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CREGOCAST 08 : "Les jeux vidéo, over the game ?"

CREGOCAST 08 : "Les jeux vidéo, over the game ?"

32min |03/07/2024
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Description

Présenté par Jean-Baptiste Welté et Yohan Bernard
Invité : Renaud Garcia-Bardidia

Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par les communautés de joueurs. Que ce soit en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus , les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managériales ?

Pour répondre à ces questions, le professeur Renaud Garcia-Bardidia nous partage ses travaux de recherche sur le jeu le plus vendu en France : FIFA.


CREGO-Centre de REcherche en Gestion des Organisations
Universités de Bourgogne, Franche-Comté, et Haute-Alsace. 

Musique : Jules Boisson (DY'S) - Experiences  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par des communautés de joueurs. Que ce sois en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus. Les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on réellement quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managérielles ? Pour répondre à ces questions, nous accueillons dans ce nouvel épisode des CREGOCAST, Renaud Garcia Bardidia, qui a choisi de porter son regard sur un jeu en particulier, FIFA. Licence des footballs renouvelée annuellement, immense succès populaire et commercial, jeu le plus vendu en France chaque année. Bonjour à tous, donc bienvenue pour un nouvel épisode d'EcrégoCast. Alors j'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir Renaud Garcia Bardidia. Renaud, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous. Déjà, merci Jean-Baptiste pour l'invitation. Je suis dans un studio de radio, je n'ai jamais fait ça, je trouve ça très rigolo. Alors si je me présente, je suis professeur des universités en sciences de gestion. Je suis en poste à l'INSPE à Dijon. Dans le département Denis Diderot, qui est un département qui forme des étudiants et des étudiantes sur des métiers de direction de projets et d'établissements culturels, donc métiers de l'administration, métiers de programmation, métiers de diffusion. Ça c'est pour la partie enseignement et puis pour la partie recherche. Je suis chercheur au CREGO depuis trois ans et en charge de l'animation de l'équipe interdisciplinaire pratique et activité recréative et culturelle qui est l'équipe qui fait des recherches à partir de différentes approches plutôt... Taux qualitatifs et compréhensifs mais aussi quantitatifs mais surtout avec des approches qui sont assez interdisciplinaires, soit inscrites aussi en STAP, soit inscrites aussi en psychologie, soit inscrites aussi en sociologie, sur sport, culture, tourisme et tous les loisirs qui peuvent intéresser les consommateurs.

  • Speaker #0

    Alors là justement, on va parler du carrefour entre sport et divertissement et culture, puisque un de tes sujets de recherche en ce moment c'est le jeu FIFA. Alors FIFA c'est un jeu qui est plus qu'un jeu, qui est aujourd'hui un phénomène de consommation, qui est presque une culture en soi de consommation, jeu vidéo extrêmement populaire. Qu'est-ce qui t'a amené finalement à t'intéresser à FIFA ?

  • Speaker #1

    La version honnête pour les collègues du Grégoire ou la version un peu moins honnête ? On va commencer par la version académique. Ça fait un certain temps que je travaille sur la digitalisation de la consommation culturelle. Après avoir beaucoup bossé sur le téléchargement illégal et la manière dont ça a changé la consommation de musique, la consommation de séries, la consommation de cinéma, et en suivant un petit peu les évolutions d'Internet et de tous les dispositifs qu'on peut y trouver, qui y sont fournis, je suis arrivé à travailler de plus en plus sur les communautés de joueurs. et j'ai été très surpris de constater que, aussi bien en marketing qu'en Game Studies, donc les deux champs qui peuvent m'intéresser dans ce cadre, on s'intéressait plutôt à des jeux multijoueurs dans des univers liés à la fantasy, et absolument pas à un jeu qui est le jeu le plus vendu en France. Je pense qu'il y a même des années où, sur les cinq jeux les plus vendus en France, il y a trois des éditions différentes de FIFA, celle par exemple de 2021, celle de 2020 et celle de 2019. et pour une raison claire qui est leur attachement au foot Ah le foot ! Donc un univers qui concerne assez peu nos collègues qui sont plus intéressés par des trucs de geek pour être clair C'est un peu comme les sociologues qui s'intéressent à la délinquance à la ville et pas à la consommation Donc des effets comme ça de sujets qui sont plus ou moins nobles Alors déjà quand on est sur la consommation chez les sociologues on n'est pas sur un sujet noble C'était vraiment plus un jeu pas noble parmi les... Les moins nobles. Et alors la deuxième grande raison.

  • Speaker #0

    Donc ça c'est la non officielle.

  • Speaker #1

    La moins officielle, mais bon, là encore avouable, c'est qu'en vérité, j'ai une histoire personnelle, familiale très forte avec le foot. Même si je joue très mal, en tout cas beaucoup moins bien que ma sœur, qui elle joue vraiment très bien, qui a joué en équipe de France. Donc il y a une vraie transmission familiale sur le foot. J'ai un club de cœur, mais je vous laisserai deviner. Donc du coup cet univers m'intéressait aussi et c'est un type de jeu, alors que je ne suis pas forcément très joueur aux jeux vidéo, qui pouvait m'intéresser et alors la troisième raison, la vraie c'est que le confinement était un moment merveilleux pour faire du terrain et on en reparlera parce que je suis ravi de remontrer ou de rappeler aux collègues que non, quand je joue à FIFA, moi je travaille

  • Speaker #0

    Ok, donc en fait FIFA c'est un jeu qui est très lié au foot, c'est ça qui explique pour toi son principal succès ?

  • Speaker #1

    Ah oui, tous les joueurs qu'on a interrogés ont joué au foot dans leur jeunesse, sont intéressés par le foot, de toute façon il suffit de regarder un petit peu les audiences de l'équipe de France, même quand elles jouent mal et même quand elles jouent contre Gibraltar, il y a quand même encore des millions de personnes qui sont devant l'écran. Le foot est vraiment un aspect important de la culture des gens en France. Et la plupart des gens ont joué dans les cours d'école, dans les cours d'immeubles, dans la rue, mais aussi souvent en club. Et donc du coup, c'est un élément évidemment très important de l'appétence pour ce jeu-là par rapport à d'autres simulations de sport ou par rapport à d'autres types de jeux.

  • Speaker #0

    Et alors comment est-ce que tu l'as abordé justement FIFA en tant qu'objet de recherche ? Qu'est-ce qui t'a intéressé dans ce jeu ?

  • Speaker #1

    Alors le point de départ, parce que c'est toujours pareil sur des recherches qui sont abductives, on a un point de départ et on définit autant le problème qu'on est en train de collecter des données et d'essayer de trouver des réponses au problème. Ça marche évidemment en même temps. Le point de départ c'était sur ce qualificatif d'e-sport. que je trouvais très intéressant parce que j'avais du mal à me représenter, c'est toujours pareil, on part d'un étonnement, j'avais du mal à me représenter que des gens puissent réellement croire qu'ils sont en train de participer à une compétition sportive en étant dans leur canapé, en jouant avec leur manette. Donc le point de départ c'était de comprendre comment ils peuvent faire pour prendre ça réellement au sérieux. Et le meilleur moyen pour comprendre comment c'est possible que les gens prennent ça au sérieux, c'est de faire de l'observation participante et de se prendre au jeu. Et donc c'est là où j'ai commencé à sortir mon carnet, sortir ma manette et jouer.

  • Speaker #0

    Au passage, c'est facile de trouver ces joueurs à interroger. C'est compliqué ou pas d'identifier, d'aller chez eux, ou peut-être pas forcément d'aller chez eux, mais d'être en ligne avec eux ou pas ?

  • Speaker #1

    Ah non, ce n'est pas difficile. Pour trouver des joueurs, le premier moyen, c'est d'arriver dans une salle de classe à la rentrée et de dire Ok, qui joue à FIFA ici ? Et les mains se lèvent. Et on peut commencer à faire des blagues en disant Ok, donc ça, c'est ceux qui admettent jouer à FIFA, et ensuite, il y a ceux qui n'osent pas en parler devant les autres parce que ce n'est pas assez bien vu dans une formation en culture. Ce qui, évidemment, arrive. Et puis ensuite, de constituer un échantillonnage de proche en proche pour étendre ça dans les gens amis d'amis que je pouvais avoir. Ils ont tous plus ou moins joué à FIFA aussi. C'est vraiment quelque chose de très diffusé. Mais pour être complet... Et on verra aussi que c'est lié au mode de jeu que j'ai plus particulièrement étudié avec mes collègues, puisque c'est un travail qu'on a mené avec Loïc Comineau de l'université de Lorraine, Baptiste Cléré de l'université de Rouen, Catherine Atrizula de l'université de Lorraine, Sarah Maire de l'ISEG et Judith Vary de l'université de Rouen. Donc le problème c'était non pas de trouver des répondants Mais de trouver des répondantes qui jouent en mode compétitif

  • Speaker #0

    D'accord, et quand vous les interrogez là, vous allez chez eux ou ça se fait en ligne ?

  • Speaker #1

    Variable en fonction des périodes Sur la période confinement c'était évidemment beaucoup plus simple de faire en ligne En fonction des disponibilités des uns et des autres ça peut être des entretiens sur Teams Même si je ne suis pas fan, moi je trouve qu'il y a une difficulté Alors... Les gens se sont habitués à discuter en ligne, Teams, WhatsApp, etc. Mais je trouve que c'est beaucoup plus compliqué de gérer les tours de parole et les interactions non verbales dans ce contexte-là. Et puis quand je fais des entretiens en ligne, il me manque un truc. Il me manque le côté observation du lieu, observation et donc possibilité de relance sur la manière dont les choses sont organisées, où est placée la console, quel est le fauteuil pour jouer, est-ce que c'est sur un grand écran, est-ce que c'est sur un vidéoprojecteur, est-ce qu'il y a des gens qui traversent la salle, est-ce qu'il y a un chat qui peut vous sauter dessus pendant que vous êtes en train de faire un match, etc. que j'ai besoin de sentir et donc j'ai de ce point de vue-là plutôt besoin d'aller chez les gens, donc c'est ce que je fais quand c'est possible.

  • Speaker #0

    Tu disais l'e-sport, effectivement, comment ça peut être perçu comme une activité, vraiment quelque chose où les gens s'engagent véritablement dedans, quelque chose de sérieux. Et alors, qu'est-ce que tu as trouvé finalement ? comme résultat lié à ce premier objet de recherche ?

  • Speaker #1

    Ce qui nous a intéressé dans ce cadre-là, c'était plusieurs choses. C'était déjà de voir si on pouvait considérer ce type d'activité comme un loisir sérieux, donc un champ de recherche en sociologie des loisirs, et de regarder un petit peu quelles étaient les trajectoires d'engagement dans ce loisir sérieux. Déjà peut-être que pour commencer, il faudrait revenir sur ce que c'est ce module spécifique du jeu qui s'appelle FUT. qui est le mode du jeu, plutôt d'ailleurs que le module, qui est le mode du jeu FIFA qui correspond à la partie compétition en ligne. Parce qu'on peut jouer à FIFA de plein de manières différentes. On peut faire des matchs amicaux contre ses compains sur son canapé, à se chambrer les uns les autres en passant une soirée tranquille, en mangeant des pizzas pour être dans le stéréotype jusqu'au bout. On peut jouer solo, donc jouer solo et jouer au mode carrière, où on devient... Cristiano Ronaldo c'est un peu facile de devenir Cristiano Ronaldo ou Kylian Mbappé, on devrait un Renaud Garcia Bardiglia et on finit joueur du, non pas du PSG plutôt de Manchester United

  • Speaker #0

    Faut pas révéler tes préférences Non mais c'est toujours pas mes préférences

  • Speaker #1

    On va aller jusqu'au bout, on finit joueur de l'Olympique de Marseille et on emmène l'Olympique de Marseille en finale de la Ligue des Champions ce qui n'arrivera plus jamais en vrai Parce que c'est déjà arrivé ? Bien sûr, à jamais les premiers, on est les seuls à avoir gagné une Ligue des Champions en France, voyons. Il faut connaître l'histoire un peu. Donc d'emmener ce joueur-là au sommet des compétitions en augmentant plus progressivement ses différentes caractéristiques, en lui faisant changer de club, etc. Où on peut être entraîneur d'une équipe et jouer les matchs, et donc faire aussi toute la partie transfert, etc. Et sinon, on peut jouer à un mode du jeu où on joue en ligne contre des adversaires. avec des classements en fonction des résultats, donc une idée de compétition tout au long de l'année, tout au long d'une saison, sur laquelle vous pouvez, l'objectif c'est de monter en division 1 de l'ensemble des joueurs de ce mode, et de gagner des récompenses prestigieuses en participant aux compétitions qui ont lieu tous les week-ends, qui s'appelaient à l'époque les Fut Champions, je crois que là sur la dernière édition ça a changé de nom. Et donc dans ce mode là, on est là, Pour la compétition.

  • Speaker #0

    Mais on joue au football ou on est manager ?

  • Speaker #1

    On joue au football et on doit gérer son équipe. Pourquoi ? Parce qu'on ne joue pas avec des équipes existantes. On ne joue pas avec le Paris Saint-Germain. En revanche, on joue avec des cartes qui représentent des joueurs qui sont les joueurs réels et qui appartiennent donc à des équipes différentes. On peut avoir, on en reparlera, si on a des sous, on peut avoir un Kylian Mbappé avec un Neymar à côté, même si maintenant, en fait, on ne peut plus avoir le Neymar parce qu'il a changé de club, donc c'est moins intéressant. Mais on peut avoir un Kylian Mbappé, un Ousmane Dembélé, qui vont être des cartes qui vont être très intéressantes parce qu'elles sont... les joueurs sont très rapides et qu'ils sont très adroits, enfin un peu moins pour Ousmane Demele, mais en moins pour Kylian Mbappé, ils sont très adroits. Donc jouant avec ces cartes, il y a plus de chances lorsqu'on fait un tir qu'on arrive à mettre un but, que si on joue avec l'avant-centre actuel du FC Dijon, désolé les collègues, qui évidemment est sans doute pas très bon, mais existe quand même dans le jeu. Voilà. Et donc on construit son équipe en récupérant des cartes sous la forme de récompenses ou en achetant ces cartes sur un marché dédié ou en tirant au hasard ces cartes dans des packs qu'on peut acheter cette fois-ci avec de l'argent réel. Le marché dédié, c'est avec uniquement de l'argent qui s'appelle des crédits FIFA qui n'est pas convertible en euros ou en dollars par exemple. Et donc on construit cette équipe et ensuite on joue cette équipe contre des adversaires qui ont eux aussi construit une équipe. Et là c'est à la fois la qualité de l'équipe et la qualité technique qu'on a pour jouer, le skill comme disent les joueurs, qui va permettre normalement de gagner.

  • Speaker #0

    Donc là on imagine qu'il y a énormément de sentiments, d'émotions qui traversent le joueur quand il joue à fut. Tu disais hors antenne tout à l'heure, certains disent qu'ils jouent leur vie en fait.

  • Speaker #1

    Le point qui nous semble intéressant là-dedans, c'était justement de regarder comment on rentre dans cette idée ultra compétitive. Alors évidemment quand on regarde ça avec... Un regard de chercheur, beaucoup de facteurs qui peuvent jouer par rapport à ça. Le dispositif du jeu pousse à la compétition. Plus on joue, plus on gagne de matchs, plus on récupère de récompenses, plus on peut accumuler de ressources, soit des crédits, soit des cartes, qui vont être utilisées pour finir par obtenir, mieux que le Kilian Mbappé, un bon petit Maradona. puisqu'il y a des cartes icônes des joueurs qui sont disparues aussi. Donc un bon petit Maradona, mais qui coûte hyper cher. Mais qu'est-ce qu'il est bon ! Donc plus on rentre là-dedans, on est poussé par le dispositif. Pour s'engager de plus en plus, on reviendra sur d'autres mécanismes qui sont intéressants d'un point de vue de structure du marché. L'autre point qui amène à être plus compétitif, c'est évidemment les dispositions qu'on a construites préalablement en dehors du jeu. Alors dispositions qu'on a pu... construire par exemple dans le foot, ceux qui ont joué de manière plus compétitive recherchent cet aspect compétition pour le retrouver à l'intérieur du jeu, sachant que pour des effets de cycle de vie par exemple, ils ne peuvent plus jouer au foot autant qu'avant et que donc du coup ça devient une sorte de substitution. On a par exemple des trajectoires de joueurs qui sont intéressantes, qui sont des gens qui ont joué beaucoup au foot à bon niveau, niveau régional voire parfois centre de formation, qui arrivent à 15 ans en centre de formation, se pètent le genou, Voilà, se font les croisés, ne peuvent plus jouer et qui cherchent un genre de palliatif, une substitution par rapport à ça et se mettent à jouer à FIFA comme des bourrins. Pour retrouver cet aspect compétitif, c'est monter d'adrénaline qui correspond à cette émotion forte dans le jeu. Et j'ai en tête un exemple d'un des joueurs professionnels de FIFA que j'ai rencontré dans cette étude, qui joue en équipe de France de FIFA, parce qu'il y a une équipe de France de FIFA évidemment, comme il y a des clubs de football pro qui ont monté des équipes professionnelles, que ce soit le PSG, Monaco ou Lyon par exemple. Et donc lui c'était typiquement sa trajectoire Super bon joueur de foot, centre de formation, les croisés, se met à FIFA Accroche, se dit qu'il ne pourra plus rejouer au niveau mais qu'il peut devenir au niveau à FIFA Donc joue à fut, finit par devenir sélectionné en équipe de France et rejoue au foot Mais là pour le côté plaisir, en dehors de son métier de joueur professionnel Avec ses copains en départemental Donc on a des dispositions, on a un dispositif. Alors ces dispositions, évidemment, on pense au foot, mais le côté compétitif, on peut l'acquérir aussi dans d'autres sphères de la vie sociale. On s'est amusé à diversifier l'échantillon chez les jeunes en fonction de leur type d'études. Et pour regarder si, ce qu'on sait en sociologie, ces dispositions d'ascétisme et de compétition, qui sont construites par exemple en classe prépa, ressortent plus fortement dans les usages de FIFA que chez des gens qui ont fait des Alain et l'EL3 à l'université, ce qui amène moins à avoir ce côté compétitif, et évidemment on les retrouve. On les retrouvait aussi plus facilement en STAPS qu'en sciences de l'éducation.

