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En un battement d'aile

21. Quand l’improbable redessine l’avenir : conversation avec Yannick Roudaut

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41min |27/11/2024
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Description

Dans cet épisode d’En un battement d’aile, nous accueillons cette semaine Yannick Roudaut, auteur, conférencier et cofondateur des éditions La Mer Salée.


Cet ancien journaliste financier, devenu fervent défenseur d’une économie durable et régénérative, explore les bifurcations inattendues qui peuvent transformer nos sociétés. Avec lui, nous évoquerons l’idée selon laquelle l’improbable – ces événements inattendus, parfois perturbateurs, mais porteurs de potentiel – peut surgir à tout moment et ouvrir des voies inattendues vers un futur plus désirable.


À partir de cette réflexion, Yannick Roudaut explore les leviers qui pourraient nous permettre de sortir des impasses actuelles : repenser l’économie pour qu’elle devienne régénérative, s’appuyer sur des récits utopiques pour inspirer l’action, ou encore réinventer les pratiques éditoriales dans une démarche respectueuse du vivant.


Ensemble, nous discuterons des transformations à l’œuvre et de l’importance de garder l’esprit ouvert face aux aléas. Car, comme Yannick Roudaut le souligne, ce n’est pas l’immobilisme qui nous protégera, mais bien notre capacité à accueillir l’inattendu.


Une conversation riche en perspectives, pour imaginer et construire le monde de demain, enregistré à l'occasion de la tournée de promotion du livre "Les Utopiennes, bienvenue en 2044" que la Mer salée vient tout juste de publier.


Bonne écoute ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


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Transcription

  • Florence Gault

    Bienvenue dans ce nouvel épisode d'En un battement d'ailes. Aujourd'hui notre invité est Yannick Roudaut. Il aime à se présenter comme un décloisonneur intellectuel. Ancien journaliste spécialiste des marchés financiers, il a passé plus de 15 ans dans des médias comme BFM, Bloomberg TV ou encore Le Figaro. C'est au moment de la crise des subprimes en 2008 qu'un constat s'impose à lui, notre modèle économique actuel est insoutenable. Cette prise de conscience le pousse à repenser notre économie sous un angle durable en intégrant des valeurs sociales et écologiques. Yannick Roudot propose aujourd'hui une vision singulière de l'économie qu'il souhaite... régénérative et respectueuse des limites planétaires. Devenu auteur, conférencier, il est également cofondateur de la maison d'édition La Mer Salée qui vient de publier le deuxième tome de ses Utopiennes, Bienvenue en 2044. C'est dans le cadre de la tournée consacrée à la promotion du livre que je le rencontre. Nous nous retrouvons à la fabuleuse cantine dans le 7e arrondissement de Lyon où se tient la conférence, une heure ensemble qui va passer à toute allure. Yannick Roudaut, bonjour.

  • Yannick Roudaut

    Bonjour.

  • Florence Gault

    Pour démarrer, peut-être un mot sur votre regard, sur ce que nous vivons actuellement, sur cette époque, sur les défis auxquels nous faisons face.

  • Yannick Roudaut

    C'est une époque que j'ai souvent comparée, que je compare beaucoup, je continue à comparer à la Renaissance, parce que la Renaissance c'est un changement de monde, et pour moi on est dans un changement de monde. C'est-à-dire que l'occidentalisation du monde qui a commencé il y a 500 ans, on a colonisé le monde, on a imposé notre économie, notre rapport à la nature, qui est un rapport destructeur. Prédateur, on l'a généralisé et 500 ans après on arrive au bout, c'est terminé. Ça ne fonctionne plus. Pourquoi ça ne fonctionne plus ? Parce qu'on voit bien qu'en détruisant on crée les conséquences d'un dérèglement climatique et d'un effondrement de la biodiversité, il y a un mal-être des gens, il y a une mauvaise redistribution des richesses, il y a des burn-out partout. C'est la fin d'un système, on est en dépression collective. Donc ce système occidentalisé capitaliste, il est entendu ces dernières années, c'est un décennie, je ne sais pas combien de temps ça a duré. Moi je parie sur encore 20-25 ans grand max. Je pense que d'ici 2050, les choses auront beaucoup bougé. Donc on est dans le clair-obscur. Là, c'est l'obscurité qui reprend le dessus. Ça ne vous aura pas échappé. Mais la lumière reviendra. C'est inévitable. C'est physique. C'est un principe énergétique. L'ombre n'existe pas sans la lumière. La lumière n'existe pas sans l'ombre. Là, on est dans l'ombre. Il faut le traverser avec courage.

  • Florence Gault

    Et c'est une période qui fait peur ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, ça fait peur parce que l'obscurité, c'est tous les fantasmes, la peur de l'autre, la peur du futur, l'agressivité. C'est tous les... Toutes les phrases tarte à la crème comme l'homme est un loup pour l'homme, on va s'entretuer, on va se déchirer à la Mad Max, je ne crois pas un instant. Je ne crois pas un instant. Oui, l'être humain peut être très violent, très cruel. On a cette cruauté, mais on a aussi cette humanité, cette bonté qui est en nous. Et aujourd'hui, en fait, nos élites, nos leaders d'opinion ont une grande responsabilité. Parce qu'à souffler sur les braises, ils sont en train de créer quelque chose d'extrêmement violent. Mais on peut renverser la vapeur très vite, on l'a vu pendant les JO de Paris. Ça a été un soulagement collectif. Il y avait une empathie, il y avait une solidarité, il y avait une joie. Et en fait, elle est tout de suite revenue. Donc on n'est pas forcément parti pour 30 ans d'obscurité. Tout peut bifurquer très très vite, mais il faut la traverser cette période. Et pour ça, il faut être bien ancré.

  • Florence Gault

    Et puis on voit que cette période, effectivement, peut créer de l'éco-anxiété, particulièrement chez les jeunes. Vous la comprenez, vous la palpez, cette éco-anxiété ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, en fait, je donne des cours en université, en école. Parce que je pense que c'est important d'aller parler à la jeunesse. Donc c'est plutôt une mission pour moi, c'est pas pour la rémunération. Et ces jeunes, ils sont déprimés. Il y a 15 jours, 3 semaines, j'étais à l'université de Nantes. Je fais un petit tour de table en master. Ils étaient une quinzaine. Et sur les 15, il y en avait 12 qui étaient pessimistes, qui ne croyaient plus, en fait. Et ça, je trouve ça extrêmement triste qu'à 20 ans, 22 ans, 23 ans, on n'ait plus d'espoir pour l'avenir. Ça, c'est vraiment une problématique. Ça me touche beaucoup. Et donc, moi, j'y vais en leur apportant les raisons d'espérer et en leur disant que surtout, il ne faut pas lâcher. Il faut continuer à y croire parce qu'il peut se passer énormément de choses. Mais cette éco-anxiété, elle est légitime parce qu'ils sont nés avec le dérèglement climatique. Ils sont nés avec des infos qui sont mauvaises. Les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Et ça ne peut pas être autrement. Alors maintenant, on charge à nous de leur montrer qu'il y a d'autres bonnes nouvelles malgré ces mauvaises nouvelles. Qu'il va falloir qu'effectivement, on agisse individuellement et collectivement. Mais c'est compliqué pour eux. Mais c'est un des paramètres de l'effondrement du système capitaliste. C'est que plus ils sont éco-anxieux, moins ils ont envie d'alimenter la machine qui détruit la nature et leur avenir. Donc ils n'iront pas travailler n'importe où. Et ça pour moi c'est fondamental dans l'évolution du monde.

  • Florence Gault

    Effectivement, difficile quand on regarde le monde qui nous entoure de trouver des lueurs d'espoir. Et ce que j'aime beaucoup dans votre approche, c'est que vous dites que l'improbable peut surgir à tout moment, venir tout renverser. C'est d'ailleurs le titre d'un de vos livres, Quand l'improbable surgit Vous prenez notamment l'exemple de la pandémie de 2020, qui est venue finalement offrir une opportunité de repenser le monde. Il y a cette réflexion autour du monde d'après. qui est apparue assez vite, qui moi-même m'a fait me poser des questions et créer ce podcast trois ans plus tard. Mais donc des bifurcations salutaires, comme vous le dites, sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    En fait, oui, pour la petite histoire, ce livre, j'ai commencé à l'écrire avant le Covid, en étant persuadé qu'il allait se passer quelque chose d'inattendu. La pandémie arrive et là, je me dis ça y est, on y est. On rentre dans une décennie de transformation, un minima, voire plus. Le monde d'après, moi, j'y croyais pas, très franchement, pour le Covid. Pourquoi ? Parce que j'ai peut-être la lucidité de bien connaître les acteurs du capitalisme, parce que j'ai travaillé dans la finance pendant longtemps, en tant que journaliste, et ils vont pas décrocher comme ça. Ils s'accrochent. Et donc, il ne faut pas être trop naïf, ça va prendre encore un peu de temps. Tout ça est lent et long et rapide à la fois. C'est très complexe, c'est-à-dire qu'il y a des phénomènes d'accélération et il y a un temps long. Et le temps long, c'est le fait que cette société est en train de se déliter et qu'autre chose essaye de naître. Ça, c'est le temps long. Le temps court, ça a été le Covid. On se dit, ça y est, on a un accélérateur, un catalyseur. Non, ce n'est pas si simple que ça. Parce que derrière, la machine était prête à repartir. Mais ça nous a prouvé que ça pouvait s'arrêter. Et ça a quand même changé. Le comportement de plusieurs personnes qu'on compte pas, à qui on donne pas forcément la parole. Moi je rencontre beaucoup de gens qui ont pris des décisions structurantes. Donc il y a quelque chose qui s'est passé et puis on a volé une partie de la jeunesse aussi. On leur a volé une partie de leur jeunesse et ça, ça les a marqués. Ça nourrit aussi les co-anxiétés et l'aspect dépressif des jeunes. Donc ça laisse des traces et j'ai envie de dire c'est une couche de mille feuilles supplémentaires dans la transformation. On est vraiment en pleine transformation, pleine mutation, et ça a été un événement qui est venu remettre une grosse couche. Et ce que nous dit cet événement, c'est ce qui se passe dans l'histoire de l'humanité depuis la nuit des temps, c'est que l'histoire n'est qu'une succession d'événements inattendus, qui nous obligent à bifurquer. On n'a pas bifurqué fortement. On a entamé une bifurcation, mais la vraie bifurcation, plus brutale, plus radicale, elle va se manifester, ou ce sera l'aboutissement d'une succession de petites bifurcations, j'ai envie de dire. Mais c'est inévitable. En fait, moi je fais beaucoup de travail d'histoire, et quand on regarde l'histoire récente, c'est-à-dire les 2000 dernières années, trouvez moi un événement était attendu anticipé qui a eu lieu et des gens qui étaient capables de penser le futur avec précision ça n'est jamais arrivé que ce soit les conflits militaires que ce soit les avancées sociaux comme le droit d'hôte des femmes comme les congés payés sur la sécurité sociale que ce soit Tout ce qui surgit, même les innovations, la pénicilline, l'électricité par exemple, c'est totalement inattendu. L'électricité au XVIe siècle, on ne sait pas ce que c'est. Et puis au XIXe, ça commence à surgir et au XXe, c'est devenu la norme. Et donc au XXIe, pourquoi il n'y aurait pas une nouvelle source d'énergie qui surgirait, qu'on n'a pas vue ? Et c'est là où ce prisme d'analyse, il permet de regarder les choses avec une certaine sérénité. Oui, c'est violent, c'est dur et on souhaiterait que ce soit beaucoup plus doux et moins violent. Néanmoins, il ne faut pas se résigner parce que... beaucoup de choses peuvent surgir. Des révolutions techniques, philosophiques, l'émergence de personnes qui... Je crois pas au messie qui va nous sauver, je crois pas au chef d'État qui va nous sauver ou à la chef d'État, mais des gens qui surgiraient de la foule et qui apporteraient quelque chose, qui créeraient des mouvements peut-être politiques, citoyens. Il peut se passer énormément de choses. Et plus la pression climatique, politique... économique se met en place, ce qu'il y a aujourd'hui, plus il y a une accélération exponentielle dans le surgissement des bifurcations. Donc ça va aller très vite.

  • Florence Gault

    Et ce qui veut dire qu'on n'a pas besoin d'avoir peur face au futur qu'on ne connaît pas et qu'on ne peut pas présumer ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la peur c'est un stimuli pour nous réveiller. Donc la peur c'est sain au sens où on est en danger, la planète brûle, la biodiversité fondre, il faut en avoir peur. Moi j'ai peur de ce qui se passe. D'un autre côté, je n'ai pas peur du futur. Parce que je ne sais pas quel sera le futur. C'est-à-dire que quand bien même la trajectoire climatique et la biodiversité seraient catastrophiques, ce qui est plutôt le chemin sur lequel on est... Nos enfants vivront autrement. Ils n'auront pas connu ce que nous, on a connu. Donc j'ai confiance en eux, j'ai confiance pour eux. Et je ne suis pas sûr que ce soit que du conflit, que de la guerre civile, que des gens cupides qui essaient de voler les légumes de l'autre dans son champ parce que lui, ça pousse mieux que chez lui. Ça, c'est un peu ce qu'on nous vend comme étant inéluctable. Et c'est faux, en fait, puisqu'on l'a vu à Valence récemment, des dizaines de milliers de personnes qui sont parties avec leur pelle et leur seau aider leurs voisins. Personne n'a demandé. C'est pas organisé. Il n'y a pas eu d'appel dans la presse. Ça a été spontané. spontané. C'est le bouche-oreille. Et ça, c'est extrêmement beau. Ça veut dire qu'il peut se passer des beaux moments. Et dans les... Si on doit vivre plus frugalement, ce qui est mon opinion, je pense qu'on va avoir une décroissance contrainte, inévitablement. Donc, moins de diversité de consommation, moins de voyages longs, on aura plus d'humains, plus de rencontres, plus de soudaineté. On va revenir aux choses essentielles. Et c'est pas triste, ça. Les gens tristes ou les gens qui ont peur, c'est qu'ils ont peur de perdre leurs avantages matériels. D'avoir une voiture au lieu de quatre, un téléphone et pas trois, un écran et pas cinq, de pas faire le tour du monde. tous les ans, de ne pas aller jouer au golf le week-end au Maghreb ou ailleurs, oui, ceux-là ont peur. Mais quelqu'un qui est bien ancré, qui vit des joies simples et qui a des plaisirs simples, on va dire, accessibles, il n'a pas trop peur de l'avenir. Parce qu'il y a de l'espoir quand même, il n'y a pas… ce n'est pas binaire. E.F.F.

  • Florence Gault

    Avoir peur du futur aussi, ce serait quelque chose qui pourrait nous conduire à l'immobilisme aussi. Effectivement, vous le disiez, avoir peur des règlements climatiques, de ce qui se passe, de l'érosion, de la biodiversité… diversité, de l'impact que ça peut avoir sur la marge du monde, sur notre fonctionnement à nous, êtres humains, aujourd'hui. Mais ça doit être une source d'action et pas une peur qui conduirait justement soit au déni ou à l'immobilisme.

  • Yannick Roudaut

    C'est ça, il ne faut pas être comme des lapins dans les phares d'une voiture. Quand on éclaire les situations... C'est chaud, c'est vraiment pas réjouissant parce que le climat se dérègue très très vite et on commence à en voir les conséquences concrètes depuis quelques années. La biodiversité s'effondre en silence parce que les animaux on les entend pas, on les entend moins et on se rend compte qu'ils sont disparus. Ça c'est très inquiétant, mais du coup, une fois qu'on a pris acte de ce risque et de cette peur, pour moi c'est un moteur, ça me met en mouvement. Et se mettre en mouvement c'est pas changer le monde, personne ne changera le monde. Se mettre en mouvement c'est trouver l'endroit où je suis pertinent pour faire quelque chose. Aussi insignifiant soit-il, je le fais. Et en le faisant, je crée les conditions que quelque chose se passe qui me dépassera peut-être. C'est ça, la mise en mouvement. C'est que je n'ai pas l'intention, moi, Yannick Roudot, de changer le monde et de changer le monde de la littérature avec mes livres. Pas du tout. Ah bon ? Non, j'ai l'intention de faire ce que je peux faire et de le faire avec plaisir. Et je me dis que parmi les gens qui lisent, peut-être qu'il va se passer des choses. Et peut-être que certaines ou certains vont entreprendre un projet qui va avoir de l'impact. Et ça nous échappera totalement, on ne sera même pas au courant, peut-être on ne sera peut-être pas conscient, mais ce n'est pas grave. Ce qui est important, ce n'est pas d'avoir une intention trop forte. Je rencontre beaucoup de gens qui veulent changer le monde, et là ils s'écroulent au bout de quelques années, parce qu'on ne peut pas changer le monde.

  • Florence Gault

    C'est effectivement intéressant comme approche, ça permet aussi d'ôter une pression de l'écolo qui devrait être parfait, complètement cohérent dans l'ensemble de sa vie. Ça vient aussi pouvoir dire, en fait, déjà rien que de faire ça, plus ça, plus ça. d'avoir conscience et d'essayer à sa mesure, permet de se dire, OK, on n'attend pas tout deux mois.

  • Yannick Roudaut

    je dirais oui, mais je mettrais une nuance quand même. C'est qu'il ne faut pas se contenter des petits gestes en disant, bon, j'ai fait mes petits gestes, maintenant, je peux faire mon long courrier quatre fois dans l'année. Là, on sait que c'est très contre-productif de faire un long courrier à deux tonnes de carbone pour les États-Unis. Et donc, faire son potager ou trier ses déchets, à côté, ça ne sert à rien, en fait. L'idée, c'est de faire sans exigence de vertu. Mais de faire en conscience. Par exemple, pour ce qui nous concerne avec Sandrine, on a eu la chance de voyager quand on était plus jeune. Et quand on a pris conscience qu'il fallait arrêter, on a mis un peu de temps, on a mis 2-3 ans et on a arrêté. On ne prend plus d'avion, plus de long courrier, on voyage en train, on va très loin en train, au Danemark, au Maroc, on peut aller loin en train. Voilà, on a changé ça. Donc l'idée, c'est pas d'en faire une vertu en disant vous avez vu, nous on le fait, c'est facile Non, non, ça coûte plus cher de le faire. Donc c'est pas donné à tout le monde, il faut avoir les moyens. Ça demande du temps, il faut avoir le temps, il faut se donner le temps, etc. Mais dès lors qu'on a pris conscience que... quelque chose n'est plus possible, essayer d'en sortir et de trouver de la joie dans le changement. Par exemple, je ne mange plus de viande rouge depuis très longtemps, ça ne m'a pas pénalisé. Ouais, pendant trois semaines, un mois au début, c'était un peu dur. Parce que j'aimais bien ça. Et puis aujourd'hui, je n'en ai plus envie du tout. Et en fait, c'est des choses comme ça. ça qu'on met en place, mais moi je mesure toujours ça à l'aune de la joie. Est-ce que c'est possible de le faire relativement facilement ? Et est-ce que ça me rend triste ou est-ce que ça me rend joyeux ? Et en fait, ne plus acheter de vêtements neufs toutes les semaines, ne pas avoir de voiture neuve tout le temps, ne pas changer de téléphone, ne pas prendre des avions d'autolessance, consommer beaucoup moins d'aliments importés, transformés, de mauvaise qualité, ça ne m'a pas rendu plus triste. Je crois que je suis plus joyeux même. Ça va beaucoup mieux.

  • Florence Gault

    Comment ne pas tomber dans le côté un peu bison-ours, effectivement, de l'écolo joyeux qui vit ça très sereinement, alors que par moment, effectivement, ça peut être source de renoncement ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, moi, j'aime beaucoup voyager et rencontrer les gens. C'est-à-dire que si j'avais la possibilité de pouvoir retourner en Amérique du Sud, dans la forêt amazonienne, l'année prochaine, j'irais. Mais en fait, au fond de moi, je me pose la question, est-ce que j'en ai besoin pour être heureux ? Et la réponse est non, j'ai pas besoin de prendre un long courrier pour être heureux pour l'instant. Je craquerai peut-être dans 4-5 ans, peut-être que j'en ferai un. Et c'est pas si grave non plus. de craquer, on peut craquer. Mais ce que je veux dire par là, c'est que tant que ce n'est pas vital à mon bonheur quotidien ou à ma joie, je peux m'en passer, je m'en passe, parce que l'avenir de mes enfants le vaut. C'est-à-dire que moi j'ai deux enfants, quand je les regarde, j'ai envie de pouvoir leur dire on attend, on a essayé de faire quelque chose Alors c'est peut-être égoïste aussi de penser comme ça, on pourrait me le renvoyer, mais c'est que je n'imagine pas les regarder en disant allez vous faire voir, c'est votre problème, vous les jeunes vous changerez le monde Non, on a besoin des vieux, des jeunes et des moins jeunes. On a besoin de tout le monde. Et si au moins on avait 10% de la population mondiale qui changeait, c'est-à-dire les occidentaux, on change le monde. Parce que je ne sais pas si vous avez le chiffre en tête, mais 1% de la population mondiale prend la moitié des avions qui volent dans le ciel. 20% prend tous les avions. 80% du monde ne prend jamais l'avion qui est un symbole. C'est-à-dire que derrière l'avion il y a tout le reste. Donc ça veut bien dire ce que ça veut dire. Si parmi les 1%, la moitié changeait, 1% de la population. Mais déjà on résout 25% du problème. C'est énorme, ce qu'on appelle un effet de levier dans la finance. Donc il faut vraiment que les gens qui sont en capacité de changer se mettent en mouvement. Certains n'ont moins la capacité, parce qu'ils ont plein de problèmes au quotidien, de survie alimentaire, de survie financière, et c'est pas eux de faire le plus gros des efforts. Moi, je cible toujours les 1% et les 10%, c'est au plus aisé de changer.

  • Florence Gault

    Alors dans "La nouvelle controverse" que vous avez publiée en 2013, vous explorez donc cette possibilité d'une renaissance face aux crises que traversent nos sociétés modernes. Vous dites donc que nous sommes en fin de cycle, en fin de civilisation, que le monde de l'industrialisation et l'hyperconsommation est en train de s'effondrer, qu'on va passer à la frugalité, la sobriété, la décroissance. Est-ce que vous expliquez que c'est tous un petit groupe ? Deux personnes, une minorité qui peut faire basculer la société. Et donc pour en revenir à cette idée de tout ne repose pas tout sur nous et tout ne repose pas non plus sur tant que le reste du monde ne change pas, je ne peux pas changer.

  • Yannick Roudaut

    Oui, je crois qu'il faut sortir du postulat que faudrait tout le monde changer pour que ça change. Ça n'a jamais été comme ça. Le changement n'est jamais majoritaire. Ce sont toujours les minorités actives qui font l'histoire, ce sont les marges. Les marges, en ce sens, les gens qui sont en marge du système, c'est eux qui changent le système. C'est rarement l'intérieur qui change le système. C'est-à-dire qu'on n'a pas vu les sénateurs romains dire c'est bon, on arrête, hein, allez-y, puis on va élire un pape qui va remplacer l'empereur, puis ça va bien se passer, vous inquiétez pas. On a assez régné. Non, ça s'est pas passé comme ça. Il y a un groupe minoritaire qu'on appelle les premiers chrétiens qui commençaient à semer des graines idéologiques et religieuses, et quatre siècles après, ça a changé l'Empire romain. La Révolution française, petit groupe. De gens qui étaient un peu à l'intérieur, on va dire les bourgeois. Mais ils n'avaient pas le pouvoir. Ce n'étaient pas les aristocrates. Ils n'avaient pas le pouvoir. Et ils ont décidé que ça suffisait. Et ils ont déclenché une révolution. La révolution russe, c'est pareil, c'est un coup d'État d'une minorité. Les bolcheviks, les mensheviks, ce n'est pas le peuple russe qui descend dans la rue, contrairement à ce qu'on raconte. Bref, à chaque fois, c'est des minorités qui ne sont pas satisfaites de l'état du monde et qui veulent profondément le changer. Et ces minorités, dès lors qu'elles dépassent, on dit, le seuil des 10%, c'est-à-dire que dès qu'elles contaminent l'élite... Il y a bascule. C'est ce qui s'est passé avec la chute de l'Empire romain. Il y a eu une guerre civile entre les polythéistes et les monothéistes, parce que l'Empire romain était polythéiste avant le christianisme, et il est devenu monothéiste. Et ça a changé les contours de l'Empire. Et un jour, Constantin décide d'en faire une religion monothéiste, religion d'État, et puis derrière on a l'Empire chrétien romain. C'est incroyable ce qui s'est passé, mais c'est exactement la même chose en ce moment. C'est qu'on a une minorité de gens qui ne veulent plus aller travailler dans des entreprises climaticides, polluantes, destructrices. Une minorité de jeunes qui font des études supérieures et qui n'ont plus envie d'aller. dans ce modèle économique, ont plus envie de s'y retrouver. On en parle moins en ce moment, mais ils sont quand même là, les bifurqueurs, les déserteurs, etc. Alors ça fait grincer des dents, ça fait couiner un peu dans les chaubillards et les entreprises. Mais ils nous disent quoi ? Ils nous disent, nous, on voudrait un autre monde. Un monde qui... prend soin de la nature, qui régénère, qui prend soin du climat, qui prend soin de nous. Et donc, ils ne sont pas contre le travail, ils sont contre ce qu'on en fait aujourd'hui, ou ce pour quoi on les mandate. Et donc, il y a quelque chose qui frémit, qui est en train de se passer, et on n'est pas encore à 10%, mais je pense que d'ici, dans les 20 prochaines années, on aura une bascule, parce que plus l'environnement se dégrade, plus le climat se dégrade, plus on va payer les conséquences concrètes de ça, plus il y aura une contre-réaction. Et là, on est en train de s'accélérer, cette contre-réaction. C'est-à-dire qu'il faut arrêter de voir l'histoire comme étant des marges de 10 cm qu'on monte. C'est pas linéaire l'histoire, c'est exponentiel. Donc il y a un phénomène d'accélération. Et là on est en pleine accélération. L'élection de Trump en est un exemple. Parce que plus le monde change, plus le tapis se retire sous le pied de certaines élites, plus ils se raidissent. Et plus ils deviennent violents. Et donc, ce n'est pas un hasard. Et on aura peut-être des régimes autoritaires et violents en Europe quelques années. Mais ce n'est pas une finalité.

