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Entrelacs - grandir, s'épanouir et se réjouir - le podcast de la transition écologique et sociétale

#67 Une architecture pour habiter le monde ensemble, avec Mathias Rollot

#67 Une architecture pour habiter le monde ensemble, avec Mathias Rollot

45min |22/12/2024
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#67 Une architecture pour habiter le monde ensemble, avec Mathias Rollot

#67 Une architecture pour habiter le monde ensemble, avec Mathias Rollot

45min |22/12/2024
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Description

Comment habiter le monde ensemble, aujourd’hui ? C’est la question avec laquelle je suis allée à la rencontre de Mathias Rollot.

Matthias Rollot est architecte, enseignant, chercheur.et auteur.

Dans cet épisode, Mathias nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde, une architecture que tout le monde peut s’approprier.

  • Une architecture biorégionale au sens où elle est pensée, créée, tissée avec ceux qui sont là au même endroit au même moment.

  • Une architecture biorégionale en ce sens qu’elle est pensée depuis la nature, en tentant de tenir compte de son point de vue et pas seulement de l’intérêt des humains. C’est une architecture qui tente de se défaire de l’anthropocentrisme : une écologie locale, populaire, située dans un lieu, consciente de son impact sur le milieu, du type de sol, du climat, des pollutions présentes..

Il s’agit de devenir « autochtone », c’est-à-dire, concrètement, d’être de la terre qu’on habite, d’appartenir à ce territoire, sur une terre qui peut changer, se transformer, devenir.

Mathias Rollot nous parle aussi, ici, d’une architecture décolonalisée, en ce sens qu’elle sort de la grande logique de la domination. C’est une architecture utile, fertile, qui permet d’habiter le monde ensemble…


Parmi les livres les plus récents de Mathias Rollot

  1. Décoloniser l’architecture, paru aux éditions Le Passager Clandestin en 2024

  2. Qu’est-ce qu’une biorégion ? Ouvrage co-réalisé avec Marin Schaffner et Emmanuel Constant, paru aux éditions Wildproject (2021, réédité en 2024)

  3. Les Territoires du vivant, Un manifeste biorégionaliste, paru initialement aux éditions François Bourin, réédit aux éditions Wildproject (2018 puis 202)  https://wildproject.org/livres/les-territoires-du-vivant

Le site de Mathias Rollot https://mathiasrollot.work/


Musique : Tella, Amel Brahim Djelloul et Lik, Oum, morceau choisi par Mathias Rollot, avec l’autorisation de la SACEM.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Soyez toutes et tous les bienvenus sur Entrelacs, le podcast qui tisse de liens pour réconcilier les humains avec les vivants en eux, autour d'eux. Si les ressources terrestres sont limitées, il existe cependant des espaces sans limites, une immensité à portée de cœur et de main. L'infinie richesse est dans nos liens. C'est cette richesse-là, Cette immensité-là que j'ai envie de révéler et de partager avec vous. Comment habiter le monde ensemble aujourd'hui ? C'est la question avec laquelle je suis allée rencontrer Mathias Rollot, qui est architecte, enseignant-chercheur et auteur. Dans cet épisode, Mathias Rollot nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde. Une architecture qui n'est pas seulement celle des puissants, mais que tout le monde peut s'approprier. Une architecture biorégionale, en ce sens qu'elle est pensée, créée et tissée avec ceux qui sont là, au même endroit, au même moment. Une architecture décolonalisée, en ce sens qu'elle sort de cette logique de domination. Une architecture utile, fertile, qui permet d'habiter le monde ensemble. Chère auditrice, cher auditeur, cet épisode et ce podcast sont pour toi. Je te souhaite une bonne écoute, je te laisse entrer là. Sache que cet épisode est en deux parties. Vous pourrez donc écouter la suite la semaine prochaine où nous continuerons d'explorer les logiques de domination, les exemples de ce qui se fait, de ce qui fonctionne aujourd'hui, les difficultés auxquelles on achoppe et puis les solutions qu'on trouve ensemble, pas à pas. Mathias, je vous remercie beaucoup d'être avec moi et avec nous aujourd'hui sur le podcast Entrelacs. On va parler d'architecture et de comment l'architecture change le monde ou comment elle impacte le monde. Et puis, on va explorer ces sujets au-delà de l'architecture. On va parler de biorégionalisme, de décroissance, de décolonisation de l'architecture. Tout ça va être clarifié dans quelques minutes. Est-ce que, juste avant qu'on explore ces sujets-là, vous voulez vous présenter rapidement ?

  • Speaker #1

    Oui, je vais me présenter. Merci beaucoup de me recevoir. Je vais dire deux mots. Comment on peut dire deux mots sur soi ? Je suis architecte de formation et puis aussi de métier. J'ai pratiqué quelques années avant de me consacrer à l'enseignement et à la recherche en architecture. Aujourd'hui, je suis maître de conférence à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble et chercheur dans un laboratoire qui s'appelle le Cresson. Et j'ai une pratique d'écriture et de traduction et d'édition, principalement dans la recherche autour des questions d'architecture, à l'ère écologique et au regard des problématiques sociales, écologiques et sociales qui traversent nos sociétés. Je m'interroge sur la capacité de l'architecture à réagir à ces questionnements-là et même peut-être à être un outil pour aider à les traverser.

  • Speaker #0

    Si l'architecture peut être un outil, c'est quoi une architecture qui est utile au monde ? C'est quoi déjà cet outil qu'est l'architecture et comment est-ce qu'elle peut être utile au monde de votre point de vue ?

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est déjà une vraie bonne question. De quoi on parle quand on parle d'architecture ? Parce qu'il y a plein de façons de définir ce mot-là. J'ai l'habitude de dire que dans d'autres domaines, c'est plus clair. Par exemple, dans le cinéma, on fait des films. alors que dans l'architecture, on fait de l'architecture. Il y a déjà un flou de départ qui fait que on ne sait pas bien de quoi on parle. Si le mot architecture renvoie à un édifice construit, s'il renvoie à une discipline avec des savoir-faire, s'il renvoie à une communauté avec des architectes, avec des sociétés, avec des métiers, ou s'il renvoie peut-être encore plus largement que ça à tout ce qu'on fait quand on commence à configurer l'espace, à configurer le monde. à s'approprier un lieu ? Est-ce que ce n'est pas un peu déjà de l'architecture ? Quand bien même si elle est ce que certains collègues appellent situationnelle, quand bien même c'est juste une situation, déplier une serviette sur une plage, à un endroit plutôt qu'à un autre, et puis tasser un peu le sable pour y être confortable, et puis peut-être mettre son parasol pour qu'il nous fasse de l'ombre sur la tête, mais pas sur les pieds, etc. C'est déjà configurer une situation qui, à plein d'égards, peut être appelée faire de l'architecture. Et suivant comment on va choisir de définir cette architecture au sein de toutes ces possibilités-là. évidemment, on n'obtient pas le même genre de réponse à la question. C'est-à-dire que si on dit que l'architecture, c'est juste des édifices qui ont été conçus par des architectes, évidemment, à quoi est-ce que ça peut être utile ? À qui ça peut être utile, plutôt ? Ça peut être utile, sans doute, à plein de gens. Mais on ne parle plus du tout de la même chose que si on se dit en quoi c'est utile de... pas mettre sa serviette n'importe où sur la plage, de mettre le parasol plutôt du côté du soleil, etc. Donc à la fois, moi, j'aurais envie de poser la question de utile à qui et à quoi, et puis aussi de quoi on parle quand on parle d'architecture. Et je crois que plutôt que de dire comment il faut répondre ou comment il faut comprendre ces mots, j'aurais envie d'inviter chacun à se poser la question de comment il et elle ont envie de répondre. En fait, il y a une liberté. On a une liberté de définition des mots, on a une liberté de redéfinition des mots, et puis surtout, on a une liberté de placer les choses au service de ce qu'on veut. Donc, quand bien même l'architecture, c'est vrai, historiquement, ça a été ce qu'ont fait les architectes, et ça a été utile plutôt au pouvoir, au dominant, à l'impérialisme, et bien ça ne veut pas dire que c'est condamné à rester comme ça, et que peut-être on peut aussi en faire autre chose, on peut choisir de changer les choses et le cours de l'histoire. et de mettre une architecture qui est redéfinie de façon un peu élargie au service de beaucoup plus que juste la domination.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'on n'a souvent pas l'impression, en tout cas quand on pense à domination, on ne pense pas tout de suite à l'architecture. Quelques idées me viennent à l'esprit en vous écoutant. Je ne sais pas si c'est ce que vous avez en tête ou pas. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques exemples ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que l'architecture classique, néoclassique, l'architecture historique, ce qu'aujourd'hui on appelle le patrimoine, finalement dans sa grande majorité en tout cas. C'est des palais, c'est des temples, c'est des châteaux, c'est des arcs de triomphe, c'est des basiliques. En fait, c'est toujours des formes de cristallisation d'un pouvoir, c'est-à-dire c'est la solidification d'un pouvoir en place. C'est non seulement sa glorification, mais c'est aussi l'outil qui lui permet d'être ce pouvoir. C'est évidemment un château, un seigneur sans son château, ce n'est pas grand-chose. une église, quelle que soit la religion, sans ses bâtiments religieux, n'a pas la même puissance sociale. C'est pas pour rien que les églises, c'est toujours le sommet le plus haut du village. Enfin, voilà, il y a aussi une recherche un peu symbolique de visibilité spatiale, d'impression, d'impressionner. Et l'architecture, c'est vrai qu'elle impressionne. Enfin, je pense que c'est des réflexes assez... partagés à l'échelle de la planète, je n'ai pas envie de dire universalistes, surtout pas, mais enfin partagés assez largement. Quand on rentre dans un grand volume architectural, quel que soit le style, l'époque et le lieu, ça fait quelque chose au corps. On lève la tête, le son est différent, peut-être ça résonne, peut-être c'est très sombre ou très lumineux, on est attiré par cet espace-là. Et cette puissance-là de l'expérience spatiale, c'est sûr que c'est quelque chose qui a été utilisé. Ça peut être utilisé par l'art dans un musée, mais ça peut aussi être utilisé, évidemment, dans un château ou un palais pour montrer toute la puissance et la richesse et impressionner le visiteur.

  • Speaker #0

    On a aussi d'autres formes d'architecture. On a aussi des bidonvilles ou des petits villages, alors qu'ils sont peut-être moins pensés, quoique. Du coup, vous avez quel regard sur ces architectures-là ?

  • Speaker #1

    Mais oui, c'est... j'ai employé le mot de patrimoine. Aujourd'hui, on parle aussi de matrimoine, c'est-à-dire que le patrimoine, littéralement, c'est l'héritage du père. Et c'est vrai que la plupart des patrimoines que je viens d'évoquer, c'est littéralement nos pères et nos grands-pères. C'est les guerriers, c'est les rois, c'est les empereurs, c'est des hommes blancs qui fondaient leur prestige sur de la puissance et de la domination. Mais il y a aussi du matrimoine, l'héritage de nos mères. Et en architecture, ça donne autre chose de s'intéresser. et de se dire, tiens, mais est-ce qu'un lavoir, par exemple, ce n'est pas un matrimoine, parce que c'était le lieu où les femmes se retrouvaient pour aller laver les choses, quasiment, on appellerait aujourd'hui, dans un espace de non-mixité, parce que, alors que je ne sais pas si elle était choisie ou subie, mais en tout cas, à l'évidence, c'est plutôt l'architecture qui aidait le travail des femmes de l'époque dans la ruralité. Il y en a un peu partout en France, des lavoirs. Ils ne sont pas tous patrimonialisés dans ce sens-là, ces matrimoniales-là. Je veux dire qu'ils ne sont pas tous protégés, ils ne sont pas tous entretenus. De plus en plus, on se remet à s'intéresser à ces architectures de l'eau un peu ordinaires. Mais ça raconte un peu une autre histoire de nos sociétés, que de se réintéresser à ces choses plus ordinaires. Et puis évidemment, après, il y a... tout l'héritage, pour pas dire ni patrimoine ni matrimoine, mais l'héritage, l'héritage industriel, l'héritage moderne, l'héritage infrastructurel, l'héritage rural, médiéval. En fait, on hérite d'une quantité de mondes différents qui se superposent aujourd'hui et qui chacun, à leur manière, je trouve, parle des possibilités, de ce qu'on peut faire de l'espace terrestre. du type de société qu'on peut créer, du type de relation aux non-vivants, aux non-humains, au climat, au sol, aux gens entre eux. L'architecture, elle garde des traces de ces différents types de sociétés-là. Je trouve que c'est assez riche de se rappeler ça et de ne pas effectivement s'arrêter à un seul type de patrimoine en se disant qu'il n'y a que ces grandes bases.

  • Speaker #0

    Oui, que ce qui nous impressionne. Et c'est vrai qu'en vous écoutant, je pense, moi par exemple j'habite dans une ancienne ferme qu'on a rénovée. On a transformé, par exemple, des anciennes porcheries en endroits où on peut mettre des poignets à certains moments, des choses comme ça. Donc, on transforme tous des lieux. Il y a aussi des gens qui habitent dans des anciennes chapelles. Il y a toute cette transformation-là qui ne cesse de se produire. Et je crois que d'ailleurs, il y a beaucoup de bâtiments qui ont été construits avec des pierres, d'autres bâtiments qu'on avait démolis. Donc, on est toujours en train de retisser des liens ou de refaire ou de reconstruire ou de remobiliser des architectures.

  • Speaker #1

    Complètement. Et c'est évidemment... C'est sain, le monde est en métamorphose permanente, et il l'est de façon ordinaire, il l'est de façon discrète, effectivement, il l'est à toutes les échelles, tout le monde le transforme un petit peu tout le temps. Aujourd'hui, il y a beaucoup de choses qui sont en train d'émerger dans les mondes de l'architecture autour de la question de la maintenance, c'est-à-dire qui prend soin des choses, qui les maintient, qui ne les répare pas uniquement quand elles sont cassées, mais aussi qui les soigne au quotidien, c'est-à-dire les nettoie. les inspectent aussi pour savoir, enfin, à une attention aux choses, pour savoir à quel moment il faut justement les nettoyer, les réparer, les entretenir. Et je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il y a une frontière un peu floue malgré tout entre le nettoyage, la réparation, la transformation et tout ça à toutes les échelles. C'est-à-dire qu'on est en permanence effectivement en train de... De transformer. C'est juste des échelles et des niveaux d'action qui sont un peu différents, mais tout est transformation du monde. Et ce que je voudrais dire avec ça, c'est que je pense que c'est positif parce que ça permet de résister à l'idée que le monde serait figé, qu'il serait comme il est, qu'il a toujours été tel qu'il est et qu'il sera toujours comme ça ou que seuls les experts pourraient le changer. En fait, non. Il est en métamorphose permanente et tout le monde le transforme tout le temps. C'est plutôt ça, la réalité. C'est ça, c'est l'histoire de la vie sur Terre.

  • Speaker #0

    Donc justement, quand on le transforme, ça peut être utile au monde ou pas utile au monde. Qu'est-ce que vous voyez qui vous semble utile, pertinent, émerger comme pratique aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ce qui me semble utile et pertinent, c'est les pratiques qui résistent à l'ordre en place. Pour ne pas le dire par quatre chemins, je pense qu'il est utile et pertinent justement de se dire que l'ordre en place, mais de ne pas l'essentialiser, de ne pas le naturaliser. Je ne sais pas comment le dire autrement, de ne pas se dire qu'il est... Le "there is no alternative" qu'on disait à l'époque de Margaret Thatcher. Si, il y a des alternatives, en fait. Ça n'est pas la seule façon de faire monde, de faire société. En fait, il y a quantité de manières d'habiter le monde, de faire société, de faire économie, et donc de faire architecture, de faire infrastructure, de faire ville. Et il y a tout un tas d'initiatives aujourd'hui qui, concrètement, dans les faits, je pense à des collectifs d'architectes, c'est-à-dire des gens qui ont arrêté de pratiquer en agence de façon habituelle, derrière leur ordi, pour donner des plans à des artisans qui vont construire à leur place un bâtiment qu'eux-mêmes n'habiteront pas, les collectifs, eux, ils essayent de mener une alternative en changeant ce modèle d'agence d'architecture et peut-être des fois en allant construire eux-mêmes ou en allant construire, habiter sur place. Et puis penser avec les habitants parce qu'eux-mêmes deviennent habitants du coin. ou alors même en construisant avec les habitants, ou alors en construisant uniquement en matériaux de réemploi une structure temporaire qui va être entièrement réemployable en suivant. Enfin bref, par quantité de dispositifs, il montre que non seulement on peut penser la conception et la construction autrement, mais que le fait de la faire autrement, ça fait société autrement, parce que du coup les gens se retrouvent autour de la construction et de la conception, que peut-être un voisinage qui ne se parlait plus se retrouve autour de ces... processus de construction qui refont quartier, qui refont ville, qui refont village. Peut-être des gens qui n'avaient plus confiance en eux, ou n'ont jamais eu confiance en eux, sur leur capacité à bricoler, par exemple, parce que toute leur vie, on leur a dit mais toi, t'es une femme, tu sais pas travailler, tu n'es pas habile de tes mains, ça n'est pas ton domaine que de manipuler une visseuse aujourd'hui, à la retraite, se retrouvent à passer devant ces collectifs. Ça, c'est des histoires vécues, c'est pour ça que je les raconte. Se retrouvent à passer devant ces collectifs qui travaillent dans la rue, qui invitent à la co-construction. Et donc, finalement, se retrouvent aujourd'hui à la retraite à bricoler avec ces jeunes et puis à se dire Oui, je sais tout à fait le faire autant qu'eux. Et donc, à se découvrir dans cette possibilité-là, quand même, elles ont 70 ans et je pense que c'est... vraiment vivifiante pour tout le monde parce que c'est non seulement des liens intergénérationnels mais c'est des gens qui prennent confiance en eux c'est une ville aussi qui se rend compte qu'elle met l'argent à d'autres endroits en fait au lieu de mettre l'argent dans des experts dans des logiciels dans des dans des dessins magnifiques ben on met l'argent dans voilà des habitations temporaires des événements qui font se rencontrer les gens qui font des festivités et c'est pas moins important parce que ça fait que les gens aussi, quand les choses sortent, ils se laissent approprier, et c'est déjà un peu chez eux. En fait, ce n'est plus du tout la même lecture, on sort du paradigme de l'œuvre, l'œuvre du génie qu'il faudrait comprendre, et donc il faudrait acculturer les gens à la grande œuvre, parce qu'un architecte génial a eu une idée géniale, et il faudrait l'expliquer aux gens pour qu'ils accèdent à cette haute culture. Là, on n'est plus du tout dans ce vieux monde que je caricature un tout petit peu. petit peu mais franchement pas tant que ça c'est quand même encore beaucoup ça dans la tête de quelques-uns de mes confrères pas tous mais quelques-uns et et là on est plutôt dans oui dans un monde du faire ensemble mais c'est pas juste une déclaration de bonnes intentions un peu naïve on va faire ensemble c'est réellement comme ça ils font vraiment ensemble de la conception à la construction après les gens repartent avec le mobilier construit chez eux et donc ils ont chez eux une chaise ou une table qui a été faite ensemble lors de cet événement C'est des histoires de vie qui se tissent et qui montrent qu'on peut faire société autrement et que ce n'est pas juste une utopie. Ça me semble utile, oui.

  • Speaker #0

    Et cette intelligence collective qui émerge quand les collectifs arrivent à se mettre au service d'un but commun, on peut imaginer que ça peut fonctionner autour de leur lieu de vie, de leur quartier, et que ça peut aussi permettre de faire des choses qui sont durables et aussi belles, parce qu'on peut aussi faire fonctionner ensemble, faire travailler ensemble, les experts qui ont un tout petit peu plus de connaissances techniques, mais qui vont pouvoir dialoguer avec des personnes qui savent qu'est-ce qu'elles ont envie de vivre ensemble. Sans doute avoir de l'impact sur la manière dont on va prendre soin du lieu autour. Et puis, peut-être sensibiliser tout le monde, mais parce qu'on va réfléchir ensemble sur qu'est-ce que c'est que notre lieu de vie, qu'est-ce que c'est un lieu de vie, comment est-ce qu'on accueille les humains qui passent par là, mais aussi les non-humains qui passent par là, et quelle vie on tisse avec eux, quel lien on tisse ensemble. Oui, c'est complètement une autre histoire, dans ce coup qui apparaît.

  • Speaker #1

    Complètement, et je crois que c'est le début de ce qui, moi, m'a intéressé dans l'originalisme. Et c'est très en lien aussi avec quelque chose dont on entend parler. Alors, c'est une vieille histoire, ça date plutôt des années 70, mais qui ressort beaucoup aujourd'hui, qui sont des théories écoféministes, qui disent aussi, mais en fait, on ne peut pas déléguer le monde. Par exemple, la question de la subsistance, elle doit être partagée par tout le monde, un peu tout le temps, c'est une forme d'attention au monde, aux êtres. aux choses et donc justement aux liens entre les communautés qui prennent soin de quoi, selon quel processus, dans quel lieu, avec quelle temporalité. C'est un réancrage assez terrestre des questions un peu fondamentales de la vie sur Terre. La naissance, la maladie, la mort, la production de la nourriture, la réparation, l'entretien, le nettoyage, la bienveillance, tout ça, ça ne peut se faire que dans des lieux un peu situés. ancrée quelque part par des communautés qui connaissent quelque chose à ce lieu et à ces communautés. On ne peut pas externaliser ça, déléguer, numériser. Moi je vois des liens assez... C'est pas la même chose, mais je vois des liens assez forts entre les théories bio-régionalistes, celles écoféministes que j'ai évoquées, et puis tout ce qu'on est en train de se raconter là, en effet, sur les collectifs en architecture.

  • Speaker #0

    Oui, quand vous parlez de naissance, moi je pense aux maisons de naissance plutôt qu'aux hôpitaux, par exemple, parce que c'est ça que vous avez en tête. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est le bio-régionalisme ?

