- Speaker #0
Histoires de territoires, attractivité, la nouvelle donne. Avec Sylvain Waserman, président de l'ADEME et Christophe Lasnier, directeur général adjoint de la SCET, nous allons tenter d'établir un état des lieux de l'attractivité des territoires français. Pour ouvrir cette investigation, j'ai choisi de partager avec vous les mots de Jules Verne, paru dans Souvenir d'enfance et de jeunesse, et qui parle bien sûr de territoire. L'été, toute notre famille se cantonnait dans une vaste campagne, non loin des bords de la Loire, au milieu des vignobles, des prairies, des marais. Donc faute de pouvoir naviguer sur mer, en pleine campagne, mon frère et moi, nous voguions à travers les bois et les prairies. N'ayant pas de mature ou grimpé, nous passions des journées à la cime des arbres. C'était à qui ferait son île plus haut. On causait, on lisait, on combina des projets de voyage, pendant que les branches, agitées par la brise, donnaient l'illusion du roulis et du tangage. Ah, les délicieux loisirs ! Jules Verne parle de la mer qu'il n'a pas, mais il aime tant sa terre qu'il est capable de la transfigurer pour la conformer à ses rêves. Quels sont, messieurs, les souvenirs, réels ou imaginaires d'ailleurs, qui rendent le territoire qui vous a vu grandir ? à vos yeux du moins, le plus attractif de tous. Sylvain Wazerman.
- Speaker #1
Alors,
- Speaker #2
pour parler d'attractivité, je vais parler de mon petit village d'Alsace où j'habite, qui s'appelle Quetzalheim. Et en fait, un jour, après en avoir parlé pendant des années et des années, les habitants ont lancé un marché de Noël. Et en fait, il a une caractéristique très différente des autres marchés de Noël, c'est qu'on ouvre les fermes. et les granges des fermes du cœur du village, il y a quatre fermes dans le cœur du village, on ferme la route, et ça devient l'espace du week-end du marché des fermes de Noël, ça devient le plus beau lieu d'Alsace, et c'est objectivement, en tout objectif, c'est bien sûr le plus beau marché de Noël d'Alsace.
- Speaker #0
En tout cas, on a envie d'y aller. Merci beaucoup, Christophe Lannier.
- Speaker #1
Alors moi, la ville dans laquelle j'habite aujourd'hui, Je n'ai jamais déménagé finalement, c'est la ville de mon enfance dans les Hauts-de-Seine à Antony. Et alors moi c'est pas d'un marché de Noël dont je vais être fier, mais c'est d'une foire au fromage et au vin qui a lieu depuis 30 ans le deuxième week-end de septembre et qui est vraiment un événement qui au fil des ans est devenu assez fédérateur à la fois de la ville, de ses habitants et puis de la culture française.
- Speaker #0
Merci beaucoup. Alors, lorsqu'on parle d'attractivité des territoires, on pense bien sûr aux individus et à leurs expériences, ce que vous venez de nous raconter notamment. Mais avec les individus, il y a aussi des entreprises et elles jouent bien sûr un rôle central dans le dynamisme d'un territoire. Quelle est actuellement la dynamique du couple entreprise-territoire ? Est-ce que ce sont les territoires qui postulent le plus couramment pour attirer les entreprises et leurs projets ? Ou alors est-ce aux entreprises de montrer leurs vertus maintenant, notamment écologiques et environnementales, pour séduire les territoires et être choisis ? Christophe Lagnier, votre avis ?
- Speaker #1
Alors on a publié une étude en 2024 sur l'attractivité des territoires et ce fameux couple entreprises et territoires. Alors je dirais premier constat, on voit que les entreprises ont toujours des projets et qu'on est revenu finalement au niveau d'avant la crise sanitaire. L'année 2023 a marqué la fin d'un cycle de rattrapage et on observe... Environ 10% de projets de plus de la part des entrepreneurs en 2023 par rapport à 2022. Donc, on a des projets. Et puis, du côté des territoires, ce fameux mot attractivité demeure toujours une volonté de la part des élus. Il y a toujours un oui en faveur de l'attractivité, mais avec quelques conditions qui se sont renforcées depuis la crise sanitaire. La première, c'est la densité en emploi des projets, qu'ils soient des projets de création ou d'extension. La deuxième condition, c'est l'acceptabilité des projets par les populations locales. Et c'est de plus en plus important. On peut avoir juridiquement raison, on peut avoir réglementairement raison, techniquement raison. Et finalement, socialement tort quand on cherche à accueillir des projets sur son territoire. Et puis le troisième point, c'est une attention vraiment particulière à la qualité environnementale, à la fois des projets et de l'entreprise. et les territoires nous disent qu'ils sont vraiment prêts à refuser une implantation ou refuser une extension si la qualité environnementale n'est pas au rendez-vous.
