- Speaker #0
Soyez toutes et tous les bienvenus sur Entre-Las, le podcast qui tisse des liens pour grandir, s'épanouir et se réjouir. Si les ressources terrestres sont limitées, il existe cependant des espaces sans limites, une immensité à porter de cœur et de main. L'infinie richesse est dans nos liens. C'est cette richesse-là. Cette immensité-là que j'ai envie de révéler et de partager. Nous sommes addicts à la performance. Ce n'est pas qu'une formule, c'est une véritable addiction qui nous fait oublier l'importance vitale de la robustesse pour nos corps, nos écosystèmes, nos systèmes humains. Voilà ce vis-à-vis de quoi nous prévient Olivier Hamon. Olivier Hamon est biologiste. directeur de recherche à l'INRO et directeur de l'Institut Michel Serres. Dans son dernier livre, Antidote au culte de la performance, la robustesse des vivants publié aux éditions Gaïma, il explicite son propos. La nature menacée devient menaçante. Notre excès de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Il va maintenant falloir vivre dans un monde fluctuant, c'est-à-dire inventer la civilisation de la robustesse contre la performance. Vous savez, c'est toujours un peu une affaire d'équilibre. Mais avez-vous déjà réalisé en quoi la performance est une domination ? La performance, addition de l'efficacité et de l'efficience, consiste à atteindre des résultats avec le moins de moyens possible, en se focalisant et en omettant tout ce qui est autour. C'est extrêmement violent, nous explique Olivier Allain. Toutes différentes, la robustesse est la capacité d'un système à maintenir sa stabilité à court terme et sa viabilité à long terme malgré les fluctuations. Les êtres vivants, végétaux, animaux et humains sont des systèmes robustes. Au lieu de mettre l'accent sur la performance à court terme par l'optimisation, ils conservent de grandes marges de manœuvre pour rester adaptables. Ils ne sont pas toujours à l'optimale. Redondance, délai, hétérogénéité, on verra tout à l'heure exactement ce dont ils résident. Permette aux êtres vivants de faire face aux turbulences. Partant des fleurs, des écosystèmes vivants, nous tissons des liens, nous créons des points au fil de cet épisode pour comprendre comment les différences d'univers se sont déformées, comment nous pourrions mieux gérer nos ressources et nos moyens, comment nous pouvons à la fois cesser de collaborer pour coopérer nos rêves et prendre soin du vivant de tout autour de nous, et ainsi durer et être performants quand c'est utile. En fait, la réponse est simple. Il suffit d'associer la performance à la robustesse. Il ne s'agit pas d'en finir avec la performance. Le vivant lui-même depuis des milliards d'années ne fonctionne pas ainsi. Il s'agit d'associer les deux, selon les moments, au bon moment. Comment ? Réponse dans ce 58e épisode du podcast Entre-Las. Chère auditrice, cher auditeur, cet épisode et ce podcast sont pour toi. Bonne écoute. Entre-Las. Bonjour Olivier, merci beaucoup d'être avec moi, avec nous aujourd'hui sur le Cast Entre-Las. On va parler de votre métier, on va aussi parler de performance, de violence, de robustesse, de comment les plantes nous parlent de tout ça et comment notre vie fait écho et comment tout ça se ruine. Avant qu'on démarre dans ces sujets qui sont plein de vie, est-ce que vous voulez vous présenter rapidement, qu'on fasse connaissance ?
- Speaker #1
Merci Gaëlle de l'invitation. Alors moi je suis Olivier Hamant, je suis chercheur biologiste. en biologie végétale, moi je travaille sur le développement des plantes donc le genre de questions qu'on se pose c'est pourquoi les feuilles sont plates pourquoi les feuilles sont cylindriques des choses comme ça quoi, ça veut plutôt de la bio-physique un peu de modélisation donc ça c'est ma partie vraiment chercheur pur et dur et puis j'ai une autre casquette qui est d'être directeur de l'institut Michel Serres où on s'intéresse à la relation de l'humanité à la nature, du coup là c'est beaucoup plus interdisciplinaire mais les deux sujets se parlent, je pense qu'on va rentrer dedans plus tard Merci
- Speaker #0
Oui, ça parle d'autant plus que vous faites une forme de recherche qui fait des liens entre les univers différents. Vous auriez pu faire un choix différent, mais c'est aussi votre choix, vous.
- Speaker #1
C'est vrai, et puis c'est aussi la biologie qui a évolué. Elle est devenue beaucoup plus systémique, j'ai envie de dire. On étudie beaucoup plus les interactions dans les écosystèmes, mais aussi entre les molécules, entre les cellules. En fait, cette approche systémique, c'est quelque chose qui m'a beaucoup plu. en biologie et qui en fait appellent à l'interdisciplinarité.
- Speaker #0
Alors on va voir effectivement dans quelques minutes comment fonctionnent les plantes et puis comment ça nous parle de comment est-ce qu'on fonctionne nous ou comment on pourrait fonctionner. Juste avant j'avais envie de commencer par quelque chose qui me touche particulièrement, enfin je ne suis pas la seule qui est touchée, mais qui touchera pas mal de nos auditeurs parce qu'on a déjà parlé dans un certain nombre d'épisodes de la domination. de certains sur des autres chez les humains, de la domination des adultes sur les enfants, des humains sur les animaux, et du fait que sans doute cette domination-là, cette prise de pouvoir, elle rétrécissait nos mondes, et elle n'était sans doute pas du tout neutre dans la catastrophe écologique qu'on vit actuellement. Et vous dites aussi ça, j'avais noté cette phrase que l'éducation à la performance c'est une éducation à la violence, et que la recherche d'efficacité... performance, c'était une forme de violence. C'est un point clé, en fait, dont on parle régulièrement sur Entre-Las, et puis pas que d'ailleurs. Et j'avais envie de démarrer par ça, que vous nous expliquiez pourquoi vous dites ça, et puis à quoi ça se rapporte.
- Speaker #1
La performance, je vais bien la définir pour qu'on soit bien d'accord. La performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience. L'efficacité, atteindre son objectif. Efficience, avec le moins de moyens possibles. Donc quand on est performant, on atteint son objectif avec le moins de moyens possible, donc ça veut dire qu'on se canalise. En fait, on choisit une voie étroite. Pour voir le lien avec la violence, c'est tout simple, je peux prendre un exemple tout simple, c'est l'autoroute. L'autoroute, c'est un canal, très efficace, très efficient. On va très vite à son objectif avec le moins de moyens possibles. C'est vraiment un canal. Et en fait, on oublie que quand on construit une autoroute, on sépare des écosystèmes. Quand il y a une autoroute qui traverse une forêt, la forêt est coupée en deux. Et donc là, on n'a plus de corridor de biodiversité, les espèces sont séparées. Donc c'est extrêmement violent. C'est-à-dire qu'en fait, on pense le mur de Berlin comme quelque chose de violent pour les humains, parce que ça a séparé des familles. Mais quand on construit une autoroute, on ne se pose absolument pas cette question-là. Alors heureusement, ça a évolué. Maintenant, on commence à mettre des ponts pour des animaux, etc. Mais en fait, ça le dit. En gros, quand on fait de la performance... On fait le choix de la violence. Et des fois, ça se voit même dans les mots qu'on utilise. Je vais prendre mon exemple favori, que notre président Emmanuel Macron, qui pendant très longtemps a parlé d'efficacité. Il est tout à fait dans la doxa du culte de la performance. Et puis, il est passé de l'efficacité au réarmement, notamment le réarmement démographique, qui est un mot d'une violence extrême. là c'est vraiment du pouvoir sur le corps des femmes de plein de points de vue c'est d'une violence extrême et sans cligner les yeux vraiment c'était normal le vocabulaire de l'économie globalement est un vocabulaire guerrier la plupart des mots d'économie sont des mots guerriers déjà même on pourrait dire le mot collaborateur je sais pas si c'est vrai bien sûr le mot collaborateur c'est incroyable... Parce que la collaboration, qu'est-ce que c'est en fait ? La collaboration, c'est quand chacun avance sur son objectif individuel et on espère que la somme des succès individuels fait un succès collectif. Donc ça, c'est le gagnant-gagnant où il y a toujours quelqu'un qui perd. Donc la collaboration, c'est une façon masquée de faire de la compétition. Et donc c'est vrai que c'est facile de s'en souvenir avec l'histoire des collabos, parce qu'en effet, il y en a qui ont perdu dans la collaboration. En fait, ce qui est vraiment vertueux, c'est la coopération. Dans la coopération, l'objectif commun l'emporte sur les objectifs individuels. Et là, c'est un autre modèle, très clairement.
- Speaker #0
Oui, et c'est vrai qu'on nixe souvent les deux. En général, les gens ne savent pas. La différence n'est pas forcément connue et comprise.
