- Speaker #0
L'eau, c'est la vie. L'eau, c'est surtout ce qui anime Charlène Descolonges, hydrologue aux multiples casquettes. Avec douceur et conviction, Charlène nous emmène avec elle comprendre ce qui se joue autour de l'eau. Quelles sont les grandes notions à avoir en tête ? Qu'est-ce qu'on a déréglé concrètement ? Qui est touché aujourd'hui ? Cette conversation, c'est aussi un regard sur les multiples conséquences de la sécheresse, avec comme exemple la sécheresse de 2022 qui a marqué les esprits et en dit long sur ce qui nous attend. Enfin, à la question du futur désirable, la réponse de Charlène est très claire. Un territoire qui a su régénérer son cycle de l'eau. Une conversation riche, concrète, inspirante, qui je suis sûre va vous en apprendre beaucoup. C'est parti ! Bonjour Charlène !
- Speaker #1
Bonjour !
- Speaker #0
Merci beaucoup d'être avec moi aujourd'hui. Je suis très contente parce que tu le sais peut-être pas, mais en fait on relance aujourd'hui une nouvelle saison de Décidement un futur désirable. Et donc commencez avec toi, je suis hyper impatiente de voir ce que tu as à nous raconter.
- Speaker #1
Merci pour l'accueil !
- Speaker #0
Avec grand plaisir ! Donc Charlène, tu es ingénieure... hydrologue, tu as piloté des études sur le partage de la ressource en eau, la gestion stratégique et la gouvernance de l'eau pour notamment les collectivités locales. Tu es consultante, conférencière et auteure de l'eau fake or not, et tu es cofondatrice de l'association pour une hydrologie régénératrice. Et en plus, tu te définis comme engagée pour préserver l'eau et l'ensemble du vivant. Est-ce que j'ai bien parlé de toutes tes casquettes ?
- Speaker #1
Oui. Super.
- Speaker #0
Et bien, je te propose de vraiment... commencer en rentrant dans le cœur du sujet avec une approche historique. Est-ce que tu peux, en trois minutes, nous expliquer comment a évolué notre rapport à l'eau ?
- Speaker #1
En trois minutes, on va faire dix mille ans d'histoire. En fait, les villes se sont construites autour d'un point d'eau, d'une rivière, d'une source, d'une nappe. En fait, on voit dans la géographie et l'histoire de l'humanité que l'homme a eu besoin d'eau pour se développer. et Rome notamment s'est développé avec le réseau d'assainissement qui s'appelait la Cloaca Maxima et qui était le plus vieux réseau connu à ce jour d'assainissement à d'une telle ampleur et en fait c'est grâce à l'assainissement que Rome a pu se développer donc en fait notre rapport à l'eau il est comme il a été avec les Romains un rapport de contrôle, de maîtrise de l'hydraulique et en fait dès qu'on a besoin on a besoin de l'eau de développer nos villes, nos économies, on a besoin d'eau et on a besoin de la cheminer, de la contrôler, de l'évacuer aussi le plus loin possible. Donc je pense que ce rapport à l'eau a toujours été historiquement un rapport de contrôle, de maîtrise, d'aller la chercher, parfois très loin, de la cheminer sur de longues distances et de l'évacuer le plus loin possible. Aujourd'hui, on en est toujours au même point.
- Speaker #0
Ok ! Donc finalement les romains nous ont laissé un héritage assez fort qu'on a continué de développer ?
- Speaker #1
Oui et qu'on continuera, on l'évoquera comment mais on accélère en fait ce grand cycle de l'eau, ce rapport là et encore plus un rapport de contrôle et avec toutes les nouvelles technologies en fait on est dans un processus d'accélération de ce circuit de l'eau.
- Speaker #0
Ok justement je te propose peut-être de parler de ce cycle de l'eau, c'est une notion qu'on a un peu tous vu à l'école à un moment. Ça remonte un peu. Est-ce que tu peux nous replanter le décor ? Quel est ce mécanisme ? Comment il fonctionne ? Alors,
- Speaker #1
ce fameux cycle de l'eau naturelle qu'on a appris à l'école est complètement utopique. Ah bon ? Ok. En fait, il n'existe pas. En fait, c'est le résultat d'une étude internationale qui montre que sur plus de 500 schémas, on ne représente pas notre interaction, l'interaction des activités humaines sur ce cycle de l'eau. Et donc, même nous... En hydrologie, quand on mesure les débits dans les cours d'eau, ces débits sont influencés par les activités humaines. Je vais l'expliquer après. Mais ce cycle de l'eau est naturellement celui qu'on a tous après l'école. L'eau s'évapore des océans, précipite sur les continents, précipite sous forme de pluie ou de neige, va ruisseler ou s'infiltrer, recharger les nappes, parcourir les cours d'eau qui vont drainer les territoires et retourner à la mer. Voilà, donc en fait, ça n'existe pas. Parce qu'on est dans des sociétés qui contrôlent ce cycle de l'eau, à commencer par l'eau qui s'évapore. L'eau qui s'évapore avec... Toutes les cultures dont on a besoin pour produire notre alimentation nécessitent de l'eau. Donc essentiellement de l'eau de pluie, c'est ce qu'on appelle l'agriculture pluviale. Mais on se rend dépendant de la pluie pour produire notre alimentation. Quand la pluie ne suffit pas, là on irrigue. Quand on déforeste aussi, on influence cette évaporation. On appelle ça de l'évapotranspiration. Donc, c'est le végétal qui transpire.
- Speaker #0
Les arbres,
- Speaker #1
etc. Les arbres, comme nous, ont besoin de réguler leur température. Donc, ils évapotranspirent. Et ensuite, on a toutes nos interactions par rapport à l'eau bleue, qui est l'eau contenue dans les nappes, dans les rivières, dans les lacs. Et là, dès qu'on va construire un barrage, dès qu'on va pomper de l'eau, dès qu'on va... la canaliser ou construire des canaux de dérivation, etc. Là, on influence le régime d'écoulement des eaux, des cours d'eau. Tout ça va avoir des impacts. Ensuite, on parle des pollutions. Là, c'est la famille des eaux grises, les trois couleurs de l'eau, eau verte, eau bleue, eau grise.
- Speaker #0
Et donc, juste les eaux vertes, c'est la culture ? Les eaux vertes,
- Speaker #1
l'évapotranspiration. L'évapotranspiration. Dans l'eau verte, il y a... Deux gros impacts, en fait. Dès qu'on change la couverture et l'usage des sols, dès qu'on s'approprie l'humidité du sol, que ce soit pour l'agriculture, que la déforestation ou la culture de forêt ou l'exploitation d'une mine, l'étalement urbain, tout ça, ça va influencer l'humidité du sol. Donc ça, c'est ce qu'on appelle l'eau verte. Et l'eau verte, l'eau bleue, l'eau grise, c'est ce qu'on appelle l'empreinte eau. Et maintenant, il y a le changement climatique qui... est un peu une nouvelle donne dans tout ça. Jusqu'à maintenant, on influençait ce cycle de l'eau sans le changement climatique depuis des décennies, des centaines d'années. Et là, le changement climatique va montrer, en fait, révéler toutes nos interdépendances avec ce grand cycle de l'eau à travers ces trois couleurs, l'eau verte, l'eau bleue, l'eau grise. L'étude qui montre qu'on a une perception erronée de ce cycle de l'eau, ou en tout cas partielle, c'est une étude qui conclut sur ce chiffre 24 000 milliards de mètres cubes d'eau par an c'est l'empreinte eau totale de l'humanité annuelle, donc 24 000 milliards de mètres cubes d'eau c'est l'équivalent de la moitié des débits qui s'évacuent des fleuves aux océans c'est comme si on prenait tous les fleuves des fleuves de la planète on en prenait la moitié en termes de volume d'eau et on disait ça c'est pour l'humanité c'est pour produire notre électricité, pour produire notre alimentation, nos vêtements, absolument tous nos produits qui nécessitent de l'eau. Donc l'empreinte eau, c'est quelque chose de fondamental, parce que ça montre à quel point on est dépendant de cette ressource pour absolument tout. Même, j'allais dire, pour la crypto-monnaie. Ça, c'est un truc de fou, mais pour refroidir les data centers, pour créer la monnaie, on a besoin d'énergie, on a besoin d'eau aussi pour ça.
