- Speaker #0
Bonjour à tous, alors je dois vous dire que l'épisode qui va suivre est un épisode un peu spécial. C'est pas un épisode de Décodeur, mais un épisode d'Ezelle au talent, un podcast de la fondation Bétancourt-Schuller. Je sais pas si vous connaissez le prix Liliane Bétancourt pour l'intelligence de la main. C'est un prix qui est très prestigieux, qui récompense les professionnels des métiers d'art en France. Et à l'occasion des 25 ans de ce prix, ils ont créé un podcast qui met à l'honneur les lauréats de ces dernières années. des hommes et des femmes dont le talent et le parcours méritent d'être racontés. Alors quand ils m'ont proposé de diffuser quatre épisodes de ce podcast, j'ai accepté. On a choisi ensemble ceux qui pourraient le plus vous plaire, à vous mes auditeurs de Décodeur. Alors j'espère vraiment que vous allez aimer, c'est différent, vous allez voir. C'est une rencontre entre un talent donc et une plume, un écrivain qui va le raconter. Allez, je vous laisse, bonne écoute.
- Speaker #1
Des ailes au talent. Je vous propose de faire connaissance avec des artistes qui maîtrisent les techniques et savoir-faire des métiers d'art. Des ailes au talent, c'est une série de portraits de femmes et d'hommes dont le talent et le parcours méritent d'être racontés. Des portraits littéraires, car nous avons choisi de donner la parole à des écrivaines et à des écrivains. Chaque épisode de ce podcast est le fruit d'une rencontre entre un artisan d'art et une brume. L'auteur que vous allez entendre dans cet épisode, c'est Franck Courtès. Il tire le portrait de l'orfèvre Nicolas Mariskel. Vous écoutez la troisième saison des ailes au talent. Soyez les bienvenus.
- Speaker #2
Au lieu de l'artisanat d'art parisien, est un décor qui vaut à lui seul le détour. Une cinquantaine de magasins et d'ateliers occupent les arcades de briques sous la promenade qui relie Bastille à Vincennes. Au numéro 87, on entre dans une boutique garnie de vitrines scintillantes. Une jeune femme peinte en silence au fond du magasin, près de la vitrine, dos à la lumière de l'avenue. Derrière un comptoir, une femme baignée par le reflet de 100 pièces d'argent poli m'accueille et appelle son mari. J'entends le pas d'un homme dans un escalier. Remontant du sous-sol, Nicolas Maréchal apparaît. Bonjour,
- Speaker #3
moi je m'appelle Nicolas Maréchal, donc je suis orfèvre. J'ai reçu le prix de l'intelligence de la main en 2015, catégorie dialogue.
- Speaker #2
L'homme ne fait pas son âge. La poignée de main est franche, le sourire celui de ses hommes heureux. Laissez-moi vous expliquer les raisons d'un tel bonheur. Famille, travail, santé, tout l'urée ici. C'est prodigieux. Il serait dommage, mais concevable, qu'à tant de qualités manque celle de la modestie. Même pas, Nicolas Marichal provoque moins la jalousie que l'envie.
- Speaker #3
On vend, on fabrique et on vend ici.
- Speaker #2
Quelques jours plus tôt, avant notre rendez-vous officiel, je me suis présenté à lui. Je désirais voir l'artiste au naturel, à l'improviste. Je craignais que pour la rencontre, il ne s'habille en conséquence. Je le surprends donc un début d'après-midi, en tenue de travail habituel. Il porte un pullover d'une couleur indéfinissable, taché et troué de dizaines de brûlures. Il porte aujourd'hui le même pull. Je le suis dans la cave transformée en atelier. L'odeur des ateliers est souvent crue. C'est le parfum du fer, du bois et de l'argent mêlé. Des centaines de marteaux anciens de toutes les formes, manches patinées, alignées le long des murs, frappent l'imagination du visiteur en attendant de frapper l'argenterie. Je regarde les mains de Nicolas Maréchal. Car je suis là pour elle, au fond, pour voir de mes yeux à quoi ressemblent des mains multiprimées. L'intelligence de la main, ce n'est pas rien. On en a connu d'autres, illustres, moulés dans le bronze ou le plâtre. Les mains de Nicolas Maréchal sont grises, comme son pull, comme le sol, comme les pupitres de travail. Les poussières d'argent recouvrent tout. Il ne prend plus la peine de les laver la journée, la peau en est incrustée. Rien de sale, on est bien d'accord. Nicolas aux mains d'argent.
