- Speaker #0
Le chiffre doit être compris comme une manière de rendre visible et donc de questionner plutôt que comme une réponse, une solution automatique.
- Speaker #1
On n'aura pas de compréhension des enjeux de durabilité bien intégrés tant que la comptabilité sera complètement aveugle de ces enjeux-là.
- Speaker #2
Bienvenue dans le podcast de Delphys, pôle d'innovation dédié à l'habitat social. Dialogue avec les parties prenantes et transformation des pratiques, bien-être des collaborateurs et bien-vivre des habitants. Responsabilité et transparence des organisations. Delphys discute ce qui nous gouscule et ce qui nous interroge. Avec des experts venus d'ici et d'ailleurs, nous partageons éclairages et expériences. Osons faire un pas de côté pour penser ensemble l'habitat de demain dans les territoires. Bonne écoute ! Morteuse de transparence et de responsabilité, la déclaration de durabilité impulsée par la CSRD est un outil pour les organisations. Un outil. pour rendre compte de leurs impacts. Cette évolution encaîcherait-elle une autre ? Les exigences ESG, environnementales, sociales et de gouvernance, peuvent aussi faire évoluer la comptabilité des organisations. Rendre compte d'eux, c'est aussi être comptable d'eux. La comptabilité, c'est un compte, C-O-M-P-T-E, l'action d'évaluer une quantité. Mais c'est aussi un compte, C-O-N-T-E, un récit qui invite à se questionner, à penser, décider et piloter autrement. Et si on prêtait attention à ce conte, C-O-N-T-E, que la Conta raconte ? Mes invités auraient-ils quelque chose à nous raconter que nous n'aurions pas escompté ? Bonjour à toutes et à tous, je suis Caroline, responsable communication chez Delphys. Je suis ravie de vous retrouver pour ce nouvel épisode. Jérémy Morales et Clément Carne sont aujourd'hui mes invités. Bonjour Jérémy, bonjour Clément.
- Speaker #0
Bonjour.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #2
Jérémy Morales, vous êtes enseignant-chercheur en contrôle de gestion et management à l'Université de Bristol au Royaume-Uni.
- Speaker #0
Tout à fait.
- Speaker #2
Vous voulez nous dire un mot de vous, de vos thèmes de recherche ?
- Speaker #0
Après une thèse à l'Université Paris-Dauphine, j'ai travaillé essentiellement sur les dispositifs de contrôle de gestion dans les organisations, avec de plus en plus une orientation vers les secteurs où... La mesure de performance est plus compliquée, donc typiquement le secteur non marchand ou le secteur social, même si je me suis intéressé à d'autres grandes évolutions, typiquement la digitalisation et la question du développement durable pour les outils du contrôle de gestion.
- Speaker #2
Merci Jérémy. Bonjour Clément Carnan. Bonjour. Vous êtes maître de conférence à l'université Paris Dauphine PSL. Je vous invite à vous présenter, vous aussi.
- Speaker #1
Oui, alors pour ma part, j'ai fait une thèse à l'université de Poitiers, puis ensuite un post-doctorat au sein de l'école de commerce de Nantes. Et dans les deux cas, j'ai travaillé sur des méthodes de comptabilité que moi je qualifie d'écologiques, parfois on entend le terme comptabilité socio-environnementale aussi. Et en fait, je me suis particulièrement intéressé aux interprétations et leurs conséquences sur les décisions potentielles, sur les représentations qu'on a du monde. Et plus récemment, ou en tout cas en parallèle, je devrais dire plutôt, je m'intéresse en particulier aux enjeux humains, parce qu'on parle beaucoup des enjeux environnementaux, mais les enjeux humains font partie évidemment de ces méthodes.
- Speaker #2
Merci Clément. Alors, pour commencer, en quelques mots, Jérémy, qu'est-ce que la comptabilité, ou du moins, à quoi sert-elle ?
- Speaker #0
Oui, et ça semble une question relativement simple, mais en fait, c'est une question qui ouvre à beaucoup de problèmes. Et donc, on a coutume de dire que la comptabilité n'a pas d'essence. Personnellement, je me suis intéressé plus spécifiquement à ce que le contrôle de gestion fait avec la comptabilité, et donc comment les organisations utilisent... un certain langage, une certaine manière de comprendre, parler, raconter, communiquer des enjeux, en utilisant notamment les chiffres. Et donc, pourquoi est-ce que le fait de compter, pourquoi est-ce que le fait de mesurer et de quantifier a été considéré de plus en plus comme la meilleure manière de gérer, de manager, de contrôler, ou même de communiquer ? Ce qui est intéressant avec les chiffres, c'est que, par exemple, un indicateur, souvent on se dit qu'on va créer un indicateur parce qu'on a envie de comprendre quelque chose. Et en fait, ce qu'on s'aperçoit, c'est que le plus souvent, la création de cet indicateur sert tout autant à communiquer, par exemple, ce qui nous semble être particulièrement crucial à un moment donné. On a créé cet indicateur parce qu'on pensait qu'on avait un problème, par exemple, et en fait, ce qu'on fait, c'est qu'on communique à différentes équipes avec lesquelles on travaille ce qui nous semble poser problème. Et donc, d'autres personnes vont s'en saisir, non pas pour comprendre le problème, mais pour comprendre ce que nous, on cherche à communiquer. On a coutume de dire depuis Henri Bouquin que le contrôle de gestion sert à enseigner le management au manager. Les managers vont se saisir du contrôle de gestion pour influencer leurs équipes, mais aussi pour leur enseigner ce qui est important, ce qui forme un bon manager, ce qui doit être suivi, ce qui doit être regardé, ce qui doit être compris, ce qui doit être communiqué.