  • Florence Gault

    Yannick Roudot, alors comment repenser notre société ? Vous proposez de passer de l'économie extractive à une économie régénérative. Est-ce qu'elle est nécessairement décroissante ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la décroissance, il faut redéfinir le mot. On parle de quoi quand on parle de croissance ? On parle de croissance du PIB, du produit intérieur brut. Et comme disait Kennedy, le PIB ne mesure rien sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Il ne mesure pas le regard des enfants, il ne mesure pas la joie, il ne mesure pas l'état de notre système de santé. Il ne mesure rien d'intéressant, le PIB. Et dans le PIB aujourd'hui, on mesure la destruction des forêts, on mesure la bétonisation des sols, on mesure les tonnes de CO2 rejoint l'atmosphère parce que plus on brûle de pétrole et d'essence, plus les voitures tombent. Donc c'est bon pour le PIB. Donc c'est complètement absurde. La croissance du pb n'a pas de sens et après ça me permet de redéfinir qu'est ce qu'on entend par décroissance. Alors le mot du coup n'est pas peut-être bien choisi parce que décroissance une amputation, les gens ne veulent pas être amputés. Mais une décroissance ça veut dire quoi ? Ben moi je suis pour la décroissance des énergies fossiles qui peuvent être et pour la croissance d'énergie alternative qui ne pollue pas je suis pour la croissance d'une agriculture propre saine de qualité à des prix raisonnables et pour une décroissance d'une alimentation on va dire pleine de pesticides de molécules dangereuses chimiques sont pas bon On est tous d'accord en fait. Sauf qu'on passe notre temps à opposer les croissants et les décroissants, sachant que la décroissance, c'est juste une transformation transitoire. C'est le temps qu'on aboutisse à autre chose. Ce que Timothée Parry, dans Les Utopiennes, appelle l'économie du contentement. Le but, c'est que dans 15-20 ans, on ait bâti un modèle. ...économiques qui contentent les besoins quotidiens des individus. Et ils sont très variables selon les individus, donc ça laisse une liberté. C'est pas de la planification communiste, il y a une liberté au sein du cadre. Mais par contre, il y a un cadre figé qui est le cadre planétaire. La planète ne peut pas continuer à être détruite, malmenée, souillée éternellement. Et c'est pour ça que les choses vont s'arrêter. C'est comme disait les indiens Kogui, à votre avis, qui va gagner ? Pas chamama, la mama, ou nous les humains ? On connaît le résultat. La Terre s'en sortira toujours. L'humanité peut-être pas.

  • Florence Gault

    Et alors ça, comment on s'y prend dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui ? C'est quoi les étapes ?

  • Yannick Roudaut

    Les étapes, c'est un, agir à son niveau, au premier temps. Deux, essayer d'emmener des gens dans son entourage, si c'est possible. Et puis se laisser surprendre par l'inattendu. Mais c'est parce qu'on agit que l'inattendu surgit. Il n'y a pas de nulle part l'inattendu. Il surgit parce que des êtres humains se sont mis en mouvement. Donc l'action crée les conditions du surgissement d'un événement inattendu qui nous fera bifurquer. Mais il n'y a pas de plan, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de feuille de route. Et c'est ça qui déstabilise les gens, une feuille de route précise. Il n'y en a pas. Je ne sais pas quelles seront les tempêtes, quelles seront les canicules dans les prochaines années. Par contre, je sais que si je ne fais rien, ce sera difficile de boire et de manger. Donc aujourd'hui, il faut s'organiser sur l'agriculture, sur la gestion de l'eau, sur les minerais, sur tout ce qui va être essentiel dans les prochaines années. C'est là où on peut travailler. travailler. Mais après, ce qui arrivera, ça sera à l'affronter. Il faut se préparer, en tout cas. Et ça passe d'abord par un changement d'état d'esprit qu'on appelle la métanoïa en grec, c'est-à-dire transformer l'esprit avant de transformer le corps social.

  • Florence Gault

    Alors, dans l'approche économique de la société actuelle, vous proposez justement, pour mettre en place cette transition, de mettre en place une triple comptabilité, à la fois un bilan financier, un bilan social. Et un bilan environnemental qui, finalement, nous permettrait d'avoir une vision un peu plus complète de la valeur réelle d'un produit ou d'une activité, et qui sortirait, justement, uniquement de la démarche commerciale qu'on peut connaître aujourd'hui.

  • Yannick Roudaut

    Alors, l'idée de la triple comptabilité, elle n'est pas de moi. Elle date d'une vingtaine d'années. Il y a des experts comptables qui travaillent dessus. Il y a des chairs de recherche. Mais l'idée, c'est quoi, en fait ? C'est de partir du postulat que les objets qu'on achète, les aliments qu'on consomme, ne sont pas à leur juste prix, parce qu'ils ne prennent pas en compte... La dégradation sociale. Qui ramasse les légumes dans une serre à Almeria, dans le sud de l'Espagne ? Dans quelles conditions il est payé, cet homme ou cette femme ? On sait très bien comment ça se passe, parfois. J'ai envie de dire souvent. Ce n'est pas toujours des conditions sociales de travail respectables. Deux, donc ça, ce n'est pas dans le prix du produit. Deux, ce qui n'est pas dans le prix du produit, c'est la dégradation de l'environnement. Si on utilise des pesticides, les polluants étaient... dont on parle beaucoup en ce moment, qui tuent, mais qui détruisent aussi les sols, la qualité de l'eau. Et ça, qui va réparer ? Ce n'est pas dans le prix du légume. Et donc, reconsidérer la valeur et reconsidérer les prix, c'est mettre dans la constitution du prix les impacts humains, les impacts environnementaux et les ressources nécessaires, matières premières, énergie, etc. pour transformer et transporter le produit. Et là, on aurait un vrai prix. Et on se rendrait compte de quoi ? On se rendrait compte que la pomme sud-africaine qui est importée en Europe, elle est beaucoup trop chère par rapport à une pomme française. Bah oui, c'est une évidence quand on change le prisme du prix. Sauf qu'on est encore à un prix amputé, où il y a juste les matières, le transport et le coût de la transformation. Mais l'impact humain, l'impact environnemental, on s'en fiche pour l'instant dans l'économie capitaliste néolibérale. Il va falloir changer les clés de cette économie. C'est pour ça que la compta, la façon d'apprécier un objet ou un service, ça va être déterminant dans notre regard sur le monde. Et ça change toutes les bases de l'économie. Donc on en revient là. L'idéologie, c'est une chose. Mais si la comptabilité n'évolue pas, on se heurte à un mur. Il faut vraiment que la compta bouge.

  • Florence Gault

    Ça, c'est possible avec l'organisation de notre modèle économique, du fonctionnement des entreprises. Est-ce que ça a déjà été mis en place ? Ça marche ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a des entreprises qui l'expérimentent, la triple compta dans l'Ouest de la France. Il y a l'association Rupture, dirigeants responsables de l'Ouest qui sont des gens engagés, qui expérimentent la triple compta avec la Banque de France et des experts comptables. Donc ça existe. Je n'ai pas dit que c'était facile, mais ils expérimentent. Ils essaient de voir comment on peut le transposer concrètement. dans les comptes, première chose. Et deuxième chose, à l'aune. D'un événement financier grave, je parle souvent du grand krach financier qui nous attend si on ne bouge pas, c'est-à-dire l'effondrement généralisé des banques et des marchés, il faudra bien rebâtir quelque chose de nouveau. Et on fera comme en 40, comme en 45, c'est après des conflits qu'on prend des grandes décisions. C'est après 1918 qu'on donne le droit de vote aux femmes, c'est en plein flashisme qu'on a les congés payés. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale qu'on crée la sécurité sociale. Malheureusement, oui, il faut peut-être un effondrement financier qui sera socialement très coûteux. Parce qu'il ne faut pas se leurrer quand les bourses s'effondrent, ça fait mal. Mais c'est peut-être à ce moment-là qu'on construira un modèle comptable compatible avec les enjeux planétaires. Tout est possible. Je ne sais pas quand ça arrivera, mais ça finira par arriver.

  • Florence Gault

    Alors bienvenue en 2044, il y a des bonnes nouvelles qui nous arrivent du futur, c'est ce que vous montrez avec les Utopiennes 2044 que vous venez de publier au sein de votre maison d'édition La Mer Salée. Comme les Utopiennes 2043, vous explorez des futurs utopiques à travers une série de récits écrits depuis la perspective de personnages de l'année 2044, un livre finalement qui vise à proposer une vision un peu positive, un peu radicale de l'avenir.

  • Yannick Roudaut

    L'idée c'est d'enjamber les obstacles. C'est-à-dire que quand on dit aux gens, et je le vois beaucoup quand je vais en entreprise, on est en 2024, on leur demande d'imaginer 2040, ouf, ils voient que du sombre. Parce qu'ils voient les obstacles quotidiens, ils voient l'élection américaine, ils voient la résurgence du fascisme en Europe, etc. Ils voient l'effondrement écologique, donc ils peuvent pas imaginer quelque chose de positif. Il y a un obstacle qui est trop dur à franchir. Donc nous, l'idée c'est d'enjamber l'obstacle. On est en 2044, on est dans 20 ans. Ou on est en 2043. Voilà, le monde souhaité est advenu. On ne dit pas comment ça s'est passé, pas tout de suite, mais on projette les gens. Et alors on demande de regarder, d'ouvrir les yeux, fermer les yeux quelque part, d'ouvrir le livre et de se réveiller. On est dans 20 ans, on regarde comme c'est bien. Le monde du travail a changé, l'agriculture a changé. changé, le microbiote des sols est devenu la norme, on soigne les sols comme on soigne notre microbiote intestinal, il y a des nouveaux métiers, il y a des accordeurs d'éoliennes en bois, il y a plein de choses. Et en fait, ça permet tout de suite de se transposer dans quelque chose qui est vraiment nouveau, parce que c'est utopique, en ce sens que ça n'a pas encore de lieu, ça ne veut pas dire que c'est irréalisable. Et la force de l'utopie, c'est que quand on emmène les gens dans ce futur, En fait, ils nous disent tous, mais ça paraît possible en fait. En fait, j'aime bien ça, en fait c'est possible. Bah oui c'est possible, sauf que tu ne te l'étais pas autorisé parce que tu as vu que les obstacles. Donc d'enjamber les obstacles, ça ouvre le champ des imaginaires et ça permet de montrer aux gens qu'un autre monde est possible que d'autres. monde sont possibles et que rien n'est écrit et c'est pour ça qu'on fait cet exercice on est extrêmement lucide avec sandrine parce que ça fait plus de 25 ans qu'on travaille sur le sujet mais ça nous empêche pas d'enjamber obstacle et de rêver parce que toutes les grandes ruptures dans sur l'humanité, ce sont des rêveurs. J'ai souvent un dirigeant d'entreprise, parce que je les côtoie beaucoup, si vous ne laissez pas la place à des utopistes dans votre entreprise, mais qu'est-ce que vous allez inventer ? Vous allez vous entourer de gestionnaires. Ils vont gérer, ça, ils vont bien gérer, mais ils ne vont rien inventer. Les grandes innovations, ce sont des utopistes. Donc il faut rêver fort, très très fort.

  • Florence Gault

    Alors, en préparant cette interview, je vous ai demandé de choisir un extrait des utopiennes. Lequel vous avez choisi ?

  • Yannick Roudaut

    Je vais lire peut-être deux, trois lignes de la prose de l'amour et du handicap. Donc c'est un texte de Nicolas Houguet qui est un jeune garçon qui vit en fauteuil et qui se projette dans un monde où le handicap n'est plus un problème. Parce que comme dit Nicolas, moi ça me touche beaucoup dans son texte, c'est que plusieurs fois il est resté dans la porte de l'immeuble s'il ne pouvait pas monter. Quand il est allé au restaurant avec sa compagne, on ne le regarde pas. La personne qui accueille au restaurant regarde uniquement la personne debout, ne regarde jamais la personne en fauteuil. Des choses comme ça qui sont affreuses et que lui ne comprend pas. Ou acheter une baguette de pain tout seul, vivre seul. Parce que Paris, en fauteuil aujourd'hui, c'est impossible de prendre le métro. Il n'y a même pas d'ascenseur à toutes les stations de métro. Donc ça c'est un texte qui m'a beaucoup touché. Je vais juste lire quelques phrases parce que je laisserai découvrir. Voilà, je vais commencer là. Je n'étais pas vraiment de ce monde et chaque marche un peu haute me rejetait légèrement. Longtemps, j'ai attendu devant des portes closes, je regardais la route en m'appliquant à glisser sur les regards qui me faisaient trop mal. J'ai relevé les yeux, me suis vengé de mon soeur pour t'aimer bien en face, décidé de vieillir. Et puis un jour, sur la place de la gare, à côté de chez moi, j'ai pu acheter de quoi faire nos repas, connaître le prix d'une maguette, d'une ampoule à changer, le quotidien avait été conquis. Boah !

  • Florence Gault

    Ce genre de projection, l'utopie, elle est là justement pour contrebalancer la résignation face aux défis écologiques et sociaux actuels ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, pour moi la résignation n'est pas une option rationnelle. Se résigner, ça veut dire qu'il n'y a pas d'inattendu. Alors que la raison, la logique veut qu'on croit en l'inattendu. Donc on ne peut pas se résigner, première chose. Et deuxièmement, ce genre de projection, ça permet à des gens de prendre conscience. du présent. Parce que quand on lit le texte de Nicolas Huguet sur le handicap et sur ce qu'il vit avec son fauteuil au quotidien, ce qu'il vivait en 2024 et ce qu'il ne vit plus en 2044, on se dit waouh, quand même, on ne se rend pas compte On se met à sa place, et c'est extrêmement important d'être à sa place, et c'est pour ça qu'on fait ces textes aussi. L'an dernier, on avait publié un texte sur le handicap aussi de Riyad Salem, qui est un de nos champions olympiques par Olympique. Et Riyad, j'avais eu au téléphone, il m'avait dit tu te rends compte Yannick, en 2023, on mettait des prothèses couleur chair aux gens, parce qu'il ne fallait pas qu'elles se voient Très juste. Et en 2043, les prothèses, elles sont fluo, roses, taguées, elles sont belles, lumineuses, elles clignotent. Ben oui, pourquoi pas ? Voilà, c'est à ça que ça sert ces textes-là. À interpeller et à prendre conscience de l'absurdité de nos raisonnements qu'on estime comme étant normaux et acquis. Non, non, non, ça peut changer. Rien n'empêcherait aux personnes qui ont acquis mon carment d'avoir des prothèses de couleur. Et pourquoi pas ?

  • Florence Gault

    Alors moi, j'ai choisi un extrait de Cora, là où naît l'information libre, écrit par Juliette Keff, qui est journaliste, cofondatrice du Médiavers, donc sans grande surprise au vu de mon profil. Mais je trouvais que c'était intéressant qu'on puisse l'évoquer ensemble, puisque vous-même, vous avez été journaliste. Je vous en lis un extrait. Ces derniers mois, les effets des crises écologiques se sont encore accentués. Il faut toujours trouver de nouvelles manières d'en parler, d'alerter sans traumatiser, de permettre à toutes et tous de comprendre et d'agir, de mettre dans le débat public les vraies et les fausses solutions. En ce moment, Rachel et Myriam investiguent sur la désalinisation de l'eau de la mer Méditerranée dans une giga-usine près de Perpignan. Elles se sont rendues en Espagne et au Maroc pour comprendre ce qu'il était advenu de ces monstres des mers qui écumaient du sel subitement. abandonnées. Devant l'Agora, elles témoignent de leurs aventures lors de cette enquête et des fils qu'elles ont pu tirer. Les réactions sont enthousiastes, les lecteurs et lectrices en veulent plus. Ce rôle des médias, Yannick, je pense que en tant que journaliste, vous l'avez expérimenté. Là, on voit à quel point la question des solutions est primordiale. C'est moi ce que j'essaie de défendre avec en un battement d'ailes et l'approche du journalisme de solutions. Aujourd'hui, c'est effectivement nécessaire, vital, si on veut, d'une part, que les gens continuent de s'informer, et puis montrer que d'autres voies sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    Oui, il faut absolument du journalisme qui montre à chaque problème des solutions ou une solution. Moi, mes filles, je les ai toujours élevées en leur disant, il y a ce problème-là, mais regarde ce qu'on peut faire aussi. Pour toujours leur donner la solution possible. Ce qui fait que mentalement, il n'y a pas cette... Il n'y a pas cette... Cette faillite, c'est-à-dire ce renoncement, elle part du principe que oui, il y a un problème climatique, mais il y a des solutions, mes parents m'en ont parlé, donc on peut faire autrement, que ce soit la frugalité, que ce soit une façon de mieux gérer l'eau, etc. Donc ça, c'est extrêmement important. Et puis l'autre chose que le journalisme doit travailler, c'est cette culture générale sur les questions d'écologie pour pouvoir répondre aux climato-sceptiques. Moi, je suis sidéré de voir des plateaux de télévision où on laisse la porte ouverte à quatre climato-sceptiques, plutôt des mâles blancs dominants classiques. Vous voyez ce que je veux dire ? et qui balancent des absurdités tout le temps, et en face, il n'y a aucune réponse. Et les journalistes continuent à dérouler des questions, et il n'y a pas de répondant. C'est catastrophique. Il faut absolument avoir des gens qui ont du répondant, qui soient capables de dire, mais quelle est votre source ? Comment pouvez-vous dire ça ? Qui peuvent argumenter ? Et c'est là où la formation des journalistes est très importante sur tous ces sujets. Donc il y a les solutions, mais il y a aussi une formation économique et écologique très très solide que tout le monde devrait avoir dans le journalisme.

  • Florence Gault

    Et puis l'intérêt aussi de repenser l'approche journalistique, de pouvoir aussi ouvrir de nouveaux imaginaires, que ce soit à la fois dans ce qui est proposé dans les médias, mais aussi dans la culture, dans la littérature. Et donc c'est ce que vous faites avec la mer Salée. L'objectif, c'est justement de permettre à ces nouveaux imaginaires, à ces nouveaux récits d'exister. À quel moment l'intuition est apparue pour la mer Salée ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a dix ans, on a créé la mer salée en publiant des essais engagés. Et puis dans les années 2017-2018, on s'est dit que les essais, c'était bien, mais il fallait aller vers des romans, des romans utopiques, parce qu'il n'y en avait pas beaucoup. On avait du mal à en trouver. Et parce qu'on est persuadé que la fiction fait la réalité et que le rôle de la fiction est très important. Et qu'aujourd'hui, les fictions, que ce soit sur les plateformes de distribution de séries, les cinémas, les livres, sont assez glauques, assez dark, assez sombres, assez dystopiques. Et on s'est dit, si personne ne le fait, on va le faire. Donc on a commencé et j'espère qu'on va être suivi par beaucoup de monde parce que ça voudrait dire qu'il y a un marché qui se crée. Mais nous, l'idée, c'est vraiment d'ouvrir ce segment de récits utopiques. C'est-à-dire qu'en 2050, on peut décrire un couple, la vie d'un couple, mais sur fond d'une économie qui a changé, d'un monde qui a changé. C'est-à-dire que l'idée, ce n'est pas de publier uniquement des histoires où on a réussi à lutter contre le dérèglement climatique. Non, on peut le mettre en toile de fond comme étant acquis. Par exemple, l'autre jour, je voyais un film américain et ça me surprenait parce qu'il prenne tout le temps l'avion. pour se déplacer, pour aller l'une ville à l'autre. Et même en Europe, ils prennent rarement le TGV. Et en fait, il faudrait que le train soit systématiquement... Qu'on ait des héroïnes qui ne mangent plus de viande, qui mangent végétarien, par exemple, qu'ils aient une maison très simple, qu'ils soient bricoleurs, low-tech. Et ça, rien que de changer l'enveloppe dans laquelle se déroule l'histoire, ça change tout. Parce que si c'est toujours extrêmement branché et bien vu d'avoir une grosse voiture qui pollue en centre-ville et d'être tout seul dedans, et que c'est trois tonnes de déchets sur roue, On est mort. Il faut que ça devienne complètement has-been. On dit toujours, tu veux changer le monde, il faut le démoder. Donc il faut le démoder par les récits, et le démoder par les codes sociaux, il faut changer les valeurs en fait. Et ça, la fiction peut le faire.

  • Florence Gault

    Alors vous présentez la Mer Salée comme maison d'édition semeuse d'utopie pour un monde audacieux, respectueux des êtres et du vivant. Donc l'idée c'est de rendre ces idées contagieuses. Mais vous le faites aussi dans la construction même de la maison d'édition. Vous êtes dans cette démarche respectueuse des êtres et du vivant. Vous avez donc toute une charte. Oui, oui. On pourrait rentrer vraiment dans le détail, mais vous essayez de faire en sorte de façonner, imprimer vos livres plutôt en France, en local, à proximité de chez vous, non ? Oui,

  • Yannick Roudaut

    à moins de 100 kilomètres. Tout est fait à moins de 100 kilomètres. C'est-à-dire que les livres sont produits, imprimés, mis en page, les couvertures sont créées en local. Tout est en local. Ça nous coûte plus cher. C'est une contrainte, mais on ne peut pas faire autrement. Parce que je n'imagine pas porter un contenant engagé et avoir un contenu qui ne l'est pas. Alors, à nous de trouver un équilibre économique. Oui, nos livres, ils sont comme tous les autres livres. Le papier a pris 40% ces dernières années. On est obligé de les vendre plus cher. Au lieu de 20, on va les vendre 21. On n'a pas le choix. C'est comme ça. Mais sinon, c'est quoi ? C'est délocalisé en Asie ? Non, ça, on ne veut pas. Donc, on ne le fera pas. Ou imprimé en Europe centrale. Moi, je n'ai pas envie. D'autres le font. Mais chacun fait ce qu'il peut et ce qu'il veut. Il n'y a pas de jugement. Mais nous, c'est le parti pris qu'on a. Et on veut que ça reste local dans la conception.

  • Florence Gault

    Vos encres sont créées à base d'huile végétale, imprimées sur du papier issu de forêts européennes gérées durablement. Vous ne pratiquez pas le pilon ni la surproduction. Ça, on peut peut-être dire un mot, parce que je pense que ce sont des choses qu'en tant que lecteur, lectrice, on ne sait pas forcément.

  • Yannick Roudaut

    Non, les gens ne se rendent pas compte qu'en France, il y a des millions de livres tous les ans qui sont détruits neufs avant même d'avoir vu une étagère. C'est ce qu'on appelle le pilon. Je donne un exemple, je suis éditeur, je vais imprimer 5000 livres. Tater le marché. Pas de chance, ça marche pas. Il y en a 4500 qui me sont renvoyés par les libraires, parce qu'ils n'ont pas réussi à les vendre. Ils me sont renvoyés en tant qu'éditeur, j'ai 4500 livres sur les bras. Qu'est-ce que j'en fais ? Dans 99% des cas, les éditeurs les détruisent ces livres. Ils les pilonnent, on appelle ça pilonner. Ils sont détruits. Une partie sera recyclée, mais pas tous, les couvertures. Avec le vernis, c'est pas toujours facile à recycler. Bref, il y a une grosse destruction de livres, beaucoup de papiers. Et c'est un sujet un peu tabou dans le monde de l'édition, bien sûr. Donc nous, on a des sites... de ne pas faire de pilon. On reprend tous les livres et on les donne à des étudiants, on les donne à des associations, on les revend quand ils sont revendables. On essaie de trouver une nouvelle vie pour le livre. Ce n'est pas toujours facile. Là, j'ai des stocks de livres, certains, j'essaie de les revendre à des associations à des prix pas trop chers, mais pour qu'ils vivent. Mais voilà, c'est notre travail, mais on ne veut pas pilonner.

  • Florence Gault

    Et alors, est-ce qu'avec tout ça, avec cette démarche, est-ce qu'on arrive à en vivre ? Est-ce qu'on arrive à aller au bout de la démarche et à faire en sorte que ça fonctionne ?

  • Yannick Roudaut

    Pour l'instant, ce n'est pas rentable. on survit grâce à des aides de mécènes de philanthropes de l'Etat, parce qu'il y a l'ADEME qui nous soutient il y a la région Pays de Loire qui nous soutient le Centre National du Livre qui nous soutient nos lecteurs qui nous soutiennent, les libraires etc donc ça c'est très important, pour que ça soit viable il faut vendre beaucoup beaucoup de livres et donc nous on est en phase d'accélération et on espère atteindre le seuil de rentabilité dans les prochains mois ou les prochaines années c'est l'objectif ouais un bel objectif pour finir Yannick Roudot Merci

  • Florence Gault

    Un mot sur, je ne sais pas, ce monde de demain, comment vous le percevez ? Peut-être offrir une petite lueur d'optimisme ou d'espoir à celles et ceux qui peut-être se disent que ce monde, il n'est pas facile.

  • Yannick Roudaut

    Moi, je suis persuadé qu'en 2050, on vivra mieux qu'aujourd'hui parce qu'on travaillera moins, on consommera moins, on vivra mieux, plus de temps pour soi et on sera beaucoup plus proche du vivant, de la nature. Et c'est la nature qui soigne, c'est la nature qui apporte du bien-être. Notre psyché est connectée au vivant. Et ça, on va le redécouvrir, c'est en train de se faire. Donc, je suis assez confiant pour les 2050. Après, 2020, 2030, les prochaines années, oui, elles sont un peu compliquées. Il faut les aborder avec courage.

  • Florence Gault

    Un grand merci pour cet entretien.

  • Yannick Roudaut

    Merci.

  • Florence Gault

    Bon, je ne vais pas vous mentir, notre échange aurait pu durer deux à trois heures. Il y a une foule de questions que je n'ai pas eu le temps de lui poser, mais on s'est dit qu'on donnerait une suite à cette interview. De cet échange, je garde l'idée de ne pas avoir peur du futur, car on ne sait jamais ce qui peut arriver, et que l'improbable peut surgir à tout moment, à condition, comme nous y invite par exemple Rob Hopkins, l'initiateur du mouvement des villes en transition, à libérer notre imagination. Alors pour rêver à un futur souhaitable et désirable, je vous invite à lire "Les Utopiennes 2044", cela fera en plus un très joli cadeau de Noël. Un épisode rendu possible grâce au soutien de Mathieu, Émilie et Mathilde.

