- Florence Gault
Ils sont les plus vulnérables face au dérèglement climatique et sont souvent les oubliés des discours écologiques. Ils, ce sont les habitants des quartiers populaires. Pollution de l'air, pollution sonore, passoire thermique, bétonisation, ils sont en première ligne des conséquences du réchauffement climatique. Pourtant, l'écologie n'est pas une réalité éloignée de leur quotidien, car souvent, sans forcément le savoir, ils ont déjà des pratiques écolo, mais ce n'est que très rarement valorisé. Alors, comment parler d'écologie en quartier populaire ? Comment aborder la question de la justice sociale sans diviser ? Reportage.
- Alexine Viney
Pourquoi pour vous c'est plutôt une question économique de manger végétarien ou pas ?
- Speaker #2
Franchement, personne ne va dire que les légumes coûtent plus cher que la viande à acheter, j'entends. C'est de plus en plus dur de produire de la viande achetée locale, les prix augmentent. D'une fois, ça coûte moins cher d'acheter un kilo de patates ou un kilo de carottes qu'un kilo de viande. C'est le prix, si on prend le prix pour nous. C'est beaucoup moins cher de manger végétarien.
- Alexine Viney
Merci, Elie. Effectivement, si je voulais des chiffres, un petit peu pour préciser ça, un régime à base de protéines animales, c'est-à-dire si vous mangez de la viande, du poisson, coûterait en moyenne 46 euros par semaine. C'est des études qui ont été menées, qui ont fait une moyenne, contre 33 euros pour un régime végétarien, donc là où vous mangez pas de viande, pas de poisson. Donc, en fait, si on prend sur l'année, c'est-à-dire que si vous mangez végétarien, en moyenne, vous économisez 650 euros par an.
- Florence Gault
Nous sommes dans les locaux de l'AFEV, dans le 3e arrondissement de Lyon. Ce jour-là, l'association Make Sense organise une journée de formation-action pour mettre les jeunes sur la voie de la transition écologique. Le public, une dizaine de jeunes qui participent à la prépa Apprenti Solidaire, un programme d'insertion professionnelle mis en place par l'Afev qui accueille des jeunes en service civique pendant 6 mois afin qu'ils puissent ensuite intégrer une alternance. L'atelier est animé par Alexine Viney, en charge du programme Transition Juste au sein de Make Sense.
- Alexine Viney
En arrivant, il y a toujours une part un peu sceptique, un peu timide. Là, on mélangeait deux groupes en plus de jeunes qui ne se connaissent pas forcément. Donc ça peut être un peu impressionnant. Et ce qui est marrant, c'est que quand je suis arrivée, j'ai croisé une des jeunes qui a participé à l'atelier et qui m'a dit Ah ouais, je vais à l'atelier des écologistes Ce qui en dit long sur comment on a été présenté aussi pour cet atelier. Et du coup, j'ai introduit directement comme ça en disant, voilà, vous apparaîs nous en tant que les écologistes. Mais aujourd'hui, on ne va pas parler que d'écologie. On va aussi beaucoup parler d'inégalité, de justice sociale. Et l'idée de cet atelier, de cette journée, ce n'est pas de vous culpabiliser sur l'écologie et d'avoir un discours moralisateur, mais c'est plutôt de valoriser déjà vos pratiques et de voir pourquoi l'écologie, c'est important et très en lien avec les questions de justice sociale. Je voudrais savoir, est-ce que vous vous sentez coupable quand on parle d'écologie ? Est-ce que je vais voir ici des personnes qui se disent Bah moi en fait je me sens coupable parce que moi dans mon quotidien je fais pas grand chose et du coup ça fait que je me sens coupable quand on parle d'écologie, que je vois les catastrophes qu'il y a en ce moment. Et là, je vais voir toutes les personnes qui disent Bah non en fait moi je me sens pas du tout coupable parce que je pollue pas tant que ça et potentiellement il y a d'autres organisations qui polluent plus que moi.
- Speaker #2
Personne se sent coupable ? Je vais m'y mettre.
- Alexine Viney
On va commencer par vous donner la parole. Pourquoi vous ne vous sentez pas coupable sur les questions économiques ? Parce qu'on fait des choses. Ok. Vous faites des choses, vous mettez la poubelle.
- Speaker #3
J'ai un téléphone reconditionné.
- Alexine Viney
Téléphone reconditionné. Oui,
- Speaker #2
après il y a des choses en commun, pas prendre d'avion, ce genre de choses.
- Alexine Viney
Ça marche. Et à l'inverse, pourquoi vous vous sentez coupable ?
- Speaker #2
Même si je fais tout ça un peu, je me sens quand même coupable parce que je ne le fais pas correctement.
- Alexine Viney
C'est-à-dire ?
- Speaker #2
Par exemple, je trie, ou même je trie sa poubelle. Des fois, je suis pressée. Pour être honnête, je ne respecte pas forcément.
- Alexine Viney
Mais moi, je vais profiter de ce petit moment pour revenir avec ma couche d'inégalité. Mais on ne pollue pas tous et toutes de la même façon. C'est-à-dire que, je ne sais pas si vous avez déjà entendu ces chiffres, mais 10% des personnes les plus riches polluent autant que 50% des personnes les plus précaires. Donc en fait, il y a vraiment un lien de corrélation entre plus vous êtes riche... plus vous polluez. Et du coup, moi en fait la plupart des gens que je rencontre, c'est pas les personnes qui émettent le pouce et les dents. En fait vous avez raison. de ne pas vous sentir forcément trop coupable, parce qu'en fait, en moyenne, vous polluez, on pollue, beaucoup moins que les personnes qui sont les plus riches, mais je pense aussi aux organisations privées et publiques.