- Speaker #2
Alors, Jérémy, donc la comptabilité, c'est un langage. On l'utilise pour compter et aussi pour mobiliser, orienter.
- Speaker #0
Donc cette utilisation de la comptabilité en termes de contrôle de gestion a beaucoup évolué au fil des années. Et notamment il y a eu une sorte de shift, une discontinuité. Pendant très longtemps la comptabilité servait à faire un compromis entre différentes parties prenantes. On avait différents usages, mais la comptabilité proposait à la fin un résultat unique qui représentait plus ou moins un consensus ou en tout cas une négociation. Et ce qu'on s'est aperçu, c'est que depuis plusieurs décennies, cette négociation a basculé vers une influence un peu spécifique, ce qu'on a appelé la création de valeur pour les actionnaires. La notion d'actionnaire est laissée un peu ambiguë. On ne sait pas s'il s'agit d'une holding dans un grand groupe ou s'il s'agit d'individus atomisés, mais on a un peu cette idée que tout le monde devrait travailler pour la même direction, pour cet actionnaire un peu non défini. Et donc, de plus en plus, les outils sont pensés Comme s'il était évident que le contrôle de gestion, la comptabilité, la performance devaient avant tout servir à cette création de valeur pour les actionnaires.
- Speaker #2
Jérémy, vous évoquez un tournant dans l'histoire de la comptabilité avec son utilisation. Au service de la création de valeur pour les actionnaires, aujourd'hui il y a la CSRD et elle instaure le reporting de durabilité pour les organisations. Une obligation de transparence sur leurs impacts socio-environnementaux. Alors Clément, je me tourne vers vous. Est-ce que selon vous, cela change l'approche de la création de valeur par les organisations ?
- Speaker #1
Effectivement, il y a la CSRD qui est arrivée l'année dernière. En tout cas, ça a été complètement validé l'année dernière. On sait à quoi on s'attend depuis à peu près un an. En fait, c'est un gros changement par certains aspects. Et en même temps, on reste dans la doctrine qui est celle qui existe depuis les débuts du reporting extra-financier. On peut évidemment remonter à 2001 en France avec la loi NRE qui rend obligatoire pour certaines entreprises la divulgation d'informations extra-financières. Mais on peut même remonter encore plus loin en 1977 avec le bilan social qui est déjà un rapport à part. Et en fait, cette doctrine-là, c'est de dire qu'il y a deux piliers. Alors Patrick de Cambourg, qui est le directeur du board Sustainability à l'EFRAG, donc le normalisateur européen qui s'intéresse à cette question de l'extra-financier, le dit très clairement. En fait, il y a deux jambes. Il y a la jambe financière et la jambe de durabilité. Alors d'ailleurs, il insiste sur le terme durabilité pour dire qu'il y a une connexion entre les deux. On n'est pas d'un côté dans le financier et de l'autre dans l'extra-financier, ce serait complètement séparé. Mais par contre, il y a bien deux piliers. Et donc... Aujourd'hui, cette doctrine-là, elle se réaffirme encore au travers de la CSRD. On a donc deux rapports. Alors, la CSRD, le rapport de durabilité qui va être produit dans cette logique, de cette doctrine proposée, il faut être très clair, c'est une vision qui est très libérale, en ce sens que c'est de l'information qui est transmise aux différentes parties prenantes. Et donc, on a encore... sorte de découplage. Du fait de ces deux jambes-là, de ces deux piliers, on a encore un découplage entre deux visions d'entreprise. On a une vision qui serait financière, et Jérémy l'a rappelé, qui est de plus en plus influencée par l'économie de marché, la financiarisation de l'entreprise. Et de l'autre, on a la vision de... durabilité, sa contribution au développement durable, pour le dire de manière très générale. Et donc ce découplage là, il est problématique, d'où un certain nombre de tentatives effectivement de ramener les deux dans un seul document, une seule information, un seul cadrage global de cette information là. pour s'assurer que tout soit cohérent. Si je repars du bilan social, ce qu'on peut constater, c'est un relatif échec de ce document-là, pourtant très bien fait pour un certain nombre de raisons, peut-être qu'on aura l'occasion de reparler. Mais ça ne marche pas parce qu'il y a un découplage entre le document qui fait... vraiment qui fait foi au moment de l'Assemblée générale face aux actionnaires, qui est l'organe véritablement décideur dans l'organisation. Et de l'autre, on a un document à destination des autres parties prenantes, en quelque sorte, et éventuellement aux investisseurs intéressés par ces questions, mais qui n'est pas assorti d'un organe de gouvernance qui permet d'avoir le même poids que les enjeux financiers. Donc, Voilà, c'est pour ça qu'on a effectivement cette tentative de rassembler les deux. Et donc en particulier, je pense évidemment à la méthode de comptabilité CARE en France, qui a été développée initialement à l'Université Paris-Dauphine, et puis maintenant largement reprise par la chaire comptabilité écologique.