Description

Dans cet épisode d’En un battement d’aile, nous accueillons cette semaine Yannick Roudaut, auteur, conférencier et cofondateur des éditions La Mer Salée.


Cet ancien journaliste financier, devenu fervent défenseur d’une économie durable et régénérative, explore les bifurcations inattendues qui peuvent transformer nos sociétés. Avec lui, nous évoquerons l’idée selon laquelle l’improbable – ces événements inattendus, parfois perturbateurs, mais porteurs de potentiel – peut surgir à tout moment et ouvrir des voies inattendues vers un futur plus désirable.


À partir de cette réflexion, Yannick Roudaut explore les leviers qui pourraient nous permettre de sortir des impasses actuelles : repenser l’économie pour qu’elle devienne régénérative, s’appuyer sur des récits utopiques pour inspirer l’action, ou encore réinventer les pratiques éditoriales dans une démarche respectueuse du vivant.


Ensemble, nous discuterons des transformations à l’œuvre et de l’importance de garder l’esprit ouvert face aux aléas. Car, comme Yannick Roudaut le souligne, ce n’est pas l’immobilisme qui nous protégera, mais bien notre capacité à accueillir l’inattendu.


Une conversation riche en perspectives, pour imaginer et construire le monde de demain, enregistré à l'occasion de la tournée de promotion du livre "Les Utopiennes, bienvenue en 2044" que la Mer salée vient tout juste de publier.


Bonne écoute ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


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Transcription

  • Florence Gault

    Bienvenue dans ce nouvel épisode d'En un battement d'ailes. Aujourd'hui notre invité est Yannick Roudaut. Il aime à se présenter comme un décloisonneur intellectuel. Ancien journaliste spécialiste des marchés financiers, il a passé plus de 15 ans dans des médias comme BFM, Bloomberg TV ou encore Le Figaro. C'est au moment de la crise des subprimes en 2008 qu'un constat s'impose à lui, notre modèle économique actuel est insoutenable. Cette prise de conscience le pousse à repenser notre économie sous un angle durable en intégrant des valeurs sociales et écologiques. Yannick Roudot propose aujourd'hui une vision singulière de l'économie qu'il souhaite... régénérative et respectueuse des limites planétaires. Devenu auteur, conférencier, il est également cofondateur de la maison d'édition La Mer Salée qui vient de publier le deuxième tome de ses Utopiennes, Bienvenue en 2044. C'est dans le cadre de la tournée consacrée à la promotion du livre que je le rencontre. Nous nous retrouvons à la fabuleuse cantine dans le 7e arrondissement de Lyon où se tient la conférence, une heure ensemble qui va passer à toute allure. Yannick Roudaut, bonjour.

  • Yannick Roudaut

    Bonjour.

  • Florence Gault

    Pour démarrer, peut-être un mot sur votre regard, sur ce que nous vivons actuellement, sur cette époque, sur les défis auxquels nous faisons face.

  • Yannick Roudaut

    C'est une époque que j'ai souvent comparée, que je compare beaucoup, je continue à comparer à la Renaissance, parce que la Renaissance c'est un changement de monde, et pour moi on est dans un changement de monde. C'est-à-dire que l'occidentalisation du monde qui a commencé il y a 500 ans, on a colonisé le monde, on a imposé notre économie, notre rapport à la nature, qui est un rapport destructeur. Prédateur, on l'a généralisé et 500 ans après on arrive au bout, c'est terminé. Ça ne fonctionne plus. Pourquoi ça ne fonctionne plus ? Parce qu'on voit bien qu'en détruisant on crée les conséquences d'un dérèglement climatique et d'un effondrement de la biodiversité, il y a un mal-être des gens, il y a une mauvaise redistribution des richesses, il y a des burn-out partout. C'est la fin d'un système, on est en dépression collective. Donc ce système occidentalisé capitaliste, il est entendu ces dernières années, c'est un décennie, je ne sais pas combien de temps ça a duré. Moi je parie sur encore 20-25 ans grand max. Je pense que d'ici 2050, les choses auront beaucoup bougé. Donc on est dans le clair-obscur. Là, c'est l'obscurité qui reprend le dessus. Ça ne vous aura pas échappé. Mais la lumière reviendra. C'est inévitable. C'est physique. C'est un principe énergétique. L'ombre n'existe pas sans la lumière. La lumière n'existe pas sans l'ombre. Là, on est dans l'ombre. Il faut le traverser avec courage.

  • Florence Gault

    Et c'est une période qui fait peur ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, ça fait peur parce que l'obscurité, c'est tous les fantasmes, la peur de l'autre, la peur du futur, l'agressivité. C'est tous les... Toutes les phrases tarte à la crème comme l'homme est un loup pour l'homme, on va s'entretuer, on va se déchirer à la Mad Max, je ne crois pas un instant. Je ne crois pas un instant. Oui, l'être humain peut être très violent, très cruel. On a cette cruauté, mais on a aussi cette humanité, cette bonté qui est en nous. Et aujourd'hui, en fait, nos élites, nos leaders d'opinion ont une grande responsabilité. Parce qu'à souffler sur les braises, ils sont en train de créer quelque chose d'extrêmement violent. Mais on peut renverser la vapeur très vite, on l'a vu pendant les JO de Paris. Ça a été un soulagement collectif. Il y avait une empathie, il y avait une solidarité, il y avait une joie. Et en fait, elle est tout de suite revenue. Donc on n'est pas forcément parti pour 30 ans d'obscurité. Tout peut bifurquer très très vite, mais il faut la traverser cette période. Et pour ça, il faut être bien ancré.

  • Florence Gault

    Et puis on voit que cette période, effectivement, peut créer de l'éco-anxiété, particulièrement chez les jeunes. Vous la comprenez, vous la palpez, cette éco-anxiété ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, en fait, je donne des cours en université, en école. Parce que je pense que c'est important d'aller parler à la jeunesse. Donc c'est plutôt une mission pour moi, c'est pas pour la rémunération. Et ces jeunes, ils sont déprimés. Il y a 15 jours, 3 semaines, j'étais à l'université de Nantes. Je fais un petit tour de table en master. Ils étaient une quinzaine. Et sur les 15, il y en avait 12 qui étaient pessimistes, qui ne croyaient plus, en fait. Et ça, je trouve ça extrêmement triste qu'à 20 ans, 22 ans, 23 ans, on n'ait plus d'espoir pour l'avenir. Ça, c'est vraiment une problématique. Ça me touche beaucoup. Et donc, moi, j'y vais en leur apportant les raisons d'espérer et en leur disant que surtout, il ne faut pas lâcher. Il faut continuer à y croire parce qu'il peut se passer énormément de choses. Mais cette éco-anxiété, elle est légitime parce qu'ils sont nés avec le dérèglement climatique. Ils sont nés avec des infos qui sont mauvaises. Les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Et ça ne peut pas être autrement. Alors maintenant, on charge à nous de leur montrer qu'il y a d'autres bonnes nouvelles malgré ces mauvaises nouvelles. Qu'il va falloir qu'effectivement, on agisse individuellement et collectivement. Mais c'est compliqué pour eux. Mais c'est un des paramètres de l'effondrement du système capitaliste. C'est que plus ils sont éco-anxieux, moins ils ont envie d'alimenter la machine qui détruit la nature et leur avenir. Donc ils n'iront pas travailler n'importe où. Et ça pour moi c'est fondamental dans l'évolution du monde.

  • Florence Gault

    Effectivement, difficile quand on regarde le monde qui nous entoure de trouver des lueurs d'espoir. Et ce que j'aime beaucoup dans votre approche, c'est que vous dites que l'improbable peut surgir à tout moment, venir tout renverser. C'est d'ailleurs le titre d'un de vos livres, Quand l'improbable surgit Vous prenez notamment l'exemple de la pandémie de 2020, qui est venue finalement offrir une opportunité de repenser le monde. Il y a cette réflexion autour du monde d'après. qui est apparue assez vite, qui moi-même m'a fait me poser des questions et créer ce podcast trois ans plus tard. Mais donc des bifurcations salutaires, comme vous le dites, sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    En fait, oui, pour la petite histoire, ce livre, j'ai commencé à l'écrire avant le Covid, en étant persuadé qu'il allait se passer quelque chose d'inattendu. La pandémie arrive et là, je me dis ça y est, on y est. On rentre dans une décennie de transformation, un minima, voire plus. Le monde d'après, moi, j'y croyais pas, très franchement, pour le Covid. Pourquoi ? Parce que j'ai peut-être la lucidité de bien connaître les acteurs du capitalisme, parce que j'ai travaillé dans la finance pendant longtemps, en tant que journaliste, et ils vont pas décrocher comme ça. Ils s'accrochent. Et donc, il ne faut pas être trop naïf, ça va prendre encore un peu de temps. Tout ça est lent et long et rapide à la fois. C'est très complexe, c'est-à-dire qu'il y a des phénomènes d'accélération et il y a un temps long. Et le temps long, c'est le fait que cette société est en train de se déliter et qu'autre chose essaye de naître. Ça, c'est le temps long. Le temps court, ça a été le Covid. On se dit, ça y est, on a un accélérateur, un catalyseur. Non, ce n'est pas si simple que ça. Parce que derrière, la machine était prête à repartir. Mais ça nous a prouvé que ça pouvait s'arrêter. Et ça a quand même changé. Le comportement de plusieurs personnes qu'on compte pas, à qui on donne pas forcément la parole. Moi je rencontre beaucoup de gens qui ont pris des décisions structurantes. Donc il y a quelque chose qui s'est passé et puis on a volé une partie de la jeunesse aussi. On leur a volé une partie de leur jeunesse et ça, ça les a marqués. Ça nourrit aussi les co-anxiétés et l'aspect dépressif des jeunes. Donc ça laisse des traces et j'ai envie de dire c'est une couche de mille feuilles supplémentaires dans la transformation. On est vraiment en pleine transformation, pleine mutation, et ça a été un événement qui est venu remettre une grosse couche. Et ce que nous dit cet événement, c'est ce qui se passe dans l'histoire de l'humanité depuis la nuit des temps, c'est que l'histoire n'est qu'une succession d'événements inattendus, qui nous obligent à bifurquer. On n'a pas bifurqué fortement. On a entamé une bifurcation, mais la vraie bifurcation, plus brutale, plus radicale, elle va se manifester, ou ce sera l'aboutissement d'une succession de petites bifurcations, j'ai envie de dire. Mais c'est inévitable. En fait, moi je fais beaucoup de travail d'histoire, et quand on regarde l'histoire récente, c'est-à-dire les 2000 dernières années, trouvez moi un événement était attendu anticipé qui a eu lieu et des gens qui étaient capables de penser le futur avec précision ça n'est jamais arrivé que ce soit les conflits militaires que ce soit les avancées sociaux comme le droit d'hôte des femmes comme les congés payés sur la sécurité sociale que ce soit Tout ce qui surgit, même les innovations, la pénicilline, l'électricité par exemple, c'est totalement inattendu. L'électricité au XVIe siècle, on ne sait pas ce que c'est. Et puis au XIXe, ça commence à surgir et au XXe, c'est devenu la norme. Et donc au XXIe, pourquoi il n'y aurait pas une nouvelle source d'énergie qui surgirait, qu'on n'a pas vue ? Et c'est là où ce prisme d'analyse, il permet de regarder les choses avec une certaine sérénité. Oui, c'est violent, c'est dur et on souhaiterait que ce soit beaucoup plus doux et moins violent. Néanmoins, il ne faut pas se résigner parce que... beaucoup de choses peuvent surgir. Des révolutions techniques, philosophiques, l'émergence de personnes qui... Je crois pas au messie qui va nous sauver, je crois pas au chef d'État qui va nous sauver ou à la chef d'État, mais des gens qui surgiraient de la foule et qui apporteraient quelque chose, qui créeraient des mouvements peut-être politiques, citoyens. Il peut se passer énormément de choses. Et plus la pression climatique, politique... économique se met en place, ce qu'il y a aujourd'hui, plus il y a une accélération exponentielle dans le surgissement des bifurcations. Donc ça va aller très vite.

  • Florence Gault

    Et ce qui veut dire qu'on n'a pas besoin d'avoir peur face au futur qu'on ne connaît pas et qu'on ne peut pas présumer ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la peur c'est un stimuli pour nous réveiller. Donc la peur c'est sain au sens où on est en danger, la planète brûle, la biodiversité fondre, il faut en avoir peur. Moi j'ai peur de ce qui se passe. D'un autre côté, je n'ai pas peur du futur. Parce que je ne sais pas quel sera le futur. C'est-à-dire que quand bien même la trajectoire climatique et la biodiversité seraient catastrophiques, ce qui est plutôt le chemin sur lequel on est... Nos enfants vivront autrement. Ils n'auront pas connu ce que nous, on a connu. Donc j'ai confiance en eux, j'ai confiance pour eux. Et je ne suis pas sûr que ce soit que du conflit, que de la guerre civile, que des gens cupides qui essaient de voler les légumes de l'autre dans son champ parce que lui, ça pousse mieux que chez lui. Ça, c'est un peu ce qu'on nous vend comme étant inéluctable. Et c'est faux, en fait, puisqu'on l'a vu à Valence récemment, des dizaines de milliers de personnes qui sont parties avec leur pelle et leur seau aider leurs voisins. Personne n'a demandé. C'est pas organisé. Il n'y a pas eu d'appel dans la presse. Ça a été spontané. spontané. C'est le bouche-oreille. Et ça, c'est extrêmement beau. Ça veut dire qu'il peut se passer des beaux moments. Et dans les... Si on doit vivre plus frugalement, ce qui est mon opinion, je pense qu'on va avoir une décroissance contrainte, inévitablement. Donc, moins de diversité de consommation, moins de voyages longs, on aura plus d'humains, plus de rencontres, plus de soudaineté. On va revenir aux choses essentielles. Et c'est pas triste, ça. Les gens tristes ou les gens qui ont peur, c'est qu'ils ont peur de perdre leurs avantages matériels. D'avoir une voiture au lieu de quatre, un téléphone et pas trois, un écran et pas cinq, de pas faire le tour du monde. tous les ans, de ne pas aller jouer au golf le week-end au Maghreb ou ailleurs, oui, ceux-là ont peur. Mais quelqu'un qui est bien ancré, qui vit des joies simples et qui a des plaisirs simples, on va dire, accessibles, il n'a pas trop peur de l'avenir. Parce qu'il y a de l'espoir quand même, il n'y a pas… ce n'est pas binaire. E.F.F.

  • Florence Gault

    Avoir peur du futur aussi, ce serait quelque chose qui pourrait nous conduire à l'immobilisme aussi. Effectivement, vous le disiez, avoir peur des règlements climatiques, de ce qui se passe, de l'érosion, de la biodiversité… diversité, de l'impact que ça peut avoir sur la marge du monde, sur notre fonctionnement à nous, êtres humains, aujourd'hui. Mais ça doit être une source d'action et pas une peur qui conduirait justement soit au déni ou à l'immobilisme.

  • Yannick Roudaut

    C'est ça, il ne faut pas être comme des lapins dans les phares d'une voiture. Quand on éclaire les situations... C'est chaud, c'est vraiment pas réjouissant parce que le climat se dérègue très très vite et on commence à en voir les conséquences concrètes depuis quelques années. La biodiversité s'effondre en silence parce que les animaux on les entend pas, on les entend moins et on se rend compte qu'ils sont disparus. Ça c'est très inquiétant, mais du coup, une fois qu'on a pris acte de ce risque et de cette peur, pour moi c'est un moteur, ça me met en mouvement. Et se mettre en mouvement c'est pas changer le monde, personne ne changera le monde. Se mettre en mouvement c'est trouver l'endroit où je suis pertinent pour faire quelque chose. Aussi insignifiant soit-il, je le fais. Et en le faisant, je crée les conditions que quelque chose se passe qui me dépassera peut-être. C'est ça, la mise en mouvement. C'est que je n'ai pas l'intention, moi, Yannick Roudot, de changer le monde et de changer le monde de la littérature avec mes livres. Pas du tout. Ah bon ? Non, j'ai l'intention de faire ce que je peux faire et de le faire avec plaisir. Et je me dis que parmi les gens qui lisent, peut-être qu'il va se passer des choses. Et peut-être que certaines ou certains vont entreprendre un projet qui va avoir de l'impact. Et ça nous échappera totalement, on ne sera même pas au courant, peut-être on ne sera peut-être pas conscient, mais ce n'est pas grave. Ce qui est important, ce n'est pas d'avoir une intention trop forte. Je rencontre beaucoup de gens qui veulent changer le monde, et là ils s'écroulent au bout de quelques années, parce qu'on ne peut pas changer le monde.

  • Florence Gault

    C'est effectivement intéressant comme approche, ça permet aussi d'ôter une pression de l'écolo qui devrait être parfait, complètement cohérent dans l'ensemble de sa vie. Ça vient aussi pouvoir dire, en fait, déjà rien que de faire ça, plus ça, plus ça. d'avoir conscience et d'essayer à sa mesure, permet de se dire, OK, on n'attend pas tout deux mois.

  • Yannick Roudaut

    je dirais oui, mais je mettrais une nuance quand même. C'est qu'il ne faut pas se contenter des petits gestes en disant, bon, j'ai fait mes petits gestes, maintenant, je peux faire mon long courrier quatre fois dans l'année. Là, on sait que c'est très contre-productif de faire un long courrier à deux tonnes de carbone pour les États-Unis. Et donc, faire son potager ou trier ses déchets, à côté, ça ne sert à rien, en fait. L'idée, c'est de faire sans exigence de vertu. Mais de faire en conscience. Par exemple, pour ce qui nous concerne avec Sandrine, on a eu la chance de voyager quand on était plus jeune. Et quand on a pris conscience qu'il fallait arrêter, on a mis un peu de temps, on a mis 2-3 ans et on a arrêté. On ne prend plus d'avion, plus de long courrier, on voyage en train, on va très loin en train, au Danemark, au Maroc, on peut aller loin en train. Voilà, on a changé ça. Donc l'idée, c'est pas d'en faire une vertu en disant vous avez vu, nous on le fait, c'est facile Non, non, ça coûte plus cher de le faire. Donc c'est pas donné à tout le monde, il faut avoir les moyens. Ça demande du temps, il faut avoir le temps, il faut se donner le temps, etc. Mais dès lors qu'on a pris conscience que... quelque chose n'est plus possible, essayer d'en sortir et de trouver de la joie dans le changement. Par exemple, je ne mange plus de viande rouge depuis très longtemps, ça ne m'a pas pénalisé. Ouais, pendant trois semaines, un mois au début, c'était un peu dur. Parce que j'aimais bien ça. Et puis aujourd'hui, je n'en ai plus envie du tout. Et en fait, c'est des choses comme ça. ça qu'on met en place, mais moi je mesure toujours ça à l'aune de la joie. Est-ce que c'est possible de le faire relativement facilement ? Et est-ce que ça me rend triste ou est-ce que ça me rend joyeux ? Et en fait, ne plus acheter de vêtements neufs toutes les semaines, ne pas avoir de voiture neuve tout le temps, ne pas changer de téléphone, ne pas prendre des avions d'autolessance, consommer beaucoup moins d'aliments importés, transformés, de mauvaise qualité, ça ne m'a pas rendu plus triste. Je crois que je suis plus joyeux même. Ça va beaucoup mieux.

  • Florence Gault

    Comment ne pas tomber dans le côté un peu bison-ours, effectivement, de l'écolo joyeux qui vit ça très sereinement, alors que par moment, effectivement, ça peut être source de renoncement ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, moi, j'aime beaucoup voyager et rencontrer les gens. C'est-à-dire que si j'avais la possibilité de pouvoir retourner en Amérique du Sud, dans la forêt amazonienne, l'année prochaine, j'irais. Mais en fait, au fond de moi, je me pose la question, est-ce que j'en ai besoin pour être heureux ? Et la réponse est non, j'ai pas besoin de prendre un long courrier pour être heureux pour l'instant. Je craquerai peut-être dans 4-5 ans, peut-être que j'en ferai un. Et c'est pas si grave non plus. de craquer, on peut craquer. Mais ce que je veux dire par là, c'est que tant que ce n'est pas vital à mon bonheur quotidien ou à ma joie, je peux m'en passer, je m'en passe, parce que l'avenir de mes enfants le vaut. C'est-à-dire que moi j'ai deux enfants, quand je les regarde, j'ai envie de pouvoir leur dire on attend, on a essayé de faire quelque chose Alors c'est peut-être égoïste aussi de penser comme ça, on pourrait me le renvoyer, mais c'est que je n'imagine pas les regarder en disant allez vous faire voir, c'est votre problème, vous les jeunes vous changerez le monde Non, on a besoin des vieux, des jeunes et des moins jeunes. On a besoin de tout le monde. Et si au moins on avait 10% de la population mondiale qui changeait, c'est-à-dire les occidentaux, on change le monde. Parce que je ne sais pas si vous avez le chiffre en tête, mais 1% de la population mondiale prend la moitié des avions qui volent dans le ciel. 20% prend tous les avions. 80% du monde ne prend jamais l'avion qui est un symbole. C'est-à-dire que derrière l'avion il y a tout le reste. Donc ça veut bien dire ce que ça veut dire. Si parmi les 1%, la moitié changeait, 1% de la population. Mais déjà on résout 25% du problème. C'est énorme, ce qu'on appelle un effet de levier dans la finance. Donc il faut vraiment que les gens qui sont en capacité de changer se mettent en mouvement. Certains n'ont moins la capacité, parce qu'ils ont plein de problèmes au quotidien, de survie alimentaire, de survie financière, et c'est pas eux de faire le plus gros des efforts. Moi, je cible toujours les 1% et les 10%, c'est au plus aisé de changer.

  • Florence Gault

    Alors dans "La nouvelle controverse" que vous avez publiée en 2013, vous explorez donc cette possibilité d'une renaissance face aux crises que traversent nos sociétés modernes. Vous dites donc que nous sommes en fin de cycle, en fin de civilisation, que le monde de l'industrialisation et l'hyperconsommation est en train de s'effondrer, qu'on va passer à la frugalité, la sobriété, la décroissance. Est-ce que vous expliquez que c'est tous un petit groupe ? Deux personnes, une minorité qui peut faire basculer la société. Et donc pour en revenir à cette idée de tout ne repose pas tout sur nous et tout ne repose pas non plus sur tant que le reste du monde ne change pas, je ne peux pas changer.

  • Yannick Roudaut

    Oui, je crois qu'il faut sortir du postulat que faudrait tout le monde changer pour que ça change. Ça n'a jamais été comme ça. Le changement n'est jamais majoritaire. Ce sont toujours les minorités actives qui font l'histoire, ce sont les marges. Les marges, en ce sens, les gens qui sont en marge du système, c'est eux qui changent le système. C'est rarement l'intérieur qui change le système. C'est-à-dire qu'on n'a pas vu les sénateurs romains dire c'est bon, on arrête, hein, allez-y, puis on va élire un pape qui va remplacer l'empereur, puis ça va bien se passer, vous inquiétez pas. On a assez régné. Non, ça s'est pas passé comme ça. Il y a un groupe minoritaire qu'on appelle les premiers chrétiens qui commençaient à semer des graines idéologiques et religieuses, et quatre siècles après, ça a changé l'Empire romain. La Révolution française, petit groupe. De gens qui étaient un peu à l'intérieur, on va dire les bourgeois. Mais ils n'avaient pas le pouvoir. Ce n'étaient pas les aristocrates. Ils n'avaient pas le pouvoir. Et ils ont décidé que ça suffisait. Et ils ont déclenché une révolution. La révolution russe, c'est pareil, c'est un coup d'État d'une minorité. Les bolcheviks, les mensheviks, ce n'est pas le peuple russe qui descend dans la rue, contrairement à ce qu'on raconte. Bref, à chaque fois, c'est des minorités qui ne sont pas satisfaites de l'état du monde et qui veulent profondément le changer. Et ces minorités, dès lors qu'elles dépassent, on dit, le seuil des 10%, c'est-à-dire que dès qu'elles contaminent l'élite... Il y a bascule. C'est ce qui s'est passé avec la chute de l'Empire romain. Il y a eu une guerre civile entre les polythéistes et les monothéistes, parce que l'Empire romain était polythéiste avant le christianisme, et il est devenu monothéiste. Et ça a changé les contours de l'Empire. Et un jour, Constantin décide d'en faire une religion monothéiste, religion d'État, et puis derrière on a l'Empire chrétien romain. C'est incroyable ce qui s'est passé, mais c'est exactement la même chose en ce moment. C'est qu'on a une minorité de gens qui ne veulent plus aller travailler dans des entreprises climaticides, polluantes, destructrices. Une minorité de jeunes qui font des études supérieures et qui n'ont plus envie d'aller. dans ce modèle économique, ont plus envie de s'y retrouver. On en parle moins en ce moment, mais ils sont quand même là, les bifurqueurs, les déserteurs, etc. Alors ça fait grincer des dents, ça fait couiner un peu dans les chaubillards et les entreprises. Mais ils nous disent quoi ? Ils nous disent, nous, on voudrait un autre monde. Un monde qui... prend soin de la nature, qui régénère, qui prend soin du climat, qui prend soin de nous. Et donc, ils ne sont pas contre le travail, ils sont contre ce qu'on en fait aujourd'hui, ou ce pour quoi on les mandate. Et donc, il y a quelque chose qui frémit, qui est en train de se passer, et on n'est pas encore à 10%, mais je pense que d'ici, dans les 20 prochaines années, on aura une bascule, parce que plus l'environnement se dégrade, plus le climat se dégrade, plus on va payer les conséquences concrètes de ça, plus il y aura une contre-réaction. Et là, on est en train de s'accélérer, cette contre-réaction. C'est-à-dire qu'il faut arrêter de voir l'histoire comme étant des marges de 10 cm qu'on monte. C'est pas linéaire l'histoire, c'est exponentiel. Donc il y a un phénomène d'accélération. Et là on est en pleine accélération. L'élection de Trump en est un exemple. Parce que plus le monde change, plus le tapis se retire sous le pied de certaines élites, plus ils se raidissent. Et plus ils deviennent violents. Et donc, ce n'est pas un hasard. Et on aura peut-être des régimes autoritaires et violents en Europe quelques années. Mais ce n'est pas une finalité.

