semences et les variétés paysannes, ce sont... Des populations avec de la diversité génétique, elles sont cultivées en agriculture bio ou agroécologie. Et la diversité génétique, elle leur donne les capacités d'adaptation et d'évolution qui sont nécessaires et importantes dans ce type d'agriculture-là. Et troisième point, elles sont sans biotech. On est d'accord ?
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Ok. Et puis si les paysans font de la sélection, ça permet aussi de se réapproprier des savoirs et des savoir-faire dont ils ont été dépossédés, non ? Emma et moi, on n'aime pas trop utiliser le mot s'approprier quand on parle du vivant. Mais en fait, là, on va quand même l'utiliser un petit peu parce que ça fait référence à une perte de quelque chose qu'on veut réapprendre, refaire sien. Donc là, on s'autorise quand même à parler d'appropriation des savoir-faire ou des savoirs parce qu'en fait, ce n'est pas directement lié au vivant. Ce n'est pas le vivant qu'on s'approprie, c'est des savoirs et des savoir-faire dont les agriculteurs... ont été dépossédés.
- Speaker #1
Oui, et d'ailleurs, ça c'est souvent dit, mais il y a une part très politique dans la définition des semences paysannes et dans les actions aussi du réseau semences paysannes, c'est d'augmenter l'autonomie semencière des agriculteurs, pour que les agriculteurs ne soient plus dépendants des semenciers et des grands groupes qui décident de tout et qui font des semences des produits standardisés. Moi je me souviens, un des premiers documentaires que j'ai vu sur la question des semences, je crois c'était quand j'étais au lycée, et c'était le documentaire de la guerre des graines. Alors vous pouvez le retrouver d'ailleurs toujours, on vous mettra le lien dans la description. Il est assez simplifié, mais en fait pour comprendre les enjeux c'est assez intéressant. Et en fait, une des choses qui m'a le plus marquée, c'est que j'ai pris conscience que des entreprises dont le seul but était de faire du profit, étaient en train d'essayer de prendre le monopole sur ce qui était à la base de notre alimentation, donc les semences. Et que du coup, avec ça, ils avaient un pouvoir monumental sur nos vies, et même sur nos gouvernements, en fait. Et je me souviens que ça m'avait vraiment fait peur. Et donc c'est pour reprendre ce pouvoir, et essayer un peu d'inverser ce rapport de force, que des paysans ont voulu reproduire et sélectionner leurs propres graines sur leurs fermes. Donc les semences paysannes, elles sont sélectionnées et produites sur la ferme, où elles vont être cultivées, ou alors sélectionnées et produites le plus localement possible. Et ça encore, c'est différent des semences commerciales, où là elles sont produites parfois très loin du lieu de culture, parfois ça vient même d'un autre pays. Il y a l'exemple des tomates, dont les graines peuvent être produites au niveau de l'équateur, parce que ça va plus vite, on peut faire plusieurs saisons de production de semences, et donc on peut cultiver des graines. issus de tomates qui ont été cultivées au Kenya, par exemple. Oui,
- Speaker #0
et puis parce que c'est aussi souvent des hybrides, les variétés commerciales de tomates, et que c'est très compliqué à faire à la main, et qu'en fait, en dehors de la France, dans certains pays comme le Kenya, par exemple, ou en Inde, je crois, la main-d'œuvre est un petit peu moins chère qu'en France.
- Speaker #1
Et du coup, oui, on se retrouve à cultiver des tomates en France avec des graines qui viennent du Kenya.
- Speaker #0
Très logique,
- Speaker #1
quand même. Et d'ailleurs, la France aussi, c'est le premier exportateur de semences. Donc on peut aussi exporter des semences vers d'autres pays. Donc voilà, ça, c'était notre quatrième point de la définition des semences paysannes. C'est qu'elles sont cultivées et produites sur les fermes par les paysans.
- Speaker #0
Ok, alors les semences paysannes, en plus d'être génétiquement diversifiées, cultivées en AB et sans biotech, ce que je comprends, c'est qu'elles doivent être aussi sélectionnées et produites à la ferme. En fait, c'est une notion d'autonomie des agriculteurs. Mais ça fait pas un peu autarcique ça ?
