- Speaker #0
Les grands entretiens du musée de la Sacem avec Philippe Barbot.
- Speaker #1
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des grands entretiens. En octobre 1984, Serge Gainsbourg publie un album, son avant-dernier, qui va faire à défaut de véritables scandales encore beaucoup parler dans les chaumières. D'abord à cause de la pochette sur laquelle le grand Serge pose maquillé avec colle sur les paupières, rouges à lèvres et fume cigarette, à un cliché étonnant du photographe William Klein. Le titre de l'album Love on the" Beat est aussi celui de la chanson la plus remarquée de disques. Une sorte de "je t'aime, moi non plus" revisité façon bande-son de film porno. Prétexte à aller questionner le responsable dans son antre de la rue de Verneuil. Un entretien qui nécessite de tendre l'oreille, tant la diction de l'artiste, pour être légendaire, n'en est pas moins souvent plus proche du marmonnement intime que de la conversation conviviale. Une interview ponctuée aussi du claquement régulier de son briquet Zippo, car si Dieu est un fumeur de Havane, Gainsbourg, on le sait, inhalait plutôt des gitanes. Pour écrire, Gainsbourg quitte souvent sa caverne particulière de la rue de Verneuil pour se réfugier dans une chambre d'hôtel, de préférence une suite, et la plupart du temps au Ritz. Là, incognito au milieu de la horde des touristes étrangers de luxe, il peut s'adonner à ses deux passions, ses trois plutôt, la poésie, la musique et la bouteille.
- Speaker #0
D'abord j'ai pris une suite au Ritz, ici, pour me déconnecter de tous les connards qui peuvent être, et qui viennent me faire pitié. Et au Ritz, hélas, il y a trois bars et trois pianos différents. Alors, je suis superbe, je suis humain, et dès que je suis un peu pété, le piano m'attire. En vérité, ce truc, c'est un piano brut et un petit, ce que j'appelle un bloc-note, B-L-O-Q-E.
- Speaker #1
Love on the beat, donc, l'album et la chanson prétexte à notre entretien, ont été enregistrés à New York. Pour écrire, là encore, Gainsbourg a utilisé sa méthode habituelle, s'isoler dans une chambre d'hôtel, mais cette fois, pas de chance, dans l'ancien pays de la prohibition.
- Speaker #0
On peut dire que Love on the Beat fait, justement, plus puissance 1000. Ça, c'était la composition des lyrics, ça a été un calvaire. C'était vraiment un stress absolu, il fallait retenir les studios. J'ai pris une chambre un peu moins chicos que celle que j'avais avec Bambou et je me suis isolé. Et là j'ai appelé le home service, j'ai dit je vais faire un short-track. Et on dit non, c'est impossible, c'est interdit. J'ai paniqué parce que j'ai respiré toute la nuit. Je ne pouvais pas se péter complètement sinon rien, c'est trop mignon. Mais c'est speedé, je me donne ça pour interdire. Donc, contexte. Alors, parce qu'à New York, il y a des règles strictes. La nuit, quand je dis OK, vous êtes désespérés, je dis, montez-moi du café. Et le mec, il voit un mec avec des pages blanches, puis des crobards de portée. Je fais des dessins. musical, il y a un vieux movie director chinois, un composer ok, reprise et là, alors page blanche 10 heures de rime, je ne l'ai pas ouvert première fois je ne l'ai pas ouvert
- Speaker #1
Pour Gainsbourg qui, comme chacun sait, voulait être artiste peintre, l'écriture est une activité manuelle à la plume, qui nécessite le contact avec la feuille de papier, pas de clavier, un stylo. Ces manuscrits sont célèbres pour leur rature, leur griffonnage dans les coins, leur crobar, comme il dit, et même, pourquoi pas, leur tâche d'encre.
- Speaker #0
Je dis, c'est pas suffisant, moi je veux juste écrire avec un vieux Waterman. J'aime ça. Non, pas juste. Ça n'aura jamais un vieux Waterman de plus grand. Là vous avez plein de liers, comme un peintre a plein de liers. Donc dans un livre, il faut des plages également pleines et des liers, c'est-à-dire y placer.
- Speaker #1
Chez Gainsbourg, rue de Verneuil, dans le vaste salon peint en noir des murs au plafond de son hôtel particulier, on aurait pu se croire dans une brocante. Un bric-à-brac hétéroclite, voisine de vieux objectifs, d'appareils photos, des briquets, des statuettes, des bibelots de toute forme et de toute taille, le tout malgré les apparences scientifiquement disposées. Vous déplaçiez un cendrier et votre hôte le remettait illico et fermement à la place qu'il lui avait destinée, et évidemment qu'il était le seul à connaître. À côté d'un piano électronique et d'une photo de Bardot nu, notre regard est attiré par un billet de banque, encadré, qui porte une signature peu commune, celle de Francis Bacon. De là à faire l'inventaire de la collection du maître de maison, en vrac, Paul Klee et Dali.
