- Speaker #0
Vous vous êtes déjà demandé pourquoi New York et Madrid, pourtant situés aux mêmes latitudes, ont un climat si différent. Une des raisons réside dans les courants océaniques qui transportent de la chaleur des tropiques jusqu'en Europe. Mais ces courants, connus sous le nom d'AMOC, ralentissent sous l'effet du changement climatique. Ce phénomène pourrait créer une situation paradoxale où, malgré un réchauffement global, l'Europe subirait un refroidissement. Un scénario digne du film Le jour d'après. Certains médias affirment que nous nous approchons d'un point de bascule où l'effondrement de ce courant serait inévitable. Alors, exagération médiatique ou menace réelle ? Pour répondre à cette question, je reçois Julie Dehé, océanographe et directrice de recherche au CNRS. La MOC, un point bascule éminent, c'est le thème de ce nouvel épisode d'Échanges Climatiques. Bonjour Julie Dehé.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Aujourd'hui, on va parler spécifiquement de la MOC parce que c'est un sujet qui a... qui a fait la une de certains médias, c'est derrière moi. Est-ce que tu peux expliquer à quelqu'un qui ne saurait rien ce que ça veut dire ?
- Speaker #1
Alors surtout, il faut sortir de l'idée que c'est un courant marin. En fait, c'est une construction mathématique qui a été mise au point pour représenter l'effet d'océan sur le climat via ce transport de chaleur de l'équateur vers les pôles, qui est vraiment le rôle numéro un de l'océan pour le climat de la planète. Grosso modo, il y a trop de chaleur qui est reçue dans les océans à l'équateur et trop qui part des océans. aux pôles. Donc certes, les pôles sont plus froids que l'équateur, l'équateur est plus chaud, mais pour que cette situation reste équilibrée, c'est-à-dire qu'on ne soit pas tout le temps en train de se réchauffer ou tout le temps en train de se refroidir, il faut qu'il y ait l'excédent de chaleur reçu à l'équateur qui parte vers les pôles, où là, il peut être relâché vers l'extérieur, vers l'espace. Et ce sont les courants marins qui réalisent ceci, mais pas qu'un seul. Souvent, on associe Amok et Gulfstream. En fait, le Gulfstream n'est qu'un des courants parmi tous ceux dans l'Atlantique Nord. qui vont contribuer à transporter la chaleur de l'équateur vers le pôle.
- Speaker #0
D'accord. Et donc, est-ce que tu peux nous expliquer peut-être rapidement pourquoi on parle de cet amoc sur les derniers mois ? Pourquoi ce courant, il est si important pour notre climat ? Ce courant, cette représentation climatique.
- Speaker #1
Oui, c'est bien. Alors, on parle beaucoup de l'amoc. Il y a des fluctuations. Je pense qu'on va parler tout de suite de l'histoire des médias qui essayent de s'emparer de phénomènes climatiques. pour soit rassurer, soit alarmer les gens par rapport au changement climatique. On reviendra sur ce sujet-là. Il y a beaucoup de cet effet de mode qui fait que parfois on parle de la moque, parfois on en parle moins, et qui explique aussi pourquoi les médias, dès qu'il y a un nouvel article scientifique qui parle de la moque, tout de suite ils s'en emparent, et ils nous demandent d'intervenir pour expliquer si c'est ou pas une signature du changement climatique, qui est finalement assez secondaire. Il y a des activités scientifiques qui sont en cours à propos de la moque pour comprendre ce qui se passe. Pourquoi ? Parce que c'est vraiment un des moteurs importants du climat. Et surtout, ce qu'on en avait compris par le passé, hors contexte changement climatique, c'est une chose. Et c'est cette histoire que quand la moque est faible, voire ralentie, voire ne fonctionne pas du tout, le climat est glaciaire. Et quand elle est forte, le climat est plutôt tempéré. Ça, c'est l'image qu'on en avait, c'est une théorie qu'on avait par rapport à une certaine période du climat du passé. Actuellement, on sait que la MOC transporte de la chaleur, elle a ce rôle aussi de stratification, déstratification, c'est-à-dire qu'elle va faire ses mélanges, homogénéiser les colonnes d'eau ou pas. Mais pour le futur, ce qu'on sait, c'est qu'elle va diminuer, c'est qu'elle va s'affaiblir, c'est ce que disent tous les modèles, et on sait que ça va avoir un impact. Mais cet impact, on prévoit qu'il sera exactement opposé à ce qu'on pouvait observer dans les climats passés, pour la raison suivante. On n'est plus dans le même climat que dans le passé, on est dans un climat qui se réchauffe. à l'échelle globale, parce qu'on augmente la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Or, en ce moment même, le fait que l'océan, il y ait ce mélange convectif au haut de latitude, qui prend des masses d'air, les charge de matériaux en surface et les injecte en profondeur, c'est du carbone qu'on va mettre en profondeur, qu'on va séquestrer. Donc en fait, avec une moque forte, on va charger les masses d'eau en surface de carbone, qui va être séquestrée en profondeur. Ça fait du réchauffement global en moins. Et si la moque s'arrête, alors on arrête ce phénomène. On laisse tout le casse à effet de serre dans l'atmosphère et tout le dioxyde de carbone et les autres casse à effet de serre qui sont produits, on les laisse encore plus. Alors, ça va réchauffer encore plus. Donc, c'est exactement le contraire que l'image que les gens ont. Alors, ça, c'est à gros traits. C'est une explication avec les mains. Très précisément ce qui va se passer, le souci des modèles qu'on est en train de produire en ce moment pour se projeter dans le futur, c'est qu'ils sont imparfaits, notamment sur leur représentation de la MOC. Donc en fait, très précisément, à quelle date ça va se passer ? Exactement c'est quoi la succession des événements en chaîne ? On n'est pas capable de le dire parce qu'on est exactement dans l'incertitude des modèles. Mais ce qu'on est sûr et certain maintenant, c'est que ce n'est pas une bonne chose pour le changement climatique que la MOC s'arrête, parce que ça va induire des conséquences. qui sont celles qu'on s'attend déjà, mais encore plus fort et encore plus rapidement.