- Speaker #1
Les mots sont... C'est pour ça que j'insiste beaucoup sur la sémantique, sur le vocabulaire, parce qu'en fait, les mots colonisent les esprits. Et donc, on utilise des mots parfois sans trop savoir. Enfin, les mots aussi, je veux dire, comme tout le monde. Mais de creuser l'étymologie des mots, de savoir ce qu'il y a derrière, ce qu'ils veulent dire, en tout cas d'être clair sur les définitions, on a le droit d'avoir d'autres définitions, mais en tout cas de bien savoir de quoi on parle, ça permet de faire avancer le débat. Parce qu'en fait, on se rend compte que sinon, on fait des choses qu'on ne veut pas faire, mais on s'est juste fait coloniser la tête en pensant que, par exemple, la performance, c'était génial.
- Speaker #0
Oui, sans conscience, effectivement. Je pense que les mots sont des mondes. Ils ouvrent des mondes ou ils portent des mondes en eux. Derrière, il y a des convictions, il y a de la politique. Il y a plein de choses.
- Speaker #1
C'est jamais neutre.
- Speaker #0
Et alors, vous dites aussi, et ça, je trouve que c'est très juste. Moi, je fais de l'accompagnement de transformation. J'interviens dans des équipes pour faire de la médiation, dans des moments un peu difficiles ou des moments clés de vie d'équipe ou de vie d'entreprise. Et il y a toujours la notion d'indicateur qui revient. D'ailleurs, d'indicateur, souvent, pour mesurer la qualité du travail qu'on fait, ce qui est un truc pas simple sur des choses très qualitatives et assez subtiles. Et puis, la notion d'indicateur dans les objectifs que donne l'entreprise. Moi, je suis toujours un peu embêtée avec les indicateurs, parce qu'il y a la vision, il y a les indicateurs, mais très souvent, les gens se penchent tellement sur les indicateurs qu'ils oublient la vision et l'objectif. Donc, sans arrêt, moi, j'y reviens. Et vous, vous dites ça aussi, qu'en fait, les indicateurs sont un problème.
- Speaker #1
Oui, je vais même un cran plus loin. Moi, je pense que les indicateurs sont toxiques. C'est qu'en fait, quand on met des indicateurs, avec le cerveau humain qu'on a, c'est très attractif, un indicateur. Parce qu'en fait, ça a cristallisé un monde d'une très grande complexité avec un chiffre. Et un chiffre, c'est simple. On peut le faire monter, on peut le faire descendre. Et donc, on va tout faire pour se concentrer sur ce chiffre-là. Donc là, il y a une loi. C'est la fameuse loi de Goudart qui le résume bien. La loi de Goudart, elle dit quand une mesure devient une cible, elle cesse d'être fiable. Donc ça veut dire que dès qu'on met un indicateur de performance sur quelque chose, on va tout faire pour augmenter la performance de ce quelque chose et ça va partir en bruit. L'exemple typique, c'est le sport de compétition. Si vraiment on veut avoir la médaille d'or, si on veut vraiment être au sommet du podium, on peut aller jusqu'à détruire son corps, à faire du dopage. Donc ça peut être une destruction physique, chimique, de plein de façons. Et donc en fait, on a oublié que le sport, c'était le soin du corps. Alors qu'en fait, quand on fait du sport de compétition et qu'on se laisse avoir par l'indicateur de performance, on va détruire son corps pour atteindre la meilleure performance. Donc on ne fait plus du sport, on ne fait plus que de la compétition. Et donc ce truc-là qui est vrai pour le sport, c'est vrai pour absolument tout. C'est vrai pour l'éducation aussi, on en parlait au début, les notes à l'école. Si on veut avoir les meilleures notes, on va faire tout et n'importe quoi pour avoir les meilleures notes. Dans l'entreprise, les KPI, les Key Performance Indicators. Pour avoir les meilleurs KPI, on va faire tout et n'importe quoi, y compris, si c'est des KPI financiers, on va faire de l'investissement à très court terme, de la rentabilité à très court terme, en menaçant la viabilité de l'entreprise à long terme. Donc ça, c'est un très grand classique. Mais aujourd'hui, je pense qu'on réalise, parce qu'on est allé quand même très, très loin dans les indicateurs de performance et qu'on se rend bien compte qu'ils deviennent toxiques.
- Speaker #0
Oui, après, c'est en plus la manière dont ils sont gérés, avec des choses tellement simples qu'il faut vers orange-rouge, comme les feux indicateurs, etc. finalement, les gens, pour avoir la paix, vont masquer de l'impôt dans certaines entreprises assez brutales pour éviter de se faire virer. Oui, c'est sûr qu'on a plein de choses autour et plein de solutions assez simples. Mais en tout cas, c'est intéressant de le dire, d'autant plus que ça nous fait une transition aussi avec les indicateurs qu'on a choisis pour la transition écologique. On disait en off tous les deux avant de démarrer que le fait de se focaliser sur le CO2, c'est quand même une idée qui a des impacts. qui n'est pas du tout neutre. Est-ce que vous voulez expliciter ce que vous me disiez juste avant ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Surtout que le CO2, si on doit résumer la question socio-écologique dans les médias, c'est le CO2 et la décarbonation. C'est un peu les thèmes qui reviennent partout. On a l'impression que si on réduit le CO2, ça y est, on a répondu au problème. Alors, en fait, ça se comprend très bien, cette histoire de CO2, parce que là aussi, c'est une question d'indicateur de performance très simple. En fait, on a réduit la complexité socio-écologique à une molécule, une molécule en plus très simple, le CO2. Et en fait, on pense que ce CO2, c'est le nœud de l'affaire, alors qu'en fait, c'est le symptôme. C'est ça qu'il faut bien comprendre. La production de CO2, c'est le produit de nos activités. Donc, si on réduit le CO2, c'est comme si on avait un cancer et qu'on prenait de l'aspirine. Ça ne sert vraiment à rien. C'est-à-dire que ça ne peut pas... peut-être avoir un peu moins de douleur, mais on a toujours son cancer. Donc, ça ne change absolument rien à la situation. Donc, en fait, il faut se poser la question des causes. Et donc, si on regarde les causes, en fait, ce dont on se rend compte, c'est que nos activités font une guerre à la vie. C'est ça qui se passe. On est en train de mener une guerre à la vie. Et encore, si je prends les mots de Michel Serres, il disait, dans le Contrat naturel, il disait que même la guerre, c'est un mot qui est trop gentil, parce que dans la guerre, il y a des lois. Il y a la convention de Genève, il y a des tas de lois, il y a des crimes de guerre, donc ça veut dire qu'il y a des lois qui encadrent la guerre. Et ce qu'on fait aux vivants, c'est plutôt de la violence gratuite. On déboise, on déforeste, on envoie de la chimie comme jamais. Donc en fait, on fait une guerre à la vie. Et donc, pour être plus positif, le levier nettement plus systémique pour répondre à la question socio-écologique, ce n'est pas le CO2, c'est la biodiversité. Si on se focalise sur le CO2, ça va aggraver la pénurie de ressources, ça va aggraver les pollutions, ça va aggraver l'effondrement de la biodiversité.
- Speaker #0
Juste pour que tout le monde comprenne bien, ce que je comprends en vous disant, c'est que ça l'aggrave parce que, par exemple, on va choisir le tout électrique et du coup, aller défoncer les sols pour extraire des métaux lourds. C'est ça que vous voulez dire ?
- Speaker #1
Exactement. C'est quand on met l'accent sur le climat et sur le CO2. En fait, exactement. On va généraliser la voiture électrique, on va faire des Tesla de 2 tonnes pour transporter des personnes qui font 60-70 kg. Vraiment, ça n'a aucun sens. Actuellement, il y a une usine en Islande qui vient de se construire pour faire de la capture directe du CO2 dans l'atmosphère. C'est un projet qui n'a aucun sens écologique. C'est beaucoup de métaux, beaucoup d'énergie pour transformer un gaz, le CO2, en charbon.
- Speaker #0
Il y a des forêts aussi entières, je crois, qu'on a détruites dans des pays nordiques, je crois, parce que c'était des arbres anciens qui devaient être magnifiques, mais ils ne captaient pas assez de CO2, donc on a tout rasé pour qu'il y ait des jeunes arbres qui captaient davantage. En fait, c'est pas en Suède qu'on a fait ça ?
- Speaker #1
Il y a eu à plusieurs endroits. En fait, il y a un très bon reportage documentaire sur Arte, sur Ikea, qui montre bien qu'Ikea va atteindre son objectif de neutralité carbone en 2030, en tout cas devrait l'atteindre, mais à quel coût ? C'est qu'en fait, justement, avec des pratiques forestières complètement démentes comme ça, en fait, IKEA va atteindre la neutralité carbone en aidant à détruire des forêts et détruire la biodiversité. Donc en fait, on voit très très bien que mettre l'accent sur le CO2, ça aggrave toutes les autres questions socio-écologiques. Alors que si on met l'accent sur la biodiversité, donc si c'était le sujet numéro un, préserver la biodiversité, C'est positif pour la pénurie de ressources, c'est-à-dire qu'en fait on va avoir moins d'impact sur les ressources, on va pouvoir les régénérer.