- Speaker #0
Ça me fait penser notamment dans l'eau fake or not, tu évoques 4900 litres. Si je ne me trompe pas, comme étant l'empreinte eau dans le français, c'est ça. Et ça me paraît absolument énorme.
- Speaker #1
Et oui, en fait, l'eau visible qu'on utilise tous à la maison, c'est 150 litres d'eau par jour, un peu moins, 146. Et l'empreinte eau quotidienne, c'est effectivement de l'ordre de 5000 litres. Et dans ces 5000 litres, je ne compte pas toute l'empreinte eau énergétique, justement, pour fabriquer notre électricité, etc. Dans ces 5000 litres, il y a... l'eau pour produire nos objets du quotidien. Un smartphone, c'est 12 000 litres. Un jean, c'est 11 000 litres. Et un kilo de bœuf, c'est 15 000 litres d'eau. En fait, quand on fait la somme de tout ça, on se rend compte que 85 de ces 5 000 litres quotidiens sont directement liés à notre alimentation. L'essentiel est lié à notre alimentation. Et en fait, on importe beaucoup d'eau virtuelle à travers tous les produits importés des pays étrangers.
- Speaker #0
Effectivement, c'est absolument énorme. 85 Ça dépend de l'agriculture et de notre alimentation. Si on rebondit sur un point qui est l'empreinte eau et le rapport à l'énergie, je pense que ce n'est pas très intuitif pour tout le monde de comprendre ce lien. Est-ce que tu peux nous en parler entre eau et énergie ?
- Speaker #1
Alors, on utilise beaucoup d'eau pour l'énergie. Et ça, c'est une particularité française aussi. Autant dans le monde, on prélève beaucoup d'eau essentiellement pour l'agriculture. 70% c'est pour l'agriculture, l'irrigation. Et en fait, en France, sur les 32 milliards de mètres cubes d'eau qu'on prélève chaque année, on en utilise 50%. 16 milliards de mètres cubes d'eau chaque année sont utilisés pour refroidir nos centrales électriques, et en particulier les centrales nucléaires, et en particulier les centrales nucléaires en circuit ouvert. C'est-à-dire celles qui prélèvent beaucoup d'eau et qui en rejettent 98%, à la différence des centrales en circuit fermé qui... prélèvent de l'eau mais qui en consomment jusqu'à 40% via les tours aéro-réfrigérantes. Le fameux panache de vapeur d'eau qu'on voit sur ces centrales, ça c'est des circuits fermés. Donc elles consomment de l'eau mais elles en prélèvent moins. En fait, les centrales en circuit ouvert, elles sont concentrées sur le Rhône, parce que le Rhône est un fleuve français le plus pourvu en eau, avec les glaciers. Et on a de l'eau fraîche relativement abondante, donc on a construit ces centrales nucléaires historiquement sur l'axe du Rhône. Donc tout ça pour dire qu'en fait, on a besoin d'eau pour faire de l'énergie, surtout en France, quand on a cette particularité nucléaire. Mais on pourrait dire la même chose pour l'hydroélectricité. On pourrait dire aussi la même chose pour les énergies fossiles.
- Speaker #0
L'exploration pétrolière,
- Speaker #1
j'avoue que c'est flagrant. Parce qu'on n'a pas de puits de pétrole en France, mais en fait, les puits de pétrole, au départ, les premières années d'exploitation des puits de pétrole, le pétrole jaillit quasi naturellement. Il remonte à la surface comme ça par pression. À un moment donné, les réserves vont baisser et il va falloir injecter de l'eau. Le meilleur liquide qu'on peut utiliser pour pousser le pétrole à sortir du puits est d'injecter de l'eau. Et donc, on remarque que plus les réserves en pétrole s'amenuisent, plus on a besoin d'eau pour faire sortir les dernières gouttes.
- Speaker #0
On voit du coup cette dépendance forte entre l'eau et l'énergie. Tu nous disais que la moitié de la consommation d'eau française est réalisée par notamment le refroidissement des centrales nucléaires. Qui sont les autres gros acteurs qui utilisent ces 16 milliards restants ?
- Speaker #1
Alors, le nucléaire n'est pas le principal consommateur. Il faut vraiment faire cette distinction entre prélèvement et consommation. Quand on prélève de l'eau, en fait, on peut en rejeter. dans le milieu dans lequel on l'a prélevée. Dans le cas des centrales nucléaires, elles rejettent l'essentiel de ce qu'elles prélèvent. Par contre, les consommations, c'est-à-dire qu'on consomme véritablement de l'eau, l'eau ne retourne pas dans le milieu naturel qu'on a sollicité au départ.
- Speaker #0
Et pourquoi cette notion est particulièrement importante ?
- Speaker #1
Parce qu'elle est importante en temps de sécheresse, au cours de l'été, quand les rivières sont basses. Les consommations les plus importantes au cours de l'été, ce sont... essentiellement les agriculteurs, parce que l'eau qui est utilisée par l'agriculture est consommée par irrigation. Toute l'eau qui est prélevée pour irriguer les cultures est évapotranspirée par le végétal, repart dans l'atmosphère et ne retourne pas dans le milieu naturel.
- Speaker #0
Donc elle n'a pas le temps, en quelque sorte, de redescendre, elle est directement évapotranspirée. Oui,
- Speaker #1
elle est évapotranspirée, elle repart dans l'atmosphère. Alors, une partie peut rester sur le bassin versant en précipitant, mais... l'essentiel repart dans l'atmosphère et repart précipiter plus loin.
- Speaker #0
Et donc ça, c'est caractéristique des périodes de sécheresse.
- Speaker #1
C'est ça. En fait, c'est pour ça que c'est important de distinguer prélèvements en consommation et de distinguer aussi l'espace temporel, c'est-à-dire la période à laquelle on se place pour regarder les déficits d'eau. Les déficits d'eau, ils sont chez nous, nos latitudes en été. Et il faut regarder les besoins en eau les plus importants au cours de l'été, c'est essentiellement... pour l'agriculture. Et l'agriculture, en plus de ça, consomme toute l'eau qu'elle prélève.
- Speaker #0
C'est un sujet intéressant. Selon toi, je ne sais pas s'il y a de meilleurs moments pour regarder l'état des nappes phréatiques. Mais du coup, j'imagine qu'entre les regarder en plein hiver et en plein été, on n'a pas les mêmes informations. Qu'est-ce qui va être intéressant et qu'est-ce que ça nous en dit ?
- Speaker #1
Alors, ce qui est intéressant, c'est de voir que la dynamique des rivières et la dynamique des nappes... n'est pas forcément, n'est pas pareil, n'est pas la même toute l'année. Alors déjà, la dynamique des rivières en France, on en a plusieurs types. Il y a les rivières influencées par les glaces, les glaciers, les rivières influencées par les neiges, essentiellement les rivières influencées par les pluies. C'est la plupart des cours d'eau qui sont sur le territoire français. Et ensuite, donc on a des périodes de haute eau, des périodes de bas eau. Et pour les nappes, en fait, c'est un peu décorrélé. C'est-à-dire que la recharge des nappes, elle s'effectue en période de octobre à mars. Passée cette période, l'eau de pluie qui va arriver à la surface d'un sol va être évapotranspirée par le végétal. En fait, les arbres se remettent à faire la photosynthèse, ont besoin d'eau, donc l'eau repart dans l'atmosphère et ne s'infiltre pas profondément pour recharger les nappes. Donc en fait, notre période de tir, entre guillemets, pour recharger les nappes, elle est concentrée sur l'hiver. Et aujourd'hui, Donc là, à l'heure où on se part, on est en février. On ne peut pas encore véritablement dire si les nappes se sont rechargées. Ok,
- Speaker #0
on le saura plus. On le saura à la fin du printemps.
- Speaker #1
Voilà, au début du printemps déjà. Quand la phase végétative va se réactiver.