  • Speaker #1

    on est déjà un peu largement dedans avec toutes ces discussions-là. Malgré tout, c'est peut-être une chose au moins supplémentaire par rapport à ce qu'on s'est dit là, c'est une pensée de l'écologie, on pourrait dire de l'écologie profonde, pour le dire un peu autrement, ou essayer d'expliquer ce que ça veut dire, qui essaye de penser depuis la nature, pour employer un vieux terme qu'on n'essaie plus d'employer. qu'est-ce que ça fait de penser depuis un milieu, de penser depuis un écosystème, quel est l'intérêt de l'écosystème, et pas juste l'intérêt de l'humain ou de la société, ça c'est une tentative de sortie, à nouveau, un grand mot, un gros mot, mais de l'anthropocentrisme, enfin, l'anthropocentrisme, je pense que c'est important, littéralement, l'anthropo c'est l'humain, et le centrisme c'est le fait de ne voir que ses intérêts, donc c'est pas du tout le fait... C'est important de voir que c'est une critique. Un anthropocentriste, c'est un mot négatif. C'est assez difficile de dire moi j'assume l'anthropocentrisme ou je parle en tant qu'humain Ce n'est pas l'idée de parler en tant qu'humain, l'anthropocentriste. L'anthropocentriste, c'est l'équivalent du racisme. Ce n'est pas l'idée de parler en tant que blanc. C'est l'idée d'être raciste. Ce n'est pas du tout pareil. Moi, je peux parler en tant qu'homme, mais de là, être sexiste, c'est autre chose. Bien sûr qu'on parle en tant qu'humain. qu'on a un point de vue humain et c'est très difficile de se mettre dans la tête d'une chauve-souris. Malgré tout, l'idée de critiquer l'anthropocentrisme, c'est de critiquer le fait qu'on ne verrait que nos propres intérêts, qu'on instrumentaliserait tout le reste du vivant, des matières, des ressources, qu'on verrait justement la Terre comme une ressource à exploiter au service de nos intérêts à nous. Et ça, c'est de l'anthropocentrisme et on voit bien que c'est ça qui pose problème et qui sans doute est à l'origine des... des multiples crises environnementales qu'on connaît aujourd'hui. Le biorégionalisme, avec cette histoire d'écologie profonde, il essaye de sortir de cet anthropocentrisme en proposant une écologie qui est locale, qui est populaire, qui est située quelque part et qui appartient aux gens. C'est l'idée de dire qu'il faut se réintéresser à la manière dont nos vies ont un impact sur les milieux et donc commencer par reposer des questions de base. par exemple d'où vient l'eau que je bois à mon robinet. Et peut-être pour beaucoup, on ne sait pas d'où vient l'eau qu'on boit à notre robinet. Quand est-ce qu'elle est tombée sous forme de pluie ? Ou dans quelle nappe phréatique on l'a pompée ? Par quel chemin elle est venue ? Et puis après, où est-ce qu'elle part si je jette des produits toxiques dans mon évier ? Où est-ce que part cette eau ? Et qu'est-ce que ça pollue comme milieu en suivant dans le bassin versant ? Rien que cette Ausha, oui, cette question Ausha un peu fondamentale qui est... question de base, comment il est possible qu'on ne sache même pas d'où vient l'eau qu'on boit tous les jours, très peu savent y répondre, et le bio-originalisme propose de redémarrer un peu par là, par un local repris depuis cette question de milieu, de nos impacts sur ce milieu, et puis de reposer la question de ces connaissances-là de base, des espèces avec qui on partage ce milieu, du type de sol sur lequel on marche, des pollutions qui sont présentes ici, du climat qui change, et quel impact ça a. sur tout ça, ici et maintenant, et donc ici et demain, où est-ce que j'ai appris ça ? Si je sais quelque chose. Ou si je ne sais pas, où est-ce que je peux l'apprendre ? Si je sais quelque chose, où est-ce que je peux le transmettre à quelqu'un ? Où est-ce qu'on peut, en gros, avoir des écoles biorégionalistes pour transmettre des savoirs écologiques et populaires, locaux, qui permettent... à tout le monde d'en savoir plus, de son capacité localement sur ce qui se passe ici. Ce n'est pas l'idée d'un repli sur soi, surtout pas. Ce n'est pas l'idée de dire qu'il suffit de s'intéresser à ici.

  • Speaker #0

    Ce que je comprends, moi, en vous écoutant, c'est que de l'information sur l'écologie, sur le désastre écologique en cours, sur la chute de la biodiversité, etc., on en a tous beaucoup, mais que c'est une information qui est un peu décorrélée de la vie quotidienne des gens. Et que là, l'idée que vous proposez, qui me paraît bien pertinente, c'est que... On va partager de l'information qui nous relie ensemble et qui nous relie à la nature, qui arrête ce clivage entre nature et culture, qui a sans doute fait pas mal de mal à notre lien, à ce qui nous entoure, et à la nature dont on fait énormément partie. Et là, il s'agit de rôtisser des liens, mais des liens du quotidien, des liens qu'on verrait un peu féminins dans la vieille conception du monde, parce que c'est du quotidien, parce que c'est comment est-ce qu'on vit, comment est-ce qu'on se nourrit. comment est-ce qu'on se lave, comment est-ce qu'on fait société ensemble, et dans des choses très simples, très basiques. Et finalement, c'est avec l'information partagée au niveau très basique qu'on va se relier, parce que finalement, l'information qu'on a sur l'écologie, elle est peut-être un petit peu trop porsole pour la plupart des gens. Elles ne parlent pas à leur vie quotidienne, ils ne voient pas les liens. Et finalement, là, vous proposez des choses qui sont très simples, mais qui vont nous emmener à nous relier à toute la complexité du vivant et à voir que... Oui, cette Ausha, elle vient de là. Donc finalement, la façon dont on a entretenu les terrains au-dessus. Moi, je pense par exemple à l'environnement de mon enfance dans les vignes. À un moment donné, quand on a décidé de planter des vignes au plus haut possible de la montagne de Reims, pour faire du champagne un maximum, on a eu de l'érosion, ça a eu de l'impact sur l'eau, sur la qualité de l'eau aussi. Quand on comprend l'histoire, quand vous prenez juste l'eau, vous avez un tas d'histoires qui apparaissent et on voit les liens entre les choses qui sont des liens de complexité, mais qu'on peut raconter de manière relativement simple. parce qu'on est sur un fil.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Et ce n'est pas pour critiquer. C'est exactement ça que je veux dire. Et ce n'est pas pour dire que les informations hors sol ne servent à rien. Pas du tout. Parce qu'évidemment, c'est bienvenu d'avoir les conclusions du GIEC, d'avoir des études dans des revues prestigieuses qui quantifient à échelle globale l'effondrement du vivant, je ne sais pas quoi. On a besoin de ça. Mais en effet, si on n'a que ça, je pense qu'on tombe dans la situation actuelle qui est une déconnexion, une décorrélation avec la vie vécue des gens. qui a plusieurs impacts, à la fois politiques, ça veut dire que les gens se demandent du coup ce qu'ils peuvent faire, ils ne savent pas quoi faire, ils sont un peu perdus, donc on a ces angoisses écologiques qui naissent, et puis aussi une inaction écologique qui naît, puisque finalement des informations nous paraissent de loin et on ne sait pas les réancrer dans notre vie. Et puis d'autre part, je pense que ça nourrit des pensées populistes ou complotistes, climato-sceptiques, méfieuses. Pourquoi est-ce qu'on nous dit que le climat se réchauffe alors que là, il neige et qu'on est à telle saison ? Ou qu'on nous dit qu'il y a des sécheresses alors qu'on n'arrête pas de pleuvoir ? Bref, ce qu'on entend quand même tous les jours, plus ou moins dans les grands médias de ce pays et d'autres, avec une confusion assez navrante entre météo et climat, un peu le B.A.B.A., mais bref. Et je crois que tout ça s'explique bien, en effet, par le fait qu'on n'est que des informations globales et on n'a plus de culture locale écologique. Il faut du coup une alliance entre les deux, pas juste l'une ou pas juste l'autre, je crois, pour voir à échelle locale les impacts de ce que nous raconte le GIEC, pour anticiper à échelle locale comment on fait les métiers de demain, pour aider les gens qui doivent arrêter leur métier d'aujourd'hui à transiter, parce que la transition aujourd'hui, on la critique à juste titre, je pense, parce que c'est l'outil du gouvernement et du capitalisme pour ne pas mourir. On parle de transition et de développement du rapport. pour que surtout on reste de façon durable dans la pensée du développement, dans la domination occidentale, dans un capitalisme extractiviste, enfin bref, dans un capitalisme vert. Donc on a raison de critiquer la question de la transition, malgré tout, à échelle individuelle, il faut bien transiter, il faut transiter dans sa tête vers la radicalité, ça prend du temps, il faut transiter dans sa vie, socialement, dans son métier, il faut du temps pour se réinventer. Se refaire peut-être une communauté professionnelle et sociale qui est vers d'autres métiers, vers d'autres savoir-faire. Ou bien tout simplement, parce que notre métier, je pense ici, moi je parle depuis l'Isère, là, il y a plein de noyés en Isère, il y a des hectares et des hectares de cultures de noix.

  • Speaker #0

    On sait d'ores et déjà que, quels que soient les scénarios climatiques, de toute façon, à peu près dans 30 ans, tous les noyés ne sont plus adaptés au climat. Soit ils sont déjà morts, soit ils sont en train de mourir, soit ils ne produisent plus. Enfin bref, ça ne fonctionne plus. Et si du coup, les gens qui ont ces pépinières et ces élevages de noyés, ces productions de noix... veulent se réinventer, il faut qu'ils commencent à planter dès maintenant des espèces pour qu'elles arrivent à maturité dans quelques décennies. Donc à nouveau, on a une question de transition sur un moyen terme qui doit être anticipée de façon locale, en écho avec des questions globales. Et je trouve que de prise sous cet angle-là, que moi j'appellerais du régionaliste, c'est du coup un moteur plutôt positif, parce que c'est constructif. Ça pose la question de qu'est-ce qu'on fait ici et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ensemble. qu'est-ce qu'on fait de façon vraiment durable, vraiment soutenable, et pas juste pour le spectacle de la société, la consommation, du greenwashing, etc. Est-ce que des amandiers, ça pousse ici dans 20 ans ? Est-ce qu'on peut les planter dès maintenant ? Si oui, sur quel type de... Enfin, c'est des questions très concrètes qui sont mises en mouvement et je pense qui rendent un peu de... d'espoir, de moyens d'agir aux gens et qui refédèrent des communautés en fait. Et par contre, il est important, au moins de dire, l'intérêt dans tout ça aussi, c'est que ça permet de... En fait, ça ne pose pas la question de est-ce que tu es né au Maroc ? Est-ce que tu es arrivé de Thaïlande il y a deux mois ? Ou est-ce que tu penses repartir aux États-Unis dans trois semaines ? En fait, tout ça n'a pas d'impact sur la question qu'on vient de poser du noyer et de la mendier. La question qui compte, ce n'est pas à quelle langue tu parles, d'où tu viens, ou est-ce que tu es de la culture française. La question qui compte, c'est est-ce que tu sais participer à un écosystème sain, ici et maintenant, avec nous ? Est-ce que tu peux devenir autochtone de ce lieu ? Et du coup, c'est d'inviter tout le monde à cette pensée du devenir autochtone, parce que c'est très sain de penser l'autochtonie, le fait d'appartenir à une terre, dans un devenir, dans quelque chose qui plaît.

  • Speaker #1

    C'est vraiment intéressant ça aussi, je voudrais mettre l'accent dessus parce que c'est vrai qu'on peut avoir tendance à voir le lieu comme par son histoire, par le passé. Il y a des tas d'endroits. l'habitat a été modifié, tout a évolué, et puis les gens peuvent être un peu passéistes, en tant que finalement, on a transformé nos lieux, on ne s'y retrouve plus, etc. Et là, vous dites, dans le cadre du dérèglement climatique, ce qu'on est en train de vivre, en fait, des gens de... n'importe où, mais qui se retrouvent là et on est là ensemble, on va avoir une vision différente, une expérience différente. Et ça peut même être complètement antiraciste, puisque des gens qui viennent d'autres régions vont pouvoir apporter un regard de comment ils faisaient là ou là ou là, ou qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble qui va nous permettre, parce qu'il y a d'autres personnes, de voir un petit peu autre chose que notre façon de vivre comme elle est là aujourd'hui, et de se dire, qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble ? Et c'est vrai qu'on est dans l'inverse de... l'information qui nous tombe dessus en nous disant que les choses sont affreuses, un peu comme les informations à la télévision sur tout ce qui se passe dans le monde. Quand on entend, si on prend juste un quart d'heure pour écouter tout ce qui se passe entre Gaza, l'Ukraine, etc., on a juste envie de se coucher et puis de se relever. Et directement climatique, ça peut faire un peu la même chose. C'est peut-être aussi pour ça que les gens agissent si peu, c'est que ça paraît quelque chose qui arrive de manière tellement forte. qu'on ne voit pas comment lutter contre ou faire avec. Et là, vous dites au contraire, quand on prend les choses à l'échelle de là où on est, et je ne vous mettais pas de limite, j'ai l'impression, à ce local, finalement, il est assez malléable et il va dépendre de ce qu'on est en train de construire ensemble. Là, on se rend compte qu'on a plein de choses possibles, qu'on va pouvoir peut-être planter des arbres pour avoir moins de sécheresse, qu'on va peut-être pouvoir choisir les arbres qu'on va planter, qu'on va peut-être choisir aussi le type d'habitat qu'on met en place ou qu'on rénove, qu'on peut choisir aussi de... moins artificialiser les sols et puis peut-être de démolir des lieux ou de les rénover plutôt que de construire du neuf là où il y avait des prés et des forêts. Donc, ça redonne la marque finalement. Donc, c'est intéressant et ça peut vouloir dire aussi réussir à faire avec des gens qui vont penser de manière complètement différente de nous parce que tiens, c'est intéressant, ils voient ça comme ça. Ah oui, tiens, je n'avais pas vu cet angle-là. Donc, ça demande aussi de la curiosité. Et j'imagine dans des expériences qui ont pu être faites, si vous pouvez en citer... Un exemple qui vous a plu, il y a aussi de la médiation dans cette histoire, parce que ce n'est pas si naturel pour des humains, ou si individualiste que ce qu'on est devenu.

  • Speaker #0

    Oui, je rejoins exactement tout ça. Ce n'est pas simple, cette histoire d'altérité, de faire avec l'altérité comme une richesse, ça ne veut pas dire que c'est simple, ça ne veut pas dire que c'est libérer tout conflit. parce qu'un conflit, ce n'est pas forcément une guerre horrible avec des morts. Il y a des conflits à toutes les échelles, et le conflit peut être sain, il peut être désirable. On peut rentrer dans une discussion un peu conflictuelle pour s'expliquer, par exemple. Ça peut être constructif, aller vers du mieux. Et bien sûr que le multiculturel, l'altérité, et même d'ailleurs pas que, génère du conflit. Parce qu'il y a des frottements entre des systèmes de valeurs qui ne sont pas les mêmes. Et ça, il ne faut pas le nier. Je pense à un cas qui est celui du démantèlement d'un barrage. Il y en a eu plusieurs, des démantèlements de barrages, par le passé à l'international. Pas tant que ça, c'est-à-dire qu'on a construit énormément de barrages, et pour l'instant, on en a démantelé très peu. Mais effectivement, il y a un barrage aux États-Unis qui a été démantelé. Il y a eu un film qui a été fait là-dessus, qu'on a regardé et commenté il n'y a pas longtemps dans un colloque. sur la question de l'eau, et donc spontanément je pense à ce cas-là. Ce qui est fascinant, c'est de retracer cette histoire coloniale du barrage, parce que le barrage, il est construit par des sociétés de colons sur des terres autochtones, donc c'est vraiment un outil colonial de destruction des modes de vie qui étaient là.

  • Speaker #1

    C'était où ?

  • Speaker #0

    Le fleuve Éloi. Il faut que je retrouve le titre exact, par exemple, même du film. Je crois que c'est The Return of the River. au titre du documentaire sur ce démantèlement de barrages sur le fleuve Éloi, qui est un outil colonial de destruction des modes de vie autochtones qui vivaient du fleuve, qui vivaient de la pêche, qui vivaient de la proximité avec ce fleuve. Les colons arrivent au début XXe siècle, ils construisent ce grand barrage pour les besoins de leur société. En effet, le barrage est construit, il est approprié par les communautés de colons locales américaines. Et ces sociétés-là finissent par lui trouver tout un tas d'attraits, c'est-à-dire que ça devient un moteur de tourisme, de balades, de légatures, de pêche, et il fait partie au fil du temps du patrimoine local. Sauf qu'écologiquement c'est un désastre, et toute la suite du bassin versant en aval est un peu dévastée par ce barrage, ce qui fait que de plus en plus des mouvements écologistes au fil du XXe siècle finissent. finissent par faire entendre qu'il faut le démanteler, il faut détruire ce barrage, c'est un désastre. Ça remonte jusqu'aux plus hautes sphères, du Congrès, du Sénat américain, etc. Finalement, des luttes s'engagent entre écologistes et autochtones qui font alliance, enfin les résistants des communautés autochtones, et en fait la société blanche américaine. petite bourgeoise qui elle est contente d'aller en week-end se balader le long du lac et dit mais ça c'est notre patrimoine maintenant ce barrage est toute notre vie c'est l'histoire de notre région donc ce lac il ne faut pas y toucher votre histoire de destruction environnementale on n'en a rien à faire on veut continuer à aller pêcher sur le lac le dimanche et donc toute la lutte s'engage et finalement le barrage est démantelé déconstruit donc le film retrace finalement cette histoire de d'appropriation d'un fleuve, puis d'appropriation d'un barrage, puis quand même de destruction d'un barrage. Ça montre toute la complexité qu'il y a, et la reformation en permanence, je trouve, des communautés. C'est-à-dire, quelle communauté fait alliance avec laquelle, et que les choses peuvent bouger dans le temps, de façon tout à fait imprévue. Les alliances et les systèmes d'alliances bougent au fil du temps, de sorte qu'est-ce qu'une partie des Blancs fasse alliance avec une partie des Autochtones, contre d'autres Blancs. Tout ça, je pense, est... C'est un exemple que j'avais envie de donner parce qu'il me semble montrer de façon pas trop naïve ce que ça peut être que des questions biorégionalistes. Et ce n'est pas juste Ah, on va faire un jardin en permaculture ensemble, toi tu es noir, moi je suis blanc et on va être amis Ce n'est pas ça.

  • Speaker #1

    Et comment justement ça a pu se faire là ou ça peut se faire globalement parce que les intérêts économiques sont tellement forts ? Aujourd'hui, vous parlez de barrages, c'est hyper intéressant comme exemple, parce qu'on parle tellement d'énergie renouvelable comme la panacée, mais effectivement, un barrage, ce n'est pas rien. Les poissons qui passaient là ne peuvent plus transiter. Ça a des impacts énormes sur toute l'écologie, sur tout l'écosystème, en bien, en mal, je ne porte pas de jugement spécifique, mais en tout cas, ça a des impacts qui sont forts. Et comment il a été possible dans ce cas-là, et comment il est possible peut-être dans d'autres exemples que vous connaissez, d'arriver à donner suffisamment de place aux non-humains ? pour que les conditions de vie d'humains qui sont peut-être un peu moins valorisés et de non-humains rentrent en contre dans la décision ? C'est quelque chose qu'on n'a tellement pas fait, qui demande des changements d'habitude qui sont fortes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vraiment la question difficile, parce que c'est la question qui dit en fait comment on fait, mais moi je pense que la question au fond, c'est comment on fait pour changer de système de valeur. Et ça, ça ne peut pas être fait effectivement en claquant des doigts, ni en utilisant... les mêmes données que celles du système dont on veut s'échapper. Il y a une autrice, une militante féministe américaine célèbre, Audrey Lord, qui disait que les outils du maître, on ne peut pas casser la maison du maître avec les propres outils qui vont servir à la construire. Il y a vraiment une difficulté avec ça. Et donc, en effet, à partir du moment où on reste sur les terrains économiques, on perd parce que ce n'est jamais rentable l'écologie. À partir du moment où on reste sur les questions de rationalité, de système productif, de progrès, on perd. Parce que ça, c'est les systèmes de valeur du monde qu'on essaie de quitter. Donc, il faut changer de système de valeur. Et en effet, ce n'est pas simple. Alors, je crois que ça peut passer. Un outil de transition d'un système de valeur à un autre, pour moi, ça peut être l'imaginaire ou la culture, la cosmologie.

  • Speaker #1

    Un récit collectif, quelque chose qui nous emmène vers une histoire qui va être à la fois plus humaine, plus naturelle, plus vivante, plus Justin de Porto.

  • Speaker #0

    Complètement. Un récit collectif qui a une forme de rêve collectif, au sens premier du rêve, pas au sens de c'est inatteignable, c'est utopique, c'est irréalisable. Dans le sens où le rêve, c'est ce qui nous... Quant au rêve, c'est quand même le moment où tout notre corps est engagé entièrement. On se vit dans le rêve, alors même qu'on ne bouge pas, mais on est pleinement dedans. Et je crois qu'il faut rêver un peu la question biorégionale, collectivement, en effet, pour en refaire une culture totale, des chansons, des représentations, un patois, pas un patois figé, pas un patois qu'on va rechercher du passé, un patois qui, d'ailleurs, bouge tous les ans, un patois qui peut être fait avec du verlan, avec des mots américains, avec des mots arabes, avec ce qu'on veut.

  • Speaker #2

    Nous voilà à la fin de notre premier épisode avec Mathias Rouleau, mais ce n'est pas la fin de notre conversation, c'est la moitié. La semaine prochaine, nous continuerons à parler de décolonisation, de ce que l'architecture peut créer, générer, comment est-ce qu'on peut la faire et la vivre ensemble, et puis de plein d'autres choses. Je vous invite à nous retrouver la semaine prochaine sur le podcast Entre-Las. Et puis, comme d'habitude, si vous voulez en savoir davantage sur Mathias Rouleau, vous trouverez toutes les informations dans la description de cet épisode. Ce podcast n'est pas seulement le mien, c'est aussi le vôtre, c'est le nôtre. Si vous voulez contribuer, intervenir, proposer, contactez-moi. Si vous avez aimé cet épisode, partagez-le autour de vous, mettez des étoiles pour le noter, et abonnez-vous pour ne pas manquer les prochains. A très bientôt !