- Speaker #2
Alors effectivement, ce que je comprends, c'est que la comptabilité doit évoluer au regard aussi de ce que l'on se disait au début, Jérémy, c'est que c'est... Et c'est là qu'on enseigne au management l'art de manager et au décideur l'art de décider. Donc c'est bien là que siège la décision. En tout cas, c'est l'outil d'aide à la décision. Et c'est au regard de ce rôle-là de la comptabilité qu'il faudrait faire évoluer les critères de décision.
- Speaker #0
Oui, c'est une question intéressante parce qu'on voit bien que la législation se focalise sur la comptabilité financière et donc la communication des organisations vers l'externe. Or, ce qui est le plus impactant dans la comptabilité, ce n'est pas nécessairement cet aspect-là, même si c'est un aspect important pour les banques, pour l'État, pour la fiscalité. Mais si on veut avoir un impact à l'intérieur des organisations, il faut aussi se pencher sur la manière dont la comptabilité et d'autres outils et dispositifs sont utilisés pour influencer les comportements et aussi ce qu'on appelle influencer les subjectivités, c'est-à-dire la manière que les personnes ont de comprendre leur identité, leur rôle, tout ce qui fait leur métier. Et on s'est aperçu que des indicateurs très simples peuvent avoir une influence sur ces aspects, même s'ils ont l'air un peu subjectifs. En fait... Quand on dit à quelqu'un, voisin les objectifs qu'il faut atteindre à la fin de l'année, c'est une manière de définir un rôle, c'est une manière de définir le métier, le travail, ce qui doit être accompli et donc la manière aussi qu'on a de comprendre son environnement, son organisation. On a des exemples assez parlants, aussi bien dans le privé, dans le public, dans le non-marchand, de gens qui introduisent des indicateurs qui ont l'air très simples, juste pour dire c'est logique, on veut s'assurer qu'on ne dépense pas trop d'argent. Sauf que l'introduction de ces indicateurs va avoir une influence assez profonde sur la manière qu'ont les équipes de comprendre ce qu'elles doivent faire ou ce qui est important de regarder dans l'environnement, ce genre de choses. A l'inverse, ça veut dire qu'on peut aussi changer dans l'autre sens et se dire que si on introduit de plus en plus d'indicateurs qui vont prendre en compte des aspects plus complexes, on pense vers... des aspects peut-être qui dépassent un peu la notion de l'organisation elle-même pour la replacer dans un réseau ou dans un environnement plus large. Dans ces cas-là, les personnes vont aussi comprendre quel est leur impact, bien sûr. Clément parlait de l'impact qu'une organisation a sur son environnement, mais c'est très difficile en tant qu'individu de se dire voilà mon impact personnel du fait des décisions que j'ai prises dans mon métier sur l'environnement Quand on voit des choses qui nous paraissent totalement inacceptables, on se demande toujours Comment est-ce que les personnes qui ont participé à cette décision ont pu prendre cette décision ? Mais en fait, personne ne se sent responsable de cette décision parce que les organisations sont tellement complexes. Il y a une atomisation des personnes, chacun contribue sans voir nécessairement l'impact final. Et donc, si on remonte toute la chaîne, il y a tout un ensemble de minuscules décisions et personne n'a vraiment la conscience que c'est l'agrégation de toutes ces minuscules décisions qui ont eu une conséquence que, en fait, tout le monde... pourrait trouver dommageable. Donc la vraie question, c'est comment on réintroduit des formes de comptabilité, de contrôle de gestion, des quantifications pour l'aide à la décision qui vont permettre de prendre cette conscience, d'avoir une vision élargie de ce qu'est notre impact, de ce qu'est notre interdépendance, comment est-ce que chacun interagit avec d'autres pour que collectivement on produise quelque chose qui peut être plus ou moins impactant sur l'environnement et sur les sociétés.
- Speaker #2
On voit bien dans comptabilité qu'il y a compter, mais il y a aussi prendre en compte. Et c'est peut-être un des outils à vous entendre qui peut nous aider à mieux prendre en compte une diversité de valeurs. C'est ce qu'on se disait tout à l'heure. Et du coup, de redonner à chacun aussi tout son rôle et toute la compréhension de son impact. Est-ce qu'on peut aller jusqu'à dire que ça nous aide aussi à redéfinir du coup aussi Infini en bout de chaîne ? La définition de la performance, de la performance globale de l'entreprise ?
- Speaker #0
Oui, tout à fait. L'idée qu'on aurait une vision prédéfinie de ce qu'est une bonne performance est totalement fausse. La compréhension qu'on a de ce que veut dire performance est influencée par ce qu'on fait, et notamment par notre utilisation d'outils, de mesures, de quantifications. Et donc, à l'inverse, on peut aussi... réfléchir plutôt qu'imposer des nouvelles compréhensions de ce que doit être la performance en s'appuyant sur différents outils et il faut voir tout ça d'une manière assez dynamique. C'est clairement modifiable dans le temps, dans l'espace et c'est clairement le fait d'un compromis entre différentes personnes, différents groupes et ça veut dire que si on a été capable d'avoir des grandes évolutions très rapides parfois, très lentes parfois, on peut aussi essayer de... réorienter tout ça, pour avoir une compréhension un peu plus globale de ce que veut dire performance, re-questionner certains postulats qu'on avait et qui étaient un peu limitatifs, pour avoir une meilleure proposition de ce que peut devenir notre compréhension d'une performance un peu élargie.