- Speaker #0
Sylvain Vazaman, vous partagez ce ressenti sur cet équilibre, ce couple entreprise-territoire ?
- Speaker #2
Oui, tout à fait, et je pense que la transition écologique a changé la donne en réalité. Parce qu'aujourd'hui, une entreprise s'inscrit très souvent Une entreprise qui se soucie de son impact s'inscrit dans un territoire. Elle n'est plus posée là comme ça, comme elle pourrait être à un autre endroit. C'est-à-dire qu'on est dans un dialogue entre la collectivité, le territoire et l'acteur économique. qui est de dire globalement, bien sûr, on a besoin d'emplois et de développement économique et d'attractivité du coup pour le territoire, mais bien sûr aussi, on est conscient que l'entreprise, l'acteur économique a un rôle majeur à jouer dans la transition écologique. Je trouve que c'est assez intéressant cette période, parce que du coup, la transition et les enjeux de la transition qui s'appliquent à la fois aux élus du territoire et à la fois aux dirigeants des entreprises, ça crée les conditions d'un dialogue nouveau. entre les acteurs économiques et le territoire ?
- Speaker #0
Dans les projets que les territoires souhaitent attirer prioritairement, et là je vais m'appuyer sur le baromètre des territoires que vous citiez, Christophe Lagné, l'industrie est citée à hauteur de 80%. Après des décennies de désindustrialisation, donc le chemin inverse qui semblait souhaité, encouragé, déterminé même, comment est-ce que vous expliquez ce regain d'intérêt pour l'industrie ? Oui. La France a-t-elle, selon vous, vocation à redevenir une puissance industrielle ? Et laquelle ? Sylvain Waserman, si vous voulez bien commencer.
- Speaker #2
Oui, bien sûr. La réponse est, pour moi, évidemment, oui. Si vous voulez, on doit mettre fin à une hypocrisie qui a duré pendant des décennies. L'hypocrisie, ça consistait à dire, écoutez, tout ce qui est polluant, on va le faire faire en Asie du Sud-Est, et puis nous, évidemment, tout ça, vaut mieux le faire ailleurs, et puis on importera les produits, et puis comme ça, on ne verra pas l'impact sur l'environnement, on n'aura pas à se soucier, etc. Tout ça. évidemment se fracassent à l'idée de respect de l'environnement, de respect de l'impact. Et pour beaucoup d'activités, on se dit que finalement... Pour la planète, c'est bien aussi d'avoir une industrie localisée, avec des normes certes plus exigeantes, mais des normes qui sont plus respectueuses de l'environnement. Et puis deuxième point, la souveraineté. Avec la crise de la Covid notamment, on a redécouvert l'importance de la souveraineté, c'est-à-dire de la capacité de réinternaliser des fonctions qui étaient sous-traitées. Je prends un exemple tout simple, la voiture électrique. On construit maintenant des voitures électriques sur le territoire. On va avoir des gigafactories qui vont fabriquer les batteries de ces voitures électriques. J'étais encore la semaine dernière dans le Grand Est sur une réunion sur le lithium, parce qu'il y a des gisements de lithium importants. Réfléchir à de l'extraction de minerais ou de lithium en France, ça aurait paru à une époque complètement absurde, parce que les mines, c'est sûrement pas pour en faire en France. Alors là, c'est dans des zoos géothermales qu'on extrait ça, mais tout ça pour dire qu'on recrée des chaînes de souveraineté où on réintègre la valeur ajoutée de chaîne, qui correspondent à des notions de souveraineté. Alors tout ça nécessite un cadre. Et en l'occurrence, c'est le cadre européen qui est déterminant, avec notamment la capacité de mettre des taxes carbone aux frontières pour rééquilibrer