- Speaker #0
Ok, bah écoute, c'est hyper intéressant d'avoir ces notions entre la différence entre prélèvement, consommation et ces insights, j'ai envie de dire aussi, sur le rechargement des nappes. On a un petit peu fait une digression là, mais je pense que ça valait vraiment le coup. Ma question à l'origine, c'était de comprendre aussi quels sont les grands acteurs, à part la production d'énergie, qui en France nous demandent beaucoup d'eau. J'ai compris que l'agriculture était très gourmande en eau exactement. De qui on parle concrètement et on parle de quelle répartition ?
- Speaker #1
Sur l'ensemble des usages ou tu ? Tu parles des agriculteurs ?
- Speaker #0
Pardon, l'ensemble des usages à l'échelle des différentes industries.
- Speaker #1
Ok. Alors, c'est une grosse moyenne en France. Donc, dans les 32 milliards de mètres cubes d'eau, je disais, on prélève la moitié pour les centrales nucléaires, essentiellement les centrales en circuit ouvert. Ensuite vient l'utilisation pour l'eau potable. Et ensuite vient les besoins en eau pour... alimenter les canaux de dérivation, surtout dans le nord de la France, quand on a tous les canaux pour le transport fluvial, on a besoin d'eau pour ça. Et ensuite vient l'industrie, 9% à peu près, et l'agriculture, 8%. Ça, c'est que les prélèvements.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Et quand on parle des consommations, là, 58%, c'est pour l'agriculture. Ensuite, on a de mémoire, je crois que c'est 19% pour l'eau potable. Les centrales nucléaires par évaporation, donc en circuit fermé. Et ensuite, les industries. Et en fait, ces chiffres-là ne veulent rien dire parce qu'il faut se placer à l'échelle d'un territoire.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Parce que d'un territoire à un autre, on n'a pas du tout les mêmes usages, on n'a pas du tout les mêmes répartitions entre les usages. Par exemple, là, dans les montagnes, le bassin de l'Arve, en Haute-Savoie, on n'a pas de centrales nucléaires. C'est essentiellement de l'eau potable, l'utilisation principale. Par contre, quand on descend... Un peu le long du Rhône, là, ça va être le nucléaire. Quand on va se placer dans le sud-ouest de la France, le principal consommateur en eau, ça va être l'irrigation agricole, ça va être les agriculteurs. Et cela dit, il y a la dimension spatiale et la dimension, encore une fois, temporelle, en se plaçant autour de la période là où il y a le moins d'eau. Et en fait, les conflits d'usage, quand on parle de conflits d'usage et de partage de l'eau, il faut regarder à la fois cette dimension spatiale, temporelle, et faire la distinction entre prélèvement et consommation.
- Speaker #0
Ok, vaste challenge.
- Speaker #1
C'est pour ça que l'hydrologie, c'est une question d'avoir ces différentes focales entre l'espace, le temps, de regarder tous les usages et d'ouvrir un peu ces chakras à autre chose que l'humain. C'est-à-dire regarder ce qui se passe dans les rivières et les vivants qui dépendent de l'eau dans les rivières doivent aussi vivre. Et donc, il faut partager cette eau avec l'ensemble du vivant parce que la biodiversité aussi en a besoin. et on en dépend.
- Speaker #0
Complètement, Charlène, merci beaucoup pour être rentrée dans le détail de tous ces éléments. On a parlé du coup à pas mal de notions clés et je suis très contente qu'on ait reposé les éléments clés sur le cycle de l'eau qui n'existe pas dû à toutes les interactions qu'on peut avoir, nous les humains, et qu'il peut avoir avec le climat. On a parlé des prélèvements, des consommations, des différentes couleurs de l'eau, si je puis dire. Est-ce qu'il y a d'autres notions clés, selon toi, dans ce panorama ? pour quelqu'un qui voudrait vraiment se plonger dans le sujet, qu'il ou elle devrait avoir en tête ?
- Speaker #1
Alors là, on a parlé de la ressource en eau, sans vraiment définir ce que c'est que la ressource en eau. On a plusieurs...
- Speaker #0
Tu as bien raison.
- Speaker #1
On a plusieurs types de ressources en eau, en fait. Les hydrologues, eux, ils travaillent sur les eaux de surface, donc tout ce qui est rivière, du petit cours d'eau jusqu'au grand fleuve, les lacs aussi, et puis on a tout ce qui se passe sous nos pieds. Donc les nappes superficielles ou les nappes plus profondes, qui sont elles héritées du passé géologique d'un territoire. Donc les nappes, elles renferment de l'eau en fonction de la nature des roches. Et ici, sur Paris, on a un bassin parisien, un bassin sédimentaire qui est très important, qui est très vaste et très complexe aussi à modéliser. Donc là, c'est plus le travail des hydrogéologues. qui font ces explorations pour chercher de l'eau. Et en fait, comme on a un peu expliqué, ce qui se passe dans les cours d'eau a une temporalité différente de ce qui se passe dans les nappes. Et là, typiquement, quand on prend une photographie de la France aujourd'hui, à l'heure où on se parle, l'essentiel des cours d'eau français ont des niveaux d'eau supérieurs à la moyenne. Ils ont beaucoup d'eau. On a eu beaucoup de pluie depuis le mois d'octobre. Sauf le sud de la France et en particulier les Pyrénées-Orientales qui sont encore en sécheresse. Depuis plus de deux ans maintenant. Oui,
- Speaker #0
ça me dit quelque chose, la sécheresse de 2022, où notamment des populations ont leur livré de l'eau potable. Ça m'a assez marquée.
- Speaker #1
Il y en a encore qui sont ravitaillées dans les Pyrénées-Nord-Orient. C'est assez catastrophique, mais on y reviendra sur cette sécheresse. Qu'est-ce que ça veut dire une sécheresse ? Mais du coup, on a ces différentes temporalités. Aujourd'hui où on se parle, il y a... Le nord de la France, la grande majorité de la France qui a beaucoup d'eau. Et quand on regarde ce qui se passe sous nos pieds, dans les nappes, alors on ne peut pas encore se dire si la roche...
- Speaker #0
On attend le début du printemps.
- Speaker #1
Voilà. Mais pour l'instant, le niveau des nappes est quand même très bas. On a surtout le bassin parisien et les nappes du sud de la France et certaines en particulier sur la plaine du Roussillon, on a des nappes qui sont extrêmement basses. Parce qu'en fait, les nappes... comme les arbres, c'est-à-dire qu'elles ont une sorte d'inertie où, à force d'encaisser des sécheresses, elles ont du mal à revenir à des niveaux normaux. Il va falloir vraiment une succession de plusieurs années humides pour qu'elles puissent se recharger. Et on l'a compris, là, la période de tir, elle est vraiment concentrée sur une courte période de l'année. Donc, tu as parlé de l'année 2022, qui est une année extrêmement sèche. Et oui, en France, on a maintenant le nouveau repère historique, c'est l'année 2022 qui a vraiment marqué les esprits.
- Speaker #0
Comme étant l'année la plus sèche depuis... Jamais enregistrée. Jamais enregistrée, ok.
- Speaker #1
Parce qu'en fait, on regarde... Je vais définir ce que c'est qu'une sécheresse. Vas-y. Maintenant qu'on y est. En fait, une sécheresse, elle est à trois niveaux. Il y a le niveau météo, donc déficit de pluie.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Qui, quand il va se prolonger, va... au bout d'un certain temps se manifester sur les sols. Les sols vont être plus secs. Donc on va mesurer ça avec l'indice d'humidité des sols. L'indice d'humidité des sols va chuter et ça va se répercuter sur les cours d'eau. Parce que ce qui va s'évacuer des sols finit dans les cours d'eau. Donc les débits dans les cours d'eau vont baisser. Et ensuite on va avoir en général les nappes qui vont suivre un peu après. Et donc c'est la somme de ces sécheresses météo sécheresse des sols, sécheresse des cours d'eau, sécheresse dans les nappes, qui permettent de dire, là, on est en situation de sécheresse, il y a des restrictions qui vont s'appliquer sur les départements.