- Speaker #0
Et donc c'est à ces endroits-là que le carbone plonge ?
- Speaker #1
C'est à cet endroit-là que les masses d'eau se mélangent entre la surface et la profondeur.
- Speaker #0
J'ai rien écouté.
- Speaker #1
Et résulte en un puits de carbone, une plongée de carbone au fond des océans.
- Speaker #0
Donc carbone qui viendrait de tout l'Atlantique Nord potentiellement ?
- Speaker #1
Non, qui vient directement de l'atmosphère. En fait, c'est le carbone de l'atmosphère qui est directement capté dans les masses d'eau et qui après va en profondeur.
- Speaker #0
Et qui est capté dans les masons à cet endroit-là ? À cet endroit-là. D'accord, j'ai cru que c'était du carbone. Non,
- Speaker #1
c'est exactement analogue s'il y en avait un poumon à cet endroit-là, qui tout d'un coup se gonfle de l'air qui est juste avoisinant, et va ensuite l'envoyer en profondeur.
- Speaker #0
Dans l'AR6, il est dit qu'il y a un degré de confiance moyen dans le fait qu'il n'y aura pas d'effondrement abrupt de cette circulation avant 2100. Donc l'AR6 est sorti en 2021. Peut-être qu'il se base sur des études qui allaient jusqu'à 2017-2018. Je crois qu'il y a un gap de 2-4 ans. Est-ce qu'aujourd'hui, ce constat-là, il est inchangé ? Ou alors, on a déjà des nouvelles choses à dire ?
- Speaker #1
Je serais très précautionneuse, parce que très respectueuse du travail qui est fait dans les rapports du GIEC. Le GIEC, il faut revenir d'un point de vue pédagogique, ce que c'est, c'est tous les scientifiques qui sont informés sur ces questions, qui réussissent à trouver ce sur quoi ils sont vraiment d'accord. Et la qualification de confiance moyenne ou effet très probable ou très peu probable, c'est vraiment en fonction du consensus par rapport à ce sur quoi on est d'accord et qu'on ne remet plus en question. Et ce travail du GIEC, c'est un travail vraiment important que je respecte énormément, mais que je ne vais pas refaire à moi toute seule parce que précisément, ce ne serait pas rendre hommage à cet effort collectif de mettre tous les gens qui sont informés dans la même salle pour se mettre d'accord. Je me réjouis qu'il y ait un prochain rapport qui arrive bientôt, qui justement va pouvoir faire la synthèse de toutes les productions scientifiques qui ont eu lieu depuis le précédent. Et indiquer précisément si, au regard des nouveaux éléments, c'est encore plus probable que l'effondrement se passe ou pas, ou au contraire, on n'est toujours pas très sûr que ça va se produire ou pas. Moi, j'ai juste un regard de modélisatrice qui regarde une certaine catégorie de modèles de climat avec un œil critique sur ces modèles de climat. Et moi, ce que je vois de ces modèles-là, c'est que tous prédisent que la MOC va s'effondrer. Dans un futur plus ou moins proche, d'ici 10 ans à d'ici 50 ans, mais c'est sûr que d'ici 2100, des éléments que moi je regarde précisément, la MOC aura très profondément changé de nature. Mais encore une fois, je dis ça de mon regard d'experte et de spécialiste sur une petite partie du spectre de ces connaissances, et je respecte entièrement... Il faut aussi rendre hommage aux controverses scientifiques qui ont lieu à propos de la MOC. C'est-à-dire que l'état des connaissances sur la MOC est très faible. On peut peut-être parler du fait qu'on ne l'observe que depuis 2004. Avant, on ne l'observait pas. On déduisait sa valeur de mesure indirecte et c'était très fortement imprécis. Et depuis 2004, ce qu'on découvre, c'est qu'il y a des fluctuations très importantes d'une semaine sur l'autre, d'un mois sur l'autre, d'une année sur l'autre, beaucoup plus importantes que ce qu'on imaginait avant. Et du coup, chaque année, quand on sort les instruments de l'eau et qu'on a les nouvelles mesures, on est très impatient de voir dans quelle direction ça fluctue. Mais ça fluctue énormément, ça change beaucoup et on n'a pas du tout assez de recul par rapport à ces mesures pour vraiment dire si la moque est en train de s'effondrer ou pas.
- Speaker #0
Et vous ne pouvez pas dire si ces fluctuations sont dues au changement climatique ou à la variabilité naturelle ou à autre chose ?
- Speaker #1
C'est absolument trop court. pour pouvoir mentionner quoi que ce soit. C'est évidemment des sujets qu'on étudie, et on essaye de faire dire plus aux données. Et donc il y a tout un armada de méthodologies qu'on met en œuvre, et qui sont très très pertinentes. Mais c'est de là qu'émerge la controverse. C'est qu'une méthode qui amène un nouveau résultat va toujours venir accompagnée d'une discussion qui remet en question les hypothèses de travail, ou les hypothèses de cette méthode, etc. C'est ça la controverse, c'est ça mon métier, c'est passionnant. Mais de là à en sortir tout de suite une conclusion, non, en fait, on changerait d'avis tous les jours. C'est pour ça que je respecte le temps aussi des rapports du GIEC, qui prennent le temps à intervalles suffisamment longs pour pouvoir digérer tous ces résultats, laisser le temps de la controverse scientifique, laisser le temps de la remise en question, parfois par les mêmes auteurs qui ont écrit un article, qui reviennent sur le résultat. Voilà, ça c'est le temps de la science à digérer avant d'émettre ses conclusions pour la société.