- Florence Gault
Après avoir débattu des moyens d'agir, un premier groupe a choisi de rédiger une pétition pour réclamer la gratuité des transports sur la métropole de Lyon, tandis que le reste des jeunes est allé voir s'il existait des îlots de fraîcheur dans le quartier pour les habitants en cas de canicule. En une matinée, leur perception a évolué. comme en témoignent Nafai, 19 ans, et Ilana, 17 ans.
- Nafai
Moi franchement j'étais un peu réticente quand j'ai entendu Intervention sur l'écologie je me suis dit que ça allait peut-être être un peu barbant, mais au final je suis assez agréablement surprise.
- Florence Gault
Pourquoi barbant ?
- Nafai
Parce qu'on a déjà eu des interventions qui ont été… on les a senties passer, on a senti le temps passer.
- Florence Gault
C'est quoi l'image que tu as de l'écologie en fait ?
- Nafai
Je me suis dit qu'il y aurait une partie qui serait un peu incriminante vis-à-vis de nous, qu'on serait un peu jugé sur les actions qu'on ne fait pas justement par rapport à l'écologie. Moi aussi, c'était un peu réticent quand je suis venue, parce que je me suis dit que ça allait être un peu long,
-
redondant.
- Florence Gault
Relou, on peut dire. Oui,
- Nafai
voilà, c'est ça.
- Florence Gault
Je le dis pour toi.
- Nafai
Et quand je suis venue, j'ai vu que c'était très bien encadré, que les activités étaient diverses. Et qu'au final, on n'avait pas le temps de s'ennuyer, vu que ça a changé tout le temps. Et c'était cool qu'on puisse participer aussi à ce qu'elle nous présentait. Je trouve que c'était très cool.
- Florence Gault
Qu'est-ce que vous avez découvert sur l'image peut-être un peu moins culpabilisante des enjeux écologiques ? Qu'est-ce que vous avez mieux perçu ?
- Ilana
Que déjà, l'écologie, ça ne tourne pas seulement autour des déchets, des composts et tout. Et que ça peut aussi impacter sur notre santé et sur notre... portefeuille parce que par exemple on parlait du fait d'acheter des appareils reconditionnés bas les appareils reconditionnés vont être toujours beaucoup moins cher que les appareils neufs et en plus de ça on va avoir un impact positif sur l'émission des gaz à effet de serre du coup bas au final ça peut être que bénéfique pour nous et surtout si on veut avoir une descendance avoir des enfants etc bah le fait de rien faire pour que ça s'arrange la conséquence elle arrivera sur nous au final Moi je faisais déjà un peu les trucs écologiques, l'eau trie, les choses de base. Mais ça nous a rappelé aussi que certes on était dans un pays qui est assez civilisé quand même, mais il y a des pays qui le sont très peu, où les gens souffrent pendant les catastrophes naturelles du réchauffement climatique. Et qu'un petit geste c'est pour nous, on dirait que c'est anodin, mais ça peut aussi aider les personnes qui sont autour de nous. Du coup c'est bien de se le rappeler.
- Florence Gault
Babou Thiam est le coordinateur d'apprentis solidaires à l'AFEV. En écoutant les témoignages de Nafai et Ilana, il est heureux de cette intervention.
- Babou Thiam
J'ai vraiment apprécié cette matinée, dans le sens où les jeunes, j'ai été agréablement surpris qu'ils soient vraiment très intéressés. Ils ont vraiment été très impliqués sur les ateliers qu'on a pu faire à l'extérieur. Ils ont fait des micro-trottoirs, donc ils sont allés à la rencontre de personnes, les interroger sur leur pratique au quotidien. J'ai vraiment apprécié la manière dont les jeunes se sont investis dans cette petite investigation.
- Florence Gault
L'objectif, c'est de pouvoir ouvrir un peu leur horizon, leur offrir aussi une autre approche, peut-être de l'écologie.
- Babou Thiam
C'est ça, tout à fait. Et en plus, justement, ça leur concerne aussi sur leur pratique au quotidien. Et ils se rendent compte que finalement, ils ont quand même un petit côté écolo malgré tout.
- Florence Gault
Et puis, avec la une des jeunes filles me disait qu'elle se dit peut-être que dans mon métier, je vais peut-être, ça va m'ouvrir en tout cas des... un champ que je n'imaginais peut-être pas.
- Babou Thiam
Tout à fait, voilà. Donc, du coup, ça leur permet de se positionner, de se questionner sur les changements à faire aussi au quotidien. Et puis aussi sur le fait qu'il faut être investi. Comme le disait tout à l'heure, par exemple, Alexine, c'est vrai que les choses en groupe ont souvent beaucoup plus d'impact que si on le fait individuellement de notre côté. Ça, je pense qu'ils en ont pris conscience aujourd'hui, donc c'est plutôt positif.
- Florence Gault
Un des objectifs d'Alexine était de leur permettre de prendre conscience que les quartiers populaires sont particulièrement impactés par les effets du dérèglement climatique et qu'il est bien question de justice sociale.