- Speaker #0
Plusieurs questions. Quand on commence à observer une sécheresse des sols, finalement, c'est l'effet domino qu'il va provoquer, qui, au final, va nous mettre, si je puis dire, en situation de sécheresse. Mais quand on l'observe, on ne peut pas encore affirmer cet état.
- Speaker #1
En fait, quand on voit qu'il y a un déficit de pluie, Il faut regarder l'indice d'humidité des sols, comment il est. Est-ce que le sol est humide et auquel cas, on va dire, ça va. Si par contre, on voit que l'humidité des sols chute, là, on commence à s'inquiéter. En fait, les premiers à le voir, ce sont les agriculteurs. Dès qu'il y a un déficit de pluie, ils le voient tout de suite. Et après, en général, une sécheresse dans les cours d'eau, pareil, ça met un peu de temps pour arriver. En fait, en gros, une sécheresse, on la voit arriver. Dès qu'il y a un déficit de pluie, mais qu'il soit marqué. Oui. Ce déficit de pluie n'est pas le seul paramètre à prendre en compte. Il y a aussi évidemment tout ce qui est température, vent, et tout ça va influencer l'humidité des sols et donc les débits dans les cours d'eau. Donc oui, c'est une somme de paramètres qu'il faut regarder pour dire si on est en sécheresse ou pas.
- Speaker #0
Et là justement, tu parlais des Pyrénées-Orientales. Tu dis qu'on peut à peu près prédire. Est-ce que là, les Pyrénées-Orientales vont continuer d'être dans une situation de sécheresse ? Oui. D'après ce que tu observes ? Oui,
- Speaker #1
oui. Oui, là, c'est terrible parce que passé le mois de mars, ce sera trop tard. En fait, toutes les pluies qui vont arriver, elles ne vont pas recharger les nappes. Donc là, j'ai envie de dire que c'est presque déjà trop tard pour eux. Il reste moins d'un mois. Là, ils vont affronter l'été avec de nouvelles tensions qui s'accumulent. Et c'est ça le plus difficile, c'est de se dire qu'on ne sait pas quand est-ce qu'on va en sortir.
- Speaker #0
quoi
- Speaker #1
de cette crise.
- Speaker #0
Ok, c'est très clair. Et par rapport au bassin parisien, parce que tu notais aussi que là, les nappes étaient particulièrement basses, donc on a encore une petite fenêtre de tir. On a compris. Mais qu'est-ce que toi, tu observes et qu'est-ce que tu penses qu'il pourrait arriver au fur et à mesure de l'année ? Je sais que tu n'es pas voyante, mais regarde ce que tu observes.
- Speaker #1
Et puis même, je pense que Météo France ne s'engage pas sur des prévisions au-delà de 10 jours. Donc, c'est dur de faire des modélisations. Par contre, on a des grandes tendances. En général, les tendances... même celle de Météo France, ne conclut pas sur on va avoir un printemps plus sec, on va avoir un printemps plus humide C'est très aléatoire. Donc, au vu de la situation actuelle, ce qui est clair, c'est que dans le sud de la France, cet été, ça va être compliqué. Et puis, pour le reste du territoire, pour l'instant, on ne peut pas trop se positionner. Et puis, sur le bassin parisien, d'une façon générale, on est sur une tendance à la baisse. Donc on va avoir des problèmes de tension sur la ressource en eau.
- Speaker #0
Merci pour ce panorama, et très ancré aussi dans les territoires, je trouve ça vraiment très intéressant. On a beaucoup parlé de la sécheresse, est-ce qu'il y a d'autres conséquences notables sur la tension autour de cette ressource en eau que tu pourrais nous partager ?
- Speaker #1
Il y a des répercussions, plusieurs types. Les sécheresses hydrologiques et les sécheresses des nappes vont impacter en premier lieu les milieux aquatiques. donc c'est ceux qu'on n'entend pas, moi c'est souvent ce que je dis donc on parle des rivières en fait au delà des rivières il y a toute la vie aquatique des petits insectes d'eau douce qui sont à la base de la chaîne alimentaire des rivières, aux poissons aux mammifères aux oiseaux aux amphibiens etc tout ce vivant là qui s'effondre on a une biodiversité aquatique qui est en effondrement... en termes de population, en termes de diversité. Et en fait, on a le vivant aquatique qui meurt en France tous les étés quasiment maintenant. D'une part à cause de la baisse des débits dans les cours d'eau, mais aussi maintenant à cause des vagues de chaleur. On voit que les rivières dépassent les températures létales, donc les températures au-delà desquelles les poissons ne peuvent plus vivre. Très clair. Voilà, au-delà de 19 degrés, 20 degrés. certaines espèces de poissons ne peuvent plus vivre, donc meurent. Et on a, avec ces vagues de chaleur, ces canicules, une forte mortalité piscicole dans les cours d'eau. Donc le milieu aquatique est impacté. Autre chose, quand on parle des rivières, on ne parle pas forcément du travail et des services qu'ils nous rendent, notamment au-delà de transporter de l'eau, des nutriments, etc.
- Speaker #0
Sur la filtration notamment ?
- Speaker #1
Il y a l'auto-épuration des rivières. Et ça, c'est hyper important. En fait, on ne se rend pas compte à quel point les rivières sont hyper précieuses pour nous parce que tout ce qu'on va rejeter via les stations d'épuration, donc tous nos effluents domestiques, industriels, etc., ils vont finir dans la rivière. Donc, si le débit des rivières baisse surtout en été, en fait, elles vont être moins capables de diluer les polluants et les effluents des rejets de stations d'épuration. Donc, ce qu'on voit apparaître de plus en plus avec les sécheresses en été, c'est une augmentation de ce qu'on appelle le phénomène d'eutrophisation. Eutrophisation, ça veut dire une augmentation des nutriments dans l'eau qui est associée à une diminution de l'oxygène dissous dans les rivières, une augmentation de la température. Donc tout ça, en fait, c'est la recette parfaite pour un bloom algal, c'est-à-dire un développement algal très fort, et en particulier les cyanobactéries qui ont des algues toxiques. En fait, elles sont inodores. En particulier, elles sont responsables de la mortalité des chiens. D'accord, ok. On se balade en rivière l'été, on rapporte beaucoup de mortalité canine parce que les cyanobactéries se développent dans les rivières. Et autant les êtres humains, je crois que certains peuvent être sensibles, mais c'est surtout les chiens qui meurent. Et on a aussi des problèmes de gastro-entérite parce qu'en fait, les effluents de stations d'épuration ne sont pas suffisamment dilués. Et on a des problèmes de maladies hydriques. Donc c'est impressionnant de voir à quel point ça va vite, même en France. et de voir qu'en fait, on n'a pas du tout anticipé tous ces effets du changement climatique qui ont des répercussions en cascade. Ça, c'est un premier aspect sanitaire et il y a aussi l'aspect économique. Dès lors qu'on a des restrictions d'usage à cause des sécheresses, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les agriculteurs ne peuvent plus irriguer, donc c'est une perte de rendement agricole qui affecte toutes les productions agricoles, donc des baisses économiques importantes dans ce secteur-là. Une baisse aussi pour la production industrielle. La plupart des industries qui sont concernées par ces restrictions, certaines industries vont devoir diminuer la production parce qu'elles ne pourront pas prélever de l'eau en été. Et puis, en plus de ça, on a ces fameuses centrales nucléaires, et en particulier sur le Rhône, qui sont censées être à l'arrêt. Or, une centrale nucléaire, normalement, n'est jamais à l'arrêt. Elle est faite pour... Ce n'est pas une énergie intermittente. Elle est faite pour qu'on fonctionne tout le temps. Sauf que là... Avec le Rhône qui baisse, le Rhône qui se réchauffe, normalement, si on respecte les prescriptions de l'arrêté préfectoral, toutes les centrales nucléaires du Rhône auraient dû être à l'arrêt en 2022 et en 2023.
- Speaker #0
Et ça n'a pas été le cas.
- Speaker #1
Et ça n'a pas été le cas, elles ont eu des dérogations. Mais ça veut dire qu'on a réchauffé le Rhône encore plus que ce qui était prévu.