- Speaker #0
À propos de Francis Bacon, j'ai ici un billet de sondage. Si vous m'efforcez de me faire une sorte de présentation, je l'ai rencontré dans un restaurant londonien. J'ai un dali aussi qui s'appelle la chasse aux papillons. Chaque fois que je rencontre... Le Paul Klee date de 1930... Non, de 1913, pardon. Et j'ai fait décrypter, parce que Klee était très méticuleux dans ses dessins. Il n'était que dans ses travaux. J'ai fait décrypter parce que c'était initialement appelé mauvaises nouvelles des étoiles. Je me suis dit que la chasse aux papillons c'était encore une des grandes factures de Dali. Regardez la signature, après il a changé de signature. Vous savez c'est très explicite dans l'écriture. Bonaparte souligné, Napoléon a arrêté de souligner. Et après Waterloo il a re-souligné. Il le sait, Dali, que j'ai la chasse aux papillons. Ça n'a jamais été reproduit. Et on s'est rencontrés, évidemment. J'étais chez lui. J'étais chez lui. « Si vous avez la chasse aux papillons... » C'est lui qui m'appelait maître. Et il s'est levé un jour, je lui ai dit « Maître, vous pouvez m'aider quand vous photographiez la chasse aux papillons parce qu'il n'y en a aucun de mes livres. » Et j'ai fait tout.
- Speaker #1
Interviewe Gainsbourg, est-ce un moment privilégié ? Affirmatif. Est-ce que pour autant on comprend tout ce qu'il raconte ? No comment. Affirmatif, no comment, voilà une expression typiquement gainsbourgienne, utilisée entre autres dans sa chanson du même nom incluse dans l'album Love on the Beat. De quoi, affirmatif, lui demander d'où ça vient ? en espérant qu'ils ne répondent pas no comment.
- Speaker #0
J'aime bien affiratif et no comment. Cette idée me vient en fait d'un croquis qui a paru dans le monde, il y a deux mois, ou après avoir brûlé ou oublié. On avait fait un dessin et on avait pas mi mon nom, ce qui ne m'a pas plu. C'était un dessin assez dur, où la vie joue. Et il y avait dedans une bulle, c'était d'ailleurs un article sur l'économie. C'est assez beau, une bulle, je trouve. Il y avait une bulle "affirmatif, no comment" et le billet brûlait. Puis il me refait le billet. Donc je me suis dit, c'est bon. Et le but affirmatif, j'ai trouvé dessus. Bien sûr, j'ai dit affirmatif et non comment.
- Speaker #1
I'm the boy that can enjoy invisibility. Cette phrase en anglais est extraite d'une des chansons de l'album intitulée I'm the boy. L'invisibilité n'étant pas vraiment le propre d'un Gainsbourg adepte de l'emprunt musical ou littéraire, il a fallu aller chercher dans l'œuvre d'un écrivain et poète irlandais, né à Dublin au XIXe siècle, auteur d'un célèbre Ulysse, pour en comprendre l'origine.
- Speaker #0
I'm the boy that can enjoy invisibility, une phrase donc de James Joyce. Donc encore un peu plus gros. On appelle pas ça le flyer, on appelle pas ça le... On appelle ça des citations. Citation. Citation que je ne connais pas dans quel contexte il a dit ça, puisque moi j'ai lu ça dans l'acteur. Mais j'ai vu là un homme qui louvoyait. c'est comme ça que je l'ai interprété. C'est super. Mais moi je dis, je le traduis, je fais ma traduction personnelle. La visibilité, il n'est pas visible, il est invisible. Il se rend anonyme. Comme mon Terlan, il est anonyme quand il est visible. Terlan a toujours refusé de se faire photographier.
- Speaker #1
On parlait des emprunts de Gainsbourg, il en est un qui a secoué le landerneau bien-pensant. Non, à cause de sa musique, due à Frédéric Chopin, mais plutôt en raison de son thème, il est vrai, un peu ambigu. Gainsbourg, père et fille, soit Serge et Charlotte, dans une chanson intitulée Lemon Incest. Une chanson qu'il explique par l'amour paternel qu'il porte à sa fille, bien sûr, mais aussi par sa passion pour Chopin. Et, lui qui fut jadis pianiste de bar, son admiration pour les grands concertistes classiques. En particulier, trois d'entre eux, Alfred Cortot, Vladimir Horovitch et Samson François.