le match et considérer que nos entreprises, elles ont des investissements à faire, notamment pour leur décarbonation, et que celles à l'extérieur qui ne font pas ces investissements, elles ont un coût. c'est-à-dire une taxe aux frontières, si elles veulent commercer en Europe. L'ADEME, il y a plusieurs années déjà, bien avant que je sois le président, s'était interrogé sur, tiens, un jour, le match va se faire entre les entreprises qui ont un plan de décarbonation crédible, solide, opposable, tangible, et ceux qui font du greenwashing. Et ce jour-là, il faudrait être prêt. Ce jour-là est arrivé et il se trouve qu'on a une méthodologie qui s'appelle Assessing Carbon Transition, qui s'appelle ACT. Et cette méthodologie, c'est quoi ? C'est passer au crible tout le plan de décarbonation de l'entreprise pour lui donner une note et rendre tous ces investissements, ces efforts de l'entreprise positivement opposables comme un avantage concurrentiel quand vous répondez à un grand groupe privé, quand vous répondez à un marché public, quand vous cherchez des financements. Autrement dit, on veut, on a la vocation, on a l'envie. On vit d'être le premier pays européen à être capable de proposer aux acteurs économiques qui le souhaitent, pas par le voie de la réglementation, mais par la voie de l'incitation, de leur proposer de transformer tous les efforts qu'ils font en transition écologique, de transformer tout ça en un avantage concurrentiel. Et je conclue avec un exemple. Je rencontrais un chef d'entreprise qu'on accompagne depuis 12 ans, qui fabrique des machines de guidage dans les tris de centres de déchets. machine de tri optique laser. Il fabrique ses machines en France. C'est très électro-intensif. Il est devenu numéro 2 mondial. Ça fait 12 ans qu'on l'accompagne, il est numéro 2 mondial. Aujourd'hui, le numéro 1, il est allemand. Et je lui dis, mais en fait, est-ce que tu utilises, tu vends des machines qui vont dans des centres de tri, qui font l'objet de délégations de services publics avec des collectivités qui sont sensibles au climat. Est-ce que tu utilises le fait que toi, tes machines, elles sont produites avec de l'énergie décarbonée et que ton concurrent numéro 1 mondial, qui est allemand, Il les fabrique au charbon ces machines. Est-ce que tu utilises ça ? Et il me dit écoute ça fait 12 ans qu'on travaille avec vous sur l'économie circulaire et j'ai jamais vu des choses comme ça. Et donc il en a pris conscience, il a piloté une démarche acte justement dont je parlais tout à l'heure pour essayer de matérialiser tout ça et d'avoir un avantage concurrentiel que maintenant il met en avant. Donc vous voyez tout ça pour dire que la transition écologique c'est un choix visionnaire des chefs d'entreprise, c'est aussi aujourd'hui une arme concurrentielle et je le dirais... à contre-coup, une entreprise qui s'en désintéresse trop, un jour, le réveil sera très difficile parce qu'un plan de décarbonation... Ça ne se construit pas en claquant des doigts, et ce n'est pas juste une réunion de crise qui résout le problème. C'est du pluriannuel, c'est de l'engagement des investisseurs, c'est des choix financiers, c'est une gouvernance, c'est toute une méthodologie. Et donc les entreprises françaises qui réussiront demain à mon avis, y compris en particulier les entreprises industrielles, sont celles qui prennent le virage de cette transition écologique pour le transformer en un avantage concurrentiel.
- Speaker #0
Christophe Lagné, c'est comme ça aussi que vous imaginez ce prochain paysage industriel, notamment ce cadre dont parle Sylvain Wazerman ?