- Speaker #0
On va être vigilant en tout cas avant d'agir, ça va être un critère.
- Speaker #1
Oui, bien sûr, mais ça en plus a un effet tout de suite, c'est que si on maintient des ressources dans la durée, donc pour les générations futures c'est quand même plus important, on fait moins de pollution, parce que si la biodiversité en premier, on va forcément faire moins de pollution. Et c'est aussi positif pour le climat, parce que le premier levier pour la biodiversité c'est l'agriculture. en gros transformer l'agriculture intensive vers l'agroécologie, l'agroforesterie, la permaculture, tout ça, en fait, ça stocke du carbone dans le sol. C'est dingue, c'est qu'en jouant sur la biodiversité, on va aussi résoudre le problème climatique. Donc en fait, c'est un levier bien plus pertinent, bien plus systémique, et pourtant, dans les médias, on parle encore toujours de CO2. Ce n'est pas pour dire que ce n'est pas un sujet, la crise climatique, c'est un vrai sujet, mais c'est le symptôme. Donc si on veut être pertinent, il faut plutôt s'attaquer aux causes.
- Speaker #0
Oui, dans les ménages et dans les entreprises. C'est aussi les éléments de CO2 qui commencent à être pris en compte. La biodiversité, oui, ça commence, démarre, mais c'est vraiment plus récent.
- Speaker #1
C'est plus compliqué aussi. C'est vrai, en même temps, si on veut être un peu tolérant, c'est qu'avant, on ne parlait même pas de questions écologiques. Donc, le CO2, ça a été une sorte d'intermédiaire. On a un peu pris ça comme les gaz de CFC dans la couche d'ozone. On s'est dit, il y a un autre gaz qui pose problème, donc on va aussi le régler. Sauf que là, c'est beaucoup plus large que ça. Donc, c'est une étape. On avance, c'est pas mal.
- Speaker #0
Mais c'est vrai que ceci dit, avec la CSRD, etc., on commence à avoir notamment plus d'éléments qui arrivent. On a la notion de salaire décent, la biodiversité,
- Speaker #1
plein de choses qui commencent à se généraliser dans le bon sens.
- Speaker #0
Et c'est vrai que ce n'est pas simple pour une entreprise parce que ça veut dire revoir tous ses fondamentaux. Moi, j'adore être sur des projets comme ça parce que ça incite justement à revoir tout. la raison d'être, la vision, la manière dont on travaille ensemble. Et ça met en jeu ces notions de performance, d'indicateur, de qu'est-ce qui est vraiment important. Hier, j'ai échangé avec Gilles Castoran pour un autre épisode et qui a une entreprise de cybersécurité qui marchait très bien. Et lui me disait, les chiffres d'affaires, la performance, c'est une conséquence, mais ce n'est pas pour un appui, en fait. C'est un entrepreneur. Donc, il y a aussi des gens qui voient ça comme ça et je pense qu'ils ont raison.
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Il y en a de plus en plus. Moi, je rencontre beaucoup quand même. des entrepreneurs qui ont compris que le monde avait changé. En gros, il y a un peu deux, si je binarise de façon beaucoup trop caricaturale, mais il y a les entrepreneurs qui voient le monde qui change et qui disent les jeunes ne veulent plus travailler, il y a trop de règles, etc. et ça ne marche pas. Et puis, il y a d'autres entrepreneurs qui disent les jeunes ne veulent pas travailler, il y a beaucoup de règles, c'est génial, ça va me permettre de complètement changer mon modèle économique. Justement, peut-être pour me passer de certaines règles. et peut-être pour avoir des jeunes qui apportent autre chose à l'entreprise avec ce nouveau regard sur l'activité.
- Speaker #0
De toute façon, en général, on ne crée pas une entreprise pour faire de l'argent, en fait, c'est souvent parce qu'il y a un projet, autre chose au départ. Donc, ce n'est pas ultra motivant pour le grand monde. Et alors, on peut parler aussi, avant de passer à la robustesse, on brosse un peu le paysage auquel vous vous intéressez avant d'aller dans le champ de la robustesse sur lequel on va se focaliser un petit peu plus. Vous avez aussi parlé de pouvoir et c'est vrai que les mots pouvoir, puissance, c'est aussi des termes dont on a besoin, en tout cas dans le métier que je fais et sur lequel on revient régulièrement, parce que quand on veut coopérer, le pouvoir sûr, il ne permet pas la coopération, c'est vraiment de la domination et puis c'est assez destructeur. Et souvent, d'ailleurs, on peut observer, alors ce n'est pas très scientifique, mais que les gens qui ont besoin d'avoir du pouvoir sur les autres, c'est qu'ils n'en ont pas beaucoup sur eux-mêmes. En tout cas, cette notion de pouvoir sûr, elle n'est pas très compatible avec le pouvoir avec ou la puissance. C'est la coopération dont on a besoin parce que les choses sont trop complexes pour arriver à les faire seules, ou dont on a besoin parce qu'il faut gérer, régler les choses, des questions au sein d'un écosystème. Donc ça veut dire travailler avec plein d'autres gens de plein d'autres métiers, d'autres entreprises, etc. Partager de la formation, trouver des solutions ensemble. Enfin, toute l'économie circulaire, forcément, elle demande de travailler au sein de l'écosystème. Ça engage à coopérer et donc à lâcher une partie de son pouvoir personnel pour avoir du pouvoir avec les autres ou avoir de l'impact plutôt avec les autres. Et donc le pouvoir est lié à très peu d'interactions, on est dans son silo. On a du pouvoir avec de la puissance qui est dans les interactions. Est-ce que c'est comme ça que vous voyez les choses ? Est-ce que vous les voyez autrement ? Et puis, comment vous faites le lien avec le vivant ?
- Speaker #1
Oui, c'est vrai que j'ai tendance à opposer pouvoir et puissance aussi. En fait, j'aime bien utiliser l'expression qu'utilise Charles Pépin, je trouve qu'il résume très bien les choses. En fait, le pouvoir, c'est une posture où le décideur est un meneur. Et le décideur, il dit je veux et je sais comment faire Ça, c'est une stratégie de pouvoir. C'est une stratégie qui peut être très performante, parce qu'on va aller très vite dans une direction, on va rapidement atteindre sa cible. Par contre, c'est une stratégie qui est excluante. Parce que quand on dit je veux et je sais comment faire en fait, on ne demande rien à personne. Tout le monde suit. Ça, c'est le pouvoir. Et alors, la puissance, c'est vraiment un autre modèle. C'est-à-dire qu'il y a aussi un décideur, ou une décideuse, évidemment, un décideur générique, qui n'est pas un meneur, c'est un facilitateur. Et ce facilitateur, il pose une autre question. Il dit j'ai envie et je ne sais pas comment faire Et donc, quand on dit j'ai envie je ne sais pas comment faire, ce qu'on met sur la table, c'est une contre-performance. On met le manque. On dit qu'on a envie d'aller quelque part, mais on ne sait pas comment y aller. Quand on fait ça, on fédère, on mobilise. Ça, c'est de la puissance. C'est de la puissance parce que si le décideur n'est pas là, le projet va continuer. Il va continuer sans le décideur. Ça, c'est de la puissance.
- Speaker #0
Oui, si les autres ont envie de se mobiliser, que ça fait sens pour eux et qu'ils ont envie de s'engager. pour ce projet.
- Speaker #1
Sinon, s'il n'y a pas d'impact, là, on est sûr que ça va du pas. Mais on peut avoir de l'engagement qu'on s'est fait imposer sur soi. Donc ça, c'est le pouvoir, en gros. C'est qu'il y a un décideur qui a décidé qu'il fallait aller par là. Et nous, en fait, on s'est fait un peu coloniser la tête et on y va aussi, sans parfois se demander le pourquoi. On ne se demande que le comment. On oublie de poser la question du pourquoi. Alors que quand, dans l'autre situation, on est dans la puissance, là, on va vraiment se poser la question du pourquoi ensemble. Et donc, du coup, ça va engager certainement plus parce qu'on a la main. Peut-être que je peux donner un exemple concret pour illustrer, parce que c'est peut-être un peu théorique comme ça, mais la Convention citoyenne pour le climat, c'est un exemple typique de puissance. C'est qu'en fait, ça fait des années que les députés sont incapables de faire des lois qui sont suffisamment ambitieuses au sujet des enjeux socio-écologiques actuels. Il y a des lois qui passent, mais qui sont très faibles. par rapport aux enjeux qui viennent. Donc, les députés sont dépassés par les événements, littéralement. Et donc, du coup, la solution de la Convention citoyenne, c'est de dire, j'ai envie qu'on avance plus vite, mais je ne sais pas comment faire. Et comment, du coup, c'est quoi ? Qu'est-ce qu'on fait d'air, là ? On invite 150 citoyens tirés au sort. Dedans, il y a des climato-sceptiques. C'est tout un ensemble qui n'est pas très performant, au passage. Et ça, ça va produire des lois nettement plus ambitieuses. que ce qu'on aurait pu faire avec la stratégie du pouvoir. Et bien ça, c'est de la puissance.