Description

Comment habiter le monde ensemble, aujourd’hui ? C’est la question avec laquelle je suis allée à la rencontre de Mathias Rollot.

Matthias Rollot est architecte, enseignant, chercheur.et auteur.

Dans cet épisode, Mathias nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde, une architecture que tout le monde peut s’approprier.

  • Une architecture biorégionale au sens où elle est pensée, créée, tissée avec ceux qui sont là au même endroit au même moment.

  • Une architecture biorégionale en ce sens qu’elle est pensée depuis la nature, en tentant de tenir compte de son point de vue et pas seulement de l’intérêt des humains. C’est une architecture qui tente de se défaire de l’anthropocentrisme : une écologie locale, populaire, située dans un lieu, consciente de son impact sur le milieu, du type de sol, du climat, des pollutions présentes..

Il s’agit de devenir « autochtone », c’est-à-dire, concrètement, d’être de la terre qu’on habite, d’appartenir à ce territoire, sur une terre qui peut changer, se transformer, devenir.

Mathias Rollot nous parle aussi, ici, d’une architecture décolonalisée, en ce sens qu’elle sort de la grande logique de la domination. C’est une architecture utile, fertile, qui permet d’habiter le monde ensemble…


Parmi les livres les plus récents de Mathias Rollot

  1. Décoloniser l’architecture, paru aux éditions Le Passager Clandestin en 2024

  2. Qu’est-ce qu’une biorégion ? Ouvrage co-réalisé avec Marin Schaffner et Emmanuel Constant, paru aux éditions Wildproject (2021, réédité en 2024)

  3. Les Territoires du vivant, Un manifeste biorégionaliste, paru initialement aux éditions François Bourin, réédit aux éditions Wildproject (2018 puis 202)  https://wildproject.org/livres/les-territoires-du-vivant

Le site de Mathias Rollot https://mathiasrollot.work/


Musique : Tella, Amel Brahim Djelloul et Lik, Oum, morceau choisi par Mathias Rollot, avec l’autorisation de la SACEM.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Soyez toutes et tous les bienvenus sur Entrelacs, le podcast qui tisse de liens pour réconcilier les humains avec les vivants en eux, autour d'eux. Si les ressources terrestres sont limitées, il existe cependant des espaces sans limites, une immensité à portée de cœur et de main. L'infinie richesse est dans nos liens. C'est cette richesse-là, Cette immensité-là que j'ai envie de révéler et de partager avec vous. Comment habiter le monde ensemble aujourd'hui ? C'est la question avec laquelle je suis allée rencontrer Mathias Rollot, qui est architecte, enseignant-chercheur et auteur. Dans cet épisode, Mathias Rollot nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde. Une architecture qui n'est pas seulement celle des puissants, mais que tout le monde peut s'approprier. Une architecture biorégionale, en ce sens qu'elle est pensée, créée et tissée avec ceux qui sont là, au même endroit, au même moment. Une architecture décolonalisée, en ce sens qu'elle sort de cette logique de domination. Une architecture utile, fertile, qui permet d'habiter le monde ensemble. Chère auditrice, cher auditeur, cet épisode et ce podcast sont pour toi. Je te souhaite une bonne écoute, je te laisse entrer là. Sache que cet épisode est en deux parties. Vous pourrez donc écouter la suite la semaine prochaine où nous continuerons d'explorer les logiques de domination, les exemples de ce qui se fait, de ce qui fonctionne aujourd'hui, les difficultés auxquelles on achoppe et puis les solutions qu'on trouve ensemble, pas à pas. Mathias, je vous remercie beaucoup d'être avec moi et avec nous aujourd'hui sur le podcast Entrelacs. On va parler d'architecture et de comment l'architecture change le monde ou comment elle impacte le monde. Et puis, on va explorer ces sujets au-delà de l'architecture. On va parler de biorégionalisme, de décroissance, de décolonisation de l'architecture. Tout ça va être clarifié dans quelques minutes. Est-ce que, juste avant qu'on explore ces sujets-là, vous voulez vous présenter rapidement ?

  • Speaker #1

    Oui, je vais me présenter. Merci beaucoup de me recevoir. Je vais dire deux mots. Comment on peut dire deux mots sur soi ? Je suis architecte de formation et puis aussi de métier. J'ai pratiqué quelques années avant de me consacrer à l'enseignement et à la recherche en architecture. Aujourd'hui, je suis maître de conférence à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble et chercheur dans un laboratoire qui s'appelle le Cresson. Et j'ai une pratique d'écriture et de traduction et d'édition, principalement dans la recherche autour des questions d'architecture, à l'ère écologique et au regard des problématiques sociales, écologiques et sociales qui traversent nos sociétés. Je m'interroge sur la capacité de l'architecture à réagir à ces questionnements-là et même peut-être à être un outil pour aider à les traverser.

  • Speaker #0

    Si l'architecture peut être un outil, c'est quoi une architecture qui est utile au monde ? C'est quoi déjà cet outil qu'est l'architecture et comment est-ce qu'elle peut être utile au monde de votre point de vue ?

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est déjà une vraie bonne question. De quoi on parle quand on parle d'architecture ? Parce qu'il y a plein de façons de définir ce mot-là. J'ai l'habitude de dire que dans d'autres domaines, c'est plus clair. Par exemple, dans le cinéma, on fait des films. alors que dans l'architecture, on fait de l'architecture. Il y a déjà un flou de départ qui fait que on ne sait pas bien de quoi on parle. Si le mot architecture renvoie à un édifice construit, s'il renvoie à une discipline avec des savoir-faire, s'il renvoie à une communauté avec des architectes, avec des sociétés, avec des métiers, ou s'il renvoie peut-être encore plus largement que ça à tout ce qu'on fait quand on commence à configurer l'espace, à configurer le monde. à s'approprier un lieu ? Est-ce que ce n'est pas un peu déjà de l'architecture ? Quand bien même si elle est ce que certains collègues appellent situationnelle, quand bien même c'est juste une situation, déplier une serviette sur une plage, à un endroit plutôt qu'à un autre, et puis tasser un peu le sable pour y être confortable, et puis peut-être mettre son parasol pour qu'il nous fasse de l'ombre sur la tête, mais pas sur les pieds, etc. C'est déjà configurer une situation qui, à plein d'égards, peut être appelée faire de l'architecture. Et suivant comment on va choisir de définir cette architecture au sein de toutes ces possibilités-là. évidemment, on n'obtient pas le même genre de réponse à la question. C'est-à-dire que si on dit que l'architecture, c'est juste des édifices qui ont été conçus par des architectes, évidemment, à quoi est-ce que ça peut être utile ? À qui ça peut être utile, plutôt ? Ça peut être utile, sans doute, à plein de gens. Mais on ne parle plus du tout de la même chose que si on se dit en quoi c'est utile de... pas mettre sa serviette n'importe où sur la plage, de mettre le parasol plutôt du côté du soleil, etc. Donc à la fois, moi, j'aurais envie de poser la question de utile à qui et à quoi, et puis aussi de quoi on parle quand on parle d'architecture. Et je crois que plutôt que de dire comment il faut répondre ou comment il faut comprendre ces mots, j'aurais envie d'inviter chacun à se poser la question de comment il et elle ont envie de répondre. En fait, il y a une liberté. On a une liberté de définition des mots, on a une liberté de redéfinition des mots, et puis surtout, on a une liberté de placer les choses au service de ce qu'on veut. Donc, quand bien même l'architecture, c'est vrai, historiquement, ça a été ce qu'ont fait les architectes, et ça a été utile plutôt au pouvoir, au dominant, à l'impérialisme, et bien ça ne veut pas dire que c'est condamné à rester comme ça, et que peut-être on peut aussi en faire autre chose, on peut choisir de changer les choses et le cours de l'histoire. et de mettre une architecture qui est redéfinie de façon un peu élargie au service de beaucoup plus que juste la domination.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'on n'a souvent pas l'impression, en tout cas quand on pense à domination, on ne pense pas tout de suite à l'architecture. Quelques idées me viennent à l'esprit en vous écoutant. Je ne sais pas si c'est ce que vous avez en tête ou pas. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques exemples ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que l'architecture classique, néoclassique, l'architecture historique, ce qu'aujourd'hui on appelle le patrimoine, finalement dans sa grande majorité en tout cas. C'est des palais, c'est des temples, c'est des châteaux, c'est des arcs de triomphe, c'est des basiliques. En fait, c'est toujours des formes de cristallisation d'un pouvoir, c'est-à-dire c'est la solidification d'un pouvoir en place. C'est non seulement sa glorification, mais c'est aussi l'outil qui lui permet d'être ce pouvoir. C'est évidemment un château, un seigneur sans son château, ce n'est pas grand-chose. une église, quelle que soit la religion, sans ses bâtiments religieux, n'a pas la même puissance sociale. C'est pas pour rien que les églises, c'est toujours le sommet le plus haut du village. Enfin, voilà, il y a aussi une recherche un peu symbolique de visibilité spatiale, d'impression, d'impressionner. Et l'architecture, c'est vrai qu'elle impressionne. Enfin, je pense que c'est des réflexes assez... partagés à l'échelle de la planète, je n'ai pas envie de dire universalistes, surtout pas, mais enfin partagés assez largement. Quand on rentre dans un grand volume architectural, quel que soit le style, l'époque et le lieu, ça fait quelque chose au corps. On lève la tête, le son est différent, peut-être ça résonne, peut-être c'est très sombre ou très lumineux, on est attiré par cet espace-là. Et cette puissance-là de l'expérience spatiale, c'est sûr que c'est quelque chose qui a été utilisé. Ça peut être utilisé par l'art dans un musée, mais ça peut aussi être utilisé, évidemment, dans un château ou un palais pour montrer toute la puissance et la richesse et impressionner le visiteur.

  • Speaker #0

    On a aussi d'autres formes d'architecture. On a aussi des bidonvilles ou des petits villages, alors qu'ils sont peut-être moins pensés, quoique. Du coup, vous avez quel regard sur ces architectures-là ?

  • Speaker #1

    Mais oui, c'est... j'ai employé le mot de patrimoine. Aujourd'hui, on parle aussi de matrimoine, c'est-à-dire que le patrimoine, littéralement, c'est l'héritage du père. Et c'est vrai que la plupart des patrimoines que je viens d'évoquer, c'est littéralement nos pères et nos grands-pères. C'est les guerriers, c'est les rois, c'est les empereurs, c'est des hommes blancs qui fondaient leur prestige sur de la puissance et de la domination. Mais il y a aussi du matrimoine, l'héritage de nos mères. Et en architecture, ça donne autre chose de s'intéresser. et de se dire, tiens, mais est-ce qu'un lavoir, par exemple, ce n'est pas un matrimoine, parce que c'était le lieu où les femmes se retrouvaient pour aller laver les choses, quasiment, on appellerait aujourd'hui, dans un espace de non-mixité, parce que, alors que je ne sais pas si elle était choisie ou subie, mais en tout cas, à l'évidence, c'est plutôt l'architecture qui aidait le travail des femmes de l'époque dans la ruralité. Il y en a un peu partout en France, des lavoirs. Ils ne sont pas tous patrimonialisés dans ce sens-là, ces matrimoniales-là. Je veux dire qu'ils ne sont pas tous protégés, ils ne sont pas tous entretenus. De plus en plus, on se remet à s'intéresser à ces architectures de l'eau un peu ordinaires. Mais ça raconte un peu une autre histoire de nos sociétés, que de se réintéresser à ces choses plus ordinaires. Et puis évidemment, après, il y a... tout l'héritage, pour pas dire ni patrimoine ni matrimoine, mais l'héritage, l'héritage industriel, l'héritage moderne, l'héritage infrastructurel, l'héritage rural, médiéval. En fait, on hérite d'une quantité de mondes différents qui se superposent aujourd'hui et qui chacun, à leur manière, je trouve, parle des possibilités, de ce qu'on peut faire de l'espace terrestre. du type de société qu'on peut créer, du type de relation aux non-vivants, aux non-humains, au climat, au sol, aux gens entre eux. L'architecture, elle garde des traces de ces différents types de sociétés-là. Je trouve que c'est assez riche de se rappeler ça et de ne pas effectivement s'arrêter à un seul type de patrimoine en se disant qu'il n'y a que ces grandes bases.

  • Speaker #0

    Oui, que ce qui nous impressionne. Et c'est vrai qu'en vous écoutant, je pense, moi par exemple j'habite dans une ancienne ferme qu'on a rénovée. On a transformé, par exemple, des anciennes porcheries en endroits où on peut mettre des poignets à certains moments, des choses comme ça. Donc, on transforme tous des lieux. Il y a aussi des gens qui habitent dans des anciennes chapelles. Il y a toute cette transformation-là qui ne cesse de se produire. Et je crois que d'ailleurs, il y a beaucoup de bâtiments qui ont été construits avec des pierres, d'autres bâtiments qu'on avait démolis. Donc, on est toujours en train de retisser des liens ou de refaire ou de reconstruire ou de remobiliser des architectures.

  • Speaker #1

    Complètement. Et c'est évidemment... C'est sain, le monde est en métamorphose permanente, et il l'est de façon ordinaire, il l'est de façon discrète, effectivement, il l'est à toutes les échelles, tout le monde le transforme un petit peu tout le temps. Aujourd'hui, il y a beaucoup de choses qui sont en train d'émerger dans les mondes de l'architecture autour de la question de la maintenance, c'est-à-dire qui prend soin des choses, qui les maintient, qui ne les répare pas uniquement quand elles sont cassées, mais aussi qui les soigne au quotidien, c'est-à-dire les nettoie. les inspectent aussi pour savoir, enfin, à une attention aux choses, pour savoir à quel moment il faut justement les nettoyer, les réparer, les entretenir. Et je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il y a une frontière un peu floue malgré tout entre le nettoyage, la réparation, la transformation et tout ça à toutes les échelles. C'est-à-dire qu'on est en permanence effectivement en train de... De transformer. C'est juste des échelles et des niveaux d'action qui sont un peu différents, mais tout est transformation du monde. Et ce que je voudrais dire avec ça, c'est que je pense que c'est positif parce que ça permet de résister à l'idée que le monde serait figé, qu'il serait comme il est, qu'il a toujours été tel qu'il est et qu'il sera toujours comme ça ou que seuls les experts pourraient le changer. En fait, non. Il est en métamorphose permanente et tout le monde le transforme tout le temps. C'est plutôt ça, la réalité. C'est ça, c'est l'histoire de la vie sur Terre.

  • Speaker #0

    Donc justement, quand on le transforme, ça peut être utile au monde ou pas utile au monde. Qu'est-ce que vous voyez qui vous semble utile, pertinent, émerger comme pratique aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ce qui me semble utile et pertinent, c'est les pratiques qui résistent à l'ordre en place. Pour ne pas le dire par quatre chemins, je pense qu'il est utile et pertinent justement de se dire que l'ordre en place, mais de ne pas l'essentialiser, de ne pas le naturaliser. Je ne sais pas comment le dire autrement, de ne pas se dire qu'il est... Le "there is no alternative" qu'on disait à l'époque de Margaret Thatcher. Si, il y a des alternatives, en fait. Ça n'est pas la seule façon de faire monde, de faire société. En fait, il y a quantité de manières d'habiter le monde, de faire société, de faire économie, et donc de faire architecture, de faire infrastructure, de faire ville. Et il y a tout un tas d'initiatives aujourd'hui qui, concrètement, dans les faits, je pense à des collectifs d'architectes, c'est-à-dire des gens qui ont arrêté de pratiquer en agence de façon habituelle, derrière leur ordi, pour donner des plans à des artisans qui vont construire à leur place un bâtiment qu'eux-mêmes n'habiteront pas, les collectifs, eux, ils essayent de mener une alternative en changeant ce modèle d'agence d'architecture et peut-être des fois en allant construire eux-mêmes ou en allant construire, habiter sur place. Et puis penser avec les habitants parce qu'eux-mêmes deviennent habitants du coin. ou alors même en construisant avec les habitants, ou alors en construisant uniquement en matériaux de réemploi une structure temporaire qui va être entièrement réemployable en suivant. Enfin bref, par quantité de dispositifs, il montre que non seulement on peut penser la conception et la construction autrement, mais que le fait de la faire autrement, ça fait société autrement, parce que du coup les gens se retrouvent autour de la construction et de la conception, que peut-être un voisinage qui ne se parlait plus se retrouve autour de ces... processus de construction qui refont quartier, qui refont ville, qui refont village. Peut-être des gens qui n'avaient plus confiance en eux, ou n'ont jamais eu confiance en eux, sur leur capacité à bricoler, par exemple, parce que toute leur vie, on leur a dit mais toi, t'es une femme, tu sais pas travailler, tu n'es pas habile de tes mains, ça n'est pas ton domaine que de manipuler une visseuse aujourd'hui, à la retraite, se retrouvent à passer devant ces collectifs. Ça, c'est des histoires vécues, c'est pour ça que je les raconte. Se retrouvent à passer devant ces collectifs qui travaillent dans la rue, qui invitent à la co-construction. Et donc, finalement, se retrouvent aujourd'hui à la retraite à bricoler avec ces jeunes et puis à se dire Oui, je sais tout à fait le faire autant qu'eux. Et donc, à se découvrir dans cette possibilité-là, quand même, elles ont 70 ans et je pense que c'est... vraiment vivifiante pour tout le monde parce que c'est non seulement des liens intergénérationnels mais c'est des gens qui prennent confiance en eux c'est une ville aussi qui se rend compte qu'elle met l'argent à d'autres endroits en fait au lieu de mettre l'argent dans des experts dans des logiciels dans des dans des dessins magnifiques ben on met l'argent dans voilà des habitations temporaires des événements qui font se rencontrer les gens qui font des festivités et c'est pas moins important parce que ça fait que les gens aussi, quand les choses sortent, ils se laissent approprier, et c'est déjà un peu chez eux. En fait, ce n'est plus du tout la même lecture, on sort du paradigme de l'œuvre, l'œuvre du génie qu'il faudrait comprendre, et donc il faudrait acculturer les gens à la grande œuvre, parce qu'un architecte génial a eu une idée géniale, et il faudrait l'expliquer aux gens pour qu'ils accèdent à cette haute culture. Là, on n'est plus du tout dans ce vieux monde que je caricature un tout petit peu. petit peu mais franchement pas tant que ça c'est quand même encore beaucoup ça dans la tête de quelques-uns de mes confrères pas tous mais quelques-uns et et là on est plutôt dans oui dans un monde du faire ensemble mais c'est pas juste une déclaration de bonnes intentions un peu naïve on va faire ensemble c'est réellement comme ça ils font vraiment ensemble de la conception à la construction après les gens repartent avec le mobilier construit chez eux et donc ils ont chez eux une chaise ou une table qui a été faite ensemble lors de cet événement C'est des histoires de vie qui se tissent et qui montrent qu'on peut faire société autrement et que ce n'est pas juste une utopie. Ça me semble utile, oui.

  • Speaker #0

    Et cette intelligence collective qui émerge quand les collectifs arrivent à se mettre au service d'un but commun, on peut imaginer que ça peut fonctionner autour de leur lieu de vie, de leur quartier, et que ça peut aussi permettre de faire des choses qui sont durables et aussi belles, parce qu'on peut aussi faire fonctionner ensemble, faire travailler ensemble, les experts qui ont un tout petit peu plus de connaissances techniques, mais qui vont pouvoir dialoguer avec des personnes qui savent qu'est-ce qu'elles ont envie de vivre ensemble. Sans doute avoir de l'impact sur la manière dont on va prendre soin du lieu autour. Et puis, peut-être sensibiliser tout le monde, mais parce qu'on va réfléchir ensemble sur qu'est-ce que c'est que notre lieu de vie, qu'est-ce que c'est un lieu de vie, comment est-ce qu'on accueille les humains qui passent par là, mais aussi les non-humains qui passent par là, et quelle vie on tisse avec eux, quel lien on tisse ensemble. Oui, c'est complètement une autre histoire, dans ce coup qui apparaît.

  • Speaker #1

    Complètement, et je crois que c'est le début de ce qui, moi, m'a intéressé dans l'originalisme. Et c'est très en lien aussi avec quelque chose dont on entend parler. Alors, c'est une vieille histoire, ça date plutôt des années 70, mais qui ressort beaucoup aujourd'hui, qui sont des théories écoféministes, qui disent aussi, mais en fait, on ne peut pas déléguer le monde. Par exemple, la question de la subsistance, elle doit être partagée par tout le monde, un peu tout le temps, c'est une forme d'attention au monde, aux êtres. aux choses et donc justement aux liens entre les communautés qui prennent soin de quoi, selon quel processus, dans quel lieu, avec quelle temporalité. C'est un réancrage assez terrestre des questions un peu fondamentales de la vie sur Terre. La naissance, la maladie, la mort, la production de la nourriture, la réparation, l'entretien, le nettoyage, la bienveillance, tout ça, ça ne peut se faire que dans des lieux un peu situés. ancrée quelque part par des communautés qui connaissent quelque chose à ce lieu et à ces communautés. On ne peut pas externaliser ça, déléguer, numériser. Moi je vois des liens assez... C'est pas la même chose, mais je vois des liens assez forts entre les théories bio-régionalistes, celles écoféministes que j'ai évoquées, et puis tout ce qu'on est en train de se raconter là, en effet, sur les collectifs en architecture.

  • Speaker #0

    Oui, quand vous parlez de naissance, moi je pense aux maisons de naissance plutôt qu'aux hôpitaux, par exemple, parce que c'est ça que vous avez en tête. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est le bio-régionalisme ?