- Speaker #2
Alors cette compréhension élargie, Clément, je me tourne vers vous, elle pourrait se formaliser au travers d'une nouvelle forme de comptabilité que vous avez citée tout à l'heure. comptabilité triple capital, est-ce que vous pouvez nous dire ce que c'est ?
- Speaker #1
Alors, bien sûr, je vais essayer de vous présenter méthode compta triple capital qui a été utilisée à plusieurs reprises, dans plusieurs expérimentations, mais en fait, quasiment à chaque fois, ça renvoie au modèle qui a été développé par Jacques Richard, puis Alexandre Rambeau. qui est appelée la méthode CARE, CARE pour Comprehensive Accounting in Respect of Ecology. Alors, l'objectif central, c'est de permettre de s'assurer que l'utilisation des capitaux, ce qu'on appelle capitaux dans le langage CARE, c'est-à-dire les ressources extra-financières, qui sont autant des ressources environnementales que humaines, sont préservées ou en tout cas l'entreprise est susceptible à l'avenir de les restaurer. C'est assez important, c'est-à-dire que ça ne veut pas dire que l'entreprise ne l'utilise pas, ne consomme pas les ressources extra-financières. Cette méthode admet complètement l'idée que dans son écosystème, l'entreprise va consommer des ressources. par sa production de richesse, à la fin, elle doit être capable de restaurer ses ressources consommées. Et en fait, je dirais, la grande originalité, et ce qui fait tout l'intérêt de cette méthode, parce qu'elle est strictement dans la continuité des modèles comptables précédents, c'est qu'en fait, ça s'appuie sur le fonctionnement de la comptabilité financière classique, traditionnelle. En réalité, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que Jacques Richard est en fait un... un historien de la comptabilité, en tout cas il a fait beaucoup de travaux en histoire de la comptabilité, et justement il s'est attaché à montrer comment est-ce que la comptabilité, depuis son émergence en comptabilité en partie double, depuis son émergence au XVe siècle, a cherché à s'assurer que les capitaux financiers étaient maintenus. C'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de mécanismes qui sont mis en place dans la comptabilité financière traditionnelle qui ont pour objectif de s'assurer que... à la fin, l'apporteur de capital financier va pouvoir récupérer son argent. Et le résultat n'est qu'en fait que le surplus de richesse créé après maintien du capital. Et donc l'idée de Jacques Richard, c'est de reprendre cette idée, mais en étendant les capitaux intégrés. Donc évidemment, il y a eu le capital humain et le capital naturel. Alors quand on dit ça, ça veut dire plein de choses. Je ne vais pas peut-être rentrer dans le détail, mais l'idée centrale, c'est celle-ci. Et c'est vrai que ça en fait un modèle qui reprend tous les concepts que les comptables connaissent, en particulier l'amortissement. Et donc ça crée une continuité avec ce qui a déjà été pratiqué. on va simplement intégrer de nouveaux éléments et retravailler sur l'information. Et en fait, la grande richesse de la comptabilité triple capital, ou en particulier Ouker, c'est d'apporter de l'information comptable précise qui permet de savoir comment est-ce que les capitaux ont été utilisés, par quels moyens ils ont été utilisés dans l'activité de l'entreprise, et est-ce que l'entreprise est capable de les restaurer à terme.
- Speaker #2
Est-ce qu'il y a un risque de monétiser le capital environnemental et social ?