- Speaker #1
Eh ben c'est ce qu'on pourrait croire, mais en fait non. Parce qu'avec les semences paysannes, c'est l'autonomie, comme tu disais, qu'on recherche. Et en fait ça c'est différent de l'autarcie. La différence c'est que l'autonomie c'est à plusieurs et en réseau qu'on l'obtient. Et donc ça c'est la dernière dimension des semences paysannes, qui est une dimension encore très politique, c'est la gestion dynamique des semences. Et le fait que la semence, ça se partage, ça s'échange pour continuer d'évoluer. Et donc pour entretenir la diversité des semences et leur capacité d'adaptation. Et dans la même veine, ce qu'on peut rajouter, c'est que du coup les semences paysannes, elles ne sont pas soumises à des droits de propriété intellectuelle comme les semences commerciales. Donc ces échanges sont très importants pour conserver la diversité au sein des variétés, mais aussi pour continuer à chercher des variétés qui sont bien adaptées aux conditions des agriculteurs et des jardiniers, en gros qui ne se reposent pas sur leur laurier avec une variété qui fonctionne... bien dans leur système. En fait, la diversité aussi, l'intérêt, c'est qu'on peut toujours trouver quelque chose qui est intéressant pour son contexte. Par exemple, si on prend le cas d'une population de blé, dans laquelle il y a plusieurs hauteurs de paille, c'est-à-dire où les individus sont plus ou moins grands, eh ben, en général, ce qu'on observe quand même, c'est qu'au fil des années, les hauteurs, elles ont un peu tendance à s'homogénéiser. Pour plein de raisons. Soit parce que le paysan, quand il fait sa sélection, il va avoir tendance à ne garder que les blés les plus hauts. Soit parce que la population, elle est sur un sol très riche et que les plus grands individus vont verser. Et donc qu'on ne pourra pas récolter les graines de ces individus. Donc après voilà, ça dépend. Ça peut s'homogénéiser vers le haut ou vers le bas. Et entre guillemets, c'est pas toujours une mauvaise chose. Mais quand on veut garder de la diversité, c'est quand même bien de ramener des graines de l'extérieur pour... entretenir cette diversité et donc les capacités d'adaptation de la population. Et là, attention, mot compliqué, les chercheurs, ils parlent de gestion dynamique pour parler de cette notion. Et puis si vous vous souvenez de l'épisode 3 où on est allé interviewer Jean Martial, un maraîcher de la Couronne-Rennaise, il expliquait bien que quand on est maraîcher et qu'on fait des dizaines d'espèces différentes sur sa ferme, c'est compliqué de produire les graines pour toutes ces espèces. Et en plus, si on fait plusieurs variétés au sein d'une même espèce, c'est encore plus compliqué. D'autant plus qu'il y a des espèces qui, rappelez-vous, qui sont dites allogames, c'est-à-dire où les individus se croisent entre eux quand ils se reproduisent. Et donc là, c'est juste impossible de faire la semence de deux variétés différentes sur une même ferme. Et donc là, le travail en réseau, il est vraiment fondamental. Les maraîchers, ils s'organisent entre eux, au sein du réseau semences paysannes, de manière plus ou moins locale. pour échanger leurs semences en fonction de ce qu'ils produisent sur leur ferme. Par exemple, un maraîcher va faire des semences d'oignon et d'une variété de choux et il va utiliser la semence d'un autre maraîcher pour une autre variété de choux, des carottes et encore plein d'autres espèces. Donc ça, c'est le premier aspect. Et puis souvent, quand on rencontre des personnes, elles nous disent « Ah oui, mais les semences paysannes, on ne peut pas les vendre. Du coup, comment on fait pour en avoir ? » Et bien justement, il faut trouver les collectifs pas loin de vous qui s'échangent des semences et vous pourrez en trouver. Et surtout, légalement, c'est possible de s'échanger des semences dans le cadre de collectifs. Alors déjà, quand on est un particulier, il n'y a aucun souci. Et quand on est un agriculteur, on peut le faire dans le cadre de l'entraide agricole ou par exemple d'une convention d'expérimentation. Et ça, il faut être en collectif pour pouvoir le faire. Donc en gros, ce qui compte quand on échange des semences paysannes, C'est de transmettre l'histoire de la variété, de transmettre l'histoire de sa sélection, comment elle a été cultivée et quels sont les savoir-faire associés pour l'utiliser et même pour la cultiver en fait. C'est aussi pour ça d'ailleurs que vous entendrez des paysans parfois qui vous disent « Ah oui, mais moi j'ai voulu faire des semences paysannes, j'en ai demandé et puis on m'a donné une quantité toute petite et ça ne m'allait pas. » En fait, c'est nécessaire de commencer avec des petites quantités. Pour que chacun puisse expérimenter sur sa ferme et aussi adapter la population à sa ferme. Parce que parfois, quand on cultive une nouvelle variété sur sa ferme, elle va commencer par être malade la première année et ça va s'améliorer avec le temps, au fur et à mesure de la sélection. Et donc, quand on s'échange, pas besoin de droits de propriété intellectuelle.
