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Hop Hop HOPE

1. Mathilde Larrère : Histoire des luttes pour les droits en France

1. Mathilde Larrère : Histoire des luttes pour les droits en France

22min |10/09/2024
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Hop Hop HOPE

1. Mathilde Larrère : Histoire des luttes pour les droits en France

1. Mathilde Larrère : Histoire des luttes pour les droits en France

22min |10/09/2024
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Description

Invitée : Mathilde Larrère


Pour inaugurer "Hop Hop Hope", je suis ravie d’accueillir Mathilde Larrère, historienne engagée et autrice de "On s'est battus pour les gagner : Histoire de la conquête des droits en France". Ensemble, nous retraçons les luttes qui ont façonné nos droits, en rappelant que chaque avancée sociale est le fruit de mobilisations collectives.


Mathilde nous montre qu’en dépit des obstacles, ces batailles peuvent être gagnées. Cet épisode est une ode à l'espoir et à l’action, une invitation à puiser dans l’histoire des luttes pour nourrir nos combats présents et futurs.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Sizorn et vous écoutez le podcast Hop Hop Hope. Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer et partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Mathilde Larère.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors tu es historienne des révolutions du XIXe siècle et de la citoyenneté, enseignante chercheuse à l'université Gustave Eiffel. Tu es bien sûr connue pour ton engagement en tant que femme de gauche, féministe, mais aussi connue pour ta volonté de partager tes connaissances, tes recherches, par des publications, des livres bien sûr, mais aussi via les réseaux sociaux. Tu as dit cette phrase... Le capital culturel, comme le capital économique, ne connaît pas les ruissellements. Il faut passer et transmettre pour couper l'herbe sous le pied au discours nauséabond. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta vision de ton métier d'universitaire et d'historienne ?

  • Speaker #1

    Alors oui, effectivement, c'est quelque chose que je redis souvent, cette phrase, parce qu'elle est vraiment au cœur de ma pratique. Donc, je suis enseignante chercheuse à l'université, je suis donc payée par l'État. Et en fait, tous ces savoirs... auxquelles j'ai accès parce que voilà je lis aussi ce que font mes collègues, je recherche. Si ça doit rester uniquement dans les laboratoires et dans les amphis, ça ne diffuse pas assez dans l'opinion publique, sur la sphère publique. Or c'est hyper important que les savoirs se diffusent. Je vais donner quelques exemples, tu vois quand il y a des gens qui parlent de France et de Souches, l'histoire est là pour faire justement l'histoire des métissages, des populations. des vagues d'immigration, de migration, de départ, d'arrivée. Donc, la diffusion du savoir scientifique est extrêmement importante, surtout à un moment où on instrumentalise énormément le passé au service de haine du présent. On voit chez Zemmour ou au Puy-du-Fou, par exemple. Donc, je pense que cette transmission est extrêmement importante et qu'elle relève donc de ma mission d'enseignante, chercheuse, fonctionnaire. Et donc, je m'y emploie en essayant d'utiliser tous les supports possibles. effectivement les réseaux sociaux, les émissions quand je peux, les livres, voilà. Pour moi, c'est vraiment essentiel en fait, et c'est une question d'engagement civique et citoyen.

  • Speaker #0

    Et donc, historienne de gauche ?

  • Speaker #1

    Ah oui, et ça, ça ne me pose pas de problème en fait. Je l'ai déjà dit plusieurs fois, et je ne suis évidemment pas la seule à le dire, tout chercheur en sciences sociales, en histoire, mais c'est vrai en géo, en socio, c'est vrai en économie aussi, on est situé, d'abord parce qu'on est citoyen, donc on est situé, puis en plus, de toute façon, la science, elle n'est pas neutre. les sciences humaines ne sont pas neutres, c'est un leurre en général ceux qui disent qu'ils sont neutres c'est qu'ils sont boites et franchement c'est pas juste la phrase de Alain, ça se vérifie concrètement, donc oui je suis une historienne de gauche et c'est pour ça que je travaille sur les rapports de domination, c'est pour ça que je fais l'histoire des luttes, c'est pour ça que je fais l'histoire des dominés et c'est un choix politique et militant, après je l'ai fait avec une méthode d'historienne et avec une discipline et une éthique historienne