- Alexine Viney
On se rend compte qu'effectivement, dans les quartiers populaires, quand on subit une canicule, c'est souvent des endroits qui sont fortement goudronnés. Et en fait, le goudron va garder la chaleur et du coup, les canicules sont plus fortement ressenties. Il y a beaucoup moins d'accessibilité à des espaces de soins. Par exemple, on l'a vu... pendant la crise du Covid, les taux de mortalité ont été par exemple beaucoup plus élevés en Seine-Saint-Denis. Donc ça devient très fort avec les questions écologiques. Je travaille aussi avec des jeunes à Bagnolet, qui habitent juste à côté de l'échangeur autoroutier. En fait, pareil, l'air est beaucoup plus pollué, on constate qu'il y a beaucoup plus de maladies, d'asthmes. En fait, les personnes des quartiers populaires sont plus impactées par le dérèglement climatique. On n'est pas tous égaux face à une canicule, surtout ceux qui ne peuvent pas se payer de clim, par exemple. Et paradoxalement, en fait, c'est aussi les personnes qui polluent le moins. Donc l'injustice, elle est à la fois dans la façon dont on subit l'écologie, mais aussi dans la façon dont on participe à l'écologie. Et nous, on a fait le test avec les jeunes qu'on a rencontrés. On sait que là où les Français moyens vont émettre plutôt 10 à 15 tonnes de CO2 par an, les jeunes qu'on a rencontrés, nous, ils sont plus autour de 5 à 8 tonnes maximum. Et en fait, on voit que les personnes qui émettent le moins subissent beaucoup plus fortement. Et paradoxalement aussi, dans les mouvements pour le climat, On a très peu de mixité sociale et souvent il y a des études qui montrent que dans les manifestations pour le climat, globalement c'est beaucoup des personnes privilégiées qui sont plutôt des CSP+, des catégories socio-professionnelles supérieures. Et voilà, du coup, nous on a voulu creuser, on a questionné plein de jeunes pour comprendre pourquoi c'est quoi les freins dans l'engagement à l'écologie. Et effectivement, il y a trois grands piliers qui ont sorti, c'est que déjà les jeunes qu'on a rencontrés, ils ont d'autres priorités, d'autres urgences économiques et sociales. et qui prennent souvent le dessus sur les questions écologiques. Il y a aussi le fait qu'il y a un fort sentiment d'impuissance et d'injustice. Encore ce matin, quand on a fait le débat mouvant pour savoir est-ce que vous vous sentez en capacité d'agir sur les questions écologiques, il y en a beaucoup qui ont dit non, moi, à ma petite échelle, je ne peux rien faire, je n'ai pas forcément le temps, j'ai d'autres priorités. Donc il y a un sentiment d'impuissance et d'injustice aussi. En fait, c'est vrai que quand dans ta vie, tu as déjà d'autres galères et d'autres urgences, et qu'en plus, tu pollues moins de base. En fait, ça peut être hyper injuste quand on te demande encore de faire des efforts dans tes pratiques du quotidien. Donc ça, c'est un peu le constat.
- Florence Gault
Est-ce que, justement, il y aurait à distinguer sobriété subie et sobriété choisie ?
- Alexine Viney
Moi, je pense qu'il y a deux écoles sur cette question-là. Il y a effectivement le fait que les personnes les plus précaires polluent moins. Donc, il y a une forme de sobriété qui est subie. Les pratiques économes, en fait, existent. déjà dans les quartiers populaires, auprès des classes les plus précaires depuis très longtemps. Et je pense que c'est plutôt comment ça a été employé dans le discours dominant sur l'écologie, où en fait, les personnes qui pratiquent l'écologie, qui vont se revendiquer écolo, vont dire, nous, on fait de la sobriété. Mais là, on a juste mis un mot sur une pratique qui existe depuis super longtemps dans les quartiers populaires. Donc c'est un peu aussi presque une réappropriation qui me semble un peu dangereuse d'employer ce genre de termes. Mais je pense que ce qui me perturbe aussi avec le côté subi, c'est qu'on dépossède complètement les personnes des quartiers populaires d'une approche, par exemple, sensible à l'écologie. On dirait qu'ils sont obligés d'être écolos. Ils ne conscientisent pas du tout, alors que non. En fait, moi, la plupart des jeunes que je rencontre, ils ont une sensibilité. Quand on parle d'écologie, ça les rend tristes de savoir qu'il n'y aura peut-être plus de neige, qu'il y a des animaux et toute la biodiversité qui s'effondrent à cause de ça. Ils ont un rapport sensible à l'écologie. Je pense que c'est... très important de ne pas les déposséder de ce rapport-là, parce qu'en fait, on peut quand même penser l'écologie, avoir envie d'agir pour l'écologie, au-delà de questions purement économiques.
- Florence Gault
Qu'est-ce qui manque aujourd'hui pour mieux aborder ces sujets-là en quartier populaire ?
- Alexine Viney
C'est une bonne question. Je pense déjà qu'aujourd'hui, il y a très peu d'associations écologistes qui vont parler et qui vont dans les quartiers populaires. Je pense qu'il y a déjà un immense enjeu dans les assos écologistes à... sortir un petit peu d'une forme d'entre-soi pour aller parler à d'autres personnes, aller rencontrer d'autres personnes. Je pense qu'il faut aussi faire tout un travail sur la question des privilèges, de l'inconfort, sortir un petit peu de notre regard sur l'écologie et purement écolo, mais que toutes les organisations environnementales pensent cette question aussi à la croisée des enjeux que j'ai cités, d'antiracisme par exemple, des questions féministes, de tous ces enjeux-là. Et voilà, je pense qu'aussi il y a quelque chose, mais ça c'est mon avis très personnel, mais... Pour s'intéresser à ces enjeux-là, je pense qu'il faut dégager du temps. Et en fait, cette question du temps, elle est précieuse aussi auprès des personnes les plus précaires. Et du coup, comment est-ce que les collectivités peuvent mettre en place des sessions ? Je sais que, par exemple, il y a les conventions citoyennes pour le climat qui proposent à un moment, il y a des personnes qui sont tirées au sort et elles ont un temps de formation où elles sont payées pour ensuite pouvoir prendre des décisions. Et c'est un processus qui, en soi, bon, même si les décisions derrière n'ont pas forcément été à la hauteur des attentes. Ces processus sont dégagés du temps où les personnes sont payées pour pouvoir être formées sur ces questions et s'investir derrière. Je pense que c'est vraiment important. Donc peut-être penser une combinaison entre les assos écolos, les citoyens, les collectivités. Qu'est-ce qu'on pourrait mettre en place en ayant les lunettes aussi économiques, de justice sociale, des espaces vers lesquels on va, pour privilégier et pour vraiment partir des revendications des quartiers populaires sur les questions écologiques ?