- Speaker #0
Vous ne dites pas très performant parce que ça a pris du temps, parce qu'il a fallu les former, etc. au départ. Donc effectivement, c'est un petit peu comme quand on investit dans le pourquoi ou l'engagement. Effectivement, il y a un moment donné où on a investi, donc on a pris du temps pour. Et c'est vrai qu'il nous fait penser, ce qui fait aussi le lien avec la recherche maximale de performance, c'est qu'effectivement, dans ce cas-là, on ne veut plus du tout de gaspillage ou de temps mort. Dans le temps mort, il y a de la place pour de l'innovation, il y a de la place pour de l'amélioration. Et c'est vrai que si on n'améliore rien et qu'on n'innove pas, on sait très bien qu'on peut faire ça à très très court terme quand on a une grosse difficulté passagère, une crise ou une difficulté financière. Puis on sait bien qu'après, il va falloir arrêter parce que ce n'est pas viable à long terme. Donc il y a quelque chose de ce type-là, on épuise en fait, on épuise des ressources. Et ça, au niveau de l'entreprise, c'est quand même un petit peu connu et compris. Par contre, ce que je... comprends, enfin la question que je me pose en vous écoutant, c'est quand même ce qu'on a fait pour le vivant, c'est qu'on a épuisé, épuisé, épuisé pour être performant et on ne s'est pas posé la question de l'investissement pour le long terme.
- Speaker #1
En fait, on pense que le vivant, c'est un décor et qu'il est infini, que ça se régénère tout le temps, alors que le vivant, il est déterminé par des paramètres biophysiques comme nous. Donc, le burn-out des humains, il y a le parallèle avec le burn-out des écosystèmes. Si on enlève de la matière organique dans les sols, parce que on regarde toute la production agricole, on l'extrait pour nourrir des humains. Cette matière organique manque dans les sols. Du coup, les sols, il y a de moins en moins de matière organique. Du coup, ça fait des sols qui sont moins capables de stocker l'eau, qui sont moins capables d'accueillir un microbiome ou de la microflore du sol, qui va contribuer à tous les services écosystémiques, donc la dégradation des déchets, le maintien de l'eau dans les sols, le maintien des engrais, des fertilisants dans les sols. Et donc en fait, on va construire un désherbe. Et donc l'agriculture intensive, c'est un burn-out de l'agro-système. C'est-à-dire qu'en fait, on brûle la terre. C'est presque littéral, c'est-à-dire qu'en fait, on fait ça en plus en brûlant du pétrole. Donc on fait que la culture soit brûlée en brûlant du pétrole, et ce que ça fait, c'est que ça fait un désert. Donc en effet, nous les humains, on a du mal, enfin c'est en train de changer, mais on a eu du mal à voir notre milieu comme quelque chose qui peut s'épuiser. Ça, c'est très difficile de l'imaginer.
- Speaker #0
Et c'est d'autant plus étonnant que ça fait des milliers d'années qu'on sait que la terre doit se reposer. Au Moyen-Âge, on le savait, on avait déjà cher. Et même bien avant, il y a des textes de poèmes de plusieurs centaines d'années avant le début de notre ère, où des poètes grecs expliquent, grecs et avant, je crois, que la terre a besoin de se reposer. Et donc, quand on cultive quelque chose là, après, on va mettre du trèfle ou quelque chose d'autre. Tout ça, c'était connu. Donc, on a pensé qu'on pouvait l'oublier avec des engrais. Qu'est-ce qui s'est passé, en fait ? C'est quoi l'histoire ?
- Speaker #1
Oui, alors, je ne suis pas historien, mais il y a des ingrédients. Il y a ce fameux dualisme. On a pensé que la nature était endormie. Et nous, les humains, qu'on allait la réveiller. Et donc, on l'a réveillée à coup d'agriculture, d'abord, de pratiques agricoles. Donc, en fait, la domestication, il y a 10 000 ans, qui commence de façon un peu plus massive. Quand on regarde tout ce qu'il y a au supermarché, ou même dans les marchés, les tomates, les aubergines, tout ça, c'est que des mutants qui ont été sélectionnés par les humains. En fait, on les a fait grossir par domestication. L'aubergine en version naturelle, elle est toute petite, le fruit. Pareil pour les tomates, pour à peu près tout. Le blé, tout ça, c'est des petits fruits, des petits grains. Donc on l'a réveillé en faisant de la domestication. Ensuite, on l'a réveillé avec des engrais, avec le pétrole, la mécanisation. Et en fait, ce qui se passe, c'est ça qui est extraordinaire, ça c'est Jean-Baptiste Fressos qui dit ça avec Christophe Bonneuil. En fait, pendant très longtemps, les humains ont pensé que la nature était endormie et qu'il fallait la réveiller. Et bien aujourd'hui, ce sont nos institutions qui sont endormies et c'est la nature qui se réveille.
- Speaker #0
les méga-feux, les méga-inondations, en fait, la nature nous dit, là, vous ne nous avez pas laissé assez de place. On n'est plus capable de faire de la régulation, on n'est plus capable de réguler les crues, on n'est plus capable de réguler les feux. Et donc, en fait, la nature se réveille maintenant. Et donc, en effet, c'est certainement un des produits, une des questions, c'est ce fameux dualisme, cette pensée de Descartes, notamment, se rendre maître et possesseur de la nature. Ça, c'est du pouvoir qui finit toujours mal.
- Speaker #1
Alors que la nature, elle a un fonctionnement assez clair depuis des milliers, des millions, des milliards d'années. qui consiste à être plutôt dans une logique de robustesse. Est-ce que vous voulez nous en parler ? Comment est-ce que ça marche ? Parce que finalement, après, on peut l'appliquer à nos vies, évidemment. Mais comment ça marche vraiment dans le vivant ? Vous m'aviez parlé de l'érogénéité des plantes. Je trouve ça assez passionnant parce que ça nous parle aussi à nous en analogie.
- Speaker #0
Oui, oui. En fait, les êtres vivants, c'est des systèmes un peu comme les autres. Ils ont de la performance et de la robustesse. Comme les sociétés humaines, il y a aussi de la performance et de la robustesse. Mais ce qui domine dans le monde vivant, c'est la robustesse. Alors la robustesse, il faut que je la définisse aussi. La robustesse, c'est maintenir le système stable malgré les fluctuations. Donc c'est la réponse opérationnelle à un monde fluctuant. Et il se trouve que dans les écosystèmes, depuis des millions d'années, ce qui domine sur Terre, c'est les instabilités. Typiquement, en région tempérée, il y a une mauvaise saison. L'hiver, c'est une fluctuation, chaque année elle arrive. Et ça, c'est une fluctuation annuelle, mais il y en a plein d'autres. Évidemment, il peut y avoir la grêle un jour. Il y a des tas de fluctuations dans tous les sens. Donc, les êtres vivants se construisent sur les fluctuations. Et ils donnent toujours le primat aux fluctuations. Et donc, ils donnent toujours le primat à la robustesse. La performance, c'est plutôt le cosmétique. C'est quelques niches écologiques où le monde est stable et abondant en ressources, où là, les êtres vivants peuvent se permettre d'être performants tout le temps. Mais le reste des écosystèmes sont plutôt dans la robustesse. Alors, juste pour donner un exemple, je vais prendre l'effet de l'hétérogénéité chez les plantes. C'est un des sujets qu'on étudie dans mon labo. C'est une question toute simple. C'est comment une plante, elle a par exemple une cinquantaine de fleurs sur sa tige, sur sa rampe florale, et quand on regarde bien, les fleurs se ressemblent beaucoup. C'est-à-dire qu'en fait, les fleurs ont à peu près la même forme, la même couleur, la même taille. Donc c'est quand même assez magique.