- Speaker #1
Oui, alors complètement. C'est un des grands débats en comptabilité, mais plus largement en philosophie, en économie. Est-ce qu'il faut mettre des chiffres sur ces entités-là ? Alors en fait, ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a plusieurs méthodologies. Je l'ai rapidement évoqué au tout début. Qu'est-ce qu'on entend par capital en fait ? Et là, il y a deux grandes approches. Alors, si on s'arrête au niveau des courants économiques, on va dire qu'il y a l'économie environnementale qui nous dit l'objectif. Alors, on considère tout d'abord les capitaux extra-financiers comme des ressources productives, tout simplement. Et l'objectif de l'économie de l'environnement, c'est de trouver un chemin de croissance optimal. Et ce chemin de croissance optimal, il intègre le fait qu'effectivement, on consomme des ressources productives lorsqu'on dégrade notre environnement. Donc là, on va chercher à chiffrer ce qu'on appelle des externalités qui doivent traduire le mieux possible la capacité des ressources à produire de l'utilité pour les acteurs. Et donc, dans cette vision-là, effectivement, on est dans une... marchandisation. Alors, on peut élargir la valeur, c'est l'objectif des économistes de l'environnement. Ils ont intégré énormément de valeur dans leurs fonctions d'utilité. Il peut y avoir la valeur sentimentale, par exemple, qui est intégrée parfaitement dans ces modèles-là. Alors, parfaitement, en théorie, quand il s'agit de le mettre en pratique, c'est parfois beaucoup plus compliqué. Mais donc, en tout cas, conceptuellement, ils l'ont parfaitement intégré. Et donc, évidemment, on va vers une marchandisation des ressources environnementales. Et même pour ce qui concerne l'humain, on peut montrer effectivement que ça conduit exactement à cette même lecture, où finalement, le travailleur n'est lu que par sa capacité à produire. Et on va s'intéresser à ses absences, à sa perte de productivité parce qu'il est dans un mauvais contexte. Donc, en fait, on lit tout au travers de cette... cette capacité productive. Et puis il y a le courant de l'économie écologique où là effectivement on considère que les entités humaines ou environnementales ont une valeur intrinsèque. Donc en fait on va pas chercher à chiffrer ces valeurs là, en tout cas c'est pas ce que fait du tout la méthode de comptabilité CAIR. Elle va pas chercher à chiffrer ces entités pour leur capacité productive, même pour leur valeur pour les personnes, la valeur d'expérience. qu'on fait de ces entités, elle va chiffrer ce qu'on va appeler les coûts de maintien par rapport à une obligation de préservation. C'est-à-dire que ce qu'on sait, c'est qu'on doit préserver l'entité, donc on a une obligation de préserver cette entité, et donc on va chiffrer le montant qui va sortir, l'argent qu'on va devoir sortir de l'entreprise pour maintenir cette entité. Donc, ce n'est pas l'entité qu'on valorise, mais bien notre relation avec cette entité et comment est-ce qu'on s'assure qu'à la fin, on aura bien préservé cette entité. Et le montant en question,
- Speaker #2
c'est quoi le montant en question ? C'est un montant financier ?
- Speaker #1
Voilà, c'est un montant financier, c'est-à-dire que s'il faut, par exemple, pour une ressource, un écosystème donné, s'il faut... Mettre en place des actions de dépollution et puis mettre en œuvre un certain nombre d'investissements pour éviter que de nouvelles pollutions interviennent sur cet écosystème. On va pouvoir chiffrer... le montant de notre obligation à l'égard de cette entité, au travers de cette planification des moyens à mettre en œuvre pour s'assurer de la restauration de l'entité.
- Speaker #2
Et ce, du coup, avant même d'avoir consommé les ressources en question. On chiffre d'ores et déjà sur sa restauration.
- Speaker #1
Voilà, idéalement. Alors après, justement, c'est ce qui a déjà été dit à plusieurs reprises, notamment par Jérémy, en fait, on est dans une réinterprétation continue. C'est-à-dire... quand on est sur les sujets environnementaux en particulier, puisque au fur et à mesure des nouvelles connaissances scientifiques, on avance sur la compréhension de notre dégradation de l'environnement. Donc, des polluants qu'on n'imaginait pas il y a cinq ans, aujourd'hui, on se rend compte qu'ils sont problématiques. Donc, c'est une réactualisation continue de notre connaissance. Et je crois que Caroline, vous le disiez tout à l'heure, c'est une façon de réaffirmer aussi le rôle des managers, de redonner un peu de l'importance à... à leur rôle dans l'organisation d'entreprise, mais l'organisation aussi en tant que groupe social le plus général. Et donc là, plus particulièrement pour les comptables, on est complètement dans cette dynamique-là, c'est-à-dire que réaffirmer leur importance en tant que sentinelle de l'impact, des conséquences de l'organisation, sans arrêt réactualiser la compréhension de ce qu'est l'organisation dans son environnement.
- Speaker #2
Je vois bien la capacité à réduire la dette sociale et écologique grâce à cet outil-là, mais quelles lectures peuvent en faire des parties prenantes externes comme des banques ? Est-ce que ça va vraiment être un outil, une source de réassurance, ou peut-être une difficulté, surtout si tout le monde n'utilise pas la même compta et n'a pas la même compréhension ?
- Speaker #1
Oui, alors effectivement, c'est un des points qui motive l'idée de deux jambes dont je parlais tout à l'heure. de la comptabilité, l'idée d'avoir une comptabilité financière qui reste fixe, et puis la partie durabilité qui serait amenée à évoluer en fonction des situations. En fait, ce qu'on voit au travers de la méthode CARE, lorsqu'elle a été appliquée à des associations, à des sociétés coopératives, c'est que ça permet aussi de clarifier la mission de l'entreprise. Puisque lorsque la mission de l'entreprise est elle-même de contribuer à la réduction des dettes écologiques ou sociales, aujourd'hui, la comptabilité financière est complètement aveugle sur ce rôle-là. À la fin, le dirigeant de l'entreprise sera jugé sur le résultat produit au cours de l'exercice. Et ce résultat ne montre effectivement qu'une chose, c'est est-ce que l'entreprise a créé plus de richesses qu'elle n'en a consommé ? Donc mettre en place une méthode de comptabilité socio-environnementale, et en particulier la méthode CARE, permet de clarifier, en tout cas dans la comptabilité, la mission de l'entreprise, et de rendre visibles les moyens aussi pour y arriver. Puisque je disais que dans la méthode CARE, il y avait besoin d'avoir une planification des étapes. à mettre en œuvre pour s'assurer du maintien des capitaux extra-financiers. Grâce à ça, on va rendre visibles les moyens qu'on se donne pour atteindre la mission de l'organisation. Donc, ça a un rôle informationnel très fort, finalement. Donc, évidemment, pour l'organisation, et donc, Jérémy a montré qu'après, il faut détailler, c'est-à-dire que ce n'est pas suffisant. malgré tout à ce niveau-là. Mais ça a aussi une valeur pour les financeurs. Alors, est-ce que ça réassure ? Là, c'est encore un peu trop tôt pour le dire. Je pense que pour le moment, on est encore dans une forme d'expérimentation. Mais ce qui est sûr, c'est que ça rend visible ce qui va être fait par l'organisation. Et donc, ça clarifie le projet. Et donc ça, ça a quand même sans doute une importance pour un financeur.