- Florence Gault
Situé dans le 8e arrondissement de Lyon, Mermoz fait partie depuis 2021 des Quartiers Fertiles, sélectionnés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, une démarche tournée vers l'alimentation locale et la ville nourricière. C'est dans un des vergers urbains du quartier que me donne rendez-vous Fabien Bressan, le directeur de Labocité. Ce centre de ressources est un laboratoire régional d'idées au service des quartiers et de tous les acteurs de la politique de la ville en Auvergne-Rhône-Alpes. Alors, qu'est-ce qu'il y a autour de nous ? On a des cerisiers, on a un poirier, un pommier. On a vu en arrivant qu'il y avait des figuiers. Malheureusement, on est une semaine trop tôt, je pense.
- Fabien Bressan
Oui, tout à fait. Il y a aussi des rosiers, puisqu'il y a une histoire locale et de Lyon avec la rose. Et du coup, cet espace enherbé, un peu en étage avec tous ces arbres fruitiers, a pour vocation d'être... entre guillemets, exploitées, en tout cas accessibles aux habitants du quartier.
- Florence Gault
Alors pourquoi avoir choisi ce lieu ?
- Fabien Bressan
Parce que c'est un lieu qui, en plein centre-ville, à côté du tram, du métro, du boulevard, de l'autoroute et du périph', est un petit havre de paix et de calme, tout en étant en ville et occupé aussi par des habitants, mais qui permet un petit endroit de respiration.
- Florence Gault
C'est aussi un lieu qui est un peu symbole, finalement, de la manière dont l'écologie entre dans les quartiers. Ça passe beaucoup par la végétalisation ?
- Fabien Bressan
Oui, tout à fait. Ça passe par l'aménagement. Qui dit du coup aménagement, dit aménagement des espaces verts avec une vision, je pense, à l'origine très fonctionnaliste. Les espaces verts des quartiers populaires étaient souvent, si on caricature un peu, des grands espaces de pelouses inoccupés. On s'est rendu compte quand même que ça faisait de la surface qui pouvait être intéressante à exploiter, qui ne faisait pas que poser des problèmes de gestion, mais qui pouvait aussi être... occupé par des habitants, des enfants, des structures, des associations, voire aller un petit peu plus loin et on voit que cette évolution dans l'aménagement qui vient jusqu'à ce type de projet où on n'est pas sur de l'agriculture urbaine au sens d'activité économique, mais il y a déjà un petit quelque chose comme ça, c'est-à-dire qu'il y a une idée de production aussi, tout en s'accordant des espaces pour respirer, pour s'asseoir, se poser si on n'a pas envie de s'occuper des arbres.
- Florence Gault
On utilise souvent justement le mot d'écologie. Je l'ai employé, mais est-ce que quand on discute avec les habitants, est-ce que rapidement, c'est un mot qui fait surface ?
- Fabien Bressan
Alors, ce n'est pas que ce qu'on ne l'utilise pas, c'est qu'il a une connotation. Il a pour moi une double connotation. Il a une connotation politique, c'est-à-dire qu'on va encore une fois être un petit peu caricatural, mais que les partis écologistes, historiquement, ne sont pas trop occupés des questions sociales et notamment des quartiers populaires. Il y a beaucoup d'évolution actuellement, mais c'est quand même quelque chose qui perdure. Et l'écologie est un peu réservée à certaines classes sociales. Et puis, il y a le discours de l'écologie un petit peu accusateur. C'est-à-dire, il faut manger cinq fruits et légumes par jour, il faut arrêter de prendre sa voiture. Et là, on s'adresse à des populations qui sont dans des conditions de vie, qui ont déjà beaucoup de il faut Et en rajouter sur vous, vous comportez mal sur l'écologie fait une crainte. une espèce de distance aussi par rapport à ça. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de projet, qu'il n'y a pas d'action, qu'il n'y a pas de comportement, mais qui peut-être, mérité ou pas, n'ont pas le label écologie et ne le recherchent pas forcément.
- Florence Gault
Et puis, j'imagine qu'il y aurait aussi beaucoup à apprendre de ces habitants qui, effectivement, font déjà plein de choses dans leur quotidien, mais qui ne sont peut-être pas valorisés ni mis en avant.
- Fabien Bressan
Oui, dans l'idéal même, on pourrait parler de la rencontre. C'est-à-dire que ce n'est pas parce qu'on a, effectivement, on a... Un certain niveau de vie, on n'a pas le droit non plus d'avoir des engagements et des valeurs. Et il y a des projets qui permettent ce croisement. Les habitants des quartiers ont souvent une énergie folle et dingue, notamment la jeunesse, pour faire plein de choses. Heureusement, des compétences de débrouille et de faire avec peu de moyens assez formidables, avec des résultats vraiment hyper intéressants. Et puis, des réseaux de solidarité, d'entraide, de coopération. très fortement développés, donc en fait des vraies compétences professionnelles pour faire des projets en transversalité, pluripartenariaux, parce que ce sont des personnes, des familles, des habitants qui ont l'habitude de discuter avec les autres, qui ont l'habitude d'échanger de manière simple, humble et efficace sur l'espace public, encore une fois, de faire plein de choses avec assez peu de moyens. Et si en plus on arrive à leur rajouter un peu de moyens et quelques autres compétences d'autres types de projets, on arrive à des choses assez formidables.
- Florence Gault
Donc vous, avec la Bocité, espace d'information pour les acteurs de la politique de la ville, quelles sont aujourd'hui les difficultés pour aborder ces questions d'environnement, du vivant, de la biodiversité ? Dans les quartiers populaires, finalement, c'est quoi les plus gros freins ?