- Speaker #1
C'est ce qui fait qu'on les reconnaît d'ailleurs,
- Speaker #0
sinon ça ne serait pas très bête. Voilà, c'est la taxonomie. Elles ont une allure qui est vraiment très caractéristique. Et sur un individu, 50 fleurs identiques. Donc comment... font les plantes pour faire des fleurs identiques, sachant que chaque fleur émerge indépendamment de l'autre. Ce n'est pas comme si on faisait 50 fleurs et puis après qu'on les répartissait, qu'on les découpait. Voilà, elles se faisaient indépendamment, même pas au même moment. Comment font ces plantes pour faire ça ? Alors nous, au début, quand je dis nous, c'est les biologistes, la communauté des biologistes, on s'est un peu laissé entraîner par le culte de la performance qu'on a appliqué aux vivants. Et donc on s'est dit il y a un programme génétique. Donc il y a des gènes qui vont contrôler tout ça et qui vont être un petit peu... qui vont cadrer tout ça et qui vont dire qu'il faut que les plantes et les fleurs aient toutes la même forme. Et en fait, je la fais courte, ce qu'on a trouvé, c'est qu'en effet, il y a des gènes qui contrôlent tout ça, mais c'est hyper chaotique, c'est hyper erratique. En fait, les gènes font des choses, mais parfois ils ne sont pas là, parfois ils se contredisent. Donc en fait, si on ne regarde que les gènes, ça ne nous dit pas vraiment, ça ne marche quand même qu'à moitié cette histoire-là. Donc en fait, quand on regarde mieux, on se rend compte que ce qui fait que les fleurs sont reproductibles, C'est au contraire que les êtres vivants, les plantes, stimulent l'hétérogénéité. Si je le dis différemment, c'est si les plantes ou les cellules stimulaient l'homogénéité, chaque cellule serait identique à sa voisine et du coup, elles n'auraient rien à se dire. En fait, elles seraient aveugles à leur voisine parce qu'il n'y aurait pas d'information. Si tout le monde est pareil, on n'a rien à se dire. On peut le voir avec des sociétés humaines. Si on n'était que des clones, ce serait très triste. On n'aurait pas grand-chose à échanger. Ce qui fait que c'est riche en informations, c'est l'hétérogénéité.
- Speaker #1
Même au sein de la même plante, c'est ça qui est intéressant.
- Speaker #0
Parce qu'on n'a pas l'idée de ça. Exactement, au sein d'une même feuille, d'un même pétale. Dans un pétale, il y a énormément d'hétérogénité. Donc le tissu stimule l'hétérogénité cellulaire pour que ce soit très riche en informations. Et c'est la richesse en informations qui fait qu'on atteint des formes reproductibles à la fin. Donc c'est un peu l'anti-modèle, je prends l'exemple de Dikea, mais il s'agit qu'il n'y a pas vraiment un plan. Il n'y a pas vraiment un plan. C'est plutôt quand on construit, à force de construire, il y a des contraintes mécaniques et on finit par s'arrêter de construire à un moment parce que les contraintes sont trop fortes. Ça, c'est parce qu'on a perçu les contraintes mécaniques, on a perçu des tas de signaux biochimiques aussi, qu'on finit par s'arrêter de grandir. Et du coup, ça donne des formes reproductives. Donc, c'est grâce à l'hétérogénéité,
- Speaker #1
pas du tout grâce à… Et c'est comme ça qu'il y a de l'évolution aussi, peut-être ?
- Speaker #0
C'est très général. En fait, c'est toujours l'hétérogénéité. En fait, on pourrait presque dire que les êtres vivants se construisent sur les fluctuations. et que l'hétérogénéité finalement c'est l'ingrédient de base des fluctuations.
- Speaker #1
J'avais du mal à comprendre quand on faisait de la biologie à l'école, c'était comment il y avait ce programme génétique en même temps de l'évolution.
- Speaker #0
En fait c'est à tout le côté l'opposition qu'on peut dire entre conservateur et progressiste, c'est qu'en fait l'évolution est conservatrice d'un certain point de vue, c'est qu'on garde des tas de choses, mais il y a du jeu dans les rouages. Et c'est ces hétérogénéités-là qui donnent toujours des petits fils qui dépassent. et qui permettent à l'évolution d'aller dans des trajectoires qu'on n'imagine pas. En fait, c'est toujours une chance donnée à l'adaptation.
- Speaker #1
L'adaptation au milieu. Au niveau du vivant, dans quasiment tout ce qui vit, il y a de la place pour cette hétérogénéité, il y a de la place pour l'adaptation, il y a un petit peu de ressources qui est gardée pour les moments où il n'y en aurait plus. Est-ce que vous pouvez nous en parler un petit peu, parce que ça nous amène vraiment à ce qu'est la robustesse ?
- Speaker #0
Oui, en fait, la robustesse, c'est garder des marges de manœuvre, on pourrait le dire comme ça. C'est qu'en fait, si on regarde bien les systèmes vivants, à toutes les échelles, de l'échelle moléculaire à l'échelle de l'écosystème, ce qu'on trouve dans les systèmes vivants, c'est beaucoup d'aléatoires, beaucoup de processus qui dépendent du hasard, beaucoup d'hétérogénéité, beaucoup de lenteur, beaucoup d'incohérence, beaucoup de redondance. En fait, ce qu'il y a au cœur des systèmes vivants, ce sont des contre-performances. Ce sont des choses qui, en fait, ralentissent, rajoutent du jeu dans les rouages, ajoutent des marges de manœuvre. Et en fait, ce n'est pas par hasard. Ça, pour le coup, c'est vraiment la réponse opérationnelle à un monde fluctuant. Dans un monde fluctuant, on veut avoir des plans B, des plans C, des plans D, des plans E. On veut avoir plein d'options. Et du coup, c'est ça qui a été sélectionné pour l'évolution. Ce sont des êtres robustes. Et ils sont robustes parce qu'ils ne sont pas performants. On ne peut pas être très performant et très robuste. C'est physiquement impossible, parce que quand on est très performant, on s'est enfermé dans une voie étroite. Alors que quand on est très robuste, au contraire, on a exploré des tas de voies différentes.
- Speaker #1
D'ailleurs, au niveau du vivant, pour qu'on comprenne bien tout à l'heure, vous disiez qu'il y a quand même des endroits dans le vivant où il y a de la performance. Où est-ce qu'il y en a, par exemple ?
- Speaker #0
Oui, exactement. Les exemples les plus caricaturaux, c'est les parasites. Un ténia, par exemple, qui rentre dans un corps humain, c'est un parasite. Et il rentre dans un corps humain qui est... Pour un tenias, c'est le paradis sur Terre. C'est bourré de sucre, bourré de lipides, il y a des ressources absolument partout. Et c'est un environnement stable en plus. En plus, il y a une homéostasie de température. C'est vraiment le paradis sur Terre. Et du coup, un être vivant qui se trouve dans une niche écologique stable et abondante en ressources fait de la compétition et de la performance. Et du coup, ce parasite, il va tout détruire sur son chemin, il va se reproduire de façon quasi clonale. Donc c'est vraiment la performance ultime, c'est la voie toute tracée. Un autre exemple, parce que les parasites c'était un peu extrême, mais un autre exemple c'est les blue malgaire. Donc les blue malgaire c'est quand il y a des cyanobactéries ou des algues dans l'océan ou dans les temps des lacs, la température a monté, donc c'est souvent en été, et il y a plein de nitrates, plein de phosphates. Donc il peut y avoir des pollutions, ou juste comme ça naturellement, il peut y avoir à un moment donné beaucoup de ressources minérales. Les algues elles ont besoin de lumière, d'eau. et de ces ressources minérales-là, et du coup, elles pullulent. elles prolifèrent. Et là, c'est de la prolifération clonale, donc c'est les mêmes algues qui occupent tout le territoire. Elles vont même émettre des toxines pour tuer tous les autres êtres vivants dans le lac, il n'y aura vraiment plus que ces algues-là. Et à la fin, elles auront consommé toutes les ressources, et donc là, elles rebasculent dans le mode où le monde devient instable, fluctuant, en pénurie chronique de ressources. Et donc elles vont soit mourir, il y en a beaucoup qui vont mourir, parce qu'elles sont allées trop loin dans la compétition et dans la performance. Mais il y en a certaines qui vont basculer dans un autre mode, qui vont faire des sports, qui vont attendre le prochain cycle où il y aura abondance de ressources. Donc ça, c'est des exemples où on peut très bien associer... C'est un petit peu contre-intuitif, parce que très souvent, on pense qu'on fait la guerre, on est dans la compétition quand les ressources manquent. Alors c'est le contraire. Et ça, Georges Bataille, dans La part maudite, le dit très bien. C'est vrai pour les humains aussi. C'est quand il y a abondance de ressources et que le monde est stable qu'on se fait piéger par la compétition. et la performe.
- Speaker #1
Dans les environnements, ce que j'avais vu une fois, vous me direz si c'est juste ou pas, quand on regarde les plantes alpines par exemple, dans des environnements où c'est assez difficile, on est dans la rocaille, il y a de l'eau parce qu'il y a un peu de neige, en plus il y en a de moins en moins sur les sommets, c'est des environnements où il y a un peu de la place pour chacun et de la coopération entre les plantes, et finalement là où il y a compétition, c'est là où il y a abondance de ressources.