- Speaker #0
Alors, je lui ai dit, je lui ai fait écouter le disque classique que j'ai par un des plus grands. Je me suis dit, Alfred Cortot, j'étais à son dernier concert. Juste après la guerre, on a sauté à des Champs-Élysées, mon père m'a... Donc j'ai encore lu cette étude qui s'appelait « Le truc de cette histoire » . Qu'est-ce que je raconte ? Je raconte des conneries. Je vais en dire une, dans le fond. Alfred Cortot arrive sur scène et... Blanc, il y a un musicologue... C'était le plus grand interprète, je ne peux pas lui croire. Il y avait bien sûr Horowitz, et bien sûr, Corpozzi. Vite, je peux passer de Scaratti à Straviski, Samson François. J'ai adoré Dino Lipet, il est mort très vite, Samson François. On oublie. J'avais 12 albums, l'intégral de Chopin par Alfred Cortot, et j'habitais à l'époque, en 1966-1967, à la Cité Internationale des Arts. Je m'étais... J'avais un très bon appareil. Je m'étais... Encore tout. J'étais à l'étage des musiciens. J'étais à l'étage des musiciens, des peintres, des graveurs, des sculpteurs, tout en haut. Et dans tous les couloirs, j'entendais tous ces pianistes, tous ces futurs artistes jouer des choses, et moi je ne faisais rien. Il disait que je suis grand, je vais t'appeler un délireuse. C'est des grandes. C'est exprimé dans les arts majeurs. Et il venait frapper à ma porte, il se dit, tu es petit, tu es petit. Le jour est aussi brillant. Je suis là. C'est Alfred Cortot. Et j'en reviens à ce concert, avec mon père. J'avais, quoi, après 15 ans, 15 ans, c'est long. Alfred Cortot se fait jeter, huer.
- Speaker #1
À l'époque de la chanson Lemon Incest, musique donc de Chopin, mais réarrangée électro-funk, Charlotte Gainsbourg a 13 ans. Le titre est illustré par un clip vidéo, réalisé par Serge lui-même, dans lequel on voit le père et la fille allongés dans un lit. Indignation, dénonciation de celui qui commence justement à se faire appeler Gainsbourg, le côté sombre et pervers du personnage, genre Dr Jekyll et Mr Hyde, qu'il avait d'ailleurs lui-même chanté. C'est oublié l'appétit presque maniaque de Gainsbourg pour les jeux de mots, donc celui-là qu'il ne pouvait pas rater, inceste de citron. Et si détournement il y a, ce ne peut être que d'art mineur.
- Speaker #0
Et donc je fais écouter à Charlotte. D'ailleurs elle est en E major, E. Et pour Charlotte, c'est quand même une mélodie assez difficile parce qu'elle n'arrête pas de monter... C'est pour moi. Donc je trouve la tonalité pour elle et pas pour moi. Puis je décide que tout le monde, je le fais. Je fermais et elle n'avait pas les paroles. Et je devais donc décider que je lui paierai son voyage Paris-New York, juste pour ce titre. Et je lui avais promis, j'allais le faire, j'avais trouvé le titre, Lemon incest. Et Charlotte... Elle me dit « Qu'est-ce que c'est ? » Je lui dis « Ben, c'est un amoureux entre papa et toi. » Et après, elle va aller à l'école, enfin au lycée, et elle me dit « C'est petit copain, qu'est-ce que c'est ? » Et donc, je lui dis « Vous pouvez venir de ce voyage. » Et il se trouve qu'elle était en train de tourner à Montréal, elle se trouvait à Montréal, mais pile au moment où j'étais à New York. Donc, je vais la chercher, et puis elle revient, et là, je n'avais pas eu le parole, je lui dis, voilà, tu chantes ça. Je dis aux Amerlocks, vous mettez un micro petit, puis un grand. un petit à sa taille, enfin par exemple par les mi-cours, je veux dire, un petit pied, et on chante ensemble, et je fais comme ça, et c'est comme ça, je commence à avoir la gorge serrée mais physiquement serrée, je ne savais pas ce que c'était de voir la gorge serrée, je connais la compétition. Elle était bouleversante, elle voulait tellement plaire à son papa.
- Speaker #1
Gainsbourg, l'affreux de la création, comme il se surnommait lui-même, acrobate désinvolte de la césure et faux cynique de la double croche, a touché aussi au cinéma, comme comédien et comme réalisateur. Même si ses œuvres filmées... passeront sans doute moins à la postérité que ces frasques musicales. À l'époque de notre rencontre, Gainsbourg a déjà réalisé deux longs-métrages, Je t'aime, moi non plus, et Équateur, a abandonné faute de producteur un autre projet intitulé Blackout, avec des comédiens pressentis comme Isabelle Adjani et Dick Bogard. Mais déjà, germe dans son cerveau une idée de nouveau film, cette fois avec sa fille. Il sortira finalement deux ans après et s'appellera Charlotte Forever.