- Speaker #3
J'ai travaillé avec un designer qui s'appelle Philippe Herribon et on a créé un diffuseur de parfum en argent massif, une forme ovoïde qui tourne sur elle-même par un moteur électrique télécommandé. Donc très beau souvenir, une belle histoire entre le designer et moi parce qu'en fait on a travaillé, on travaille toujours ensemble, on est devenus amis grâce à ce prix et c'était une super expérience.
- Speaker #2
Nicolas Marichel entre en argenterie à 17 ans. Leur fèvrerie est une affaire de famille. Le grand-père, cuirériste dès l'âge de 14 ans, transmet le virus à son fils qui lui-même le donnera à Nicolas. Pas de rébellion adolescente comme on en voit partout ailleurs. Dans cette famille, les enfants pérennisent et poursuivent un savoir-faire ancestral. Pourquoi rompre la chaîne d'un métal si pur ? Avant d'évoquer son métier, c'est de son autre passion, elle aussi transmise de père en fils, dont l'orfèvre aime parler. Celle du waterpolo. Quel rapport y a-t-il entre ce sport ? qui se fait parfois combat quand la piscine devient rouge du sang des blessés et qui emmènera Marichel aux portes du podium lors des Jeux Olympiques de 1988 avec la minutie du travail d'orfèvre. L'esprit collectif, Nicolas Marichel le martèle, l'individualisme de la société met en danger le progrès. J'ai lu il y a peu que la théorie de la lutte pour la vie de Darwin était une interprétation partisane, destinée à promouvoir une politique libérale. Mais qu'en réalité, le grand homme avait théorisé dans un autre ouvrage méconnu l'idée selon laquelle la vie se développait au contraire par l'entraide et la coopération des espèces. Maréchal approuve d'un hochement de tête. Cette coopération, il en a fait la pierre angulaire de son œuvre. L'apprentissage de l'orfèvrerie dure cinq ans, mais dix ans sont nécessaires pour toucher à l'excellence. À un moment de sa vie, Nicolas Maréchal réalise que les designers et les artisans d'art, qu'on a souvent opposés, ont tout à gagner à œuvrer de concert. Ils sont complémentaires, malgré des formations très différentes, si l'on veut bien intégrer dans sa démarche l'esprit collectif. Il s'agit moins de copier l'autre que de comprendre et adopter son raisonnement, ses méthodes de travail. Le collectif est le secret des progrès, celui des femmes et des hommes, mais aussi celui des sociétés. L'intelligence de la main ne fait pas tout. Il faut également faire ses preuves dans le domaine de la gestion d'entreprise, de la communication, de la création. Le jeune Nicolas Marichel récupère l'entreprise endettée de son père à 27 ans. Il lui faut la transformer. L'héritage et les responsabilités sont lourds pour ce jeune père de famille. Il doit abandonner son sport favori. Durant 20 ans, il se spécialise dans la restauration d'orfèvreries anciennes, au point de devenir expert judiciaire.
- Speaker #3
J'ai été nourri, nourri, nourri pendant des années sur l'orfèvrerie. Je la connais par cœur. Maintenant, je suis expert judiciaire. Je connais les... Il faut savoir ce qui est passionnant dans l'art ferroïde et dans l'art français, c'est l'époque des Lumières. Vous avez une période formidable sur l'argenterie avec l'époque du XIV, du XV et même Louis XVI. Après, ça continue parce que Napoléon a fait plein de choses. On ne va pas parler de l'art déco. Bref, mais c'était tellement enrichissant.
- Speaker #2
Nicolas Maréchal intègre l'association Les Grands Ateliers de France et participe à de nombreuses expositions tricotées, dont une organisée par les Rothschild, où il exposera des répliques de couteaux du XVIIIe siècle. C'est un tournant. Il rencontre des créateurs et se dit que son avenir se joue là, dans la création artistique. Fort de sa maîtrise technique et de son expérience dans l'orfèvrerie de l'époque Louis XIV, il se lance dans la création d'objets exceptionnels et haut de gamme. Il vise la pureté et la sobriété, livrant des formes très design, modernes, un art jamais vu. Il se sent proche d'un orfèvre qu'il considère comme un génie, Jean-Puy-Forca, dont on admet aujourd'hui encore que sa société est, qualitativement, la plus grande maison d'orfèvrerie française. Dorénavant, Maréchal mènera de front les deux activités, la restauration d'orfèvreries anciennes et la création ultracontemporaine, un pied dans chaque époque. Après Darwin, c'est à Colette qu'il me fait penser. Si classique dans la maîtrise de la langue, si moderne dans le style et les idées. Sa femme intègre l'aventure. Après l'école de commerce, BTS commercial en poche, Madame Marichel rejoint son mari et permet à l'entreprise de se développer. La dynamique Internet, c'est grâce à elle. Et puis, elle résout un problème.