- Speaker #0
D'accord. Par contre, est-ce qu'il y a controverse ou pas sur le fait que cet amoc, il a quand même ralenti depuis les dernières dizaines d'années ?
- Speaker #1
Il y a encore de la controverse sur ça aussi, parce que ce sont que des mesures indirectes.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Il y a un faisceau d'éléments qui semble converger vers le fait que, oui, elle était quand même en train de ralentir. À quelle vitesse ? De quelle amplitude ? Et pourquoi ? Ça, c'est encore ouvert à controverse.
- Speaker #0
D'accord. Donc, admettons... On ne sait pas vraiment aujourd'hui, on ne peut pas dire à 100% que ça va commencer à ralentir. Par contre, selon tous les modèles, ça ralentira sous l'effet du changement climatique.
- Speaker #1
Tout à fait. Et ça, on le dit avec certitude parce qu'on pense à un processus physique qui est incontestable, c'est le réchauffement de la surface de l'océan. C'est-à-dire que sous l'effet du réchauffement global, l'océan aussi se réchauffe. Et aux endroits où, justement, comme j'expliquais, le mélange convectif en hiver, on a besoin, en fait, que les eaux, à un moment, soient... beaucoup plus froides pour se mélanger avec les eaux en profondeur, transférer leur chaleur. Si tout l'océan est très chaud, c'est tout l'océan qui est plus stratifié. Cette histoire de gâteau de crêpes, on va avoir des eaux chaudes et des eaux froides en profondeur. Et ça, en fait, c'est une barrière au mélange convectif.
- Speaker #0
En préparant cet épisode, j'ai vu une carte peut-être pas forcément de lui, mais en tout cas qui a été partagée par Stéphane Ramstorf, qui est un spécialiste allemand sur la question. Et il montre bien que dans un climat du futur, Il y a une tâche bleue qui apparaît dans l'Atlantique Nord, je ne veux pas dire de bêtises, et qui signifie qu'il y aurait un refroidissement à cet endroit en particulier. Et que ce serait à peu près un des seuls endroits sur la planète où ça se refroidirait. Est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de ce domaine ?
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Alors, ce spot, il correspond plus ou moins au cœur de la gire subpolaire, qui est cet endroit dans lequel se passe ce mélange convectif. Donc... Le lien avec ce qui précède, il est là, il n'est pas simple à comprendre, donc je vais essayer de faire un effort de pédagogie. Il faut savoir que chaque hiver, les conditions dans l'atmosphère sont quand même plus froides que l'été. Et ça, on va passer avec un climat plus chaud, donc les conditions hivernales seront en moyenne de moins en moins froides, mais on continuera à avoir des tempêtes hivernales avec des températures très très froides. Et donc c'est ce contraste avec l'océan qui fait que localement, la chaleur qui est dans l'océan est transférée à l'atmosphère et du coup, elle est partie de l'océan. Donc l'océan, il est plus froid localement. Alors pourquoi ça se passe qu'à certains endroits et pas partout ? Il faut regarder un petit peu en profondeur. Il faut replonger dans mon château de crêpes. En fait, on a un principe qui s'appelle la géostrophie qui relie l'intensité des courants avec la forme de mon château de crêpes et surtout les pentes des parois. C'est-à-dire que quand on a des courants, On a forcément un contraste à une même profondeur entre des masses d'eau légères et lourdes, ou chaudes et froides. Et ce contraste fait que, plutôt qu'avoir un chat de côte crêpe avec des crêpes à l'horizontale, elles sont un peu penchées. Et ce qui se passe dans la gire subpolaire, donc celle qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, c'est qu'en fait, on a non pas des crêpes plates, mais des crêpes qui vont être bombées vers le cœur de la gire subpolaire. avec des courants qui tournent tout autour et qui vont du coup emmener sur les pourtours des eaux qui sont plus chaudes que ce qui va se produire à l'intérieur du gire. Et ça, en fait, on est juste en train de reprendre le début de l'histoire de l'interview, à savoir les masses d'eau chaude qui viennent du golfe du Mexique, qui sont interminées par le golfe stream, qui s'est cassé en tourbillons, qui finalement vont voyager autour, qui vont parcourir le pourtour du gire subpolaire. Qu'est-ce qui se passe au cœur ? C'est plus froid. C'est plus froid et il y a ce gros stock d'eau dense au milieu qui, assez facilement, quand il y a de l'air froid qui arrive, peut en fait être mis en contact avec l'atmosphère. Parce qu'il y a juste une petite couche d'eau chaude qui est en surface qui peut facilement être érodée. S'il n'y en a pas de convection, cette petite couche d'eau chaude devient très importante. Et là, c'est beaucoup plus difficile d'aller percer et d'aller ventiler, faire un mélange avec les eaux en profondeur. Mais quand c'est actif, ce mélange convectif, et c'est le cas chaque hiver, c'est-à-dire que chaque hiver on a... Une convection. On a un transfert de chaleur de l'océan vers l'atmosphère. Alors là, à cet endroit-là, à la fin, on a des masses d'eau qui sont plus froides que ce qui était sur le pourtour. Donc en réalité, ce que Stéphane Rachtor décrit avec ces zones localisées de refroidissement, c'est des zones privilégiées pour que l'océan, plutôt que garder la chaleur et la stocker, va l'avoir envoyée dans l'atmosphère ou va l'avoir mélangée en profondeur avec les masses d'eau beaucoup plus profondes. Et ça ne peut se produire que dans des endroits qui sont... peuvent stratifier, parce que quand c'est stratifié, c'est vraiment une barrière, c'est un blocage qui empêche la convection de pénétrer en profondeur. Ces zones, on les a observées notamment au milieu des années 2010, en 2015, 2016. C'était l'anomalie. Alors, soi-disant, on a parlé d'hiatus aussi. On s'est posé la question de qu'est-ce qu'on était en train d'observer ? Est-ce que c'était la moque qui avait diminué, qui s'était arrêtée et qui faisait qu'il n'y avait plus de chaleur qui arrivait à cet endroit-là ? Ou est-ce que c'était autre chose ? Il y a eu beaucoup de débats et beaucoup de controverses, des questions aussi par rapport à ce sujet. à ce qui se passait dans l'atmosphère en même temps. Parce qu'il ne suffit pas juste d'avoir des tempêtes hivernales, il y a des régimes de temps qui vont plus ou moins amener ces conditions, très fois dans l'atmosphère en hiver, dans ces régions particulières. La conclusion, c'est que tout ça, il y a beaucoup de variabilité naturelle qui est toujours en cours et qui est toujours en train de se produire. Et on ne sait pas encore attribuer un événement précis à est-ce que c'est toujours de la variabilité naturelle à 100% ou est-ce que c'est déjà l'impact du changement climatique qu'on est en train d'observer.