- Speaker #0
Équateur, c'est un film d'auteur. J'ai mon style, j'ai un style. Une caméra à l'épaule, un cadrage chiadé. C'est entre la caméra à l'épaule et le plan nazi. Je vais dire son... Sa focale et son... Alors, j'ai une autre idée. Je pense que je pourrais facilement trouver. Parce que c'est toujours une question de blé, sinon pas. Je me suis trouvé un mec qui s'appelle Black out qui avait foiré, alors qu'Isabelle était une actrice célèbre à l'époque. Toujours, mais elle était hyper difficile et... J'ai compris immédiatement le propos dont j'avais situé. Jane, Isabelle et... je viens d'entrer. Je regarde, ça c'est le producteur qui m'a lâché. Autre parenthèse, je ne suis pas mécontent qu'il se soit planté avec une hyper super merdique production. Le projet, ce serait... Je dis ce serait... C'est un art. Peut-être majeur, encore. Parfois, c'est... C'est pas évident. C'est déjà cinétique. Ça peut être rien. Peu importe la déterioration, et c'est quand même... Puis aussi c'est tellement complexe entre l'écriture, le propos, le dialogue, le chef-op, le style de la photo, le metteur, les acteurs, le tireur, le montage, la musique, la sortie. C'est un écrivain pour ça, mais c'est un genre, c'est un résultat portatif. ça coûte rien. Mais regardez un mec comme Hiroshima, il fait un tabac monstrueux, il est superbe, il attend 4 ans, 4 ans de sa vie, pour faire quoi ? Il fait un plan américain. Mais mon idée est pas con. Je vais voir que, de même, pour Lemon Incess, j'ai testé Charlotte, et si elle était nulle le jour. Je vais l'oublier, elle n'en aura pas. Je nel'aurais pas prise pour ça. Ou je leur ai fait parler, si elle n'avait pas pu chanter, elle aurait fait du top over. Je ne sais pas, elle n'aurait pas chanté. Donc elle aurait peut-être pas été un autre chanteur. J'ai une idée, après, si je vois donc les rushs, il paraît qu'elle est super. dans le film avec Deneuve. Il y avait aussi, bien que tu parles, je vais écouter pour changer, un rapport de papa. J'imagine, avec un peu ravagé, ravagé qui vit avec sa petite fille. Ça, ça se voit. Oui. Ah oui, ça se voit. Et donc, je ferai la mise en scène. J'arrive à parler à Charlotte, qui était comme une puce. Seulement, je ne veux pas qu'elle loupe. C'est des mois d'école.
- Speaker #1
Gainsbourg tourne des films, mais Époque oblige, ne refuse pas de temps en temps de se livrer à l'exercice du clip vidéo pour les autres. En particulier pour un artiste aux mèches blondes et aux bandanas rouges, celui que l'on surnomme alors le chanteur énervant, et qui vient d'écrire une chanson intitulée Morgane de Toit. Oui, vous l'aviez reconnu, il s'agit bien de Renaud.
- Speaker #0
C'est... Je vois que c'est un personnage hyper attachant. Ensuite, je l'imagine sincère. Je ne pense pas me gourer. Je suis très instinctif et instinctuelle », nuance. La chanson est charmante. Aussi, il a une belle gueule. Non, une super gueule. Très beaux yeux extrêmement purs, ce qui est extrêmement rare dans ce métier. Mais le clip, c'est un nouveau propos qui est indispensable pour un titre qui est prêt, en fait, tu ne le vois pas, indispensable. Très efficace.
- Speaker #1
On ne pouvait finir cet entretien sans évoquer celle qui fut sa muse pendant plus d'une décennie, une petite actrice anglaise devenue chanteuse hexagonale, moitié d'un des couples les plus médiatisés de l'histoire du show business. Lui, Serge G.Elle, Jane B.
- Speaker #0
Jane, c'est la fille que je connais le mieux sur le plan vocal. Elle a d'abord un gimmick immédiatement. Elle est immédiatement reconnaissable comme Brigitte Bardot. C'est Brigitte. C'est une grande source. Moi, je peux dire... C'est que c'est moi. C'est encore plus rapide aussi.
- Speaker #1
Merci d'avoir écouté ce podcast. consacré à Serge Gainsbourg et d'avoir tendu l'oreille malgré l'ancienneté de cette archive. Au revoir et à la prochaine fois.