- Speaker #0
En plus on a deux grands penseurs de la biologie pour nous aider avec ça, Darwin. quand il fait son voyage sur le Beagle, en fait, il va en Amérique du Sud. Il va vers l'Amérique du Sud, l'hémisphère sud. Il va jusqu'en Australie. Et en fait, il voit des écosystèmes tropicaux. Donc, plutôt des endroits où il y a des conditions favorables. Et du coup, il voit beaucoup de cas de compétition. Alors, il y a aussi beaucoup de coopération, mais il y a aussi des cas de compétition assez frappants. À peu près à la même époque, un peu plus tard, il y a Kropotkin qui fait un voyage en Sibérie. Donc, c'est aussi un naturaliste. Il fait le tour. En Sibérie, les conditions sont beaucoup plus dures. Et lui, qu'est-ce qu'il écrit comme bouquin ? Il écrit un bouquin qui s'appelle L'entraide Parce que ce qu'il découvre, c'est qu'il y a énormément de coopération dans les écosystèmes. Et donc aujourd'hui, on a fait la synthèse, maintenant on sait ça. Donc on sait que ce qui détermine le comportement compétitif ou coopératif, ce n'est pas une philosophie, ce n'est pas une injonction, ce n'est pas la qualité de la lumière dans le sol, non, c'est la quantité de ressources dans le milieu. Au premier ordre, c'est ça qui détermine le comportement compétitif ou coopératif. Après, évidemment, il y a des nuances, mais ça, c'est un facteur déterminant.
- Speaker #1
Si l'analogie est bonne pour le vivant et pour les êtres humains, c'est une désespérance, parce que ça veut dire qu'on va lâcher progressivement cette logique d'ultra-compétition et d'ultra-performance, et que finalement, là, dans ce monde chaotique, on a intérêt à générer de la robustesse. On va avoir des moments où on va être dans de la performance à court terme, parce qu'il faut passer un cap, et le reste du temps, on va voir qu'il faut... qu'il faut de la robustesse et on va se donner des marges de manœuvre. Et toute la politique qu'on voit en entreprise de diversité, d'inclusion, etc., elle n'est pas que éthique, elle est aussi économique finalement.
- Speaker #0
C'est très pragmatique en fait. Pour moi, ce que je trouve fascinant, c'est qu'on est en train de vivre le moment du basculement où la performance dominée vers un moment où c'est la robustesse qui va dominer. Mais c'est même sans parler de fiction ou de modèle économique, c'est une expérience qu'on peut vivre tous les jours. Je prends souvent le train, le TGV Lyon-Paris par exemple. Le TGV Lyon-Paris, en général, c'est un grand bureau. Tout le monde est devant son écran et tout le monde travaille. Donc, il y a très peu d'interactions. Là, c'est plutôt le train performant, chacun dans son silo qui travaille. Il suffit que le train s'arrête, il suffit qu'il y ait un accident sur la voie et là, les gens commencent à se parler. Et bien, ça y est, en fait, on a ralenti, on a été moins performant, ça induit de la coopération, parce que du coup, on s'inquiète. Et donc, on dit, ah bah tiens, qu'est-ce qui se passe ? Et on commence à discuter avec son voisin. Et donc là, on commence à abandonner la performance pour développer une micro-stratégie de robustesse par interaction sociale.
- Speaker #1
Et donc, on sait le faire, c'est bon, si, on sait le faire assez naturellement.
- Speaker #0
Exactement, c'est ça. C'est vrai que c'est un message d'espoir, ça veut dire qu'on va en faire quelque chose, ces fluctuations. C'est que les fluctuations, ça peut faire peur, et je peux comprendre, tous ceux qui sont dans l'éco-anxiété, y compris moi d'ailleurs. Quand on voit ce qui vient, on peut se dire, oui, ça va quand même chahuter très fort. Mais on va en faire quelque chose de ces fluctuations. Ça ne va pas être du tout, on ne va pas rester sur le même modèle. Ça va vraiment tout inverser. Et on est en train de le vivre maintenant. Depuis une vingtaine d'années, c'est assez manifeste.
- Speaker #1
D'ailleurs, les populations qui ont vécu dans des environnements plus difficiles, avec moins de ressources matérielles, sont beaucoup plus dans l'entraide. Et ils nous l'apprennent. En arrivant en Europe, on apprend beaucoup d'eux aussi quand on va chez eux. C'est logique d'entraide, on les retrouve. On les a perdues parce que finalement, on avait chacun l'argent pour s'acheter notre matériel. Mais dès qu'on ne l'a plus, on va aller voir les autres, on va s'entraider, se prêter.
- Speaker #0
Oui, pour prendre un exemple montagnard, les montagnes, c'est historiquement des zones difficiles. Il ne faut pas être tout seul, il peut y avoir des orages soudains, etc. C'est des conditions compliquées. Il y a beaucoup de coopération historiquement dans les vallées, localement. C'est dans des régions de la montagne. dès qu'on met du pétrole, qu'on met des pistes de ski et que l'argent abonde dans la montagne, ce qui est une anomalie dans l'histoire de la montagne. Il n'y a jamais eu tant d'argent dans les écosystèmes montagnards que depuis l'époque du ski. Là, ça crée de la compétition et d'un seul coup, la performance, on construit des choses qu'on ne doit peut-être pas trop construire dans des environnements fragiles, etc. Voilà, donc ça s'allie, et donc on va revenir en arrière. Ce n'est pas pour dire qu'il n'y aura plus d'opportunités économiques, c'est juste qu'on va faire une autre économie, nettement plus. Il y aura toujours du business, il y aura toujours des affaires, mais ce sera beaucoup plus coopératif et en lien avec les non-humains.
- Speaker #1
Et effectivement sans doute en plus avec un changement un peu sociétal dans les valeurs, les attentes des uns et des autres, des jeunes mais pas que, donc tout ça peut aller effectivement dans le bon sens, il faut juste que ça aille assez vite.
- Speaker #0
En fait c'est pas nous qui allons décider mais on peut nous anticiper en tout cas. Moi quand je rencontre des entrepreneurs c'est ce que je leur dis, en fait aujourd'hui on peut avoir l'impression qu'on est toujours dans un monde stable finalement, c'est que demain le soleil va encore se lever, on pourrait avoir cette image du monde stable. Alors que non, en fait, le monde est devenu très instable. C'est nous-mêmes, d'ailleurs, qui créons des instabilités parfois. La dernière en date, c'est CrowdStrike, le 19 juillet dernier, avec la panne informatique mondiale. Tout ça parce qu'on avait suroptimisé un logiciel de cybersécurité. En fait, la suroptimisation, c'est d'en avoir fait un monopole. Et du coup, voilà, tout ce que...
- Speaker #1
Vous pouvez expliquer un petit peu ce qui s'est passé ? Parce que ça, c'est intéressant aussi. Puis moi, j'aime bien faire les liens entre les technos.
- Speaker #0
Oui, c'est un très bel exemple pour illustrer ce que je raconte. Donc là, c'est qu'en fait... CrowdStrike, c'est une boîte qui fait de la cybersécurité. Donc, une très bonne boîte qui fait des super algorithmes hyper performants, mise à jour en permanence, etc. Donc, le top du top. Et donc, à tel point que c'est Microsoft qui a utilisé cette boîte pour faire sa cybersécurité. Donc, du coup, on se dit, c'est alliance de deux performances, ça ne peut être que très bien. Ce qui se passe, c'est que CrowdStrike fait de la performance et oublie que d'être dans un monopole, c'est fragile. C'est aussi bête que ça. Et donc CrowdStrike fait une mise à jour un matin sur sa cybersécurité. La mise à jour plante. Donc elle n'a pas été bien finalisée. C'est un peu ce qu'on fait de plus en plus dans les algorithmes d'ailleurs. Donc voilà, pas bien finalisé. C'est de disperser dans tous les ordinateurs Microsoft, tous les équipements, les outils qu'utilise Microsoft dans le monde. Et donc du coup, on ferme des aéroports. Parce que Microsoft ne marche plus. Et ça, ça n'a pas duré très longtemps. Mais ça donne l'idée de la fragilité du système dans lequel on est. Qui est... tellement drogués à la performance qu'on en oublie les niveaux de base de sécurité. Un monopole, c'est fragile. Ça, un enfant de 5 ans peut comprendre. CrossStrike, avec leurs ingénieurs hyper doués, a raté ça.
- Speaker #1
Quand vous dites qu'on est addict, c'est une espèce de drogue de la performance. Ça vaut le coup d'expliquer un peu en quoi c'est vraiment une drogue. Est-ce que c'est parce qu'on n'arrive plus à voir autrement ? Est-ce que c'est notre perspective qui est devenue une perspective presque naturelle tellement elle y réflecte ?
- Speaker #0
Il y a plein de choses là-dedans, mais en effet, on est dans un monde en addiction. C'est que la performance est très satisfaisante, même d'un point de vue physiologique. Il y a une récompense physiologique à la performance. La dopamine,
- Speaker #1
vous voulez dire ?