  • Florence Gault

    Yannick Roudot, alors comment repenser notre société ? Vous proposez de passer de l'économie extractive à une économie régénérative. Est-ce qu'elle est nécessairement décroissante ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la décroissance, il faut redéfinir le mot. On parle de quoi quand on parle de croissance ? On parle de croissance du PIB, du produit intérieur brut. Et comme disait Kennedy, le PIB ne mesure rien sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Il ne mesure pas le regard des enfants, il ne mesure pas la joie, il ne mesure pas l'état de notre système de santé. Il ne mesure rien d'intéressant, le PIB. Et dans le PIB aujourd'hui, on mesure la destruction des forêts, on mesure la bétonisation des sols, on mesure les tonnes de CO2 rejoint l'atmosphère parce que plus on brûle de pétrole et d'essence, plus les voitures tombent. Donc c'est bon pour le PIB. Donc c'est complètement absurde. La croissance du pb n'a pas de sens et après ça me permet de redéfinir qu'est ce qu'on entend par décroissance. Alors le mot du coup n'est pas peut-être bien choisi parce que décroissance une amputation, les gens ne veulent pas être amputés. Mais une décroissance ça veut dire quoi ? Ben moi je suis pour la décroissance des énergies fossiles qui peuvent être et pour la croissance d'énergie alternative qui ne pollue pas je suis pour la croissance d'une agriculture propre saine de qualité à des prix raisonnables et pour une décroissance d'une alimentation on va dire pleine de pesticides de molécules dangereuses chimiques sont pas bon On est tous d'accord en fait. Sauf qu'on passe notre temps à opposer les croissants et les décroissants, sachant que la décroissance, c'est juste une transformation transitoire. C'est le temps qu'on aboutisse à autre chose. Ce que Timothée Parry, dans Les Utopiennes, appelle l'économie du contentement. Le but, c'est que dans 15-20 ans, on ait bâti un modèle. ...économiques qui contentent les besoins quotidiens des individus. Et ils sont très variables selon les individus, donc ça laisse une liberté. C'est pas de la planification communiste, il y a une liberté au sein du cadre. Mais par contre, il y a un cadre figé qui est le cadre planétaire. La planète ne peut pas continuer à être détruite, malmenée, souillée éternellement. Et c'est pour ça que les choses vont s'arrêter. C'est comme disait les indiens Kogui, à votre avis, qui va gagner ? Pas chamama, la mama, ou nous les humains ? On connaît le résultat. La Terre s'en sortira toujours. L'humanité peut-être pas.

  • Florence Gault

    Et alors ça, comment on s'y prend dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui ? C'est quoi les étapes ?

  • Yannick Roudaut

    Les étapes, c'est un, agir à son niveau, au premier temps. Deux, essayer d'emmener des gens dans son entourage, si c'est possible. Et puis se laisser surprendre par l'inattendu. Mais c'est parce qu'on agit que l'inattendu surgit. Il n'y a pas de nulle part l'inattendu. Il surgit parce que des êtres humains se sont mis en mouvement. Donc l'action crée les conditions du surgissement d'un événement inattendu qui nous fera bifurquer. Mais il n'y a pas de plan, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de feuille de route. Et c'est ça qui déstabilise les gens, une feuille de route précise. Il n'y en a pas. Je ne sais pas quelles seront les tempêtes, quelles seront les canicules dans les prochaines années. Par contre, je sais que si je ne fais rien, ce sera difficile de boire et de manger. Donc aujourd'hui, il faut s'organiser sur l'agriculture, sur la gestion de l'eau, sur les minerais, sur tout ce qui va être essentiel dans les prochaines années. C'est là où on peut travailler. travailler. Mais après, ce qui arrivera, ça sera à l'affronter. Il faut se préparer, en tout cas. Et ça passe d'abord par un changement d'état d'esprit qu'on appelle la métanoïa en grec, c'est-à-dire transformer l'esprit avant de transformer le corps social.

  • Florence Gault

    Alors, dans l'approche économique de la société actuelle, vous proposez justement, pour mettre en place cette transition, de mettre en place une triple comptabilité, à la fois un bilan financier, un bilan social. Et un bilan environnemental qui, finalement, nous permettrait d'avoir une vision un peu plus complète de la valeur réelle d'un produit ou d'une activité, et qui sortirait, justement, uniquement de la démarche commerciale qu'on peut connaître aujourd'hui.

  • Yannick Roudaut

    Alors, l'idée de la triple comptabilité, elle n'est pas de moi. Elle date d'une vingtaine d'années. Il y a des experts comptables qui travaillent dessus. Il y a des chairs de recherche. Mais l'idée, c'est quoi, en fait ? C'est de partir du postulat que les objets qu'on achète, les aliments qu'on consomme, ne sont pas à leur juste prix, parce qu'ils ne prennent pas en compte... La dégradation sociale. Qui ramasse les légumes dans une serre à Almeria, dans le sud de l'Espagne ? Dans quelles conditions il est payé, cet homme ou cette femme ? On sait très bien comment ça se passe, parfois. J'ai envie de dire souvent. Ce n'est pas toujours des conditions sociales de travail respectables. Deux, donc ça, ce n'est pas dans le prix du produit. Deux, ce qui n'est pas dans le prix du produit, c'est la dégradation de l'environnement. Si on utilise des pesticides, les polluants étaient... dont on parle beaucoup en ce moment, qui tuent, mais qui détruisent aussi les sols, la qualité de l'eau. Et ça, qui va réparer ? Ce n'est pas dans le prix du légume. Et donc, reconsidérer la valeur et reconsidérer les prix, c'est mettre dans la constitution du prix les impacts humains, les impacts environnementaux et les ressources nécessaires, matières premières, énergie, etc. pour transformer et transporter le produit. Et là, on aurait un vrai prix. Et on se rendrait compte de quoi ? On se rendrait compte que la pomme sud-africaine qui est importée en Europe, elle est beaucoup trop chère par rapport à une pomme française. Bah oui, c'est une évidence quand on change le prisme du prix. Sauf qu'on est encore à un prix amputé, où il y a juste les matières, le transport et le coût de la transformation. Mais l'impact humain, l'impact environnemental, on s'en fiche pour l'instant dans l'économie capitaliste néolibérale. Il va falloir changer les clés de cette économie. C'est pour ça que la compta, la façon d'apprécier un objet ou un service, ça va être déterminant dans notre regard sur le monde. Et ça change toutes les bases de l'économie. Donc on en revient là. L'idéologie, c'est une chose. Mais si la comptabilité n'évolue pas, on se heurte à un mur. Il faut vraiment que la compta bouge.

  • Florence Gault

    Ça, c'est possible avec l'organisation de notre modèle économique, du fonctionnement des entreprises. Est-ce que ça a déjà été mis en place ? Ça marche ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a des entreprises qui l'expérimentent, la triple compta dans l'Ouest de la France. Il y a l'association Rupture, dirigeants responsables de l'Ouest qui sont des gens engagés, qui expérimentent la triple compta avec la Banque de France et des experts comptables. Donc ça existe. Je n'ai pas dit que c'était facile, mais ils expérimentent. Ils essaient de voir comment on peut le transposer concrètement. dans les comptes, première chose. Et deuxième chose, à l'aune. D'un événement financier grave, je parle souvent du grand krach financier qui nous attend si on ne bouge pas, c'est-à-dire l'effondrement généralisé des banques et des marchés, il faudra bien rebâtir quelque chose de nouveau. Et on fera comme en 40, comme en 45, c'est après des conflits qu'on prend des grandes décisions. C'est après 1918 qu'on donne le droit de vote aux femmes, c'est en plein flashisme qu'on a les congés payés. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale qu'on crée la sécurité sociale. Malheureusement, oui, il faut peut-être un effondrement financier qui sera socialement très coûteux. Parce qu'il ne faut pas se leurrer quand les bourses s'effondrent, ça fait mal. Mais c'est peut-être à ce moment-là qu'on construira un modèle comptable compatible avec les enjeux planétaires. Tout est possible. Je ne sais pas quand ça arrivera, mais ça finira par arriver.

  • Florence Gault

    Alors bienvenue en 2044, il y a des bonnes nouvelles qui nous arrivent du futur, c'est ce que vous montrez avec les Utopiennes 2044 que vous venez de publier au sein de votre maison d'édition La Mer Salée. Comme les Utopiennes 2043, vous explorez des futurs utopiques à travers une série de récits écrits depuis la perspective de personnages de l'année 2044, un livre finalement qui vise à proposer une vision un peu positive, un peu radicale de l'avenir.

  • Yannick Roudaut

    L'idée c'est d'enjamber les obstacles. C'est-à-dire que quand on dit aux gens, et je le vois beaucoup quand je vais en entreprise, on est en 2024, on leur demande d'imaginer 2040, ouf, ils voient que du sombre. Parce qu'ils voient les obstacles quotidiens, ils voient l'élection américaine, ils voient la résurgence du fascisme en Europe, etc. Ils voient l'effondrement écologique, donc ils peuvent pas imaginer quelque chose de positif. Il y a un obstacle qui est trop dur à franchir. Donc nous, l'idée c'est d'enjamber l'obstacle. On est en 2044, on est dans 20 ans. Ou on est en 2043. Voilà, le monde souhaité est advenu. On ne dit pas comment ça s'est passé, pas tout de suite, mais on projette les gens. Et alors on demande de regarder, d'ouvrir les yeux, fermer les yeux quelque part, d'ouvrir le livre et de se réveiller. On est dans 20 ans, on regarde comme c'est bien. Le monde du travail a changé, l'agriculture a changé. changé, le microbiote des sols est devenu la norme, on soigne les sols comme on soigne notre microbiote intestinal, il y a des nouveaux métiers, il y a des accordeurs d'éoliennes en bois, il y a plein de choses. Et en fait, ça permet tout de suite de se transposer dans quelque chose qui est vraiment nouveau, parce que c'est utopique, en ce sens que ça n'a pas encore de lieu, ça ne veut pas dire que c'est irréalisable. Et la force de l'utopie, c'est que quand on emmène les gens dans ce futur, En fait, ils nous disent tous, mais ça paraît possible en fait. En fait, j'aime bien ça, en fait c'est possible. Bah oui c'est possible, sauf que tu ne te l'étais pas autorisé parce que tu as vu que les obstacles. Donc d'enjamber les obstacles, ça ouvre le champ des imaginaires et ça permet de montrer aux gens qu'un autre monde est possible que d'autres. monde sont possibles et que rien n'est écrit et c'est pour ça qu'on fait cet exercice on est extrêmement lucide avec sandrine parce que ça fait plus de 25 ans qu'on travaille sur le sujet mais ça nous empêche pas d'enjamber obstacle et de rêver parce que toutes les grandes ruptures dans sur l'humanité, ce sont des rêveurs. J'ai souvent un dirigeant d'entreprise, parce que je les côtoie beaucoup, si vous ne laissez pas la place à des utopistes dans votre entreprise, mais qu'est-ce que vous allez inventer ? Vous allez vous entourer de gestionnaires. Ils vont gérer, ça, ils vont bien gérer, mais ils ne vont rien inventer. Les grandes innovations, ce sont des utopistes. Donc il faut rêver fort, très très fort.

  • Florence Gault

    Alors, en préparant cette interview, je vous ai demandé de choisir un extrait des utopiennes. Lequel vous avez choisi ?

  • Yannick Roudaut

    Je vais lire peut-être deux, trois lignes de la prose de l'amour et du handicap. Donc c'est un texte de Nicolas Houguet qui est un jeune garçon qui vit en fauteuil et qui se projette dans un monde où le handicap n'est plus un problème. Parce que comme dit Nicolas, moi ça me touche beaucoup dans son texte, c'est que plusieurs fois il est resté dans la porte de l'immeuble s'il ne pouvait pas monter. Quand il est allé au restaurant avec sa compagne, on ne le regarde pas. La personne qui accueille au restaurant regarde uniquement la personne debout, ne regarde jamais la personne en fauteuil. Des choses comme ça qui sont affreuses et que lui ne comprend pas. Ou acheter une baguette de pain tout seul, vivre seul. Parce que Paris, en fauteuil aujourd'hui, c'est impossible de prendre le métro. Il n'y a même pas d'ascenseur à toutes les stations de métro. Donc ça c'est un texte qui m'a beaucoup touché. Je vais juste lire quelques phrases parce que je laisserai découvrir. Voilà, je vais commencer là. Je n'étais pas vraiment de ce monde et chaque marche un peu haute me rejetait légèrement. Longtemps, j'ai attendu devant des portes closes, je regardais la route en m'appliquant à glisser sur les regards qui me faisaient trop mal. J'ai relevé les yeux, me suis vengé de mon soeur pour t'aimer bien en face, décidé de vieillir. Et puis un jour, sur la place de la gare, à côté de chez moi, j'ai pu acheter de quoi faire nos repas, connaître le prix d'une maguette, d'une ampoule à changer, le quotidien avait été conquis. Boah !

  • Florence Gault

    Ce genre de projection, l'utopie, elle est là justement pour contrebalancer la résignation face aux défis écologiques et sociaux actuels ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, pour moi la résignation n'est pas une option rationnelle. Se résigner, ça veut dire qu'il n'y a pas d'inattendu. Alors que la raison, la logique veut qu'on croit en l'inattendu. Donc on ne peut pas se résigner, première chose. Et deuxièmement, ce genre de projection, ça permet à des gens de prendre conscience. du présent. Parce que quand on lit le texte de Nicolas Huguet sur le handicap et sur ce qu'il vit avec son fauteuil au quotidien, ce qu'il vivait en 2024 et ce qu'il ne vit plus en 2044, on se dit waouh, quand même, on ne se rend pas compte On se met à sa place, et c'est extrêmement important d'être à sa place, et c'est pour ça qu'on fait ces textes aussi. L'an dernier, on avait publié un texte sur le handicap aussi de Riyad Salem, qui est un de nos champions olympiques par Olympique. Et Riyad, j'avais eu au téléphone, il m'avait dit tu te rends compte Yannick, en 2023, on mettait des prothèses couleur chair aux gens, parce qu'il ne fallait pas qu'elles se voient Très juste. Et en 2043, les prothèses, elles sont fluo, roses, taguées, elles sont belles, lumineuses, elles clignotent. Ben oui, pourquoi pas ? Voilà, c'est à ça que ça sert ces textes-là. À interpeller et à prendre conscience de l'absurdité de nos raisonnements qu'on estime comme étant normaux et acquis. Non, non, non, ça peut changer. Rien n'empêcherait aux personnes qui ont acquis mon carment d'avoir des prothèses de couleur. Et pourquoi pas ?

  • Florence Gault

    Alors moi, j'ai choisi un extrait de Cora, là où naît l'information libre, écrit par Juliette Keff, qui est journaliste, cofondatrice du Médiavers, donc sans grande surprise au vu de mon profil. Mais je trouvais que c'était intéressant qu'on puisse l'évoquer ensemble, puisque vous-même, vous avez été journaliste. Je vous en lis un extrait. Ces derniers mois, les effets des crises écologiques se sont encore accentués. Il faut toujours trouver de nouvelles manières d'en parler, d'alerter sans traumatiser, de permettre à toutes et tous de comprendre et d'agir, de mettre dans le débat public les vraies et les fausses solutions. En ce moment, Rachel et Myriam investiguent sur la désalinisation de l'eau de la mer Méditerranée dans une giga-usine près de Perpignan. Elles se sont rendues en Espagne et au Maroc pour comprendre ce qu'il était advenu de ces monstres des mers qui écumaient du sel subitement. abandonnées. Devant l'Agora, elles témoignent de leurs aventures lors de cette enquête et des fils qu'elles ont pu tirer. Les réactions sont enthousiastes, les lecteurs et lectrices en veulent plus. Ce rôle des médias, Yannick, je pense que en tant que journaliste, vous l'avez expérimenté. Là, on voit à quel point la question des solutions est primordiale. C'est moi ce que j'essaie de défendre avec en un battement d'ailes et l'approche du journalisme de solutions. Aujourd'hui, c'est effectivement nécessaire, vital, si on veut, d'une part, que les gens continuent de s'informer, et puis montrer que d'autres voies sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    Oui, il faut absolument du journalisme qui montre à chaque problème des solutions ou une solution. Moi, mes filles, je les ai toujours élevées en leur disant, il y a ce problème-là, mais regarde ce qu'on peut faire aussi. Pour toujours leur donner la solution possible. Ce qui fait que mentalement, il n'y a pas cette... Il n'y a pas cette... Cette faillite, c'est-à-dire ce renoncement, elle part du principe que oui, il y a un problème climatique, mais il y a des solutions, mes parents m'en ont parlé, donc on peut faire autrement, que ce soit la frugalité, que ce soit une façon de mieux gérer l'eau, etc. Donc ça, c'est extrêmement important. Et puis l'autre chose que le journalisme doit travailler, c'est cette culture générale sur les questions d'écologie pour pouvoir répondre aux climato-sceptiques. Moi, je suis sidéré de voir des plateaux de télévision où on laisse la porte ouverte à quatre climato-sceptiques, plutôt des mâles blancs dominants classiques. Vous voyez ce que je veux dire ? et qui balancent des absurdités tout le temps, et en face, il n'y a aucune réponse. Et les journalistes continuent à dérouler des questions, et il n'y a pas de répondant. C'est catastrophique. Il faut absolument avoir des gens qui ont du répondant, qui soient capables de dire, mais quelle est votre source ? Comment pouvez-vous dire ça ? Qui peuvent argumenter ? Et c'est là où la formation des journalistes est très importante sur tous ces sujets. Donc il y a les solutions, mais il y a aussi une formation économique et écologique très très solide que tout le monde devrait avoir dans le journalisme.

  • Florence Gault

    Et puis l'intérêt aussi de repenser l'approche journalistique, de pouvoir aussi ouvrir de nouveaux imaginaires, que ce soit à la fois dans ce qui est proposé dans les médias, mais aussi dans la culture, dans la littérature. Et donc c'est ce que vous faites avec la mer Salée. L'objectif, c'est justement de permettre à ces nouveaux imaginaires, à ces nouveaux récits d'exister. À quel moment l'intuition est apparue pour la mer Salée ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a dix ans, on a créé la mer salée en publiant des essais engagés. Et puis dans les années 2017-2018, on s'est dit que les essais, c'était bien, mais il fallait aller vers des romans, des romans utopiques, parce qu'il n'y en avait pas beaucoup. On avait du mal à en trouver. Et parce qu'on est persuadé que la fiction fait la réalité et que le rôle de la fiction est très important. Et qu'aujourd'hui, les fictions, que ce soit sur les plateformes de distribution de séries, les cinémas, les livres, sont assez glauques, assez dark, assez sombres, assez dystopiques. Et on s'est dit, si personne ne le fait, on va le faire. Donc on a commencé et j'espère qu'on va être suivi par beaucoup de monde parce que ça voudrait dire qu'il y a un marché qui se crée. Mais nous, l'idée, c'est vraiment d'ouvrir ce segment de récits utopiques. C'est-à-dire qu'en 2050, on peut décrire un couple, la vie d'un couple, mais sur fond d'une économie qui a changé, d'un monde qui a changé. C'est-à-dire que l'idée, ce n'est pas de publier uniquement des histoires où on a réussi à lutter contre le dérèglement climatique. Non, on peut le mettre en toile de fond comme étant acquis. Par exemple, l'autre jour, je voyais un film américain et ça me surprenait parce qu'il prenne tout le temps l'avion. pour se déplacer, pour aller l'une ville à l'autre. Et même en Europe, ils prennent rarement le TGV. Et en fait, il faudrait que le train soit systématiquement... Qu'on ait des héroïnes qui ne mangent plus de viande, qui mangent végétarien, par exemple, qu'ils aient une maison très simple, qu'ils soient bricoleurs, low-tech. Et ça, rien que de changer l'enveloppe dans laquelle se déroule l'histoire, ça change tout. Parce que si c'est toujours extrêmement branché et bien vu d'avoir une grosse voiture qui pollue en centre-ville et d'être tout seul dedans, et que c'est trois tonnes de déchets sur roue, On est mort. Il faut que ça devienne complètement has-been. On dit toujours, tu veux changer le monde, il faut le démoder. Donc il faut le démoder par les récits, et le démoder par les codes sociaux, il faut changer les valeurs en fait. Et ça, la fiction peut le faire.

  • Florence Gault

    Alors vous présentez la Mer Salée comme maison d'édition semeuse d'utopie pour un monde audacieux, respectueux des êtres et du vivant. Donc l'idée c'est de rendre ces idées contagieuses. Mais vous le faites aussi dans la construction même de la maison d'édition. Vous êtes dans cette démarche respectueuse des êtres et du vivant. Vous avez donc toute une charte. Oui, oui. On pourrait rentrer vraiment dans le détail, mais vous essayez de faire en sorte de façonner, imprimer vos livres plutôt en France, en local, à proximité de chez vous, non ? Oui,

  • Yannick Roudaut

    à moins de 100 kilomètres. Tout est fait à moins de 100 kilomètres. C'est-à-dire que les livres sont produits, imprimés, mis en page, les couvertures sont créées en local. Tout est en local. Ça nous coûte plus cher. C'est une contrainte, mais on ne peut pas faire autrement. Parce que je n'imagine pas porter un contenant engagé et avoir un contenu qui ne l'est pas. Alors, à nous de trouver un équilibre économique. Oui, nos livres, ils sont comme tous les autres livres. Le papier a pris 40% ces dernières années. On est obligé de les vendre plus cher. Au lieu de 20, on va les vendre 21. On n'a pas le choix. C'est comme ça. Mais sinon, c'est quoi ? C'est délocalisé en Asie ? Non, ça, on ne veut pas. Donc, on ne le fera pas. Ou imprimé en Europe centrale. Moi, je n'ai pas envie. D'autres le font. Mais chacun fait ce qu'il peut et ce qu'il veut. Il n'y a pas de jugement. Mais nous, c'est le parti pris qu'on a. Et on veut que ça reste local dans la conception.

  • Florence Gault

    Vos encres sont créées à base d'huile végétale, imprimées sur du papier issu de forêts européennes gérées durablement. Vous ne pratiquez pas le pilon ni la surproduction. Ça, on peut peut-être dire un mot, parce que je pense que ce sont des choses qu'en tant que lecteur, lectrice, on ne sait pas forcément.

  • Yannick Roudaut

    Non, les gens ne se rendent pas compte qu'en France, il y a des millions de livres tous les ans qui sont détruits neufs avant même d'avoir vu une étagère. C'est ce qu'on appelle le pilon. Je donne un exemple, je suis éditeur, je vais imprimer 5000 livres. Tater le marché. Pas de chance, ça marche pas. Il y en a 4500 qui me sont renvoyés par les libraires, parce qu'ils n'ont pas réussi à les vendre. Ils me sont renvoyés en tant qu'éditeur, j'ai 4500 livres sur les bras. Qu'est-ce que j'en fais ? Dans 99% des cas, les éditeurs les détruisent ces livres. Ils les pilonnent, on appelle ça pilonner. Ils sont détruits. Une partie sera recyclée, mais pas tous, les couvertures. Avec le vernis, c'est pas toujours facile à recycler. Bref, il y a une grosse destruction de livres, beaucoup de papiers. Et c'est un sujet un peu tabou dans le monde de l'édition, bien sûr. Donc nous, on a des sites... de ne pas faire de pilon. On reprend tous les livres et on les donne à des étudiants, on les donne à des associations, on les revend quand ils sont revendables. On essaie de trouver une nouvelle vie pour le livre. Ce n'est pas toujours facile. Là, j'ai des stocks de livres, certains, j'essaie de les revendre à des associations à des prix pas trop chers, mais pour qu'ils vivent. Mais voilà, c'est notre travail, mais on ne veut pas pilonner.

  • Florence Gault

    Et alors, est-ce qu'avec tout ça, avec cette démarche, est-ce qu'on arrive à en vivre ? Est-ce qu'on arrive à aller au bout de la démarche et à faire en sorte que ça fonctionne ?

  • Yannick Roudaut

    Pour l'instant, ce n'est pas rentable. on survit grâce à des aides de mécènes de philanthropes de l'Etat, parce qu'il y a l'ADEME qui nous soutient il y a la région Pays de Loire qui nous soutient le Centre National du Livre qui nous soutient nos lecteurs qui nous soutiennent, les libraires etc donc ça c'est très important, pour que ça soit viable il faut vendre beaucoup beaucoup de livres et donc nous on est en phase d'accélération et on espère atteindre le seuil de rentabilité dans les prochains mois ou les prochaines années c'est l'objectif ouais un bel objectif pour finir Yannick Roudot Merci

  • Florence Gault

    Un mot sur, je ne sais pas, ce monde de demain, comment vous le percevez ? Peut-être offrir une petite lueur d'optimisme ou d'espoir à celles et ceux qui peut-être se disent que ce monde, il n'est pas facile.

  • Yannick Roudaut

    Moi, je suis persuadé qu'en 2050, on vivra mieux qu'aujourd'hui parce qu'on travaillera moins, on consommera moins, on vivra mieux, plus de temps pour soi et on sera beaucoup plus proche du vivant, de la nature. Et c'est la nature qui soigne, c'est la nature qui apporte du bien-être. Notre psyché est connectée au vivant. Et ça, on va le redécouvrir, c'est en train de se faire. Donc, je suis assez confiant pour les 2050. Après, 2020, 2030, les prochaines années, oui, elles sont un peu compliquées. Il faut les aborder avec courage.

  • Florence Gault

    Un grand merci pour cet entretien.

  • Yannick Roudaut

    Merci.

  • Florence Gault

    Bon, je ne vais pas vous mentir, notre échange aurait pu durer deux à trois heures. Il y a une foule de questions que je n'ai pas eu le temps de lui poser, mais on s'est dit qu'on donnerait une suite à cette interview. De cet échange, je garde l'idée de ne pas avoir peur du futur, car on ne sait jamais ce qui peut arriver, et que l'improbable peut surgir à tout moment, à condition, comme nous y invite par exemple Rob Hopkins, l'initiateur du mouvement des villes en transition, à libérer notre imagination. Alors pour rêver à un futur souhaitable et désirable, je vous invite à lire "Les Utopiennes 2044", cela fera en plus un très joli cadeau de Noël. Un épisode rendu possible grâce au soutien de Mathieu, Émilie et Mathilde.