- Fabien Bressan
On en a parlé, il faut faire face à ces écueils. Peut-être avoir moins de représentations sur ce qu'effectivement le rejet systématique qu'on plaque sur ce que feraient les habitants des quartiers face à l'écologie. Il y a cette image qu'effectivement, l'écologie, c'est pour des bobos qui mangent des graines et qui ont des moyens. On l'a dit, sur les quartiers, ce n'est pas forcément vrai. Et en plus, cette image, à partir du moment où on fait quelques projets et un tout petit peu de rencontres entre les gens, elle disparaît très, très vite. Donc, les habitants des quartiers sont intéressés par l'écologie, font des projets. Par contre, ils n'ont pas forcément accès de la même manière.
- Florence Gault
Est-ce qu'il y a un besoin aussi de formation, peut-être de la part ? Des éducateurs, des partenaires, des associations, des bailleurs qui sont au contact finalement des habitants ?
- Fabien Bressan
L'idéal serait même de faire de la co-formation. C'est-à-dire qu'on pourrait tout à fait imaginer des projets où on peut venir apporter des compétences et des connaissances aux habitants et en même temps s'appuyer sur eux, leur savoir-faire, pour former d'autres acteurs qui mènent des politiques publiques ou d'autres projets. Et il en sortira certainement des projets beaucoup plus interactifs et beaucoup plus co-construits, qui à mon avis sont une des clés. de réussite.
- Florence Gault
Est-ce que les quartiers populaires peuvent aussi devenir finalement des modèles de résilience, de résilience écologique dans les années à venir ?
- Fabien Bressan
Oui, et je le dirais à deux titres. D'une manière un peu cynique, c'est aussi les habitants des quartiers populaires, on le sait, c'est des habitants qui sont un peu plus captifs, il y a moins de mobilité, moins de travail, dans des histoires familiales, personnelles, parfois très compliquées, donc ça serait très facile de leur imposer des choses. En fait, c'est des publics qui ne protestent pas tant que ça. Donc, ça serait la manière cynique de dire oui, on pourrait expérimenter plein de choses sur les quartiers. Les habitants ne diraient pas grand-chose, donc on pourrait tester. Et puis, la version plus positive, c'est que les quartiers populaires, les quartiers qui sont un peu éthiques de la ville, ont depuis maintenant quasiment 50 ans, l'habitude d'expérimenter, de tester, de faire de l'innovation, de tenter plein de choses, prouvent. par l'énergie de ses habitants, leur engagement, que ça fonctionne, dans des manières de travailler qui ne sont pas trop descendantes, pas dans tous les cadres institutionnels, mais qui parfois vont beaucoup plus vite, sont beaucoup plus intéressantes, justement en termes de fabrication de la politique publique ou fabrication de la ville en tant que telle, qui pourrait être un vrai laboratoire. Alors pas laboratoire au sens où on observe les râles laboratoires, mais bien justement où on fait ensemble, on tente des choses ensemble et qui pourraient très fortement inspirer. plein d'autres secteurs de politique publique, plein de manières de faire ou d'autres quartiers.
- Florence Gault
Merci Fabien.
- Fabien Bressan
Merci à vous.
- Florence Gault
Manger mieux dans les quartiers, c'est le credo de la MESA, la Maison engagée et solidaire de l'alimentation installée au cœur du quartier Langlais-Santy dans le 8e arrondissement de Lyon. Son objectif ? Donner accès à une alimentation saine grâce à des prises accessibles. Un tiers-lieu qui a été co-construit avec les habitantes et les habitants du quartier. Je retrouve sur place Julia Lévesque, coordinatrice de cette maison. Vous allez l'entendre, même les après-midi supposément calmes, il y a du passage. Eh bien Julia, bonjour ! Bonjour et merci de m'accueillir à la MESA, ce tiers lieu dont j'ai vraiment beaucoup entendu parler dès qu'on parle d'alimentation. Aujourd'hui, la MESA est devenue un peu un lieu référence. Peut-être nous présenter ce lieu qui a été pensé pour répondre à une précarité alimentaire qui touche les personnes les plus modestes, qui finalement ont le plus de mal à bien manger.
- Julia Levêque
Oui, tout à fait. Du coup... Vous êtes ici à la MESA, donc Maison Engagée et Solidaire de l'Alimentation, qui porte bien son nom puisque l'idée c'est d'être engagée au service d'une alimentation plus solidaire, une alimentation de qualité pour toutes et tous. Le projet, il a démarré il y a un peu plus de trois ans. L'idée du coup c'était de créer un lieu qui soit un lieu ressource, qui puisse parler aux personnes, dans lesquelles elles puissent se retrouver à la fois avec une offre assez large sur les questions d'alimentation. mais aussi avec un vrai travail sur la tarification et sur des produits de qualité. Donc on a monté le projet avec une association qui s'appelle Récup et Gamelles, une association qui est sur Lyon depuis une dizaine d'années, qui travaille sur des questions de lutte contre le gaspillage alimentaire. aussi l'accessibilité alimentaire de qualité, eux plutôt sur un volet cuisine. Nous, l'association VRAC, historiquement on est sur Lyon aussi depuis une dizaine d'années, et notre travail c'est de garantir l'accessibilité à des produits alimentaires de qualité dans les quartiers prioritaires. Pour ça, on monte des groupements d'achats, c'est-à-dire que des collectifs de citoyens se réunissent pour commander ensemble auprès de nous en grande quantité, ce qui nous permet de travailler avec des producteurs au maximum locaux de qualité. de commander avec des plus gros volumes qui nous permet de réduire les échelles. Donc c'est un peu ces deux associations historiques qui se sont lancées sur le projet. Et l'idée d'avoir un lieu ressource, c'était aussi de se dire que pour vraiment répondre aux besoins du quartier, il fallait pour ça co-construire le projet avec les personnes.