- Speaker #0
Donc, on reviendra sur l'effet de cette tâche bleue. qui se refroidit sur les cartes, parce que je pense que ça a un effet aussi sur les conséquences, dans lesquelles on va revenir, les conséquences de la moque ou du ralentissement dans quelques instants. Mais on a dit qu'on ne sait pas encore s'il y a un ralentissement, mais on sait qu'il y en aura un, même un effondrement. En combien de temps l'effondrement peut se passer ? Parce qu'on parle de la moque comme un peu d'un point de bascule. Et la définition d'un point de bascule dans le GIEC, il y a quand même cette notion de soudaineté.
- Speaker #1
Tout à fait. Donc, le soudaineté dans des échelles de temps climatiques, on est sur de l'ordre de 10 à 50 ans.
- Speaker #0
Oui. Voilà. Donc, c'est pareil pour le MOC.
- Speaker #1
C'est pareil pour le MOC, sauf qu'il y a une énorme incertitude sur ce qu'on va se passer. C'est-à-dire que si on descendait en dessous de l'échelle de 10 ans, on pourrait dire d'échelle de 1 an. Mais là, tout de suite, on est en train d'observer ça. C'est-à-dire qu'il y a une année où la MOC est très faible et puis l'année d'après, la MOC est très forte. Elle n'est pas en train de faire un point de bascule d'une année sur l'autre pour autant. Donc ce qui est délicat, c'est que cette notion de point de bascule se superpose à cette variabilité naturelle de la moque qui est là, mais qu'on a peu observé. Parce qu'encore une fois, depuis 2004, on a juste 20 ans d'observation. Donc on n'a pas vu plein de points de bascule. On a vu plein de fluctuations, plein d'extrêmes dans tous les sens. Et on doit se satisfaire de ça plus. de tous ces modèles, avec toutes les controverses associées par rapport aux modèles, pour essayer de conclure. Donc, un point de bascule climatique, c'est quelque chose qui est de l'ordre de la dizaine d'années, voilà, jusqu'à 50 ans, parce qu'il y a des points de bascule qu'on va franchir et on se rendra compte après, ça prend au moins 50 ans. Je pense notamment aux points de bascule qui sont associés à la cryosphère.
- Speaker #0
D'accord. Donc, si je résume, ça pourrait être demain... Et ça sera effondré en 10 ans, donc en 2035, ou ça peut être dans 50 ans, et ça prendra 50 ans à s'effondrer. Est-ce que c'est pour chêne ?
- Speaker #1
Ça, c'est possible.
- Speaker #0
Et on n'a pas parlé de comment ça ralentirait, mais en gros, c'est la fonte de la cryosphère qui ramène de l'eau douce, c'est ça ?
- Speaker #1
C'est d'abord juste le fait que tout se réchauffe, et aussi bien l'air en surface que les masses d'eau en surface. Et si tout est plus chaud, alors on n'a plus ce déclencheur qui est ce qu'on appelle l'instabilité statique, à savoir qu'il y a des masses d'eau froide qui sont formées quelque part. Si tout est plus chaud, il n'y a pas de masse d'eau froide qui est formée, et donc il n'y a pas de raison de faire de la convection profonde. Et plus ça va aller, plus ce sera difficile à faire de la convection profonde.
- Speaker #0
Mais ça, c'est une idée reçue ou pas ? L'eau...
- Speaker #1
Tout à fait, l'eau froide. C'est une idée reçue.
- Speaker #0
L'eau non salée surtout.
- Speaker #1
L'eau, oui, fraîche, pas froide, en effet. L'eau désalée.
- Speaker #0
Fraîche, water, mais... Voilà, l'eau douce.