- Speaker #0
Et on parle de combien en termes de réchauffement du Rhône ? Plus 4,
- Speaker #1
plus 5 degrés. Des panaches qui sont vraiment très chauds à la sortie des centrales. et qui peuvent impacter les milieux aquatiques.
- Speaker #0
C'est ce dont tu parlais tout à l'heure sur les impacts, notamment sur le vivant.
- Speaker #1
Sur les invertébrés, sur les poissons, etc. Voilà, donc on se rend compte à quel point c'est complexe de prendre en compte tous les paramètres et c'est là où on a du mal à voir toutes les conséquences que ça peut avoir sur à la fois notre économie et aussi sur tous les écosystèmes qui en pâtissent.
- Speaker #0
Oui, dans ce que tu expliques, j'ai l'impression que c'est vraiment le prisme de la sécheresse quand elle devient visible qui tire énormément de conséquences comme une pelote. qu'on déroule et on n'en voit pas le bout en fait.
- Speaker #1
C'est ça, c'est pour ça que 2022 a réveillé les consciences, parce qu'ils se sont dit, ah là là, mais en fait, on ne pensait pas un jour qu'en France, on aurait une telle crise sécheresse et de telles conséquences à gérer. Moi, je viens d'un territoire en Haute-Savoie où on ne pensait jamais avoir à atteindre le niveau de crise sécheresse. Ça ne s'est jamais vu. On s'est posé plein de questions, comment on fait ? Alors, on a planté des jeunes arbres. justement pour climatiser les villes naturellement, mais l'arrêté sécheresse n'est pas prévu pour... En fait, il est interdit d'arroser ces jeunes plants d'arbres en temps de crise. Donc, ça veut dire qu'on va perdre ces arbres alors qu'on en a besoin pour s'adapter au changement climatique. Enfin, c'est toutes ces questions-là auxquelles on ne s'est pas encore préparé. Et donc, ça pose la question de prioriser les usages. Quels sont les usages prioritaires ? Et ça, c'est complètement nouveau, alors que ça s'accélère, ça s'emballe et... Et on se rend compte qu'avec les vagues de chaleur, on a besoin d'eau pour s'hydrater, on a besoin d'eau pour les hôpitaux, on a besoin d'eau pour laver les rues, on a besoin d'eau pour arroser ces jeunes plans d'arbres, justement. Voilà, on a vraiment besoin d'eau encore plus en période de canicule.
- Speaker #0
Oui, c'est hyper logique. Et si je m'arrête là sur cette année 2022, parce que tu as l'air d'en parler comme un jalon fort et une surprise, qu'est-ce que ça a changé dans la perception des... j'imagine, des collectivités avec qui tu peux travailler sur l'importance de cette ressource et sur la priorisation, je vais y arriver, des usages.
- Speaker #1
Justement, elle se pose la question de quels usages priorise-t-on ? Quelles ressources en eau utiliser ? Elle se rend compte que laver les rues après les marchés avec de l'eau potable, ça n'a pas beaucoup de sens. Que de déboucher des canalisations d'eau usée avec de l'eau potable, ça n'a pas beaucoup de sens. En fait, cet événement a fait prendre conscience des... inepties, des aberrations qu'on avait jusque-là. Et en fait, dans la tête des politiques, ce qui s'est passé après 2022, c'est il nous faut un plan, il nous faut des actions prioritaires et il faut qu'on prenne cette question à bras-le-corps parce que ce qui s'est passé en 2022, en fait, les climatologues nous disent que ce sera un événement complètement normal, un événement médian, en 2050. 2050, c'est bientôt. On sera encore vivante normalement. Je pense. Mais... Mais voilà, en fait, c'est dire à quel point c'est demain et que ça, ce sera la normale. Donc, ils ont fait un plan et...
- Speaker #0
Le gouvernement. On parle...
- Speaker #1
Le gouvernement.
- Speaker #0
Le gouvernement français, oui.
- Speaker #1
Ce n'est pas les collectivités. Certaines collectivités ont pris conscience, ont priorisé, etc. Mais je pense que l'État s'est dit qu'on a des milliers de communes qui n'ont plus d'eau potable au robinet. Il faut accélérer la rénovation. des fuites dans les réseaux d'eau potable, ça c'est une chose, mais il y a aussi plein d'autres choses à faire. Et dans le plein d'autres choses à faire, eh bien, il faut avoir... Alors, selon moi, il faudrait avoir une lecture globale sur l'ensemble des usages tels qu'on a évoqués jusqu'à maintenant, c'est-à-dire les centrales nucléaires, l'agriculture, notre eau potable et l'eau non potable. Et puis, en fait, ce plan eau s'intéresse qu'à une chose. C'est-à-dire, ce qu'on appelle le petit cycle de l'eau, c'est l'eau potable et l'assainissement. Finalement, la question des milieux aquatiques, la question des hydrosystèmes, la question de notre modèle agricole, de notre modèle énergétique, n'a pas du tout été remise en question.
- Speaker #0
Ok. Et pourquoi, à ton avis, est-ce qu'il y a eu ce focus fait juste sur le cycle de l'eau ? Et qu'est-ce que ça a changé ?
- Speaker #1
Eh bien, on est toujours dans le même paradigme. On est dans une optique de maîtriser et contrôler l'eau pour... pour subvenir aux besoins essentiels pour l'eau potable, pour l'économie et l'industrie. Mais on a du mal à faire le lien, encore une fois, comme on l'a fait, entre cette eau virtuelle qu'on a besoin pour produire notre électricité. Et je pense qu'on a un modèle tellement focalisé sur le nucléaire qui est immuable, presque. Qu'on oublie complètement la question de la disponibilité de la ressource en eau et du partage avec l'ensemble des usages et des milieux aquatiques. Et en fait, cette vision globale, cette vision transversale, cette vision du grand cycle de l'eau, c'est quelque chose qu'on apprend peu. En fait, les gens ne sont pas informés à ça et les décideurs ne sont pas formés à ça non plus. Ils ne sont pas formés à tous ces enjeux-là. Et puis moi-même, dans ma formation d'hydrologue, on n'apprend pas. En fait, la manière dont on utilise l'eau en France, les grands usages, les enjeux énergétiques, les enjeux agricoles. D'accord,
- Speaker #0
donc tout ce que tu m'as partagé là, c'est des choses que toi, tu as...
- Speaker #1
découvertes sur le terrain.
- Speaker #0
Ce n'est pas du tout des choses que tu as étudiées dans le cursus. Et est-ce que là, en 2023 et après l'épisode sécheresse, tu sens que c'est des sujets qui remontent dans la sphère éducative, notamment dans l'enseignement supérieur ?
- Speaker #1
Alors, je ne suis pas forcément au contact avec l'ensemble des corps enseignants. Je pense qu'il y a une prise de conscience. Malheureusement, je pense que dans certaines formations agricoles en particulier, ils se sont rendus compte qu'il y avait un problème avec l'eau, tous les conflits autour des mégabassines, etc. Ça revient aussi, donc ils se posent des questions et ils veulent peut-être renforcer leur formation autour de ça. Les hydrologues, je ne sais pas. Je pense qu'il y a une volonté d'aller plus loin sur la question climatique et une volonté d'aller plus loin aussi sur la question des milieux aquatiques et de l'environnement, de l'écologie, etc. Mais par contre, je pense que d'une manière générale, tout le monde, y compris les enseignants, etc., résonne à toute chose égale par ailleurs. C'est-à-dire qu'on aura toujours besoin d'eau pour produire de l'électricité, le modèle nucléaire français n'est pas remis en question, le modèle agricole n'est pas remis en question. Et en fait, du coup, dans le plan du gouvernement, il n'y a pas d'objectif de sobriété des usages pour ces secteurs-là. Pour le secteur énergétique et le secteur agroalimentaire, il n'y a pas... d'objectifs de sobriété ou de faire différemment, de faire autrement. Néanmoins, c'est pas parce que le plan haut du gouvernement n'a pas d'ambition là-dessus que certaines collectivités n'expérimentent pas les choses. Au contraire, on voit qu'avec...