- Speaker #1
Sylvain Wazerman parlait de rééquilibrer le match. Cette année olympique, on peut un peu filer la métaphore. Je dirais qu'en matière d'industrie, on joue à 9 contre 11 depuis un certain nombre d'années. Effectivement, c'est difficile de remporter la partie. Le sentiment qu'on a, c'est qu'on a peut-être gagné un joueur. Maintenant, on est à 10 contre 11. Et évidemment, la crise sanitaire et la crise géopolitique sont passées par là. On s'est aperçu finalement qu'on ne maîtrisait pas... Dans un grand nombre de domaines, la santé d'abord, puis après tout le reste, la chaîne de nos approvisionnements. Et pourtant, il y avait eu des tentatives dans les années 2010. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, avait essayé de faire des choses. Mais quelque part, au moment où il a essayé, je pense qu'à la fois la société civile, politique, les citoyens n'étaient pas encore tout à fait prêts. à se dire qu'on pouvait regagner des parts de marché, on pouvait se retrousser les manches et y arriver. Et donc je pense qu'on est dans un nouveau paradigme aujourd'hui et on voit qu'il y a un désir d'usine sur les territoires. Et évidemment, le match se joue à l'échelle européenne et il se joue aussi sur nos territoires. Être en capacité d'accueillir des extensions de sites, des créations, emporter l'adhésion locale, réussir à recruter, parce que ce n'est pas tout. Ensuite, d'ouvrir des usines, il faut des personnes pour les faire fonctionner. Donc il y a un momentum qui est là, mais par contre le chantier demeure quand même colossal. On le voit avec les exemples du Ralex, avec d'autres entreprises comme le Slip français qui produit du textile en France. À quel point c'est quand même compliqué, même pour les usines qui sont là, de réussir à tourner parce que le consommateur... est schizophrène. Il veut à la fois qu'une usine s'implante sur son territoire, si possible que ses enfants, ses petits-enfants ou ses connaissances, ses amis y travaillent, et en même temps, quand c'est le moment de passer à l'acte d'achat, le différentiel prix qu'on évoquait avec une taxe carbone aux frontières est un frein majeur. à l'achat de produits made in France ou made in Europe.
- Speaker #0
On reste sur le terrain industriel, et si vous voulez bien, vous parliez tout à l'heure à Christophe Lannier du désir d'usine. Qu'en est-il auprès des populations, et quel accueil est réservé à ces nouveaux projets industriels ? Et d'ailleurs, peut-être, quel visage auront ces usines ? Est-ce qu'il sera différent de celui qu'elles avaient avant ?
- Speaker #1
Il y a effectivement, et c'est ce qu'on observe sur les territoires, alors le mot désir est peut-être un peu fort, mais en tout cas une attente en matière d'accueil d'activités industrielles et de réindustrialisation. Il y a deux chiffres qui peuvent l'illustrer. Le premier, il y a une étude BPI France qui est sortie il y a quelques semaines et on voit qu'il y a 8 Français sur 10. Aujourd'hui, favorable à la réindustrialisation, donc on est sur un mouvement massif et une prise de conscience collective. Et puis, dans notre baromètre, on voit qu'on a 9 territoires sur 10 qui sont très optimistes pour leur développement. Et pourquoi est-ce qu'ils sont optimistes ? Parce qu'ils considèrent qu'ils ont la capacité d'accueillir des projets industriels aujourd'hui et demain sur leur territoire. Après, il y a encore dans l'imaginaire collectif l'idée qu'une usine est... à minima bruyante, un peu polluante, qu'elles génèrent des nuisances, notamment en matière de transport et de mobilité et de flux physique. Je dirais que les usines d'aujourd'hui, déjà, il suffit d'en visiter un certain nombre en France, et puis de demain, plus tard, n'ont plus rien à voir par rapport à l'imaginaire qu'on en a. Elles sont généralement très modernes, très robotisées. Il y a un vrai souci d'avoir une performance environnementale maximale. notamment en matière de gestion de l'eau, de traitement des déchets, d'émission de déchets. Donc on est sur un imaginaire qu'il convient d'accompagner parce qu'il convient de le transformer sur les territoires. Nous, on est côté CET, l'un des opérateurs du programme Territoires d'Industrie. Et au cours des deux dernières années, on a accompagné une dizaine de territoires en France. Et sur chaque territoire, on détecte en général 50, 60, 70 projets industriels. de diversification, de développement, d'innovation. Alors hier, certes, nos grandes filières traditionnelles, agroalimentaires, automobiles, aéronautiques, le luxe également qui en fait partie, qui sont des grandes filières à structurer à côté de l'ensemble de la filière énergétique, évidemment. Mais quand on part des territoires, on se rend compte à quel point la dynamique des chefs d'entreprise est assez incroyable. Et donc, je pense qu'à l'échelle des territoires, faire le lien avec les écoles, avec l'éducation, avec le monde associatif, est absolument indispensable pour que la société dans son ensemble prenne conscience que l'usine de demain, et même d'ailleurs celle d'aujourd'hui, n'a plus rien à voir avec celle des années 70 ou celle des années 80.