  • Speaker #1

    on est déjà un peu largement dedans avec toutes ces discussions-là. Malgré tout, c'est peut-être une chose au moins supplémentaire par rapport à ce qu'on s'est dit là, c'est une pensée de l'écologie, on pourrait dire de l'écologie profonde, pour le dire un peu autrement, ou essayer d'expliquer ce que ça veut dire, qui essaye de penser depuis la nature, pour employer un vieux terme qu'on n'essaie plus d'employer. qu'est-ce que ça fait de penser depuis un milieu, de penser depuis un écosystème, quel est l'intérêt de l'écosystème, et pas juste l'intérêt de l'humain ou de la société, ça c'est une tentative de sortie, à nouveau, un grand mot, un gros mot, mais de l'anthropocentrisme, enfin, l'anthropocentrisme, je pense que c'est important, littéralement, l'anthropo c'est l'humain, et le centrisme c'est le fait de ne voir que ses intérêts, donc c'est pas du tout le fait... C'est important de voir que c'est une critique. Un anthropocentriste, c'est un mot négatif. C'est assez difficile de dire moi j'assume l'anthropocentrisme ou je parle en tant qu'humain Ce n'est pas l'idée de parler en tant qu'humain, l'anthropocentriste. L'anthropocentriste, c'est l'équivalent du racisme. Ce n'est pas l'idée de parler en tant que blanc. C'est l'idée d'être raciste. Ce n'est pas du tout pareil. Moi, je peux parler en tant qu'homme, mais de là, être sexiste, c'est autre chose. Bien sûr qu'on parle en tant qu'humain. qu'on a un point de vue humain et c'est très difficile de se mettre dans la tête d'une chauve-souris. Malgré tout, l'idée de critiquer l'anthropocentrisme, c'est de critiquer le fait qu'on ne verrait que nos propres intérêts, qu'on instrumentaliserait tout le reste du vivant, des matières, des ressources, qu'on verrait justement la Terre comme une ressource à exploiter au service de nos intérêts à nous. Et ça, c'est de l'anthropocentrisme et on voit bien que c'est ça qui pose problème et qui sans doute est à l'origine des... des multiples crises environnementales qu'on connaît aujourd'hui. Le biorégionalisme, avec cette histoire d'écologie profonde, il essaye de sortir de cet anthropocentrisme en proposant une écologie qui est locale, qui est populaire, qui est située quelque part et qui appartient aux gens. C'est l'idée de dire qu'il faut se réintéresser à la manière dont nos vies ont un impact sur les milieux et donc commencer par reposer des questions de base. par exemple d'où vient l'eau que je bois à mon robinet. Et peut-être pour beaucoup, on ne sait pas d'où vient l'eau qu'on boit à notre robinet. Quand est-ce qu'elle est tombée sous forme de pluie ? Ou dans quelle nappe phréatique on l'a pompée ? Par quel chemin elle est venue ? Et puis après, où est-ce qu'elle part si je jette des produits toxiques dans mon évier ? Où est-ce que part cette eau ? Et qu'est-ce que ça pollue comme milieu en suivant dans le bassin versant ? Rien que cette Ausha, oui, cette question Ausha un peu fondamentale qui est... question de base, comment il est possible qu'on ne sache même pas d'où vient l'eau qu'on boit tous les jours, très peu savent y répondre, et le bio-originalisme propose de redémarrer un peu par là, par un local repris depuis cette question de milieu, de nos impacts sur ce milieu, et puis de reposer la question de ces connaissances-là de base, des espèces avec qui on partage ce milieu, du type de sol sur lequel on marche, des pollutions qui sont présentes ici, du climat qui change, et quel impact ça a. sur tout ça, ici et maintenant, et donc ici et demain, où est-ce que j'ai appris ça ? Si je sais quelque chose. Ou si je ne sais pas, où est-ce que je peux l'apprendre ? Si je sais quelque chose, où est-ce que je peux le transmettre à quelqu'un ? Où est-ce qu'on peut, en gros, avoir des écoles biorégionalistes pour transmettre des savoirs écologiques et populaires, locaux, qui permettent... à tout le monde d'en savoir plus, de son capacité localement sur ce qui se passe ici. Ce n'est pas l'idée d'un repli sur soi, surtout pas. Ce n'est pas l'idée de dire qu'il suffit de s'intéresser à ici.

  • Speaker #0

    Ce que je comprends, moi, en vous écoutant, c'est que de l'information sur l'écologie, sur le désastre écologique en cours, sur la chute de la biodiversité, etc., on en a tous beaucoup, mais que c'est une information qui est un peu décorrélée de la vie quotidienne des gens. Et que là, l'idée que vous proposez, qui me paraît bien pertinente, c'est que... On va partager de l'information qui nous relie ensemble et qui nous relie à la nature, qui arrête ce clivage entre nature et culture, qui a sans doute fait pas mal de mal à notre lien, à ce qui nous entoure, et à la nature dont on fait énormément partie. Et là, il s'agit de rôtisser des liens, mais des liens du quotidien, des liens qu'on verrait un peu féminins dans la vieille conception du monde, parce que c'est du quotidien, parce que c'est comment est-ce qu'on vit, comment est-ce qu'on se nourrit. comment est-ce qu'on se lave, comment est-ce qu'on fait société ensemble, et dans des choses très simples, très basiques. Et finalement, c'est avec l'information partagée au niveau très basique qu'on va se relier, parce que finalement, l'information qu'on a sur l'écologie, elle est peut-être un petit peu trop porsole pour la plupart des gens. Elles ne parlent pas à leur vie quotidienne, ils ne voient pas les liens. Et finalement, là, vous proposez des choses qui sont très simples, mais qui vont nous emmener à nous relier à toute la complexité du vivant et à voir que... Oui, cette Ausha, elle vient de là. Donc finalement, la façon dont on a entretenu les terrains au-dessus. Moi, je pense par exemple à l'environnement de mon enfance dans les vignes. À un moment donné, quand on a décidé de planter des vignes au plus haut possible de la montagne de Reims, pour faire du champagne un maximum, on a eu de l'érosion, ça a eu de l'impact sur l'eau, sur la qualité de l'eau aussi. Quand on comprend l'histoire, quand vous prenez juste l'eau, vous avez un tas d'histoires qui apparaissent et on voit les liens entre les choses qui sont des liens de complexité, mais qu'on peut raconter de manière relativement simple. parce qu'on est sur un fil.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Et ce n'est pas pour critiquer. C'est exactement ça que je veux dire. Et ce n'est pas pour dire que les informations hors sol ne servent à rien. Pas du tout. Parce qu'évidemment, c'est bienvenu d'avoir les conclusions du GIEC, d'avoir des études dans des revues prestigieuses qui quantifient à échelle globale l'effondrement du vivant, je ne sais pas quoi. On a besoin de ça. Mais en effet, si on n'a que ça, je pense qu'on tombe dans la situation actuelle qui est une déconnexion, une décorrélation avec la vie vécue des gens. qui a plusieurs impacts, à la fois politiques, ça veut dire que les gens se demandent du coup ce qu'ils peuvent faire, ils ne savent pas quoi faire, ils sont un peu perdus, donc on a ces angoisses écologiques qui naissent, et puis aussi une inaction écologique qui naît, puisque finalement des informations nous paraissent de loin et on ne sait pas les réancrer dans notre vie. Et puis d'autre part, je pense que ça nourrit des pensées populistes ou complotistes, climato-sceptiques, méfieuses. Pourquoi est-ce qu'on nous dit que le climat se réchauffe alors que là, il neige et qu'on est à telle saison ? Ou qu'on nous dit qu'il y a des sécheresses alors qu'on n'arrête pas de pleuvoir ? Bref, ce qu'on entend quand même tous les jours, plus ou moins dans les grands médias de ce pays et d'autres, avec une confusion assez navrante entre météo et climat, un peu le B.A.B.A., mais bref. Et je crois que tout ça s'explique bien, en effet, par le fait qu'on n'est que des informations globales et on n'a plus de culture locale écologique. Il faut du coup une alliance entre les deux, pas juste l'une ou pas juste l'autre, je crois, pour voir à échelle locale les impacts de ce que nous raconte le GIEC, pour anticiper à échelle locale comment on fait les métiers de demain, pour aider les gens qui doivent arrêter leur métier d'aujourd'hui à transiter, parce que la transition aujourd'hui, on la critique à juste titre, je pense, parce que c'est l'outil du gouvernement et du capitalisme pour ne pas mourir. On parle de transition et de développement du rapport. pour que surtout on reste de façon durable dans la pensée du développement, dans la domination occidentale, dans un capitalisme extractiviste, enfin bref, dans un capitalisme vert. Donc on a raison de critiquer la question de la transition, malgré tout, à échelle individuelle, il faut bien transiter, il faut transiter dans sa tête vers la radicalité, ça prend du temps, il faut transiter dans sa vie, socialement, dans son métier, il faut du temps pour se réinventer. Se refaire peut-être une communauté professionnelle et sociale qui est vers d'autres métiers, vers d'autres savoir-faire. Ou bien tout simplement, parce que notre métier, je pense ici, moi je parle depuis l'Isère, là, il y a plein de noyés en Isère, il y a des hectares et des hectares de cultures de noix.

  • Speaker #0

    On sait d'ores et déjà que, quels que soient les scénarios climatiques, de toute façon, à peu près dans 30 ans, tous les noyés ne sont plus adaptés au climat. Soit ils sont déjà morts, soit ils sont en train de mourir, soit ils ne produisent plus. Enfin bref, ça ne fonctionne plus. Et si du coup, les gens qui ont ces pépinières et ces élevages de noyés, ces productions de noix... veulent se réinventer, il faut qu'ils commencent à planter dès maintenant des espèces pour qu'elles arrivent à maturité dans quelques décennies. Donc à nouveau, on a une question de transition sur un moyen terme qui doit être anticipée de façon locale, en écho avec des questions globales. Et je trouve que de prise sous cet angle-là, que moi j'appellerais du régionaliste, c'est du coup un moteur plutôt positif, parce que c'est constructif. Ça pose la question de qu'est-ce qu'on fait ici et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ensemble. qu'est-ce qu'on fait de façon vraiment durable, vraiment soutenable, et pas juste pour le spectacle de la société, la consommation, du greenwashing, etc. Est-ce que des amandiers, ça pousse ici dans 20 ans ? Est-ce qu'on peut les planter dès maintenant ? Si oui, sur quel type de... Enfin, c'est des questions très concrètes qui sont mises en mouvement et je pense qui rendent un peu de... d'espoir, de moyens d'agir aux gens et qui refédèrent des communautés en fait. Et par contre, il est important, au moins de dire, l'intérêt dans tout ça aussi, c'est que ça permet de... En fait, ça ne pose pas la question de est-ce que tu es né au Maroc ? Est-ce que tu es arrivé de Thaïlande il y a deux mois ? Ou est-ce que tu penses repartir aux États-Unis dans trois semaines ? En fait, tout ça n'a pas d'impact sur la question qu'on vient de poser du noyer et de la mendier. La question qui compte, ce n'est pas à quelle langue tu parles, d'où tu viens, ou est-ce que tu es de la culture française. La question qui compte, c'est est-ce que tu sais participer à un écosystème sain, ici et maintenant, avec nous ? Est-ce que tu peux devenir autochtone de ce lieu ? Et du coup, c'est d'inviter tout le monde à cette pensée du devenir autochtone, parce que c'est très sain de penser l'autochtonie, le fait d'appartenir à une terre, dans un devenir, dans quelque chose qui plaît.

  • Speaker #1

    C'est vraiment intéressant ça aussi, je voudrais mettre l'accent dessus parce que c'est vrai qu'on peut avoir tendance à voir le lieu comme par son histoire, par le passé. Il y a des tas d'endroits. l'habitat a été modifié, tout a évolué, et puis les gens peuvent être un peu passéistes, en tant que finalement, on a transformé nos lieux, on ne s'y retrouve plus, etc. Et là, vous dites, dans le cadre du dérèglement climatique, ce qu'on est en train de vivre, en fait, des gens de... n'importe où, mais qui se retrouvent là et on est là ensemble, on va avoir une vision différente, une expérience différente. Et ça peut même être complètement antiraciste, puisque des gens qui viennent d'autres régions vont pouvoir apporter un regard de comment ils faisaient là ou là ou là, ou qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble qui va nous permettre, parce qu'il y a d'autres personnes, de voir un petit peu autre chose que notre façon de vivre comme elle est là aujourd'hui, et de se dire, qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble ? Et c'est vrai qu'on est dans l'inverse de... l'information qui nous tombe dessus en nous disant que les choses sont affreuses, un peu comme les informations à la télévision sur tout ce qui se passe dans le monde. Quand on entend, si on prend juste un quart d'heure pour écouter tout ce qui se passe entre Gaza, l'Ukraine, etc., on a juste envie de se coucher et puis de se relever. Et directement climatique, ça peut faire un peu la même chose. C'est peut-être aussi pour ça que les gens agissent si peu, c'est que ça paraît quelque chose qui arrive de manière tellement forte. qu'on ne voit pas comment lutter contre ou faire avec. Et là, vous dites au contraire, quand on prend les choses à l'échelle de là où on est, et je ne vous mettais pas de limite, j'ai l'impression, à ce local, finalement, il est assez malléable et il va dépendre de ce qu'on est en train de construire ensemble. Là, on se rend compte qu'on a plein de choses possibles, qu'on va pouvoir peut-être planter des arbres pour avoir moins de sécheresse, qu'on va peut-être pouvoir choisir les arbres qu'on va planter, qu'on va peut-être choisir aussi le type d'habitat qu'on met en place ou qu'on rénove, qu'on peut choisir aussi de... moins artificialiser les sols et puis peut-être de démolir des lieux ou de les rénover plutôt que de construire du neuf là où il y avait des prés et des forêts. Donc, ça redonne la marque finalement. Donc, c'est intéressant et ça peut vouloir dire aussi réussir à faire avec des gens qui vont penser de manière complètement différente de nous parce que tiens, c'est intéressant, ils voient ça comme ça. Ah oui, tiens, je n'avais pas vu cet angle-là. Donc, ça demande aussi de la curiosité. Et j'imagine dans des expériences qui ont pu être faites, si vous pouvez en citer... Un exemple qui vous a plu, il y a aussi de la médiation dans cette histoire, parce que ce n'est pas si naturel pour des humains, ou si individualiste que ce qu'on est devenu.

  • Speaker #0

    Oui, je rejoins exactement tout ça. Ce n'est pas simple, cette histoire d'altérité, de faire avec l'altérité comme une richesse, ça ne veut pas dire que c'est simple, ça ne veut pas dire que c'est libérer tout conflit. parce qu'un conflit, ce n'est pas forcément une guerre horrible avec des morts. Il y a des conflits à toutes les échelles, et le conflit peut être sain, il peut être désirable. On peut rentrer dans une discussion un peu conflictuelle pour s'expliquer, par exemple. Ça peut être constructif, aller vers du mieux. Et bien sûr que le multiculturel, l'altérité, et même d'ailleurs pas que, génère du conflit. Parce qu'il y a des frottements entre des systèmes de valeurs qui ne sont pas les mêmes. Et ça, il ne faut pas le nier. Je pense à un cas qui est celui du démantèlement d'un barrage. Il y en a eu plusieurs, des démantèlements de barrages, par le passé à l'international. Pas tant que ça, c'est-à-dire qu'on a construit énormément de barrages, et pour l'instant, on en a démantelé très peu. Mais effectivement, il y a un barrage aux États-Unis qui a été démantelé. Il y a eu un film qui a été fait là-dessus, qu'on a regardé et commenté il n'y a pas longtemps dans un colloque. sur la question de l'eau, et donc spontanément je pense à ce cas-là. Ce qui est fascinant, c'est de retracer cette histoire coloniale du barrage, parce que le barrage, il est construit par des sociétés de colons sur des terres autochtones, donc c'est vraiment un outil colonial de destruction des modes de vie qui étaient là.

  • Speaker #1

    C'était où ?

  • Speaker #0

    Le fleuve Éloi. Il faut que je retrouve le titre exact, par exemple, même du film. Je crois que c'est The Return of the River. au titre du documentaire sur ce démantèlement de barrages sur le fleuve Éloi, qui est un outil colonial de destruction des modes de vie autochtones qui vivaient du fleuve, qui vivaient de la pêche, qui vivaient de la proximité avec ce fleuve. Les colons arrivent au début XXe siècle, ils construisent ce grand barrage pour les besoins de leur société. En effet, le barrage est construit, il est approprié par les communautés de colons locales américaines. Et ces sociétés-là finissent par lui trouver tout un tas d'attraits, c'est-à-dire que ça devient un moteur de tourisme, de balades, de légatures, de pêche, et il fait partie au fil du temps du patrimoine local. Sauf qu'écologiquement c'est un désastre, et toute la suite du bassin versant en aval est un peu dévastée par ce barrage, ce qui fait que de plus en plus des mouvements écologistes au fil du XXe siècle finissent. finissent par faire entendre qu'il faut le démanteler, il faut détruire ce barrage, c'est un désastre. Ça remonte jusqu'aux plus hautes sphères, du Congrès, du Sénat américain, etc. Finalement, des luttes s'engagent entre écologistes et autochtones qui font alliance, enfin les résistants des communautés autochtones, et en fait la société blanche américaine. petite bourgeoise qui elle est contente d'aller en week-end se balader le long du lac et dit mais ça c'est notre patrimoine maintenant ce barrage est toute notre vie c'est l'histoire de notre région donc ce lac il ne faut pas y toucher votre histoire de destruction environnementale on n'en a rien à faire on veut continuer à aller pêcher sur le lac le dimanche et donc toute la lutte s'engage et finalement le barrage est démantelé déconstruit donc le film retrace finalement cette histoire de d'appropriation d'un fleuve, puis d'appropriation d'un barrage, puis quand même de destruction d'un barrage. Ça montre toute la complexité qu'il y a, et la reformation en permanence, je trouve, des communautés. C'est-à-dire, quelle communauté fait alliance avec laquelle, et que les choses peuvent bouger dans le temps, de façon tout à fait imprévue. Les alliances et les systèmes d'alliances bougent au fil du temps, de sorte qu'est-ce qu'une partie des Blancs fasse alliance avec une partie des Autochtones, contre d'autres Blancs. Tout ça, je pense, est... C'est un exemple que j'avais envie de donner parce qu'il me semble montrer de façon pas trop naïve ce que ça peut être que des questions biorégionalistes. Et ce n'est pas juste Ah, on va faire un jardin en permaculture ensemble, toi tu es noir, moi je suis blanc et on va être amis Ce n'est pas ça.

  • Speaker #1

    Et comment justement ça a pu se faire là ou ça peut se faire globalement parce que les intérêts économiques sont tellement forts ? Aujourd'hui, vous parlez de barrages, c'est hyper intéressant comme exemple, parce qu'on parle tellement d'énergie renouvelable comme la panacée, mais effectivement, un barrage, ce n'est pas rien. Les poissons qui passaient là ne peuvent plus transiter. Ça a des impacts énormes sur toute l'écologie, sur tout l'écosystème, en bien, en mal, je ne porte pas de jugement spécifique, mais en tout cas, ça a des impacts qui sont forts. Et comment il a été possible dans ce cas-là, et comment il est possible peut-être dans d'autres exemples que vous connaissez, d'arriver à donner suffisamment de place aux non-humains ? pour que les conditions de vie d'humains qui sont peut-être un peu moins valorisés et de non-humains rentrent en contre dans la décision ? C'est quelque chose qu'on n'a tellement pas fait, qui demande des changements d'habitude qui sont fortes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vraiment la question difficile, parce que c'est la question qui dit en fait comment on fait, mais moi je pense que la question au fond, c'est comment on fait pour changer de système de valeur. Et ça, ça ne peut pas être fait effectivement en claquant des doigts, ni en utilisant... les mêmes données que celles du système dont on veut s'échapper. Il y a une autrice, une militante féministe américaine célèbre, Audrey Lord, qui disait que les outils du maître, on ne peut pas casser la maison du maître avec les propres outils qui vont servir à la construire. Il y a vraiment une difficulté avec ça. Et donc, en effet, à partir du moment où on reste sur les terrains économiques, on perd parce que ce n'est jamais rentable l'écologie. À partir du moment où on reste sur les questions de rationalité, de système productif, de progrès, on perd. Parce que ça, c'est les systèmes de valeur du monde qu'on essaie de quitter. Donc, il faut changer de système de valeur. Et en effet, ce n'est pas simple. Alors, je crois que ça peut passer. Un outil de transition d'un système de valeur à un autre, pour moi, ça peut être l'imaginaire ou la culture, la cosmologie.

  • Speaker #1

    Un récit collectif, quelque chose qui nous emmène vers une histoire qui va être à la fois plus humaine, plus naturelle, plus vivante, plus Justin de Porto.

  • Speaker #0

    Complètement. Un récit collectif qui a une forme de rêve collectif, au sens premier du rêve, pas au sens de c'est inatteignable, c'est utopique, c'est irréalisable. Dans le sens où le rêve, c'est ce qui nous... Quant au rêve, c'est quand même le moment où tout notre corps est engagé entièrement. On se vit dans le rêve, alors même qu'on ne bouge pas, mais on est pleinement dedans. Et je crois qu'il faut rêver un peu la question biorégionale, collectivement, en effet, pour en refaire une culture totale, des chansons, des représentations, un patois, pas un patois figé, pas un patois qu'on va rechercher du passé, un patois qui, d'ailleurs, bouge tous les ans, un patois qui peut être fait avec du verlan, avec des mots américains, avec des mots arabes, avec ce qu'on veut.

  • Speaker #2

    Nous voilà à la fin de notre premier épisode avec Mathias Rouleau, mais ce n'est pas la fin de notre conversation, c'est la moitié. La semaine prochaine, nous continuerons à parler de décolonisation, de ce que l'architecture peut créer, générer, comment est-ce qu'on peut la faire et la vivre ensemble, et puis de plein d'autres choses. Je vous invite à nous retrouver la semaine prochaine sur le podcast Entre-Las. Et puis, comme d'habitude, si vous voulez en savoir davantage sur Mathias Rouleau, vous trouverez toutes les informations dans la description de cet épisode. Ce podcast n'est pas seulement le mien, c'est aussi le vôtre, c'est le nôtre. Si vous voulez contribuer, intervenir, proposer, contactez-moi. Si vous avez aimé cet épisode, partagez-le autour de vous, mettez des étoiles pour le noter, et abonnez-vous pour ne pas manquer les prochains. A très bientôt !