- Speaker #0
Si t'as un exemple concret, je suis preneuse.
- Speaker #1
On voit qu'il y a des choses qui se font. Par exemple, la métropole de Rennes qui a des gros problèmes de qualité de l'eau potable dans ses captages parce qu'ils ont une activité agricole intensive. qui utilisent beaucoup de nitrates et de pesticides, et donc des problèmes de normes de qualité. Donc, plutôt que d'aller voir les agriculteurs en les grondant et en leur disant vous êtes gentils, mais vous allez faire autrement en fait, ils ont développé toute une démarche de dialogue avec eux, et en même temps qu'ils cherchaient à relocaliser leur alimentation, parce qu'il y a tout un mouvement autour de la résilience alimentaire, on pourra en reparler, à travers leur plan alimentaire territorial, en fait, ils ont combiné les deux en se disant On va contractualiser avec les agriculteurs qui se trouvent à proximité de ces captages d'eau potable pour qu'ils préservent ces captages. On va délimiter un périmètre de protection et en même temps, on va les inciter à changer de pratique. En contractualisant avec eux, ils signent une charte d'engagement pour faire autrement. Et en même temps, on leur assure des débouchés. On leur assure un revenu minimum, décent, pour leur production, qu'on va ensuite... transformés. Donc, ils ont mis autour de la table les producteurs, les transformateurs, les consommateurs. Et ils ont créé une marque qui s'appelle Terre de Sources.
- Speaker #0
Et donc,
- Speaker #1
on peut regarder sur le site internet terresdesources.fr,
- Speaker #0
je crois.
- Speaker #1
C'est super intéressant. Il y a plein de ressources d'information. Et aujourd'hui, il y a une confiance qui s'établit entre les agriculteurs, les consommateurs, les distributeurs, etc. pour justement à la fois garantir une qualité de l'eau bonne, des pratiques agricoles vertueuses. et des consommateurs qui sont contents de relocaliser leur alimentation et de privilégier des agriculteurs qui sont engagés pour l'environnement.
- Speaker #0
Et ça fonctionne. Oui,
- Speaker #1
ça fonctionne.
- Speaker #0
Super, cet exemple est très intéressant et il revient à ce que tu nous partageais tout à l'heure entre l'importance de regarder les choses à l'échelle locale, territoriale. Je te remercie pour cette grande plongée dans la sécheresse de 2022. plan haut du gouvernement et finalement je note ce besoin en fait de sensibilisation et d'apporter des espaces de discussion pour réinterroger finalement nos usages, que ce soit sur l'énergie ou l'agriculture. Je vais maintenant passer à une rubrique qui est très axée sur des croyances que collectivement qui peuvent être partagées ou pas, que certaines personnes incarnent ou pas, et je trouvais intéressant de te les poser sous un format vrai-faux. Donc la première, si t'es prête, on a des gens sur certains... sur cette terre qui nous disent l'eau, il y en a assez. Est-ce que c'est vrai ou c'est faux ?
- Speaker #1
C'est pas facile. C'est pas facile. J'ai envie de répondre. Ça dépend. En vrai, c'est ça. Ça dépend pas assez par rapport à quoi. Et c'est le par rapport à nos besoins qui indique notre vulnérabilité aux sécheresses et le niveau de stress qu'on a par rapport à ça. En fait, il y a le World Resource Institute qui travaille sur un indicateur de stress hydrique qui prend en compte les besoins en eau. par rapport aux ressources en eau disponibles. Et donc, en France, on s'aperçoit qu'on est déjà en stress hydrique parce que nos besoins en eau excèdent, par endroit et par moment, la capacité des hydrosystèmes à nous fournir de l'eau. Et ça reboucle avec tout ce qu'on s'est dit avant. Mais globalement, ce qui est assez surprenant et intéressant à regarder, je vous invite à aller voir sur leur site internet, World Resource Institute, que... la majeure partie des pays développés ou en voie de développement sont en stress hydrique parce que les besoins en eau sont très importants dès lors qu'on cherche une croissance économique importante. Les besoins en eau pour produire tout, notre alimentation, notre énergie, nos biens, etc., en fait, nécessitent de l'eau pour ça. Et donc, du coup, on a un stress hydrique important. Donc, tout ça pour dire qu'on a de l'eau, oui. mais je vais relativiser. Déjà, on a sur Terre moins de 1% d'eau douce qui est accessible aux hommes, ce n'est pas beaucoup. Et en plus de ça, elle va se répartir différemment en fonction du pays, dans le temps, etc. Donc non, ce n'est pas si évident que ça.
- Speaker #0
Oui, ok, c'est très clair. Ma deuxième question, ma deuxième affirmation plutôt, c'est le capitalisme qui a principalement changé notre rapport à l'eau. Est-ce que c'est vrai ou c'est faux ?
- Speaker #1
Oui, c'est vrai. En fait, on a depuis les années 50-60 une nette accélération à l'échelle mondiale des prélèvements en eau, qui est corrélée en fait à l'industrialisation de notre alimentation, et donc des besoins en eau pour l'irrigation, des besoins en eau pour stocker dans les grands barrages, etc. Donc je pense que tout ça a permis une certaine sécurité alimentaire, une certaine sécurité énergétique, mais à... profondément dégradé en fait ce grand cycle de l'eau. Depuis toujours, on l'a compris, un rapport de domination à l'eau. Oui,
- Speaker #0
depuis
- Speaker #1
Rome, voire même avant. Mais oui, on a perdu ce respect envers l'eau et je pense que le capitalisme accentue ce rapport de prédation et de contrôle.
- Speaker #0
Et tu expliquais justement qu'on a explosé notre consommation. Est-ce que tu as des ordres de grandeur peut-être par rapport à l'augmentation de la population mondiale versus notre augmentation de consommation d'eau ? Oui.
- Speaker #1
Tandis que la démographie mondiale a fait x4 depuis 120 ans, nos prélèvements en eau ont fait x8. Donc, on a besoin de beaucoup plus d'eau que notre... C'est pas une question... Enfin, c'est corréler la démographie, évidemment, mais c'est plutôt une question de nos modes de vie et de consommation.
- Speaker #0
Complètement. Merci pour cette ordre de grandeur. Je trouve que c'est toujours très parlant. Dernier vrai faux, stocker l'eau de pluie pour arroser son jardin, c'est très bien.
- Speaker #1
Tout dépend de ce qu'on veut en faire. Évidemment, on ne peut pas faire de l'agriculture sans eau. Certains y arrivent bien avec des tomates sans eau. Ok, il y en a.
- Speaker #0
J'en ai encore jamais vu.
- Speaker #1
J'en ai vu un qui faisait ça dans le sud de la France, c'est intéressant. Mais à l'échelle individuelle, oui, c'est intéressant de stocker l'eau. de récupérer l'eau de pluie. Donc, je précise, parce qu'il y a eu une confusion dernièrement avec les derniers textes de loi, on a le droit de le faire.
- Speaker #0
Oui, effectivement, j'ai lu pas mal d'articles. C'est pour ça que je te posais la question, notamment sur le monde qui mettait en avant ce...
- Speaker #1
D'après les dernières expertises juridiques, on a le droit de le faire. Même pour l'utiliser dans nos toilettes et le lave-linge. Il faut juste installer un deuxième compteur pour comptabiliser cette eau qui va ensuite dans le réseau d'assainissement. Bref. Dans nos jardins, si on a la chance d'avoir un jardin, ce qui est hyper intéressant, c'est récupérer l'eau de pluie. Effectivement, d'abord, les plantes préfèrent par rapport à l'eau potable. Ce n'est pas la même qualité. Et on va le faire aussi en associant toutes les techniques autour de la permaculture, qui est de couvrir un sol tout le temps. Il faut toujours se couvrir le sol tout le temps.
- Speaker #0
Donc avec de la paille.