- Speaker #0
Si on va enfin nous partager cette vision sur l'acceptabilité des usines.
- Speaker #2
Je crois que le chiffre de 8 Français sur 10 qui sont attachés à la réindustrialisation, ça montre effectivement que c'est une tendance de fond. Ce qu'il faut combattre, c'est le NIMBY, vous savez, c'est quelque chose qu'on connaît bien dans la transition écologique et dans les énergies renouvelables. Bien sûr, on est pour les énergies renouvelables, mais alors, surtout pas chez moi. Donc, not in my backyard. Donc, voilà. Je suis d'accord pour les méthanisations, très bien, mais surtout pas dans mon village, parce que ça pourrait faire baisser le prix de ma maison. Je suis d'accord pour les éoliennes, mais ça va me gâcher le paysage, donc surtout pas chez moi. Mais par contre, pour les voisins, je suis d'accord. Donc ça, il faut qu'on arrive à réfléchir avec les élus pour que, que ce soit sur les énergies renouvelables, que ce soit sur les implantations de réindustrialisation, qu'on arrive à se dire, finalement, quelle est la part que va jouer le territoire et qu'est-ce qu'il est prêt à faire ? C'est ce que les élus font assez naturellement dans leurs plans locaux d'urbanisme et dans les PLU intercommunaux, qui sont souvent à l'échelle des intercommunalités. Mais il y a un parallèle très fort entre cette souveraineté, réindustrialisation et l'implantation des ENR. C'est vraiment, chaque territoire doit s'interroger sur quel rôle je suis prêt à prendre, à jouer, comment je prends ma part. Et d'ailleurs, j'attire votre attention sur le fait que la nouvelle loi sur l'accélération des énergies renouvelables se situe au niveau de chaque commune, pour que réellement chaque maire s'interroge au plus près avec ses citoyens sur, au fait, bien sûr, le climat, je suis pour les ONS, mais nous, concrètement, à l'échelle de notre village de Quatzenheim dont je parlais tout à l'heure, qu'est-ce qu'on est prêt à faire ? Pour avoir été dans le monde de l'énergie précédemment, j'ai vu des marches contre des méthaniseurs qui attiraient plein de craintes, de gâchis du paysage, etc. J'ai vu des projets d'éoliennes qui ont échoué ou qui ont été retardés pendant des dizaines d'années à cause de réticences fortes sur le territoire. Je pense qu'il ne faut pas attendre qu'il y ait un projet et après avoir un front contre ce projet-là. Il faut réfléchir en amont pour que le territoire se dise voilà moi la part que je suis prêt à prendre
- Speaker #0
Puisqu'on parle des élus à cette échelle territoriale, ils sont tous confrontés au zéro artificialisation nette des sols. L'objectif ZAN qui est fixé pour 2050 mais avec une étape intermédiaire à la fin de cette décennie qui est déjà... Un milestone important. Vous le disiez, les usines sont différentes, elles ont déjà pris en charge leur impact sur l'environnement. Néanmoins, ça prend de la place une usine, c'est quand même du foncier. Est-ce que l'objectif ZAN et la réindustrialisation avec l'ampleur que vous décrivez sont compatibles ?