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Description

Comment habiter le monde ensemble, aujourd’hui ? C’est la question avec laquelle je suis allée à la rencontre de Mathias Rollot.

Matthias Rollot est architecte, enseignant, chercheur.et auteur.

Dans cet épisode, Mathias nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde, une architecture que tout le monde peut s’approprier.

  • Une architecture biorégionale au sens où elle est pensée, créée, tissée avec ceux qui sont là au même endroit au même moment.

  • Une architecture biorégionale en ce sens qu’elle est pensée depuis la nature, en tentant de tenir compte de son point de vue et pas seulement de l’intérêt des humains. C’est une architecture qui tente de se défaire de l’anthropocentrisme : une écologie locale, populaire, située dans un lieu, consciente de son impact sur le milieu, du type de sol, du climat, des pollutions présentes..

Il s’agit de devenir « autochtone », c’est-à-dire, concrètement, d’être de la terre qu’on habite, d’appartenir à ce territoire, sur une terre qui peut changer, se transformer, devenir.

Mathias Rollot nous parle aussi, ici, d’une architecture décolonalisée, en ce sens qu’elle sort de la grande logique de la domination. C’est une architecture utile, fertile, qui permet d’habiter le monde ensemble…


Parmi les livres les plus récents de Mathias Rollot

  1. Décoloniser l’architecture, paru aux éditions Le Passager Clandestin en 2024

  2. Qu’est-ce qu’une biorégion ? Ouvrage co-réalisé avec Marin Schaffner et Emmanuel Constant, paru aux éditions Wildproject (2021, réédité en 2024)

  3. Les Territoires du vivant, Un manifeste biorégionaliste, paru initialement aux éditions François Bourin, réédit aux éditions Wildproject (2018 puis 202)  https://wildproject.org/livres/les-territoires-du-vivant

Le site de Mathias Rollot https://mathiasrollot.work/


Musique : Tella, Amel Brahim Djelloul et Lik, Oum, morceau choisi par Mathias Rollot, avec l’autorisation de la SACEM.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Soyez toutes et tous les bienvenus sur Entrelacs, le podcast qui tisse de liens pour réconcilier les humains avec les vivants en eux, autour d'eux. Si les ressources terrestres sont limitées, il existe cependant des espaces sans limites, une immensité à portée de cœur et de main. L'infinie richesse est dans nos liens. C'est cette richesse-là, Cette immensité-là que j'ai envie de révéler et de partager avec vous. Comment habiter le monde ensemble aujourd'hui ? C'est la question avec laquelle je suis allée rencontrer Mathias Rollot, qui est architecte, enseignant-chercheur et auteur. Dans cet épisode, Mathias Rollot nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde. Une architecture qui n'est pas seulement celle des puissants, mais que tout le monde peut s'approprier. Une architecture biorégionale, en ce sens qu'elle est pensée, créée et tissée avec ceux qui sont là, au même endroit, au même moment. Une architecture décolonalisée, en ce sens qu'elle sort de cette logique de domination. Une architecture utile, fertile, qui permet d'habiter le monde ensemble. Chère auditrice, cher auditeur, cet épisode et ce podcast sont pour toi. Je te souhaite une bonne écoute, je te laisse entrer là. Sache que cet épisode est en deux parties. Vous pourrez donc écouter la suite la semaine prochaine où nous continuerons d'explorer les logiques de domination, les exemples de ce qui se fait, de ce qui fonctionne aujourd'hui, les difficultés auxquelles on achoppe et puis les solutions qu'on trouve ensemble, pas à pas. Mathias, je vous remercie beaucoup d'être avec moi et avec nous aujourd'hui sur le podcast Entrelacs. On va parler d'architecture et de comment l'architecture change le monde ou comment elle impacte le monde. Et puis, on va explorer ces sujets au-delà de l'architecture. On va parler de biorégionalisme, de décroissance, de décolonisation de l'architecture. Tout ça va être clarifié dans quelques minutes. Est-ce que, juste avant qu'on explore ces sujets-là, vous voulez vous présenter rapidement ?

  • Speaker #1

    Oui, je vais me présenter. Merci beaucoup de me recevoir. Je vais dire deux mots. Comment on peut dire deux mots sur soi ? Je suis architecte de formation et puis aussi de métier. J'ai pratiqué quelques années avant de me consacrer à l'enseignement et à la recherche en architecture. Aujourd'hui, je suis maître de conférence à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble et chercheur dans un laboratoire qui s'appelle le Cresson. Et j'ai une pratique d'écriture et de traduction et d'édition, principalement dans la recherche autour des questions d'architecture, à l'ère écologique et au regard des problématiques sociales, écologiques et sociales qui traversent nos sociétés. Je m'interroge sur la capacité de l'architecture à réagir à ces questionnements-là et même peut-être à être un outil pour aider à les traverser.

  • Speaker #0

    Si l'architecture peut être un outil, c'est quoi une architecture qui est utile au monde ? C'est quoi déjà cet outil qu'est l'architecture et comment est-ce qu'elle peut être utile au monde de votre point de vue ?

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est déjà une vraie bonne question. De quoi on parle quand on parle d'architecture ? Parce qu'il y a plein de façons de définir ce mot-là. J'ai l'habitude de dire que dans d'autres domaines, c'est plus clair. Par exemple, dans le cinéma, on fait des films. alors que dans l'architecture, on fait de l'architecture. Il y a déjà un flou de départ qui fait que on ne sait pas bien de quoi on parle. Si le mot architecture renvoie à un édifice construit, s'il renvoie à une discipline avec des savoir-faire, s'il renvoie à une communauté avec des architectes, avec des sociétés, avec des métiers, ou s'il renvoie peut-être encore plus largement que ça à tout ce qu'on fait quand on commence à configurer l'espace, à configurer le monde. à s'approprier un lieu ? Est-ce que ce n'est pas un peu déjà de l'architecture ? Quand bien même si elle est ce que certains collègues appellent situationnelle, quand bien même c'est juste une situation, déplier une serviette sur une plage, à un endroit plutôt qu'à un autre, et puis tasser un peu le sable pour y être confortable, et puis peut-être mettre son parasol pour qu'il nous fasse de l'ombre sur la tête, mais pas sur les pieds, etc. C'est déjà configurer une situation qui, à plein d'égards, peut être appelée faire de l'architecture. Et suivant comment on va choisir de définir cette architecture au sein de toutes ces possibilités-là. évidemment, on n'obtient pas le même genre de réponse à la question. C'est-à-dire que si on dit que l'architecture, c'est juste des édifices qui ont été conçus par des architectes, évidemment, à quoi est-ce que ça peut être utile ? À qui ça peut être utile, plutôt ? Ça peut être utile, sans doute, à plein de gens. Mais on ne parle plus du tout de la même chose que si on se dit en quoi c'est utile de... pas mettre sa serviette n'importe où sur la plage, de mettre le parasol plutôt du côté du soleil, etc. Donc à la fois, moi, j'aurais envie de poser la question de utile à qui et à quoi, et puis aussi de quoi on parle quand on parle d'architecture. Et je crois que plutôt que de dire comment il faut répondre ou comment il faut comprendre ces mots, j'aurais envie d'inviter chacun à se poser la question de comment il et elle ont envie de répondre. En fait, il y a une liberté. On a une liberté de définition des mots, on a une liberté de redéfinition des mots, et puis surtout, on a une liberté de placer les choses au service de ce qu'on veut. Donc, quand bien même l'architecture, c'est vrai, historiquement, ça a été ce qu'ont fait les architectes, et ça a été utile plutôt au pouvoir, au dominant, à l'impérialisme, et bien ça ne veut pas dire que c'est condamné à rester comme ça, et que peut-être on peut aussi en faire autre chose, on peut choisir de changer les choses et le cours de l'histoire. et de mettre une architecture qui est redéfinie de façon un peu élargie au service de beaucoup plus que juste la domination.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'on n'a souvent pas l'impression, en tout cas quand on pense à domination, on ne pense pas tout de suite à l'architecture. Quelques idées me viennent à l'esprit en vous écoutant. Je ne sais pas si c'est ce que vous avez en tête ou pas. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques exemples ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que l'architecture classique, néoclassique, l'architecture historique, ce qu'aujourd'hui on appelle le patrimoine, finalement dans sa grande majorité en tout cas. C'est des palais, c'est des temples, c'est des châteaux, c'est des arcs de triomphe, c'est des basiliques. En fait, c'est toujours des formes de cristallisation d'un pouvoir, c'est-à-dire c'est la solidification d'un pouvoir en place. C'est non seulement sa glorification, mais c'est aussi l'outil qui lui permet d'être ce pouvoir. C'est évidemment un château, un seigneur sans son château, ce n'est pas grand-chose. une église, quelle que soit la religion, sans ses bâtiments religieux, n'a pas la même puissance sociale. C'est pas pour rien que les églises, c'est toujours le sommet le plus haut du village. Enfin, voilà, il y a aussi une recherche un peu symbolique de visibilité spatiale, d'impression, d'impressionner. Et l'architecture, c'est vrai qu'elle impressionne. Enfin, je pense que c'est des réflexes assez... partagés à l'échelle de la planète, je n'ai pas envie de dire universalistes, surtout pas, mais enfin partagés assez largement. Quand on rentre dans un grand volume architectural, quel que soit le style, l'époque et le lieu, ça fait quelque chose au corps. On lève la tête, le son est différent, peut-être ça résonne, peut-être c'est très sombre ou très lumineux, on est attiré par cet espace-là. Et cette puissance-là de l'expérience spatiale, c'est sûr que c'est quelque chose qui a été utilisé. Ça peut être utilisé par l'art dans un musée, mais ça peut aussi être utilisé, évidemment, dans un château ou un palais pour montrer toute la puissance et la richesse et impressionner le visiteur.

  • Speaker #0

    On a aussi d'autres formes d'architecture. On a aussi des bidonvilles ou des petits villages, alors qu'ils sont peut-être moins pensés, quoique. Du coup, vous avez quel regard sur ces architectures-là ?

  • Speaker #1

    Mais oui, c'est... j'ai employé le mot de patrimoine. Aujourd'hui, on parle aussi de matrimoine, c'est-à-dire que le patrimoine, littéralement, c'est l'héritage du père. Et c'est vrai que la plupart des patrimoines que je viens d'évoquer, c'est littéralement nos pères et nos grands-pères. C'est les guerriers, c'est les rois, c'est les empereurs, c'est des hommes blancs qui fondaient leur prestige sur de la puissance et de la domination. Mais il y a aussi du matrimoine, l'héritage de nos mères. Et en architecture, ça donne autre chose de s'intéresser. et de se dire, tiens, mais est-ce qu'un lavoir, par exemple, ce n'est pas un matrimoine, parce que c'était le lieu où les femmes se retrouvaient pour aller laver les choses, quasiment, on appellerait aujourd'hui, dans un espace de non-mixité, parce que, alors que je ne sais pas si elle était choisie ou subie, mais en tout cas, à l'évidence, c'est plutôt l'architecture qui aidait le travail des femmes de l'époque dans la ruralité. Il y en a un peu partout en France, des lavoirs. Ils ne sont pas tous patrimonialisés dans ce sens-là, ces matrimoniales-là. Je veux dire qu'ils ne sont pas tous protégés, ils ne sont pas tous entretenus. De plus en plus, on se remet à s'intéresser à ces architectures de l'eau un peu ordinaires. Mais ça raconte un peu une autre histoire de nos sociétés, que de se réintéresser à ces choses plus ordinaires. Et puis évidemment, après, il y a... tout l'héritage, pour pas dire ni patrimoine ni matrimoine, mais l'héritage, l'héritage industriel, l'héritage moderne, l'héritage infrastructurel, l'héritage rural, médiéval. En fait, on hérite d'une quantité de mondes différents qui se superposent aujourd'hui et qui chacun, à leur manière, je trouve, parle des possibilités, de ce qu'on peut faire de l'espace terrestre. du type de société qu'on peut créer, du type de relation aux non-vivants, aux non-humains, au climat, au sol, aux gens entre eux. L'architecture, elle garde des traces de ces différents types de sociétés-là. Je trouve que c'est assez riche de se rappeler ça et de ne pas effectivement s'arrêter à un seul type de patrimoine en se disant qu'il n'y a que ces grandes bases.

  • Speaker #0

    Oui, que ce qui nous impressionne. Et c'est vrai qu'en vous écoutant, je pense, moi par exemple j'habite dans une ancienne ferme qu'on a rénovée. On a transformé, par exemple, des anciennes porcheries en endroits où on peut mettre des poignets à certains moments, des choses comme ça. Donc, on transforme tous des lieux. Il y a aussi des gens qui habitent dans des anciennes chapelles. Il y a toute cette transformation-là qui ne cesse de se produire. Et je crois que d'ailleurs, il y a beaucoup de bâtiments qui ont été construits avec des pierres, d'autres bâtiments qu'on avait démolis. Donc, on est toujours en train de retisser des liens ou de refaire ou de reconstruire ou de remobiliser des architectures.

  • Speaker #1

    Complètement. Et c'est évidemment... C'est sain, le monde est en métamorphose permanente, et il l'est de façon ordinaire, il l'est de façon discrète, effectivement, il l'est à toutes les échelles, tout le monde le transforme un petit peu tout le temps. Aujourd'hui, il y a beaucoup de choses qui sont en train d'émerger dans les mondes de l'architecture autour de la question de la maintenance, c'est-à-dire qui prend soin des choses, qui les maintient, qui ne les répare pas uniquement quand elles sont cassées, mais aussi qui les soigne au quotidien, c'est-à-dire les nettoie. les inspectent aussi pour savoir, enfin, à une attention aux choses, pour savoir à quel moment il faut justement les nettoyer, les réparer, les entretenir. Et je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il y a une frontière un peu floue malgré tout entre le nettoyage, la réparation, la transformation et tout ça à toutes les échelles. C'est-à-dire qu'on est en permanence effectivement en train de... De transformer. C'est juste des échelles et des niveaux d'action qui sont un peu différents, mais tout est transformation du monde. Et ce que je voudrais dire avec ça, c'est que je pense que c'est positif parce que ça permet de résister à l'idée que le monde serait figé, qu'il serait comme il est, qu'il a toujours été tel qu'il est et qu'il sera toujours comme ça ou que seuls les experts pourraient le changer. En fait, non. Il est en métamorphose permanente et tout le monde le transforme tout le temps. C'est plutôt ça, la réalité. C'est ça, c'est l'histoire de la vie sur Terre.

  • Speaker #0

    Donc justement, quand on le transforme, ça peut être utile au monde ou pas utile au monde. Qu'est-ce que vous voyez qui vous semble utile, pertinent, émerger comme pratique aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ce qui me semble utile et pertinent, c'est les pratiques qui résistent à l'ordre en place. Pour ne pas le dire par quatre chemins, je pense qu'il est utile et pertinent justement de se dire que l'ordre en place, mais de ne pas l'essentialiser, de ne pas le naturaliser. Je ne sais pas comment le dire autrement, de ne pas se dire qu'il est... Le "there is no alternative" qu'on disait à l'époque de Margaret Thatcher. Si, il y a des alternatives, en fait. Ça n'est pas la seule façon de faire monde, de faire société. En fait, il y a quantité de manières d'habiter le monde, de faire société, de faire économie, et donc de faire architecture, de faire infrastructure, de faire ville. Et il y a tout un tas d'initiatives aujourd'hui qui, concrètement, dans les faits, je pense à des collectifs d'architectes, c'est-à-dire des gens qui ont arrêté de pratiquer en agence de façon habituelle, derrière leur ordi, pour donner des plans à des artisans qui vont construire à leur place un bâtiment qu'eux-mêmes n'habiteront pas, les collectifs, eux, ils essayent de mener une alternative en changeant ce modèle d'agence d'architecture et peut-être des fois en allant construire eux-mêmes ou en allant construire, habiter sur place. Et puis penser avec les habitants parce qu'eux-mêmes deviennent habitants du coin. ou alors même en construisant avec les habitants, ou alors en construisant uniquement en matériaux de réemploi une structure temporaire qui va être entièrement réemployable en suivant. Enfin bref, par quantité de dispositifs, il montre que non seulement on peut penser la conception et la construction autrement, mais que le fait de la faire autrement, ça fait société autrement, parce que du coup les gens se retrouvent autour de la construction et de la conception, que peut-être un voisinage qui ne se parlait plus se retrouve autour de ces... processus de construction qui refont quartier, qui refont ville, qui refont village. Peut-être des gens qui n'avaient plus confiance en eux, ou n'ont jamais eu confiance en eux, sur leur capacité à bricoler, par exemple, parce que toute leur vie, on leur a dit mais toi, t'es une femme, tu sais pas travailler, tu n'es pas habile de tes mains, ça n'est pas ton domaine que de manipuler une visseuse aujourd'hui, à la retraite, se retrouvent à passer devant ces collectifs. Ça, c'est des histoires vécues, c'est pour ça que je les raconte. Se retrouvent à passer devant ces collectifs qui travaillent dans la rue, qui invitent à la co-construction. Et donc, finalement, se retrouvent aujourd'hui à la retraite à bricoler avec ces jeunes et puis à se dire Oui, je sais tout à fait le faire autant qu'eux. Et donc, à se découvrir dans cette possibilité-là, quand même, elles ont 70 ans et je pense que c'est... vraiment vivifiante pour tout le monde parce que c'est non seulement des liens intergénérationnels mais c'est des gens qui prennent confiance en eux c'est une ville aussi qui se rend compte qu'elle met l'argent à d'autres endroits en fait au lieu de mettre l'argent dans des experts dans des logiciels dans des dans des dessins magnifiques ben on met l'argent dans voilà des habitations temporaires des événements qui font se rencontrer les gens qui font des festivités et c'est pas moins important parce que ça fait que les gens aussi, quand les choses sortent, ils se laissent approprier, et c'est déjà un peu chez eux. En fait, ce n'est plus du tout la même lecture, on sort du paradigme de l'œuvre, l'œuvre du génie qu'il faudrait comprendre, et donc il faudrait acculturer les gens à la grande œuvre, parce qu'un architecte génial a eu une idée géniale, et il faudrait l'expliquer aux gens pour qu'ils accèdent à cette haute culture. Là, on n'est plus du tout dans ce vieux monde que je caricature un tout petit peu. petit peu mais franchement pas tant que ça c'est quand même encore beaucoup ça dans la tête de quelques-uns de mes confrères pas tous mais quelques-uns et et là on est plutôt dans oui dans un monde du faire ensemble mais c'est pas juste une déclaration de bonnes intentions un peu naïve on va faire ensemble c'est réellement comme ça ils font vraiment ensemble de la conception à la construction après les gens repartent avec le mobilier construit chez eux et donc ils ont chez eux une chaise ou une table qui a été faite ensemble lors de cet événement C'est des histoires de vie qui se tissent et qui montrent qu'on peut faire société autrement et que ce n'est pas juste une utopie. Ça me semble utile, oui.

  • Speaker #0

    Et cette intelligence collective qui émerge quand les collectifs arrivent à se mettre au service d'un but commun, on peut imaginer que ça peut fonctionner autour de leur lieu de vie, de leur quartier, et que ça peut aussi permettre de faire des choses qui sont durables et aussi belles, parce qu'on peut aussi faire fonctionner ensemble, faire travailler ensemble, les experts qui ont un tout petit peu plus de connaissances techniques, mais qui vont pouvoir dialoguer avec des personnes qui savent qu'est-ce qu'elles ont envie de vivre ensemble. Sans doute avoir de l'impact sur la manière dont on va prendre soin du lieu autour. Et puis, peut-être sensibiliser tout le monde, mais parce qu'on va réfléchir ensemble sur qu'est-ce que c'est que notre lieu de vie, qu'est-ce que c'est un lieu de vie, comment est-ce qu'on accueille les humains qui passent par là, mais aussi les non-humains qui passent par là, et quelle vie on tisse avec eux, quel lien on tisse ensemble. Oui, c'est complètement une autre histoire, dans ce coup qui apparaît.

  • Speaker #1

    Complètement, et je crois que c'est le début de ce qui, moi, m'a intéressé dans l'originalisme. Et c'est très en lien aussi avec quelque chose dont on entend parler. Alors, c'est une vieille histoire, ça date plutôt des années 70, mais qui ressort beaucoup aujourd'hui, qui sont des théories écoféministes, qui disent aussi, mais en fait, on ne peut pas déléguer le monde. Par exemple, la question de la subsistance, elle doit être partagée par tout le monde, un peu tout le temps, c'est une forme d'attention au monde, aux êtres. aux choses et donc justement aux liens entre les communautés qui prennent soin de quoi, selon quel processus, dans quel lieu, avec quelle temporalité. C'est un réancrage assez terrestre des questions un peu fondamentales de la vie sur Terre. La naissance, la maladie, la mort, la production de la nourriture, la réparation, l'entretien, le nettoyage, la bienveillance, tout ça, ça ne peut se faire que dans des lieux un peu situés. ancrée quelque part par des communautés qui connaissent quelque chose à ce lieu et à ces communautés. On ne peut pas externaliser ça, déléguer, numériser. Moi je vois des liens assez... C'est pas la même chose, mais je vois des liens assez forts entre les théories bio-régionalistes, celles écoféministes que j'ai évoquées, et puis tout ce qu'on est en train de se raconter là, en effet, sur les collectifs en architecture.

  • Speaker #0

    Oui, quand vous parlez de naissance, moi je pense aux maisons de naissance plutôt qu'aux hôpitaux, par exemple, parce que c'est ça que vous avez en tête. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est le bio-régionalisme ?