- Speaker #1
La paille, des morceaux de bois broyés, des feuilles. Pas n'importe quelle feuille, mais tout ce qu'on peut. utiliser pour couvrir, il faut l'utiliser. Et puis, il faut nourrir son sol. Donc, nourrir son sol assez régulièrement avec du compost, avec du fumier si on peut en trouver. Plus on a un sol qui est vivant, et là, ça vaut pour toute l'agriculture, que ce soit l'agriculture, la grande agriculture ou la petite agriculture chez soi, plus on a un sol qui est nourri, vivant, plus il sera capable de retenir l'eau, plus il sera riche en matière organique. plus il sera structuré et donc il y aura des microporosités, des macroporosités qui vont faire qu'on aura de l'eau qui va se stocker. Si en plus de ça, on couvre le sol, on limite l'évaporation, donc on limite notre demande en eau. Donc il faut à la fois travailler sur la demande en eau par ces techniques-là et utiliser de l'eau-pluie récupérée depuis notre tueur.
- Speaker #0
Ok, bah écoute, merci pour ces conseils de jardinage et de permaculture au passage.
- Speaker #1
Merci.
- Speaker #0
Et merci de t'être prêté à l'exercice de ce brefaut, je pense qu'il illustre pas mal de croyances qui étaient intéressantes à challenger. On va maintenant passer à la dernière partie de cet épisode. Donc tu le sais, on va parler maintenant de futur désirable. Je rappelle juste un point assez important, c'est que voilà, on sait que la situation et le dérèglement climatique est assez catastrophique. On est actuellement sur une trajectoire 3,2 degrés. à 2100. Donc voilà, je veux juste reposer les contacts parce qu'on va avoir une discussion assez inspirante sur qu'est-ce qu'on a envie de faire pour demain, mais on n'est pas naïf sur la situation actuelle et les conséquences qui nous attendent. Donc, pourquoi créer un futur désirable dans ce contexte ? Parce qu'en fait, je trouve que ça appelle aussi une motivation et poser des intentions, ça rassemble et ça donne envie de bouger. Et pour ça, je trouve que le petit prince qui fait toujours sourire quand on prononce son nom avec ses rencontres et sa vision philosophique de la vie, en fait, il peut nous aider à créer des choses intéressantes. Et donc, du coup, je te propose un exercice, Charlène, c'est de te mettre dans la peau du petit prince et de me raconter, comme raconterait le petit prince après ses rencontres, qu'est-ce qu'il a appris, qu'est-ce que tu as appris de tes expériences sur le terrain, c'est quoi les grands apprentissages que tu aurais envie de partager au monde ?
- Speaker #1
Merci beaucoup pour cet exercice. C'est très difficile de répondre. Si je me mets dans cette peau du petit prince hydrologue.
- Speaker #0
Oui, allons-y. Ou de la petite princesse.
- Speaker #1
Je ne sais pas trop dire ça. Faisons ça. La première chose, c'est que l'eau est source de vie et on ne serait pas là sans eau. On ne pourrait pas vivre ni manger sans eau. Et je pense que ce que m'a appris cette expérience, c'est ce respect et ce profond respect pour l'eau en tant que porteuse de vie. Et même dans les rivières, quand je traverse les rivières qui en été sont très basses, je le sens tout de suite dans mon corps qu'il n'y a pas de vie où la vie est en souffrance. Donc je remettrai cette perspective-là en disant que dans les rivières sont les plus belles manifestations du cycle de l'eau, selon moi. On voit... énormément de choses autour des rivières. Depuis que je suis petite, j'arpente les rivières. J'ai toujours eu un lien fort avec ces rivières, mais à mesure que je grandis et à mon étape de vie actuelle, je me rends compte qu'en fait, je ne sais pas grand-chose des rivières. Pourtant, je... Tu es comme ça avec ma vie. On apprend tous les jours. Il y a aussi cette part de mystère qui est inhérent à l'eau et aux rivières. Et voilà, je pense que ça force le respect, tout simplement.
- Speaker #0
Ok, super, merci beaucoup.
- Speaker #1
Voilà, après, peut-être quelque chose qui m'a marquée dans cette expérience, c'est ce rapport qu'on a donc à l'eau et aux rivières, qu'on peut transposer aussi aux femmes. Ce rapport de domination et de contrôle, de maîtrise, de vouloir aussi les endiguer, les baïonner quelque part, en fait, quand on les empêche de divaguer de gauche à droite, de bouger, de... faire leur vie, quoi, en fait. À un moment donné, elles vont se révolter. Elles vont dire stop.
- Speaker #0
C'est un parallèle intéressant.
- Speaker #1
Et elles vont le dire de manière assez violente. Par exemple, en fait, les rivières, aujourd'hui, donc, en été, en fait, elles disparaissent, elles se taisent. C'est comme, voilà, une rivière qui, en souffrant, c'est une rivière qui ne fait plus de bruit, qui se tait. Par contre, quand elle revient, après une sécheresse, elle revient avec fracas. Et elle revient avec une force. Et les crues qu'on connaît sont pour moi une manifestation assez intéressante de ces rivières. Et souvent, quand on parle dans les médias des inondations qui sont graves, et je ne minise pas au contraire tout ça, je trouve que c'est intéressant de voir que les rivières manifestent quelque chose.
- Speaker #0
Elles transmettent un message.
- Speaker #1
Elles transmettent un message. Et quand elles sont en crues et qu'elles débordent, peut-être qu'il faut leur laisser de la place, tout simplement.
- Speaker #0
Écoute, merci beaucoup pour ces deux apprentissages très intéressants et ce parallèle notamment sur le féminisme que je n'aurais pas supposé. Continuons de filer la métaphore du petit prince. Donc tu as appris énormément de choses par rapport à ces rencontres et on sent qu'il y a encore beaucoup de mystères dans ce que tu as à découvrir. Mais j'imagine que déjà tu aurais des idées de choses à mettre en place. Donc imaginons, là tu es le petit prince, tu débarques sur une planète. On va l'appeler la planète France, pour faire simple, parce qu'on a beaucoup parlé de ce territoire. Qu'est-ce que toi, tu aurais envie de faire ? Qu'est-ce que tu aurais envie de mettre en place ? Et tout est possible.
- Speaker #1
Alors, bienvenue sur la planète France.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
On a régénéré le cycle de l'eau. Même si les températures ont augmenté, même si le niveau marin continue à augmenter, même si on a les vagues de chaleur, etc., probablement des crises migratoires, en fait, on a réussi à se réconcilier avec ce cycle de l'eau, à ne plus le considérer comme une constante. mais vraiment comme une variable, en se disant, bon, en fait, on va avoir des extrêmes. Et on a cherché à le régénérer. Alors, qu'est-ce que ça veut dire ?
- Speaker #0
Oui, c'était ma question.
- Speaker #1
Le régénérer, en fait, on aura, en même temps que ralentir nos propres modes de vie, on aura fait des aménagements dans les paysages, et en particulier les paysages agricoles, pour ralentir cette eau. Chaque goutte de pluie sera... optimiser entre guillemets de manière à ce qu'elle s'infiltre dans le sol et ce qu'elle recharge les nappes, à ce qu'elle recharge aussi tout le végétal, tout le vivant. En fait, on a réussi à recréer tout un paysage aquatique dans les champs et on aura travaillé avec plusieurs techniques.
- Speaker #0
C'est l'issue notamment de la permaculture que tu disais tout à l'heure.
- Speaker #1
Alors la permaculture s'est inspirée de cette méthode qu'on appelle le Keyline Design. qui est né en Australie dans les années 50. C'est après les pères fondateurs de la permaculture qui se sont inspirés de ces motifs-là. Et donc, c'est très beau à voir, en fait, vue du ciel. C'est des courbes qui épousent les courbes de niveau, de même ligne topographique. Et on voit, en fait, entre ces courbes de niveau, des haies, des rangées d'arbres, des haies multistrates qui vont recréer toute une biodiversité et qui vont permettre aussi de garder l'eau. de refaire une sorte de micro-climat pour tempérer les sols, les climats, etc. et garder l'eau sur les territoires. Donc, on a refaçonné les paysages de manière à ce que ce soit un peu plus complexe, mais c'est extrêmement riche, extrêmement vivant et les sols gardent l'eau le plus longtemps possible. Donc, on a moins de sécheresse, du coup. Et on a aussi renaturé les cours d'eau. On a réussi à redonner de l'espace aux cours d'eau. à leur redonner leur ripisilve, c'est toute la végétation qui borde les cours d'eau. D'accord, ok. Voilà, on leur a redonné un peu de... En fait, on les a ré-ensauvagés, quoi. On aura réinvité aussi toutes les espèces migratrices qu'on a perdues, les saumons atlantiques, les anguilles, les lamproies, les esturgeons. En fait, toutes ces espèces de poissons qu'on n'avait plus vues depuis des centaines d'années reviennent.