- Speaker #0
Voilà, mais il y en a d'autres. Bastien Bollor en parle, mais il y a d'autres hormones qui vont avec ça. Il y a tout un cocktail qui nous récompense quand on performe. Mais par contre, c'est une récompense courte. ce qui va très bien avec la performance. La performance doit être transitoire, donc c'est une récompense courte. Le piège, c'est comme quand on prend un psychotrope, c'est de vouloir re-performer pour reprendre cette dose de psychotrope. Donc ça, c'est plutôt la partie physiologique. Mais il y a aussi tout le contexte. C'est qu'en fait, la performance se nourrit de l'abondance. Alors, ça épuise les ressources, mais dans notre cas, nous, les humains, ça nous crée une forme d'abondance financière, économique, ça nous fait un confort. Et donc, si on veut encore plus de confort, par exemple, quand les étés deviennent chauds, peut-être qu'on veut mettre encore plus de climatisation, d'air conditionné ou je ne sais pas quoi. Et du coup, on va encore plus se performer et se laisser piéger par ça. Et c'est en fait, quand on oppose performance et robustesse, on peut avoir une autre opposition qui est en miroir. C'est l'opposition qu'il y a entre addiction et adaptabilité. Quand on est dans l'addiction, on ne voit plus que son addictif. On ne voit plus rien d'autre.
- Speaker #1
Que ce qui manque ou ce qui est là.
- Speaker #0
Mais le manque, le seul manque qu'on voit, c'est... qu'on fait tout le temps. On est sur un rail et on veut, dans tous les sens du terme d'ailleurs, on ne peut faire plus que ça. Alors que quand on est dans l'adaptabilité, on fait quelque chose et on pense aux autres choses qu'on pourrait faire. Donc ça veut dire qu'on diversifie, on expérimente, on explore. C'est le contraire de l'addiction. Et en fait, c'est un remède à l'addiction. D'ailleurs, il y a plein d'études biologiques qui l'ont montré ça. Si vous mettez un rat dans une cage tout seul et que vous lui proposez de l'eau ou de l'eau avec de la cocaïne, il va aller vers l'eau avec la cocaïne, il va être drogué et il va faire que ça. Vous mettez le même rat dans la même cage avec de l'eau et de la cocaïne, mais autour de lui, vous mettez du fromage, des compagnons rats, tout un environnement, vous appelez ça le rat park, et bien là, le rat ne va plus aller vers la cocaïne, en tout cas, il va moins y aller. Donc ça veut dire qu'en fait, toute cette distraction, toute cette diversité des actions, c'est ça qui nous remet à l'addiction, c'est l'adaptabilité, c'est d'aller explorer d'autres chemins.
- Speaker #1
Et ça, ça nous amène à ces effets de polarisation, de sectarisme, que vous avez un tout petit peu évoqué, mais ça vaut peut-être le coup maintenant d'exécuter un petit peu plus. C'est vrai qu'on a tendance à vouloir être cohérent, être hyper clair, prévisible. La prévisibilité, ça permet la confiance aussi. La cohérence, ça va avec l'éthique, la fidélité. Ce sont des notions qui sont importantes sur le plan éthique, mais finalement, l'infidélité à soi, au sens où on pourrait aussi... changer d'avis, changer de comportement, changer de décision. Finalement, ça permet l'adaptabilité. Je veux bien qu'on parle de ça un peu maintenant, parce que c'est intéressant de voir comment l'équilibre, il est toujours au milieu et finalement, quand on va trop, on va vers le sectarisme et la polarisation. Mais comment ça marche tout ça ensemble ? Comment ça s'emboîte ?
- Speaker #0
Oui, ça se parle aussi. En fait, il y a la même chose pour l'opposition à la performance et robustesse avec la question de la cohérence. En fait, un système qui est très cohérent, c'est l'autoroute. L'autoroute, c'est un système qui est très cohérent. C'est-à-dire qu'on va très vite, très loin, mais on a oublié tout le reste. Et en fait, le maximum de cohérence, c'est la secte. Puisque dans une secte, tout le monde est d'accord avec tout le monde, tout le monde est d'accord avec le gourou, et on ne comprend pas pourquoi les gens ne sont pas d'accord avec nous. En fait, on est complètement endoctriné. Donc, on a fait une dérive sectaire. Et bien, ça, c'est un produit de la performance. C'est la performance et la cohérence qui se parlent, qui s'alimentent l'une de l'autre. C'est très performant d'être cohérent. On a pas besoin d'expliquer. Parce qu'en fait, tout le monde est déjà au courant. Donc voilà, ça va très vite. L'information circule très vite. En plus, on a ce sentiment d'appartenance. Donc en fait, c'est vraiment très, très toxique. Alors que l'incohérence, dans une société qui est droguée à la performance, l'incohérence a mauvaise presse. Quand on est incohérent, c'est justement parce qu'on a trop bu. Avoir un discours incohérent, c'est qu'on commence à riper sur les mots et choses comme ça. Alors qu'en fait, l'incohérence, c'est quand on regarde des systèmes vivants, c'est bourré d'incohérences. Quand je dis incohérence, là aussi il faut que je définisse, une incohérence c'est une contradiction interne dans le système. Donc ça veut dire que dans un système biologique par exemple, ça veut dire qu'il y a deux facteurs, deux molécules par exemple, qui s'activent et qui s'inhibent en même temps. Donc elles font vraiment deux choses contradictoires. Peut-être pour donner un exemple plus concret, une plante qui pousse, c'est l'eau qui est le moteur de la croissance, donc c'est ça qui la fait pousser. Et plus une plante pousse, plus elle fait de la photosynthèse. plus elle fait de la photosynthèse et plus elle se rigidifie. Donc en fait, plus elle fait de la cellulose, plus elle se rigidifie ses cellules. Et donc en fait, plus une plante pousse, plus elle freine. Plus elle freine sa croissance. Donc c'est très incohérent ça. Ça, ça permet l'adaptabilité finalement. Ça permet cette incohérence-là, ça ajoute du jeu d'un héros âge et ça permet aux plantes de changer de trajectoire, de s'adapter.
- Speaker #1
Plus elle freine, ça veut dire qu'il y a quelque chose en elle qui va freiner sa croissance quand elle a atteint une certaine croissance, c'est ça que vous dites ?
- Speaker #0
Oui, ou même, en fait, plus elles poussent vite, et plus elles sont capables d'attraper du soleil, donc d'avoir plus de soleil, plus de photosynthèse. Si elles font plus de photosynthèse, elles font plus de cellulose, et la cellulose, c'est aussi rigide que l'acier. Donc en fait, elles sont en train de se rigidifier. Donc plus elles poussent, et plus elles se rigidifient. Donc plus elles freinent leur croissance. Donc ça devient plus...
- Speaker #1
Oui, c'est là que ça va être la conséquence à un moment donné. Donc, on en est à la voie du milieu, en fait. L'équilibre entre la performance et de la robustesse, entre la marge pour avoir de l'espace, pour innover, changer, s'adapter. Et puis, suffisamment de performance pour avoir quelque chose qui soit à la fois cohérent et rentable dans un monde où il y a quand même encore de l'argent. Je dis encore, je ne sais pas si on en a toujours.
- Speaker #0
Le discours de la robustesse, en fait, il est très modéré. C'est-à-dire que ce n'est pas un discours qui... Enfin, je... Je ne suis pas en train de dire qu'il faut abandonner la performance pour basculer dans le 100% robuste. Parce que quand on fait ça, si on faisait ça, bizarrement, ce serait très fragile. C'est qu'en fait, on a besoin de temps en temps d'avoir des moments de performance.
- Speaker #1
Ce serait très fragile de la robustesse seulement ?
- Speaker #0
Je vais prendre un exemple biologique. Nous, notre corps humain, par exemple, on est à 37 degrés, qui n'est pas la température très performante pour nos enzymes. À 37 degrés, nos enzymes fonctionnent bien, mais elles ne fonctionnent pas très bien. Elles ne sont pas au maximum de performance. Par contre, quand on a la fièvre, quand on est à 40 degrés, alors là, nos enzymes, en général, elles ont beaucoup augmenté leur performance. Donc, elles sont bien plus performantes à 40 degrés qu'à 37 degrés.
- Speaker #1
C'est pour ça que la température sert à améliorer l'écosystème et à tuer éventuellement les bactéries nocives, etc.
- Speaker #0
La fièvre, en fait, elle est là pour booster notre système immunitaire, donc pour booster les enzymes de notre système immunitaire. Donc à 40 degrés, on est très performant, mais par contre, on ne peut pas être performant très longtemps. Au bout de trois jours, ça peut être mortel. Donc du coup, on est obligé de revenir à la température de pâte. Ça, en fait, ça permet d'illustrer cette histoire-là. C'est-à-dire qu'en fait, si on n'était que dans la performance, on serait à 40 degrés tout le temps, et donc on mourrait assez vite. Si on n'était que dans la robustesse, on serait à 37 degrés tout le temps. Mais ça veut dire que quand il y a un pathogène qui est vraiment dangereux qui arrive, on serait incapable de répondre. Notre système immunitaire ne serait pas... pas capable de répondre à une bactérie, un virus de base. Quand on a la fièvre, ça veut dire que notre système immunitaire de base n'est pas capable de répondre. Il faut le booster. Donc, en fait, il faut bien qu'on ait un moment axé à ce niveau supérieur de performance. En fait, l'exemple, c'est le pompier. Le pompier qui est au feu, il fait de la performance. Là, c'est la fièvre. Et donc là, il est dans une stratégie de pouvoir. Il va dire toi, tu y vas pas, toi tu ressors. Donc là, c'est de la performance, mais tout le reste du temps. Le pompier, il attend qu'on le sonne. Il dort, il s'entraîne, il fait de l'essai-erreur. En tout cas, c'est de la robustesse. Donc, on a cet équilibre-là aussi. Et donc, c'est ça qu'il va falloir inventer pour le monde qui vient.