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Description

Dans cet épisode d’En un battement d’aile, nous accueillons cette semaine Yannick Roudaut, auteur, conférencier et cofondateur des éditions La Mer Salée.


Cet ancien journaliste financier, devenu fervent défenseur d’une économie durable et régénérative, explore les bifurcations inattendues qui peuvent transformer nos sociétés. Avec lui, nous évoquerons l’idée selon laquelle l’improbable – ces événements inattendus, parfois perturbateurs, mais porteurs de potentiel – peut surgir à tout moment et ouvrir des voies inattendues vers un futur plus désirable.


À partir de cette réflexion, Yannick Roudaut explore les leviers qui pourraient nous permettre de sortir des impasses actuelles : repenser l’économie pour qu’elle devienne régénérative, s’appuyer sur des récits utopiques pour inspirer l’action, ou encore réinventer les pratiques éditoriales dans une démarche respectueuse du vivant.


Ensemble, nous discuterons des transformations à l’œuvre et de l’importance de garder l’esprit ouvert face aux aléas. Car, comme Yannick Roudaut le souligne, ce n’est pas l’immobilisme qui nous protégera, mais bien notre capacité à accueillir l’inattendu.


Une conversation riche en perspectives, pour imaginer et construire le monde de demain, enregistré à l'occasion de la tournée de promotion du livre "Les Utopiennes, bienvenue en 2044" que la Mer salée vient tout juste de publier.


Bonne écoute ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


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Transcription

  • Florence Gault

    Bienvenue dans ce nouvel épisode d'En un battement d'ailes. Aujourd'hui notre invité est Yannick Roudaut. Il aime à se présenter comme un décloisonneur intellectuel. Ancien journaliste spécialiste des marchés financiers, il a passé plus de 15 ans dans des médias comme BFM, Bloomberg TV ou encore Le Figaro. C'est au moment de la crise des subprimes en 2008 qu'un constat s'impose à lui, notre modèle économique actuel est insoutenable. Cette prise de conscience le pousse à repenser notre économie sous un angle durable en intégrant des valeurs sociales et écologiques. Yannick Roudot propose aujourd'hui une vision singulière de l'économie qu'il souhaite... régénérative et respectueuse des limites planétaires. Devenu auteur, conférencier, il est également cofondateur de la maison d'édition La Mer Salée qui vient de publier le deuxième tome de ses Utopiennes, Bienvenue en 2044. C'est dans le cadre de la tournée consacrée à la promotion du livre que je le rencontre. Nous nous retrouvons à la fabuleuse cantine dans le 7e arrondissement de Lyon où se tient la conférence, une heure ensemble qui va passer à toute allure. Yannick Roudaut, bonjour.

  • Yannick Roudaut

    Bonjour.

  • Florence Gault

    Pour démarrer, peut-être un mot sur votre regard, sur ce que nous vivons actuellement, sur cette époque, sur les défis auxquels nous faisons face.

  • Yannick Roudaut

    C'est une époque que j'ai souvent comparée, que je compare beaucoup, je continue à comparer à la Renaissance, parce que la Renaissance c'est un changement de monde, et pour moi on est dans un changement de monde. C'est-à-dire que l'occidentalisation du monde qui a commencé il y a 500 ans, on a colonisé le monde, on a imposé notre économie, notre rapport à la nature, qui est un rapport destructeur. Prédateur, on l'a généralisé et 500 ans après on arrive au bout, c'est terminé. Ça ne fonctionne plus. Pourquoi ça ne fonctionne plus ? Parce qu'on voit bien qu'en détruisant on crée les conséquences d'un dérèglement climatique et d'un effondrement de la biodiversité, il y a un mal-être des gens, il y a une mauvaise redistribution des richesses, il y a des burn-out partout. C'est la fin d'un système, on est en dépression collective. Donc ce système occidentalisé capitaliste, il est entendu ces dernières années, c'est un décennie, je ne sais pas combien de temps ça a duré. Moi je parie sur encore 20-25 ans grand max. Je pense que d'ici 2050, les choses auront beaucoup bougé. Donc on est dans le clair-obscur. Là, c'est l'obscurité qui reprend le dessus. Ça ne vous aura pas échappé. Mais la lumière reviendra. C'est inévitable. C'est physique. C'est un principe énergétique. L'ombre n'existe pas sans la lumière. La lumière n'existe pas sans l'ombre. Là, on est dans l'ombre. Il faut le traverser avec courage.

  • Florence Gault

    Et c'est une période qui fait peur ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, ça fait peur parce que l'obscurité, c'est tous les fantasmes, la peur de l'autre, la peur du futur, l'agressivité. C'est tous les... Toutes les phrases tarte à la crème comme l'homme est un loup pour l'homme, on va s'entretuer, on va se déchirer à la Mad Max, je ne crois pas un instant. Je ne crois pas un instant. Oui, l'être humain peut être très violent, très cruel. On a cette cruauté, mais on a aussi cette humanité, cette bonté qui est en nous. Et aujourd'hui, en fait, nos élites, nos leaders d'opinion ont une grande responsabilité. Parce qu'à souffler sur les braises, ils sont en train de créer quelque chose d'extrêmement violent. Mais on peut renverser la vapeur très vite, on l'a vu pendant les JO de Paris. Ça a été un soulagement collectif. Il y avait une empathie, il y avait une solidarité, il y avait une joie. Et en fait, elle est tout de suite revenue. Donc on n'est pas forcément parti pour 30 ans d'obscurité. Tout peut bifurquer très très vite, mais il faut la traverser cette période. Et pour ça, il faut être bien ancré.

  • Florence Gault

    Et puis on voit que cette période, effectivement, peut créer de l'éco-anxiété, particulièrement chez les jeunes. Vous la comprenez, vous la palpez, cette éco-anxiété ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, en fait, je donne des cours en université, en école. Parce que je pense que c'est important d'aller parler à la jeunesse. Donc c'est plutôt une mission pour moi, c'est pas pour la rémunération. Et ces jeunes, ils sont déprimés. Il y a 15 jours, 3 semaines, j'étais à l'université de Nantes. Je fais un petit tour de table en master. Ils étaient une quinzaine. Et sur les 15, il y en avait 12 qui étaient pessimistes, qui ne croyaient plus, en fait. Et ça, je trouve ça extrêmement triste qu'à 20 ans, 22 ans, 23 ans, on n'ait plus d'espoir pour l'avenir. Ça, c'est vraiment une problématique. Ça me touche beaucoup. Et donc, moi, j'y vais en leur apportant les raisons d'espérer et en leur disant que surtout, il ne faut pas lâcher. Il faut continuer à y croire parce qu'il peut se passer énormément de choses. Mais cette éco-anxiété, elle est légitime parce qu'ils sont nés avec le dérèglement climatique. Ils sont nés avec des infos qui sont mauvaises. Les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Et ça ne peut pas être autrement. Alors maintenant, on charge à nous de leur montrer qu'il y a d'autres bonnes nouvelles malgré ces mauvaises nouvelles. Qu'il va falloir qu'effectivement, on agisse individuellement et collectivement. Mais c'est compliqué pour eux. Mais c'est un des paramètres de l'effondrement du système capitaliste. C'est que plus ils sont éco-anxieux, moins ils ont envie d'alimenter la machine qui détruit la nature et leur avenir. Donc ils n'iront pas travailler n'importe où. Et ça pour moi c'est fondamental dans l'évolution du monde.

  • Florence Gault

    Effectivement, difficile quand on regarde le monde qui nous entoure de trouver des lueurs d'espoir. Et ce que j'aime beaucoup dans votre approche, c'est que vous dites que l'improbable peut surgir à tout moment, venir tout renverser. C'est d'ailleurs le titre d'un de vos livres, Quand l'improbable surgit Vous prenez notamment l'exemple de la pandémie de 2020, qui est venue finalement offrir une opportunité de repenser le monde. Il y a cette réflexion autour du monde d'après. qui est apparue assez vite, qui moi-même m'a fait me poser des questions et créer ce podcast trois ans plus tard. Mais donc des bifurcations salutaires, comme vous le dites, sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    En fait, oui, pour la petite histoire, ce livre, j'ai commencé à l'écrire avant le Covid, en étant persuadé qu'il allait se passer quelque chose d'inattendu. La pandémie arrive et là, je me dis ça y est, on y est. On rentre dans une décennie de transformation, un minima, voire plus. Le monde d'après, moi, j'y croyais pas, très franchement, pour le Covid. Pourquoi ? Parce que j'ai peut-être la lucidité de bien connaître les acteurs du capitalisme, parce que j'ai travaillé dans la finance pendant longtemps, en tant que journaliste, et ils vont pas décrocher comme ça. Ils s'accrochent. Et donc, il ne faut pas être trop naïf, ça va prendre encore un peu de temps. Tout ça est lent et long et rapide à la fois. C'est très complexe, c'est-à-dire qu'il y a des phénomènes d'accélération et il y a un temps long. Et le temps long, c'est le fait que cette société est en train de se déliter et qu'autre chose essaye de naître. Ça, c'est le temps long. Le temps court, ça a été le Covid. On se dit, ça y est, on a un accélérateur, un catalyseur. Non, ce n'est pas si simple que ça. Parce que derrière, la machine était prête à repartir. Mais ça nous a prouvé que ça pouvait s'arrêter. Et ça a quand même changé. Le comportement de plusieurs personnes qu'on compte pas, à qui on donne pas forcément la parole. Moi je rencontre beaucoup de gens qui ont pris des décisions structurantes. Donc il y a quelque chose qui s'est passé et puis on a volé une partie de la jeunesse aussi. On leur a volé une partie de leur jeunesse et ça, ça les a marqués. Ça nourrit aussi les co-anxiétés et l'aspect dépressif des jeunes. Donc ça laisse des traces et j'ai envie de dire c'est une couche de mille feuilles supplémentaires dans la transformation. On est vraiment en pleine transformation, pleine mutation, et ça a été un événement qui est venu remettre une grosse couche. Et ce que nous dit cet événement, c'est ce qui se passe dans l'histoire de l'humanité depuis la nuit des temps, c'est que l'histoire n'est qu'une succession d'événements inattendus, qui nous obligent à bifurquer. On n'a pas bifurqué fortement. On a entamé une bifurcation, mais la vraie bifurcation, plus brutale, plus radicale, elle va se manifester, ou ce sera l'aboutissement d'une succession de petites bifurcations, j'ai envie de dire. Mais c'est inévitable. En fait, moi je fais beaucoup de travail d'histoire, et quand on regarde l'histoire récente, c'est-à-dire les 2000 dernières années, trouvez moi un événement était attendu anticipé qui a eu lieu et des gens qui étaient capables de penser le futur avec précision ça n'est jamais arrivé que ce soit les conflits militaires que ce soit les avancées sociaux comme le droit d'hôte des femmes comme les congés payés sur la sécurité sociale que ce soit Tout ce qui surgit, même les innovations, la pénicilline, l'électricité par exemple, c'est totalement inattendu. L'électricité au XVIe siècle, on ne sait pas ce que c'est. Et puis au XIXe, ça commence à surgir et au XXe, c'est devenu la norme. Et donc au XXIe, pourquoi il n'y aurait pas une nouvelle source d'énergie qui surgirait, qu'on n'a pas vue ? Et c'est là où ce prisme d'analyse, il permet de regarder les choses avec une certaine sérénité. Oui, c'est violent, c'est dur et on souhaiterait que ce soit beaucoup plus doux et moins violent. Néanmoins, il ne faut pas se résigner parce que... beaucoup de choses peuvent surgir. Des révolutions techniques, philosophiques, l'émergence de personnes qui... Je crois pas au messie qui va nous sauver, je crois pas au chef d'État qui va nous sauver ou à la chef d'État, mais des gens qui surgiraient de la foule et qui apporteraient quelque chose, qui créeraient des mouvements peut-être politiques, citoyens. Il peut se passer énormément de choses. Et plus la pression climatique, politique... économique se met en place, ce qu'il y a aujourd'hui, plus il y a une accélération exponentielle dans le surgissement des bifurcations. Donc ça va aller très vite.

  • Florence Gault

    Et ce qui veut dire qu'on n'a pas besoin d'avoir peur face au futur qu'on ne connaît pas et qu'on ne peut pas présumer ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la peur c'est un stimuli pour nous réveiller. Donc la peur c'est sain au sens où on est en danger, la planète brûle, la biodiversité fondre, il faut en avoir peur. Moi j'ai peur de ce qui se passe. D'un autre côté, je n'ai pas peur du futur. Parce que je ne sais pas quel sera le futur. C'est-à-dire que quand bien même la trajectoire climatique et la biodiversité seraient catastrophiques, ce qui est plutôt le chemin sur lequel on est... Nos enfants vivront autrement. Ils n'auront pas connu ce que nous, on a connu. Donc j'ai confiance en eux, j'ai confiance pour eux. Et je ne suis pas sûr que ce soit que du conflit, que de la guerre civile, que des gens cupides qui essaient de voler les légumes de l'autre dans son champ parce que lui, ça pousse mieux que chez lui. Ça, c'est un peu ce qu'on nous vend comme étant inéluctable. Et c'est faux, en fait, puisqu'on l'a vu à Valence récemment, des dizaines de milliers de personnes qui sont parties avec leur pelle et leur seau aider leurs voisins. Personne n'a demandé. C'est pas organisé. Il n'y a pas eu d'appel dans la presse. Ça a été spontané. spontané. C'est le bouche-oreille. Et ça, c'est extrêmement beau. Ça veut dire qu'il peut se passer des beaux moments. Et dans les... Si on doit vivre plus frugalement, ce qui est mon opinion, je pense qu'on va avoir une décroissance contrainte, inévitablement. Donc, moins de diversité de consommation, moins de voyages longs, on aura plus d'humains, plus de rencontres, plus de soudaineté. On va revenir aux choses essentielles. Et c'est pas triste, ça. Les gens tristes ou les gens qui ont peur, c'est qu'ils ont peur de perdre leurs avantages matériels. D'avoir une voiture au lieu de quatre, un téléphone et pas trois, un écran et pas cinq, de pas faire le tour du monde. tous les ans, de ne pas aller jouer au golf le week-end au Maghreb ou ailleurs, oui, ceux-là ont peur. Mais quelqu'un qui est bien ancré, qui vit des joies simples et qui a des plaisirs simples, on va dire, accessibles, il n'a pas trop peur de l'avenir. Parce qu'il y a de l'espoir quand même, il n'y a pas… ce n'est pas binaire. E.F.F.

  • Florence Gault

    Avoir peur du futur aussi, ce serait quelque chose qui pourrait nous conduire à l'immobilisme aussi. Effectivement, vous le disiez, avoir peur des règlements climatiques, de ce qui se passe, de l'érosion, de la biodiversité… diversité, de l'impact que ça peut avoir sur la marge du monde, sur notre fonctionnement à nous, êtres humains, aujourd'hui. Mais ça doit être une source d'action et pas une peur qui conduirait justement soit au déni ou à l'immobilisme.

  • Yannick Roudaut

    C'est ça, il ne faut pas être comme des lapins dans les phares d'une voiture. Quand on éclaire les situations... C'est chaud, c'est vraiment pas réjouissant parce que le climat se dérègue très très vite et on commence à en voir les conséquences concrètes depuis quelques années. La biodiversité s'effondre en silence parce que les animaux on les entend pas, on les entend moins et on se rend compte qu'ils sont disparus. Ça c'est très inquiétant, mais du coup, une fois qu'on a pris acte de ce risque et de cette peur, pour moi c'est un moteur, ça me met en mouvement. Et se mettre en mouvement c'est pas changer le monde, personne ne changera le monde. Se mettre en mouvement c'est trouver l'endroit où je suis pertinent pour faire quelque chose. Aussi insignifiant soit-il, je le fais. Et en le faisant, je crée les conditions que quelque chose se passe qui me dépassera peut-être. C'est ça, la mise en mouvement. C'est que je n'ai pas l'intention, moi, Yannick Roudot, de changer le monde et de changer le monde de la littérature avec mes livres. Pas du tout. Ah bon ? Non, j'ai l'intention de faire ce que je peux faire et de le faire avec plaisir. Et je me dis que parmi les gens qui lisent, peut-être qu'il va se passer des choses. Et peut-être que certaines ou certains vont entreprendre un projet qui va avoir de l'impact. Et ça nous échappera totalement, on ne sera même pas au courant, peut-être on ne sera peut-être pas conscient, mais ce n'est pas grave. Ce qui est important, ce n'est pas d'avoir une intention trop forte. Je rencontre beaucoup de gens qui veulent changer le monde, et là ils s'écroulent au bout de quelques années, parce qu'on ne peut pas changer le monde.

  • Florence Gault

    C'est effectivement intéressant comme approche, ça permet aussi d'ôter une pression de l'écolo qui devrait être parfait, complètement cohérent dans l'ensemble de sa vie. Ça vient aussi pouvoir dire, en fait, déjà rien que de faire ça, plus ça, plus ça. d'avoir conscience et d'essayer à sa mesure, permet de se dire, OK, on n'attend pas tout deux mois.

  • Yannick Roudaut

    je dirais oui, mais je mettrais une nuance quand même. C'est qu'il ne faut pas se contenter des petits gestes en disant, bon, j'ai fait mes petits gestes, maintenant, je peux faire mon long courrier quatre fois dans l'année. Là, on sait que c'est très contre-productif de faire un long courrier à deux tonnes de carbone pour les États-Unis. Et donc, faire son potager ou trier ses déchets, à côté, ça ne sert à rien, en fait. L'idée, c'est de faire sans exigence de vertu. Mais de faire en conscience. Par exemple, pour ce qui nous concerne avec Sandrine, on a eu la chance de voyager quand on était plus jeune. Et quand on a pris conscience qu'il fallait arrêter, on a mis un peu de temps, on a mis 2-3 ans et on a arrêté. On ne prend plus d'avion, plus de long courrier, on voyage en train, on va très loin en train, au Danemark, au Maroc, on peut aller loin en train. Voilà, on a changé ça. Donc l'idée, c'est pas d'en faire une vertu en disant vous avez vu, nous on le fait, c'est facile Non, non, ça coûte plus cher de le faire. Donc c'est pas donné à tout le monde, il faut avoir les moyens. Ça demande du temps, il faut avoir le temps, il faut se donner le temps, etc. Mais dès lors qu'on a pris conscience que... quelque chose n'est plus possible, essayer d'en sortir et de trouver de la joie dans le changement. Par exemple, je ne mange plus de viande rouge depuis très longtemps, ça ne m'a pas pénalisé. Ouais, pendant trois semaines, un mois au début, c'était un peu dur. Parce que j'aimais bien ça. Et puis aujourd'hui, je n'en ai plus envie du tout. Et en fait, c'est des choses comme ça. ça qu'on met en place, mais moi je mesure toujours ça à l'aune de la joie. Est-ce que c'est possible de le faire relativement facilement ? Et est-ce que ça me rend triste ou est-ce que ça me rend joyeux ? Et en fait, ne plus acheter de vêtements neufs toutes les semaines, ne pas avoir de voiture neuve tout le temps, ne pas changer de téléphone, ne pas prendre des avions d'autolessance, consommer beaucoup moins d'aliments importés, transformés, de mauvaise qualité, ça ne m'a pas rendu plus triste. Je crois que je suis plus joyeux même. Ça va beaucoup mieux.

  • Florence Gault

    Comment ne pas tomber dans le côté un peu bison-ours, effectivement, de l'écolo joyeux qui vit ça très sereinement, alors que par moment, effectivement, ça peut être source de renoncement ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, moi, j'aime beaucoup voyager et rencontrer les gens. C'est-à-dire que si j'avais la possibilité de pouvoir retourner en Amérique du Sud, dans la forêt amazonienne, l'année prochaine, j'irais. Mais en fait, au fond de moi, je me pose la question, est-ce que j'en ai besoin pour être heureux ? Et la réponse est non, j'ai pas besoin de prendre un long courrier pour être heureux pour l'instant. Je craquerai peut-être dans 4-5 ans, peut-être que j'en ferai un. Et c'est pas si grave non plus. de craquer, on peut craquer. Mais ce que je veux dire par là, c'est que tant que ce n'est pas vital à mon bonheur quotidien ou à ma joie, je peux m'en passer, je m'en passe, parce que l'avenir de mes enfants le vaut. C'est-à-dire que moi j'ai deux enfants, quand je les regarde, j'ai envie de pouvoir leur dire on attend, on a essayé de faire quelque chose Alors c'est peut-être égoïste aussi de penser comme ça, on pourrait me le renvoyer, mais c'est que je n'imagine pas les regarder en disant allez vous faire voir, c'est votre problème, vous les jeunes vous changerez le monde Non, on a besoin des vieux, des jeunes et des moins jeunes. On a besoin de tout le monde. Et si au moins on avait 10% de la population mondiale qui changeait, c'est-à-dire les occidentaux, on change le monde. Parce que je ne sais pas si vous avez le chiffre en tête, mais 1% de la population mondiale prend la moitié des avions qui volent dans le ciel. 20% prend tous les avions. 80% du monde ne prend jamais l'avion qui est un symbole. C'est-à-dire que derrière l'avion il y a tout le reste. Donc ça veut bien dire ce que ça veut dire. Si parmi les 1%, la moitié changeait, 1% de la population. Mais déjà on résout 25% du problème. C'est énorme, ce qu'on appelle un effet de levier dans la finance. Donc il faut vraiment que les gens qui sont en capacité de changer se mettent en mouvement. Certains n'ont moins la capacité, parce qu'ils ont plein de problèmes au quotidien, de survie alimentaire, de survie financière, et c'est pas eux de faire le plus gros des efforts. Moi, je cible toujours les 1% et les 10%, c'est au plus aisé de changer.

  • Florence Gault

    Alors dans "La nouvelle controverse" que vous avez publiée en 2013, vous explorez donc cette possibilité d'une renaissance face aux crises que traversent nos sociétés modernes. Vous dites donc que nous sommes en fin de cycle, en fin de civilisation, que le monde de l'industrialisation et l'hyperconsommation est en train de s'effondrer, qu'on va passer à la frugalité, la sobriété, la décroissance. Est-ce que vous expliquez que c'est tous un petit groupe ? Deux personnes, une minorité qui peut faire basculer la société. Et donc pour en revenir à cette idée de tout ne repose pas tout sur nous et tout ne repose pas non plus sur tant que le reste du monde ne change pas, je ne peux pas changer.

  • Yannick Roudaut

    Oui, je crois qu'il faut sortir du postulat que faudrait tout le monde changer pour que ça change. Ça n'a jamais été comme ça. Le changement n'est jamais majoritaire. Ce sont toujours les minorités actives qui font l'histoire, ce sont les marges. Les marges, en ce sens, les gens qui sont en marge du système, c'est eux qui changent le système. C'est rarement l'intérieur qui change le système. C'est-à-dire qu'on n'a pas vu les sénateurs romains dire c'est bon, on arrête, hein, allez-y, puis on va élire un pape qui va remplacer l'empereur, puis ça va bien se passer, vous inquiétez pas. On a assez régné. Non, ça s'est pas passé comme ça. Il y a un groupe minoritaire qu'on appelle les premiers chrétiens qui commençaient à semer des graines idéologiques et religieuses, et quatre siècles après, ça a changé l'Empire romain. La Révolution française, petit groupe. De gens qui étaient un peu à l'intérieur, on va dire les bourgeois. Mais ils n'avaient pas le pouvoir. Ce n'étaient pas les aristocrates. Ils n'avaient pas le pouvoir. Et ils ont décidé que ça suffisait. Et ils ont déclenché une révolution. La révolution russe, c'est pareil, c'est un coup d'État d'une minorité. Les bolcheviks, les mensheviks, ce n'est pas le peuple russe qui descend dans la rue, contrairement à ce qu'on raconte. Bref, à chaque fois, c'est des minorités qui ne sont pas satisfaites de l'état du monde et qui veulent profondément le changer. Et ces minorités, dès lors qu'elles dépassent, on dit, le seuil des 10%, c'est-à-dire que dès qu'elles contaminent l'élite... Il y a bascule. C'est ce qui s'est passé avec la chute de l'Empire romain. Il y a eu une guerre civile entre les polythéistes et les monothéistes, parce que l'Empire romain était polythéiste avant le christianisme, et il est devenu monothéiste. Et ça a changé les contours de l'Empire. Et un jour, Constantin décide d'en faire une religion monothéiste, religion d'État, et puis derrière on a l'Empire chrétien romain. C'est incroyable ce qui s'est passé, mais c'est exactement la même chose en ce moment. C'est qu'on a une minorité de gens qui ne veulent plus aller travailler dans des entreprises climaticides, polluantes, destructrices. Une minorité de jeunes qui font des études supérieures et qui n'ont plus envie d'aller. dans ce modèle économique, ont plus envie de s'y retrouver. On en parle moins en ce moment, mais ils sont quand même là, les bifurqueurs, les déserteurs, etc. Alors ça fait grincer des dents, ça fait couiner un peu dans les chaubillards et les entreprises. Mais ils nous disent quoi ? Ils nous disent, nous, on voudrait un autre monde. Un monde qui... prend soin de la nature, qui régénère, qui prend soin du climat, qui prend soin de nous. Et donc, ils ne sont pas contre le travail, ils sont contre ce qu'on en fait aujourd'hui, ou ce pour quoi on les mandate. Et donc, il y a quelque chose qui frémit, qui est en train de se passer, et on n'est pas encore à 10%, mais je pense que d'ici, dans les 20 prochaines années, on aura une bascule, parce que plus l'environnement se dégrade, plus le climat se dégrade, plus on va payer les conséquences concrètes de ça, plus il y aura une contre-réaction. Et là, on est en train de s'accélérer, cette contre-réaction. C'est-à-dire qu'il faut arrêter de voir l'histoire comme étant des marges de 10 cm qu'on monte. C'est pas linéaire l'histoire, c'est exponentiel. Donc il y a un phénomène d'accélération. Et là on est en pleine accélération. L'élection de Trump en est un exemple. Parce que plus le monde change, plus le tapis se retire sous le pied de certaines élites, plus ils se raidissent. Et plus ils deviennent violents. Et donc, ce n'est pas un hasard. Et on aura peut-être des régimes autoritaires et violents en Europe quelques années. Mais ce n'est pas une finalité.