  • Speaker #0

    Oui, très intéressant. Et est-ce qu'il y a aussi des émotions négatives qui ressortent quand on joue justement à la pub ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la partie expérientielle qui nous intéressait particulièrement dans le jeu. L'expérience que les joueurs ont de FIFA est une expérience qui est très ambivalente. Ils sont passionnés. ils sont passionnés et ils s'investissent pour ceux qui jouent à fut énormément. Pour vous donner un petit peu un ordre de grandeur, je vous disais tout à l'heure qu'il y avait des compétitions le week-end, les fut champions. Les fut champions, au moment où on fait notre étude, ce sont des compétitions dans lesquelles on peut se qualifier si on a collecté un certain nombre de points dans la semaine. Donc si on a remporté un certain nombre de victoires dans la semaine. Donc ça veut dire qu'on a déjà fait plein de matchs dans la semaine. Et pour faire cette compétition, on doit... Ensuite, faire 30 matchs du vendredi soir au dimanche soir. 30 matchs plus la gestion de l'équipe, plus les autres matchs pour les autres objectifs, c'est entre 10 et 15 heures de jeux vidéo du vendredi soir au dimanche soir. Donc, il faut être à fond. Quand on fait ces 30 matchs d'affilée, ça veut dire qu'on est très fortement engagé. Si on est très fortement engagé, les émotions qu'on va avoir pendant le match sont évidemment exacerbées. Et pour réussir à faire ces 30 matchs, on joue contre des adversaires, l'objectif c'est de gagner. Tous les moyens sont bons, on vous rappelle les gens jouent leur vie. Donc si tous les moyens sont bons, ça veut dire que pour gagner on peut prendre un ascendant psychologique sur l'autre. Donc on peut essayer de faire tout ce qu'il est possible pour déstabiliser l'adversaire. Gagner 1-0. et refuser de jouer, et attendre, et garder la balle à côté du poteau de corner, jusqu'à ce que l'autre s'énerve, efface une faute, et continuer, parce qu'après tout, si on mène à zéro, c'est pas la peine de jouer vraiment, jusqu'à ce que les gens s'énervent, et ce qu'on appelle rage quit C'est-à-dire décide d'abandonner le match. Ou alors on peut décider, si l'adversaire est moins bon que nous, de ne pas gagner 1-0 et de tranquillement attendre la fin du match, mais de gagner le plus rapidement 3-0, 4-0, 5-0, pour que l'autre soit tellement ulcéré. de se faire humilier ou de se sentir humilié, qu'il décide d'arrêter le match non pas au bout des 15 minutes ou 20 minutes de jeu, mais juste au bout de 3 minutes parce qu'il en est déjà à 6-0 et que ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Victoire par KO.

  • Speaker #1

    Victoire par KO. L'avantage des victoires par KO, si les gens abandonnent, c'est qu'évidemment pour faire vos 30 matchs dans le week-end, ça va beaucoup plus vite. Donc on a tout un tas de techniques pour essayer de faire péter les plans à l'autre pour qu'il rage quit. Donc ça veut dire qu'en retour, on a des émotions négatives qui sont hyper fortes. Et quand on a ces émotions négatives qui sont hyper fortes sur un week-end avec beaucoup d'intensité, beaucoup d'engagement et surtout une très forte juxtaposition des matchs, on finit par péter un câble. Donc ces émotions négatives, nous on les a regardées non pas sur leur aspect purement négatif, parce qu'après tout, qu'est-ce que ça veut dire qu'une émotion négative ? On est parti du principe qu'il fallait un peu déconstruire ça, et on les a plutôt regardées comme des occasions d'apprendre une forme de contrôle de soi par la consommation et par le jeu. C'est là où on a développé des travaux, notamment avec Judith qui est en sciences de l'éducation, sur des aspects de socialisation genrée au contrôle de soi, donc de socialisation masculine au contrôle de soi dans le cadre des pratiques vidéoludiques.

  • Speaker #0

    Il y a d'autres choses que vous avez identifiées dans vos recherches. C'est aussi des compétences liées à des domaines auxquels on n'aurait pas pensé quand on pense à FIFA, qui sont liées à de la comptabilité, à de la finance aussi, donc à des manières finalement de compter et d'être proche de ce qu'on fait quand on est comptable ou quand on est financier.

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la magie du terrain. Alors évidemment je triche un petit peu parce que même si on a fait le terrain principalement sur le FIFA 19, moi j'avais déjà joué un peu au FIFA 17. Donc je voyais un petit peu ça et je m'étais dit que ça pouvait être une thématique intéressante. Mais la magie du terrain, c'est de partir avec cette idée qu'on va regarder le mélange entre sport et jeux vidéo pour voir ce qu'est l'e-sport en termes de pratiques. Et puis de se rendre compte que dans les pratiques des consommateurs, on a un aspect qu'on n'avait pas forcément décidé de creuser qui est central. Et il se trouve que sur FIFA, sur FUT, il y a un aspect qui est central qui est la pratique dite d'achat-revente. Donc je vous rappelle, pour gagner, il faut être soit très bon, soit avoir de très bonnes cartes. Donc je ne sais pas, moi par exemple, j'avais un Emmanuel Petit. Et oui, je parle aux anciens. J'avais un Emmanuel Petit qui était merveilleux comme milieu de terrain parce qu'il était tellement imposant qu'il arrivait, même si je n'étais pas trop bon, à piquer généralement la balle aux autres milieux de terrain de l'équipe adverse. Et cet Emmanuel Petit, pour l'obtenir, il a fallu que je passe un temps flou. à collecter des cartes, à faire des défis au sein du jeu, et donc à devoir acheter et revendre un certain nombre de cartes sur le marché pour collecter toutes les pièces du puzzle qui à la fin allaient me donner mon Emmanuel Petit. Et donc voyant ça, j'ai commencé à me renseigner, on a commencé à essayer de creuser ces pratiques qui étaient des pratiques de trading.

  • Speaker #0

    Des jeunes joueurs presque.

  • Speaker #1

    Plutôt de spéculateurs purs et durs sur un marché qui est un marché assez amusant. C'est quoi ce marché ? C'est un marché des cartes qui sont revendues par les joueurs. parce qu'ils n'en veulent plus, parce qu'ils ont envie de revendre pour faire un gain, et des cartes qui vont être achetées par d'autres joueurs. Pour vous donner une idée du volume, au moment où on fait ça, il y a trois serveurs. Les serveurs sont répartis par console, il y a un serveur, d'ailleurs console et ordinateur, il y a le serveur PC, le serveur PlayStation, le serveur Xbox et le serveur Switch. Donc moi j'étais sur Xbox. et la masse de cartes qui est revendue au plus fort, ça doit être quelque chose comme 10 millions de cartes. Donc ça fait quand même un beau volume d'affaires potentiel. Et alors que font les gens ? Ils essayent d'acheter des cartes, on va reprendre l'exemple d'Embelé, des cartes d'Embelé les moins chères possibles pour les revendre ensuite à d'autres un peu plus chères, sachant que l'éditeur prend une commission fictive, parce que ce n'est pas de l'argent réel, c'est des crédits à l'intérieur du jeu, une commission de 5% sur toutes les transactions. Donc le jeu devient pour une partie des joueurs, pour essayer d'accueillir des meilleures cartes et donc de compenser leur niveau vis-à-vis d'autres, d'être à l'affût de toutes les bonnes affaires, de développer des techniques d'achat et des techniques de revente avec marge sur ces cartes. Jusque là, on va me dire, pas trop compliqué. Sauf que pour que l'intérêt pour le jeu soit fort, l'éditeur a tout intérêt à faire deux choses. d'un point de vue de marketing. La première chose, c'est d'engager au maximum les joueurs. Pour engager au maximum les joueurs, il faut qu'il y ait un maximum de récompenses sous la forme d'objectifs quotidiens, d'objectifs hebdomadaires, d'objectifs mensuels et d'objectifs annuels.

  • Speaker #0

    Un objectif de...

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous devez marquer 5 buts et si vous marquez 5 buts, vous avez le droit à 100 crédits. Cette semaine, vous devez gagner 5 matchs avec 11 joueurs qui soient anglais. Donc, il faut acheter les cartes. Pour avoir cette équipe de joueurs anglais,

  • Speaker #0

    Donc des défis multiples.

  • Speaker #1

    Voilà, des défis de toutes sortes. S'il faut acheter ces cartes pour avoir les 11 joueurs anglais, ça doit vouloir dire quand même que cette semaine, les prix des cartes anglaises doivent être particulièrement hauts. Bien malin ceux qui avaient soit eu un leak, puisqu'il y a des leaks sur Discord pour savoir et anticiper, soit ceux qui avaient prévu que ça faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu des défis sur les anglais et qui se disent hop je fais mes défis et ensuite je revends mes cartes vraiment très chères par rapport à ce que...

  • Speaker #0

    Il y a vraiment les délits d'initié aussi sur...

  • Speaker #1

    Il y a tout un écosystème dont on parlera tout à l'heure qui outille en fait cette pratique de l'achat-revente aussi bien en termes de tutos sur YouTube que de vidéos sur Twitch, que de blogs et de forums qui discutent des bonnes manières de faire de la spéculation. que de sites dédiés qui font des graphiques, des courbes de la valeur des joueurs en temps réel pour essayer de prévoir les marqués de crash.

  • Speaker #0

    Effectivement, il y a donc tout un tas de compétences financières qui sont développées.

  • Speaker #1

    Et donc l'éditeur a tout intérêt à ce que tout le monde continue à jouer. Donc il faut éviter les rentes de position en quelque sorte. Pour éviter les rentes de position sur les cartes, il y a un calendrier d'événements sur FUT qui à chaque fois donne lieu à une sortie de nouvelles cartes. qui sont sur les mêmes joueurs que ceux qui sont déjà présents, mais avec des cartes qui vont être légèrement plus fortes que celles qui existaient jusqu'à présent. Donc il y a des équipes de la semaine, il y a des cartes dédiées pour Halloween, il y a des cartes dédiées pour la Saint-Patrick, et il y a les équipes de l'année où là les cartes sont au maximum de ce qui est possible. A chaque fois qu'il y a des nouvelles sorties, il y a des effondrements sur les cartes précédentes des mêmes joueurs. Et donc le grand jeu pour une partie des joueurs c'est d'essayer de prévoir ces markets crash en fonction des graphiques des markets crash des années précédentes.

  • Speaker #0

    On comprend bien du coup effectivement tous les ressorts financiers, toutes les compétences que ces gens acquièrent. Et finalement, quand tu as agrégé toutes ces données, ça te donne envie de chercher dans quelle direction maintenant ? Quels sont finalement les prolongements que tu peux imaginer de ces recherches ?

  • Speaker #1

    Là, on voudrait déjà finir cette partie sur le développement de pratiques et ou de compétences de comptabilité et de contrôle qu'on appelle indigènes, celles qui sont développées sur le terrain. pour pouvoir voir un petit peu les écarts qu'il y a par rapport à des pratiques comptables plus normées. Et puis surtout les dispositions qui sont nécessaires par rapport à ça. Alors on a dans nos entretiens par exemple pas mal d'entretiens avec des gens qui ont fait ou qui sont en école de commerce et qui voient bien les liens qui sont faits par rapport à leurs cours, la manière dont ils mobilisent ça, le type de discours qu'ils utilisent, le type de compétences qu'ils ont. Et puis de les comparer avec des gens qui ont appris par autodidactie. Donc de manière autodidacte ou en utilisant des tutoriels sur YouTube qui vont encore une fois aussi bien de cours de comptabilité en tant que tel ou de cours d'analyse financière en tant que tel avec le vocabulaire dédié, celui qu'on aurait dans nos cours, à des interventions en mode wesh frérot, si tu veux gagner de la maille, il faut que tu fasses la tech 59 et donc de regarder comment ces compétences se traduisent en fonction des types de publics et des types de communautés de joueurs qui sont concernés.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'effectivement, dans les jeux vidéo, on se rend compte qu'il y a tout un tas de compétences qui sont développées. Et ça, je crois que tu prolonges aussi, tu l'appliques maintenant dans d'autres jeux que fut.

  • Speaker #1

    Oui, alors l'idée qu'il y a derrière, c'est d'opérer, vous l'aurez compris, un renversement. Le jeu vidéo est un ensemble de pratiques particulièrement dénigrés dans la société. Je vous rappelle que si les gens font des meurtres de masse, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Si les gens sont complètement addicts, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. S'ils sont désocialisés, c'est aussi parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Donc au final, l'ensemble des tares de cette terre sont liés au fait que les gens jouent à des jeux vidéo. Et donc nous, ce qui nous intéressait, sans nier d'ailleurs une partie de ces tares, puisque c'est un peu plus compliqué que ça évidemment, c'est d'essayer de nuancer ce propos en regardant aussi le jeu vidéo comme un mode de socialisation à autre chose. Alors forcément, ça s'inscrit dans une... Dans une approche qui est très dispositionnaliste et contextualiste, qui part du principe qu'on peut apprendre ou qu'on acquiert des dispositions et des compétences dans n'importe quel type de contexte, et que la vraie question, c'est plutôt de savoir comment ces dispositions ou ces compétences sont actualisées dans d'autres contextes, et si c'est facile ou pas de les transférer. Donc on est en train de mener, avec Kenza Gana qui est doctorante au CREGO, Un peu le même type de boulot sur les jeux vidéo à contenu historique, sur un jeu qui s'appelle Assassin's Creed, j'espère que vous connaissez, mais pour le faire en version rapide, c'est un jeu d'assassin qui fait de l'infiltration et qui a une mission d'assassinat et qui doit mener cette mission d'assassinat, en fonction des éditions, je crois qu'on en est à la 13ème ou un truc comme ça, dans des décors qui sont différents, donc l'Antiquité, le monde des Vikings... la Terre Sainte lors de la troisième croisade, c'est précis, la Révolution française à Paris, et ce qui nous intéresse c'est de regarder comment...

  • Speaker #0

    L'appétence pour l'histoire qui a été construite ailleurs préconfigure d'une certaine manière les pratiques ou en tout cas les usages de ce jeu et donc les expériences de ce jeu et comment ce jeu participe en retour à la construction d'un goût pour l'histoire, de connaissances historiques qui peuvent d'ailleurs venir compléter ou poser problème vis-à-vis des connaissances qui sont développées dans les cours, dans le parcours scolaire. Et comment tout ça constitue d'une pratique plus générale de l'histoire passant aussi par les jeux vidéo. Donc c'est une optique qui essaie de regarder comment on peut transférer ou pas des connaissances et des compétences et des manières de faire, de sentir, d'être d'un contexte à un autre. Ce qui mine de rien est une vraie question pour nous en tant qu'enseignants-chercheurs et en tant qu'enseignants. Pourquoi ? Parce que vous comme moi, lorsque vous regardez les loisirs des étudiants en sélection en master, quand vous voyez jeux vidéo, enfin non, moi non. Moi je me dis, ah, voyons ce qu'il en a tiré. Je ne me dis pas, ah, encore un étudiant qui ne va me parler que de jeux vidéo. Lorsqu'on est dans une guilde de joueurs version MMORPG,

  • Speaker #1

    c'est quoi ça pour les gens qui...

  • Speaker #0

    Les jeux massivement multijoueurs, qui sont en fait des jeux de rôle type donjon et dragon, mais étendus dans ce type d'univers, mais dans le jeu vidéo. Donc là aussi, on a des missions, qui s'appellent souvent des quêtes d'ailleurs, qu'on ne peut remplir que si on a une équipe constituée. Et mine de rien, cette équipe, il faut la constituer. Et une fois qu'elle est constituée, il faut l'organiser. Et une fois qu'elle est organisée, il faut essayer de la coordonner pendant la mission, pendant la quête, pour que la mission soit bien remplie. Et il faut savoir gérer les égaux des joueurs. Et ceux qui voulaient jouer cette partie-là du jeu et pas cette partie, et qui pensaient qu'on aurait dû attaquer par la droite et pas attaquer par la gauche. Et donc ça, ce sont des compétences de management. qui sont clairement construites dans le cadre du jeu et qu'on a du mal souvent à reconnaître parce que cette pratique n'est pas considérée comme légitime à nos yeux d'enseignant-chercheur.

  • Speaker #1

    Très bien, merci beaucoup. Le jeu vidéo comme apprentissage des ressources humaines, de la comptabilité, de la finance, du marketing, de l'histoire aussi. Et du foot. Et du foot. Merci beaucoup Renaud. Merci à toi,

  • Speaker #0

    merci à vous. Au revoir.