  • Speaker #0

    Et donc tu viens de publier... Un nouvel ouvrage qui s'intitule On s'est battu pour les gagner, histoire de la conquête des droits en France Tu nous plonges de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789 à la constitutionnalisation de l'IVG en 2024, donc très récent. Tu retraces l'histoire de ces luttes passées et présentes et tu soulignes le caractère collectif et continu de ces combats. Pourquoi ce livre ? Tu en as fait plein. Pourquoi celui-là maintenant ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que vraiment ce qui m'a donné envie de le faire, c'est le mouvement du... printemps, même jusqu'à l'été dernier, contre la loi retraite, auquel j'ai évidemment ardemment et pleinement participé. J'avais vraiment la sensation qu'il y avait une nécessité de rappeler cette lutte longue. Alors, le cas de la retraite, c'est qu'on est dans les droits des travailleurs et des travailleuses, mais de façon générale, ce on s'est battu pour la gagner qui est un slogan de la manif, la retraite à 60 ans, on s'est battu pour la gagner, on se battra pour la garder. Je me suis rendue compte que je l'avais dit pour plein de choses. Le nombre de fois où j'ai crié ça dans la rue avec d'autres manifestants et manifestantes. J'ai eu besoin, un peu, parce que j'ai beaucoup fait de travaux sur les luttes féministes, et là j'avais envie de revenir plus largement aux droits humains concernant les hommes et les femmes, et remettre un peu plus de social que j'avais pu le faire, même si je fais attention à le faire aussi quand je fais de l'histoire des femmes et du féminisme. Voilà, il y avait cette espèce... d'urgence dans un contexte d'atteinte à ces droits-là. Et parce que le gouvernement actuel porte atteinte aux droits sociaux et aux droits des travailleurs et travailleuses, et qu'il y a des protestations, pour empêcher ces protestations, il y a une atteinte aux droits politiques même, aux droits fondamentaux. Donc tout est en lien. J'ai eu ce besoin de le faire. Même si c'est quelque chose que je faisais régulièrement, l'histoire des luttes, j'ai fait beaucoup d'émissions sur art et sur images en les racontant. Ce n'est pas nouveau, mais là, il y avait une espèce d'urgence. Peut-être parce que, est-ce qu'on a perdu ? Oui, on a perdu au sens où la loi est passée. On n'a pas complètement perdu parce que justement, ce qui s'est créé comme collectif, comme besoin de changement, la force qu'il y a eu dans ce mouvement, elle n'est pas partie.

  • Speaker #0

    Et est-ce que l'urgence, c'était aussi de rappeler que des fois, on gagne ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est vrai. Ça faisait partie du chose, je disais, c'est peut-être aussi lié au fait qu'on a perdu. Mais dans l'histoire des luttes, on perd des fois, mais on gagne au coup d'après. En fait, il ne faut pas, on a perdu une bataille, mais on n'a pas perdu la guerre. C'est vrai aussi en histoire des luttes. Donc, il ne faut pas se décourager. Pour l'avoir, la retraite, il a fallu du temps, des années, des années, des années, des années de lutte avant qu'elle se mette en place sous l'égide de Croizat. Mais grâce aux militants et militantes de la CGT, maintenant, il faut recommencer.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu pourrais me citer une lutte qui a gagné rapidement ?

  • Speaker #1

    Waouh, non. Alors si, tu as des luttes, mais pas des luttes pour les droits. Évidemment, tu as des luttes sectorielles qui gagnent rapidement. Je veux dire, il y a des grèves, même une semaine de grève, et bing, là, je peux t'en citer plein. Mais des luttes d'ampleur pour arracher des droits nouveaux qu'il faut d'abord concevoir, imposer, dont il faut imposer la légitimité, là, c'est beaucoup plus long. Après, tout dépend. Il y a des moments d'accélération. C'est sûr que les droits de l'homme, tels qu'ils sont formulés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Bastille tombe le 14 juillet, la Déclaration est rédigée le 26 août. On pourrait se dire que c'est rapide, sauf qu'en fait, derrière, il y avait un travail long de conceptualisation de ces droits. Et voilà, souvent, tu as une accélération finale. On pourrait dire que le droit à l'avortement... On est entre 1971 et 1974, c'est rapide. Sauf qu'en fait, justement, c'est ça que j'essaie de montrer dans le bouquin. Cette question du droit à l'avortement, elle plonge ses racines dans des revendications de la fin du XIXe siècle. Donc, ça faisait longtemps.