  • Florence Gault

    Yannick Roudot, alors comment repenser notre société ? Vous proposez de passer de l'économie extractive à une économie régénérative. Est-ce qu'elle est nécessairement décroissante ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la décroissance, il faut redéfinir le mot. On parle de quoi quand on parle de croissance ? On parle de croissance du PIB, du produit intérieur brut. Et comme disait Kennedy, le PIB ne mesure rien sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Il ne mesure pas le regard des enfants, il ne mesure pas la joie, il ne mesure pas l'état de notre système de santé. Il ne mesure rien d'intéressant, le PIB. Et dans le PIB aujourd'hui, on mesure la destruction des forêts, on mesure la bétonisation des sols, on mesure les tonnes de CO2 rejoint l'atmosphère parce que plus on brûle de pétrole et d'essence, plus les voitures tombent. Donc c'est bon pour le PIB. Donc c'est complètement absurde. La croissance du pb n'a pas de sens et après ça me permet de redéfinir qu'est ce qu'on entend par décroissance. Alors le mot du coup n'est pas peut-être bien choisi parce que décroissance une amputation, les gens ne veulent pas être amputés. Mais une décroissance ça veut dire quoi ? Ben moi je suis pour la décroissance des énergies fossiles qui peuvent être et pour la croissance d'énergie alternative qui ne pollue pas je suis pour la croissance d'une agriculture propre saine de qualité à des prix raisonnables et pour une décroissance d'une alimentation on va dire pleine de pesticides de molécules dangereuses chimiques sont pas bon On est tous d'accord en fait. Sauf qu'on passe notre temps à opposer les croissants et les décroissants, sachant que la décroissance, c'est juste une transformation transitoire. C'est le temps qu'on aboutisse à autre chose. Ce que Timothée Parry, dans Les Utopiennes, appelle l'économie du contentement. Le but, c'est que dans 15-20 ans, on ait bâti un modèle. ...économiques qui contentent les besoins quotidiens des individus. Et ils sont très variables selon les individus, donc ça laisse une liberté. C'est pas de la planification communiste, il y a une liberté au sein du cadre. Mais par contre, il y a un cadre figé qui est le cadre planétaire. La planète ne peut pas continuer à être détruite, malmenée, souillée éternellement. Et c'est pour ça que les choses vont s'arrêter. C'est comme disait les indiens Kogui, à votre avis, qui va gagner ? Pas chamama, la mama, ou nous les humains ? On connaît le résultat. La Terre s'en sortira toujours. L'humanité peut-être pas.

  • Florence Gault

    Et alors ça, comment on s'y prend dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui ? C'est quoi les étapes ?

  • Yannick Roudaut

    Les étapes, c'est un, agir à son niveau, au premier temps. Deux, essayer d'emmener des gens dans son entourage, si c'est possible. Et puis se laisser surprendre par l'inattendu. Mais c'est parce qu'on agit que l'inattendu surgit. Il n'y a pas de nulle part l'inattendu. Il surgit parce que des êtres humains se sont mis en mouvement. Donc l'action crée les conditions du surgissement d'un événement inattendu qui nous fera bifurquer. Mais il n'y a pas de plan, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de feuille de route. Et c'est ça qui déstabilise les gens, une feuille de route précise. Il n'y en a pas. Je ne sais pas quelles seront les tempêtes, quelles seront les canicules dans les prochaines années. Par contre, je sais que si je ne fais rien, ce sera difficile de boire et de manger. Donc aujourd'hui, il faut s'organiser sur l'agriculture, sur la gestion de l'eau, sur les minerais, sur tout ce qui va être essentiel dans les prochaines années. C'est là où on peut travailler. travailler. Mais après, ce qui arrivera, ça sera à l'affronter. Il faut se préparer, en tout cas. Et ça passe d'abord par un changement d'état d'esprit qu'on appelle la métanoïa en grec, c'est-à-dire transformer l'esprit avant de transformer le corps social.

  • Florence Gault

    Alors, dans l'approche économique de la société actuelle, vous proposez justement, pour mettre en place cette transition, de mettre en place une triple comptabilité, à la fois un bilan financier, un bilan social. Et un bilan environnemental qui, finalement, nous permettrait d'avoir une vision un peu plus complète de la valeur réelle d'un produit ou d'une activité, et qui sortirait, justement, uniquement de la démarche commerciale qu'on peut connaître aujourd'hui.

  • Yannick Roudaut

    Alors, l'idée de la triple comptabilité, elle n'est pas de moi. Elle date d'une vingtaine d'années. Il y a des experts comptables qui travaillent dessus. Il y a des chairs de recherche. Mais l'idée, c'est quoi, en fait ? C'est de partir du postulat que les objets qu'on achète, les aliments qu'on consomme, ne sont pas à leur juste prix, parce qu'ils ne prennent pas en compte... La dégradation sociale. Qui ramasse les légumes dans une serre à Almeria, dans le sud de l'Espagne ? Dans quelles conditions il est payé, cet homme ou cette femme ? On sait très bien comment ça se passe, parfois. J'ai envie de dire souvent. Ce n'est pas toujours des conditions sociales de travail respectables. Deux, donc ça, ce n'est pas dans le prix du produit. Deux, ce qui n'est pas dans le prix du produit, c'est la dégradation de l'environnement. Si on utilise des pesticides, les polluants étaient... dont on parle beaucoup en ce moment, qui tuent, mais qui détruisent aussi les sols, la qualité de l'eau. Et ça, qui va réparer ? Ce n'est pas dans le prix du légume. Et donc, reconsidérer la valeur et reconsidérer les prix, c'est mettre dans la constitution du prix les impacts humains, les impacts environnementaux et les ressources nécessaires, matières premières, énergie, etc. pour transformer et transporter le produit. Et là, on aurait un vrai prix. Et on se rendrait compte de quoi ? On se rendrait compte que la pomme sud-africaine qui est importée en Europe, elle est beaucoup trop chère par rapport à une pomme française. Bah oui, c'est une évidence quand on change le prisme du prix. Sauf qu'on est encore à un prix amputé, où il y a juste les matières, le transport et le coût de la transformation. Mais l'impact humain, l'impact environnemental, on s'en fiche pour l'instant dans l'économie capitaliste néolibérale. Il va falloir changer les clés de cette économie. C'est pour ça que la compta, la façon d'apprécier un objet ou un service, ça va être déterminant dans notre regard sur le monde. Et ça change toutes les bases de l'économie. Donc on en revient là. L'idéologie, c'est une chose. Mais si la comptabilité n'évolue pas, on se heurte à un mur. Il faut vraiment que la compta bouge.

  • Florence Gault

    Ça, c'est possible avec l'organisation de notre modèle économique, du fonctionnement des entreprises. Est-ce que ça a déjà été mis en place ? Ça marche ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a des entreprises qui l'expérimentent, la triple compta dans l'Ouest de la France. Il y a l'association Rupture, dirigeants responsables de l'Ouest qui sont des gens engagés, qui expérimentent la triple compta avec la Banque de France et des experts comptables. Donc ça existe. Je n'ai pas dit que c'était facile, mais ils expérimentent. Ils essaient de voir comment on peut le transposer concrètement. dans les comptes, première chose. Et deuxième chose, à l'aune. D'un événement financier grave, je parle souvent du grand krach financier qui nous attend si on ne bouge pas, c'est-à-dire l'effondrement généralisé des banques et des marchés, il faudra bien rebâtir quelque chose de nouveau. Et on fera comme en 40, comme en 45, c'est après des conflits qu'on prend des grandes décisions. C'est après 1918 qu'on donne le droit de vote aux femmes, c'est en plein flashisme qu'on a les congés payés. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale qu'on crée la sécurité sociale. Malheureusement, oui, il faut peut-être un effondrement financier qui sera socialement très coûteux. Parce qu'il ne faut pas se leurrer quand les bourses s'effondrent, ça fait mal. Mais c'est peut-être à ce moment-là qu'on construira un modèle comptable compatible avec les enjeux planétaires. Tout est possible. Je ne sais pas quand ça arrivera, mais ça finira par arriver.

  • Florence Gault

    Alors bienvenue en 2044, il y a des bonnes nouvelles qui nous arrivent du futur, c'est ce que vous montrez avec les Utopiennes 2044 que vous venez de publier au sein de votre maison d'édition La Mer Salée. Comme les Utopiennes 2043, vous explorez des futurs utopiques à travers une série de récits écrits depuis la perspective de personnages de l'année 2044, un livre finalement qui vise à proposer une vision un peu positive, un peu radicale de l'avenir.

  • Yannick Roudaut

    L'idée c'est d'enjamber les obstacles. C'est-à-dire que quand on dit aux gens, et je le vois beaucoup quand je vais en entreprise, on est en 2024, on leur demande d'imaginer 2040, ouf, ils voient que du sombre. Parce qu'ils voient les obstacles quotidiens, ils voient l'élection américaine, ils voient la résurgence du fascisme en Europe, etc. Ils voient l'effondrement écologique, donc ils peuvent pas imaginer quelque chose de positif. Il y a un obstacle qui est trop dur à franchir. Donc nous, l'idée c'est d'enjamber l'obstacle. On est en 2044, on est dans 20 ans. Ou on est en 2043. Voilà, le monde souhaité est advenu. On ne dit pas comment ça s'est passé, pas tout de suite, mais on projette les gens. Et alors on demande de regarder, d'ouvrir les yeux, fermer les yeux quelque part, d'ouvrir le livre et de se réveiller. On est dans 20 ans, on regarde comme c'est bien. Le monde du travail a changé, l'agriculture a changé. changé, le microbiote des sols est devenu la norme, on soigne les sols comme on soigne notre microbiote intestinal, il y a des nouveaux métiers, il y a des accordeurs d'éoliennes en bois, il y a plein de choses. Et en fait, ça permet tout de suite de se transposer dans quelque chose qui est vraiment nouveau, parce que c'est utopique, en ce sens que ça n'a pas encore de lieu, ça ne veut pas dire que c'est irréalisable. Et la force de l'utopie, c'est que quand on emmène les gens dans ce futur, En fait, ils nous disent tous, mais ça paraît possible en fait. En fait, j'aime bien ça, en fait c'est possible. Bah oui c'est possible, sauf que tu ne te l'étais pas autorisé parce que tu as vu que les obstacles. Donc d'enjamber les obstacles, ça ouvre le champ des imaginaires et ça permet de montrer aux gens qu'un autre monde est possible que d'autres. monde sont possibles et que rien n'est écrit et c'est pour ça qu'on fait cet exercice on est extrêmement lucide avec sandrine parce que ça fait plus de 25 ans qu'on travaille sur le sujet mais ça nous empêche pas d'enjamber obstacle et de rêver parce que toutes les grandes ruptures dans sur l'humanité, ce sont des rêveurs. J'ai souvent un dirigeant d'entreprise, parce que je les côtoie beaucoup, si vous ne laissez pas la place à des utopistes dans votre entreprise, mais qu'est-ce que vous allez inventer ? Vous allez vous entourer de gestionnaires. Ils vont gérer, ça, ils vont bien gérer, mais ils ne vont rien inventer. Les grandes innovations, ce sont des utopistes. Donc il faut rêver fort, très très fort.

  • Florence Gault

    Alors, en préparant cette interview, je vous ai demandé de choisir un extrait des utopiennes. Lequel vous avez choisi ?

  • Yannick Roudaut

    Je vais lire peut-être deux, trois lignes de la prose de l'amour et du handicap. Donc c'est un texte de Nicolas Houguet qui est un jeune garçon qui vit en fauteuil et qui se projette dans un monde où le handicap n'est plus un problème. Parce que comme dit Nicolas, moi ça me touche beaucoup dans son texte, c'est que plusieurs fois il est resté dans la porte de l'immeuble s'il ne pouvait pas monter. Quand il est allé au restaurant avec sa compagne, on ne le regarde pas. La personne qui accueille au restaurant regarde uniquement la personne debout, ne regarde jamais la personne en fauteuil. Des choses comme ça qui sont affreuses et que lui ne comprend pas. Ou acheter une baguette de pain tout seul, vivre seul. Parce que Paris, en fauteuil aujourd'hui, c'est impossible de prendre le métro. Il n'y a même pas d'ascenseur à toutes les stations de métro. Donc ça c'est un texte qui m'a beaucoup touché. Je vais juste lire quelques phrases parce que je laisserai découvrir. Voilà, je vais commencer là. Je n'étais pas vraiment de ce monde et chaque marche un peu haute me rejetait légèrement. Longtemps, j'ai attendu devant des portes closes, je regardais la route en m'appliquant à glisser sur les regards qui me faisaient trop mal. J'ai relevé les yeux, me suis vengé de mon soeur pour t'aimer bien en face, décidé de vieillir. Et puis un jour, sur la place de la gare, à côté de chez moi, j'ai pu acheter de quoi faire nos repas, connaître le prix d'une maguette, d'une ampoule à changer, le quotidien avait été conquis. Boah !

  • Florence Gault

    Ce genre de projection, l'utopie, elle est là justement pour contrebalancer la résignation face aux défis écologiques et sociaux actuels ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, pour moi la résignation n'est pas une option rationnelle. Se résigner, ça veut dire qu'il n'y a pas d'inattendu. Alors que la raison, la logique veut qu'on croit en l'inattendu. Donc on ne peut pas se résigner, première chose. Et deuxièmement, ce genre de projection, ça permet à des gens de prendre conscience. du présent. Parce que quand on lit le texte de Nicolas Huguet sur le handicap et sur ce qu'il vit avec son fauteuil au quotidien, ce qu'il vivait en 2024 et ce qu'il ne vit plus en 2044, on se dit waouh, quand même, on ne se rend pas compte On se met à sa place, et c'est extrêmement important d'être à sa place, et c'est pour ça qu'on fait ces textes aussi. L'an dernier, on avait publié un texte sur le handicap aussi de Riyad Salem, qui est un de nos champions olympiques par Olympique. Et Riyad, j'avais eu au téléphone, il m'avait dit tu te rends compte Yannick, en 2023, on mettait des prothèses couleur chair aux gens, parce qu'il ne fallait pas qu'elles se voient Très juste. Et en 2043, les prothèses, elles sont fluo, roses, taguées, elles sont belles, lumineuses, elles clignotent. Ben oui, pourquoi pas ? Voilà, c'est à ça que ça sert ces textes-là. À interpeller et à prendre conscience de l'absurdité de nos raisonnements qu'on estime comme étant normaux et acquis. Non, non, non, ça peut changer. Rien n'empêcherait aux personnes qui ont acquis mon carment d'avoir des prothèses de couleur. Et pourquoi pas ?

  • Florence Gault

    Alors moi, j'ai choisi un extrait de Cora, là où naît l'information libre, écrit par Juliette Keff, qui est journaliste, cofondatrice du Médiavers, donc sans grande surprise au vu de mon profil. Mais je trouvais que c'était intéressant qu'on puisse l'évoquer ensemble, puisque vous-même, vous avez été journaliste. Je vous en lis un extrait. Ces derniers mois, les effets des crises écologiques se sont encore accentués. Il faut toujours trouver de nouvelles manières d'en parler, d'alerter sans traumatiser, de permettre à toutes et tous de comprendre et d'agir, de mettre dans le débat public les vraies et les fausses solutions. En ce moment, Rachel et Myriam investiguent sur la désalinisation de l'eau de la mer Méditerranée dans une giga-usine près de Perpignan. Elles se sont rendues en Espagne et au Maroc pour comprendre ce qu'il était advenu de ces monstres des mers qui écumaient du sel subitement. abandonnées. Devant l'Agora, elles témoignent de leurs aventures lors de cette enquête et des fils qu'elles ont pu tirer. Les réactions sont enthousiastes, les lecteurs et lectrices en veulent plus. Ce rôle des médias, Yannick, je pense que en tant que journaliste, vous l'avez expérimenté. Là, on voit à quel point la question des solutions est primordiale. C'est moi ce que j'essaie de défendre avec en un battement d'ailes et l'approche du journalisme de solutions. Aujourd'hui, c'est effectivement nécessaire, vital, si on veut, d'une part, que les gens continuent de s'informer, et puis montrer que d'autres voies sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    Oui, il faut absolument du journalisme qui montre à chaque problème des solutions ou une solution. Moi, mes filles, je les ai toujours élevées en leur disant, il y a ce problème-là, mais regarde ce qu'on peut faire aussi. Pour toujours leur donner la solution possible. Ce qui fait que mentalement, il n'y a pas cette... Il n'y a pas cette... Cette faillite, c'est-à-dire ce renoncement, elle part du principe que oui, il y a un problème climatique, mais il y a des solutions, mes parents m'en ont parlé, donc on peut faire autrement, que ce soit la frugalité, que ce soit une façon de mieux gérer l'eau, etc. Donc ça, c'est extrêmement important. Et puis l'autre chose que le journalisme doit travailler, c'est cette culture générale sur les questions d'écologie pour pouvoir répondre aux climato-sceptiques. Moi, je suis sidéré de voir des plateaux de télévision où on laisse la porte ouverte à quatre climato-sceptiques, plutôt des mâles blancs dominants classiques. Vous voyez ce que je veux dire ? et qui balancent des absurdités tout le temps, et en face, il n'y a aucune réponse. Et les journalistes continuent à dérouler des questions, et il n'y a pas de répondant. C'est catastrophique. Il faut absolument avoir des gens qui ont du répondant, qui soient capables de dire, mais quelle est votre source ? Comment pouvez-vous dire ça ? Qui peuvent argumenter ? Et c'est là où la formation des journalistes est très importante sur tous ces sujets. Donc il y a les solutions, mais il y a aussi une formation économique et écologique très très solide que tout le monde devrait avoir dans le journalisme.

  • Florence Gault

    Et puis l'intérêt aussi de repenser l'approche journalistique, de pouvoir aussi ouvrir de nouveaux imaginaires, que ce soit à la fois dans ce qui est proposé dans les médias, mais aussi dans la culture, dans la littérature. Et donc c'est ce que vous faites avec la mer Salée. L'objectif, c'est justement de permettre à ces nouveaux imaginaires, à ces nouveaux récits d'exister. À quel moment l'intuition est apparue pour la mer Salée ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a dix ans, on a créé la mer salée en publiant des essais engagés. Et puis dans les années 2017-2018, on s'est dit que les essais, c'était bien, mais il fallait aller vers des romans, des romans utopiques, parce qu'il n'y en avait pas beaucoup. On avait du mal à en trouver. Et parce qu'on est persuadé que la fiction fait la réalité et que le rôle de la fiction est très important. Et qu'aujourd'hui, les fictions, que ce soit sur les plateformes de distribution de séries, les cinémas, les livres, sont assez glauques, assez dark, assez sombres, assez dystopiques. Et on s'est dit, si personne ne le fait, on va le faire. Donc on a commencé et j'espère qu'on va être suivi par beaucoup de monde parce que ça voudrait dire qu'il y a un marché qui se crée. Mais nous, l'idée, c'est vraiment d'ouvrir ce segment de récits utopiques. C'est-à-dire qu'en 2050, on peut décrire un couple, la vie d'un couple, mais sur fond d'une économie qui a changé, d'un monde qui a changé. C'est-à-dire que l'idée, ce n'est pas de publier uniquement des histoires où on a réussi à lutter contre le dérèglement climatique. Non, on peut le mettre en toile de fond comme étant acquis. Par exemple, l'autre jour, je voyais un film américain et ça me surprenait parce qu'il prenne tout le temps l'avion. pour se déplacer, pour aller l'une ville à l'autre. Et même en Europe, ils prennent rarement le TGV. Et en fait, il faudrait que le train soit systématiquement... Qu'on ait des héroïnes qui ne mangent plus de viande, qui mangent végétarien, par exemple, qu'ils aient une maison très simple, qu'ils soient bricoleurs, low-tech. Et ça, rien que de changer l'enveloppe dans laquelle se déroule l'histoire, ça change tout. Parce que si c'est toujours extrêmement branché et bien vu d'avoir une grosse voiture qui pollue en centre-ville et d'être tout seul dedans, et que c'est trois tonnes de déchets sur roue, On est mort. Il faut que ça devienne complètement has-been. On dit toujours, tu veux changer le monde, il faut le démoder. Donc il faut le démoder par les récits, et le démoder par les codes sociaux, il faut changer les valeurs en fait. Et ça, la fiction peut le faire.

  • Florence Gault

    Alors vous présentez la Mer Salée comme maison d'édition semeuse d'utopie pour un monde audacieux, respectueux des êtres et du vivant. Donc l'idée c'est de rendre ces idées contagieuses. Mais vous le faites aussi dans la construction même de la maison d'édition. Vous êtes dans cette démarche respectueuse des êtres et du vivant. Vous avez donc toute une charte. Oui, oui. On pourrait rentrer vraiment dans le détail, mais vous essayez de faire en sorte de façonner, imprimer vos livres plutôt en France, en local, à proximité de chez vous, non ? Oui,

  • Yannick Roudaut

    à moins de 100 kilomètres. Tout est fait à moins de 100 kilomètres. C'est-à-dire que les livres sont produits, imprimés, mis en page, les couvertures sont créées en local. Tout est en local. Ça nous coûte plus cher. C'est une contrainte, mais on ne peut pas faire autrement. Parce que je n'imagine pas porter un contenant engagé et avoir un contenu qui ne l'est pas. Alors, à nous de trouver un équilibre économique. Oui, nos livres, ils sont comme tous les autres livres. Le papier a pris 40% ces dernières années. On est obligé de les vendre plus cher. Au lieu de 20, on va les vendre 21. On n'a pas le choix. C'est comme ça. Mais sinon, c'est quoi ? C'est délocalisé en Asie ? Non, ça, on ne veut pas. Donc, on ne le fera pas. Ou imprimé en Europe centrale. Moi, je n'ai pas envie. D'autres le font. Mais chacun fait ce qu'il peut et ce qu'il veut. Il n'y a pas de jugement. Mais nous, c'est le parti pris qu'on a. Et on veut que ça reste local dans la conception.

  • Florence Gault

    Vos encres sont créées à base d'huile végétale, imprimées sur du papier issu de forêts européennes gérées durablement. Vous ne pratiquez pas le pilon ni la surproduction. Ça, on peut peut-être dire un mot, parce que je pense que ce sont des choses qu'en tant que lecteur, lectrice, on ne sait pas forcément.

  • Yannick Roudaut

    Non, les gens ne se rendent pas compte qu'en France, il y a des millions de livres tous les ans qui sont détruits neufs avant même d'avoir vu une étagère. C'est ce qu'on appelle le pilon. Je donne un exemple, je suis éditeur, je vais imprimer 5000 livres. Tater le marché. Pas de chance, ça marche pas. Il y en a 4500 qui me sont renvoyés par les libraires, parce qu'ils n'ont pas réussi à les vendre. Ils me sont renvoyés en tant qu'éditeur, j'ai 4500 livres sur les bras. Qu'est-ce que j'en fais ? Dans 99% des cas, les éditeurs les détruisent ces livres. Ils les pilonnent, on appelle ça pilonner. Ils sont détruits. Une partie sera recyclée, mais pas tous, les couvertures. Avec le vernis, c'est pas toujours facile à recycler. Bref, il y a une grosse destruction de livres, beaucoup de papiers. Et c'est un sujet un peu tabou dans le monde de l'édition, bien sûr. Donc nous, on a des sites... de ne pas faire de pilon. On reprend tous les livres et on les donne à des étudiants, on les donne à des associations, on les revend quand ils sont revendables. On essaie de trouver une nouvelle vie pour le livre. Ce n'est pas toujours facile. Là, j'ai des stocks de livres, certains, j'essaie de les revendre à des associations à des prix pas trop chers, mais pour qu'ils vivent. Mais voilà, c'est notre travail, mais on ne veut pas pilonner.

  • Florence Gault

    Et alors, est-ce qu'avec tout ça, avec cette démarche, est-ce qu'on arrive à en vivre ? Est-ce qu'on arrive à aller au bout de la démarche et à faire en sorte que ça fonctionne ?

  • Yannick Roudaut

    Pour l'instant, ce n'est pas rentable. on survit grâce à des aides de mécènes de philanthropes de l'Etat, parce qu'il y a l'ADEME qui nous soutient il y a la région Pays de Loire qui nous soutient le Centre National du Livre qui nous soutient nos lecteurs qui nous soutiennent, les libraires etc donc ça c'est très important, pour que ça soit viable il faut vendre beaucoup beaucoup de livres et donc nous on est en phase d'accélération et on espère atteindre le seuil de rentabilité dans les prochains mois ou les prochaines années c'est l'objectif ouais un bel objectif pour finir Yannick Roudot Merci

  • Florence Gault

    Un mot sur, je ne sais pas, ce monde de demain, comment vous le percevez ? Peut-être offrir une petite lueur d'optimisme ou d'espoir à celles et ceux qui peut-être se disent que ce monde, il n'est pas facile.

  • Yannick Roudaut

    Moi, je suis persuadé qu'en 2050, on vivra mieux qu'aujourd'hui parce qu'on travaillera moins, on consommera moins, on vivra mieux, plus de temps pour soi et on sera beaucoup plus proche du vivant, de la nature. Et c'est la nature qui soigne, c'est la nature qui apporte du bien-être. Notre psyché est connectée au vivant. Et ça, on va le redécouvrir, c'est en train de se faire. Donc, je suis assez confiant pour les 2050. Après, 2020, 2030, les prochaines années, oui, elles sont un peu compliquées. Il faut les aborder avec courage.

  • Florence Gault

    Un grand merci pour cet entretien.

  • Yannick Roudaut

    Merci.

  • Florence Gault

    Bon, je ne vais pas vous mentir, notre échange aurait pu durer deux à trois heures. Il y a une foule de questions que je n'ai pas eu le temps de lui poser, mais on s'est dit qu'on donnerait une suite à cette interview. De cet échange, je garde l'idée de ne pas avoir peur du futur, car on ne sait jamais ce qui peut arriver, et que l'improbable peut surgir à tout moment, à condition, comme nous y invite par exemple Rob Hopkins, l'initiateur du mouvement des villes en transition, à libérer notre imagination. Alors pour rêver à un futur souhaitable et désirable, je vous invite à lire "Les Utopiennes 2044", cela fera en plus un très joli cadeau de Noël. Un épisode rendu possible grâce au soutien de Mathieu, Émilie et Mathilde.

Description

Dans cet épisode d’En un battement d’aile, nous accueillons cette semaine Yannick Roudaut, auteur, conférencier et cofondateur des éditions La Mer Salée.