- Speaker #1
Alors moi je pense qu'ils sont éminemment compatibles. Et sur le ZAN, ce qu'il faut se rappeler en préambule, c'est qu'il est absolument indispensable de réduire d'abord et ensuite de stopper l'artificialisation des sols pour des raisons environnementales, des raisons de biodiversité, des raisons de préservation d'un certain nombre de ressources. Donc il faut redonner ces lettres de noblesse à la planification sur les territoires, et donc voir loin. planifié sur le long terme. Le mot planification a été un gros mot dans les années globalement 80 et 90. C'était être soviétique ou post-soviétique que de se dire qu'il fallait planifier et finalement il fallait considérer que le marché allait faire son travail à toutes les échelles internationales, nationales, régionales, locales et que tout ça allait bien se passer. Mais je pense que pour les élus locaux l'enjeu est de Très important sur le ZAN, c'est de replanifier la vision à long terme du territoire. Et donc évidemment, ça ne se fait pas d'un coup de baguette magique, parce que qui dit planification dit raisonnement à minima sur au moins 20 ou 30 ans, pour se redemander quels sont les espaces qu'on souhaite dédier aux activités économiques, notamment industrielles, et anticiper des futures oppositions. Parce que la concertation publique, quand le projet... tombe dans un horizon de très court terme qu'il a été discuté avec personne, les exercices de concertation publique, et on le voit sur un certain nombre d'exemples français, en ce moment, vont souvent droit dans le mur, parce que c'est trop tard, c'est bien en amont qu'il faut associer les populations, et puis le deuxième élément pour les élus locaux, pour faire cohabiter Industrie et Aysane, c'est de travailler la densification de l'existant, la densification des espaces économiques, la reprise des friches industrielles. Et évidemment, ce n'est pas facile. Évidemment, on ne change pas 70 ans d'aménagement du territoire depuis l'après-guerre très rapidement. C'est un changement culturel d'abord, et puis ensuite un changement à la fois politique, stratégique et réglementaire. Donc pour faire cohabiter Industrie-Esan, planification d'abord, mais ça ne porte pas ses fruits tout de suite. Et puis densification ensuite. pour essayer de retrouver des espaces qui aujourd'hui sont sous-exploités.
- Speaker #2
Tout à fait d'accord avec ce que tu viens d'exploser Christophe. Pour moi, il y a deux sujets qu'il faut bien garder à l'esprit. Le ZAN, c'est d'abord la préservation du foncier agricole. Et quand je rencontre un maire rural, la première question que je lui pose, c'est l'attachement au monde agricole et à la préservation des surfaces agricoles. Deuxième chose, il y a 100 000, c'est un point qu'évoquait Christophe, il y a 100 000 hectares de friches en France. Et c'est quoi une friche ? C'est se comporter avec la terre comme on s'est comporté avec un déchet qu'on prendrait. C'est-à-dire, je prends, je consomme, je jette et je laisse là par terre. C'est ça une friche. Si on a pris du foncier agricole, on en a fait une activité économique, puis ça ne marche plus, ou on ferme, etc. Et puis on le laisse là. C'est insoutenable. On voit bien que ces modèles-là sont des modèles qui ne sont plus compatibles avec une notion de respect de l'environnement, mais aussi une notion saine de... de gestion de notre foncier. Donc c'est 100 000 hectares, pour vous donner une idée. Aujourd'hui, en France, on consomme à près 20 000. Donc c'est après 5 ans de consommation. Il faut consommer moins, évidemment. Mais c'est un gisement énorme. Et à l'ADEME, on a une mission importante sur les reconversions des friches. Mais c'est là où les élus ont un rôle déterminant. C'est d'expliquer, c'est de visualiser, d'être planificateur ou visionnaire sur comment leur territoire va... arrêter cette logique de je prends de la terre, je la consomme, je la jette, mais va vraiment revaloriser son territoire, en disant finalement une usine désaffectée qui traîne là depuis 20 ans, ça n'a aucun sens. Donc bien sûr c'est cher, bien sûr c'est compliqué, bien sûr il faut dépolluer, bien sûr je ne peux pas faire n'importe quoi, bien sûr c'est plus compliqué de ne rien faire, mais c'est plus acceptable, même vu du citoyen, c'est plus acceptable de se dire qu'on va reconsommer des terres nouvelles, alors qu'il y a ces terres qui sont laissées à l'abandon. juste à côté.