- Speaker #0
Donc en fait, l'esmence paysanne, le dernier point important, c'est de dire que c'est vraiment une aventure collective, gestion dynamique, pas de droits de propriété intellectuelle.
- Speaker #1
Et donc ? Pour résumer, là on a nos 5 piliers de la définition des semences paysannes. Est-ce que vous vous en rappelez ? Premier pilier par exemple, suspense. Elles s'adaptent à leurs conditions de culture grâce à leur diversité génétique. Ensuite, qu'est-ce qui découle de ça ? La diversité génétique c'est bien adaptée à une agriculture paysanne, en agroécologie ou en agriculture bio. Qui dit agriculture biologique dit troisième pilier. variétés qui ne sont pas issues de biotechnologies. Et vous voyez, en fait, tout est lié vraiment. Ensuite, les semences paysannes, elles sont cultivées, sélectionnées et produites à la ferme.
- Speaker #0
Et enfin, dernier pilier, elles sont incommunes, c'est-à-dire qu'elles sont gérées par des collectifs, en réseau, et elles permettent aux paysans de gagner en autonomie semencière sans être bloqués par les droits de propriété intellectuelle.
- Speaker #1
En fait, chaque point que tu as évoqué, ça peut être une porte d'entrée pour les semences paysannes. Et c'est vrai que selon les agriculteurs qui font des semences paysannes, ils n'y viennent pas forcément pour tous ces points-là en même temps. Mais il y a une raison principale avec laquelle ils commencent à faire des semences paysannes. ... Ils rentrent dans cette démarche-là et c'est un tout qu'ils découvrent au fur et à mesure des années, qu'ils travaillent ensemble avec d'autres et que leurs semences, elles deviennent vraiment paysannes. Par exemple, il y a des paysans en Bretagne, dans le Nord Finistère, qui ont voulu commencer la sélection de choux-fleurs. Leur raison de faire des semences paysannes, c'était qu'ils refusaient justement les CMS, une certaine biotechnologie qui était utilisée pour faire leur variété hybride. Ils se sont dit, nous on est en bio, et en fait... pas cette technologie. Donc, la seule solution qu'on a, c'est de faire nos variétés, parce qu'à l'époque, au début des années 2000, quasiment toutes les populations de choux-fleurs étaient CMS. Donc, ils sont rentrés par cette volonté-là. Et ensuite, évidemment, pour faire ça, ils ont dû s'y mettre à plusieurs, faire autre chose que des hybrides, ça voulait dire faire des populations, donc diversité génétique. Ils étaient en bio, donc ils cherchaient des choses adaptées à leur système, et ils les ont cultivées, sélectionnées, et produites sur leur ferme. Donc, voilà. ils avaient le package. Ce qu'on peut voir aussi souvent, les agriculteurs qui démarrent en sélection de maïs pour faire du maïs population, donc pour rappel la plupart du maïs que vous voyez dans les champs ce sont des hybrides, les agriculteurs sont obligés de racheter les semences de maïs chaque année et en fait ça coûte super cher. Beaucoup d'agriculteurs qui se mettent à faire du maïs population, donc des semences paysannes de maïs, en fait ils commencent pourquoi ? Pour l'autonomie semencière. et surtout pour une question financière. C'est-à-dire que plutôt que de racheter tous les ans, s'ils peuvent faire leurs semences tous les ans sans payer, c'est génial. Donc ils rentrent par l'aspect autonomie, voire même par l'aspect financier qu'on n'a pas décrit avant. Et en fait, ils voient bien que la diversité génétique, c'est super parce que ça permet une adaptation. Et notamment sur le maïs, on voit des adaptations à la sécheresse qui sont super intéressantes. Et grosso modo, le maïs, c'est une plante qui évolue assez vite. Donc ils voient que justement, cette diversité génétique permet une vraie adaptation. Souvent, c'est des agriculteurs bio ou agroécologiques. D'ailleurs, en maïs, ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas que des bio qui font du maïs population. Et en fait, le maïs, comme c'est aussi une plante à Ausha, quand on veut essayer plein de variétés et garder qu'une variété, on ne peut pas faire ça tout seul parce que toutes les plantes se croisent. Donc, on découvre vraiment que c'est un travail en commun à faire. On arrive à toutes les autres branches. Et