  • Speaker #0

    Et donc, l'importance du temps long et aussi l'importance du collectif dans les victoires ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est deux choses extrêmement importantes. Même si le temps long, l'historien ne dirait pas que c'est le temps long. Parce que tu sais, le temps long pour l'historien, c'est vraiment plusieurs siècles. Là, moi, je travaille sur aller le max 150 ans avant d'obtenir quelque chose, genre le droit de voter femme. Sinon, quelques décennies, c'est du temps moyen, on va dire, pour un historien ou une historienne. Mais à l'échelle d'une vie, c'est long. Tu as des gens qui vont mener des luttes et qui vont mourir avant qu'elles l'emportent. Et je pense en permanence, quand je croise des personnages qui ont mené des luttes importantes et qui sont morts avant qu'elles soient formalisées en termes de loi, je me dis mais quelle tristesse. C'est quoi ? Quand tu penses qu'à trois ans près, il l'aurait vu ou elle l'aurait vu. Donc oui, plus que le temps long, gérer la tenacité, en fait. La tenacité et la transmission d'expérience et remettre en permanence l'ouvrage sur le métier. Le collectif, là, il est essentiel et il peut prendre des formes variables. C'est sûr qu'à partir du XXe siècle, comme il y a des collectifs qui s'institutionnalisent parce qu'ils sont autorisés, il faut bien voir qu'au XIXe siècle, tu n'as pas le droit ni d'association politique, ni d'association en général, ni d'association professionnelle. Mais... C'est vrai qu'une fois connaissent les syndicats, les associations et les partis, ça aide la lutte. Alors, des fois, ils ne sont pas forcément des alliés, mais en général, ça aide la lutte. Reste qu'avant, on a des formes de collectifs qui n'ont pas ces formes contemporaines et qui sont les nôtres, mais qui fonctionnent aussi.

  • Speaker #0

    Et sur le lien entre collectif et tête de file, chef, chef-e, il y a toujours des leaders ?

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas toujours des leaders. Par exemple, là. dans la commune, il n'y a pas vraiment de leader. Il y a plein de moments où il n'y en a pas et souvent, c'est des choix. Ce qui est marrant, c'est que c'est assez sinusoidal dans l'histoire. Il y a des moments où il y a des besoins de leader qui peuvent correspondre à des traditions politiques. Par exemple, en politique, on a eu du mal à se dégager de la référence monarchique. Une fois le roi à la fois tombé et décapité, il fallait bien trouver d'autres leaders à la place et ensuite... Il y a justement un besoin de se détacher des leaders, puis ça revient. Paradoxalement, le lénisme a beaucoup joué dans la valorisation de la figure du leader, parce que même s'il y a l'idée du parti qui pourrait l'emporter, mais l'avant-garde, au bout du compte, elle se retourne à zé vite avec un leader et deux, trois personnes autour. Et on retrouve ça plus dans les traditions libertaires, qui se passent plus de leaders. Et dans les mouvements les plus récents, les mouvements Occupy, on a vu ça aussi même dans les Gilets jaunes, il y a au contraire un besoin de ne pas avoir de leader. Lorsque Nuit Debout, même si concrètement ça n'a pas eu de débouché, mais Nuit Debout travaillait énormément à ce qu'il n'y ait surtout pas une figure de leader, homme ou femme, qui se dégage. Donc là, on est plutôt dans un moment où il y a une demande d'absence de leader. C'était terriblement organisé. Moi j'étais très engagée dans Nuit Debout. Il y avait des commissions, des commissions qui se réunissaient tous les jours, qui discutaient des rapports des commissions le soir. C'était en fait, pour avoir été dans un parti avant Nuit Debout et ensuite à Nuit Debout, il y avait de l'organisation dans les deux, je dirais presque même plus dans Nuit Debout. Et finalement l'horizontalité, quand elle est réelle, elle implique beaucoup plus de... d'organisation que la verticalité, parce que la verticalité, ça décide en haut, ça applique en bas. Quand c'est horizontal, il faut tout à fait s'organiser pour que tout le monde soit en accord ou en connaissance des décisions qui sont prises. Donc c'était très organisé. Nuit Debout était comme le mouvement syndical qui l'accompagnait contre la loi travail laquelle est passée. Enfin, ça fait un petit bout de temps que ça ne suffit plus de faire des manifs monstres, d'être soutenu par l'opinion publique, ce qui pose tout un tas de problèmes. quant à la crise démocratique qui est la nôtre, mais ça c'est une autre question. Nuit Debout était plus un espace de réflexion sur le monde qu'il faudrait changer, contre la loi travail et son monde, et c'est un espace dans lequel on a pensé un autre monde. Donc on était plus dans la pépinière, mais il n'y avait pas de revendications absolument immédiates. Donc c'est difficile de dire que Nuit Debout a perdu. Ça s'est essoufflé, mais ça a quand même été assez long, c'est resté longtemps, et il y a des choses qui ont été récupérées par la suite. On m'a... Je fais un peu partie de ceux qui considèrent que même quand on a perdu, c'est-à-dire que la revendication n'est pas suivie de fait, on ne perd pas en fait, on ne perd jamais. Tous ceux qui se gagnent dans un mouvement de contact, de conscientisation, de politisation des gens, de légitimation de l'action politique ou sociale, c'est jamais perdu.