Description

Présenté par Jean-Baptiste Welté et Yohan Bernard
Invité : Renaud Garcia-Bardidia

Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par les communautés de joueurs. Que ce soit en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus , les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managériales ?

Pour répondre à ces questions, le professeur Renaud Garcia-Bardidia nous partage ses travaux de recherche sur le jeu le plus vendu en France : FIFA.


CREGO-Centre de REcherche en Gestion des Organisations
Universités de Bourgogne, Franche-Comté, et Haute-Alsace. 

Musique : Jules Boisson (DY'S) - Experiences  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par des communautés de joueurs. Que ce sois en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus. Les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on réellement quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managérielles ? Pour répondre à ces questions, nous accueillons dans ce nouvel épisode des CREGOCAST, Renaud Garcia Bardidia, qui a choisi de porter son regard sur un jeu en particulier, FIFA. Licence des footballs renouvelée annuellement, immense succès populaire et commercial, jeu le plus vendu en France chaque année. Bonjour à tous, donc bienvenue pour un nouvel épisode d'EcrégoCast. Alors j'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir Renaud Garcia Bardidia. Renaud, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous. Déjà, merci Jean-Baptiste pour l'invitation. Je suis dans un studio de radio, je n'ai jamais fait ça, je trouve ça très rigolo. Alors si je me présente, je suis professeur des universités en sciences de gestion. Je suis en poste à l'INSPE à Dijon. Dans le département Denis Diderot, qui est un département qui forme des étudiants et des étudiantes sur des métiers de direction de projets et d'établissements culturels, donc métiers de l'administration, métiers de programmation, métiers de diffusion. Ça c'est pour la partie enseignement et puis pour la partie recherche. Je suis chercheur au CREGO depuis trois ans et en charge de l'animation de l'équipe interdisciplinaire pratique et activité recréative et culturelle qui est l'équipe qui fait des recherches à partir de différentes approches plutôt... Taux qualitatifs et compréhensifs mais aussi quantitatifs mais surtout avec des approches qui sont assez interdisciplinaires, soit inscrites aussi en STAP, soit inscrites aussi en psychologie, soit inscrites aussi en sociologie, sur sport, culture, tourisme et tous les loisirs qui peuvent intéresser les consommateurs.

  • Speaker #0

    Alors là justement, on va parler du carrefour entre sport et divertissement et culture, puisque un de tes sujets de recherche en ce moment c'est le jeu FIFA. Alors FIFA c'est un jeu qui est plus qu'un jeu, qui est aujourd'hui un phénomène de consommation, qui est presque une culture en soi de consommation, jeu vidéo extrêmement populaire. Qu'est-ce qui t'a amené finalement à t'intéresser à FIFA ?

  • Speaker #1

    La version honnête pour les collègues du Grégoire ou la version un peu moins honnête ? On va commencer par la version académique. Ça fait un certain temps que je travaille sur la digitalisation de la consommation culturelle. Après avoir beaucoup bossé sur le téléchargement illégal et la manière dont ça a changé la consommation de musique, la consommation de séries, la consommation de cinéma, et en suivant un petit peu les évolutions d'Internet et de tous les dispositifs qu'on peut y trouver, qui y sont fournis, je suis arrivé à travailler de plus en plus sur les communautés de joueurs. et j'ai été très surpris de constater que, aussi bien en marketing qu'en Game Studies, donc les deux champs qui peuvent m'intéresser dans ce cadre, on s'intéressait plutôt à des jeux multijoueurs dans des univers liés à la fantasy, et absolument pas à un jeu qui est le jeu le plus vendu en France. Je pense qu'il y a même des années où, sur les cinq jeux les plus vendus en France, il y a trois des éditions différentes de FIFA, celle par exemple de 2021, celle de 2020 et celle de 2019. et pour une raison claire qui est leur attachement au foot Ah le foot ! Donc un univers qui concerne assez peu nos collègues qui sont plus intéressés par des trucs de geek pour être clair C'est un peu comme les sociologues qui s'intéressent à la délinquance à la ville et pas à la consommation Donc des effets comme ça de sujets qui sont plus ou moins nobles Alors déjà quand on est sur la consommation chez les sociologues on n'est pas sur un sujet noble C'était vraiment plus un jeu pas noble parmi les... Les moins nobles. Et alors la deuxième grande raison.

  • Speaker #0

    Donc ça c'est la non officielle.

  • Speaker #1

    La moins officielle, mais bon, là encore avouable, c'est qu'en vérité, j'ai une histoire personnelle, familiale très forte avec le foot. Même si je joue très mal, en tout cas beaucoup moins bien que ma sœur, qui elle joue vraiment très bien, qui a joué en équipe de France. Donc il y a une vraie transmission familiale sur le foot. J'ai un club de cœur, mais je vous laisserai deviner. Donc du coup cet univers m'intéressait aussi et c'est un type de jeu, alors que je ne suis pas forcément très joueur aux jeux vidéo, qui pouvait m'intéresser et alors la troisième raison, la vraie c'est que le confinement était un moment merveilleux pour faire du terrain et on en reparlera parce que je suis ravi de remontrer ou de rappeler aux collègues que non, quand je joue à FIFA, moi je travaille

  • Speaker #0

    Ok, donc en fait FIFA c'est un jeu qui est très lié au foot, c'est ça qui explique pour toi son principal succès ?

  • Speaker #1

    Ah oui, tous les joueurs qu'on a interrogés ont joué au foot dans leur jeunesse, sont intéressés par le foot, de toute façon il suffit de regarder un petit peu les audiences de l'équipe de France, même quand elles jouent mal et même quand elles jouent contre Gibraltar, il y a quand même encore des millions de personnes qui sont devant l'écran. Le foot est vraiment un aspect important de la culture des gens en France. Et la plupart des gens ont joué dans les cours d'école, dans les cours d'immeubles, dans la rue, mais aussi souvent en club. Et donc du coup, c'est un élément évidemment très important de l'appétence pour ce jeu-là par rapport à d'autres simulations de sport ou par rapport à d'autres types de jeux.

  • Speaker #0

    Et alors comment est-ce que tu l'as abordé justement FIFA en tant qu'objet de recherche ? Qu'est-ce qui t'a intéressé dans ce jeu ?

  • Speaker #1

    Alors le point de départ, parce que c'est toujours pareil sur des recherches qui sont abductives, on a un point de départ et on définit autant le problème qu'on est en train de collecter des données et d'essayer de trouver des réponses au problème. Ça marche évidemment en même temps. Le point de départ c'était sur ce qualificatif d'e-sport. que je trouvais très intéressant parce que j'avais du mal à me représenter, c'est toujours pareil, on part d'un étonnement, j'avais du mal à me représenter que des gens puissent réellement croire qu'ils sont en train de participer à une compétition sportive en étant dans leur canapé, en jouant avec leur manette. Donc le point de départ c'était de comprendre comment ils peuvent faire pour prendre ça réellement au sérieux. Et le meilleur moyen pour comprendre comment c'est possible que les gens prennent ça au sérieux, c'est de faire de l'observation participante et de se prendre au jeu. Et donc c'est là où j'ai commencé à sortir mon carnet, sortir ma manette et jouer.

  • Speaker #0

    Au passage, c'est facile de trouver ces joueurs à interroger. C'est compliqué ou pas d'identifier, d'aller chez eux, ou peut-être pas forcément d'aller chez eux, mais d'être en ligne avec eux ou pas ?

  • Speaker #1

    Ah non, ce n'est pas difficile. Pour trouver des joueurs, le premier moyen, c'est d'arriver dans une salle de classe à la rentrée et de dire Ok, qui joue à FIFA ici ? Et les mains se lèvent. Et on peut commencer à faire des blagues en disant Ok, donc ça, c'est ceux qui admettent jouer à FIFA, et ensuite, il y a ceux qui n'osent pas en parler devant les autres parce que ce n'est pas assez bien vu dans une formation en culture. Ce qui, évidemment, arrive. Et puis ensuite, de constituer un échantillonnage de proche en proche pour étendre ça dans les gens amis d'amis que je pouvais avoir. Ils ont tous plus ou moins joué à FIFA aussi. C'est vraiment quelque chose de très diffusé. Mais pour être complet... Et on verra aussi que c'est lié au mode de jeu que j'ai plus particulièrement étudié avec mes collègues, puisque c'est un travail qu'on a mené avec Loïc Comineau de l'université de Lorraine, Baptiste Cléré de l'université de Rouen, Catherine Atrizula de l'université de Lorraine, Sarah Maire de l'ISEG et Judith Vary de l'université de Rouen. Donc le problème c'était non pas de trouver des répondants Mais de trouver des répondantes qui jouent en mode compétitif

  • Speaker #0

    D'accord, et quand vous les interrogez là, vous allez chez eux ou ça se fait en ligne ?

  • Speaker #1

    Variable en fonction des périodes Sur la période confinement c'était évidemment beaucoup plus simple de faire en ligne En fonction des disponibilités des uns et des autres ça peut être des entretiens sur Teams Même si je ne suis pas fan, moi je trouve qu'il y a une difficulté Alors... Les gens se sont habitués à discuter en ligne, Teams, WhatsApp, etc. Mais je trouve que c'est beaucoup plus compliqué de gérer les tours de parole et les interactions non verbales dans ce contexte-là. Et puis quand je fais des entretiens en ligne, il me manque un truc. Il me manque le côté observation du lieu, observation et donc possibilité de relance sur la manière dont les choses sont organisées, où est placée la console, quel est le fauteuil pour jouer, est-ce que c'est sur un grand écran, est-ce que c'est sur un vidéoprojecteur, est-ce qu'il y a des gens qui traversent la salle, est-ce qu'il y a un chat qui peut vous sauter dessus pendant que vous êtes en train de faire un match, etc. que j'ai besoin de sentir et donc j'ai de ce point de vue-là plutôt besoin d'aller chez les gens, donc c'est ce que je fais quand c'est possible.

  • Speaker #0

    Tu disais l'e-sport, effectivement, comment ça peut être perçu comme une activité, vraiment quelque chose où les gens s'engagent véritablement dedans, quelque chose de sérieux. Et alors, qu'est-ce que tu as trouvé finalement ? comme résultat lié à ce premier objet de recherche ?

  • Speaker #1

    Ce qui nous a intéressé dans ce cadre-là, c'était plusieurs choses. C'était déjà de voir si on pouvait considérer ce type d'activité comme un loisir sérieux, donc un champ de recherche en sociologie des loisirs, et de regarder un petit peu quelles étaient les trajectoires d'engagement dans ce loisir sérieux. Déjà peut-être que pour commencer, il faudrait revenir sur ce que c'est ce module spécifique du jeu qui s'appelle FUT. qui est le mode du jeu, plutôt d'ailleurs que le module, qui est le mode du jeu FIFA qui correspond à la partie compétition en ligne. Parce qu'on peut jouer à FIFA de plein de manières différentes. On peut faire des matchs amicaux contre ses compains sur son canapé, à se chambrer les uns les autres en passant une soirée tranquille, en mangeant des pizzas pour être dans le stéréotype jusqu'au bout. On peut jouer solo, donc jouer solo et jouer au mode carrière, où on devient... Cristiano Ronaldo c'est un peu facile de devenir Cristiano Ronaldo ou Kylian Mbappé, on devrait un Renaud Garcia Bardiglia et on finit joueur du, non pas du PSG plutôt de Manchester United

  • Speaker #0

    Faut pas révéler tes préférences Non mais c'est toujours pas mes préférences

  • Speaker #1

    On va aller jusqu'au bout, on finit joueur de l'Olympique de Marseille et on emmène l'Olympique de Marseille en finale de la Ligue des Champions ce qui n'arrivera plus jamais en vrai Parce que c'est déjà arrivé ? Bien sûr, à jamais les premiers, on est les seuls à avoir gagné une Ligue des Champions en France, voyons. Il faut connaître l'histoire un peu. Donc d'emmener ce joueur-là au sommet des compétitions en augmentant plus progressivement ses différentes caractéristiques, en lui faisant changer de club, etc. Où on peut être entraîneur d'une équipe et jouer les matchs, et donc faire aussi toute la partie transfert, etc. Et sinon, on peut jouer à un mode du jeu où on joue en ligne contre des adversaires. avec des classements en fonction des résultats, donc une idée de compétition tout au long de l'année, tout au long d'une saison, sur laquelle vous pouvez, l'objectif c'est de monter en division 1 de l'ensemble des joueurs de ce mode, et de gagner des récompenses prestigieuses en participant aux compétitions qui ont lieu tous les week-ends, qui s'appelaient à l'époque les Fut Champions, je crois que là sur la dernière édition ça a changé de nom. Et donc dans ce mode là, on est là, Pour la compétition.

  • Speaker #0

    Mais on joue au football ou on est manager ?

  • Speaker #1

    On joue au football et on doit gérer son équipe. Pourquoi ? Parce qu'on ne joue pas avec des équipes existantes. On ne joue pas avec le Paris Saint-Germain. En revanche, on joue avec des cartes qui représentent des joueurs qui sont les joueurs réels et qui appartiennent donc à des équipes différentes. On peut avoir, on en reparlera, si on a des sous, on peut avoir un Kylian Mbappé avec un Neymar à côté, même si maintenant, en fait, on ne peut plus avoir le Neymar parce qu'il a changé de club, donc c'est moins intéressant. Mais on peut avoir un Kylian Mbappé, un Ousmane Dembélé, qui vont être des cartes qui vont être très intéressantes parce qu'elles sont... les joueurs sont très rapides et qu'ils sont très adroits, enfin un peu moins pour Ousmane Demele, mais en moins pour Kylian Mbappé, ils sont très adroits. Donc jouant avec ces cartes, il y a plus de chances lorsqu'on fait un tir qu'on arrive à mettre un but, que si on joue avec l'avant-centre actuel du FC Dijon, désolé les collègues, qui évidemment est sans doute pas très bon, mais existe quand même dans le jeu. Voilà. Et donc on construit son équipe en récupérant des cartes sous la forme de récompenses ou en achetant ces cartes sur un marché dédié ou en tirant au hasard ces cartes dans des packs qu'on peut acheter cette fois-ci avec de l'argent réel. Le marché dédié, c'est avec uniquement de l'argent qui s'appelle des crédits FIFA qui n'est pas convertible en euros ou en dollars par exemple. Et donc on construit cette équipe et ensuite on joue cette équipe contre des adversaires qui ont eux aussi construit une équipe. Et là c'est à la fois la qualité de l'équipe et la qualité technique qu'on a pour jouer, le skill comme disent les joueurs, qui va permettre normalement de gagner.

  • Speaker #0

    Donc là on imagine qu'il y a énormément de sentiments, d'émotions qui traversent le joueur quand il joue à fut. Tu disais hors antenne tout à l'heure, certains disent qu'ils jouent leur vie en fait.

  • Speaker #1

    Le point qui nous semble intéressant là-dedans, c'était justement de regarder comment on rentre dans cette idée ultra compétitive. Alors évidemment quand on regarde ça avec... Un regard de chercheur, beaucoup de facteurs qui peuvent jouer par rapport à ça. Le dispositif du jeu pousse à la compétition. Plus on joue, plus on gagne de matchs, plus on récupère de récompenses, plus on peut accumuler de ressources, soit des crédits, soit des cartes, qui vont être utilisées pour finir par obtenir, mieux que le Kilian Mbappé, un bon petit Maradona. puisqu'il y a des cartes icônes des joueurs qui sont disparues aussi. Donc un bon petit Maradona, mais qui coûte hyper cher. Mais qu'est-ce qu'il est bon ! Donc plus on rentre là-dedans, on est poussé par le dispositif. Pour s'engager de plus en plus, on reviendra sur d'autres mécanismes qui sont intéressants d'un point de vue de structure du marché. L'autre point qui amène à être plus compétitif, c'est évidemment les dispositions qu'on a construites préalablement en dehors du jeu. Alors dispositions qu'on a pu... construire par exemple dans le foot, ceux qui ont joué de manière plus compétitive recherchent cet aspect compétition pour le retrouver à l'intérieur du jeu, sachant que pour des effets de cycle de vie par exemple, ils ne peuvent plus jouer au foot autant qu'avant et que donc du coup ça devient une sorte de substitution. On a par exemple des trajectoires de joueurs qui sont intéressantes, qui sont des gens qui ont joué beaucoup au foot à bon niveau, niveau régional voire parfois centre de formation, qui arrivent à 15 ans en centre de formation, se pètent le genou, Voilà, se font les croisés, ne peuvent plus jouer et qui cherchent un genre de palliatif, une substitution par rapport à ça et se mettent à jouer à FIFA comme des bourrins. Pour retrouver cet aspect compétitif, c'est monter d'adrénaline qui correspond à cette émotion forte dans le jeu. Et j'ai en tête un exemple d'un des joueurs professionnels de FIFA que j'ai rencontré dans cette étude, qui joue en équipe de France de FIFA, parce qu'il y a une équipe de France de FIFA évidemment, comme il y a des clubs de football pro qui ont monté des équipes professionnelles, que ce soit le PSG, Monaco ou Lyon par exemple. Et donc lui c'était typiquement sa trajectoire Super bon joueur de foot, centre de formation, les croisés, se met à FIFA Accroche, se dit qu'il ne pourra plus rejouer au niveau mais qu'il peut devenir au niveau à FIFA Donc joue à fut, finit par devenir sélectionné en équipe de France et rejoue au foot Mais là pour le côté plaisir, en dehors de son métier de joueur professionnel Avec ses copains en départemental Donc on a des dispositions, on a un dispositif. Alors ces dispositions, évidemment, on pense au foot, mais le côté compétitif, on peut l'acquérir aussi dans d'autres sphères de la vie sociale. On s'est amusé à diversifier l'échantillon chez les jeunes en fonction de leur type d'études. Et pour regarder si, ce qu'on sait en sociologie, ces dispositions d'ascétisme et de compétition, qui sont construites par exemple en classe prépa, ressortent plus fortement dans les usages de FIFA que chez des gens qui ont fait des Alain et l'EL3 à l'université, ce qui amène moins à avoir ce côté compétitif, et évidemment on les retrouve. On les retrouvait aussi plus facilement en STAPS qu'en sciences de l'éducation.