- Florence Gault
Alors on va revenir justement sur cette concertation citoyenne. Peut-être déjà nous présenter un peu le lieu, si on fait une petite visite aux auditeurs et aux auditrices. Quand on entre, on entre à la fois dans ce qui est l'épicerie, le café.
- Julia Levêque
Oui, alors effectivement, quand on passe les portes de la Mesa, on entre un peu dans la pièce principale. La visite est globalement très vite faite parce qu'on a décidé et on a préféré avoir un espace central qui ne soit pas délimité par des cloisons et des murs et qui soit celui qui réunit toutes nos activités. Donc quand on passe les portes... On a une grande table centrale qui est à la fois une table de restaurant, mais aussi la table de l'épicerie sur laquelle on dépose nos légumes pendant les temps d'épicerie.
- Florence Gault
Alors aujourd'hui, on a tomates, haricots.
- Julia Levêque
Tomates, haricots, rangées aubergines, pastèques, etc. Encore les légumes de la saison estivale qui font plaisir. Ensuite, on a en face de nous la... La partie restaurant et la partie cuisine, du coup, avec une cuisine qui est plutôt professionnelle, mais dont on se sert aussi pour les animations. On a souhaité ouverte vraiment sur l'espace épicerie. L'idée, c'est de pouvoir vraiment partager ce temps de cuisine. Les temps de restauration se passent avec une équipe bénévole à chaque fois, qui prépare les repas qui viennent ensuite au restaurant. Mais du coup, l'idée aussi de ces portes ouvertes, c'est que les personnes qui viennent faire leurs courses le vendredi matin, puissent s'apercevoir qu'en même temps, tiens, qu'est-ce qui se cuisine ? Discuter avec l'équipe en cuisine, etc. Et qu'il y ait vraiment, en gros, du mouvement et de la fluidité entre les différents lieux. Allez-y,
- Florence Gault
entrez, entrez !
- Speaker #3
Ça va ?
- Speaker #2
On ne peut pas en jouer ? Non, non, non. Je m'inquiète, vous vouliez boire quelque chose ?
- Speaker #3
Juste un verre d'eau,
- Speaker #2
ça irait pas.
- Florence Gault
Ok.
- Speaker #3
On n'a pas pu venir hier.
- Speaker #2
Non, on va bien.
- Speaker #3
J'ai vu qu'il y avait plein de belles choses.
- Speaker #2
Je n'en aurai pas aussi, je dis. On vient de recevoir les nouveaux légumes.
- Florence Gault
Vous venez souvent ici ? Oui.
- Habitante
Je suis habitante du quartier prioritaire, retraitée, relativement disponible. Et donc, j'ai beaucoup de plaisir à venir, des fois, donner un coup de main et puis aussi acheter à l'épicerie. C'est un lieu très convivial.
- Florence Gault
Comment vous avez franchi la première fois l'appart ?
- Habitante
Comment j'ai franchi ? En fait, je cherchais du bon miel et des voisines de ma rue m'ont dit Mais pourquoi tu ne vas pas à la Messa ? J'ai dit Ah bon, je passe devant la Messa sans jamais m'arrêter, mais cette fois je vais y aller. Et dès l'instant où j'ai franchi, depuis le mois de janvier en fait, je viens régulièrement.
- Fabien Bressan
Donc très agréable. Et puis on mange très bien et de très bons produits, voilà, à des prix.
- Florence Gault
Défiante toute concurrence.
- Julia Levêque
Il n'y a même pas besoin de moi, je peux arrêter de parler. Elle a fait le boulot toute seule.
- Florence Gault
Donc ça justement c'est révélateur des échanges que vous avez régulièrement avec les habitants ?
- Julia Levêque
Je trouve qu'on a des échanges vraiment très positifs. C'est assez agréable quand même de bosser dans un lieu où aussi finalement on a une gratification immédiate pour ce qu'on fait. pas forcément par les compliments quotidiens, mais plutôt par le fait qu'on s'aperçoit que le lieu est fréquenté par les personnes du quartier très régulièrement, que, en fait, oui, quand on part en vacances, globalement, ça coûte aux personnes. Et donc, on voit qu'on a une action qui a du sens pour les personnes, pour nous, et qui a un vrai impact sur l'alimentation des personnes, et donc l'alimentation, la qualité de vie, leur santé aussi.
- Florence Gault
Revenons un peu sur cette concertation, sur la manière dont ce projet est né avec les habitants. Ce n'est pas un projet qui s'est installé en espérant et en croisant les doigts pour que les habitants viennent, mais c'était vraiment une co-construction, ça c'était quelque chose d'essentiel.
- Julia Levêque
Oui, pour nous c'était vraiment essentiel de nous implanter dans ce quartier en travaillant avec les personnes qui y vivent et des partenaires qui y travaillent, notamment parce que la première raison c'est qu'on y était. depuis très très peu sur un groupement d'achat mais qu'on connaissait pas vraiment les dynamiques du quartier des habitantes et des habitants et que donc du coup nous installer sans ben en fait sans savoir quels étaient les besoins quels sont les dynamiques ce qui se passe dans le quartier les acteurs agissant déjà à quel niveau pour nous c'était inconcevable parce que ça on serait sûrement tombé à côté du besoin par exemple sur les temps de concertation on a pu apprendre qu'il y avait un vrai besoin d'une épicerie le lundi parce que le petit casino est fermé. C'est des choses que, par nous-mêmes, on n'aurait sûrement pas su. Donc cette partie concertation, elle était essentielle, d'une part, pour répondre aux besoins, mais aussi pour que les personnes puissent se sentir co-responsables du lieu, qu'il puisse y avoir une vraie appropriation dès le début. Et c'est un peu ce qui s'est passé à l'ouverture des portes, après ces mois de concertation, ça a été qu'en fait, les personnes qui ont participé au projet sont venues avec leurs voisins, voisines, leur famille, de dire Regarde, c'est moi qui ai monté ça,
- Florence Gault
en fait Effectivement, donc le mobilier, mais aussi le logo, les activités, les horaires, tout a été pensé avec les habitants. Et puis, effectivement, cette fameuse tarification, comment vous avez construit justement le Café-Restau solidaire ?