  • Speaker #0

    Tu disais que maintenant, ça ne suffit plus de faire des manifestations monstres, etc. Est-ce que tu as des stratégies oubliées qui ont réussi à une certaine époque ?

  • Speaker #1

    J'allais dire la barricade. Objectivement, la révolution, ça marchait pas mal. En tout cas, sur le temps court, ça permettait d'obtenir des choses. Le problème, c'est que ça casse un peu des œufs. Ce qui tient, c'est de recommencer, recommencer, recommencer, se rebattre, redemander, justement, alterner des moments d'organisation pacifique et soit de recours à la violence, soit de risque de recours à la violence. C'est la tenacité qui gagne. Et là, ça gagne. Franchement, il n'y en a pas un des droits qui n'a pas fini par être arraché.

  • Speaker #0

    Et si tu as une anecdote dans ton livre que tu trouves intéressante, un personnage, une histoire qui pourrait nous inspirer aujourd'hui, ça serait laquelle ?

  • Speaker #1

    Mon premier réflexe, parce que c'est ce que je connais le mieux, c'est de penser aux mobilisations féministes. Et une que j'aime particulièrement, c'est tous les avortements carmanes qu'il y a autour du MLAAC, puis du planning, et donc de ces femmes qui se sont organisées de façon très sororelle pour avorter des femmes et pour les avorter dans des conditions qui soient en plus très chaleureuses et qui s'accompagnent d'une découverte de son corps, de self-help, etc. Et cette espèce d'énergie dont on bien compte le film Annie Colère. J'étais super contente quand le film est sorti parce que j'ai toujours enseigné ces avortements carmades, j'ai toujours essayé d'en parler mais personne ne connaissait. On avait juste l'histoire de les grandes mobilisations, les manifs et puis Simone Veil qui pose sa loi. Toute cette désobéissance civile, qui sont vraiment les avortements carmanes, et toute cette énergie, toute cette joie qu'il y a eu autour, a été complètement invisibilisée dans les récits des luttes. Donc voilà, c'en est une qui me tient à cœur en tant que femme et en tant que féministe. Maintenant, en travaillant sur ce bouquin, il y en a plein d'autres qui sont revenus. Il y en a qui sont dramatiques, les grèves de la fin des sans-papiers, quand on lit leur histoire. Là, j'y pense qu'on vient de fêter le triste anniversaire. de l'église Saint-Bernard, de l'évacuation très violente de l'église Saint-Bernard. Voilà, c'est des choses qui marquent aussi. Il y a des luttes très impertinentes et extrêmement joyeuses au sein des milieux. Alors là, c'est les milieux LGBTQIA+, mais c'était vraiment à ce moment-là plutôt les milieux homos. Enfin, le phare et les gouines rouges, dès qu'on lit là-dessus, c'est génial d'impertinence. Il y a quelque chose d'assez jouissif à suivre ces luttes. Mais voilà, les grandes grèves, c'est beau aussi. les grandes grèves de la fin du XIXe siècle, la grève générale de 1906. Pareil, quand on se plonge dans les sources, moi, j'ai des larmes qui me montent aux yeux à chaque fois.