  • Speaker #1

    on est déjà un peu largement dedans avec toutes ces discussions-là. Malgré tout, c'est peut-être une chose au moins supplémentaire par rapport à ce qu'on s'est dit là, c'est une pensée de l'écologie, on pourrait dire de l'écologie profonde, pour le dire un peu autrement, ou essayer d'expliquer ce que ça veut dire, qui essaye de penser depuis la nature, pour employer un vieux terme qu'on n'essaie plus d'employer. qu'est-ce que ça fait de penser depuis un milieu, de penser depuis un écosystème, quel est l'intérêt de l'écosystème, et pas juste l'intérêt de l'humain ou de la société, ça c'est une tentative de sortie, à nouveau, un grand mot, un gros mot, mais de l'anthropocentrisme, enfin, l'anthropocentrisme, je pense que c'est important, littéralement, l'anthropo c'est l'humain, et le centrisme c'est le fait de ne voir que ses intérêts, donc c'est pas du tout le fait... C'est important de voir que c'est une critique. Un anthropocentriste, c'est un mot négatif. C'est assez difficile de dire moi j'assume l'anthropocentrisme ou je parle en tant qu'humain Ce n'est pas l'idée de parler en tant qu'humain, l'anthropocentriste. L'anthropocentriste, c'est l'équivalent du racisme. Ce n'est pas l'idée de parler en tant que blanc. C'est l'idée d'être raciste. Ce n'est pas du tout pareil. Moi, je peux parler en tant qu'homme, mais de là, être sexiste, c'est autre chose. Bien sûr qu'on parle en tant qu'humain. qu'on a un point de vue humain et c'est très difficile de se mettre dans la tête d'une chauve-souris. Malgré tout, l'idée de critiquer l'anthropocentrisme, c'est de critiquer le fait qu'on ne verrait que nos propres intérêts, qu'on instrumentaliserait tout le reste du vivant, des matières, des ressources, qu'on verrait justement la Terre comme une ressource à exploiter au service de nos intérêts à nous. Et ça, c'est de l'anthropocentrisme et on voit bien que c'est ça qui pose problème et qui sans doute est à l'origine des... des multiples crises environnementales qu'on connaît aujourd'hui. Le biorégionalisme, avec cette histoire d'écologie profonde, il essaye de sortir de cet anthropocentrisme en proposant une écologie qui est locale, qui est populaire, qui est située quelque part et qui appartient aux gens. C'est l'idée de dire qu'il faut se réintéresser à la manière dont nos vies ont un impact sur les milieux et donc commencer par reposer des questions de base. par exemple d'où vient l'eau que je bois à mon robinet. Et peut-être pour beaucoup, on ne sait pas d'où vient l'eau qu'on boit à notre robinet. Quand est-ce qu'elle est tombée sous forme de pluie ? Ou dans quelle nappe phréatique on l'a pompée ? Par quel chemin elle est venue ? Et puis après, où est-ce qu'elle part si je jette des produits toxiques dans mon évier ? Où est-ce que part cette eau ? Et qu'est-ce que ça pollue comme milieu en suivant dans le bassin versant ? Rien que cette Ausha, oui, cette question Ausha un peu fondamentale qui est... question de base, comment il est possible qu'on ne sache même pas d'où vient l'eau qu'on boit tous les jours, très peu savent y répondre, et le bio-originalisme propose de redémarrer un peu par là, par un local repris depuis cette question de milieu, de nos impacts sur ce milieu, et puis de reposer la question de ces connaissances-là de base, des espèces avec qui on partage ce milieu, du type de sol sur lequel on marche, des pollutions qui sont présentes ici, du climat qui change, et quel impact ça a. sur tout ça, ici et maintenant, et donc ici et demain, où est-ce que j'ai appris ça ? Si je sais quelque chose. Ou si je ne sais pas, où est-ce que je peux l'apprendre ? Si je sais quelque chose, où est-ce que je peux le transmettre à quelqu'un ? Où est-ce qu'on peut, en gros, avoir des écoles biorégionalistes pour transmettre des savoirs écologiques et populaires, locaux, qui permettent... à tout le monde d'en savoir plus, de son capacité localement sur ce qui se passe ici. Ce n'est pas l'idée d'un repli sur soi, surtout pas. Ce n'est pas l'idée de dire qu'il suffit de s'intéresser à ici.

  • Speaker #0

    Ce que je comprends, moi, en vous écoutant, c'est que de l'information sur l'écologie, sur le désastre écologique en cours, sur la chute de la biodiversité, etc., on en a tous beaucoup, mais que c'est une information qui est un peu décorrélée de la vie quotidienne des gens. Et que là, l'idée que vous proposez, qui me paraît bien pertinente, c'est que... On va partager de l'information qui nous relie ensemble et qui nous relie à la nature, qui arrête ce clivage entre nature et culture, qui a sans doute fait pas mal de mal à notre lien, à ce qui nous entoure, et à la nature dont on fait énormément partie. Et là, il s'agit de rôtisser des liens, mais des liens du quotidien, des liens qu'on verrait un peu féminins dans la vieille conception du monde, parce que c'est du quotidien, parce que c'est comment est-ce qu'on vit, comment est-ce qu'on se nourrit. comment est-ce qu'on se lave, comment est-ce qu'on fait société ensemble, et dans des choses très simples, très basiques. Et finalement, c'est avec l'information partagée au niveau très basique qu'on va se relier, parce que finalement, l'information qu'on a sur l'écologie, elle est peut-être un petit peu trop porsole pour la plupart des gens. Elles ne parlent pas à leur vie quotidienne, ils ne voient pas les liens. Et finalement, là, vous proposez des choses qui sont très simples, mais qui vont nous emmener à nous relier à toute la complexité du vivant et à voir que... Oui, cette Ausha, elle vient de là. Donc finalement, la façon dont on a entretenu les terrains au-dessus. Moi, je pense par exemple à l'environnement de mon enfance dans les vignes. À un moment donné, quand on a décidé de planter des vignes au plus haut possible de la montagne de Reims, pour faire du champagne un maximum, on a eu de l'érosion, ça a eu de l'impact sur l'eau, sur la qualité de l'eau aussi. Quand on comprend l'histoire, quand vous prenez juste l'eau, vous avez un tas d'histoires qui apparaissent et on voit les liens entre les choses qui sont des liens de complexité, mais qu'on peut raconter de manière relativement simple. parce qu'on est sur un fil.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Et ce n'est pas pour critiquer. C'est exactement ça que je veux dire. Et ce n'est pas pour dire que les informations hors sol ne servent à rien. Pas du tout. Parce qu'évidemment, c'est bienvenu d'avoir les conclusions du GIEC, d'avoir des études dans des revues prestigieuses qui quantifient à échelle globale l'effondrement du vivant, je ne sais pas quoi. On a besoin de ça. Mais en effet, si on n'a que ça, je pense qu'on tombe dans la situation actuelle qui est une déconnexion, une décorrélation avec la vie vécue des gens. qui a plusieurs impacts, à la fois politiques, ça veut dire que les gens se demandent du coup ce qu'ils peuvent faire, ils ne savent pas quoi faire, ils sont un peu perdus, donc on a ces angoisses écologiques qui naissent, et puis aussi une inaction écologique qui naît, puisque finalement des informations nous paraissent de loin et on ne sait pas les réancrer dans notre vie. Et puis d'autre part, je pense que ça nourrit des pensées populistes ou complotistes, climato-sceptiques, méfieuses. Pourquoi est-ce qu'on nous dit que le climat se réchauffe alors que là, il neige et qu'on est à telle saison ? Ou qu'on nous dit qu'il y a des sécheresses alors qu'on n'arrête pas de pleuvoir ? Bref, ce qu'on entend quand même tous les jours, plus ou moins dans les grands médias de ce pays et d'autres, avec une confusion assez navrante entre météo et climat, un peu le B.A.B.A., mais bref. Et je crois que tout ça s'explique bien, en effet, par le fait qu'on n'est que des informations globales et on n'a plus de culture locale écologique. Il faut du coup une alliance entre les deux, pas juste l'une ou pas juste l'autre, je crois, pour voir à échelle locale les impacts de ce que nous raconte le GIEC, pour anticiper à échelle locale comment on fait les métiers de demain, pour aider les gens qui doivent arrêter leur métier d'aujourd'hui à transiter, parce que la transition aujourd'hui, on la critique à juste titre, je pense, parce que c'est l'outil du gouvernement et du capitalisme pour ne pas mourir. On parle de transition et de développement du rapport. pour que surtout on reste de façon durable dans la pensée du développement, dans la domination occidentale, dans un capitalisme extractiviste, enfin bref, dans un capitalisme vert. Donc on a raison de critiquer la question de la transition, malgré tout, à échelle individuelle, il faut bien transiter, il faut transiter dans sa tête vers la radicalité, ça prend du temps, il faut transiter dans sa vie, socialement, dans son métier, il faut du temps pour se réinventer. Se refaire peut-être une communauté professionnelle et sociale qui est vers d'autres métiers, vers d'autres savoir-faire. Ou bien tout simplement, parce que notre métier, je pense ici, moi je parle depuis l'Isère, là, il y a plein de noyés en Isère, il y a des hectares et des hectares de cultures de noix.

  • Speaker #0

    On sait d'ores et déjà que, quels que soient les scénarios climatiques, de toute façon, à peu près dans 30 ans, tous les noyés ne sont plus adaptés au climat. Soit ils sont déjà morts, soit ils sont en train de mourir, soit ils ne produisent plus. Enfin bref, ça ne fonctionne plus. Et si du coup, les gens qui ont ces pépinières et ces élevages de noyés, ces productions de noix... veulent se réinventer, il faut qu'ils commencent à planter dès maintenant des espèces pour qu'elles arrivent à maturité dans quelques décennies. Donc à nouveau, on a une question de transition sur un moyen terme qui doit être anticipée de façon locale, en écho avec des questions globales. Et je trouve que de prise sous cet angle-là, que moi j'appellerais du régionaliste, c'est du coup un moteur plutôt positif, parce que c'est constructif. Ça pose la question de qu'est-ce qu'on fait ici et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ensemble. qu'est-ce qu'on fait de façon vraiment durable, vraiment soutenable, et pas juste pour le spectacle de la société, la consommation, du greenwashing, etc. Est-ce que des amandiers, ça pousse ici dans 20 ans ? Est-ce qu'on peut les planter dès maintenant ? Si oui, sur quel type de... Enfin, c'est des questions très concrètes qui sont mises en mouvement et je pense qui rendent un peu de... d'espoir, de moyens d'agir aux gens et qui refédèrent des communautés en fait. Et par contre, il est important, au moins de dire, l'intérêt dans tout ça aussi, c'est que ça permet de... En fait, ça ne pose pas la question de est-ce que tu es né au Maroc ? Est-ce que tu es arrivé de Thaïlande il y a deux mois ? Ou est-ce que tu penses repartir aux États-Unis dans trois semaines ? En fait, tout ça n'a pas d'impact sur la question qu'on vient de poser du noyer et de la mendier. La question qui compte, ce n'est pas à quelle langue tu parles, d'où tu viens, ou est-ce que tu es de la culture française. La question qui compte, c'est est-ce que tu sais participer à un écosystème sain, ici et maintenant, avec nous ? Est-ce que tu peux devenir autochtone de ce lieu ? Et du coup, c'est d'inviter tout le monde à cette pensée du devenir autochtone, parce que c'est très sain de penser l'autochtonie, le fait d'appartenir à une terre, dans un devenir, dans quelque chose qui plaît.

  • Speaker #1

    C'est vraiment intéressant ça aussi, je voudrais mettre l'accent dessus parce que c'est vrai qu'on peut avoir tendance à voir le lieu comme par son histoire, par le passé. Il y a des tas d'endroits. l'habitat a été modifié, tout a évolué, et puis les gens peuvent être un peu passéistes, en tant que finalement, on a transformé nos lieux, on ne s'y retrouve plus, etc. Et là, vous dites, dans le cadre du dérèglement climatique, ce qu'on est en train de vivre, en fait, des gens de... n'importe où, mais qui se retrouvent là et on est là ensemble, on va avoir une vision différente, une expérience différente. Et ça peut même être complètement antiraciste, puisque des gens qui viennent d'autres régions vont pouvoir apporter un regard de comment ils faisaient là ou là ou là, ou qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble qui va nous permettre, parce qu'il y a d'autres personnes, de voir un petit peu autre chose que notre façon de vivre comme elle est là aujourd'hui, et de se dire, qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble ? Et c'est vrai qu'on est dans l'inverse de... l'information qui nous tombe dessus en nous disant que les choses sont affreuses, un peu comme les informations à la télévision sur tout ce qui se passe dans le monde. Quand on entend, si on prend juste un quart d'heure pour écouter tout ce qui se passe entre Gaza, l'Ukraine, etc., on a juste envie de se coucher et puis de se relever. Et directement climatique, ça peut faire un peu la même chose. C'est peut-être aussi pour ça que les gens agissent si peu, c'est que ça paraît quelque chose qui arrive de manière tellement forte. qu'on ne voit pas comment lutter contre ou faire avec. Et là, vous dites au contraire, quand on prend les choses à l'échelle de là où on est, et je ne vous mettais pas de limite, j'ai l'impression, à ce local, finalement, il est assez malléable et il va dépendre de ce qu'on est en train de construire ensemble. Là, on se rend compte qu'on a plein de choses possibles, qu'on va pouvoir peut-être planter des arbres pour avoir moins de sécheresse, qu'on va peut-être pouvoir choisir les arbres qu'on va planter, qu'on va peut-être choisir aussi le type d'habitat qu'on met en place ou qu'on rénove, qu'on peut choisir aussi de... moins artificialiser les sols et puis peut-être de démolir des lieux ou de les rénover plutôt que de construire du neuf là où il y avait des prés et des forêts. Donc, ça redonne la marque finalement. Donc, c'est intéressant et ça peut vouloir dire aussi réussir à faire avec des gens qui vont penser de manière complètement différente de nous parce que tiens, c'est intéressant, ils voient ça comme ça. Ah oui, tiens, je n'avais pas vu cet angle-là. Donc, ça demande aussi de la curiosité. Et j'imagine dans des expériences qui ont pu être faites, si vous pouvez en citer... Un exemple qui vous a plu, il y a aussi de la médiation dans cette histoire, parce que ce n'est pas si naturel pour des humains, ou si individualiste que ce qu'on est devenu.

  • Speaker #0

    Oui, je rejoins exactement tout ça. Ce n'est pas simple, cette histoire d'altérité, de faire avec l'altérité comme une richesse, ça ne veut pas dire que c'est simple, ça ne veut pas dire que c'est libérer tout conflit. parce qu'un conflit, ce n'est pas forcément une guerre horrible avec des morts. Il y a des conflits à toutes les échelles, et le conflit peut être sain, il peut être désirable. On peut rentrer dans une discussion un peu conflictuelle pour s'expliquer, par exemple. Ça peut être constructif, aller vers du mieux. Et bien sûr que le multiculturel, l'altérité, et même d'ailleurs pas que, génère du conflit. Parce qu'il y a des frottements entre des systèmes de valeurs qui ne sont pas les mêmes. Et ça, il ne faut pas le nier. Je pense à un cas qui est celui du démantèlement d'un barrage. Il y en a eu plusieurs, des démantèlements de barrages, par le passé à l'international. Pas tant que ça, c'est-à-dire qu'on a construit énormément de barrages, et pour l'instant, on en a démantelé très peu. Mais effectivement, il y a un barrage aux États-Unis qui a été démantelé. Il y a eu un film qui a été fait là-dessus, qu'on a regardé et commenté il n'y a pas longtemps dans un colloque. sur la question de l'eau, et donc spontanément je pense à ce cas-là. Ce qui est fascinant, c'est de retracer cette histoire coloniale du barrage, parce que le barrage, il est construit par des sociétés de colons sur des terres autochtones, donc c'est vraiment un outil colonial de destruction des modes de vie qui étaient là.

  • Speaker #1

    C'était où ?

  • Speaker #0

    Le fleuve Éloi. Il faut que je retrouve le titre exact, par exemple, même du film. Je crois que c'est The Return of the River. au titre du documentaire sur ce démantèlement de barrages sur le fleuve Éloi, qui est un outil colonial de destruction des modes de vie autochtones qui vivaient du fleuve, qui vivaient de la pêche, qui vivaient de la proximité avec ce fleuve. Les colons arrivent au début XXe siècle, ils construisent ce grand barrage pour les besoins de leur société. En effet, le barrage est construit, il est approprié par les communautés de colons locales américaines. Et ces sociétés-là finissent par lui trouver tout un tas d'attraits, c'est-à-dire que ça devient un moteur de tourisme, de balades, de légatures, de pêche, et il fait partie au fil du temps du patrimoine local. Sauf qu'écologiquement c'est un désastre, et toute la suite du bassin versant en aval est un peu dévastée par ce barrage, ce qui fait que de plus en plus des mouvements écologistes au fil du XXe siècle finissent. finissent par faire entendre qu'il faut le démanteler, il faut détruire ce barrage, c'est un désastre. Ça remonte jusqu'aux plus hautes sphères, du Congrès, du Sénat américain, etc. Finalement, des luttes s'engagent entre écologistes et autochtones qui font alliance, enfin les résistants des communautés autochtones, et en fait la société blanche américaine. petite bourgeoise qui elle est contente d'aller en week-end se balader le long du lac et dit mais ça c'est notre patrimoine maintenant ce barrage est toute notre vie c'est l'histoire de notre région donc ce lac il ne faut pas y toucher votre histoire de destruction environnementale on n'en a rien à faire on veut continuer à aller pêcher sur le lac le dimanche et donc toute la lutte s'engage et finalement le barrage est démantelé déconstruit donc le film retrace finalement cette histoire de d'appropriation d'un fleuve, puis d'appropriation d'un barrage, puis quand même de destruction d'un barrage. Ça montre toute la complexité qu'il y a, et la reformation en permanence, je trouve, des communautés. C'est-à-dire, quelle communauté fait alliance avec laquelle, et que les choses peuvent bouger dans le temps, de façon tout à fait imprévue. Les alliances et les systèmes d'alliances bougent au fil du temps, de sorte qu'est-ce qu'une partie des Blancs fasse alliance avec une partie des Autochtones, contre d'autres Blancs. Tout ça, je pense, est... C'est un exemple que j'avais envie de donner parce qu'il me semble montrer de façon pas trop naïve ce que ça peut être que des questions biorégionalistes. Et ce n'est pas juste Ah, on va faire un jardin en permaculture ensemble, toi tu es noir, moi je suis blanc et on va être amis Ce n'est pas ça.

  • Speaker #1

    Et comment justement ça a pu se faire là ou ça peut se faire globalement parce que les intérêts économiques sont tellement forts ? Aujourd'hui, vous parlez de barrages, c'est hyper intéressant comme exemple, parce qu'on parle tellement d'énergie renouvelable comme la panacée, mais effectivement, un barrage, ce n'est pas rien. Les poissons qui passaient là ne peuvent plus transiter. Ça a des impacts énormes sur toute l'écologie, sur tout l'écosystème, en bien, en mal, je ne porte pas de jugement spécifique, mais en tout cas, ça a des impacts qui sont forts. Et comment il a été possible dans ce cas-là, et comment il est possible peut-être dans d'autres exemples que vous connaissez, d'arriver à donner suffisamment de place aux non-humains ? pour que les conditions de vie d'humains qui sont peut-être un peu moins valorisés et de non-humains rentrent en contre dans la décision ? C'est quelque chose qu'on n'a tellement pas fait, qui demande des changements d'habitude qui sont fortes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vraiment la question difficile, parce que c'est la question qui dit en fait comment on fait, mais moi je pense que la question au fond, c'est comment on fait pour changer de système de valeur. Et ça, ça ne peut pas être fait effectivement en claquant des doigts, ni en utilisant... les mêmes données que celles du système dont on veut s'échapper. Il y a une autrice, une militante féministe américaine célèbre, Audrey Lord, qui disait que les outils du maître, on ne peut pas casser la maison du maître avec les propres outils qui vont servir à la construire. Il y a vraiment une difficulté avec ça. Et donc, en effet, à partir du moment où on reste sur les terrains économiques, on perd parce que ce n'est jamais rentable l'écologie. À partir du moment où on reste sur les questions de rationalité, de système productif, de progrès, on perd. Parce que ça, c'est les systèmes de valeur du monde qu'on essaie de quitter. Donc, il faut changer de système de valeur. Et en effet, ce n'est pas simple. Alors, je crois que ça peut passer. Un outil de transition d'un système de valeur à un autre, pour moi, ça peut être l'imaginaire ou la culture, la cosmologie.

  • Speaker #1

    Un récit collectif, quelque chose qui nous emmène vers une histoire qui va être à la fois plus humaine, plus naturelle, plus vivante, plus Justin de Porto.

  • Speaker #0

    Complètement. Un récit collectif qui a une forme de rêve collectif, au sens premier du rêve, pas au sens de c'est inatteignable, c'est utopique, c'est irréalisable. Dans le sens où le rêve, c'est ce qui nous... Quant au rêve, c'est quand même le moment où tout notre corps est engagé entièrement. On se vit dans le rêve, alors même qu'on ne bouge pas, mais on est pleinement dedans. Et je crois qu'il faut rêver un peu la question biorégionale, collectivement, en effet, pour en refaire une culture totale, des chansons, des représentations, un patois, pas un patois figé, pas un patois qu'on va rechercher du passé, un patois qui, d'ailleurs, bouge tous les ans, un patois qui peut être fait avec du verlan, avec des mots américains, avec des mots arabes, avec ce qu'on veut.

  • Speaker #2

    Nous voilà à la fin de notre premier épisode avec Mathias Rouleau, mais ce n'est pas la fin de notre conversation, c'est la moitié. La semaine prochaine, nous continuerons à parler de décolonisation, de ce que l'architecture peut créer, générer, comment est-ce qu'on peut la faire et la vivre ensemble, et puis de plein d'autres choses. Je vous invite à nous retrouver la semaine prochaine sur le podcast Entre-Las. Et puis, comme d'habitude, si vous voulez en savoir davantage sur Mathias Rouleau, vous trouverez toutes les informations dans la description de cet épisode. Ce podcast n'est pas seulement le mien, c'est aussi le vôtre, c'est le nôtre. Si vous voulez contribuer, intervenir, proposer, contactez-moi. Si vous avez aimé cet épisode, partagez-le autour de vous, mettez des étoiles pour le noter, et abonnez-vous pour ne pas manquer les prochains. A très bientôt !