- Speaker #1
Donc le douce, c'est une idée reçue qui vient de la théorie pour laquelle on a raconté la moque au tout départ à savoir cette période du climat passé avec ses fluctuations de climat glaciaire interglaciaire, on a imaginé cette théorie de la moque avec ce rôle particulier de la salinité qui est le contraire de la température, qui vient compenser, c'est-à-dire que quand les masses d'eau se forment, qu'elles sont plus lourdes parce qu'elles sont froides, elles sont aussi dessalées et le fait qu'elles soient dessalées vient les rendre moins lourdes. Et à l'inverse, les masses d'eau chaudes qui arrivent, qui sont transportées, elles sont légères parce qu'elles sont chaudes, mais elles sont salées parce qu'elles viennent des subtrochiques. Et parce qu'elles sont salées, elles ne sont pas si légères, elles sont un peu plus lourdes. Le fait que la température et les salinités, en fait, se combattent un peu sur ce chantier-là par rapport à la densité des masses d'eau, c'est ça qu'on a décrit comme la circulation thermo-haline, et c'est ça qui permet d'avoir une capacité pour cette circulation de s'auto-générer des fluctuations, c'est-à-dire que La température va avoir un rôle de rétroaction négative et la salinité de rôle de rétroaction positive. Et c'est le combat des deux qui fait que tout à coup, spontanément, la moque peut se mettre à avoir des fluctuations d'un état à l'autre, d'une phase à l'autre. Et donc, c'est de là que vient le rôle de l'eau douce sur la moque, à savoir si on rajoute de l'eau douce, on empêche les masses d'eau en surface dans la mer du Labrador de devenir plus denses. Et résultat, elles ne peuvent plus plonger. On a compris maintenant que c'est une convection. La convection ne peut plus se passer et du coup, tout s'arrête. Cette idée-là, encore une fois, ça vient d'études des climats passés. À l'heure actuelle, certes, on libère beaucoup d'eau douce dans l'Atlantique Nord. Et d'ailleurs, pas que parce que la cryosphère fond, mais surtout parce que le cycle hydrologique d'évaporation-précipitation est intensifié. Donc une grande partie de l'eau douce supplémentaire qui est dans l'Atlantique Nord, c'est à cause de ces précipitations. Mais quand on regarde précisément le trajectoire de cette eau douce, et où est-ce qu'on va la retrouver ? En fait, on ne la retrouve pas plus que ça aux endroits... où il y a la formation d'audence. Ou plutôt, quand il y a de la formation d'audence, elle est aussi dessalée. Et donc, ça n'est pas un problème pour faire de l'eau dense, avoir de l'eau dessalée. C'est pour ça que dans le futur, le premier moteur de ralentissement de la moque, ce n'est pas la salinité, mais c'est l'augmentation des températures et de la chaleur. Parce que c'est ça qui semblait être le critère déterminant au premier ordre pour dire si on peut faire une masse d'eau ou pas. Alors après, il est évident que la salinité joue quand même un rôle, mais qui va se rajouter à cela. Autrement dit, si on est dans un futur avec des masses d'eau plus chaudes, plus légères en surface, et en plus, elles sont plus dessalées, soit à cause des précipitations, soit à cause de la fonte du Grand-Henland, dans ces cas-là, on a toutes les bonnes raisons de ne pas faire ce mélange convectif et donc de ne pas pouvoir entraîner la moque.
- Speaker #0
D'accord. Donc, l'élément numéro un de la convection, c'est la différence de température entre l'eau et l'atmosphère.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
D'accord. Et en deuxième, il y a la salinité. Et j'imagine que ça pourrait être un point de bascule aussi quand les deux... Ça additionne, bon, on ne sait pas.
- Speaker #1
Mais dans le climat futur, ce qui est sûr, c'est que les deux vont aller dans la même direction. C'est ça aussi qui fait qu'on est à peu près sûr que la MOC va s'arrêter. C'est qu'en fait, on va avoir les deux rôles qui vont se superposer.
- Speaker #0
Et on est sûr qu'il va s'arrêter dans n'importe quel scénario d'émission. Oui. Même le 1.6, donc le plus...
- Speaker #1
Même celui-là, oui, ça s'arrête. D'accord. Alors, exactement ce scénario-là et exactement tous les modèles, je n'ai pas les figures en tête.
- Speaker #0
De toute façon, je pense qu'il a été... balayer la revers de la main ces dernières années. L'objectif des 1.5 est...
- Speaker #1
Il est un peu caduque.
- Speaker #0
Donc, comme ça va arriver, on va se pencher maintenant sur les implications de cet arrêt ou de ce ralentissement, le ralentissement puis de l'arrêt. Est-ce que vous pouvez nous lister les effets que ça aurait ? Alors, on a déjà parlé du... du stockage du carbone, il y en aurait moins. Donc, l'océan sera un puits de carbone moins efficace globalement. Il y a quoi d'autre ? Par exemple, la biodiversité marine, par exemple, je veux dire que je serais atteinte aussi.
- Speaker #1
Alors ça, on va peut-être parler d'abord des effets à court terme qui sont attendus. D'accord. À savoir qu'à court terme, l'océan, il joue quand même ce rôle de couverture thermique ou thermostat pour tous les continents qui sont autour. Et donc, un arrêt de la moque, c'est un arrêt du transport de la chaleur aux hautes latitudes. Et donc, on s'attend à ce que ce soit des conditions sur les... continents qui sont tout autour, qui soient finalement telles que ce qu'on voit avec le chambre climatique, mais en pire. Notamment, par exemple, des canicules en été qui sont encore plus fortes. Pourquoi ? Parce que l'océan est chaud, il ne peut pas refroidir, il est encore plus chaud, il est toujours plus chaud en surface, donc il ne peut pas jouer ce rôle de thermostat. Donc on s'attend à des canicules plus chaudes en été. Et par contre, on s'attend... à des événements en hiver plus radicaux, plus extrêmes. Donc des températures en hiver plus froides, plus de précipitations de neige par exemple en Scandinavie. Donc en fait, c'est des extrêmes qui sont plus marqués. Et suite à ces conditions sur les continents, il y a bien évidemment tous les impacts sur les écosystèmes, sur la production de nourriture, etc. Par rapport au niveau de la mer, on s'attend aussi à des conséquences, qu'il y ait une augmentation du niveau de la mer à peu près partout dans tout l'Atlantique Nord. Et pour les écosystèmes dans l'océan, c'est ça qui va avoir un impact. C'est d'une part le fait que l'augmentation de la température sera partout et sera plus généralisée, cette surstratification, c'est ça aussi qui empêche l'oxygène profond des océans de remonter et d'alimenter les couches photiques là où la vie est en train de se développer. En plus de la hausse du niveau de la mer qui va changer le trait de côte et qui va déplacer les écosystèmes, voilà, on a un cocktail détonnant.