- Speaker #1
Et peut-être sur les schémas du passé, moi ça fait une vingtaine d'années que j'accompagne les territoires, au début des années 2000, les réflexions étaient... Alors a posteriori, on se dit pourquoi est-ce qu'on raisonnait comme ça ? Mais c'était dans le contexte de l'époque. Une entreprise cherchait un hectare, on lui en vendait deux. parce qu'on se disait, en fait, elle aura une capacité d'extension au cas où, alors qu'aujourd'hui, une entreprise qui va chercher un hectare, on va lui dire, il faut que tu réalises ton projet en 0,5 hectare, parce qu'il faut que tu sois plus dense. Et donc, on vient d'une époque où on se disait... De la même façon qu'on se l'est dit sur la question de l'eau, on s'aperçoit aujourd'hui qu'on a un problème de stress hydrique et que la ressource en eau n'est pas illimitée. Et on s'est longtemps dit que le foncier était illimité. Donc on se disait, tu cherches un hectare, je te donne deux. Et quand on le fait à l'échelle de toutes les entreprises, de toutes les communes et de tous les territoires, on surconsomme le foncier. Et puis l'autre stratégie de développement d'un territoire, c'était de se dire... Une fois que j'ai fini d'aménager 100 hectares, j'achèterai le champ d'à côté. Et on voit bien que le modèle, intellectuellement déjà, et puis de manière pratique, on voit bien que le modèle est arrivé à bout de souffle. Et qu'effectivement, il ne faut pas raisonner comme on raisonnait il y a 15 ou 20 ans pour comprendre et mettre en œuvre la mécanique du ZAN. Sinon, effectivement, c'est faire rentrer un rond dans un carré ou un carré dans un rond, ça ne va pas fonctionner.
- Speaker #0
Je vais faire appel à vos conseils si vous voulez bien. Si vous ne deviez en prodiguer qu'un seul, peut-être le plus primordial, quels conseils donneriez-vous aux élus qui vous écoutent sans doute pour développer efficacement l'attractivité de leur territoire ? En tenant compte des multiples enjeux, et notamment celui de la sobriété foncière qu'on vient d'évoquer, mais aussi celui des ressources que vous avez évoquées, Christophe Lagné. Sylvain Wazerman, vous avez un conseil ?
- Speaker #2
Oui, j'ai un conseil. Je rencontre beaucoup d'élus. On a lancé un réseau d'élus, le réseau élus pour agir. On a déjà 2500 élus qui nous ont rejoints. avec un deal assez simple en fait. Ils nous consacrent une journée par an et deux heures tous les trois mois. Et nous, avec nos meilleurs experts, on fait le lien entre les grands enjeux du climat notamment et la réalité de la vie de leur territoire. Et dans cette logique-là, le conseil que je donnerais, au-delà de rejoindre notre réseau des élus... c'est de passer un peu de temps à se poser pour voir à 360 degrés tous les aspects de la transition écologique, dont la consommation de fonciers, dont le développement économique, dont les mobilités, dont la décarbonation, et de construire eux-mêmes leurs réponses à partir de méthodologies solides. Laissons les chercheurs apporter ce qu'ils peuvent apporter et laissons les élus s'emparer de ces outils-là, de ces méthodologies un peu rigoureuses, pour construire leur vision du territoire. C'est une autre façon de voir la planification, c'est-à-dire une façon un peu rationnelle, posée, scientifique, de s'interroger sur tous les aspects et de faire ses choix et donc d'exercer son rôle d'élu et après d'en rendre compte aux citoyens. Parce que la difficulté d'un élu, j'ai été maire de village pendant dix ans, président de Comcom, la difficulté c'est que vous faites des choses et puis quelqu'un arrive avec un nouveau truc et vous demande mais pourquoi vous ne l'avez pas fait ? Mais il faut pouvoir se dire qu'on se pose à 360 degrés sur tous les aspects et qu'on fait ses choix. Et on est plus fort dans notre stratégie si on assume effectivement qu'on a regardé tout, qu'on a fait ses choix en fonction des priorités du territoire, qu'on lance des plans d'action. Évidemment à la vitesse et avec les capacités qu'on a, mais en tout cas qu'on est sur une approche rationnelle, réfléchie, planifiée, en tout cas qui permet de construire concrètement la vision de notre territoire.
- Speaker #0
Christophe Lannier.