Cet ancien journaliste financier, devenu fervent défenseur d’une économie durable et régénérative, explore les bifurcations inattendues qui peuvent transformer nos sociétés. Avec lui, nous évoquerons l’idée selon laquelle l’improbable – ces événements inattendus, parfois perturbateurs, mais porteurs de potentiel – peut surgir à tout moment et ouvrir des voies inattendues vers un futur plus désirable.


À partir de cette réflexion, Yannick Roudaut explore les leviers qui pourraient nous permettre de sortir des impasses actuelles : repenser l’économie pour qu’elle devienne régénérative, s’appuyer sur des récits utopiques pour inspirer l’action, ou encore réinventer les pratiques éditoriales dans une démarche respectueuse du vivant.


Ensemble, nous discuterons des transformations à l’œuvre et de l’importance de garder l’esprit ouvert face aux aléas. Car, comme Yannick Roudaut le souligne, ce n’est pas l’immobilisme qui nous protégera, mais bien notre capacité à accueillir l’inattendu.


Une conversation riche en perspectives, pour imaginer et construire le monde de demain, enregistré à l'occasion de la tournée de promotion du livre "Les Utopiennes, bienvenue en 2044" que la Mer salée vient tout juste de publier.


Bonne écoute ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


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Transcription

  • Florence Gault

    Bienvenue dans ce nouvel épisode d'En un battement d'ailes. Aujourd'hui notre invité est Yannick Roudaut. Il aime à se présenter comme un décloisonneur intellectuel. Ancien journaliste spécialiste des marchés financiers, il a passé plus de 15 ans dans des médias comme BFM, Bloomberg TV ou encore Le Figaro. C'est au moment de la crise des subprimes en 2008 qu'un constat s'impose à lui, notre modèle économique actuel est insoutenable. Cette prise de conscience le pousse à repenser notre économie sous un angle durable en intégrant des valeurs sociales et écologiques. Yannick Roudot propose aujourd'hui une vision singulière de l'économie qu'il souhaite... régénérative et respectueuse des limites planétaires. Devenu auteur, conférencier, il est également cofondateur de la maison d'édition La Mer Salée qui vient de publier le deuxième tome de ses Utopiennes, Bienvenue en 2044. C'est dans le cadre de la tournée consacrée à la promotion du livre que je le rencontre. Nous nous retrouvons à la fabuleuse cantine dans le 7e arrondissement de Lyon où se tient la conférence, une heure ensemble qui va passer à toute allure. Yannick Roudaut, bonjour.

  • Yannick Roudaut

    Bonjour.

  • Florence Gault

    Pour démarrer, peut-être un mot sur votre regard, sur ce que nous vivons actuellement, sur cette époque, sur les défis auxquels nous faisons face.

  • Yannick Roudaut

    C'est une époque que j'ai souvent comparée, que je compare beaucoup, je continue à comparer à la Renaissance, parce que la Renaissance c'est un changement de monde, et pour moi on est dans un changement de monde. C'est-à-dire que l'occidentalisation du monde qui a commencé il y a 500 ans, on a colonisé le monde, on a imposé notre économie, notre rapport à la nature, qui est un rapport destructeur. Prédateur, on l'a généralisé et 500 ans après on arrive au bout, c'est terminé. Ça ne fonctionne plus. Pourquoi ça ne fonctionne plus ? Parce qu'on voit bien qu'en détruisant on crée les conséquences d'un dérèglement climatique et d'un effondrement de la biodiversité, il y a un mal-être des gens, il y a une mauvaise redistribution des richesses, il y a des burn-out partout. C'est la fin d'un système, on est en dépression collective. Donc ce système occidentalisé capitaliste, il est entendu ces dernières années, c'est un décennie, je ne sais pas combien de temps ça a duré. Moi je parie sur encore 20-25 ans grand max. Je pense que d'ici 2050, les choses auront beaucoup bougé. Donc on est dans le clair-obscur. Là, c'est l'obscurité qui reprend le dessus. Ça ne vous aura pas échappé. Mais la lumière reviendra. C'est inévitable. C'est physique. C'est un principe énergétique. L'ombre n'existe pas sans la lumière. La lumière n'existe pas sans l'ombre. Là, on est dans l'ombre. Il faut le traverser avec courage.

  • Florence Gault

    Et c'est une période qui fait peur ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, ça fait peur parce que l'obscurité, c'est tous les fantasmes, la peur de l'autre, la peur du futur, l'agressivité. C'est tous les... Toutes les phrases tarte à la crème comme l'homme est un loup pour l'homme, on va s'entretuer, on va se déchirer à la Mad Max, je ne crois pas un instant. Je ne crois pas un instant. Oui, l'être humain peut être très violent, très cruel. On a cette cruauté, mais on a aussi cette humanité, cette bonté qui est en nous. Et aujourd'hui, en fait, nos élites, nos leaders d'opinion ont une grande responsabilité. Parce qu'à souffler sur les braises, ils sont en train de créer quelque chose d'extrêmement violent. Mais on peut renverser la vapeur très vite, on l'a vu pendant les JO de Paris. Ça a été un soulagement collectif. Il y avait une empathie, il y avait une solidarité, il y avait une joie. Et en fait, elle est tout de suite revenue. Donc on n'est pas forcément parti pour 30 ans d'obscurité. Tout peut bifurquer très très vite, mais il faut la traverser cette période. Et pour ça, il faut être bien ancré.

  • Florence Gault

    Et puis on voit que cette période, effectivement, peut créer de l'éco-anxiété, particulièrement chez les jeunes. Vous la comprenez, vous la palpez, cette éco-anxiété ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, en fait, je donne des cours en université, en école. Parce que je pense que c'est important d'aller parler à la jeunesse. Donc c'est plutôt une mission pour moi, c'est pas pour la rémunération. Et ces jeunes, ils sont déprimés. Il y a 15 jours, 3 semaines, j'étais à l'université de Nantes. Je fais un petit tour de table en master. Ils étaient une quinzaine. Et sur les 15, il y en avait 12 qui étaient pessimistes, qui ne croyaient plus, en fait. Et ça, je trouve ça extrêmement triste qu'à 20 ans, 22 ans, 23 ans, on n'ait plus d'espoir pour l'avenir. Ça, c'est vraiment une problématique. Ça me touche beaucoup. Et donc, moi, j'y vais en leur apportant les raisons d'espérer et en leur disant que surtout, il ne faut pas lâcher. Il faut continuer à y croire parce qu'il peut se passer énormément de choses. Mais cette éco-anxiété, elle est légitime parce qu'ils sont nés avec le dérèglement climatique. Ils sont nés avec des infos qui sont mauvaises. Les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Et ça ne peut pas être autrement. Alors maintenant, on charge à nous de leur montrer qu'il y a d'autres bonnes nouvelles malgré ces mauvaises nouvelles. Qu'il va falloir qu'effectivement, on agisse individuellement et collectivement. Mais c'est compliqué pour eux. Mais c'est un des paramètres de l'effondrement du système capitaliste. C'est que plus ils sont éco-anxieux, moins ils ont envie d'alimenter la machine qui détruit la nature et leur avenir. Donc ils n'iront pas travailler n'importe où. Et ça pour moi c'est fondamental dans l'évolution du monde.

  • Florence Gault

    Effectivement, difficile quand on regarde le monde qui nous entoure de trouver des lueurs d'espoir. Et ce que j'aime beaucoup dans votre approche, c'est que vous dites que l'improbable peut surgir à tout moment, venir tout renverser. C'est d'ailleurs le titre d'un de vos livres, Quand l'improbable surgit Vous prenez notamment l'exemple de la pandémie de 2020, qui est venue finalement offrir une opportunité de repenser le monde. Il y a cette réflexion autour du monde d'après. qui est apparue assez vite, qui moi-même m'a fait me poser des questions et créer ce podcast trois ans plus tard. Mais donc des bifurcations salutaires, comme vous le dites, sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    En fait, oui, pour la petite histoire, ce livre, j'ai commencé à l'écrire avant le Covid, en étant persuadé qu'il allait se passer quelque chose d'inattendu. La pandémie arrive et là, je me dis ça y est, on y est. On rentre dans une décennie de transformation, un minima, voire plus. Le monde d'après, moi, j'y croyais pas, très franchement, pour le Covid. Pourquoi ? Parce que j'ai peut-être la lucidité de bien connaître les acteurs du capitalisme, parce que j'ai travaillé dans la finance pendant longtemps, en tant que journaliste, et ils vont pas décrocher comme ça. Ils s'accrochent. Et donc, il ne faut pas être trop naïf, ça va prendre encore un peu de temps. Tout ça est lent et long et rapide à la fois. C'est très complexe, c'est-à-dire qu'il y a des phénomènes d'accélération et il y a un temps long. Et le temps long, c'est le fait que cette société est en train de se déliter et qu'autre chose essaye de naître. Ça, c'est le temps long. Le temps court, ça a été le Covid. On se dit, ça y est, on a un accélérateur, un catalyseur. Non, ce n'est pas si simple que ça. Parce que derrière, la machine était prête à repartir. Mais ça nous a prouvé que ça pouvait s'arrêter. Et ça a quand même changé. Le comportement de plusieurs personnes qu'on compte pas, à qui on donne pas forcément la parole. Moi je rencontre beaucoup de gens qui ont pris des décisions structurantes. Donc il y a quelque chose qui s'est passé et puis on a volé une partie de la jeunesse aussi. On leur a volé une partie de leur jeunesse et ça, ça les a marqués. Ça nourrit aussi les co-anxiétés et l'aspect dépressif des jeunes. Donc ça laisse des traces et j'ai envie de dire c'est une couche de mille feuilles supplémentaires dans la transformation. On est vraiment en pleine transformation, pleine mutation, et ça a été un événement qui est venu remettre une grosse couche. Et ce que nous dit cet événement, c'est ce qui se passe dans l'histoire de l'humanité depuis la nuit des temps, c'est que l'histoire n'est qu'une succession d'événements inattendus, qui nous obligent à bifurquer. On n'a pas bifurqué fortement. On a entamé une bifurcation, mais la vraie bifurcation, plus brutale, plus radicale, elle va se manifester, ou ce sera l'aboutissement d'une succession de petites bifurcations, j'ai envie de dire. Mais c'est inévitable. En fait, moi je fais beaucoup de travail d'histoire, et quand on regarde l'histoire récente, c'est-à-dire les 2000 dernières années, trouvez moi un événement était attendu anticipé qui a eu lieu et des gens qui étaient capables de penser le futur avec précision ça n'est jamais arrivé que ce soit les conflits militaires que ce soit les avancées sociaux comme le droit d'hôte des femmes comme les congés payés sur la sécurité sociale que ce soit Tout ce qui surgit, même les innovations, la pénicilline, l'électricité par exemple, c'est totalement inattendu. L'électricité au XVIe siècle, on ne sait pas ce que c'est. Et puis au XIXe, ça commence à surgir et au XXe, c'est devenu la norme. Et donc au XXIe, pourquoi il n'y aurait pas une nouvelle source d'énergie qui surgirait, qu'on n'a pas vue ? Et c'est là où ce prisme d'analyse, il permet de regarder les choses avec une certaine sérénité. Oui, c'est violent, c'est dur et on souhaiterait que ce soit beaucoup plus doux et moins violent. Néanmoins, il ne faut pas se résigner parce que... beaucoup de choses peuvent surgir. Des révolutions techniques, philosophiques, l'émergence de personnes qui... Je crois pas au messie qui va nous sauver, je crois pas au chef d'État qui va nous sauver ou à la chef d'État, mais des gens qui surgiraient de la foule et qui apporteraient quelque chose, qui créeraient des mouvements peut-être politiques, citoyens. Il peut se passer énormément de choses. Et plus la pression climatique, politique... économique se met en place, ce qu'il y a aujourd'hui, plus il y a une accélération exponentielle dans le surgissement des bifurcations. Donc ça va aller très vite.

  • Florence Gault

    Et ce qui veut dire qu'on n'a pas besoin d'avoir peur face au futur qu'on ne connaît pas et qu'on ne peut pas présumer ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la peur c'est un stimuli pour nous réveiller. Donc la peur c'est sain au sens où on est en danger, la planète brûle, la biodiversité fondre, il faut en avoir peur. Moi j'ai peur de ce qui se passe. D'un autre côté, je n'ai pas peur du futur. Parce que je ne sais pas quel sera le futur. C'est-à-dire que quand bien même la trajectoire climatique et la biodiversité seraient catastrophiques, ce qui est plutôt le chemin sur lequel on est... Nos enfants vivront autrement. Ils n'auront pas connu ce que nous, on a connu. Donc j'ai confiance en eux, j'ai confiance pour eux. Et je ne suis pas sûr que ce soit que du conflit, que de la guerre civile, que des gens cupides qui essaient de voler les légumes de l'autre dans son champ parce que lui, ça pousse mieux que chez lui. Ça, c'est un peu ce qu'on nous vend comme étant inéluctable. Et c'est faux, en fait, puisqu'on l'a vu à Valence récemment, des dizaines de milliers de personnes qui sont parties avec leur pelle et leur seau aider leurs voisins. Personne n'a demandé. C'est pas organisé. Il n'y a pas eu d'appel dans la presse. Ça a été spontané. spontané. C'est le bouche-oreille. Et ça, c'est extrêmement beau. Ça veut dire qu'il peut se passer des beaux moments. Et dans les... Si on doit vivre plus frugalement, ce qui est mon opinion, je pense qu'on va avoir une décroissance contrainte, inévitablement. Donc, moins de diversité de consommation, moins de voyages longs, on aura plus d'humains, plus de rencontres, plus de soudaineté. On va revenir aux choses essentielles. Et c'est pas triste, ça. Les gens tristes ou les gens qui ont peur, c'est qu'ils ont peur de perdre leurs avantages matériels. D'avoir une voiture au lieu de quatre, un téléphone et pas trois, un écran et pas cinq, de pas faire le tour du monde. tous les ans, de ne pas aller jouer au golf le week-end au Maghreb ou ailleurs, oui, ceux-là ont peur. Mais quelqu'un qui est bien ancré, qui vit des joies simples et qui a des plaisirs simples, on va dire, accessibles, il n'a pas trop peur de l'avenir. Parce qu'il y a de l'espoir quand même, il n'y a pas… ce n'est pas binaire. E.F.F.

  • Florence Gault

    Avoir peur du futur aussi, ce serait quelque chose qui pourrait nous conduire à l'immobilisme aussi. Effectivement, vous le disiez, avoir peur des règlements climatiques, de ce qui se passe, de l'érosion, de la biodiversité… diversité, de l'impact que ça peut avoir sur la marge du monde, sur notre fonctionnement à nous, êtres humains, aujourd'hui. Mais ça doit être une source d'action et pas une peur qui conduirait justement soit au déni ou à l'immobilisme.

  • Yannick Roudaut

    C'est ça, il ne faut pas être comme des lapins dans les phares d'une voiture. Quand on éclaire les situations... C'est chaud, c'est vraiment pas réjouissant parce que le climat se dérègue très très vite et on commence à en voir les conséquences concrètes depuis quelques années. La biodiversité s'effondre en silence parce que les animaux on les entend pas, on les entend moins et on se rend compte qu'ils sont disparus. Ça c'est très inquiétant, mais du coup, une fois qu'on a pris acte de ce risque et de cette peur, pour moi c'est un moteur, ça me met en mouvement. Et se mettre en mouvement c'est pas changer le monde, personne ne changera le monde. Se mettre en mouvement c'est trouver l'endroit où je suis pertinent pour faire quelque chose. Aussi insignifiant soit-il, je le fais. Et en le faisant, je crée les conditions que quelque chose se passe qui me dépassera peut-être. C'est ça, la mise en mouvement. C'est que je n'ai pas l'intention, moi, Yannick Roudot, de changer le monde et de changer le monde de la littérature avec mes livres. Pas du tout. Ah bon ? Non, j'ai l'intention de faire ce que je peux faire et de le faire avec plaisir. Et je me dis que parmi les gens qui lisent, peut-être qu'il va se passer des choses. Et peut-être que certaines ou certains vont entreprendre un projet qui va avoir de l'impact. Et ça nous échappera totalement, on ne sera même pas au courant, peut-être on ne sera peut-être pas conscient, mais ce n'est pas grave. Ce qui est important, ce n'est pas d'avoir une intention trop forte. Je rencontre beaucoup de gens qui veulent changer le monde, et là ils s'écroulent au bout de quelques années, parce qu'on ne peut pas changer le monde.

  • Florence Gault

    C'est effectivement intéressant comme approche, ça permet aussi d'ôter une pression de l'écolo qui devrait être parfait, complètement cohérent dans l'ensemble de sa vie. Ça vient aussi pouvoir dire, en fait, déjà rien que de faire ça, plus ça, plus ça. d'avoir conscience et d'essayer à sa mesure, permet de se dire, OK, on n'attend pas tout deux mois.

  • Yannick Roudaut

    je dirais oui, mais je mettrais une nuance quand même. C'est qu'il ne faut pas se contenter des petits gestes en disant, bon, j'ai fait mes petits gestes, maintenant, je peux faire mon long courrier quatre fois dans l'année. Là, on sait que c'est très contre-productif de faire un long courrier à deux tonnes de carbone pour les États-Unis. Et donc, faire son potager ou trier ses déchets, à côté, ça ne sert à rien, en fait. L'idée, c'est de faire sans exigence de vertu. Mais de faire en conscience. Par exemple, pour ce qui nous concerne avec Sandrine, on a eu la chance de voyager quand on était plus jeune. Et quand on a pris conscience qu'il fallait arrêter, on a mis un peu de temps, on a mis 2-3 ans et on a arrêté. On ne prend plus d'avion, plus de long courrier, on voyage en train, on va très loin en train, au Danemark, au Maroc, on peut aller loin en train. Voilà, on a changé ça. Donc l'idée, c'est pas d'en faire une vertu en disant vous avez vu, nous on le fait, c'est facile Non, non, ça coûte plus cher de le faire. Donc c'est pas donné à tout le monde, il faut avoir les moyens. Ça demande du temps, il faut avoir le temps, il faut se donner le temps, etc. Mais dès lors qu'on a pris conscience que... quelque chose n'est plus possible, essayer d'en sortir et de trouver de la joie dans le changement. Par exemple, je ne mange plus de viande rouge depuis très longtemps, ça ne m'a pas pénalisé. Ouais, pendant trois semaines, un mois au début, c'était un peu dur. Parce que j'aimais bien ça. Et puis aujourd'hui, je n'en ai plus envie du tout. Et en fait, c'est des choses comme ça. ça qu'on met en place, mais moi je mesure toujours ça à l'aune de la joie. Est-ce que c'est possible de le faire relativement facilement ? Et est-ce que ça me rend triste ou est-ce que ça me rend joyeux ? Et en fait, ne plus acheter de vêtements neufs toutes les semaines, ne pas avoir de voiture neuve tout le temps, ne pas changer de téléphone, ne pas prendre des avions d'autolessance, consommer beaucoup moins d'aliments importés, transformés, de mauvaise qualité, ça ne m'a pas rendu plus triste. Je crois que je suis plus joyeux même. Ça va beaucoup mieux.

  • Florence Gault

    Comment ne pas tomber dans le côté un peu bison-ours, effectivement, de l'écolo joyeux qui vit ça très sereinement, alors que par moment, effectivement, ça peut être source de renoncement ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, moi, j'aime beaucoup voyager et rencontrer les gens. C'est-à-dire que si j'avais la possibilité de pouvoir retourner en Amérique du Sud, dans la forêt amazonienne, l'année prochaine, j'irais. Mais en fait, au fond de moi, je me pose la question, est-ce que j'en ai besoin pour être heureux ? Et la réponse est non, j'ai pas besoin de prendre un long courrier pour être heureux pour l'instant. Je craquerai peut-être dans 4-5 ans, peut-être que j'en ferai un. Et c'est pas si grave non plus. de craquer, on peut craquer. Mais ce que je veux dire par là, c'est que tant que ce n'est pas vital à mon bonheur quotidien ou à ma joie, je peux m'en passer, je m'en passe, parce que l'avenir de mes enfants le vaut. C'est-à-dire que moi j'ai deux enfants, quand je les regarde, j'ai envie de pouvoir leur dire on attend, on a essayé de faire quelque chose Alors c'est peut-être égoïste aussi de penser comme ça, on pourrait me le renvoyer, mais c'est que je n'imagine pas les regarder en disant allez vous faire voir, c'est votre problème, vous les jeunes vous changerez le monde Non, on a besoin des vieux, des jeunes et des moins jeunes. On a besoin de tout le monde. Et si au moins on avait 10% de la population mondiale qui changeait, c'est-à-dire les occidentaux, on change le monde. Parce que je ne sais pas si vous avez le chiffre en tête, mais 1% de la population mondiale prend la moitié des avions qui volent dans le ciel. 20% prend tous les avions. 80% du monde ne prend jamais l'avion qui est un symbole. C'est-à-dire que derrière l'avion il y a tout le reste. Donc ça veut bien dire ce que ça veut dire. Si parmi les 1%, la moitié changeait, 1% de la population. Mais déjà on résout 25% du problème. C'est énorme, ce qu'on appelle un effet de levier dans la finance. Donc il faut vraiment que les gens qui sont en capacité de changer se mettent en mouvement. Certains n'ont moins la capacité, parce qu'ils ont plein de problèmes au quotidien, de survie alimentaire, de survie financière, et c'est pas eux de faire le plus gros des efforts. Moi, je cible toujours les 1% et les 10%, c'est au plus aisé de changer.

  • Florence Gault

    Alors dans "La nouvelle controverse" que vous avez publiée en 2013, vous explorez donc cette possibilité d'une renaissance face aux crises que traversent nos sociétés modernes. Vous dites donc que nous sommes en fin de cycle, en fin de civilisation, que le monde de l'industrialisation et l'hyperconsommation est en train de s'effondrer, qu'on va passer à la frugalité, la sobriété, la décroissance. Est-ce que vous expliquez que c'est tous un petit groupe ? Deux personnes, une minorité qui peut faire basculer la société. Et donc pour en revenir à cette idée de tout ne repose pas tout sur nous et tout ne repose pas non plus sur tant que le reste du monde ne change pas, je ne peux pas changer.

  • Yannick Roudaut

    Oui, je crois qu'il faut sortir du postulat que faudrait tout le monde changer pour que ça change. Ça n'a jamais été comme ça. Le changement n'est jamais majoritaire. Ce sont toujours les minorités actives qui font l'histoire, ce sont les marges. Les marges, en ce sens, les gens qui sont en marge du système, c'est eux qui changent le système. C'est rarement l'intérieur qui change le système. C'est-à-dire qu'on n'a pas vu les sénateurs romains dire c'est bon, on arrête, hein, allez-y, puis on va élire un pape qui va remplacer l'empereur, puis ça va bien se passer, vous inquiétez pas. On a assez régné. Non, ça s'est pas passé comme ça. Il y a un groupe minoritaire qu'on appelle les premiers chrétiens qui commençaient à semer des graines idéologiques et religieuses, et quatre siècles après, ça a changé l'Empire romain. La Révolution française, petit groupe. De gens qui étaient un peu à l'intérieur, on va dire les bourgeois. Mais ils n'avaient pas le pouvoir. Ce n'étaient pas les aristocrates. Ils n'avaient pas le pouvoir. Et ils ont décidé que ça suffisait. Et ils ont déclenché une révolution. La révolution russe, c'est pareil, c'est un coup d'État d'une minorité. Les bolcheviks, les mensheviks, ce n'est pas le peuple russe qui descend dans la rue, contrairement à ce qu'on raconte. Bref, à chaque fois, c'est des minorités qui ne sont pas satisfaites de l'état du monde et qui veulent profondément le changer. Et ces minorités, dès lors qu'elles dépassent, on dit, le seuil des 10%, c'est-à-dire que dès qu'elles contaminent l'élite... Il y a bascule. C'est ce qui s'est passé avec la chute de l'Empire romain. Il y a eu une guerre civile entre les polythéistes et les monothéistes, parce que l'Empire romain était polythéiste avant le christianisme, et il est devenu monothéiste. Et ça a changé les contours de l'Empire. Et un jour, Constantin décide d'en faire une religion monothéiste, religion d'État, et puis derrière on a l'Empire chrétien romain. C'est incroyable ce qui s'est passé, mais c'est exactement la même chose en ce moment. C'est qu'on a une minorité de gens qui ne veulent plus aller travailler dans des entreprises climaticides, polluantes, destructrices. Une minorité de jeunes qui font des études supérieures et qui n'ont plus envie d'aller. dans ce modèle économique, ont plus envie de s'y retrouver. On en parle moins en ce moment, mais ils sont quand même là, les bifurqueurs, les déserteurs, etc. Alors ça fait grincer des dents, ça fait couiner un peu dans les chaubillards et les entreprises. Mais ils nous disent quoi ? Ils nous disent, nous, on voudrait un autre monde. Un monde qui... prend soin de la nature, qui régénère, qui prend soin du climat, qui prend soin de nous. Et donc, ils ne sont pas contre le travail, ils sont contre ce qu'on en fait aujourd'hui, ou ce pour quoi on les mandate. Et donc, il y a quelque chose qui frémit, qui est en train de se passer, et on n'est pas encore à 10%, mais je pense que d'ici, dans les 20 prochaines années, on aura une bascule, parce que plus l'environnement se dégrade, plus le climat se dégrade, plus on va payer les conséquences concrètes de ça, plus il y aura une contre-réaction. Et là, on est en train de s'accélérer, cette contre-réaction. C'est-à-dire qu'il faut arrêter de voir l'histoire comme étant des marges de 10 cm qu'on monte. C'est pas linéaire l'histoire, c'est exponentiel. Donc il y a un phénomène d'accélération. Et là on est en pleine accélération. L'élection de Trump en est un exemple. Parce que plus le monde change, plus le tapis se retire sous le pied de certaines élites, plus ils se raidissent. Et plus ils deviennent violents. Et donc, ce n'est pas un hasard. Et on aura peut-être des régimes autoritaires et violents en Europe quelques années. Mais ce n'est pas une finalité.

  • Florence Gault

    Yannick Roudot, alors comment repenser notre société ? Vous proposez de passer de l'économie extractive à une économie régénérative. Est-ce qu'elle est nécessairement décroissante ?