- Speaker #0
Donc, je reviens sur ce que vous venez de lister, les hivers plus froids et les étés plus chauds, on parle de l'Europe.
- Speaker #1
On parle de l'Europe, mais attention, ce n'est pas tout l'hiver plus froid. C'est les événements hivernaux extrêmes, là, seront encore plus intenses. D'accord. De même que les événements estivaux extrêmes, qui l'appellent plutôt chou, seront encore plus chauds.
- Speaker #0
Donc, on aura des hivers en moyenne plus chauds, sauf qu'on aura plus de chances d'avoir une semaine, deux semaines plus froides.
- Speaker #1
Une grosse tempête de neige, exactement.
- Speaker #0
Et on parle des pays qui sont des pays côtiers, ou alors c'est l'Europe même dans les terres ?
- Speaker #1
C'est toute l'Europe de l'Ouest. Donc c'est jusqu'à toute la Scandinavie. Et alors après, le régime change vraiment quand on arrive à l'est de l'Allemagne et vers la Pologne. Là, on a quand même un type de climat qui est très différent. Avec des masses d'air qui sont différentes, des trajectoires, etc.
- Speaker #0
D'accord. Donc, quand on parle d'élévation au niveau de la mer, au GIEC, je pense qu'on disait entre... 30 cm et 1,50 m selon les scénarios, donc il faut rajouter 1 m par rapport à ça ?
- Speaker #1
Non, il faut être sûr qu'on est sur le mètre 50.
- Speaker #0
On est sûr qu'on est sur le mètre 50, d'accord. Un minimum, j'imagine, parce qu'il y a les scénarios, les missions plus élevées.
- Speaker #1
Le problème aussi de ces amplitudes qui sont données dans le GIEC, c'est qu'il faut vraiment regarder à l'échelle locale ce qu'il faut en dire. C'est-à-dire que l'élévation du niveau de la mer, c'est à l'échelle globale. Donc, ce n'est pas que l'Atlantique Nord. Et il y a des endroits où le niveau de la mer est en train de diminuer. Et après, quand on essaie de se poser la question de l'élévation, par exemple, au large du Mont-Saint-Michel, alors là, il y a des effets locaux qui se superposent. Parfois les courants en charge de l'eau, mais aussi les marées, les moments de terrain, les sédiments, etc.
- Speaker #0
Et ça, c'est intéressant parce que vous dites qu'il y a des endroits où le niveau de la mer baisse et le niveau de la mer monte. Je sais que les climato-sceptiques s'en rajustent parce qu'ils se trouvent le petit endroit sur la carte où ça a baissé. Mais donc ça, c'est dû à quoi au vent ?
- Speaker #1
Alors non, ce n'est pas dû au vent. C'est dû au fait qu'il y a des régimes océaniques, qu'il y a des dynamiques et il y a des provinces. Et en fait, il y a des provinces qui ont certaines dynamiques et qui vont dans le futur évoluer dans une direction ou dans une autre.
- Speaker #0
Des provinces dans l'eau. Des provinces dans l'eau.
- Speaker #1
On est en train de parler de provinces dans l'eau. Donc ça, c'est juste si on se focalise que sur la phase liquide, donc l'eau qui est dans les océans. Après, il y a des endroits où la mer baisse parce que c'est la terre qui remonte. Typiquement, tout ce qui est le nord de la Scandinavie, en fait, on est toujours sous l'effet du rebond après le dernier maximum glaciaire. qui est que quand il y avait une grosse calotte de glace qui était posée, la Terre était enfoncée sous le poids de la calotte de glace. Cette calotte a disparu, mais on est toujours dans le temps géologique de remonter de la croûte terrestre à cet endroit-là. Donc à cet endroit-là, le niveau de la mer diminue parce que la Terre remonte.
- Speaker #0
Comme un ressort.
- Speaker #1
Comme un ressort, exactement. De la même manière, il y a des endroits où la croûte terrestre s'enfonce. Et là, dans ces cas-là, le niveau de la mer remonte encore plus. Et c'est notamment le cas des grandes villes, des grandes métropoles qui sont en façade côtière, parce que le poids de l'infrastructure de la métropole pèse sur la côte terrestre, ce qui a tendance à s'enfoncer.
- Speaker #0
Dans les deltas aussi asiatiques. Bon, dans l'introduction, vous connaissez l'introduction que j'ai faite tout à l'heure, j'ai parlé du jour d'après, où il y a une banquise qui s'installe un peu partout. Bon, c'est pas du tout ça.
- Speaker #1
C'est pas du tout ça. D'accord. Alors si, peut-être ça a été ça, donc les échelles de temps sont pas bonnes, c'est beaucoup trop rapide dans le film. Mais peut-être cet aspect banquise versus pas banquise, c'était ça dans le climat du passé. Peut-être. Ce qui est sûr, c'est que tout de suite, on peut pas juste calquer ça. Ça, c'était l'image qu'on en avait si le climat n'avait pas changé par ailleurs. Mais en ce moment, le fait que le climat change par ailleurs et que du coup, le rôle de l'océan et le rôle de la moque par rapport au climat est différent. Ça, on ne peut pas faire l'erreur de l'oublier.
- Speaker #0
Donc, on va revenir sur les conséquences. Il y en a une qui m'inquiète tout particulièrement, c'est le régime des précipitations qui change, c'est ça ? Oui. Et est-ce que vous pouvez nous parler déjà de quelle manière il change ? Et aussi les implications sur les récoltes de céréales, si c'est quelque chose que vous avez étudié ou que vous avez lu ?
