Description
Ce que l’on appelle le « wokisme » peut se définir, en première approche, de manière assez simple : il s’agirait de la reprise de luttes issues, et fondatrice, de la modernité – luttes sociales, luttes des femmes, luttes des écologistes, luttes des immigrés, etc. – mais dont la perspective n’est plus de changer la société, mais de changer de société. La question n’est donc plus tellement le changement social, mais la destruction des sociétés modernes elle-mêmes, dans toutes leurs dimensions, mais sans que l’on sache, jamais, ce qui viendrait les remplacer, sinon les idéologies islamistes, communautaristes et racialistes qu’ils promeuvent.
Ainsi beaucoup de mouvements contemporains qui se prétendent féministes ne visent plus du tout l’égalité entre les hommes et les femmes, la remise en cause des places imposées à chacun ou encore la liberté sexuelle – choses largement acquises en Occident – : ce qui est voulu ressemble bien plus à une ségrégation sans précédent entre les sexes à travers une confusion sans nom conduisant à l’anéantissement des repères anthropologiques qui fondent et permettent la vie sexuée et sexuelle épanouie. Nous assistons donc, en réalité, à la destruction des acquis du féminisme historique, en son nom, pour le plus grand bénéfice des obscurantismes religieux ou coutumiers. C’est ce retournement que décrit très précisément la psychanalyste Sabine Prokhoris, auteur du « Mirage #MeToo » dans « Le mirage du néo-féminisme », notre émission de novembre 2023.
On retrouve la même contradiction fondamentale dans le domaine de l’écologie. Ainsi, dans l’émission de l’écologue Quentin Bérard de janvier 2023 « Impasses de l’écologie politique », l’auteur de « Éléments d’écologie politique – pour une refondation » décrit la mise en place d’une idéologie, l’écologisme. Pour ce prêt-à-penser omniprésent, la question n’est plus de travailler nos rapports à la nature, de remettre la science et la technique au service d’un projet humaniste ou encore de prévenir les dégradations que l’humanité inflige à la biosphère : il s’agit plutôt d’accuser l’Occident dans sa totalité au nom d’un retour fantasmatique dans un jardin d’Eden, une harmonie parfaite telle que l’auraient connue, fantasmatiquement, les sociétés non-occidentales.
On pourrait multiplier les exemples puisque ce sont progressivement tous les domaines qui sont atteints par cette fièvre, saisissant les milieux universitaires en s’attaquant prioritairement à la langue elle-même. Les mots sont détournés pour signifier leur contraire exact, les anglicismes et néologismes se multiplient pour paralyser l’interlocuteur, des mots sont bannis et la pensée se fait slogan afin de détruire toute nuance, tout recul, toute critique des dogmes qui se solidifient sous nos yeux. C’est le constat que dresse le linguiste Xavier-Laurent Salvador, linguiste et auteur de « Petit manuel à l’usage des parents d’un enfant woke », dans l’émission de novembre 2022 portant sur « L’Observatoire du décolonialisme », dont il est rédacteur en chef.
Pourtant, ces mouvances woke, militantes et bruyantes n’inventent strictement rien : elles ne font que répandre et reprendre, en les radicalisant à peine, les discours qui ont émergés en France après Mai 68, c’est-à-dire ce que l’on appelle « les années 60 » dans tous les pays occidentaux. Le sociologue Jean-Pierre Le Goff appelle ce bouleversement la « Révolution culturelle », titre de notre entretien avec lui en juin dernier, les années 60 ont vu une transformation profonde de nos sociétés millénaires jusqu’aux années 90. Cet « Héritage impossible », puisque tel est le titre de son ouvrage, est imposé aux générations suivantes, condamnées à vivre un « gauchisme culturel » de plus en plus irréel et qui craque sous nos yeux. (...)
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