  • Yannick Roudaut

    En fait, la décroissance, il faut redéfinir le mot. On parle de quoi quand on parle de croissance ? On parle de croissance du PIB, du produit intérieur brut. Et comme disait Kennedy, le PIB ne mesure rien sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Il ne mesure pas le regard des enfants, il ne mesure pas la joie, il ne mesure pas l'état de notre système de santé. Il ne mesure rien d'intéressant, le PIB. Et dans le PIB aujourd'hui, on mesure la destruction des forêts, on mesure la bétonisation des sols, on mesure les tonnes de CO2 rejoint l'atmosphère parce que plus on brûle de pétrole et d'essence, plus les voitures tombent. Donc c'est bon pour le PIB. Donc c'est complètement absurde. La croissance du pb n'a pas de sens et après ça me permet de redéfinir qu'est ce qu'on entend par décroissance. Alors le mot du coup n'est pas peut-être bien choisi parce que décroissance une amputation, les gens ne veulent pas être amputés. Mais une décroissance ça veut dire quoi ? Ben moi je suis pour la décroissance des énergies fossiles qui peuvent être et pour la croissance d'énergie alternative qui ne pollue pas je suis pour la croissance d'une agriculture propre saine de qualité à des prix raisonnables et pour une décroissance d'une alimentation on va dire pleine de pesticides de molécules dangereuses chimiques sont pas bon On est tous d'accord en fait. Sauf qu'on passe notre temps à opposer les croissants et les décroissants, sachant que la décroissance, c'est juste une transformation transitoire. C'est le temps qu'on aboutisse à autre chose. Ce que Timothée Parry, dans Les Utopiennes, appelle l'économie du contentement. Le but, c'est que dans 15-20 ans, on ait bâti un modèle. ...économiques qui contentent les besoins quotidiens des individus. Et ils sont très variables selon les individus, donc ça laisse une liberté. C'est pas de la planification communiste, il y a une liberté au sein du cadre. Mais par contre, il y a un cadre figé qui est le cadre planétaire. La planète ne peut pas continuer à être détruite, malmenée, souillée éternellement. Et c'est pour ça que les choses vont s'arrêter. C'est comme disait les indiens Kogui, à votre avis, qui va gagner ? Pas chamama, la mama, ou nous les humains ? On connaît le résultat. La Terre s'en sortira toujours. L'humanité peut-être pas.

  • Florence Gault

    Et alors ça, comment on s'y prend dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui ? C'est quoi les étapes ?

  • Yannick Roudaut

    Les étapes, c'est un, agir à son niveau, au premier temps. Deux, essayer d'emmener des gens dans son entourage, si c'est possible. Et puis se laisser surprendre par l'inattendu. Mais c'est parce qu'on agit que l'inattendu surgit. Il n'y a pas de nulle part l'inattendu. Il surgit parce que des êtres humains se sont mis en mouvement. Donc l'action crée les conditions du surgissement d'un événement inattendu qui nous fera bifurquer. Mais il n'y a pas de plan, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de feuille de route. Et c'est ça qui déstabilise les gens, une feuille de route précise. Il n'y en a pas. Je ne sais pas quelles seront les tempêtes, quelles seront les canicules dans les prochaines années. Par contre, je sais que si je ne fais rien, ce sera difficile de boire et de manger. Donc aujourd'hui, il faut s'organiser sur l'agriculture, sur la gestion de l'eau, sur les minerais, sur tout ce qui va être essentiel dans les prochaines années. C'est là où on peut travailler. travailler. Mais après, ce qui arrivera, ça sera à l'affronter. Il faut se préparer, en tout cas. Et ça passe d'abord par un changement d'état d'esprit qu'on appelle la métanoïa en grec, c'est-à-dire transformer l'esprit avant de transformer le corps social.

  • Florence Gault

    Alors, dans l'approche économique de la société actuelle, vous proposez justement, pour mettre en place cette transition, de mettre en place une triple comptabilité, à la fois un bilan financier, un bilan social. Et un bilan environnemental qui, finalement, nous permettrait d'avoir une vision un peu plus complète de la valeur réelle d'un produit ou d'une activité, et qui sortirait, justement, uniquement de la démarche commerciale qu'on peut connaître aujourd'hui.

  • Yannick Roudaut

    Alors, l'idée de la triple comptabilité, elle n'est pas de moi. Elle date d'une vingtaine d'années. Il y a des experts comptables qui travaillent dessus. Il y a des chairs de recherche. Mais l'idée, c'est quoi, en fait ? C'est de partir du postulat que les objets qu'on achète, les aliments qu'on consomme, ne sont pas à leur juste prix, parce qu'ils ne prennent pas en compte... La dégradation sociale. Qui ramasse les légumes dans une serre à Almeria, dans le sud de l'Espagne ? Dans quelles conditions il est payé, cet homme ou cette femme ? On sait très bien comment ça se passe, parfois. J'ai envie de dire souvent. Ce n'est pas toujours des conditions sociales de travail respectables. Deux, donc ça, ce n'est pas dans le prix du produit. Deux, ce qui n'est pas dans le prix du produit, c'est la dégradation de l'environnement. Si on utilise des pesticides, les polluants étaient... dont on parle beaucoup en ce moment, qui tuent, mais qui détruisent aussi les sols, la qualité de l'eau. Et ça, qui va réparer ? Ce n'est pas dans le prix du légume. Et donc, reconsidérer la valeur et reconsidérer les prix, c'est mettre dans la constitution du prix les impacts humains, les impacts environnementaux et les ressources nécessaires, matières premières, énergie, etc. pour transformer et transporter le produit. Et là, on aurait un vrai prix. Et on se rendrait compte de quoi ? On se rendrait compte que la pomme sud-africaine qui est importée en Europe, elle est beaucoup trop chère par rapport à une pomme française. Bah oui, c'est une évidence quand on change le prisme du prix. Sauf qu'on est encore à un prix amputé, où il y a juste les matières, le transport et le coût de la transformation. Mais l'impact humain, l'impact environnemental, on s'en fiche pour l'instant dans l'économie capitaliste néolibérale. Il va falloir changer les clés de cette économie. C'est pour ça que la compta, la façon d'apprécier un objet ou un service, ça va être déterminant dans notre regard sur le monde. Et ça change toutes les bases de l'économie. Donc on en revient là. L'idéologie, c'est une chose. Mais si la comptabilité n'évolue pas, on se heurte à un mur. Il faut vraiment que la compta bouge.

  • Florence Gault

    Ça, c'est possible avec l'organisation de notre modèle économique, du fonctionnement des entreprises. Est-ce que ça a déjà été mis en place ? Ça marche ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a des entreprises qui l'expérimentent, la triple compta dans l'Ouest de la France. Il y a l'association Rupture, dirigeants responsables de l'Ouest qui sont des gens engagés, qui expérimentent la triple compta avec la Banque de France et des experts comptables. Donc ça existe. Je n'ai pas dit que c'était facile, mais ils expérimentent. Ils essaient de voir comment on peut le transposer concrètement. dans les comptes, première chose. Et deuxième chose, à l'aune. D'un événement financier grave, je parle souvent du grand krach financier qui nous attend si on ne bouge pas, c'est-à-dire l'effondrement généralisé des banques et des marchés, il faudra bien rebâtir quelque chose de nouveau. Et on fera comme en 40, comme en 45, c'est après des conflits qu'on prend des grandes décisions. C'est après 1918 qu'on donne le droit de vote aux femmes, c'est en plein flashisme qu'on a les congés payés. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale qu'on crée la sécurité sociale. Malheureusement, oui, il faut peut-être un effondrement financier qui sera socialement très coûteux. Parce qu'il ne faut pas se leurrer quand les bourses s'effondrent, ça fait mal. Mais c'est peut-être à ce moment-là qu'on construira un modèle comptable compatible avec les enjeux planétaires. Tout est possible. Je ne sais pas quand ça arrivera, mais ça finira par arriver.

  • Florence Gault

    Alors bienvenue en 2044, il y a des bonnes nouvelles qui nous arrivent du futur, c'est ce que vous montrez avec les Utopiennes 2044 que vous venez de publier au sein de votre maison d'édition La Mer Salée. Comme les Utopiennes 2043, vous explorez des futurs utopiques à travers une série de récits écrits depuis la perspective de personnages de l'année 2044, un livre finalement qui vise à proposer une vision un peu positive, un peu radicale de l'avenir.

  • Yannick Roudaut

    L'idée c'est d'enjamber les obstacles. C'est-à-dire que quand on dit aux gens, et je le vois beaucoup quand je vais en entreprise, on est en 2024, on leur demande d'imaginer 2040, ouf, ils voient que du sombre. Parce qu'ils voient les obstacles quotidiens, ils voient l'élection américaine, ils voient la résurgence du fascisme en Europe, etc. Ils voient l'effondrement écologique, donc ils peuvent pas imaginer quelque chose de positif. Il y a un obstacle qui est trop dur à franchir. Donc nous, l'idée c'est d'enjamber l'obstacle. On est en 2044, on est dans 20 ans. Ou on est en 2043. Voilà, le monde souhaité est advenu. On ne dit pas comment ça s'est passé, pas tout de suite, mais on projette les gens. Et alors on demande de regarder, d'ouvrir les yeux, fermer les yeux quelque part, d'ouvrir le livre et de se réveiller. On est dans 20 ans, on regarde comme c'est bien. Le monde du travail a changé, l'agriculture a changé. changé, le microbiote des sols est devenu la norme, on soigne les sols comme on soigne notre microbiote intestinal, il y a des nouveaux métiers, il y a des accordeurs d'éoliennes en bois, il y a plein de choses. Et en fait, ça permet tout de suite de se transposer dans quelque chose qui est vraiment nouveau, parce que c'est utopique, en ce sens que ça n'a pas encore de lieu, ça ne veut pas dire que c'est irréalisable. Et la force de l'utopie, c'est que quand on emmène les gens dans ce futur, En fait, ils nous disent tous, mais ça paraît possible en fait. En fait, j'aime bien ça, en fait c'est possible. Bah oui c'est possible, sauf que tu ne te l'étais pas autorisé parce que tu as vu que les obstacles. Donc d'enjamber les obstacles, ça ouvre le champ des imaginaires et ça permet de montrer aux gens qu'un autre monde est possible que d'autres. monde sont possibles et que rien n'est écrit et c'est pour ça qu'on fait cet exercice on est extrêmement lucide avec sandrine parce que ça fait plus de 25 ans qu'on travaille sur le sujet mais ça nous empêche pas d'enjamber obstacle et de rêver parce que toutes les grandes ruptures dans sur l'humanité, ce sont des rêveurs. J'ai souvent un dirigeant d'entreprise, parce que je les côtoie beaucoup, si vous ne laissez pas la place à des utopistes dans votre entreprise, mais qu'est-ce que vous allez inventer ? Vous allez vous entourer de gestionnaires. Ils vont gérer, ça, ils vont bien gérer, mais ils ne vont rien inventer. Les grandes innovations, ce sont des utopistes. Donc il faut rêver fort, très très fort.

  • Florence Gault

    Alors, en préparant cette interview, je vous ai demandé de choisir un extrait des utopiennes. Lequel vous avez choisi ?

  • Yannick Roudaut

    Je vais lire peut-être deux, trois lignes de la prose de l'amour et du handicap. Donc c'est un texte de Nicolas Houguet qui est un jeune garçon qui vit en fauteuil et qui se projette dans un monde où le handicap n'est plus un problème. Parce que comme dit Nicolas, moi ça me touche beaucoup dans son texte, c'est que plusieurs fois il est resté dans la porte de l'immeuble s'il ne pouvait pas monter. Quand il est allé au restaurant avec sa compagne, on ne le regarde pas. La personne qui accueille au restaurant regarde uniquement la personne debout, ne regarde jamais la personne en fauteuil. Des choses comme ça qui sont affreuses et que lui ne comprend pas. Ou acheter une baguette de pain tout seul, vivre seul. Parce que Paris, en fauteuil aujourd'hui, c'est impossible de prendre le métro. Il n'y a même pas d'ascenseur à toutes les stations de métro. Donc ça c'est un texte qui m'a beaucoup touché. Je vais juste lire quelques phrases parce que je laisserai découvrir. Voilà, je vais commencer là. Je n'étais pas vraiment de ce monde et chaque marche un peu haute me rejetait légèrement. Longtemps, j'ai attendu devant des portes closes, je regardais la route en m'appliquant à glisser sur les regards qui me faisaient trop mal. J'ai relevé les yeux, me suis vengé de mon soeur pour t'aimer bien en face, décidé de vieillir. Et puis un jour, sur la place de la gare, à côté de chez moi, j'ai pu acheter de quoi faire nos repas, connaître le prix d'une maguette, d'une ampoule à changer, le quotidien avait été conquis. Boah !

  • Florence Gault

    Ce genre de projection, l'utopie, elle est là justement pour contrebalancer la résignation face aux défis écologiques et sociaux actuels ?

  • Yannick Roudaut

    Oui, pour moi la résignation n'est pas une option rationnelle. Se résigner, ça veut dire qu'il n'y a pas d'inattendu. Alors que la raison, la logique veut qu'on croit en l'inattendu. Donc on ne peut pas se résigner, première chose. Et deuxièmement, ce genre de projection, ça permet à des gens de prendre conscience. du présent. Parce que quand on lit le texte de Nicolas Huguet sur le handicap et sur ce qu'il vit avec son fauteuil au quotidien, ce qu'il vivait en 2024 et ce qu'il ne vit plus en 2044, on se dit waouh, quand même, on ne se rend pas compte On se met à sa place, et c'est extrêmement important d'être à sa place, et c'est pour ça qu'on fait ces textes aussi. L'an dernier, on avait publié un texte sur le handicap aussi de Riyad Salem, qui est un de nos champions olympiques par Olympique. Et Riyad, j'avais eu au téléphone, il m'avait dit tu te rends compte Yannick, en 2023, on mettait des prothèses couleur chair aux gens, parce qu'il ne fallait pas qu'elles se voient Très juste. Et en 2043, les prothèses, elles sont fluo, roses, taguées, elles sont belles, lumineuses, elles clignotent. Ben oui, pourquoi pas ? Voilà, c'est à ça que ça sert ces textes-là. À interpeller et à prendre conscience de l'absurdité de nos raisonnements qu'on estime comme étant normaux et acquis. Non, non, non, ça peut changer. Rien n'empêcherait aux personnes qui ont acquis mon carment d'avoir des prothèses de couleur. Et pourquoi pas ?

  • Florence Gault

    Alors moi, j'ai choisi un extrait de Cora, là où naît l'information libre, écrit par Juliette Keff, qui est journaliste, cofondatrice du Médiavers, donc sans grande surprise au vu de mon profil. Mais je trouvais que c'était intéressant qu'on puisse l'évoquer ensemble, puisque vous-même, vous avez été journaliste. Je vous en lis un extrait. Ces derniers mois, les effets des crises écologiques se sont encore accentués. Il faut toujours trouver de nouvelles manières d'en parler, d'alerter sans traumatiser, de permettre à toutes et tous de comprendre et d'agir, de mettre dans le débat public les vraies et les fausses solutions. En ce moment, Rachel et Myriam investiguent sur la désalinisation de l'eau de la mer Méditerranée dans une giga-usine près de Perpignan. Elles se sont rendues en Espagne et au Maroc pour comprendre ce qu'il était advenu de ces monstres des mers qui écumaient du sel subitement. abandonnées. Devant l'Agora, elles témoignent de leurs aventures lors de cette enquête et des fils qu'elles ont pu tirer. Les réactions sont enthousiastes, les lecteurs et lectrices en veulent plus. Ce rôle des médias, Yannick, je pense que en tant que journaliste, vous l'avez expérimenté. Là, on voit à quel point la question des solutions est primordiale. C'est moi ce que j'essaie de défendre avec en un battement d'ailes et l'approche du journalisme de solutions. Aujourd'hui, c'est effectivement nécessaire, vital, si on veut, d'une part, que les gens continuent de s'informer, et puis montrer que d'autres voies sont possibles.

  • Yannick Roudaut

    Oui, il faut absolument du journalisme qui montre à chaque problème des solutions ou une solution. Moi, mes filles, je les ai toujours élevées en leur disant, il y a ce problème-là, mais regarde ce qu'on peut faire aussi. Pour toujours leur donner la solution possible. Ce qui fait que mentalement, il n'y a pas cette... Il n'y a pas cette... Cette faillite, c'est-à-dire ce renoncement, elle part du principe que oui, il y a un problème climatique, mais il y a des solutions, mes parents m'en ont parlé, donc on peut faire autrement, que ce soit la frugalité, que ce soit une façon de mieux gérer l'eau, etc. Donc ça, c'est extrêmement important. Et puis l'autre chose que le journalisme doit travailler, c'est cette culture générale sur les questions d'écologie pour pouvoir répondre aux climato-sceptiques. Moi, je suis sidéré de voir des plateaux de télévision où on laisse la porte ouverte à quatre climato-sceptiques, plutôt des mâles blancs dominants classiques. Vous voyez ce que je veux dire ? et qui balancent des absurdités tout le temps, et en face, il n'y a aucune réponse. Et les journalistes continuent à dérouler des questions, et il n'y a pas de répondant. C'est catastrophique. Il faut absolument avoir des gens qui ont du répondant, qui soient capables de dire, mais quelle est votre source ? Comment pouvez-vous dire ça ? Qui peuvent argumenter ? Et c'est là où la formation des journalistes est très importante sur tous ces sujets. Donc il y a les solutions, mais il y a aussi une formation économique et écologique très très solide que tout le monde devrait avoir dans le journalisme.

  • Florence Gault

    Et puis l'intérêt aussi de repenser l'approche journalistique, de pouvoir aussi ouvrir de nouveaux imaginaires, que ce soit à la fois dans ce qui est proposé dans les médias, mais aussi dans la culture, dans la littérature. Et donc c'est ce que vous faites avec la mer Salée. L'objectif, c'est justement de permettre à ces nouveaux imaginaires, à ces nouveaux récits d'exister. À quel moment l'intuition est apparue pour la mer Salée ?

  • Yannick Roudaut

    Il y a dix ans, on a créé la mer salée en publiant des essais engagés. Et puis dans les années 2017-2018, on s'est dit que les essais, c'était bien, mais il fallait aller vers des romans, des romans utopiques, parce qu'il n'y en avait pas beaucoup. On avait du mal à en trouver. Et parce qu'on est persuadé que la fiction fait la réalité et que le rôle de la fiction est très important. Et qu'aujourd'hui, les fictions, que ce soit sur les plateformes de distribution de séries, les cinémas, les livres, sont assez glauques, assez dark, assez sombres, assez dystopiques. Et on s'est dit, si personne ne le fait, on va le faire. Donc on a commencé et j'espère qu'on va être suivi par beaucoup de monde parce que ça voudrait dire qu'il y a un marché qui se crée. Mais nous, l'idée, c'est vraiment d'ouvrir ce segment de récits utopiques. C'est-à-dire qu'en 2050, on peut décrire un couple, la vie d'un couple, mais sur fond d'une économie qui a changé, d'un monde qui a changé. C'est-à-dire que l'idée, ce n'est pas de publier uniquement des histoires où on a réussi à lutter contre le dérèglement climatique. Non, on peut le mettre en toile de fond comme étant acquis. Par exemple, l'autre jour, je voyais un film américain et ça me surprenait parce qu'il prenne tout le temps l'avion. pour se déplacer, pour aller l'une ville à l'autre. Et même en Europe, ils prennent rarement le TGV. Et en fait, il faudrait que le train soit systématiquement... Qu'on ait des héroïnes qui ne mangent plus de viande, qui mangent végétarien, par exemple, qu'ils aient une maison très simple, qu'ils soient bricoleurs, low-tech. Et ça, rien que de changer l'enveloppe dans laquelle se déroule l'histoire, ça change tout. Parce que si c'est toujours extrêmement branché et bien vu d'avoir une grosse voiture qui pollue en centre-ville et d'être tout seul dedans, et que c'est trois tonnes de déchets sur roue, On est mort. Il faut que ça devienne complètement has-been. On dit toujours, tu veux changer le monde, il faut le démoder. Donc il faut le démoder par les récits, et le démoder par les codes sociaux, il faut changer les valeurs en fait. Et ça, la fiction peut le faire.

  • Florence Gault

    Alors vous présentez la Mer Salée comme maison d'édition semeuse d'utopie pour un monde audacieux, respectueux des êtres et du vivant. Donc l'idée c'est de rendre ces idées contagieuses. Mais vous le faites aussi dans la construction même de la maison d'édition. Vous êtes dans cette démarche respectueuse des êtres et du vivant. Vous avez donc toute une charte. Oui, oui. On pourrait rentrer vraiment dans le détail, mais vous essayez de faire en sorte de façonner, imprimer vos livres plutôt en France, en local, à proximité de chez vous, non ? Oui,

  • Yannick Roudaut

    à moins de 100 kilomètres. Tout est fait à moins de 100 kilomètres. C'est-à-dire que les livres sont produits, imprimés, mis en page, les couvertures sont créées en local. Tout est en local. Ça nous coûte plus cher. C'est une contrainte, mais on ne peut pas faire autrement. Parce que je n'imagine pas porter un contenant engagé et avoir un contenu qui ne l'est pas. Alors, à nous de trouver un équilibre économique. Oui, nos livres, ils sont comme tous les autres livres. Le papier a pris 40% ces dernières années. On est obligé de les vendre plus cher. Au lieu de 20, on va les vendre 21. On n'a pas le choix. C'est comme ça. Mais sinon, c'est quoi ? C'est délocalisé en Asie ? Non, ça, on ne veut pas. Donc, on ne le fera pas. Ou imprimé en Europe centrale. Moi, je n'ai pas envie. D'autres le font. Mais chacun fait ce qu'il peut et ce qu'il veut. Il n'y a pas de jugement. Mais nous, c'est le parti pris qu'on a. Et on veut que ça reste local dans la conception.

  • Florence Gault

    Vos encres sont créées à base d'huile végétale, imprimées sur du papier issu de forêts européennes gérées durablement. Vous ne pratiquez pas le pilon ni la surproduction. Ça, on peut peut-être dire un mot, parce que je pense que ce sont des choses qu'en tant que lecteur, lectrice, on ne sait pas forcément.

  • Yannick Roudaut

    Non, les gens ne se rendent pas compte qu'en France, il y a des millions de livres tous les ans qui sont détruits neufs avant même d'avoir vu une étagère. C'est ce qu'on appelle le pilon. Je donne un exemple, je suis éditeur, je vais imprimer 5000 livres. Tater le marché. Pas de chance, ça marche pas. Il y en a 4500 qui me sont renvoyés par les libraires, parce qu'ils n'ont pas réussi à les vendre. Ils me sont renvoyés en tant qu'éditeur, j'ai 4500 livres sur les bras. Qu'est-ce que j'en fais ? Dans 99% des cas, les éditeurs les détruisent ces livres. Ils les pilonnent, on appelle ça pilonner. Ils sont détruits. Une partie sera recyclée, mais pas tous, les couvertures. Avec le vernis, c'est pas toujours facile à recycler. Bref, il y a une grosse destruction de livres, beaucoup de papiers. Et c'est un sujet un peu tabou dans le monde de l'édition, bien sûr. Donc nous, on a des sites... de ne pas faire de pilon. On reprend tous les livres et on les donne à des étudiants, on les donne à des associations, on les revend quand ils sont revendables. On essaie de trouver une nouvelle vie pour le livre. Ce n'est pas toujours facile. Là, j'ai des stocks de livres, certains, j'essaie de les revendre à des associations à des prix pas trop chers, mais pour qu'ils vivent. Mais voilà, c'est notre travail, mais on ne veut pas pilonner.

  • Florence Gault

    Et alors, est-ce qu'avec tout ça, avec cette démarche, est-ce qu'on arrive à en vivre ? Est-ce qu'on arrive à aller au bout de la démarche et à faire en sorte que ça fonctionne ?

  • Yannick Roudaut

    Pour l'instant, ce n'est pas rentable. on survit grâce à des aides de mécènes de philanthropes de l'Etat, parce qu'il y a l'ADEME qui nous soutient il y a la région Pays de Loire qui nous soutient le Centre National du Livre qui nous soutient nos lecteurs qui nous soutiennent, les libraires etc donc ça c'est très important, pour que ça soit viable il faut vendre beaucoup beaucoup de livres et donc nous on est en phase d'accélération et on espère atteindre le seuil de rentabilité dans les prochains mois ou les prochaines années c'est l'objectif ouais un bel objectif pour finir Yannick Roudot Merci

  • Florence Gault

    Un mot sur, je ne sais pas, ce monde de demain, comment vous le percevez ? Peut-être offrir une petite lueur d'optimisme ou d'espoir à celles et ceux qui peut-être se disent que ce monde, il n'est pas facile.

  • Yannick Roudaut

    Moi, je suis persuadé qu'en 2050, on vivra mieux qu'aujourd'hui parce qu'on travaillera moins, on consommera moins, on vivra mieux, plus de temps pour soi et on sera beaucoup plus proche du vivant, de la nature. Et c'est la nature qui soigne, c'est la nature qui apporte du bien-être. Notre psyché est connectée au vivant. Et ça, on va le redécouvrir, c'est en train de se faire. Donc, je suis assez confiant pour les 2050. Après, 2020, 2030, les prochaines années, oui, elles sont un peu compliquées. Il faut les aborder avec courage.

  • Florence Gault

    Un grand merci pour cet entretien.

  • Yannick Roudaut

    Merci.

  • Florence Gault

    Bon, je ne vais pas vous mentir, notre échange aurait pu durer deux à trois heures. Il y a une foule de questions que je n'ai pas eu le temps de lui poser, mais on s'est dit qu'on donnerait une suite à cette interview. De cet échange, je garde l'idée de ne pas avoir peur du futur, car on ne sait jamais ce qui peut arriver, et que l'improbable peut surgir à tout moment, à condition, comme nous y invite par exemple Rob Hopkins, l'initiateur du mouvement des villes en transition, à libérer notre imagination. Alors pour rêver à un futur souhaitable et désirable, je vous invite à lire "Les Utopiennes 2044", cela fera en plus un très joli cadeau de Noël. Un épisode rendu possible grâce au soutien de Mathieu, Émilie et Mathilde.

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