Description

Comment habiter le monde ensemble, aujourd’hui ? C’est la question avec laquelle je suis allée à la rencontre de Mathias Rollot.

Matthias Rollot est architecte, enseignant, chercheur.et auteur.

Dans cet épisode, Mathias nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde, une architecture que tout le monde peut s’approprier.

  • Une architecture biorégionale au sens où elle est pensée, créée, tissée avec ceux qui sont là au même endroit au même moment.

  • Une architecture biorégionale en ce sens qu’elle est pensée depuis la nature, en tentant de tenir compte de son point de vue et pas seulement de l’intérêt des humains. C’est une architecture qui tente de se défaire de l’anthropocentrisme : une écologie locale, populaire, située dans un lieu, consciente de son impact sur le milieu, du type de sol, du climat, des pollutions présentes..

Il s’agit de devenir « autochtone », c’est-à-dire, concrètement, d’être de la terre qu’on habite, d’appartenir à ce territoire, sur une terre qui peut changer, se transformer, devenir.

Mathias Rollot nous parle aussi, ici, d’une architecture décolonalisée, en ce sens qu’elle sort de la grande logique de la domination. C’est une architecture utile, fertile, qui permet d’habiter le monde ensemble…


Parmi les livres les plus récents de Mathias Rollot

  1. Décoloniser l’architecture, paru aux éditions Le Passager Clandestin en 2024

  2. Qu’est-ce qu’une biorégion ? Ouvrage co-réalisé avec Marin Schaffner et Emmanuel Constant, paru aux éditions Wildproject (2021, réédité en 2024)

  3. Les Territoires du vivant, Un manifeste biorégionaliste, paru initialement aux éditions François Bourin, réédit aux éditions Wildproject (2018 puis 202)  https://wildproject.org/livres/les-territoires-du-vivant

Le site de Mathias Rollot https://mathiasrollot.work/


Musique : Tella, Amel Brahim Djelloul et Lik, Oum, morceau choisi par Mathias Rollot, avec l’autorisation de la SACEM.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Soyez toutes et tous les bienvenus sur Entrelacs, le podcast qui tisse de liens pour réconcilier les humains avec les vivants en eux, autour d'eux. Si les ressources terrestres sont limitées, il existe cependant des espaces sans limites, une immensité à portée de cœur et de main. L'infinie richesse est dans nos liens. C'est cette richesse-là, Cette immensité-là que j'ai envie de révéler et de partager avec vous. Comment habiter le monde ensemble aujourd'hui ? C'est la question avec laquelle je suis allée rencontrer Mathias Rollot, qui est architecte, enseignant-chercheur et auteur. Dans cet épisode, Mathias Rollot nous explique comment nous pouvons bâtir une architecture utile au monde. Une architecture qui n'est pas seulement celle des puissants, mais que tout le monde peut s'approprier. Une architecture biorégionale, en ce sens qu'elle est pensée, créée et tissée avec ceux qui sont là, au même endroit, au même moment. Une architecture décolonalisée, en ce sens qu'elle sort de cette logique de domination. Une architecture utile, fertile, qui permet d'habiter le monde ensemble. Chère auditrice, cher auditeur, cet épisode et ce podcast sont pour toi. Je te souhaite une bonne écoute, je te laisse entrer là. Sache que cet épisode est en deux parties. Vous pourrez donc écouter la suite la semaine prochaine où nous continuerons d'explorer les logiques de domination, les exemples de ce qui se fait, de ce qui fonctionne aujourd'hui, les difficultés auxquelles on achoppe et puis les solutions qu'on trouve ensemble, pas à pas. Mathias, je vous remercie beaucoup d'être avec moi et avec nous aujourd'hui sur le podcast Entrelacs. On va parler d'architecture et de comment l'architecture change le monde ou comment elle impacte le monde. Et puis, on va explorer ces sujets au-delà de l'architecture. On va parler de biorégionalisme, de décroissance, de décolonisation de l'architecture. Tout ça va être clarifié dans quelques minutes. Est-ce que, juste avant qu'on explore ces sujets-là, vous voulez vous présenter rapidement ?

  • Speaker #1

    Oui, je vais me présenter. Merci beaucoup de me recevoir. Je vais dire deux mots. Comment on peut dire deux mots sur soi ? Je suis architecte de formation et puis aussi de métier. J'ai pratiqué quelques années avant de me consacrer à l'enseignement et à la recherche en architecture. Aujourd'hui, je suis maître de conférence à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble et chercheur dans un laboratoire qui s'appelle le Cresson. Et j'ai une pratique d'écriture et de traduction et d'édition, principalement dans la recherche autour des questions d'architecture, à l'ère écologique et au regard des problématiques sociales, écologiques et sociales qui traversent nos sociétés. Je m'interroge sur la capacité de l'architecture à réagir à ces questionnements-là et même peut-être à être un outil pour aider à les traverser.

  • Speaker #0

    Si l'architecture peut être un outil, c'est quoi une architecture qui est utile au monde ? C'est quoi déjà cet outil qu'est l'architecture et comment est-ce qu'elle peut être utile au monde de votre point de vue ?

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est déjà une vraie bonne question. De quoi on parle quand on parle d'architecture ? Parce qu'il y a plein de façons de définir ce mot-là. J'ai l'habitude de dire que dans d'autres domaines, c'est plus clair. Par exemple, dans le cinéma, on fait des films. alors que dans l'architecture, on fait de l'architecture. Il y a déjà un flou de départ qui fait que on ne sait pas bien de quoi on parle. Si le mot architecture renvoie à un édifice construit, s'il renvoie à une discipline avec des savoir-faire, s'il renvoie à une communauté avec des architectes, avec des sociétés, avec des métiers, ou s'il renvoie peut-être encore plus largement que ça à tout ce qu'on fait quand on commence à configurer l'espace, à configurer le monde. à s'approprier un lieu ? Est-ce que ce n'est pas un peu déjà de l'architecture ? Quand bien même si elle est ce que certains collègues appellent situationnelle, quand bien même c'est juste une situation, déplier une serviette sur une plage, à un endroit plutôt qu'à un autre, et puis tasser un peu le sable pour y être confortable, et puis peut-être mettre son parasol pour qu'il nous fasse de l'ombre sur la tête, mais pas sur les pieds, etc. C'est déjà configurer une situation qui, à plein d'égards, peut être appelée faire de l'architecture. Et suivant comment on va choisir de définir cette architecture au sein de toutes ces possibilités-là. évidemment, on n'obtient pas le même genre de réponse à la question. C'est-à-dire que si on dit que l'architecture, c'est juste des édifices qui ont été conçus par des architectes, évidemment, à quoi est-ce que ça peut être utile ? À qui ça peut être utile, plutôt ? Ça peut être utile, sans doute, à plein de gens. Mais on ne parle plus du tout de la même chose que si on se dit en quoi c'est utile de... pas mettre sa serviette n'importe où sur la plage, de mettre le parasol plutôt du côté du soleil, etc. Donc à la fois, moi, j'aurais envie de poser la question de utile à qui et à quoi, et puis aussi de quoi on parle quand on parle d'architecture. Et je crois que plutôt que de dire comment il faut répondre ou comment il faut comprendre ces mots, j'aurais envie d'inviter chacun à se poser la question de comment il et elle ont envie de répondre. En fait, il y a une liberté. On a une liberté de définition des mots, on a une liberté de redéfinition des mots, et puis surtout, on a une liberté de placer les choses au service de ce qu'on veut. Donc, quand bien même l'architecture, c'est vrai, historiquement, ça a été ce qu'ont fait les architectes, et ça a été utile plutôt au pouvoir, au dominant, à l'impérialisme, et bien ça ne veut pas dire que c'est condamné à rester comme ça, et que peut-être on peut aussi en faire autre chose, on peut choisir de changer les choses et le cours de l'histoire. et de mettre une architecture qui est redéfinie de façon un peu élargie au service de beaucoup plus que juste la domination.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce qu'on n'a souvent pas l'impression, en tout cas quand on pense à domination, on ne pense pas tout de suite à l'architecture. Quelques idées me viennent à l'esprit en vous écoutant. Je ne sais pas si c'est ce que vous avez en tête ou pas. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques exemples ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que l'architecture classique, néoclassique, l'architecture historique, ce qu'aujourd'hui on appelle le patrimoine, finalement dans sa grande majorité en tout cas. C'est des palais, c'est des temples, c'est des châteaux, c'est des arcs de triomphe, c'est des basiliques. En fait, c'est toujours des formes de cristallisation d'un pouvoir, c'est-à-dire c'est la solidification d'un pouvoir en place. C'est non seulement sa glorification, mais c'est aussi l'outil qui lui permet d'être ce pouvoir. C'est évidemment un château, un seigneur sans son château, ce n'est pas grand-chose. une église, quelle que soit la religion, sans ses bâtiments religieux, n'a pas la même puissance sociale. C'est pas pour rien que les églises, c'est toujours le sommet le plus haut du village. Enfin, voilà, il y a aussi une recherche un peu symbolique de visibilité spatiale, d'impression, d'impressionner. Et l'architecture, c'est vrai qu'elle impressionne. Enfin, je pense que c'est des réflexes assez... partagés à l'échelle de la planète, je n'ai pas envie de dire universalistes, surtout pas, mais enfin partagés assez largement. Quand on rentre dans un grand volume architectural, quel que soit le style, l'époque et le lieu, ça fait quelque chose au corps. On lève la tête, le son est différent, peut-être ça résonne, peut-être c'est très sombre ou très lumineux, on est attiré par cet espace-là. Et cette puissance-là de l'expérience spatiale, c'est sûr que c'est quelque chose qui a été utilisé. Ça peut être utilisé par l'art dans un musée, mais ça peut aussi être utilisé, évidemment, dans un château ou un palais pour montrer toute la puissance et la richesse et impressionner le visiteur.

  • Speaker #0

    On a aussi d'autres formes d'architecture. On a aussi des bidonvilles ou des petits villages, alors qu'ils sont peut-être moins pensés, quoique. Du coup, vous avez quel regard sur ces architectures-là ?

  • Speaker #1

    Mais oui, c'est... j'ai employé le mot de patrimoine. Aujourd'hui, on parle aussi de matrimoine, c'est-à-dire que le patrimoine, littéralement, c'est l'héritage du père. Et c'est vrai que la plupart des patrimoines que je viens d'évoquer, c'est littéralement nos pères et nos grands-pères. C'est les guerriers, c'est les rois, c'est les empereurs, c'est des hommes blancs qui fondaient leur prestige sur de la puissance et de la domination. Mais il y a aussi du matrimoine, l'héritage de nos mères. Et en architecture, ça donne autre chose de s'intéresser. et de se dire, tiens, mais est-ce qu'un lavoir, par exemple, ce n'est pas un matrimoine, parce que c'était le lieu où les femmes se retrouvaient pour aller laver les choses, quasiment, on appellerait aujourd'hui, dans un espace de non-mixité, parce que, alors que je ne sais pas si elle était choisie ou subie, mais en tout cas, à l'évidence, c'est plutôt l'architecture qui aidait le travail des femmes de l'époque dans la ruralité. Il y en a un peu partout en France, des lavoirs. Ils ne sont pas tous patrimonialisés dans ce sens-là, ces matrimoniales-là. Je veux dire qu'ils ne sont pas tous protégés, ils ne sont pas tous entretenus. De plus en plus, on se remet à s'intéresser à ces architectures de l'eau un peu ordinaires. Mais ça raconte un peu une autre histoire de nos sociétés, que de se réintéresser à ces choses plus ordinaires. Et puis évidemment, après, il y a... tout l'héritage, pour pas dire ni patrimoine ni matrimoine, mais l'héritage, l'héritage industriel, l'héritage moderne, l'héritage infrastructurel, l'héritage rural, médiéval. En fait, on hérite d'une quantité de mondes différents qui se superposent aujourd'hui et qui chacun, à leur manière, je trouve, parle des possibilités, de ce qu'on peut faire de l'espace terrestre. du type de société qu'on peut créer, du type de relation aux non-vivants, aux non-humains, au climat, au sol, aux gens entre eux. L'architecture, elle garde des traces de ces différents types de sociétés-là. Je trouve que c'est assez riche de se rappeler ça et de ne pas effectivement s'arrêter à un seul type de patrimoine en se disant qu'il n'y a que ces grandes bases.

  • Speaker #0

    Oui, que ce qui nous impressionne. Et c'est vrai qu'en vous écoutant, je pense, moi par exemple j'habite dans une ancienne ferme qu'on a rénovée. On a transformé, par exemple, des anciennes porcheries en endroits où on peut mettre des poignets à certains moments, des choses comme ça. Donc, on transforme tous des lieux. Il y a aussi des gens qui habitent dans des anciennes chapelles. Il y a toute cette transformation-là qui ne cesse de se produire. Et je crois que d'ailleurs, il y a beaucoup de bâtiments qui ont été construits avec des pierres, d'autres bâtiments qu'on avait démolis. Donc, on est toujours en train de retisser des liens ou de refaire ou de reconstruire ou de remobiliser des architectures.

  • Speaker #1

    Complètement. Et c'est évidemment... C'est sain, le monde est en métamorphose permanente, et il l'est de façon ordinaire, il l'est de façon discrète, effectivement, il l'est à toutes les échelles, tout le monde le transforme un petit peu tout le temps. Aujourd'hui, il y a beaucoup de choses qui sont en train d'émerger dans les mondes de l'architecture autour de la question de la maintenance, c'est-à-dire qui prend soin des choses, qui les maintient, qui ne les répare pas uniquement quand elles sont cassées, mais aussi qui les soigne au quotidien, c'est-à-dire les nettoie. les inspectent aussi pour savoir, enfin, à une attention aux choses, pour savoir à quel moment il faut justement les nettoyer, les réparer, les entretenir. Et je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il y a une frontière un peu floue malgré tout entre le nettoyage, la réparation, la transformation et tout ça à toutes les échelles. C'est-à-dire qu'on est en permanence effectivement en train de... De transformer. C'est juste des échelles et des niveaux d'action qui sont un peu différents, mais tout est transformation du monde. Et ce que je voudrais dire avec ça, c'est que je pense que c'est positif parce que ça permet de résister à l'idée que le monde serait figé, qu'il serait comme il est, qu'il a toujours été tel qu'il est et qu'il sera toujours comme ça ou que seuls les experts pourraient le changer. En fait, non. Il est en métamorphose permanente et tout le monde le transforme tout le temps. C'est plutôt ça, la réalité. C'est ça, c'est l'histoire de la vie sur Terre.

  • Speaker #0

    Donc justement, quand on le transforme, ça peut être utile au monde ou pas utile au monde. Qu'est-ce que vous voyez qui vous semble utile, pertinent, émerger comme pratique aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ce qui me semble utile et pertinent, c'est les pratiques qui résistent à l'ordre en place. Pour ne pas le dire par quatre chemins, je pense qu'il est utile et pertinent justement de se dire que l'ordre en place, mais de ne pas l'essentialiser, de ne pas le naturaliser. Je ne sais pas comment le dire autrement, de ne pas se dire qu'il est... Le "there is no alternative" qu'on disait à l'époque de Margaret Thatcher. Si, il y a des alternatives, en fait. Ça n'est pas la seule façon de faire monde, de faire société. En fait, il y a quantité de manières d'habiter le monde, de faire société, de faire économie, et donc de faire architecture, de faire infrastructure, de faire ville. Et il y a tout un tas d'initiatives aujourd'hui qui, concrètement, dans les faits, je pense à des collectifs d'architectes, c'est-à-dire des gens qui ont arrêté de pratiquer en agence de façon habituelle, derrière leur ordi, pour donner des plans à des artisans qui vont construire à leur place un bâtiment qu'eux-mêmes n'habiteront pas, les collectifs, eux, ils essayent de mener une alternative en changeant ce modèle d'agence d'architecture et peut-être des fois en allant construire eux-mêmes ou en allant construire, habiter sur place. Et puis penser avec les habitants parce qu'eux-mêmes deviennent habitants du coin. ou alors même en construisant avec les habitants, ou alors en construisant uniquement en matériaux de réemploi une structure temporaire qui va être entièrement réemployable en suivant. Enfin bref, par quantité de dispositifs, il montre que non seulement on peut penser la conception et la construction autrement, mais que le fait de la faire autrement, ça fait société autrement, parce que du coup les gens se retrouvent autour de la construction et de la conception, que peut-être un voisinage qui ne se parlait plus se retrouve autour de ces... processus de construction qui refont quartier, qui refont ville, qui refont village. Peut-être des gens qui n'avaient plus confiance en eux, ou n'ont jamais eu confiance en eux, sur leur capacité à bricoler, par exemple, parce que toute leur vie, on leur a dit mais toi, t'es une femme, tu sais pas travailler, tu n'es pas habile de tes mains, ça n'est pas ton domaine que de manipuler une visseuse aujourd'hui, à la retraite, se retrouvent à passer devant ces collectifs. Ça, c'est des histoires vécues, c'est pour ça que je les raconte. Se retrouvent à passer devant ces collectifs qui travaillent dans la rue, qui invitent à la co-construction. Et donc, finalement, se retrouvent aujourd'hui à la retraite à bricoler avec ces jeunes et puis à se dire Oui, je sais tout à fait le faire autant qu'eux. Et donc, à se découvrir dans cette possibilité-là, quand même, elles ont 70 ans et je pense que c'est... vraiment vivifiante pour tout le monde parce que c'est non seulement des liens intergénérationnels mais c'est des gens qui prennent confiance en eux c'est une ville aussi qui se rend compte qu'elle met l'argent à d'autres endroits en fait au lieu de mettre l'argent dans des experts dans des logiciels dans des dans des dessins magnifiques ben on met l'argent dans voilà des habitations temporaires des événements qui font se rencontrer les gens qui font des festivités et c'est pas moins important parce que ça fait que les gens aussi, quand les choses sortent, ils se laissent approprier, et c'est déjà un peu chez eux. En fait, ce n'est plus du tout la même lecture, on sort du paradigme de l'œuvre, l'œuvre du génie qu'il faudrait comprendre, et donc il faudrait acculturer les gens à la grande œuvre, parce qu'un architecte génial a eu une idée géniale, et il faudrait l'expliquer aux gens pour qu'ils accèdent à cette haute culture. Là, on n'est plus du tout dans ce vieux monde que je caricature un tout petit peu. petit peu mais franchement pas tant que ça c'est quand même encore beaucoup ça dans la tête de quelques-uns de mes confrères pas tous mais quelques-uns et et là on est plutôt dans oui dans un monde du faire ensemble mais c'est pas juste une déclaration de bonnes intentions un peu naïve on va faire ensemble c'est réellement comme ça ils font vraiment ensemble de la conception à la construction après les gens repartent avec le mobilier construit chez eux et donc ils ont chez eux une chaise ou une table qui a été faite ensemble lors de cet événement C'est des histoires de vie qui se tissent et qui montrent qu'on peut faire société autrement et que ce n'est pas juste une utopie. Ça me semble utile, oui.

  • Speaker #0

    Et cette intelligence collective qui émerge quand les collectifs arrivent à se mettre au service d'un but commun, on peut imaginer que ça peut fonctionner autour de leur lieu de vie, de leur quartier, et que ça peut aussi permettre de faire des choses qui sont durables et aussi belles, parce qu'on peut aussi faire fonctionner ensemble, faire travailler ensemble, les experts qui ont un tout petit peu plus de connaissances techniques, mais qui vont pouvoir dialoguer avec des personnes qui savent qu'est-ce qu'elles ont envie de vivre ensemble. Sans doute avoir de l'impact sur la manière dont on va prendre soin du lieu autour. Et puis, peut-être sensibiliser tout le monde, mais parce qu'on va réfléchir ensemble sur qu'est-ce que c'est que notre lieu de vie, qu'est-ce que c'est un lieu de vie, comment est-ce qu'on accueille les humains qui passent par là, mais aussi les non-humains qui passent par là, et quelle vie on tisse avec eux, quel lien on tisse ensemble. Oui, c'est complètement une autre histoire, dans ce coup qui apparaît.

  • Speaker #1

    Complètement, et je crois que c'est le début de ce qui, moi, m'a intéressé dans l'originalisme. Et c'est très en lien aussi avec quelque chose dont on entend parler. Alors, c'est une vieille histoire, ça date plutôt des années 70, mais qui ressort beaucoup aujourd'hui, qui sont des théories écoféministes, qui disent aussi, mais en fait, on ne peut pas déléguer le monde. Par exemple, la question de la subsistance, elle doit être partagée par tout le monde, un peu tout le temps, c'est une forme d'attention au monde, aux êtres. aux choses et donc justement aux liens entre les communautés qui prennent soin de quoi, selon quel processus, dans quel lieu, avec quelle temporalité. C'est un réancrage assez terrestre des questions un peu fondamentales de la vie sur Terre. La naissance, la maladie, la mort, la production de la nourriture, la réparation, l'entretien, le nettoyage, la bienveillance, tout ça, ça ne peut se faire que dans des lieux un peu situés. ancrée quelque part par des communautés qui connaissent quelque chose à ce lieu et à ces communautés. On ne peut pas externaliser ça, déléguer, numériser. Moi je vois des liens assez... C'est pas la même chose, mais je vois des liens assez forts entre les théories bio-régionalistes, celles écoféministes que j'ai évoquées, et puis tout ce qu'on est en train de se raconter là, en effet, sur les collectifs en architecture.

  • Speaker #0

    Oui, quand vous parlez de naissance, moi je pense aux maisons de naissance plutôt qu'aux hôpitaux, par exemple, parce que c'est ça que vous avez en tête. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est le bio-régionalisme ?