- Speaker #2
Est-ce que justement cette comptabilité très capitale, elle est un atout pour soutenir des modèles d'organisation d'intérêt général, selon vous ?
- Speaker #0
Oui, je pense que ce que dit Clément est très intéressant, y compris pour les différents secteurs concernés par cette notion d'intérêt général. Parce qu'en l'écoutant, on réalise que souvent on pense la comptabilité sociale et environnementale comme une manière de réparer certaines petites imperfections du capitalisme. Plus on avance conceptuellement et de manière rigoureuse dans une réflexion autour de cette question, plus on se rend compte que ce sont les fondements même qui doivent être modifiés, au moins à la marge, pour obtenir quelque chose qui fonctionne pour l'ensemble des parties prenantes. Donc l'exemple des organisations d'intérêt général est parlant parce que ce sont des organisations qui sont bâties directement pour quelque chose qui semble sortir du capitalisme. Et pourtant, elles sont rattrapées par d'autres formes de capitalisme qui font parfois des contradictions, ou parfois même peuvent un peu annihiler le bienfait qui est produit. Donc quand on a une organisation qui a été construite dans l'idée par exemple de promouvoir quelque chose de social, on pourrait imaginer que... qu'il n'y a pas d'imperfection et donc qu'on est dans la bonne direction. Mais ensuite, on peut se dire aussi que ce type d'organisation, focalisée sur une dimension de l'intérêt général, doit aussi prendre en compte les autres dimensions. Et là, on rentre dans une complexité qui fait qu'on a besoin de repenser de manière profonde les manières de, par exemple, mesurer la performance ou communiquer la mission. d'une manière qui prenne en compte cette complexité, parce que ces différentes dimensions ne sont pas distinctes les unes des autres, elles sont en interaction. Et donc, si on commence à dire, il faudrait se pencher davantage sur, par exemple, l'environnement naturel, pour une organisation qui était focalisée sur la dimension sociale, on va être obligé de repenser en profondeur son modèle économique, sa manière d'interagir avec différentes organisations, sa manière de s'insérer dans son environnement. Donc là, on a quelque chose qui est intéressant parce que ça oblige à repenser, en fait, la manière dont toutes les organisations ont été pensées pour les replacer dans quelque chose de très interdépendant. Donc, à partir du moment où on rentre dans ce type de réflexion, on a des concepts qui posent problème. On a le concept de l'entité, par exemple, qui incite un peu à voir les choses de manière séparée, alors qu'en fait, ces organisations-là sont bien sûr interdépendantes, interagissent au sein d'un réseau. Et ça, la valeur du réseau lui-même, c'est difficile à mesurer si on s'appuie sur des outils qui ont été pensés en termes d'entités. On a aussi cette idée que l'organisation travaille pour une partie prenante, mais ça conduit, si on fait ça, à séparer. Donc typiquement, dans l'habitat, on peut imaginer qu'il y a des résidents et des non-résidents. Or, les questions sociales et environnementales dépassent ce genre de dichotomie. Comment est-ce qu'on peut repenser la mission d'une organisation au-delà de, par exemple, dans le cas présent, ses résidents ? Est-ce qu'il faut au contraire intégrer des non-résidents à la manière qu'on a de penser l'intégration de l'organisation dans son environnement ? Toutes ces questions-là n'ont pas de réponse finalisée, mais on le mérite de pousser à questionner certains fondements. Le fondement qui m'intéresse le plus du fait de ma formation, c'est celui de la notion de compétition. Tous les modèles qu'on possède sont fondés sur l'idée qu'on mesure la valeur et la performance par la réussite au sein d'une compétition. Cette métaphore un peu sportive est très problématique dans le sens où si on veut avoir quelque chose qui est de l'ordre de l'intérêt général, il faut pouvoir dépasser l'idée d'un vainqueur et d'un vaincu, l'idée de quelqu'un qui gagne et de quelqu'un qui perd, et au contraire trouver des modèles dans lesquels tout le monde pourrait avancer dans une même direction. Ça paraît très naïf et on voit bien en quoi c'est presque impossible à penser dans le système actuel de pensée de la performance. Mais si on veut avoir une manière de penser et d'influencer la mission, le rôle, la contribution d'une organisation à la société, il faut pouvoir aussi remettre en cause ces postulats de base et arriver à un système dans lequel le côté général de l'intérêt général serait premier. Et les manières de penser et de mesurer la performance, l'influence, la mission, découleraient de cette notion de généralité plutôt que l'inverse.