- Speaker #1
Alors... Non, ce n'est pas quelque chose sur lequel je suis très experte. Donc, je peux en parler parce que j'ai lu le rapport du GIEC moi-même, pour savoir la synthèse qui en était faite. Il faut distinguer les modifications du cycle hydrologique dans la bande équatoriale et au moyen de latitude. Au moyen de latitude, j'en ai parlé, on a une intensification du cycle hydrologique avec finalement plus d'évaporation à l'équateur et donc plus de précipitation au moyen de latitude, ce qui nous apporte là.
- Speaker #0
Au moyen de latitude, c'est chez nous.
- Speaker #1
C'est chez nous, voilà, c'est chez nous. et c'est ce qu'on appelle la cellule de Hadley dans l'atmosphère. Et ça, en fait, sur l'année, ça va faire plus de précipitations. Mais ce qu'on a remarqué, c'est qu'on avait une concentration de saisonnement précipitant sur des fenêtres de temps assez courtes. Et donc, ça fait des extrêmes. Et résultat, ça fait de l'eau qui n'est pas forcément disponible pour les écosystèmes qui sont en train de se développer. Ça, c'est ce qu'on observe maintenant. Et ça, c'est naturellement sans modification de la MOC. Et ce que dit le rapport du GIEC, c'est qu'avec un arrêt de la MOC, ce sera ça encore pire. et encore plus important. L'évolution autour de la bande équatoriale, il est en fait de nature à peu près similaire, c'est-à-dire qu'avec un arrêt de la moque, on va avoir encore plus de précipitations dans la bande où il y a les grosses précipitations sur l'équateur, et encore plus d'évaporation dans les zones qui sont désertiques, donc qui sont un tout petit peu à l'écart de l'équateur, qui seront encore plus désertiques. Mais sur ça, par exemple, je sais qu'il y a des grosses controverses autour de l'évolution du Sahel, par exemple, qui est une région qui est désertique, mais qui n'a pas toujours été désertique, qui a été verte par le passé, Et on se pose la question dans le futur, dans quelle mesure la désertification va continuer ou au contraire, est-ce qu'on va retourner vers un Sahel vert ? Et ça, c'est des controverses qui sont très intéressantes, qui font beaucoup sensation sur, en effet, les espaces de discussion de public non averti par rapport au côté dramatique des conséquences du changement climatique. Non, je pense qu'il ne faut pas s'en réjouir de ça. Il faut juste se poser la question de quelle est l'incertitude qu'on a par rapport à certaines régions. Je pense que le changement climatique, personne ne peut s'en réjouir nulle part.
- Speaker #0
Est-ce que vous pensez que l'arrêt de la MOC pourrait déclencher d'autres points de bascule ? Non, ça, on ne sait pas du tout. Ça, on ne sait pas et ce n'est pas parce que je n'y ai pas réfléchi, mais c'est parce que la méthode scientifique, c'est de remettre en question ce qu'on croit savoir pour essayer d'aller plus loin et pour étoffer nos connaissances. Et donc, ce point de bascule de la MOC, c'est à la fois quelque chose auquel on s'attend parce que les modèles, parce que la théorie, mais ce n'est tellement pas quelque chose qu'on a déjà observé que ça reste à l'état d'une hypothèse. d'un point de vue scientifique, on est impatient de confirmer, d'un point de vue scientifique, un peu moins, parce qu'on sait que les conséquences seront désastreuses, mais j'ai rarement lu d'études qui racontent ce qui va se passer après le point de bascule de la banque, et donc, notamment, est-ce que ça entraînerait un autre point de bascule ?
- Speaker #1
Donc... Ce que vous dites, c'est très grave, ce que vous décrivez, tous les effets, mais vous ne vous paraissez pas particulièrement inquiet parce que j'imagine que vous baignez dedans depuis 20 ans. Néanmoins, en tant que citoyen, quand on regarde la vidéo, etc., on se pose quand même la question. En fait, c'est bizarre parce que c'est grave ce qu'elle dit, mais par contre, elle n'a pas l'air inquiète. Est-ce que vous pensez qu'on doit s'inquiéter ? Est-ce que vous pensez que le scientifique, il doit aussi transporter des émotions comme les courants transportent ? la chaleur ou alors est-ce qu'il doit rester factuel ?