  • Speaker #0

    Oui, très intéressant. Et est-ce qu'il y a aussi des émotions négatives qui ressortent quand on joue justement à la pub ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la partie expérientielle qui nous intéressait particulièrement dans le jeu. L'expérience que les joueurs ont de FIFA est une expérience qui est très ambivalente. Ils sont passionnés. ils sont passionnés et ils s'investissent pour ceux qui jouent à fut énormément. Pour vous donner un petit peu un ordre de grandeur, je vous disais tout à l'heure qu'il y avait des compétitions le week-end, les fut champions. Les fut champions, au moment où on fait notre étude, ce sont des compétitions dans lesquelles on peut se qualifier si on a collecté un certain nombre de points dans la semaine. Donc si on a remporté un certain nombre de victoires dans la semaine. Donc ça veut dire qu'on a déjà fait plein de matchs dans la semaine. Et pour faire cette compétition, on doit... Ensuite, faire 30 matchs du vendredi soir au dimanche soir. 30 matchs plus la gestion de l'équipe, plus les autres matchs pour les autres objectifs, c'est entre 10 et 15 heures de jeux vidéo du vendredi soir au dimanche soir. Donc, il faut être à fond. Quand on fait ces 30 matchs d'affilée, ça veut dire qu'on est très fortement engagé. Si on est très fortement engagé, les émotions qu'on va avoir pendant le match sont évidemment exacerbées. Et pour réussir à faire ces 30 matchs, on joue contre des adversaires, l'objectif c'est de gagner. Tous les moyens sont bons, on vous rappelle les gens jouent leur vie. Donc si tous les moyens sont bons, ça veut dire que pour gagner on peut prendre un ascendant psychologique sur l'autre. Donc on peut essayer de faire tout ce qu'il est possible pour déstabiliser l'adversaire. Gagner 1-0. et refuser de jouer, et attendre, et garder la balle à côté du poteau de corner, jusqu'à ce que l'autre s'énerve, efface une faute, et continuer, parce qu'après tout, si on mène à zéro, c'est pas la peine de jouer vraiment, jusqu'à ce que les gens s'énervent, et ce qu'on appelle rage quit C'est-à-dire décide d'abandonner le match. Ou alors on peut décider, si l'adversaire est moins bon que nous, de ne pas gagner 1-0 et de tranquillement attendre la fin du match, mais de gagner le plus rapidement 3-0, 4-0, 5-0, pour que l'autre soit tellement ulcéré. de se faire humilier ou de se sentir humilié, qu'il décide d'arrêter le match non pas au bout des 15 minutes ou 20 minutes de jeu, mais juste au bout de 3 minutes parce qu'il en est déjà à 6-0 et que ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Victoire par KO.

  • Speaker #1

    Victoire par KO. L'avantage des victoires par KO, si les gens abandonnent, c'est qu'évidemment pour faire vos 30 matchs dans le week-end, ça va beaucoup plus vite. Donc on a tout un tas de techniques pour essayer de faire péter les plans à l'autre pour qu'il rage quit. Donc ça veut dire qu'en retour, on a des émotions négatives qui sont hyper fortes. Et quand on a ces émotions négatives qui sont hyper fortes sur un week-end avec beaucoup d'intensité, beaucoup d'engagement et surtout une très forte juxtaposition des matchs, on finit par péter un câble. Donc ces émotions négatives, nous on les a regardées non pas sur leur aspect purement négatif, parce qu'après tout, qu'est-ce que ça veut dire qu'une émotion négative ? On est parti du principe qu'il fallait un peu déconstruire ça, et on les a plutôt regardées comme des occasions d'apprendre une forme de contrôle de soi par la consommation et par le jeu. C'est là où on a développé des travaux, notamment avec Judith qui est en sciences de l'éducation, sur des aspects de socialisation genrée au contrôle de soi, donc de socialisation masculine au contrôle de soi dans le cadre des pratiques vidéoludiques.

  • Speaker #0

    Il y a d'autres choses que vous avez identifiées dans vos recherches. C'est aussi des compétences liées à des domaines auxquels on n'aurait pas pensé quand on pense à FIFA, qui sont liées à de la comptabilité, à de la finance aussi, donc à des manières finalement de compter et d'être proche de ce qu'on fait quand on est comptable ou quand on est financier.

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la magie du terrain. Alors évidemment je triche un petit peu parce que même si on a fait le terrain principalement sur le FIFA 19, moi j'avais déjà joué un peu au FIFA 17. Donc je voyais un petit peu ça et je m'étais dit que ça pouvait être une thématique intéressante. Mais la magie du terrain, c'est de partir avec cette idée qu'on va regarder le mélange entre sport et jeux vidéo pour voir ce qu'est l'e-sport en termes de pratiques. Et puis de se rendre compte que dans les pratiques des consommateurs, on a un aspect qu'on n'avait pas forcément décidé de creuser qui est central. Et il se trouve que sur FIFA, sur FUT, il y a un aspect qui est central qui est la pratique dite d'achat-revente. Donc je vous rappelle, pour gagner, il faut être soit très bon, soit avoir de très bonnes cartes. Donc je ne sais pas, moi par exemple, j'avais un Emmanuel Petit. Et oui, je parle aux anciens. J'avais un Emmanuel Petit qui était merveilleux comme milieu de terrain parce qu'il était tellement imposant qu'il arrivait, même si je n'étais pas trop bon, à piquer généralement la balle aux autres milieux de terrain de l'équipe adverse. Et cet Emmanuel Petit, pour l'obtenir, il a fallu que je passe un temps flou. à collecter des cartes, à faire des défis au sein du jeu, et donc à devoir acheter et revendre un certain nombre de cartes sur le marché pour collecter toutes les pièces du puzzle qui à la fin allaient me donner mon Emmanuel Petit. Et donc voyant ça, j'ai commencé à me renseigner, on a commencé à essayer de creuser ces pratiques qui étaient des pratiques de trading.

  • Speaker #0

    Des jeunes joueurs presque.

  • Speaker #1

    Plutôt de spéculateurs purs et durs sur un marché qui est un marché assez amusant. C'est quoi ce marché ? C'est un marché des cartes qui sont revendues par les joueurs. parce qu'ils n'en veulent plus, parce qu'ils ont envie de revendre pour faire un gain, et des cartes qui vont être achetées par d'autres joueurs. Pour vous donner une idée du volume, au moment où on fait ça, il y a trois serveurs. Les serveurs sont répartis par console, il y a un serveur, d'ailleurs console et ordinateur, il y a le serveur PC, le serveur PlayStation, le serveur Xbox et le serveur Switch. Donc moi j'étais sur Xbox. et la masse de cartes qui est revendue au plus fort, ça doit être quelque chose comme 10 millions de cartes. Donc ça fait quand même un beau volume d'affaires potentiel. Et alors que font les gens ? Ils essayent d'acheter des cartes, on va reprendre l'exemple d'Embelé, des cartes d'Embelé les moins chères possibles pour les revendre ensuite à d'autres un peu plus chères, sachant que l'éditeur prend une commission fictive, parce que ce n'est pas de l'argent réel, c'est des crédits à l'intérieur du jeu, une commission de 5% sur toutes les transactions. Donc le jeu devient pour une partie des joueurs, pour essayer d'accueillir des meilleures cartes et donc de compenser leur niveau vis-à-vis d'autres, d'être à l'affût de toutes les bonnes affaires, de développer des techniques d'achat et des techniques de revente avec marge sur ces cartes. Jusque là, on va me dire, pas trop compliqué. Sauf que pour que l'intérêt pour le jeu soit fort, l'éditeur a tout intérêt à faire deux choses. d'un point de vue de marketing. La première chose, c'est d'engager au maximum les joueurs. Pour engager au maximum les joueurs, il faut qu'il y ait un maximum de récompenses sous la forme d'objectifs quotidiens, d'objectifs hebdomadaires, d'objectifs mensuels et d'objectifs annuels.

  • Speaker #0

    Un objectif de...

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous devez marquer 5 buts et si vous marquez 5 buts, vous avez le droit à 100 crédits. Cette semaine, vous devez gagner 5 matchs avec 11 joueurs qui soient anglais. Donc, il faut acheter les cartes. Pour avoir cette équipe de joueurs anglais,

  • Speaker #0

    Donc des défis multiples.

  • Speaker #1

    Voilà, des défis de toutes sortes. S'il faut acheter ces cartes pour avoir les 11 joueurs anglais, ça doit vouloir dire quand même que cette semaine, les prix des cartes anglaises doivent être particulièrement hauts. Bien malin ceux qui avaient soit eu un leak, puisqu'il y a des leaks sur Discord pour savoir et anticiper, soit ceux qui avaient prévu que ça faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu des défis sur les anglais et qui se disent hop je fais mes défis et ensuite je revends mes cartes vraiment très chères par rapport à ce que...

  • Speaker #0

    Il y a vraiment les délits d'initié aussi sur...

  • Speaker #1

    Il y a tout un écosystème dont on parlera tout à l'heure qui outille en fait cette pratique de l'achat-revente aussi bien en termes de tutos sur YouTube que de vidéos sur Twitch, que de blogs et de forums qui discutent des bonnes manières de faire de la spéculation. que de sites dédiés qui font des graphiques, des courbes de la valeur des joueurs en temps réel pour essayer de prévoir les marqués de crash.

  • Speaker #0

    Effectivement, il y a donc tout un tas de compétences financières qui sont développées.

  • Speaker #1

    Et donc l'éditeur a tout intérêt à ce que tout le monde continue à jouer. Donc il faut éviter les rentes de position en quelque sorte. Pour éviter les rentes de position sur les cartes, il y a un calendrier d'événements sur FUT qui à chaque fois donne lieu à une sortie de nouvelles cartes. qui sont sur les mêmes joueurs que ceux qui sont déjà présents, mais avec des cartes qui vont être légèrement plus fortes que celles qui existaient jusqu'à présent. Donc il y a des équipes de la semaine, il y a des cartes dédiées pour Halloween, il y a des cartes dédiées pour la Saint-Patrick, et il y a les équipes de l'année où là les cartes sont au maximum de ce qui est possible. A chaque fois qu'il y a des nouvelles sorties, il y a des effondrements sur les cartes précédentes des mêmes joueurs. Et donc le grand jeu pour une partie des joueurs c'est d'essayer de prévoir ces markets crash en fonction des graphiques des markets crash des années précédentes.

  • Speaker #0

    On comprend bien du coup effectivement tous les ressorts financiers, toutes les compétences que ces gens acquièrent. Et finalement, quand tu as agrégé toutes ces données, ça te donne envie de chercher dans quelle direction maintenant ? Quels sont finalement les prolongements que tu peux imaginer de ces recherches ?

  • Speaker #1

    Là, on voudrait déjà finir cette partie sur le développement de pratiques et ou de compétences de comptabilité et de contrôle qu'on appelle indigènes, celles qui sont développées sur le terrain. pour pouvoir voir un petit peu les écarts qu'il y a par rapport à des pratiques comptables plus normées. Et puis surtout les dispositions qui sont nécessaires par rapport à ça. Alors on a dans nos entretiens par exemple pas mal d'entretiens avec des gens qui ont fait ou qui sont en école de commerce et qui voient bien les liens qui sont faits par rapport à leurs cours, la manière dont ils mobilisent ça, le type de discours qu'ils utilisent, le type de compétences qu'ils ont. Et puis de les comparer avec des gens qui ont appris par autodidactie. Donc de manière autodidacte ou en utilisant des tutoriels sur YouTube qui vont encore une fois aussi bien de cours de comptabilité en tant que tel ou de cours d'analyse financière en tant que tel avec le vocabulaire dédié, celui qu'on aurait dans nos cours, à des interventions en mode wesh frérot, si tu veux gagner de la maille, il faut que tu fasses la tech 59 et donc de regarder comment ces compétences se traduisent en fonction des types de publics et des types de communautés de joueurs qui sont concernés.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'effectivement, dans les jeux vidéo, on se rend compte qu'il y a tout un tas de compétences qui sont développées. Et ça, je crois que tu prolonges aussi, tu l'appliques maintenant dans d'autres jeux que fut.

  • Speaker #1

    Oui, alors l'idée qu'il y a derrière, c'est d'opérer, vous l'aurez compris, un renversement. Le jeu vidéo est un ensemble de pratiques particulièrement dénigrés dans la société. Je vous rappelle que si les gens font des meurtres de masse, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Si les gens sont complètement addicts, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. S'ils sont désocialisés, c'est aussi parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Donc au final, l'ensemble des tares de cette terre sont liés au fait que les gens jouent à des jeux vidéo. Et donc nous, ce qui nous intéressait, sans nier d'ailleurs une partie de ces tares, puisque c'est un peu plus compliqué que ça évidemment, c'est d'essayer de nuancer ce propos en regardant aussi le jeu vidéo comme un mode de socialisation à autre chose. Alors forcément, ça s'inscrit dans une... Dans une approche qui est très dispositionnaliste et contextualiste, qui part du principe qu'on peut apprendre ou qu'on acquiert des dispositions et des compétences dans n'importe quel type de contexte, et que la vraie question, c'est plutôt de savoir comment ces dispositions ou ces compétences sont actualisées dans d'autres contextes, et si c'est facile ou pas de les transférer. Donc on est en train de mener, avec Kenza Gana qui est doctorante au CREGO, Un peu le même type de boulot sur les jeux vidéo à contenu historique, sur un jeu qui s'appelle Assassin's Creed, j'espère que vous connaissez, mais pour le faire en version rapide, c'est un jeu d'assassin qui fait de l'infiltration et qui a une mission d'assassinat et qui doit mener cette mission d'assassinat, en fonction des éditions, je crois qu'on en est à la 13ème ou un truc comme ça, dans des décors qui sont différents, donc l'Antiquité, le monde des Vikings... la Terre Sainte lors de la troisième croisade, c'est précis, la Révolution française à Paris, et ce qui nous intéresse c'est de regarder comment...

  • Speaker #0

    L'appétence pour l'histoire qui a été construite ailleurs préconfigure d'une certaine manière les pratiques ou en tout cas les usages de ce jeu et donc les expériences de ce jeu et comment ce jeu participe en retour à la construction d'un goût pour l'histoire, de connaissances historiques qui peuvent d'ailleurs venir compléter ou poser problème vis-à-vis des connaissances qui sont développées dans les cours, dans le parcours scolaire. Et comment tout ça constitue d'une pratique plus générale de l'histoire passant aussi par les jeux vidéo. Donc c'est une optique qui essaie de regarder comment on peut transférer ou pas des connaissances et des compétences et des manières de faire, de sentir, d'être d'un contexte à un autre. Ce qui mine de rien est une vraie question pour nous en tant qu'enseignants-chercheurs et en tant qu'enseignants. Pourquoi ? Parce que vous comme moi, lorsque vous regardez les loisirs des étudiants en sélection en master, quand vous voyez jeux vidéo, enfin non, moi non. Moi je me dis, ah, voyons ce qu'il en a tiré. Je ne me dis pas, ah, encore un étudiant qui ne va me parler que de jeux vidéo. Lorsqu'on est dans une guilde de joueurs version MMORPG,

  • Speaker #1

    c'est quoi ça pour les gens qui...

  • Speaker #0

    Les jeux massivement multijoueurs, qui sont en fait des jeux de rôle type donjon et dragon, mais étendus dans ce type d'univers, mais dans le jeu vidéo. Donc là aussi, on a des missions, qui s'appellent souvent des quêtes d'ailleurs, qu'on ne peut remplir que si on a une équipe constituée. Et mine de rien, cette équipe, il faut la constituer. Et une fois qu'elle est constituée, il faut l'organiser. Et une fois qu'elle est organisée, il faut essayer de la coordonner pendant la mission, pendant la quête, pour que la mission soit bien remplie. Et il faut savoir gérer les égaux des joueurs. Et ceux qui voulaient jouer cette partie-là du jeu et pas cette partie, et qui pensaient qu'on aurait dû attaquer par la droite et pas attaquer par la gauche. Et donc ça, ce sont des compétences de management. qui sont clairement construites dans le cadre du jeu et qu'on a du mal souvent à reconnaître parce que cette pratique n'est pas considérée comme légitime à nos yeux d'enseignant-chercheur.

  • Speaker #1

    Très bien, merci beaucoup. Le jeu vidéo comme apprentissage des ressources humaines, de la comptabilité, de la finance, du marketing, de l'histoire aussi. Et du foot. Et du foot. Merci beaucoup Renaud. Merci à toi,

  • Speaker #0

    merci à vous. Au revoir.

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Description

Présenté par Jean-Baptiste Welté et Yohan Bernard
Invité : Renaud Garcia-Bardidia

Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par les communautés de joueurs. Que ce soit en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus , les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managériales ?