- Speaker #1
C'est très intéressant de voir comment on peut, avec la comptabilité, finalement revenir quelque part à la source de nos exigences, de nos critères d'aide à la décision. pour éviter effectivement de réparer les choses à la fin et finalement d'être dans une forme de double peine. Et c'est d'autant plus intéressant qu'on peut avoir, vu de l'extérieur, et je parle pour moi qui ne suis pas du tout une spécialiste de la comptabilité, on peut percevoir la comptabilité comme une modélisation chiffrée du monde, une façon d'objectiver le réel tel qu'il est. On utilise les chiffres aussi souvent comme on peut, comme une forme d'objectivation. On se rend compte que la comptabilité, à l'inverse, peut devenir... non pas cette source objective filée à laquelle il ne faut surtout pas toucher, mais au contraire le lieu idéal, entre guillemets, ou un des lieux opportuns dont il faut se saisir pour se donner toutes les chances de se transformer.
- Speaker #2
Il y a quand même quelque chose qui revient régulièrement dans la comptabilité, c'est que ça structure les organisations sociales. Et quand on revient au tout début de la comptabilité, qui est en fait l'origine de...... Aux origines de l'écriture, en fait, on a une archéologue, Schmand-Bessrat, qui montre que la comptabilité est apparue à un moment assez particulier, où on a une organisation sociale qui se complexifie, on a une hiérarchie notamment sociale qui apparaît, un état, un semblant d'état qui commence à se constituer avec une fiscalité qui apparaît. Et donc, en fait, la comptabilité, alors que le calcul est déjà en place depuis un petit moment, la comptabilité se structure à ce moment-là parce que, justement, c'est un ensemble de règles qui vont s'imposer aux acteurs et ces règles vont donc avoir une influence sur les relations entre les acteurs. Si on s'en tient à une définition très générale et très théorique de la comptabilité, on peut dire ça. Et donc justement, on doit réinterpréter continuellement en fonction de la société, ce pourquoi d'ailleurs la comptabilité a énormément évolué, et ce pourquoi il est difficile de dire que la comptabilité sert à ça. En fait, ça va dépendre du système social dans lequel on est. Et donc aujourd'hui, cette modélisation chiffrée... que propose la comptabilité, il faut l'adapter à minima. C'est vraiment le minimum qu'on puisse faire, l'adapter pour intégrer les enjeux de développement durable. Et même, dans l'idéal, effectivement, refondre de manière assez importante la représentation du monde qu'elle suggère pour véritablement prendre en compte les enjeux de durabilité. Je vais prendre juste un exemple qui me semble assez évocateur. C'est-à-dire que, évidemment, pour la partie sociale, on s'est intéressé au travail bénévole dans une ferme. Donc, l'idée globale était de dire qu'on est capable d'avoir une ferme agroécologique qui est viable économiquement. Et cela en intégrant tous les éléments. humains et environnementaux. Et en fait, c'était à peu près vrai. Alors évidemment, ça nous prend des années, il y a plus ou moins de succès dans les récoltes, que sais-je. Mais par contre, ce qu'on a montré, c'est l'importance du travail bénévole pour maintenir en fait cet équilibre-là. Et donc, en mettant ça en lumière, justement l'association s'est dit en tout cas a pris la mesure de cette importance-là, et s'est dit, il faut que ça rentre dans notre compréhension de notre modèle d'affaires. On ne peut pas dire qu'on va maintenir tous nos capitaux extra-financiers, mais faire reposer ça sur un travail bénévole aussi important. Et donc, ils ont pris vraiment ça à bras-le-corps, et aujourd'hui, l'expérimentation se poursuit justement avec ça en tête. Et donc on n'est plus du tout sur le même fonctionnement. Le travail bénévole, d'après ce que j'ai compris, a été quasiment supprimé. Ça reste vraiment quelque chose de marginal maintenant. Et donc voilà, là on a rendu visible, grâce à ce souci d'intégrer l'humain dans la comptabilité, on a rendu visible ça, ce travail-là. Et donc là, ça a permis justement de re-questionner le modèle d'affaires, la mission de l'organisation. Et dans un souci de pérennité ? Dans un souci de pérennité, dans un souci de préservation effectif des personnes qui viennent travailler. Parce que, évidemment, on se pose un travail bénévole, il y a plein d'aspects positifs, on les connaît, mais il reste quand même la question essentielle de la sécurité économique lorsqu'on travaille de manière bénévole. Donc, effectivement, si notre modèle économique repose sur du bénévolat, il y a quelque chose qui coince quand même. Donc voilà, c'est vrai que c'est ce travail, c'est un long travail au final cette expérimentation, ça a été un long travail de questionnement.
- Speaker #1
Vous ne nous vendez pas une baguette magique quoi ?
- Speaker #2
Non absolument pas, mais par contre ce que je dis c'est qu'on ne pourra pas faire sans, puisque justement on n'aura pas de compréhension des enjeux de durabilité bien intégrés tant que la comptabilité sera complètement aveugle de ces enjeux-là.