- Speaker #1
C'est vrai que moi, ça me fait penser aux cultures d'entreprise. Il y a des cultures dans lesquelles les gens sont presque dans la performance. Et effectivement, l'enjeu, ça va être de leur apprendre à s'écouter, à avoir des jambes. Ça m'est arrivé des fois de dire à un patron, tu as des gens ultra efficaces, mais des rivalités de dingue entre eux. En fait, si tu veux avoir une ambiance de travail, moins toxiques et qui deviennent vilables, ça serait bien d'avoir quelqu'un qui est un petit peu moins brillant, mais qui va apporter de la rondeur et de l'harmonie. Mais parfois, on a des équipes aussi dans lesquelles il y a énormément de rondeur, d'harmonie, d'entraide, mais qui ne foutent pas grand-chose. Et puis, ça va être intéressant qu'ils sachent aussi gérer les crises. Et effectivement, il y a des moments où il y a aussi des environnements, des collectifs, parce que ça m'arrive aussi de travailler en association, où les gens ont une espèce d'hostilité pour le pouvoir et la décision et le leadership. et il y a des groupes aussi comme ça on est très dans la gouvernance partagée le participatif mais c'est vrai que c'est pas très très efficace et ça fait fuir certaines personnes qui ont l'impression qu'il ne se passe rien et il y a des moments où en fait il va falloir quand même pouvoir prendre une décision hyper vite et y aller parce qu'on est dans un moment de crise, un moment charnier ou alors il va quand même simplement falloir prendre une décision à un moment donné et se dire comment est-ce qu'on apprend, qui l'apprend enfin pas avoir de problème avec l'autorité et le fait d'être auteur mais il faut pouvoir parler de ces choses-là aussi
- Speaker #0
Bien sûr, et en fait c'est un peu comme la fièvre, il faut accepter que ce soit un moment transitoire. Ce qui est problématique dans la posture du pouvoir et de la performance, c'est quand ça dure. C'est ça qui est problématique. La performance en soi, ce n'est pas un problème si c'est transitoire. En fait, il y a un exemple très positif, par exemple, c'est pendant la période Covid, quand on a mis des pistes cyclables dans les villes temporaires. Ça, c'était une réponse à la crise Covid, la distanciation physique, etc. Et puis, à la sortie du Covid, certaines villes ont sanctuarisé ces pistes cyclables. Ça, c'est un abus de pouvoir. On a tranché, on a décidé que finalement, on allait conserver ça alors que le Covid n'était plus là. Ça, c'est un abus de pouvoir. Mais en fait, ce qui est génial, c'est que ça a été transitoire. C'est que les villes qui ont fait ça, elles ne sont pas parties en vrille en disant maintenant, on va tout nationaliser ou je ne sais pas quoi. Elles ont juste fait ça. Ça, c'est un petit progrès. Ça faisait des années qu'on demandait des pistes cyclables dans les villes. La crise Covid, ça nous les a accélérées. Très bien, une performance positive. transitoire.
- Speaker #1
Et le travail aussi qui s'est pas mal généralisé pour les métiers pour lesquels c'est possible.
- Speaker #0
En fait il y a eu plein de choses, alors après c'est vrai il y a des effets collatéraux aussi, mais disons qu'il y a eu des effets d'accélération parce que en fait quand on... une crise en fait c'est la différence qu'on peut dire qu'il y a entre être dans le pétrin et être en crise. Quand on est dans le pétrin, en fait on est dans un environnement toxique, ce qu'on fait est toxique et on sait pas comment s'en sortir. Donc c'est le hamster qui est dans sa roue. Donc ça, c'est vraiment l'addiction, la performance. Et puis la crise, c'est quand le hamster sort de sa roue. Alors ça peut faire peur, la crise, mais en fait, c'est une excellente nouvelle. Ça y est, enfin, on déraille. On est sorti du pétrin et donc on va pouvoir inventer autre chose. Les crises, ça peut être des moments où la performance peut nous aider à sortir de la roue, donc de dérailler, pour ensuite revenir dans un mode robuste, mais ailleurs, dans un autre schéma.
- Speaker #1
On arrive à la fin de notre conversation. Est-ce qu'il y a quelque chose dont on n'a pas parlé ? que vous aimeriez aborder maintenant ?
- Speaker #0
Peut-être que je peux, juste comme ça, pour donner quelques exemples, pour illustrer ce monde robuste qui vient. On en a un petit peu parlé, mais j'aime bien quand même donner des exemples bien concrets pour qu'on voit bien ce qui se passe. Moi, j'aime bien les exemples. L'agriculture intensive, plutôt le monde de la performance. L'agroécologie, la permaculture, l'agroforestry, plutôt le monde de la robustesse. Dans un autre mode, le tout jetable. l'économie propriétaire, ça c'est plutôt du pouvoir, de la performance. Économie de l'usage, économie du partage, en gros les locations, le tout réparable, tout ça c'est plutôt le monde de la robustesse. Et en fait quand on regarde bien, il n'y a pas besoin d'être un grand économiste pour voir que l'histoire va vers plus d'économie d'usage, plus de tout réparable, plus d'agroécologie. Et c'est l'ancien modèle qui est en train de descendre. Et ça, ce n'est pas une mode, c'est une tendance de fond qui est guidée par les fluctuations de l'environnement, de l'environnement écologique, de l'environnement économique, de l'environnement social, de l'environnement géopolitique. Les fluctuations augmentent et du coup, on voit apparaître toutes ces initiatives qui vont plutôt vers la robustesse. En fait, moi, ce que j'aurais tendance à dire pour les auditeurs, c'est regardez autour de vous, regardez le monde économique se transformer et vous allez voir que la tendance, c'est moins de performance. plus de robustesse et ça c'est pour moi une excellente nouvelle.
- Speaker #1
Et d'ailleurs cette notion de tendance, elle me fait penser aux signaux faibles et aux tendances de fond, aux courants porteurs. Vous disiez aussi que les systèmes changent par les marges et que c'est comme ça que se fait le basculement.
- Speaker #0
Exactement, oui c'est vrai que c'est un point important, c'est vrai que je trouve aussi un point important à ajouter. Tous les systèmes basculent par leurs marges, donc par leur périphérie. Que ce soit une nuée d'oiseaux, un banc de poissons, un empire, ça se passe toujours aux marges. Parce que c'est aux marges qu'on a les oiseaux, par exemple, qui sont sensibles aux fluctuations de leur environnement. Dans une nuée d'oiseaux, les oiseaux qui sont au cœur de la nuée, eux, ils ne voient que des oiseaux voisins. Ils sont aveugles aux fluctuations de l'environnement. Alors que les oiseaux à la périphérie, ils voient les fluctuations de l'environnement. Et donc, c'est eux qui ont accès à l'information, finalement. Et donc, eux, ce qu'ils font va contaminer le cœur. Et donc la nuée d'oiseaux qui tourne de droite à gauche, ce n'est pas parce que l'oiseau du cœur du système a dit à tout le monde de tourner à gauche, c'est ceux qui sont à la marge. Et donc le message pour les entreprises, ou pour les associations, ou pour les collectifs, regardez vos marges, regardez votre périphérie, parce que ce sont ceux-là qui sont en avance sur le monde de la robustesse. En fait, ils ont déjà vu les fluctuations, ils ont commencé à construire des solutions robustes dans un monde fluctuant, c'est ça qui va vous arriver. Et si vous cramponnez sur le mode performant d'avant, en fait, ça ne va pas marcher. Il y a un jour ou l'autre, il faudra mettre un pied dans la robustesse. Donc, ça peut être intéressant d'aller voir ce qui se passe à la périphérie.
- Speaker #1
Un grand, grand merci, Olivier. Et à bientôt.
- Speaker #0
À bientôt.
- Speaker #2
Comme d'habitude, si vous voulez en savoir davantage sur Olivier Le Mans, sur l'Institut de l'Infrastructure, sur ses recherches, vous trouverez toutes les informations utiles dans la description de cet épisode. Ce podcast n'est pas seulement le mien, c'est aussi le vôtre, c'est le nôtre. Si vous voulez contribuer, intervenir, proposer, contactez-moi. Si vous avez aimé cet épisode, partagez-le autour de vous. mettez des étoiles pour le noter et abonnez-vous pour ne pas manquer les prochains. A très bientôt !