voilà, il y a aussi d'autres agriculteurs qui sont justement spécifiquement bio. qui dans le commerce ils essayent pour une certaine espèce, ils essayent les différentes variétés qu'ils trouvent dans le commerce, ça ne leur convient pas et donc ils disent il nous faut des trucs vraiment qui fonctionnent en bio dans des conditions difficiles. Donc comme il n'y a pas de variétés qui sont sélectionnées en bio, il va falloir qu'on le fasse nous-mêmes et paf, ils rentrent par cet aspect-là. Il y a aussi des agriculteurs, ils veulent faire leurs semences et ils n'ont juste pas envie d'être tout seuls. Donc si on commence à faire des semences paysannes pour un seul des aspects des semences paysannes, Comme tous les aspects sont liés, eh bien en fait, à la fin, au bout de plusieurs années d'expérience, on fait des semences, entre guillemets, complètement paysannes parce que tout est lié et tout se tient. Voilà, aujourd'hui, on vous a parlé pas mal de semences paysannes, mais vous l'avez vu, notre podcast, il s'appelle « Cultiver la biodiversité » . Et nous, avec Emma, notamment sur le premier épisode, on vous a beaucoup parlé de biodiversité cultivée, mais pas que de semences paysannes. Alors, pourquoi ?
- Speaker #0
Eh bien, pour nous, les semences paysannes, Ce serait une partie de la biodiversité cultivée. Et c'est vraiment un super moyen de faire revivre cette biodiversité. Mais disons que le terme de biodiversité cultivée, il est plus large que le terme « semence paysanne » et il englobe ce terme. Par exemple, rappelez-vous, pour être paysanne, une semence, elle doit avoir été sélectionnée et adaptée au terroir par le paysan qui la cultive. Du coup, si on achète une variété reproductible chez un artisan semencier, par exemple, pour la semer sur sa propre ferme ou dans son jardin. On ne peut pas vraiment parler de semences paysannes parce qu'elle n'a pas été sélectionnée sur la ferme par l'agriculteur. Par contre, si on a acheté cette semence reproductible et qu'ensuite on fait ce travail les années suivantes, en réseau, parce qu'on échange aussi, parce qu'on en a un petit peu donné à des voisins, des choses comme ça, et bien là, on peut parler de semences paysannes. Du coup... On va dire que cette définition, elle est vraiment très précise. Comme on vous l'a dit aussi, il y a une dimension assez politique à cette définition. Et donc, il y a aussi des personnes à qui certains aspects ne vont pas correspondre et qui vont quand même faire de la biodiversité cultivée parce qu'ils vont cultiver des variétés populations, parce qu'ils vont utiliser des variétés qui sont différentes des variétés commerciales. Voilà, on espère que c'est assez clair pour vous la nuance entre biodiversité cultivée et semences paysannes. Et n'hésitez pas à nous dire si vous avez d'autres questions.
- Speaker #1
Et alors, si vous êtes agriculteur, est-ce que vous faites des semences paysannes ? Ou est-ce que vous auriez envie d'en faire ? Si oui, il y a sûrement un groupe à rejoindre proche de chez vous pour bénéficier de l'expérience des autres et échanger entre pairs. Et si vous êtes jardinier, est-ce que vous en faites des semences paysannes ? Eh bien oui, évidemment, comme ce que vient d'expliquer Emma, parce que vous échangez sûrement... vos variétés avec vos voisins. Vous avez plein de variétés de tomates parce que franchement, c'est plus fun dans son saladier. Et plutôt que de les acheter, quand on s'émerveille de la diversité, on adore aussi l'avoir non seulement dans le saladier, mais aussi dans son jardin. Enfin voilà, il y a vraiment plein de situations. Alors vous pouvez nous envoyer vos témoignages, ça nous intéresse de les connaître. Et vous pouvez aussi nous envoyer vos questions pour qu'on puisse continuer ce podcast en fonction des sujets qui vous intéressent.
- Speaker #0
Et bien voilà, maintenant vous savez ce que c'est les semences paysannes. On arrive à la fin de cet épisode. On vous met des liens et des articles pour en savoir plus dans la description. Et à bientôt pour un nouvel épisode. Et si ce podcast vous a plu, n'hésitez pas à le faire connaître autour de vous. Et n'oubliez pas, pour sauver la biodiversité, mangez-la !