- Speaker #0
Oui, je pense que ce que dit Clément est intéressant parce que ça amène un peu à se demander quel est le problème derrière les critiques de la comptabilité. Et il y a des débats qui n'ont pas été complètement résolus entre des gens qui disent non, le problème n'est pas la comptabilité, mais ce qu'on en fait. Et on va regarder par exemple des organisations d'intérêt général et on va voir qu'elles utilisent la comptabilité d'une manière qui peut être plus ou moins utile, pertinente, socialement et environnementalement. Et d'autres qui disent qu'il y a quand même quelques dimensions intrinsèques à la comptabilité qui posent problème. Par exemple, le fait que la comptabilité, on l'utilise pour tout transformer en valeur monétaire. Et donc, on focalise un peu sur des valeurs d'échange au détriment des valeurs d'usage, par exemple. D'autres qui vont dire, mais en fait, le problème, c'est l'utilisation de la quantification, l'utilisation des nombres. Et il y a aussi un débat autour de ça, puisque certains vont dire, mais non, les nombres permettent... déjà d'objectiver, ils vont permettre d'avoir une certaine distance entre la personne et la décision. Et finalement, le problème, ce ne sont pas les nombres, mais aussi ce qu'on va en faire. Et d'autres qui vont dire que les nombres ont un problème intrinsèque, qui est que quand on les utilise, on tend à oublier comment ils ont été construits. Et donc, on va avoir un peu un processus progressif d'oubli, d'éclipse. tous les débats qui avaient eu lieu au moment de la introduction. Et on les utilise sans se souvenir du contexte de calcul, mais aussi du contexte même de la mesure. Donc à la fois le fait que derrière les chiffres, il y a toute une complexité qu'on a perdue, c'est à ça que sert le chiffre, à simplifier, pour aider à prendre des décisions. Mais donc il ne faut pas être naïf et se souvenir de ces simplifications, avoir une conscience du contexte qui a été perdu. Il y a aussi l'idée qu'il y avait des choix. On avait plusieurs possibilités. Aucun nombre n'a été inventé de manière facile, de manière évidente. C'est toujours des compromis, aussi parfois des conflits. Certains nombres et mesures étaient considérés comme particulièrement utiles par certaines parties prenantes et certains groupes, et ont été abandonnés parce que d'autres ont eu l'ascendant. Et tous ces conflits-là, on a tendance à les oublier. Et aujourd'hui, même dire Ah, il y a des conflits derrière ces calculs Pour beaucoup de gens, ça paraît très controversé et ils vont oublier que derrière une mesure, il y a souvent eu des luttes sociales. Ça peut paraître étonnant aux gens qui ne connaissent pas l'histoire de la comptabilité. Clément disait tout à l'heure que Jacques Richard avait fait de l'histoire et il a aussi fait de la comptabilité comparée. Donc on oublie que la comptabilité est très fortement influencée par le droit et on accepte assez facilement qu'il puisse y avoir un droit comparé. Mais souvent, on oublie qu'il peut aussi y avoir une comptabilité comparée, ce qui est intéressant parce que ça montre qu'il y a plusieurs possibilités. Différents États qui ont tous leurs forces et leurs faiblesses ont utilisé des manières très différentes de mesurer la valeur, par exemple. Et donc, réintroduire un peu cette étrangeté, cette alternative possible, permet de voir que derrière, il y a eu des choix qui sont aussi d'une histoire sociopolitique. Et donc, par exemple, on a vu qu'en France, la comptabilité a été très fortement influencée par Colbert, alors que dans d'autres États, ce sont les syndicats qui ont été très importants pour faire émerger certaines pratiques comptables. Et donc, tous ces choix-là sont importants à garder à l'esprit quand on utilise les nombres, pour éviter d'importer avec le nombre différents présupposés qu'on aurait oubliés. On va nécessairement, quand on utilise une mesure, avoir ces présupposés. intégrée à la mesure elle-même, le seul risque ce serait d'oublier qu'il y a eu ces conventions, qu'il y a eu ces conflits potentiellement, ces disputes autour de différentes manières de mesurer la valeur, son partage, ce genre de questions-là. Et de manière plus générale, on a un peu cette question que si le chiffre permet de rendre visible, il rend au passage invisible tout un ensemble de choses. Par exemple, ici Clément parlait de rendre invisible le travail volontaire, et ces mécanismes-là sont presque systématiques, ce qui veut dire que derrière, le chiffre doit être compris comme une manière de rendre visible, et donc de questionner, plutôt que comme une réponse, une solution automatique, et donc une invisibilisation.
- Speaker #1
standardiser la comptabilité qu'on peut avoir. Aujourd'hui, vous nous avez montré à quel point on pouvait à la fois la réinventer et l'utiliser à bon escient pour... Parait inventer peut-être même nos organisations, nos manières de penser, nos manières de travailler ensemble, alors même que peut-être on ne soupçonne pas, on n'escompte pas que la comptabilité puisse nous aider à réfléchir en ce sens. Merci beaucoup.
- Speaker #0
Merci Caroline.
- Speaker #1
Et merci à vous et à toutes de nous avoir suivis. Celfis va continuer à partager des critères du point de vue pour accompagner les acteurs et les organisations dans leur transformation. Quand on n'a pas les réponses... On a au moins les bonnes questions, ça fait progresser. N'hésitez pas à vous abonner à ce podcast, à le partager, et retrouvez l'ensemble des contenus de Delphys sur son site delphys-asso.org. Merci.