- Speaker #0
Alors c'est une question qui est très pertinente et à laquelle je veux répondre. Je suis très inquiète pour le futur. J'ai des enfants et j'aime bien le dire parce que je suis très inquiète pour mes filles, à savoir dans quel monde elles vont vivre, mais même avant elles, c'est moi, dans quel monde je vais vieillir ? Et qu'est-ce que je vais voir autour de moi ? Et d'un point de vue scientifique, j'ai... aucun problème à utiliser les termes de catastrophe parce que je pense que même le terme de catastrophe il est encore sous-estimé par rapport à ce qui va se produire encore plus si la moque s'arrête pourquoi j'arrive à le dire comme ça avec le sourire ? C'est d'une part parce que j'ai beaucoup travaillé moi-même par rapport à ces angoisses et donc je ressens de l'éco-anxiété mais je n'en souffre plus tellement je suis imprégnée par ça au quotidien en fait si grosso modo si je n'avais pas fait ce travail je ne serais pas là du tout en fait je ne serais plus là... je réussis à être là parce que j'ai trouvé ma manière d'affronter cette anxiété et de la transformer en action. Et une première action, c'est de venir raconter ça ici. Alors, les autres actions pour que je garde le sourire, que j'ai envie de me lever le matin, c'est qu'en fait, moi-même, personnellement, j'ai finalement atteint une cohérence entre mon mode de vie, mon mode de travail et ce que je vois au travers de mon travail et au travers de la science. À savoir, transformer mon quotidien. transformer aussi mes sources de réjouissance et de plaisir pour qu'elles soient plus en contradiction par rapport à ce que je sais qu'est en train de se produire, mais au contraire, que ce soit, même si c'est infinitésimal, même si c'est secondaire par rapport, même si ça n'a aucun rôle, au moins je fais ma part du colibri qui fait que moi-même, je me sens à l'aise à raconter en effet toutes ces horreurs. Ces horreurs aussi, c'est un vrai débat. Est-ce qu'on le dit comme ça ou pas ? C'est-à-dire que j'ai des collègues qui préfèrent avoir un langage beaucoup plus édulcoré. Au contraire, on me dit souvent que moi j'ai un langage très franc. Et que je dis les choses de façon un peu crue. C'est vrai, c'est un trait de ma personnalité. Je crois qu'il faut tous reconnaître qu'on a chacun notre façon de communiquer, qu'il y a notre personnalité. Et c'est vrai que j'ai tendance à parfois m'agacer quand les gens me disent mais non, mais ça ne va pas être si pire, rendez-vous compte, vous ne pouvez pas dire les choses comme ça Si, d'un point de vue citoyen, je pense qu'on n'est pas encore passé suffisamment vite à l'action de transformer nos sociétés, parce que justement, les gens ne prennent pas la mesure de ce qui est réellement en train de se passer. Alors, oui, il y a des risques en termes de société, que certains paniquent et ne sachent pas gérer cette peur. En effet, c'est vrai. Et je prends un risque, en parlant de cette manière-là, de paniquer certaines personnes. Mais c'est pour ça qu'on ne s'arrête pas ici tout de suite sur l'interview. Et que je veux raconter aussi qu'on a les solutions. Donc dans le rapport du GIEC, dans la partie 3, en fait on sait qu'on a toutes les solutions pour arrêter tout de suite le problème du changement climatique. Et en plus on a mis un prix dessus, et ce prix on peut se le payer à l'échelle de la planète. Donc en fait le problème, il n'est pas de ne pas savoir, le problème il est politique, il est sociétal. Pourquoi on ne veut pas terminer ce problème du changement climatique ?
- Speaker #1
Alors, j'aurais bien voulu rester sur cette note optimiste, mais j'ai une dernière question.
- Speaker #0
C'est pas grave, tu le montras.
- Speaker #1
J'aurais dit la plus tard.
- Speaker #0
Mais tu ne me feras pas perdre pour l'optimisme, ça ne guette pas.
- Speaker #1
Mais je pense qu'il y a moyen de la tourner vers l'optimisme aussi. Alors, j'ai un peu travaillé sur l'adaptation au changement climatique. Et donc, on se base sur des scénarios, par exemple, comme la TRAC 3, par exemple, se baser sur un scénario de réchauffement de 4 degrés en France. Sauf qu'en travaillant dessus, à aucun moment, On s'est dit qu'on allait préparer les collectivités, les territoires, les entreprises à des hivers glaciales. C'est plutôt l'inverse. On se disait que ça, c'était un problème d'hier. Est-ce que tu penses qu'avec ce potentiel arrêt de la MOC, la dynamique de l'adaptation qui s'est engagée ces dernières années... Elle n'est pas déjà caduque ?
- Speaker #0
Non, elle n'est pas déjà caduque parce que, par exemple, isoler son logement, c'est quelque chose qui va être bénéfique, que ce soit pour des événements très froids l'hiver et pour des événements très chauds l'été. Être résilient en termes d'énergie, savoir se contenter de très peu d'énergie pour assurer un confort dans son quotidien, ça aussi, ça va nous servir dans tous les événements extrêmes. Et là, on parle du chaud et du froid, mais à court terme, et on l'a vécu au printemps, En fait, les événements qui ont plus marqué la société dans l'Hexagone, ce n'était pas du très chaud, très froid, c'était des très grosses précipitations et des très grosses sécheresses. Et là, sur le coup, oui, on est un peu vierge de solution par rapport à nos sources d'alimentation. On a perdu beaucoup de fruits et de légumes. Il y a des quantités incroyables de productions qui sont pour nous nourrir, qui n'ont pas été rendues possibles à cause de ces accidents climatiques. Oui, sur ça, on est en retard. Il faut très vite s'adapter. Alors, est-ce que c'est la TRAC V3 ou la V12 qui sera la bonne ? Je ne sais pas. Ce n'est pas dans ma compétence. Par contre, ce qui est sûr, c'est qu'il faut très vite le faire. Et j'entends encore tellement de gens qui hésitent, notamment à cause de la controverse sur la MOC. Oui, mais on ne sait pas encore vraiment si la MOC va s'arrêter ou pas. C'est pour ça que je prends le temps de venir expliquer ça. C'est qu'en fait, nous, scientifiques, éventuellement, on a le temps de réfléchir à quand est-ce que la MOC s'arrête. Mais en tant que société, on n'a plus le temps de se poser la question. Il faut très vite... s'engager dans cette transition qui est très profonde, qui va remettre en question énormément des piliers de notre société. Oui, ça c'est certain. Je crois qu'il ne faut pas édulcorer, il ne faut surtout pas se dire que des changements à minima, ça suffira. Non, ce n'est pas vrai. Il faut tout transformer. Mais la bonne solution, la bonne nouvelle, c'est qu'on sait ce qu'il faut faire et on sait qu'on peut y arriver. Donc en fait, pour moi, il ne manque plus que le courage de s'engager dans cette direction.
- Speaker #1
Voilà, ce sera le mot de la fin. Merci, Julie D.
- Speaker #0
Merci beaucoup.