- Julia Levêque
Déjà, quand on a fait les temps de concertation, il y a eu un temps qui était vraiment dédié à la tarification. Et en fait, on avait fait passer des petits questionnaires anonymes aussi, parce que c'est des questions qui peuvent être très sensibles pour les personnes. Et du coup, on avait demandé sur le côté restaurant, quel prix seriez-vous prêts à payer pour un repas complet ? Et donc, on avait eu des réponses de 4 euros et d'autres qui étaient de 15 euros. Et donc, à partir de là, couper la poire en deux, ça ne convient pas, parce qu'en fait, la personne qui a noté 4 euros, elle a noté aussi un budget qui pourrait les conséquents. Et donc à partir de là, il y a vraiment eu cette idée de se dire qu'il va falloir travailler à une tarification qui soit adaptée aux besoins de chacun, chacune. Et on s'est un peu inspiré d'une initiative qui existe déjà au marché du lavoir à Diolfi, donc un marché en campagne où chaque personne peut venir payer ses légumes selon trois tarifs différenciés en fonction de ses ressources. Et du coup, on a trouvé que le concept était intéressant. Donc on a trois prix au sein de la MESA. qui vont correspondre aux situations de chacun chacune. Donc on a le prix normal, où les personnes viennent payer leur repas ou les produits, au prix pour toutes et tous, chaque personne qui a envie de rentrer dans le lieu. Ensuite, on a un tarif qui est subventionné pour les habitantes et les habitants des quartiers prioritaires. Et ensuite, on a un prix qui est d'autant plus subventionné pour les personnes en situation de plus grande précarité, qui sont suivies par un partenaire social, type conseiller, conseillère en économie sociale et familiale. et sous redirection sociale.
- Florence Gault
Et donc les gens viennent avec leur justificatif ?
- Julia Levêque
L'idée n'est donc pas d'être stigmatisant et de faire en sorte au maximum de travailler sur, en gros, cette notion d'anonymat et de discrétion, en tout cas sur les revenus et les ressources des personnes. Donc on a un petit formulaire d'adhésion qui est très très simple, où il y a quelques petites choses à cocher. Pour la tarification quartier prioritaire, on est sur du déclaratif, la personne renseigne son adresse. précise qu'elle est en logement social, on ne lui demande pas plus d'informations. Et ensuite, pour la tarification la plus basse sous redirection sociale, il y a une petite coche où la personne renseigne le fait qu'elle est suivie par un partenaire social. À partir du moment où elle a fait ça, nous on lui met immédiatement la tarification la plus basse et du coup on lui remet un petit coupon qu'elle aura à donner à la personne qui suit son dossier pour qu'on ait un mail de redirection sociale. Mais on n'est pas dans l'urgence, l'idée est... et plutôt de faciliter l'accès à une alimentation de qualité et pas la complexifier. Donc on demande à la personne juste de justifier et de clarifier sa situation dans les mois à venir.
- Florence Gault
Donc ça va faire trois ans que le projet a été lancé. Déjà, premier bilan, vous pouvez un peu tirer de cette expérimentation. Quel est le retour des habitants du quartier ?
- Julia Levêque
C'est un bilan qui globalement est très positif pour nous. D'une part parce que les attentes... en termes de fréquentation sont bien plus élevés que ce qu'on l'avait envisagé. On a trois fois plus de monde que prévu initialement. Et on s'aperçoit aussi qu'on touche énormément les personnes du quartier. La crainte pour nous dans ce lieu, c'était de se dire que finalement, on est un lieu qui travaille sur les questions d'alimentation durable, alimentation biologique, et qu'on touche nos partenaires, des gens intéressés par ces sujets qui viennent voir comment on fonctionne, mais peu les personnes qui vivent ici et qui auraient finalement... réponse à leurs besoins au sein du lieu. Et globalement, ce n'est pas ce qui se passe. Les limites du projet, c'est qu'on s'aperçoit que l'espace et les moyens humains restent limités à nos échelles associatives, et qu'on s'aperçoit qu'il y a tant et plus de besoins, et qu'une MESA se monterait un kilomètre plus loin, ça ne viderait pas la MESA d'ici, et très clairement, il y aurait autant de besoins le quartier d'à côté.
- Habitante
Ça va ? Ça va, oui. Ça va. Ça a passé en bon été ? Oui, c'était bien. J'étais en Italie, à Toscane. On a fait des visites. C'est magnifique. Je vais te faire quelque chose. Je vais boire. Je vais boire du café. Ça va reprendre quand, l'atelier et le restaurant ? Je me demandais. Je me demandais. Le restaurant,
- Julia Levêque
il reprendra plus tard.
- Habitante
d'accord
- Florence Gault
C'est Afida qui vient d'entrer accompagnée de son auxiliaire de vie car Afida est en fauteuil roulant Elle habite dans le quartier et vient depuis l'ouverture de la MESA. La première fois qu'on lui parle de ce lieu au centre social et qu'on lui dit qu'il est possible d'acheter des produits bio à des prix différenciés, elle n'y croit pas.
- Speaker #3
Quand on m'a dit que c'était un rêve, ils n'y arriveront jamais. Vous savez que le Père Noël n'existait pas quand même.
- Speaker #2
Pour vous,
- Florence Gault
pouvoir vous offrir du bio, c'était de l'ordre du rêve impossible ?