- Speaker #1
Des conseils, j'en ai plein, c'est mon métier, j'y vais un certain nombre d'années. Alors le premier conseil, c'est évidemment d'appeler les équipes de la 7, mais ça peut-être, sont-ils déjà les uns et les autres en contact avec nos équipes ? Je dirais que pour rebondir sur ce que disait Sylvain Wasserman, moi le conseil que je donnerais, c'est de jouer collectif. C'est-à-dire que l'attractivité d'un territoire, ça ne se décrète pas. Ça ne se traite pas seulement entre élus, il faut associer les acteurs privés, les acteurs associatifs, l'ensemble des acteurs publics et des services de l'État. Et donc c'est à travers une alliance publique-privée qu'on arrive à... à travailler sur une vision long terme et puis à mobiliser de l'énergie, parce qu'un territoire ce sont des femmes et des hommes qui ont ou pas beaucoup d'énergie et donc il faut être en capacité de mobiliser les bonnes initiatives, les volontés locales, l'ensemble des énergies, qu'elles soient publiques, privées. Et c'est souvent ça qui fait la différence entre les territoires qui ont une stratégie et ceux qui arrivent vraiment à la mettre en œuvre, c'est l'énergie collective qu'on arrive à mettre en mouvement. sur son territoire.
- Speaker #0
Avant de nous quitter, j'aimerais inaugurer avec vous ce qui va devenir une tradition dans ce studio, mais je rappelle que vous êtes nos parrains, c'est le premier épisode de cette série. Vous le savez forcément, le groupe SET est un organe de conseil, vous l'avez rappelé, Christophe Lagné, qui accompagne les idées jusqu'à leur mise en œuvre dans les territoires. J'aimerais savoir en ce qui vous concerne... Est-ce qu'il y a un conseil qui ressort parmi les autres ? Le meilleur conseil ou le plus précieux conseil qu'on vous ait jamais donné et qui vous accompagne encore jusqu'aujourd'hui ? Sylvain Rezerman, il y en a un qui vous vient ?
- Speaker #2
Oui, tout à fait. En fait, j'ai eu deux personnes qui m'ont donné le même conseil dans deux univers complètement différents. Le premier, c'était mon premier manager. Et il m'a dit, dans ta carrière, commence par le terrain. On commence par une fonction, on était face au client, et moi je fais une grande partie de mon parcours dans l'entreprise, il m'a dit commence par le terrain. Et c'est ça qui m'a permis d'être après directeur général d'une ETI pendant 8 ans, et j'avais toujours cette parole, et je me suis souvent nourri de cette expérience. Et ce même conseil... Je l'ai eu dans la vie politique, où on m'a dit, commence par le local, commence par le terrain. Et j'ai été maire, et tout ce cheminement, où j'ai été après vice-président de l'Assemblée Nationale, donc là aussi, je me suis nourri du terrain. Et je crois en ça, je crois en ça. Je crois que, bien sûr, la connaissance, tout ça, mais l'expérience du terrain, c'est quelque chose qui vous suit, qui vous construit, et c'est une étape importante quand on aborde des enjeux comme cela.
- Speaker #0
Le terrain. C'est noté. Christophe Lagné, un conseil qui ressort.
- Speaker #1
Alors il est assez proche mais moi je dirais que le conseil qu'on m'a donné, qu'il m'a marqué, c'est de rester simple et de ne pas oublier d'où on vient et notamment quand on essaie de suivre ce conseil, on s'aperçoit que avoir un bon sens près de chez soi connaître le terrain vaut mieux que mille slides ou mille études parfois bien trop approfondies.
- Speaker #0
Rester accroché aux racines effectivement et au terrain ça se rejoint. Merci beaucoup à tous les deux d'avoir partagé et à bientôt. vos expériences et vos regards sur les enjeux d'attractivité des territoires. Merci beaucoup aux auditeurs pour leur écoute. Histoire de Territoire est un podcast du groupe SET. N'hésitez pas à vous y abonner sur vos plateformes de prédilection. Nous revenons le mois prochain avec un second épisode consacré à un sujet effleuré aujourd'hui, l'objectif ZAN, zéro articulation nette. Au revoir à tous.