Pour répondre à ces questions, le professeur Renaud Garcia-Bardidia nous partage ses travaux de recherche sur le jeu le plus vendu en France : FIFA.


CREGO-Centre de REcherche en Gestion des Organisations
Universités de Bourgogne, Franche-Comté, et Haute-Alsace. 

Musique : Jules Boisson (DY'S) - Experiences  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par des communautés de joueurs. Que ce sois en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus. Les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on réellement quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managérielles ? Pour répondre à ces questions, nous accueillons dans ce nouvel épisode des CREGOCAST, Renaud Garcia Bardidia, qui a choisi de porter son regard sur un jeu en particulier, FIFA. Licence des footballs renouvelée annuellement, immense succès populaire et commercial, jeu le plus vendu en France chaque année. Bonjour à tous, donc bienvenue pour un nouvel épisode d'EcrégoCast. Alors j'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir Renaud Garcia Bardidia. Renaud, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous. Déjà, merci Jean-Baptiste pour l'invitation. Je suis dans un studio de radio, je n'ai jamais fait ça, je trouve ça très rigolo. Alors si je me présente, je suis professeur des universités en sciences de gestion. Je suis en poste à l'INSPE à Dijon. Dans le département Denis Diderot, qui est un département qui forme des étudiants et des étudiantes sur des métiers de direction de projets et d'établissements culturels, donc métiers de l'administration, métiers de programmation, métiers de diffusion. Ça c'est pour la partie enseignement et puis pour la partie recherche. Je suis chercheur au CREGO depuis trois ans et en charge de l'animation de l'équipe interdisciplinaire pratique et activité recréative et culturelle qui est l'équipe qui fait des recherches à partir de différentes approches plutôt... Taux qualitatifs et compréhensifs mais aussi quantitatifs mais surtout avec des approches qui sont assez interdisciplinaires, soit inscrites aussi en STAP, soit inscrites aussi en psychologie, soit inscrites aussi en sociologie, sur sport, culture, tourisme et tous les loisirs qui peuvent intéresser les consommateurs.

  • Speaker #0

    Alors là justement, on va parler du carrefour entre sport et divertissement et culture, puisque un de tes sujets de recherche en ce moment c'est le jeu FIFA. Alors FIFA c'est un jeu qui est plus qu'un jeu, qui est aujourd'hui un phénomène de consommation, qui est presque une culture en soi de consommation, jeu vidéo extrêmement populaire. Qu'est-ce qui t'a amené finalement à t'intéresser à FIFA ?

  • Speaker #1

    La version honnête pour les collègues du Grégoire ou la version un peu moins honnête ? On va commencer par la version académique. Ça fait un certain temps que je travaille sur la digitalisation de la consommation culturelle. Après avoir beaucoup bossé sur le téléchargement illégal et la manière dont ça a changé la consommation de musique, la consommation de séries, la consommation de cinéma, et en suivant un petit peu les évolutions d'Internet et de tous les dispositifs qu'on peut y trouver, qui y sont fournis, je suis arrivé à travailler de plus en plus sur les communautés de joueurs. et j'ai été très surpris de constater que, aussi bien en marketing qu'en Game Studies, donc les deux champs qui peuvent m'intéresser dans ce cadre, on s'intéressait plutôt à des jeux multijoueurs dans des univers liés à la fantasy, et absolument pas à un jeu qui est le jeu le plus vendu en France. Je pense qu'il y a même des années où, sur les cinq jeux les plus vendus en France, il y a trois des éditions différentes de FIFA, celle par exemple de 2021, celle de 2020 et celle de 2019. et pour une raison claire qui est leur attachement au foot Ah le foot ! Donc un univers qui concerne assez peu nos collègues qui sont plus intéressés par des trucs de geek pour être clair C'est un peu comme les sociologues qui s'intéressent à la délinquance à la ville et pas à la consommation Donc des effets comme ça de sujets qui sont plus ou moins nobles Alors déjà quand on est sur la consommation chez les sociologues on n'est pas sur un sujet noble C'était vraiment plus un jeu pas noble parmi les... Les moins nobles. Et alors la deuxième grande raison.

  • Speaker #0

    Donc ça c'est la non officielle.

  • Speaker #1

    La moins officielle, mais bon, là encore avouable, c'est qu'en vérité, j'ai une histoire personnelle, familiale très forte avec le foot. Même si je joue très mal, en tout cas beaucoup moins bien que ma sœur, qui elle joue vraiment très bien, qui a joué en équipe de France. Donc il y a une vraie transmission familiale sur le foot. J'ai un club de cœur, mais je vous laisserai deviner. Donc du coup cet univers m'intéressait aussi et c'est un type de jeu, alors que je ne suis pas forcément très joueur aux jeux vidéo, qui pouvait m'intéresser et alors la troisième raison, la vraie c'est que le confinement était un moment merveilleux pour faire du terrain et on en reparlera parce que je suis ravi de remontrer ou de rappeler aux collègues que non, quand je joue à FIFA, moi je travaille

  • Speaker #0

    Ok, donc en fait FIFA c'est un jeu qui est très lié au foot, c'est ça qui explique pour toi son principal succès ?

  • Speaker #1

    Ah oui, tous les joueurs qu'on a interrogés ont joué au foot dans leur jeunesse, sont intéressés par le foot, de toute façon il suffit de regarder un petit peu les audiences de l'équipe de France, même quand elles jouent mal et même quand elles jouent contre Gibraltar, il y a quand même encore des millions de personnes qui sont devant l'écran. Le foot est vraiment un aspect important de la culture des gens en France. Et la plupart des gens ont joué dans les cours d'école, dans les cours d'immeubles, dans la rue, mais aussi souvent en club. Et donc du coup, c'est un élément évidemment très important de l'appétence pour ce jeu-là par rapport à d'autres simulations de sport ou par rapport à d'autres types de jeux.

  • Speaker #0

    Et alors comment est-ce que tu l'as abordé justement FIFA en tant qu'objet de recherche ? Qu'est-ce qui t'a intéressé dans ce jeu ?

  • Speaker #1

    Alors le point de départ, parce que c'est toujours pareil sur des recherches qui sont abductives, on a un point de départ et on définit autant le problème qu'on est en train de collecter des données et d'essayer de trouver des réponses au problème. Ça marche évidemment en même temps. Le point de départ c'était sur ce qualificatif d'e-sport. que je trouvais très intéressant parce que j'avais du mal à me représenter, c'est toujours pareil, on part d'un étonnement, j'avais du mal à me représenter que des gens puissent réellement croire qu'ils sont en train de participer à une compétition sportive en étant dans leur canapé, en jouant avec leur manette. Donc le point de départ c'était de comprendre comment ils peuvent faire pour prendre ça réellement au sérieux. Et le meilleur moyen pour comprendre comment c'est possible que les gens prennent ça au sérieux, c'est de faire de l'observation participante et de se prendre au jeu. Et donc c'est là où j'ai commencé à sortir mon carnet, sortir ma manette et jouer.

  • Speaker #0

    Au passage, c'est facile de trouver ces joueurs à interroger. C'est compliqué ou pas d'identifier, d'aller chez eux, ou peut-être pas forcément d'aller chez eux, mais d'être en ligne avec eux ou pas ?

  • Speaker #1

    Ah non, ce n'est pas difficile. Pour trouver des joueurs, le premier moyen, c'est d'arriver dans une salle de classe à la rentrée et de dire Ok, qui joue à FIFA ici ? Et les mains se lèvent. Et on peut commencer à faire des blagues en disant Ok, donc ça, c'est ceux qui admettent jouer à FIFA, et ensuite, il y a ceux qui n'osent pas en parler devant les autres parce que ce n'est pas assez bien vu dans une formation en culture. Ce qui, évidemment, arrive. Et puis ensuite, de constituer un échantillonnage de proche en proche pour étendre ça dans les gens amis d'amis que je pouvais avoir. Ils ont tous plus ou moins joué à FIFA aussi. C'est vraiment quelque chose de très diffusé. Mais pour être complet... Et on verra aussi que c'est lié au mode de jeu que j'ai plus particulièrement étudié avec mes collègues, puisque c'est un travail qu'on a mené avec Loïc Comineau de l'université de Lorraine, Baptiste Cléré de l'université de Rouen, Catherine Atrizula de l'université de Lorraine, Sarah Maire de l'ISEG et Judith Vary de l'université de Rouen. Donc le problème c'était non pas de trouver des répondants Mais de trouver des répondantes qui jouent en mode compétitif

  • Speaker #0

    D'accord, et quand vous les interrogez là, vous allez chez eux ou ça se fait en ligne ?

  • Speaker #1

    Variable en fonction des périodes Sur la période confinement c'était évidemment beaucoup plus simple de faire en ligne En fonction des disponibilités des uns et des autres ça peut être des entretiens sur Teams Même si je ne suis pas fan, moi je trouve qu'il y a une difficulté Alors... Les gens se sont habitués à discuter en ligne, Teams, WhatsApp, etc. Mais je trouve que c'est beaucoup plus compliqué de gérer les tours de parole et les interactions non verbales dans ce contexte-là. Et puis quand je fais des entretiens en ligne, il me manque un truc. Il me manque le côté observation du lieu, observation et donc possibilité de relance sur la manière dont les choses sont organisées, où est placée la console, quel est le fauteuil pour jouer, est-ce que c'est sur un grand écran, est-ce que c'est sur un vidéoprojecteur, est-ce qu'il y a des gens qui traversent la salle, est-ce qu'il y a un chat qui peut vous sauter dessus pendant que vous êtes en train de faire un match, etc. que j'ai besoin de sentir et donc j'ai de ce point de vue-là plutôt besoin d'aller chez les gens, donc c'est ce que je fais quand c'est possible.

  • Speaker #0

    Tu disais l'e-sport, effectivement, comment ça peut être perçu comme une activité, vraiment quelque chose où les gens s'engagent véritablement dedans, quelque chose de sérieux. Et alors, qu'est-ce que tu as trouvé finalement ? comme résultat lié à ce premier objet de recherche ?

  • Speaker #1

    Ce qui nous a intéressé dans ce cadre-là, c'était plusieurs choses. C'était déjà de voir si on pouvait considérer ce type d'activité comme un loisir sérieux, donc un champ de recherche en sociologie des loisirs, et de regarder un petit peu quelles étaient les trajectoires d'engagement dans ce loisir sérieux. Déjà peut-être que pour commencer, il faudrait revenir sur ce que c'est ce module spécifique du jeu qui s'appelle FUT. qui est le mode du jeu, plutôt d'ailleurs que le module, qui est le mode du jeu FIFA qui correspond à la partie compétition en ligne. Parce qu'on peut jouer à FIFA de plein de manières différentes. On peut faire des matchs amicaux contre ses compains sur son canapé, à se chambrer les uns les autres en passant une soirée tranquille, en mangeant des pizzas pour être dans le stéréotype jusqu'au bout. On peut jouer solo, donc jouer solo et jouer au mode carrière, où on devient... Cristiano Ronaldo c'est un peu facile de devenir Cristiano Ronaldo ou Kylian Mbappé, on devrait un Renaud Garcia Bardiglia et on finit joueur du, non pas du PSG plutôt de Manchester United

  • Speaker #0

    Faut pas révéler tes préférences Non mais c'est toujours pas mes préférences

  • Speaker #1

    On va aller jusqu'au bout, on finit joueur de l'Olympique de Marseille et on emmène l'Olympique de Marseille en finale de la Ligue des Champions ce qui n'arrivera plus jamais en vrai Parce que c'est déjà arrivé ? Bien sûr, à jamais les premiers, on est les seuls à avoir gagné une Ligue des Champions en France, voyons. Il faut connaître l'histoire un peu. Donc d'emmener ce joueur-là au sommet des compétitions en augmentant plus progressivement ses différentes caractéristiques, en lui faisant changer de club, etc. Où on peut être entraîneur d'une équipe et jouer les matchs, et donc faire aussi toute la partie transfert, etc. Et sinon, on peut jouer à un mode du jeu où on joue en ligne contre des adversaires. avec des classements en fonction des résultats, donc une idée de compétition tout au long de l'année, tout au long d'une saison, sur laquelle vous pouvez, l'objectif c'est de monter en division 1 de l'ensemble des joueurs de ce mode, et de gagner des récompenses prestigieuses en participant aux compétitions qui ont lieu tous les week-ends, qui s'appelaient à l'époque les Fut Champions, je crois que là sur la dernière édition ça a changé de nom. Et donc dans ce mode là, on est là, Pour la compétition.

  • Speaker #0

    Mais on joue au football ou on est manager ?

  • Speaker #1

    On joue au football et on doit gérer son équipe. Pourquoi ? Parce qu'on ne joue pas avec des équipes existantes. On ne joue pas avec le Paris Saint-Germain. En revanche, on joue avec des cartes qui représentent des joueurs qui sont les joueurs réels et qui appartiennent donc à des équipes différentes. On peut avoir, on en reparlera, si on a des sous, on peut avoir un Kylian Mbappé avec un Neymar à côté, même si maintenant, en fait, on ne peut plus avoir le Neymar parce qu'il a changé de club, donc c'est moins intéressant. Mais on peut avoir un Kylian Mbappé, un Ousmane Dembélé, qui vont être des cartes qui vont être très intéressantes parce qu'elles sont... les joueurs sont très rapides et qu'ils sont très adroits, enfin un peu moins pour Ousmane Demele, mais en moins pour Kylian Mbappé, ils sont très adroits. Donc jouant avec ces cartes, il y a plus de chances lorsqu'on fait un tir qu'on arrive à mettre un but, que si on joue avec l'avant-centre actuel du FC Dijon, désolé les collègues, qui évidemment est sans doute pas très bon, mais existe quand même dans le jeu. Voilà. Et donc on construit son équipe en récupérant des cartes sous la forme de récompenses ou en achetant ces cartes sur un marché dédié ou en tirant au hasard ces cartes dans des packs qu'on peut acheter cette fois-ci avec de l'argent réel. Le marché dédié, c'est avec uniquement de l'argent qui s'appelle des crédits FIFA qui n'est pas convertible en euros ou en dollars par exemple. Et donc on construit cette équipe et ensuite on joue cette équipe contre des adversaires qui ont eux aussi construit une équipe. Et là c'est à la fois la qualité de l'équipe et la qualité technique qu'on a pour jouer, le skill comme disent les joueurs, qui va permettre normalement de gagner.

  • Speaker #0

    Donc là on imagine qu'il y a énormément de sentiments, d'émotions qui traversent le joueur quand il joue à fut. Tu disais hors antenne tout à l'heure, certains disent qu'ils jouent leur vie en fait.

  • Speaker #1

    Le point qui nous semble intéressant là-dedans, c'était justement de regarder comment on rentre dans cette idée ultra compétitive. Alors évidemment quand on regarde ça avec... Un regard de chercheur, beaucoup de facteurs qui peuvent jouer par rapport à ça. Le dispositif du jeu pousse à la compétition. Plus on joue, plus on gagne de matchs, plus on récupère de récompenses, plus on peut accumuler de ressources, soit des crédits, soit des cartes, qui vont être utilisées pour finir par obtenir, mieux que le Kilian Mbappé, un bon petit Maradona. puisqu'il y a des cartes icônes des joueurs qui sont disparues aussi. Donc un bon petit Maradona, mais qui coûte hyper cher. Mais qu'est-ce qu'il est bon ! Donc plus on rentre là-dedans, on est poussé par le dispositif. Pour s'engager de plus en plus, on reviendra sur d'autres mécanismes qui sont intéressants d'un point de vue de structure du marché. L'autre point qui amène à être plus compétitif, c'est évidemment les dispositions qu'on a construites préalablement en dehors du jeu. Alors dispositions qu'on a pu... construire par exemple dans le foot, ceux qui ont joué de manière plus compétitive recherchent cet aspect compétition pour le retrouver à l'intérieur du jeu, sachant que pour des effets de cycle de vie par exemple, ils ne peuvent plus jouer au foot autant qu'avant et que donc du coup ça devient une sorte de substitution. On a par exemple des trajectoires de joueurs qui sont intéressantes, qui sont des gens qui ont joué beaucoup au foot à bon niveau, niveau régional voire parfois centre de formation, qui arrivent à 15 ans en centre de formation, se pètent le genou, Voilà, se font les croisés, ne peuvent plus jouer et qui cherchent un genre de palliatif, une substitution par rapport à ça et se mettent à jouer à FIFA comme des bourrins. Pour retrouver cet aspect compétitif, c'est monter d'adrénaline qui correspond à cette émotion forte dans le jeu. Et j'ai en tête un exemple d'un des joueurs professionnels de FIFA que j'ai rencontré dans cette étude, qui joue en équipe de France de FIFA, parce qu'il y a une équipe de France de FIFA évidemment, comme il y a des clubs de football pro qui ont monté des équipes professionnelles, que ce soit le PSG, Monaco ou Lyon par exemple. Et donc lui c'était typiquement sa trajectoire Super bon joueur de foot, centre de formation, les croisés, se met à FIFA Accroche, se dit qu'il ne pourra plus rejouer au niveau mais qu'il peut devenir au niveau à FIFA Donc joue à fut, finit par devenir sélectionné en équipe de France et rejoue au foot Mais là pour le côté plaisir, en dehors de son métier de joueur professionnel Avec ses copains en départemental Donc on a des dispositions, on a un dispositif. Alors ces dispositions, évidemment, on pense au foot, mais le côté compétitif, on peut l'acquérir aussi dans d'autres sphères de la vie sociale. On s'est amusé à diversifier l'échantillon chez les jeunes en fonction de leur type d'études. Et pour regarder si, ce qu'on sait en sociologie, ces dispositions d'ascétisme et de compétition, qui sont construites par exemple en classe prépa, ressortent plus fortement dans les usages de FIFA que chez des gens qui ont fait des Alain et l'EL3 à l'université, ce qui amène moins à avoir ce côté compétitif, et évidemment on les retrouve. On les retrouvait aussi plus facilement en STAPS qu'en sciences de l'éducation.