  • Speaker #1

    on est déjà un peu largement dedans avec toutes ces discussions-là. Malgré tout, c'est peut-être une chose au moins supplémentaire par rapport à ce qu'on s'est dit là, c'est une pensée de l'écologie, on pourrait dire de l'écologie profonde, pour le dire un peu autrement, ou essayer d'expliquer ce que ça veut dire, qui essaye de penser depuis la nature, pour employer un vieux terme qu'on n'essaie plus d'employer. qu'est-ce que ça fait de penser depuis un milieu, de penser depuis un écosystème, quel est l'intérêt de l'écosystème, et pas juste l'intérêt de l'humain ou de la société, ça c'est une tentative de sortie, à nouveau, un grand mot, un gros mot, mais de l'anthropocentrisme, enfin, l'anthropocentrisme, je pense que c'est important, littéralement, l'anthropo c'est l'humain, et le centrisme c'est le fait de ne voir que ses intérêts, donc c'est pas du tout le fait... C'est important de voir que c'est une critique. Un anthropocentriste, c'est un mot négatif. C'est assez difficile de dire moi j'assume l'anthropocentrisme ou je parle en tant qu'humain Ce n'est pas l'idée de parler en tant qu'humain, l'anthropocentriste. L'anthropocentriste, c'est l'équivalent du racisme. Ce n'est pas l'idée de parler en tant que blanc. C'est l'idée d'être raciste. Ce n'est pas du tout pareil. Moi, je peux parler en tant qu'homme, mais de là, être sexiste, c'est autre chose. Bien sûr qu'on parle en tant qu'humain. qu'on a un point de vue humain et c'est très difficile de se mettre dans la tête d'une chauve-souris. Malgré tout, l'idée de critiquer l'anthropocentrisme, c'est de critiquer le fait qu'on ne verrait que nos propres intérêts, qu'on instrumentaliserait tout le reste du vivant, des matières, des ressources, qu'on verrait justement la Terre comme une ressource à exploiter au service de nos intérêts à nous. Et ça, c'est de l'anthropocentrisme et on voit bien que c'est ça qui pose problème et qui sans doute est à l'origine des... des multiples crises environnementales qu'on connaît aujourd'hui. Le biorégionalisme, avec cette histoire d'écologie profonde, il essaye de sortir de cet anthropocentrisme en proposant une écologie qui est locale, qui est populaire, qui est située quelque part et qui appartient aux gens. C'est l'idée de dire qu'il faut se réintéresser à la manière dont nos vies ont un impact sur les milieux et donc commencer par reposer des questions de base. par exemple d'où vient l'eau que je bois à mon robinet. Et peut-être pour beaucoup, on ne sait pas d'où vient l'eau qu'on boit à notre robinet. Quand est-ce qu'elle est tombée sous forme de pluie ? Ou dans quelle nappe phréatique on l'a pompée ? Par quel chemin elle est venue ? Et puis après, où est-ce qu'elle part si je jette des produits toxiques dans mon évier ? Où est-ce que part cette eau ? Et qu'est-ce que ça pollue comme milieu en suivant dans le bassin versant ? Rien que cette Ausha, oui, cette question Ausha un peu fondamentale qui est... question de base, comment il est possible qu'on ne sache même pas d'où vient l'eau qu'on boit tous les jours, très peu savent y répondre, et le bio-originalisme propose de redémarrer un peu par là, par un local repris depuis cette question de milieu, de nos impacts sur ce milieu, et puis de reposer la question de ces connaissances-là de base, des espèces avec qui on partage ce milieu, du type de sol sur lequel on marche, des pollutions qui sont présentes ici, du climat qui change, et quel impact ça a. sur tout ça, ici et maintenant, et donc ici et demain, où est-ce que j'ai appris ça ? Si je sais quelque chose. Ou si je ne sais pas, où est-ce que je peux l'apprendre ? Si je sais quelque chose, où est-ce que je peux le transmettre à quelqu'un ? Où est-ce qu'on peut, en gros, avoir des écoles biorégionalistes pour transmettre des savoirs écologiques et populaires, locaux, qui permettent... à tout le monde d'en savoir plus, de son capacité localement sur ce qui se passe ici. Ce n'est pas l'idée d'un repli sur soi, surtout pas. Ce n'est pas l'idée de dire qu'il suffit de s'intéresser à ici.

  • Speaker #0

    Ce que je comprends, moi, en vous écoutant, c'est que de l'information sur l'écologie, sur le désastre écologique en cours, sur la chute de la biodiversité, etc., on en a tous beaucoup, mais que c'est une information qui est un peu décorrélée de la vie quotidienne des gens. Et que là, l'idée que vous proposez, qui me paraît bien pertinente, c'est que... On va partager de l'information qui nous relie ensemble et qui nous relie à la nature, qui arrête ce clivage entre nature et culture, qui a sans doute fait pas mal de mal à notre lien, à ce qui nous entoure, et à la nature dont on fait énormément partie. Et là, il s'agit de rôtisser des liens, mais des liens du quotidien, des liens qu'on verrait un peu féminins dans la vieille conception du monde, parce que c'est du quotidien, parce que c'est comment est-ce qu'on vit, comment est-ce qu'on se nourrit. comment est-ce qu'on se lave, comment est-ce qu'on fait société ensemble, et dans des choses très simples, très basiques. Et finalement, c'est avec l'information partagée au niveau très basique qu'on va se relier, parce que finalement, l'information qu'on a sur l'écologie, elle est peut-être un petit peu trop porsole pour la plupart des gens. Elles ne parlent pas à leur vie quotidienne, ils ne voient pas les liens. Et finalement, là, vous proposez des choses qui sont très simples, mais qui vont nous emmener à nous relier à toute la complexité du vivant et à voir que... Oui, cette Ausha, elle vient de là. Donc finalement, la façon dont on a entretenu les terrains au-dessus. Moi, je pense par exemple à l'environnement de mon enfance dans les vignes. À un moment donné, quand on a décidé de planter des vignes au plus haut possible de la montagne de Reims, pour faire du champagne un maximum, on a eu de l'érosion, ça a eu de l'impact sur l'eau, sur la qualité de l'eau aussi. Quand on comprend l'histoire, quand vous prenez juste l'eau, vous avez un tas d'histoires qui apparaissent et on voit les liens entre les choses qui sont des liens de complexité, mais qu'on peut raconter de manière relativement simple. parce qu'on est sur un fil.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Et ce n'est pas pour critiquer. C'est exactement ça que je veux dire. Et ce n'est pas pour dire que les informations hors sol ne servent à rien. Pas du tout. Parce qu'évidemment, c'est bienvenu d'avoir les conclusions du GIEC, d'avoir des études dans des revues prestigieuses qui quantifient à échelle globale l'effondrement du vivant, je ne sais pas quoi. On a besoin de ça. Mais en effet, si on n'a que ça, je pense qu'on tombe dans la situation actuelle qui est une déconnexion, une décorrélation avec la vie vécue des gens. qui a plusieurs impacts, à la fois politiques, ça veut dire que les gens se demandent du coup ce qu'ils peuvent faire, ils ne savent pas quoi faire, ils sont un peu perdus, donc on a ces angoisses écologiques qui naissent, et puis aussi une inaction écologique qui naît, puisque finalement des informations nous paraissent de loin et on ne sait pas les réancrer dans notre vie. Et puis d'autre part, je pense que ça nourrit des pensées populistes ou complotistes, climato-sceptiques, méfieuses. Pourquoi est-ce qu'on nous dit que le climat se réchauffe alors que là, il neige et qu'on est à telle saison ? Ou qu'on nous dit qu'il y a des sécheresses alors qu'on n'arrête pas de pleuvoir ? Bref, ce qu'on entend quand même tous les jours, plus ou moins dans les grands médias de ce pays et d'autres, avec une confusion assez navrante entre météo et climat, un peu le B.A.B.A., mais bref. Et je crois que tout ça s'explique bien, en effet, par le fait qu'on n'est que des informations globales et on n'a plus de culture locale écologique. Il faut du coup une alliance entre les deux, pas juste l'une ou pas juste l'autre, je crois, pour voir à échelle locale les impacts de ce que nous raconte le GIEC, pour anticiper à échelle locale comment on fait les métiers de demain, pour aider les gens qui doivent arrêter leur métier d'aujourd'hui à transiter, parce que la transition aujourd'hui, on la critique à juste titre, je pense, parce que c'est l'outil du gouvernement et du capitalisme pour ne pas mourir. On parle de transition et de développement du rapport. pour que surtout on reste de façon durable dans la pensée du développement, dans la domination occidentale, dans un capitalisme extractiviste, enfin bref, dans un capitalisme vert. Donc on a raison de critiquer la question de la transition, malgré tout, à échelle individuelle, il faut bien transiter, il faut transiter dans sa tête vers la radicalité, ça prend du temps, il faut transiter dans sa vie, socialement, dans son métier, il faut du temps pour se réinventer. Se refaire peut-être une communauté professionnelle et sociale qui est vers d'autres métiers, vers d'autres savoir-faire. Ou bien tout simplement, parce que notre métier, je pense ici, moi je parle depuis l'Isère, là, il y a plein de noyés en Isère, il y a des hectares et des hectares de cultures de noix.

  • Speaker #0

    On sait d'ores et déjà que, quels que soient les scénarios climatiques, de toute façon, à peu près dans 30 ans, tous les noyés ne sont plus adaptés au climat. Soit ils sont déjà morts, soit ils sont en train de mourir, soit ils ne produisent plus. Enfin bref, ça ne fonctionne plus. Et si du coup, les gens qui ont ces pépinières et ces élevages de noyés, ces productions de noix... veulent se réinventer, il faut qu'ils commencent à planter dès maintenant des espèces pour qu'elles arrivent à maturité dans quelques décennies. Donc à nouveau, on a une question de transition sur un moyen terme qui doit être anticipée de façon locale, en écho avec des questions globales. Et je trouve que de prise sous cet angle-là, que moi j'appellerais du régionaliste, c'est du coup un moteur plutôt positif, parce que c'est constructif. Ça pose la question de qu'est-ce qu'on fait ici et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ensemble. qu'est-ce qu'on fait de façon vraiment durable, vraiment soutenable, et pas juste pour le spectacle de la société, la consommation, du greenwashing, etc. Est-ce que des amandiers, ça pousse ici dans 20 ans ? Est-ce qu'on peut les planter dès maintenant ? Si oui, sur quel type de... Enfin, c'est des questions très concrètes qui sont mises en mouvement et je pense qui rendent un peu de... d'espoir, de moyens d'agir aux gens et qui refédèrent des communautés en fait. Et par contre, il est important, au moins de dire, l'intérêt dans tout ça aussi, c'est que ça permet de... En fait, ça ne pose pas la question de est-ce que tu es né au Maroc ? Est-ce que tu es arrivé de Thaïlande il y a deux mois ? Ou est-ce que tu penses repartir aux États-Unis dans trois semaines ? En fait, tout ça n'a pas d'impact sur la question qu'on vient de poser du noyer et de la mendier. La question qui compte, ce n'est pas à quelle langue tu parles, d'où tu viens, ou est-ce que tu es de la culture française. La question qui compte, c'est est-ce que tu sais participer à un écosystème sain, ici et maintenant, avec nous ? Est-ce que tu peux devenir autochtone de ce lieu ? Et du coup, c'est d'inviter tout le monde à cette pensée du devenir autochtone, parce que c'est très sain de penser l'autochtonie, le fait d'appartenir à une terre, dans un devenir, dans quelque chose qui plaît.

  • Speaker #1

    C'est vraiment intéressant ça aussi, je voudrais mettre l'accent dessus parce que c'est vrai qu'on peut avoir tendance à voir le lieu comme par son histoire, par le passé. Il y a des tas d'endroits. l'habitat a été modifié, tout a évolué, et puis les gens peuvent être un peu passéistes, en tant que finalement, on a transformé nos lieux, on ne s'y retrouve plus, etc. Et là, vous dites, dans le cadre du dérèglement climatique, ce qu'on est en train de vivre, en fait, des gens de... n'importe où, mais qui se retrouvent là et on est là ensemble, on va avoir une vision différente, une expérience différente. Et ça peut même être complètement antiraciste, puisque des gens qui viennent d'autres régions vont pouvoir apporter un regard de comment ils faisaient là ou là ou là, ou qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble qui va nous permettre, parce qu'il y a d'autres personnes, de voir un petit peu autre chose que notre façon de vivre comme elle est là aujourd'hui, et de se dire, qu'est-ce qu'on peut inventer ensemble ? Et c'est vrai qu'on est dans l'inverse de... l'information qui nous tombe dessus en nous disant que les choses sont affreuses, un peu comme les informations à la télévision sur tout ce qui se passe dans le monde. Quand on entend, si on prend juste un quart d'heure pour écouter tout ce qui se passe entre Gaza, l'Ukraine, etc., on a juste envie de se coucher et puis de se relever. Et directement climatique, ça peut faire un peu la même chose. C'est peut-être aussi pour ça que les gens agissent si peu, c'est que ça paraît quelque chose qui arrive de manière tellement forte. qu'on ne voit pas comment lutter contre ou faire avec. Et là, vous dites au contraire, quand on prend les choses à l'échelle de là où on est, et je ne vous mettais pas de limite, j'ai l'impression, à ce local, finalement, il est assez malléable et il va dépendre de ce qu'on est en train de construire ensemble. Là, on se rend compte qu'on a plein de choses possibles, qu'on va pouvoir peut-être planter des arbres pour avoir moins de sécheresse, qu'on va peut-être pouvoir choisir les arbres qu'on va planter, qu'on va peut-être choisir aussi le type d'habitat qu'on met en place ou qu'on rénove, qu'on peut choisir aussi de... moins artificialiser les sols et puis peut-être de démolir des lieux ou de les rénover plutôt que de construire du neuf là où il y avait des prés et des forêts. Donc, ça redonne la marque finalement. Donc, c'est intéressant et ça peut vouloir dire aussi réussir à faire avec des gens qui vont penser de manière complètement différente de nous parce que tiens, c'est intéressant, ils voient ça comme ça. Ah oui, tiens, je n'avais pas vu cet angle-là. Donc, ça demande aussi de la curiosité. Et j'imagine dans des expériences qui ont pu être faites, si vous pouvez en citer... Un exemple qui vous a plu, il y a aussi de la médiation dans cette histoire, parce que ce n'est pas si naturel pour des humains, ou si individualiste que ce qu'on est devenu.

  • Speaker #0

    Oui, je rejoins exactement tout ça. Ce n'est pas simple, cette histoire d'altérité, de faire avec l'altérité comme une richesse, ça ne veut pas dire que c'est simple, ça ne veut pas dire que c'est libérer tout conflit. parce qu'un conflit, ce n'est pas forcément une guerre horrible avec des morts. Il y a des conflits à toutes les échelles, et le conflit peut être sain, il peut être désirable. On peut rentrer dans une discussion un peu conflictuelle pour s'expliquer, par exemple. Ça peut être constructif, aller vers du mieux. Et bien sûr que le multiculturel, l'altérité, et même d'ailleurs pas que, génère du conflit. Parce qu'il y a des frottements entre des systèmes de valeurs qui ne sont pas les mêmes. Et ça, il ne faut pas le nier. Je pense à un cas qui est celui du démantèlement d'un barrage. Il y en a eu plusieurs, des démantèlements de barrages, par le passé à l'international. Pas tant que ça, c'est-à-dire qu'on a construit énormément de barrages, et pour l'instant, on en a démantelé très peu. Mais effectivement, il y a un barrage aux États-Unis qui a été démantelé. Il y a eu un film qui a été fait là-dessus, qu'on a regardé et commenté il n'y a pas longtemps dans un colloque. sur la question de l'eau, et donc spontanément je pense à ce cas-là. Ce qui est fascinant, c'est de retracer cette histoire coloniale du barrage, parce que le barrage, il est construit par des sociétés de colons sur des terres autochtones, donc c'est vraiment un outil colonial de destruction des modes de vie qui étaient là.

  • Speaker #1

    C'était où ?

  • Speaker #0

    Le fleuve Éloi. Il faut que je retrouve le titre exact, par exemple, même du film. Je crois que c'est The Return of the River. au titre du documentaire sur ce démantèlement de barrages sur le fleuve Éloi, qui est un outil colonial de destruction des modes de vie autochtones qui vivaient du fleuve, qui vivaient de la pêche, qui vivaient de la proximité avec ce fleuve. Les colons arrivent au début XXe siècle, ils construisent ce grand barrage pour les besoins de leur société. En effet, le barrage est construit, il est approprié par les communautés de colons locales américaines. Et ces sociétés-là finissent par lui trouver tout un tas d'attraits, c'est-à-dire que ça devient un moteur de tourisme, de balades, de légatures, de pêche, et il fait partie au fil du temps du patrimoine local. Sauf qu'écologiquement c'est un désastre, et toute la suite du bassin versant en aval est un peu dévastée par ce barrage, ce qui fait que de plus en plus des mouvements écologistes au fil du XXe siècle finissent. finissent par faire entendre qu'il faut le démanteler, il faut détruire ce barrage, c'est un désastre. Ça remonte jusqu'aux plus hautes sphères, du Congrès, du Sénat américain, etc. Finalement, des luttes s'engagent entre écologistes et autochtones qui font alliance, enfin les résistants des communautés autochtones, et en fait la société blanche américaine. petite bourgeoise qui elle est contente d'aller en week-end se balader le long du lac et dit mais ça c'est notre patrimoine maintenant ce barrage est toute notre vie c'est l'histoire de notre région donc ce lac il ne faut pas y toucher votre histoire de destruction environnementale on n'en a rien à faire on veut continuer à aller pêcher sur le lac le dimanche et donc toute la lutte s'engage et finalement le barrage est démantelé déconstruit donc le film retrace finalement cette histoire de d'appropriation d'un fleuve, puis d'appropriation d'un barrage, puis quand même de destruction d'un barrage. Ça montre toute la complexité qu'il y a, et la reformation en permanence, je trouve, des communautés. C'est-à-dire, quelle communauté fait alliance avec laquelle, et que les choses peuvent bouger dans le temps, de façon tout à fait imprévue. Les alliances et les systèmes d'alliances bougent au fil du temps, de sorte qu'est-ce qu'une partie des Blancs fasse alliance avec une partie des Autochtones, contre d'autres Blancs. Tout ça, je pense, est... C'est un exemple que j'avais envie de donner parce qu'il me semble montrer de façon pas trop naïve ce que ça peut être que des questions biorégionalistes. Et ce n'est pas juste Ah, on va faire un jardin en permaculture ensemble, toi tu es noir, moi je suis blanc et on va être amis Ce n'est pas ça.

  • Speaker #1

    Et comment justement ça a pu se faire là ou ça peut se faire globalement parce que les intérêts économiques sont tellement forts ? Aujourd'hui, vous parlez de barrages, c'est hyper intéressant comme exemple, parce qu'on parle tellement d'énergie renouvelable comme la panacée, mais effectivement, un barrage, ce n'est pas rien. Les poissons qui passaient là ne peuvent plus transiter. Ça a des impacts énormes sur toute l'écologie, sur tout l'écosystème, en bien, en mal, je ne porte pas de jugement spécifique, mais en tout cas, ça a des impacts qui sont forts. Et comment il a été possible dans ce cas-là, et comment il est possible peut-être dans d'autres exemples que vous connaissez, d'arriver à donner suffisamment de place aux non-humains ? pour que les conditions de vie d'humains qui sont peut-être un peu moins valorisés et de non-humains rentrent en contre dans la décision ? C'est quelque chose qu'on n'a tellement pas fait, qui demande des changements d'habitude qui sont fortes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vraiment la question difficile, parce que c'est la question qui dit en fait comment on fait, mais moi je pense que la question au fond, c'est comment on fait pour changer de système de valeur. Et ça, ça ne peut pas être fait effectivement en claquant des doigts, ni en utilisant... les mêmes données que celles du système dont on veut s'échapper. Il y a une autrice, une militante féministe américaine célèbre, Audrey Lord, qui disait que les outils du maître, on ne peut pas casser la maison du maître avec les propres outils qui vont servir à la construire. Il y a vraiment une difficulté avec ça. Et donc, en effet, à partir du moment où on reste sur les terrains économiques, on perd parce que ce n'est jamais rentable l'écologie. À partir du moment où on reste sur les questions de rationalité, de système productif, de progrès, on perd. Parce que ça, c'est les systèmes de valeur du monde qu'on essaie de quitter. Donc, il faut changer de système de valeur. Et en effet, ce n'est pas simple. Alors, je crois que ça peut passer. Un outil de transition d'un système de valeur à un autre, pour moi, ça peut être l'imaginaire ou la culture, la cosmologie.

  • Speaker #1

    Un récit collectif, quelque chose qui nous emmène vers une histoire qui va être à la fois plus humaine, plus naturelle, plus vivante, plus Justin de Porto.

  • Speaker #0

    Complètement. Un récit collectif qui a une forme de rêve collectif, au sens premier du rêve, pas au sens de c'est inatteignable, c'est utopique, c'est irréalisable. Dans le sens où le rêve, c'est ce qui nous... Quant au rêve, c'est quand même le moment où tout notre corps est engagé entièrement. On se vit dans le rêve, alors même qu'on ne bouge pas, mais on est pleinement dedans. Et je crois qu'il faut rêver un peu la question biorégionale, collectivement, en effet, pour en refaire une culture totale, des chansons, des représentations, un patois, pas un patois figé, pas un patois qu'on va rechercher du passé, un patois qui, d'ailleurs, bouge tous les ans, un patois qui peut être fait avec du verlan, avec des mots américains, avec des mots arabes, avec ce qu'on veut.

  • Speaker #2

    Nous voilà à la fin de notre premier épisode avec Mathias Rouleau, mais ce n'est pas la fin de notre conversation, c'est la moitié. La semaine prochaine, nous continuerons à parler de décolonisation, de ce que l'architecture peut créer, générer, comment est-ce qu'on peut la faire et la vivre ensemble, et puis de plein d'autres choses. Je vous invite à nous retrouver la semaine prochaine sur le podcast Entre-Las. Et puis, comme d'habitude, si vous voulez en savoir davantage sur Mathias Rouleau, vous trouverez toutes les informations dans la description de cet épisode. Ce podcast n'est pas seulement le mien, c'est aussi le vôtre, c'est le nôtre. Si vous voulez contribuer, intervenir, proposer, contactez-moi. Si vous avez aimé cet épisode, partagez-le autour de vous, mettez des étoiles pour le noter, et abonnez-vous pour ne pas manquer les prochains. A très bientôt !

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