- Speaker #3
L'argenterie a un problème, c'est qu'elle s'oxyde. Et donc, comment pallier ce problème ? Alors, il faut trouver des solutions de rangement. pour éviter l'oxydation. Et ces solutions de rangement, ce sont tout ce qui est housse, écrin et petites cuvettes qu'on met dans les tiroirs avec du tissu antioxydant.
- Speaker #2
Ils rachètent les outils d'un fabricant d'intérieur de pièces d'argenterie en tôle qui leur permettent de faire du sur-mesure. Ils deviennent aussitôt numéro un du marché. Madame Maréchal grave, à l'aide d'une machine numérique, leur fèvrerie de naissance, comme les timbales par exemple. L'entreprise s'agrandit en laissant Nicolas libre de poursuivre la création de ses œuvres uniques. Leur fille Mélissa, devenue graphiste, les rejoint. C'est elle qui peint la roue à la lumière du jour. Son père est maître d'art et Mélissa son élève. Elle a créé une ligne de bijoux. La deuxième fille, Eva, travaille dans le digital et le fils, Nathan, s'est pris de passion pour le waterpolo. Mélissa, devenue à son tour maître d'art, crée un objet de maîtrise avec son père. À l'instar de la Fondation Betancourt, qui accompagne un créateur pendant trois ans, l'État aide Mélissa dans sa recherche.
- Speaker #3
Maître d'art, c'est un peu comme les trésors vivants au japonais, sauf que vous avez un devoir de transmission et de formation. pendant les trois ans avec un programme bien détaillé. Et donc, elle, elle a fait toute une formation sur tout ce qui est travail numérique, 3D. Et c'est comme ça qu'on travaille maintenant. C'est ce que m'a apporté, par exemple, le designer. Toute cette façon de penser, parce que moi, je pensais artisanal, artisanalement. Je ne sais pas si ça se dit, mais maintenant, je pense numériquement. Je pense, quand je crée, je pense à comment je vais fabriquer l'objet, mais aussi comment je peux être aidé. Sur le côté des machines numériques, graveurs, gravures, je mélange les deux, ce qui est une petite marque de fabrique.
- Speaker #2
Eva, de son côté, œuvre à la communication et aux relations publiques de l'entreprise. Nathan a longtemps hésité et a fini par apporter lui aussi sa pierre à l'édifice familial. Il s'occupe avec sa mère des solutions de rangement et, avec son père, des soudures, des polissages, des taches d'orfèvrerie. Nicolas Maréchal reste debout, ne s'assoit jamais. Il balaie la pièce d'un geste de la main. Les murs sont couverts d'outils patinés par le temps et le travail des enseignes.
- Speaker #3
Ce que vous découvrez autour de moi, l'outillage, c'est introuvable. Ça n'existe pas. Ça n'existe plus. Ça coûte une fortune à faire. Donc ça, j'en ai hérité. Mon grand-père en avait, mon père en avait, on en a acheté.
- Speaker #2
L'orfèvrerie connaît une baisse d'intérêt de nos jours. Les formations se raréfient. Les ménages s'installent dans du Ikea. L'inox gagne du terrain. Pourtant, il l'affirme, rien n'illumine une pièce comme une table dressée de pièces d'orfèvrerie. La lumière s'intensifie dans l'argent. La matière serait sensuelle, plus chaude. Rien de plus sain pour les plaisirs de la table que l'argent, car il est antibactérien. Maréchal cultive la passion historique des poinçons, qui permettent ce qu'on appellerait aujourd'hui la traçabilité d'une pièce d'orfèvrerie. Nicolas l'expert en sait quelque chose, les musées sont truffés de fous. Il est tentant de considérer cet homme comme un alchimiste. Il a trouvé la formule du bonheur.
- Speaker #3
On est dans une société maintenant où les gens veulent faire beaucoup de choses. Ce qui est important en fait c'est faire les bons choix. Il faut aimer ce que l'on fait. C'est vraiment le mal de notre société où les gens souffrent au travail. Je crois que c'est terrible parce que quand vous aimez ce que vous faites, c'est fabuleux. Vous passez... 80% de votre journée à travailler, ou penser à travailler.
- Speaker #2
Après mon départ, Nicolas Marichal se remettra au travail. Une ménagère qui, sous ses doigts, bientôt brillera de mille feux, l'attend sur les tableaux.
- Speaker #1
C'était le portrait de l'orfèvre Nicolas Marichal, un texte écrit et lu par Franck Courtès. Des ailes au talent est un podcast de la Fondation Bétancourt-Schuller, réalisé par le studio Radio France en collaboration avec les éditions Gallimard.