- Speaker #0
Et comment tu les aurais fait revenir ?
- Speaker #1
Eh bien, en fait, on aura soit détruit certains seuils en aval, qui étaient proches de la mer, qui les empêchaient, qui les bloquaient pour remonter. Soit, en fait, on aura reconstitué des bras ou des passes à poissons pour qu'ils puissent remonter et contourner ces seuils. On aura rétabli aussi ce qu'on appelle la continuité sédimentaire, c'est-à-dire que pour que les poissons puissent se reproduire, ils ont besoin de sédiments. Donc, ces sédiments étaient, avant, bloqués dans les barrages en amont. Et bien, peut-être que certains barrages ont... laisser passer les sédiments pour qu'il y ait une continuité qui se fasse. En fait, tout ça, tous ces travaux-là autour des rivières, dans les paysages agricoles, ont aussi invité les villes et les urbains à redonner de l'espace aux rivières. Il y a certaines rivières, autrefois, elles étaient canalisées, enterrées. Par exemple, la Bièvre en Ile-de-France, qui était un cours d'eau complètement invisible, on l'a redécouvert et on leur donnait de l'espace et de la végétation. Et en fait, les Les gens font leur jogging, courent autour des rivières et il y a une nouvelle relation qui s'est instaurée entre les humains et leurs rivières. D'ailleurs, je vais pousser maintenant l'utopie jusqu'au bout. En fait, on aura réussi à donner un statut aux rivières. Dans la loi, on leur reconnaît des droits fondamentaux, un droit d'exister, un droit à ne pas être pollué, un droit à avoir suffisamment d'eau toute l'année et un droit aux rivières de bouger, d'avoir des... cru, d'avoir de l'espace pour s'exprimer. Et vu que les humains ont renoué ce lien avec la rivière, eh bien, il y en a certains qui seront des gardiens de la rivière. Et ils seront les yeux et les oreilles de chaque rivière en France. Chaque rivière aura ses gardiens. Et on les aura conviés à la table des négociations. Dès qu'il faut faire quelque chose sur la rivière, eh bien, les gardiens qui ont ce mandat à long terme peuvent représenter les intérêts de la rivière et parler au nom des intérêts de la rivière.
- Speaker #0
Incroyable, merci beaucoup. C'est absolument très, très inspirant. Merci, Charlène. Pour finir sur cette note extrêmement positive, utopique et pleine de motivation. Est-ce que tu as un conseil ? Si tu avais un conseil à donner à quelqu'un qui voudrait se lancer et peut-être mettre en place une des nombreuses actions que tu as citées, lequel serait-il ? Alors, il y a trois niveaux. Le premier niveau, c'est de s'informer. Donc, bravo, vous avez déjà fait une bonne partie de ce qu'on dit à nos auditeurs. Bravo, vous êtes déjà informés sur le sujet. Si vous avez cliqué dans cet épisode, vous avez fait le bon choix. Vous êtes informés sur le sujet et vous êtes allés peut-être plus loin sur la compréhension de ce cycle de l'eau. Donc, il existe plein de choses sur le site internet d'Eau France, par exemple. J'ai aussi écrit mon livre, Low-Fake Ornate, qui permet de poser un peu les bases. J'ai fait un cours de 10 heures en ligne qui permet de comprendre, d'approfondir tout ça sur Sator. Le deuxième niveau, c'est passer à l'action. Donc, quand on regarde, en fait, vous avez compris que nos modes de vie sont très consommateurs en eau. Alors, il y a les éco-jastes à la maison, ça fait bien, ça fait du bien, mais on peut aller plus loin. Et notamment, changer notre alimentation. Notre alimentation, en revégétalisant notre assiette, on a besoin de moins d'eau pour cultiver du maïs, qui est en général pour de l'élevage. Donc si on revégétalise et on relocalise notre alimentation, si on travaille, si on s'intéresse à l'agriculture, on va voir nos agriculteurs, on va faire nos courses sur le marché, on pose des questions, on s'intéresse à ça. Et puis on ralentit tout simplement, comme je disais, nos modes de vie qui sont très... Alors je suis très mal placée pour dire ça, parce que je suis une pile et je vis à mille à l'heure.
- Speaker #1
Mais si on sent l'énergie qui se dégage...
- Speaker #0
Mais si on ralentissait vraiment, véritablement, peut-être qu'on aurait besoin de moins d'infrastructures routières qui vont impacter le cycle de l'eau, etc. Donc en fait, moins d'énergie, moins de route aura moins d'impact sur l'eau. Donc ralentir, d'une manière générale. Et le troisième niveau, c'est s'engager. S'engager en comprenant que l'eau, c'est politique, c'est démocratique, qu'on a besoin de gardiens. pour ça et qu'on peut tous faire quelque chose, même dans son entreprise, même dans une entreprise qui a priori n'a pas de lien avec l'eau. On peut devenir une sorte d'ambassadeur de l'eau et aller au-delà des éco-gestes en amenant sur la question de l'énergie, de l'alimentation, de comment régénérer ce cycle de l'eau, etc.
- Speaker #1
Est-ce que tu as un exemple ? Parce que j'imagine qu'on a des auditeurs qui sont dans l'industrie des services, par exemple, et qui se disent Ok, mais je ne vois pas trop ce que je pourrais faire
- Speaker #0
Alors, il y a plein d'exemples. C'est très difficile à choper un comme ça. Pour les entreprises, toutes les entreprises, et notamment les RSE, qui souhaitent s'engager sur une norme ISO quelque chose, eh bien, il y a la norme ISO 14046 qui permet de calculer son empreinte eau. Sur chaque produit qu'on vend, on peut calculer l'empreinte eau d'un produit. Et la norme n'intègre pas la question de l'eau verte. Et pourtant, c'est une limite planétaire qui a été franchie. Et pourtant... En fait, l'eau verte, c'est hyper fondamental. Donc, on peut aller plus loin en intégrant la question du calcul de l'eau verte. Donc, il faut aller regarder, peut-être se renseigner auprès des bureaux d'études spécialisés dans les calculs d'analyse de cycles de vie des produits, etc. s'ils peuvent intégrer cette question de l'eau verte. Donc, calculer son empreinte eau, déjà. Moi, avec l'ADEME, je vais travailler sur un calculateur d'empreintes eau. Donc, on espère pouvoir le sortir l'année prochaine.
- Speaker #1
Juste pour nos auditeurs, c'est l'équivalent du bilan carbone. on part pour l'eau.
- Speaker #0
Voilà, en fait ils vont faire un calculateur global parce qu'ils se rendent compte que le carbone c'est bien c'est super important mais on peut intégrer aussi d'autres dimensions et la question de l'eau c'est un sujet et voilà donc on est en train de cheminer parce que encore une fois c'est quelque chose d'assez nouveau pour tout le monde donc calculez son empreinte eau et regardez tout simplement la rivière qui coule près de chez soi ou près de son entreprise, de son lieu de travail, de son usine de son industrie, voilà... Et voir, est-ce qu'elle est en bon état, cette rivière ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Voilà, en fait, taper le nom de sa rivière. En général, il y a une collectivité qui s'en occupe. On peut la contacter pour savoir qu'est-ce qu'on peut faire.
- Speaker #1
Ok, c'est très concret. Merci beaucoup. Donc, se sensibiliser, faire attention à ce qu'il y a dans notre assiette, s'engager et très simplement se connecter au cours d'eau près de chez nous.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Un grand merci, Charlène, pour ton temps et tout ce que tu nous as partagé.