  • Speaker #0

    Oui, très intéressant. Et est-ce qu'il y a aussi des émotions négatives qui ressortent quand on joue justement à la pub ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la partie expérientielle qui nous intéressait particulièrement dans le jeu. L'expérience que les joueurs ont de FIFA est une expérience qui est très ambivalente. Ils sont passionnés. ils sont passionnés et ils s'investissent pour ceux qui jouent à fut énormément. Pour vous donner un petit peu un ordre de grandeur, je vous disais tout à l'heure qu'il y avait des compétitions le week-end, les fut champions. Les fut champions, au moment où on fait notre étude, ce sont des compétitions dans lesquelles on peut se qualifier si on a collecté un certain nombre de points dans la semaine. Donc si on a remporté un certain nombre de victoires dans la semaine. Donc ça veut dire qu'on a déjà fait plein de matchs dans la semaine. Et pour faire cette compétition, on doit... Ensuite, faire 30 matchs du vendredi soir au dimanche soir. 30 matchs plus la gestion de l'équipe, plus les autres matchs pour les autres objectifs, c'est entre 10 et 15 heures de jeux vidéo du vendredi soir au dimanche soir. Donc, il faut être à fond. Quand on fait ces 30 matchs d'affilée, ça veut dire qu'on est très fortement engagé. Si on est très fortement engagé, les émotions qu'on va avoir pendant le match sont évidemment exacerbées. Et pour réussir à faire ces 30 matchs, on joue contre des adversaires, l'objectif c'est de gagner. Tous les moyens sont bons, on vous rappelle les gens jouent leur vie. Donc si tous les moyens sont bons, ça veut dire que pour gagner on peut prendre un ascendant psychologique sur l'autre. Donc on peut essayer de faire tout ce qu'il est possible pour déstabiliser l'adversaire. Gagner 1-0. et refuser de jouer, et attendre, et garder la balle à côté du poteau de corner, jusqu'à ce que l'autre s'énerve, efface une faute, et continuer, parce qu'après tout, si on mène à zéro, c'est pas la peine de jouer vraiment, jusqu'à ce que les gens s'énervent, et ce qu'on appelle rage quit C'est-à-dire décide d'abandonner le match. Ou alors on peut décider, si l'adversaire est moins bon que nous, de ne pas gagner 1-0 et de tranquillement attendre la fin du match, mais de gagner le plus rapidement 3-0, 4-0, 5-0, pour que l'autre soit tellement ulcéré. de se faire humilier ou de se sentir humilié, qu'il décide d'arrêter le match non pas au bout des 15 minutes ou 20 minutes de jeu, mais juste au bout de 3 minutes parce qu'il en est déjà à 6-0 et que ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Victoire par KO.

  • Speaker #1

    Victoire par KO. L'avantage des victoires par KO, si les gens abandonnent, c'est qu'évidemment pour faire vos 30 matchs dans le week-end, ça va beaucoup plus vite. Donc on a tout un tas de techniques pour essayer de faire péter les plans à l'autre pour qu'il rage quit. Donc ça veut dire qu'en retour, on a des émotions négatives qui sont hyper fortes. Et quand on a ces émotions négatives qui sont hyper fortes sur un week-end avec beaucoup d'intensité, beaucoup d'engagement et surtout une très forte juxtaposition des matchs, on finit par péter un câble. Donc ces émotions négatives, nous on les a regardées non pas sur leur aspect purement négatif, parce qu'après tout, qu'est-ce que ça veut dire qu'une émotion négative ? On est parti du principe qu'il fallait un peu déconstruire ça, et on les a plutôt regardées comme des occasions d'apprendre une forme de contrôle de soi par la consommation et par le jeu. C'est là où on a développé des travaux, notamment avec Judith qui est en sciences de l'éducation, sur des aspects de socialisation genrée au contrôle de soi, donc de socialisation masculine au contrôle de soi dans le cadre des pratiques vidéoludiques.

  • Speaker #0

    Il y a d'autres choses que vous avez identifiées dans vos recherches. C'est aussi des compétences liées à des domaines auxquels on n'aurait pas pensé quand on pense à FIFA, qui sont liées à de la comptabilité, à de la finance aussi, donc à des manières finalement de compter et d'être proche de ce qu'on fait quand on est comptable ou quand on est financier.

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la magie du terrain. Alors évidemment je triche un petit peu parce que même si on a fait le terrain principalement sur le FIFA 19, moi j'avais déjà joué un peu au FIFA 17. Donc je voyais un petit peu ça et je m'étais dit que ça pouvait être une thématique intéressante. Mais la magie du terrain, c'est de partir avec cette idée qu'on va regarder le mélange entre sport et jeux vidéo pour voir ce qu'est l'e-sport en termes de pratiques. Et puis de se rendre compte que dans les pratiques des consommateurs, on a un aspect qu'on n'avait pas forcément décidé de creuser qui est central. Et il se trouve que sur FIFA, sur FUT, il y a un aspect qui est central qui est la pratique dite d'achat-revente. Donc je vous rappelle, pour gagner, il faut être soit très bon, soit avoir de très bonnes cartes. Donc je ne sais pas, moi par exemple, j'avais un Emmanuel Petit. Et oui, je parle aux anciens. J'avais un Emmanuel Petit qui était merveilleux comme milieu de terrain parce qu'il était tellement imposant qu'il arrivait, même si je n'étais pas trop bon, à piquer généralement la balle aux autres milieux de terrain de l'équipe adverse. Et cet Emmanuel Petit, pour l'obtenir, il a fallu que je passe un temps flou. à collecter des cartes, à faire des défis au sein du jeu, et donc à devoir acheter et revendre un certain nombre de cartes sur le marché pour collecter toutes les pièces du puzzle qui à la fin allaient me donner mon Emmanuel Petit. Et donc voyant ça, j'ai commencé à me renseigner, on a commencé à essayer de creuser ces pratiques qui étaient des pratiques de trading.

  • Speaker #0

    Des jeunes joueurs presque.

  • Speaker #1

    Plutôt de spéculateurs purs et durs sur un marché qui est un marché assez amusant. C'est quoi ce marché ? C'est un marché des cartes qui sont revendues par les joueurs. parce qu'ils n'en veulent plus, parce qu'ils ont envie de revendre pour faire un gain, et des cartes qui vont être achetées par d'autres joueurs. Pour vous donner une idée du volume, au moment où on fait ça, il y a trois serveurs. Les serveurs sont répartis par console, il y a un serveur, d'ailleurs console et ordinateur, il y a le serveur PC, le serveur PlayStation, le serveur Xbox et le serveur Switch. Donc moi j'étais sur Xbox. et la masse de cartes qui est revendue au plus fort, ça doit être quelque chose comme 10 millions de cartes. Donc ça fait quand même un beau volume d'affaires potentiel. Et alors que font les gens ? Ils essayent d'acheter des cartes, on va reprendre l'exemple d'Embelé, des cartes d'Embelé les moins chères possibles pour les revendre ensuite à d'autres un peu plus chères, sachant que l'éditeur prend une commission fictive, parce que ce n'est pas de l'argent réel, c'est des crédits à l'intérieur du jeu, une commission de 5% sur toutes les transactions. Donc le jeu devient pour une partie des joueurs, pour essayer d'accueillir des meilleures cartes et donc de compenser leur niveau vis-à-vis d'autres, d'être à l'affût de toutes les bonnes affaires, de développer des techniques d'achat et des techniques de revente avec marge sur ces cartes. Jusque là, on va me dire, pas trop compliqué. Sauf que pour que l'intérêt pour le jeu soit fort, l'éditeur a tout intérêt à faire deux choses. d'un point de vue de marketing. La première chose, c'est d'engager au maximum les joueurs. Pour engager au maximum les joueurs, il faut qu'il y ait un maximum de récompenses sous la forme d'objectifs quotidiens, d'objectifs hebdomadaires, d'objectifs mensuels et d'objectifs annuels.

  • Speaker #0

    Un objectif de...

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous devez marquer 5 buts et si vous marquez 5 buts, vous avez le droit à 100 crédits. Cette semaine, vous devez gagner 5 matchs avec 11 joueurs qui soient anglais. Donc, il faut acheter les cartes. Pour avoir cette équipe de joueurs anglais,

  • Speaker #0

    Donc des défis multiples.

  • Speaker #1

    Voilà, des défis de toutes sortes. S'il faut acheter ces cartes pour avoir les 11 joueurs anglais, ça doit vouloir dire quand même que cette semaine, les prix des cartes anglaises doivent être particulièrement hauts. Bien malin ceux qui avaient soit eu un leak, puisqu'il y a des leaks sur Discord pour savoir et anticiper, soit ceux qui avaient prévu que ça faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu des défis sur les anglais et qui se disent hop je fais mes défis et ensuite je revends mes cartes vraiment très chères par rapport à ce que...

  • Speaker #0

    Il y a vraiment les délits d'initié aussi sur...

  • Speaker #1

    Il y a tout un écosystème dont on parlera tout à l'heure qui outille en fait cette pratique de l'achat-revente aussi bien en termes de tutos sur YouTube que de vidéos sur Twitch, que de blogs et de forums qui discutent des bonnes manières de faire de la spéculation. que de sites dédiés qui font des graphiques, des courbes de la valeur des joueurs en temps réel pour essayer de prévoir les marqués de crash.

  • Speaker #0

    Effectivement, il y a donc tout un tas de compétences financières qui sont développées.

  • Speaker #1

    Et donc l'éditeur a tout intérêt à ce que tout le monde continue à jouer. Donc il faut éviter les rentes de position en quelque sorte. Pour éviter les rentes de position sur les cartes, il y a un calendrier d'événements sur FUT qui à chaque fois donne lieu à une sortie de nouvelles cartes. qui sont sur les mêmes joueurs que ceux qui sont déjà présents, mais avec des cartes qui vont être légèrement plus fortes que celles qui existaient jusqu'à présent. Donc il y a des équipes de la semaine, il y a des cartes dédiées pour Halloween, il y a des cartes dédiées pour la Saint-Patrick, et il y a les équipes de l'année où là les cartes sont au maximum de ce qui est possible. A chaque fois qu'il y a des nouvelles sorties, il y a des effondrements sur les cartes précédentes des mêmes joueurs. Et donc le grand jeu pour une partie des joueurs c'est d'essayer de prévoir ces markets crash en fonction des graphiques des markets crash des années précédentes.

  • Speaker #0

    On comprend bien du coup effectivement tous les ressorts financiers, toutes les compétences que ces gens acquièrent. Et finalement, quand tu as agrégé toutes ces données, ça te donne envie de chercher dans quelle direction maintenant ? Quels sont finalement les prolongements que tu peux imaginer de ces recherches ?

  • Speaker #1

    Là, on voudrait déjà finir cette partie sur le développement de pratiques et ou de compétences de comptabilité et de contrôle qu'on appelle indigènes, celles qui sont développées sur le terrain. pour pouvoir voir un petit peu les écarts qu'il y a par rapport à des pratiques comptables plus normées. Et puis surtout les dispositions qui sont nécessaires par rapport à ça. Alors on a dans nos entretiens par exemple pas mal d'entretiens avec des gens qui ont fait ou qui sont en école de commerce et qui voient bien les liens qui sont faits par rapport à leurs cours, la manière dont ils mobilisent ça, le type de discours qu'ils utilisent, le type de compétences qu'ils ont. Et puis de les comparer avec des gens qui ont appris par autodidactie. Donc de manière autodidacte ou en utilisant des tutoriels sur YouTube qui vont encore une fois aussi bien de cours de comptabilité en tant que tel ou de cours d'analyse financière en tant que tel avec le vocabulaire dédié, celui qu'on aurait dans nos cours, à des interventions en mode wesh frérot, si tu veux gagner de la maille, il faut que tu fasses la tech 59 et donc de regarder comment ces compétences se traduisent en fonction des types de publics et des types de communautés de joueurs qui sont concernés.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'effectivement, dans les jeux vidéo, on se rend compte qu'il y a tout un tas de compétences qui sont développées. Et ça, je crois que tu prolonges aussi, tu l'appliques maintenant dans d'autres jeux que fut.

  • Speaker #1

    Oui, alors l'idée qu'il y a derrière, c'est d'opérer, vous l'aurez compris, un renversement. Le jeu vidéo est un ensemble de pratiques particulièrement dénigrés dans la société. Je vous rappelle que si les gens font des meurtres de masse, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Si les gens sont complètement addicts, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. S'ils sont désocialisés, c'est aussi parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Donc au final, l'ensemble des tares de cette terre sont liés au fait que les gens jouent à des jeux vidéo. Et donc nous, ce qui nous intéressait, sans nier d'ailleurs une partie de ces tares, puisque c'est un peu plus compliqué que ça évidemment, c'est d'essayer de nuancer ce propos en regardant aussi le jeu vidéo comme un mode de socialisation à autre chose. Alors forcément, ça s'inscrit dans une... Dans une approche qui est très dispositionnaliste et contextualiste, qui part du principe qu'on peut apprendre ou qu'on acquiert des dispositions et des compétences dans n'importe quel type de contexte, et que la vraie question, c'est plutôt de savoir comment ces dispositions ou ces compétences sont actualisées dans d'autres contextes, et si c'est facile ou pas de les transférer. Donc on est en train de mener, avec Kenza Gana qui est doctorante au CREGO, Un peu le même type de boulot sur les jeux vidéo à contenu historique, sur un jeu qui s'appelle Assassin's Creed, j'espère que vous connaissez, mais pour le faire en version rapide, c'est un jeu d'assassin qui fait de l'infiltration et qui a une mission d'assassinat et qui doit mener cette mission d'assassinat, en fonction des éditions, je crois qu'on en est à la 13ème ou un truc comme ça, dans des décors qui sont différents, donc l'Antiquité, le monde des Vikings... la Terre Sainte lors de la troisième croisade, c'est précis, la Révolution française à Paris, et ce qui nous intéresse c'est de regarder comment...

  • Speaker #0

    L'appétence pour l'histoire qui a été construite ailleurs préconfigure d'une certaine manière les pratiques ou en tout cas les usages de ce jeu et donc les expériences de ce jeu et comment ce jeu participe en retour à la construction d'un goût pour l'histoire, de connaissances historiques qui peuvent d'ailleurs venir compléter ou poser problème vis-à-vis des connaissances qui sont développées dans les cours, dans le parcours scolaire. Et comment tout ça constitue d'une pratique plus générale de l'histoire passant aussi par les jeux vidéo. Donc c'est une optique qui essaie de regarder comment on peut transférer ou pas des connaissances et des compétences et des manières de faire, de sentir, d'être d'un contexte à un autre. Ce qui mine de rien est une vraie question pour nous en tant qu'enseignants-chercheurs et en tant qu'enseignants. Pourquoi ? Parce que vous comme moi, lorsque vous regardez les loisirs des étudiants en sélection en master, quand vous voyez jeux vidéo, enfin non, moi non. Moi je me dis, ah, voyons ce qu'il en a tiré. Je ne me dis pas, ah, encore un étudiant qui ne va me parler que de jeux vidéo. Lorsqu'on est dans une guilde de joueurs version MMORPG,

  • Speaker #1

    c'est quoi ça pour les gens qui...

  • Speaker #0

    Les jeux massivement multijoueurs, qui sont en fait des jeux de rôle type donjon et dragon, mais étendus dans ce type d'univers, mais dans le jeu vidéo. Donc là aussi, on a des missions, qui s'appellent souvent des quêtes d'ailleurs, qu'on ne peut remplir que si on a une équipe constituée. Et mine de rien, cette équipe, il faut la constituer. Et une fois qu'elle est constituée, il faut l'organiser. Et une fois qu'elle est organisée, il faut essayer de la coordonner pendant la mission, pendant la quête, pour que la mission soit bien remplie. Et il faut savoir gérer les égaux des joueurs. Et ceux qui voulaient jouer cette partie-là du jeu et pas cette partie, et qui pensaient qu'on aurait dû attaquer par la droite et pas attaquer par la gauche. Et donc ça, ce sont des compétences de management. qui sont clairement construites dans le cadre du jeu et qu'on a du mal souvent à reconnaître parce que cette pratique n'est pas considérée comme légitime à nos yeux d'enseignant-chercheur.

  • Speaker #1

    Très bien, merci beaucoup. Le jeu vidéo comme apprentissage des ressources humaines, de la comptabilité, de la finance, du marketing, de l'histoire aussi. Et du foot. Et du foot. Merci beaucoup Renaud. Merci à toi,

  • Speaker #0

    merci à vous. Au revoir.

Description

Présenté par Jean-Baptiste Welté et Yohan Bernard
Invité : Renaud Garcia-Bardidia

Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par les communautés de joueurs. Que ce soit en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus , les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managériales ?

Pour répondre à ces questions, le professeur Renaud Garcia-Bardidia nous partage ses travaux de recherche sur le jeu le plus vendu en France : FIFA.