- Afida
Je suis allée chez les discounteurs. J'ai toujours essayé de... Prendre du bio, mais avec les budgets que j'avais, je ne pouvais pas aller chez le producteur tout le temps. J'y allais en début de mois, prendre un petit peu quand je pouvais, puis en fin de mois, j'allais dans les magasins de disconteurs prendre du bio. Alors que là, on a la possibilité d'avoir et l'alimentation et une partie de l'hygiène, et mine de rien, ce n'est pas rien. Moi, je ne pouvais pas me permettre, même dans les magasins de disconteurs, je pouvais prendre des produits alimentaires bio, mais des produits d'hygiène, ce n'était pas possible.
- Florence Gault
C'est facile justement de franchir la porte, de venir dire j'ai un peu des difficultés de ressources financières etc. Ou en fait, le simple fait que ce lieu existe, c'est déjà tellement une solution, ou comme vous le disiez, c'est quelque chose qui était de l'ordre de l'impossible, que finalement la démarche est simple après affaire.
- Afida
Ce n'est pas si simple de dire qu'on a peu de moyens. Après moi, c'est une situation que je connais depuis tellement longtemps. Donc, entre guillemets, j'en ai pris mon parti. J'ai fini par me dire, tu as les moyens que tu as. Et voilà. En contre-temps, ma situation a changé. J'ai pu travailler. Donc, j'ai aussi pu avoir des moyens un peu plus conséquents. Mais avant, j'étais en invalidité. Et mon budget était comme ça depuis des années. Et je savais pertinemment qu'on m'avait dit que ça ne pourrait pas changer. Donc, je m'étais dit, on va faire avec ça et tu n'as pas le choix. Donc, au début, c'est difficile de dire. Mais après, tu mets ton orgueil dans la poche, il faut manger, il faut pouvoir vivre.
- Florence Gault
Puis j'imagine que l'accueil ici, forcément, il est un peu différent.
- Afida
Ce que j'ai aimé là, c'est d'avoir un lieu où ce n'est pas réservé qu'aux hommes. Je ne sais pas si vous habitez le quartier, mais là-bas, il y a les anciens d'un côté et les plus jeunes de l'autre. Là-bas, il y a tous les jeunes de quartier, mais les femmes, jeunes ou moins jeunes. il n'y a pas de lieu pour eux. Et je me suis dit, ce qui est bien ici, c'est que c'est un lieu pour les femmes et pas seulement les femmes, parce que c'est un lieu mixte finalement. Et il reste, c'est-à-dire que ce n'est pas quelque chose qui temporairement était pour les femmes et puis a envahi par les hommes et puis les femmes en gros dehors. Parce que la boutique d'ailleurs, au début, il y avait beaucoup de femmes qui venaient avec en famille et on trouvait ça génial, tout comme le restaurateur. Il y a les mêmes effets, c'est marrant quand j'ai vu. Je me suis dit, ah, on a déjà vu ça. Est-ce que ça va persister avec les femmes et les familles ou est-ce que ça va devenir un lieu réservé aux hommes ? On va le voir avec le temps. Mais ça a commencé pareil. Et puis finalement, là, maintenant, c'est essentiellement des hommes et des jeunes hommes ou des anciens qui viennent. Et les femmes, il n'y en a pas tant que ça qui vont à côté. Et je me suis dit, un lieu qui persiste dans le temps avec cette mixité-là, il faut le garder, quoi. En tout cas, il faut se battre pour pas que ça change.
- Florence Gault
Julia, quand vous entendez ces témoignages-là, qu'est-ce que ça vous inspire ?
- Julia Levêque
Ça fait super plaisir à entendre. L'objectif du lieu, qui est aussi celui que les personnes en soient actrices et se l'approprient, c'est que ça fonctionne. Au-delà de la question de l'accessibilité alimentaire, des enjeux écologiques, des enjeux de lutte contre la précarité, il y a quelque chose de très fort qui est le lien social et qu'en fait, développer des espaces. qui répondent à des besoins doivent aussi travailler sur cette question du lien social. Il y a cet espace qui est très hybride, épicerie, restaurant, etc. Mais c'est aussi un espace où les personnes peuvent rentrer, s'asseoir, boire un café ou pas.
- Florence Gault
Et discuter comme on est en train de le faire.
- Julia Levêque
Et faire des petites réunions. On n'attend pas des personnes qu'elles consomment, on attend juste à ce qu'elles se sentent bien ici. Pour nous, à partir du moment où on est ouvert jusqu'à ce qu'on ferme, la porte est ouverte.
- Florence Gault
Quels sont les prochains défis pour la MESA ?
- Julia Levêque
Je n'aime pas cette question.
- Florence Gault
Ou alors les prochaines étapes ?
- Julia Levêque
Il y a effectivement toujours des choses qui viennent après. Dans les défis de la MESA, je crois qu'on aurait bien envie aussi de développer des groupes de cuisine, c'est-à-dire que des personnes puissent s'auto-organiser. pour venir cuisiner sans forcément qu'on soit là avec une posture d'animation. C'est aussi répondre à des enjeux écologiques, sociaux, d'accessibilité alimentaire. Et voilà, ça peut faire partie des choses qu'on aimerait développer.
- Florence Gault
Merci beaucoup, Julia, en tout cas.
- Julia Levêque
Avec plaisir.
- Florence Gault
Tisser du lien social, ou construire, partir des besoins, c'est ce qui ressort de mes différentes rencontres. Une chose est sûre, on est bien loin des clichés et idées reçues qu'on peut avoir sur les quartiers populaires. Reste maintenant à trouver les moyens pour permettre aux habitants de ces quartiers de s'emparer de ces enjeux et de documenter aussi ce qui existe déjà afin de sortir d'un discours dans lequel l'écologie ne serait finalement réservée qu'à une partie de la population. Un épisode qui a été rendu possible grâce au soutien de Marco, Christian, Audrey et Marty.