CREGO-Centre de REcherche en Gestion des Organisations
Universités de Bourgogne, Franche-Comté, et Haute-Alsace. 

Musique : Jules Boisson (DY'S) - Experiences  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les jeux vidéo sont aujourd'hui élevés au rang du dixième art. Ils développeraient des capacités reconnues par des communautés de joueurs. Que ce sois en réseau, en ligne, sur console, seul, en soirée, entre amis ou avec des inconnus. Les pratiques sont multiples, mais nécessitent savoir-faire spécifique et capacité de concentration. D'ailleurs, des équipes professionnelles se constituent. Mais alors quelles compétences développe-t-on réellement quand on s'adonne aux jeux vidéo ? Des compétences physiques, sociales, financières, managérielles ? Pour répondre à ces questions, nous accueillons dans ce nouvel épisode des CREGOCAST, Renaud Garcia Bardidia, qui a choisi de porter son regard sur un jeu en particulier, FIFA. Licence des footballs renouvelée annuellement, immense succès populaire et commercial, jeu le plus vendu en France chaque année. Bonjour à tous, donc bienvenue pour un nouvel épisode d'EcrégoCast. Alors j'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir Renaud Garcia Bardidia. Renaud, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous. Déjà, merci Jean-Baptiste pour l'invitation. Je suis dans un studio de radio, je n'ai jamais fait ça, je trouve ça très rigolo. Alors si je me présente, je suis professeur des universités en sciences de gestion. Je suis en poste à l'INSPE à Dijon. Dans le département Denis Diderot, qui est un département qui forme des étudiants et des étudiantes sur des métiers de direction de projets et d'établissements culturels, donc métiers de l'administration, métiers de programmation, métiers de diffusion. Ça c'est pour la partie enseignement et puis pour la partie recherche. Je suis chercheur au CREGO depuis trois ans et en charge de l'animation de l'équipe interdisciplinaire pratique et activité recréative et culturelle qui est l'équipe qui fait des recherches à partir de différentes approches plutôt... Taux qualitatifs et compréhensifs mais aussi quantitatifs mais surtout avec des approches qui sont assez interdisciplinaires, soit inscrites aussi en STAP, soit inscrites aussi en psychologie, soit inscrites aussi en sociologie, sur sport, culture, tourisme et tous les loisirs qui peuvent intéresser les consommateurs.

  • Speaker #0

    Alors là justement, on va parler du carrefour entre sport et divertissement et culture, puisque un de tes sujets de recherche en ce moment c'est le jeu FIFA. Alors FIFA c'est un jeu qui est plus qu'un jeu, qui est aujourd'hui un phénomène de consommation, qui est presque une culture en soi de consommation, jeu vidéo extrêmement populaire. Qu'est-ce qui t'a amené finalement à t'intéresser à FIFA ?

  • Speaker #1

    La version honnête pour les collègues du Grégoire ou la version un peu moins honnête ? On va commencer par la version académique. Ça fait un certain temps que je travaille sur la digitalisation de la consommation culturelle. Après avoir beaucoup bossé sur le téléchargement illégal et la manière dont ça a changé la consommation de musique, la consommation de séries, la consommation de cinéma, et en suivant un petit peu les évolutions d'Internet et de tous les dispositifs qu'on peut y trouver, qui y sont fournis, je suis arrivé à travailler de plus en plus sur les communautés de joueurs. et j'ai été très surpris de constater que, aussi bien en marketing qu'en Game Studies, donc les deux champs qui peuvent m'intéresser dans ce cadre, on s'intéressait plutôt à des jeux multijoueurs dans des univers liés à la fantasy, et absolument pas à un jeu qui est le jeu le plus vendu en France. Je pense qu'il y a même des années où, sur les cinq jeux les plus vendus en France, il y a trois des éditions différentes de FIFA, celle par exemple de 2021, celle de 2020 et celle de 2019. et pour une raison claire qui est leur attachement au foot Ah le foot ! Donc un univers qui concerne assez peu nos collègues qui sont plus intéressés par des trucs de geek pour être clair C'est un peu comme les sociologues qui s'intéressent à la délinquance à la ville et pas à la consommation Donc des effets comme ça de sujets qui sont plus ou moins nobles Alors déjà quand on est sur la consommation chez les sociologues on n'est pas sur un sujet noble C'était vraiment plus un jeu pas noble parmi les... Les moins nobles. Et alors la deuxième grande raison.

  • Speaker #0

    Donc ça c'est la non officielle.

  • Speaker #1

    La moins officielle, mais bon, là encore avouable, c'est qu'en vérité, j'ai une histoire personnelle, familiale très forte avec le foot. Même si je joue très mal, en tout cas beaucoup moins bien que ma sœur, qui elle joue vraiment très bien, qui a joué en équipe de France. Donc il y a une vraie transmission familiale sur le foot. J'ai un club de cœur, mais je vous laisserai deviner. Donc du coup cet univers m'intéressait aussi et c'est un type de jeu, alors que je ne suis pas forcément très joueur aux jeux vidéo, qui pouvait m'intéresser et alors la troisième raison, la vraie c'est que le confinement était un moment merveilleux pour faire du terrain et on en reparlera parce que je suis ravi de remontrer ou de rappeler aux collègues que non, quand je joue à FIFA, moi je travaille

  • Speaker #0

    Ok, donc en fait FIFA c'est un jeu qui est très lié au foot, c'est ça qui explique pour toi son principal succès ?

  • Speaker #1

    Ah oui, tous les joueurs qu'on a interrogés ont joué au foot dans leur jeunesse, sont intéressés par le foot, de toute façon il suffit de regarder un petit peu les audiences de l'équipe de France, même quand elles jouent mal et même quand elles jouent contre Gibraltar, il y a quand même encore des millions de personnes qui sont devant l'écran. Le foot est vraiment un aspect important de la culture des gens en France. Et la plupart des gens ont joué dans les cours d'école, dans les cours d'immeubles, dans la rue, mais aussi souvent en club. Et donc du coup, c'est un élément évidemment très important de l'appétence pour ce jeu-là par rapport à d'autres simulations de sport ou par rapport à d'autres types de jeux.

  • Speaker #0

    Et alors comment est-ce que tu l'as abordé justement FIFA en tant qu'objet de recherche ? Qu'est-ce qui t'a intéressé dans ce jeu ?

  • Speaker #1

    Alors le point de départ, parce que c'est toujours pareil sur des recherches qui sont abductives, on a un point de départ et on définit autant le problème qu'on est en train de collecter des données et d'essayer de trouver des réponses au problème. Ça marche évidemment en même temps. Le point de départ c'était sur ce qualificatif d'e-sport. que je trouvais très intéressant parce que j'avais du mal à me représenter, c'est toujours pareil, on part d'un étonnement, j'avais du mal à me représenter que des gens puissent réellement croire qu'ils sont en train de participer à une compétition sportive en étant dans leur canapé, en jouant avec leur manette. Donc le point de départ c'était de comprendre comment ils peuvent faire pour prendre ça réellement au sérieux. Et le meilleur moyen pour comprendre comment c'est possible que les gens prennent ça au sérieux, c'est de faire de l'observation participante et de se prendre au jeu. Et donc c'est là où j'ai commencé à sortir mon carnet, sortir ma manette et jouer.

  • Speaker #0

    Au passage, c'est facile de trouver ces joueurs à interroger. C'est compliqué ou pas d'identifier, d'aller chez eux, ou peut-être pas forcément d'aller chez eux, mais d'être en ligne avec eux ou pas ?

  • Speaker #1

    Ah non, ce n'est pas difficile. Pour trouver des joueurs, le premier moyen, c'est d'arriver dans une salle de classe à la rentrée et de dire Ok, qui joue à FIFA ici ? Et les mains se lèvent. Et on peut commencer à faire des blagues en disant Ok, donc ça, c'est ceux qui admettent jouer à FIFA, et ensuite, il y a ceux qui n'osent pas en parler devant les autres parce que ce n'est pas assez bien vu dans une formation en culture. Ce qui, évidemment, arrive. Et puis ensuite, de constituer un échantillonnage de proche en proche pour étendre ça dans les gens amis d'amis que je pouvais avoir. Ils ont tous plus ou moins joué à FIFA aussi. C'est vraiment quelque chose de très diffusé. Mais pour être complet... Et on verra aussi que c'est lié au mode de jeu que j'ai plus particulièrement étudié avec mes collègues, puisque c'est un travail qu'on a mené avec Loïc Comineau de l'université de Lorraine, Baptiste Cléré de l'université de Rouen, Catherine Atrizula de l'université de Lorraine, Sarah Maire de l'ISEG et Judith Vary de l'université de Rouen. Donc le problème c'était non pas de trouver des répondants Mais de trouver des répondantes qui jouent en mode compétitif

  • Speaker #0

    D'accord, et quand vous les interrogez là, vous allez chez eux ou ça se fait en ligne ?

  • Speaker #1

    Variable en fonction des périodes Sur la période confinement c'était évidemment beaucoup plus simple de faire en ligne En fonction des disponibilités des uns et des autres ça peut être des entretiens sur Teams Même si je ne suis pas fan, moi je trouve qu'il y a une difficulté Alors... Les gens se sont habitués à discuter en ligne, Teams, WhatsApp, etc. Mais je trouve que c'est beaucoup plus compliqué de gérer les tours de parole et les interactions non verbales dans ce contexte-là. Et puis quand je fais des entretiens en ligne, il me manque un truc. Il me manque le côté observation du lieu, observation et donc possibilité de relance sur la manière dont les choses sont organisées, où est placée la console, quel est le fauteuil pour jouer, est-ce que c'est sur un grand écran, est-ce que c'est sur un vidéoprojecteur, est-ce qu'il y a des gens qui traversent la salle, est-ce qu'il y a un chat qui peut vous sauter dessus pendant que vous êtes en train de faire un match, etc. que j'ai besoin de sentir et donc j'ai de ce point de vue-là plutôt besoin d'aller chez les gens, donc c'est ce que je fais quand c'est possible.

  • Speaker #0

    Tu disais l'e-sport, effectivement, comment ça peut être perçu comme une activité, vraiment quelque chose où les gens s'engagent véritablement dedans, quelque chose de sérieux. Et alors, qu'est-ce que tu as trouvé finalement ? comme résultat lié à ce premier objet de recherche ?

  • Speaker #1

    Ce qui nous a intéressé dans ce cadre-là, c'était plusieurs choses. C'était déjà de voir si on pouvait considérer ce type d'activité comme un loisir sérieux, donc un champ de recherche en sociologie des loisirs, et de regarder un petit peu quelles étaient les trajectoires d'engagement dans ce loisir sérieux. Déjà peut-être que pour commencer, il faudrait revenir sur ce que c'est ce module spécifique du jeu qui s'appelle FUT. qui est le mode du jeu, plutôt d'ailleurs que le module, qui est le mode du jeu FIFA qui correspond à la partie compétition en ligne. Parce qu'on peut jouer à FIFA de plein de manières différentes. On peut faire des matchs amicaux contre ses compains sur son canapé, à se chambrer les uns les autres en passant une soirée tranquille, en mangeant des pizzas pour être dans le stéréotype jusqu'au bout. On peut jouer solo, donc jouer solo et jouer au mode carrière, où on devient... Cristiano Ronaldo c'est un peu facile de devenir Cristiano Ronaldo ou Kylian Mbappé, on devrait un Renaud Garcia Bardiglia et on finit joueur du, non pas du PSG plutôt de Manchester United

  • Speaker #0

    Faut pas révéler tes préférences Non mais c'est toujours pas mes préférences

  • Speaker #1

    On va aller jusqu'au bout, on finit joueur de l'Olympique de Marseille et on emmène l'Olympique de Marseille en finale de la Ligue des Champions ce qui n'arrivera plus jamais en vrai Parce que c'est déjà arrivé ? Bien sûr, à jamais les premiers, on est les seuls à avoir gagné une Ligue des Champions en France, voyons. Il faut connaître l'histoire un peu. Donc d'emmener ce joueur-là au sommet des compétitions en augmentant plus progressivement ses différentes caractéristiques, en lui faisant changer de club, etc. Où on peut être entraîneur d'une équipe et jouer les matchs, et donc faire aussi toute la partie transfert, etc. Et sinon, on peut jouer à un mode du jeu où on joue en ligne contre des adversaires. avec des classements en fonction des résultats, donc une idée de compétition tout au long de l'année, tout au long d'une saison, sur laquelle vous pouvez, l'objectif c'est de monter en division 1 de l'ensemble des joueurs de ce mode, et de gagner des récompenses prestigieuses en participant aux compétitions qui ont lieu tous les week-ends, qui s'appelaient à l'époque les Fut Champions, je crois que là sur la dernière édition ça a changé de nom. Et donc dans ce mode là, on est là, Pour la compétition.

  • Speaker #0

    Mais on joue au football ou on est manager ?

  • Speaker #1

    On joue au football et on doit gérer son équipe. Pourquoi ? Parce qu'on ne joue pas avec des équipes existantes. On ne joue pas avec le Paris Saint-Germain. En revanche, on joue avec des cartes qui représentent des joueurs qui sont les joueurs réels et qui appartiennent donc à des équipes différentes. On peut avoir, on en reparlera, si on a des sous, on peut avoir un Kylian Mbappé avec un Neymar à côté, même si maintenant, en fait, on ne peut plus avoir le Neymar parce qu'il a changé de club, donc c'est moins intéressant. Mais on peut avoir un Kylian Mbappé, un Ousmane Dembélé, qui vont être des cartes qui vont être très intéressantes parce qu'elles sont... les joueurs sont très rapides et qu'ils sont très adroits, enfin un peu moins pour Ousmane Demele, mais en moins pour Kylian Mbappé, ils sont très adroits. Donc jouant avec ces cartes, il y a plus de chances lorsqu'on fait un tir qu'on arrive à mettre un but, que si on joue avec l'avant-centre actuel du FC Dijon, désolé les collègues, qui évidemment est sans doute pas très bon, mais existe quand même dans le jeu. Voilà. Et donc on construit son équipe en récupérant des cartes sous la forme de récompenses ou en achetant ces cartes sur un marché dédié ou en tirant au hasard ces cartes dans des packs qu'on peut acheter cette fois-ci avec de l'argent réel. Le marché dédié, c'est avec uniquement de l'argent qui s'appelle des crédits FIFA qui n'est pas convertible en euros ou en dollars par exemple. Et donc on construit cette équipe et ensuite on joue cette équipe contre des adversaires qui ont eux aussi construit une équipe. Et là c'est à la fois la qualité de l'équipe et la qualité technique qu'on a pour jouer, le skill comme disent les joueurs, qui va permettre normalement de gagner.

  • Speaker #0

    Donc là on imagine qu'il y a énormément de sentiments, d'émotions qui traversent le joueur quand il joue à fut. Tu disais hors antenne tout à l'heure, certains disent qu'ils jouent leur vie en fait.

  • Speaker #1

    Le point qui nous semble intéressant là-dedans, c'était justement de regarder comment on rentre dans cette idée ultra compétitive. Alors évidemment quand on regarde ça avec... Un regard de chercheur, beaucoup de facteurs qui peuvent jouer par rapport à ça. Le dispositif du jeu pousse à la compétition. Plus on joue, plus on gagne de matchs, plus on récupère de récompenses, plus on peut accumuler de ressources, soit des crédits, soit des cartes, qui vont être utilisées pour finir par obtenir, mieux que le Kilian Mbappé, un bon petit Maradona. puisqu'il y a des cartes icônes des joueurs qui sont disparues aussi. Donc un bon petit Maradona, mais qui coûte hyper cher. Mais qu'est-ce qu'il est bon ! Donc plus on rentre là-dedans, on est poussé par le dispositif. Pour s'engager de plus en plus, on reviendra sur d'autres mécanismes qui sont intéressants d'un point de vue de structure du marché. L'autre point qui amène à être plus compétitif, c'est évidemment les dispositions qu'on a construites préalablement en dehors du jeu. Alors dispositions qu'on a pu... construire par exemple dans le foot, ceux qui ont joué de manière plus compétitive recherchent cet aspect compétition pour le retrouver à l'intérieur du jeu, sachant que pour des effets de cycle de vie par exemple, ils ne peuvent plus jouer au foot autant qu'avant et que donc du coup ça devient une sorte de substitution. On a par exemple des trajectoires de joueurs qui sont intéressantes, qui sont des gens qui ont joué beaucoup au foot à bon niveau, niveau régional voire parfois centre de formation, qui arrivent à 15 ans en centre de formation, se pètent le genou, Voilà, se font les croisés, ne peuvent plus jouer et qui cherchent un genre de palliatif, une substitution par rapport à ça et se mettent à jouer à FIFA comme des bourrins. Pour retrouver cet aspect compétitif, c'est monter d'adrénaline qui correspond à cette émotion forte dans le jeu. Et j'ai en tête un exemple d'un des joueurs professionnels de FIFA que j'ai rencontré dans cette étude, qui joue en équipe de France de FIFA, parce qu'il y a une équipe de France de FIFA évidemment, comme il y a des clubs de football pro qui ont monté des équipes professionnelles, que ce soit le PSG, Monaco ou Lyon par exemple. Et donc lui c'était typiquement sa trajectoire Super bon joueur de foot, centre de formation, les croisés, se met à FIFA Accroche, se dit qu'il ne pourra plus rejouer au niveau mais qu'il peut devenir au niveau à FIFA Donc joue à fut, finit par devenir sélectionné en équipe de France et rejoue au foot Mais là pour le côté plaisir, en dehors de son métier de joueur professionnel Avec ses copains en départemental Donc on a des dispositions, on a un dispositif. Alors ces dispositions, évidemment, on pense au foot, mais le côté compétitif, on peut l'acquérir aussi dans d'autres sphères de la vie sociale. On s'est amusé à diversifier l'échantillon chez les jeunes en fonction de leur type d'études. Et pour regarder si, ce qu'on sait en sociologie, ces dispositions d'ascétisme et de compétition, qui sont construites par exemple en classe prépa, ressortent plus fortement dans les usages de FIFA que chez des gens qui ont fait des Alain et l'EL3 à l'université, ce qui amène moins à avoir ce côté compétitif, et évidemment on les retrouve. On les retrouvait aussi plus facilement en STAPS qu'en sciences de l'éducation.

  • Speaker #0

    Oui, très intéressant. Et est-ce qu'il y a aussi des émotions négatives qui ressortent quand on joue justement à la pub ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la partie expérientielle qui nous intéressait particulièrement dans le jeu. L'expérience que les joueurs ont de FIFA est une expérience qui est très ambivalente. Ils sont passionnés. ils sont passionnés et ils s'investissent pour ceux qui jouent à fut énormément. Pour vous donner un petit peu un ordre de grandeur, je vous disais tout à l'heure qu'il y avait des compétitions le week-end, les fut champions. Les fut champions, au moment où on fait notre étude, ce sont des compétitions dans lesquelles on peut se qualifier si on a collecté un certain nombre de points dans la semaine. Donc si on a remporté un certain nombre de victoires dans la semaine. Donc ça veut dire qu'on a déjà fait plein de matchs dans la semaine. Et pour faire cette compétition, on doit... Ensuite, faire 30 matchs du vendredi soir au dimanche soir. 30 matchs plus la gestion de l'équipe, plus les autres matchs pour les autres objectifs, c'est entre 10 et 15 heures de jeux vidéo du vendredi soir au dimanche soir. Donc, il faut être à fond. Quand on fait ces 30 matchs d'affilée, ça veut dire qu'on est très fortement engagé. Si on est très fortement engagé, les émotions qu'on va avoir pendant le match sont évidemment exacerbées. Et pour réussir à faire ces 30 matchs, on joue contre des adversaires, l'objectif c'est de gagner. Tous les moyens sont bons, on vous rappelle les gens jouent leur vie. Donc si tous les moyens sont bons, ça veut dire que pour gagner on peut prendre un ascendant psychologique sur l'autre. Donc on peut essayer de faire tout ce qu'il est possible pour déstabiliser l'adversaire. Gagner 1-0. et refuser de jouer, et attendre, et garder la balle à côté du poteau de corner, jusqu'à ce que l'autre s'énerve, efface une faute, et continuer, parce qu'après tout, si on mène à zéro, c'est pas la peine de jouer vraiment, jusqu'à ce que les gens s'énervent, et ce qu'on appelle rage quit C'est-à-dire décide d'abandonner le match. Ou alors on peut décider, si l'adversaire est moins bon que nous, de ne pas gagner 1-0 et de tranquillement attendre la fin du match, mais de gagner le plus rapidement 3-0, 4-0, 5-0, pour que l'autre soit tellement ulcéré. de se faire humilier ou de se sentir humilié, qu'il décide d'arrêter le match non pas au bout des 15 minutes ou 20 minutes de jeu, mais juste au bout de 3 minutes parce qu'il en est déjà à 6-0 et que ça ne sert à rien.

  • Speaker #0

    Victoire par KO.

  • Speaker #1

    Victoire par KO. L'avantage des victoires par KO, si les gens abandonnent, c'est qu'évidemment pour faire vos 30 matchs dans le week-end, ça va beaucoup plus vite. Donc on a tout un tas de techniques pour essayer de faire péter les plans à l'autre pour qu'il rage quit. Donc ça veut dire qu'en retour, on a des émotions négatives qui sont hyper fortes. Et quand on a ces émotions négatives qui sont hyper fortes sur un week-end avec beaucoup d'intensité, beaucoup d'engagement et surtout une très forte juxtaposition des matchs, on finit par péter un câble. Donc ces émotions négatives, nous on les a regardées non pas sur leur aspect purement négatif, parce qu'après tout, qu'est-ce que ça veut dire qu'une émotion négative ? On est parti du principe qu'il fallait un peu déconstruire ça, et on les a plutôt regardées comme des occasions d'apprendre une forme de contrôle de soi par la consommation et par le jeu. C'est là où on a développé des travaux, notamment avec Judith qui est en sciences de l'éducation, sur des aspects de socialisation genrée au contrôle de soi, donc de socialisation masculine au contrôle de soi dans le cadre des pratiques vidéoludiques.

  • Speaker #0

    Il y a d'autres choses que vous avez identifiées dans vos recherches. C'est aussi des compétences liées à des domaines auxquels on n'aurait pas pensé quand on pense à FIFA, qui sont liées à de la comptabilité, à de la finance aussi, donc à des manières finalement de compter et d'être proche de ce qu'on fait quand on est comptable ou quand on est financier.

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est la magie du terrain. Alors évidemment je triche un petit peu parce que même si on a fait le terrain principalement sur le FIFA 19, moi j'avais déjà joué un peu au FIFA 17. Donc je voyais un petit peu ça et je m'étais dit que ça pouvait être une thématique intéressante. Mais la magie du terrain, c'est de partir avec cette idée qu'on va regarder le mélange entre sport et jeux vidéo pour voir ce qu'est l'e-sport en termes de pratiques. Et puis de se rendre compte que dans les pratiques des consommateurs, on a un aspect qu'on n'avait pas forcément décidé de creuser qui est central. Et il se trouve que sur FIFA, sur FUT, il y a un aspect qui est central qui est la pratique dite d'achat-revente. Donc je vous rappelle, pour gagner, il faut être soit très bon, soit avoir de très bonnes cartes. Donc je ne sais pas, moi par exemple, j'avais un Emmanuel Petit. Et oui, je parle aux anciens. J'avais un Emmanuel Petit qui était merveilleux comme milieu de terrain parce qu'il était tellement imposant qu'il arrivait, même si je n'étais pas trop bon, à piquer généralement la balle aux autres milieux de terrain de l'équipe adverse. Et cet Emmanuel Petit, pour l'obtenir, il a fallu que je passe un temps flou. à collecter des cartes, à faire des défis au sein du jeu, et donc à devoir acheter et revendre un certain nombre de cartes sur le marché pour collecter toutes les pièces du puzzle qui à la fin allaient me donner mon Emmanuel Petit. Et donc voyant ça, j'ai commencé à me renseigner, on a commencé à essayer de creuser ces pratiques qui étaient des pratiques de trading.

  • Speaker #0

    Des jeunes joueurs presque.

  • Speaker #1

    Plutôt de spéculateurs purs et durs sur un marché qui est un marché assez amusant. C'est quoi ce marché ? C'est un marché des cartes qui sont revendues par les joueurs. parce qu'ils n'en veulent plus, parce qu'ils ont envie de revendre pour faire un gain, et des cartes qui vont être achetées par d'autres joueurs. Pour vous donner une idée du volume, au moment où on fait ça, il y a trois serveurs. Les serveurs sont répartis par console, il y a un serveur, d'ailleurs console et ordinateur, il y a le serveur PC, le serveur PlayStation, le serveur Xbox et le serveur Switch. Donc moi j'étais sur Xbox. et la masse de cartes qui est revendue au plus fort, ça doit être quelque chose comme 10 millions de cartes. Donc ça fait quand même un beau volume d'affaires potentiel. Et alors que font les gens ? Ils essayent d'acheter des cartes, on va reprendre l'exemple d'Embelé, des cartes d'Embelé les moins chères possibles pour les revendre ensuite à d'autres un peu plus chères, sachant que l'éditeur prend une commission fictive, parce que ce n'est pas de l'argent réel, c'est des crédits à l'intérieur du jeu, une commission de 5% sur toutes les transactions. Donc le jeu devient pour une partie des joueurs, pour essayer d'accueillir des meilleures cartes et donc de compenser leur niveau vis-à-vis d'autres, d'être à l'affût de toutes les bonnes affaires, de développer des techniques d'achat et des techniques de revente avec marge sur ces cartes. Jusque là, on va me dire, pas trop compliqué. Sauf que pour que l'intérêt pour le jeu soit fort, l'éditeur a tout intérêt à faire deux choses. d'un point de vue de marketing. La première chose, c'est d'engager au maximum les joueurs. Pour engager au maximum les joueurs, il faut qu'il y ait un maximum de récompenses sous la forme d'objectifs quotidiens, d'objectifs hebdomadaires, d'objectifs mensuels et d'objectifs annuels.

  • Speaker #0

    Un objectif de...

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous devez marquer 5 buts et si vous marquez 5 buts, vous avez le droit à 100 crédits. Cette semaine, vous devez gagner 5 matchs avec 11 joueurs qui soient anglais. Donc, il faut acheter les cartes. Pour avoir cette équipe de joueurs anglais,

  • Speaker #0

    Donc des défis multiples.

  • Speaker #1

    Voilà, des défis de toutes sortes. S'il faut acheter ces cartes pour avoir les 11 joueurs anglais, ça doit vouloir dire quand même que cette semaine, les prix des cartes anglaises doivent être particulièrement hauts. Bien malin ceux qui avaient soit eu un leak, puisqu'il y a des leaks sur Discord pour savoir et anticiper, soit ceux qui avaient prévu que ça faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu des défis sur les anglais et qui se disent hop je fais mes défis et ensuite je revends mes cartes vraiment très chères par rapport à ce que...

  • Speaker #0

    Il y a vraiment les délits d'initié aussi sur...

  • Speaker #1

    Il y a tout un écosystème dont on parlera tout à l'heure qui outille en fait cette pratique de l'achat-revente aussi bien en termes de tutos sur YouTube que de vidéos sur Twitch, que de blogs et de forums qui discutent des bonnes manières de faire de la spéculation. que de sites dédiés qui font des graphiques, des courbes de la valeur des joueurs en temps réel pour essayer de prévoir les marqués de crash.

  • Speaker #0

    Effectivement, il y a donc tout un tas de compétences financières qui sont développées.

  • Speaker #1

    Et donc l'éditeur a tout intérêt à ce que tout le monde continue à jouer. Donc il faut éviter les rentes de position en quelque sorte. Pour éviter les rentes de position sur les cartes, il y a un calendrier d'événements sur FUT qui à chaque fois donne lieu à une sortie de nouvelles cartes. qui sont sur les mêmes joueurs que ceux qui sont déjà présents, mais avec des cartes qui vont être légèrement plus fortes que celles qui existaient jusqu'à présent. Donc il y a des équipes de la semaine, il y a des cartes dédiées pour Halloween, il y a des cartes dédiées pour la Saint-Patrick, et il y a les équipes de l'année où là les cartes sont au maximum de ce qui est possible. A chaque fois qu'il y a des nouvelles sorties, il y a des effondrements sur les cartes précédentes des mêmes joueurs. Et donc le grand jeu pour une partie des joueurs c'est d'essayer de prévoir ces markets crash en fonction des graphiques des markets crash des années précédentes.

  • Speaker #0

    On comprend bien du coup effectivement tous les ressorts financiers, toutes les compétences que ces gens acquièrent. Et finalement, quand tu as agrégé toutes ces données, ça te donne envie de chercher dans quelle direction maintenant ? Quels sont finalement les prolongements que tu peux imaginer de ces recherches ?

  • Speaker #1

    Là, on voudrait déjà finir cette partie sur le développement de pratiques et ou de compétences de comptabilité et de contrôle qu'on appelle indigènes, celles qui sont développées sur le terrain. pour pouvoir voir un petit peu les écarts qu'il y a par rapport à des pratiques comptables plus normées. Et puis surtout les dispositions qui sont nécessaires par rapport à ça. Alors on a dans nos entretiens par exemple pas mal d'entretiens avec des gens qui ont fait ou qui sont en école de commerce et qui voient bien les liens qui sont faits par rapport à leurs cours, la manière dont ils mobilisent ça, le type de discours qu'ils utilisent, le type de compétences qu'ils ont. Et puis de les comparer avec des gens qui ont appris par autodidactie. Donc de manière autodidacte ou en utilisant des tutoriels sur YouTube qui vont encore une fois aussi bien de cours de comptabilité en tant que tel ou de cours d'analyse financière en tant que tel avec le vocabulaire dédié, celui qu'on aurait dans nos cours, à des interventions en mode wesh frérot, si tu veux gagner de la maille, il faut que tu fasses la tech 59 et donc de regarder comment ces compétences se traduisent en fonction des types de publics et des types de communautés de joueurs qui sont concernés.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'effectivement, dans les jeux vidéo, on se rend compte qu'il y a tout un tas de compétences qui sont développées. Et ça, je crois que tu prolonges aussi, tu l'appliques maintenant dans d'autres jeux que fut.

  • Speaker #1

    Oui, alors l'idée qu'il y a derrière, c'est d'opérer, vous l'aurez compris, un renversement. Le jeu vidéo est un ensemble de pratiques particulièrement dénigrés dans la société. Je vous rappelle que si les gens font des meurtres de masse, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Si les gens sont complètement addicts, c'est parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. S'ils sont désocialisés, c'est aussi parce qu'ils jouent à des jeux vidéo. Donc au final, l'ensemble des tares de cette terre sont liés au fait que les gens jouent à des jeux vidéo. Et donc nous, ce qui nous intéressait, sans nier d'ailleurs une partie de ces tares, puisque c'est un peu plus compliqué que ça évidemment, c'est d'essayer de nuancer ce propos en regardant aussi le jeu vidéo comme un mode de socialisation à autre chose. Alors forcément, ça s'inscrit dans une... Dans une approche qui est très dispositionnaliste et contextualiste, qui part du principe qu'on peut apprendre ou qu'on acquiert des dispositions et des compétences dans n'importe quel type de contexte, et que la vraie question, c'est plutôt de savoir comment ces dispositions ou ces compétences sont actualisées dans d'autres contextes, et si c'est facile ou pas de les transférer. Donc on est en train de mener, avec Kenza Gana qui est doctorante au CREGO, Un peu le même type de boulot sur les jeux vidéo à contenu historique, sur un jeu qui s'appelle Assassin's Creed, j'espère que vous connaissez, mais pour le faire en version rapide, c'est un jeu d'assassin qui fait de l'infiltration et qui a une mission d'assassinat et qui doit mener cette mission d'assassinat, en fonction des éditions, je crois qu'on en est à la 13ème ou un truc comme ça, dans des décors qui sont différents, donc l'Antiquité, le monde des Vikings... la Terre Sainte lors de la troisième croisade, c'est précis, la Révolution française à Paris, et ce qui nous intéresse c'est de regarder comment...

  • Speaker #0

    L'appétence pour l'histoire qui a été construite ailleurs préconfigure d'une certaine manière les pratiques ou en tout cas les usages de ce jeu et donc les expériences de ce jeu et comment ce jeu participe en retour à la construction d'un goût pour l'histoire, de connaissances historiques qui peuvent d'ailleurs venir compléter ou poser problème vis-à-vis des connaissances qui sont développées dans les cours, dans le parcours scolaire. Et comment tout ça constitue d'une pratique plus générale de l'histoire passant aussi par les jeux vidéo. Donc c'est une optique qui essaie de regarder comment on peut transférer ou pas des connaissances et des compétences et des manières de faire, de sentir, d'être d'un contexte à un autre. Ce qui mine de rien est une vraie question pour nous en tant qu'enseignants-chercheurs et en tant qu'enseignants. Pourquoi ? Parce que vous comme moi, lorsque vous regardez les loisirs des étudiants en sélection en master, quand vous voyez jeux vidéo, enfin non, moi non. Moi je me dis, ah, voyons ce qu'il en a tiré. Je ne me dis pas, ah, encore un étudiant qui ne va me parler que de jeux vidéo. Lorsqu'on est dans une guilde de joueurs version MMORPG,

  • Speaker #1

    c'est quoi ça pour les gens qui...

  • Speaker #0

    Les jeux massivement multijoueurs, qui sont en fait des jeux de rôle type donjon et dragon, mais étendus dans ce type d'univers, mais dans le jeu vidéo. Donc là aussi, on a des missions, qui s'appellent souvent des quêtes d'ailleurs, qu'on ne peut remplir que si on a une équipe constituée. Et mine de rien, cette équipe, il faut la constituer. Et une fois qu'elle est constituée, il faut l'organiser. Et une fois qu'elle est organisée, il faut essayer de la coordonner pendant la mission, pendant la quête, pour que la mission soit bien remplie. Et il faut savoir gérer les égaux des joueurs. Et ceux qui voulaient jouer cette partie-là du jeu et pas cette partie, et qui pensaient qu'on aurait dû attaquer par la droite et pas attaquer par la gauche. Et donc ça, ce sont des compétences de management. qui sont clairement construites dans le cadre du jeu et qu'on a du mal souvent à reconnaître parce que cette pratique n'est pas considérée comme légitime à nos yeux d'enseignant-chercheur.

  • Speaker #1

    Très bien, merci beaucoup. Le jeu vidéo comme apprentissage des ressources humaines, de la comptabilité, de la finance, du marketing, de l'histoire aussi. Et du foot. Et du foot. Merci beaucoup Renaud. Merci à toi,

  • Speaker #0

    merci à vous. Au revoir.

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