  • Speaker #0

    Donc, il y a des luttes joyeuses. Puis, il y en a d'autres, tu le disais, qui connaissent la répression. Actuellement, peu de manifs se terminent joyeusement sur nos places parisiennes. Tu as quel regard sur ces répressions de mobilisation sociale qu'on connaît depuis quelques années ?

  • Speaker #1

    Un regard extrêmement préoccupant. inquiet D'abord en raison des droits, c'est-à-dire que c'est un droit depuis 1789 que de manifester son opinion, qui plus est de façon pacifique. C'est des manifestations pleinement pacifiques, qui sont noyées sous les gaz lacrymo et les grenades de désencerclement. Quand bien même les médias, les chaînes Bolloré voudraient nous faire croire le contraire en bloquant leurs caméras sur la seule poubelle qui brûle. Donc voilà, je trouve ça... extrêmement inquiétant. Je trouve ça inquiétant aussi parce que quand on ferme les répertoires d'action légaux et pacifiques, il ne reste plus que les répertoires d'action illégaux et possiblement violents. Et que donc, en faisant ça, les pouvoirs jouent aux apprentis sorciers et mettent des gens en danger. Donc ça, ça me préoccupe profondément. Et puis ça me préoccupe comme démocrate. C'est-à-dire que des mouvements soutenus massivement... justifié par un corpus qui s'appuie sur des recherches, etc. Quand même, le mouvement pour les retraites, c'est des semaines, je ne sais plus combien de semaines, mais 15 semaines de manifestations permanentes, des grèves importantes, un soutien de l'opinion publique à la hauteur de 70-80% de soutien de gens, et tout ça pour déboucher sur un 40-3 expédié et des violences sur la place de la Concorde. Ce n'est pas possible dans une démocratie, en fait. Dans une démocratie, on aurait dû effacer la réforme retraite.

  • Speaker #0

    Et sur cette crise démocratique, j'imagine que ton regard d'historienne en a vu d'autres. Est-ce que tu fais des parallèles sur ce qu'on vit actuellement ? Et juste pour donner un élément de contexte, au jour où on enregistre cet épisode, nous n'avons toujours pas de Premier ministre. Est-ce que ça t'inquiète ou en tout cas, est-ce que tu as un regard particulier avec des clins d'œil sur d'autres moments historiques ?

  • Speaker #1

    Oui, ça m'inquiète, mais je crois que même les gens à droite ont l'air de commencer à être inquiets. Alors oui, en tant qu'historienne, ça me fait penser à deux choses. J'ai l'impression que se percutent deux traditions de nos régimes politiques et qui se retrouvent là. La première, c'est une tradition césariste. Il y a du Bonaparte, il y a du Napoléon dans la pratique de Macron. D'abord, ce besoin autocratique, au bout du compte, de gouverner tout seul. Cet écrasement des libertés, les deux régimes ont été des moments liberticides, tout en se revendiquant de la légitimité des urnes. Alors là, il est un peu plus emmerdé puisque les urnes se sont retournées contre sa formation. Mais pendant très longtemps, l'argument, c'est toujours élu, élu, élu, j'ai été élu, j'ai été élu, vous verrez aux prochaines élections. Et moi, ça me fait penser à une phrase de Napoléon III après le deuxième plébiscite, parce que Napoléon III se fait plébister, c'est-à-dire qu'il organise des référendums, mais qu'il tourne de telle sorte que le oui l'emporte et que ce oui... ne permettent pas d'accepter ou de refuser une mesure, mais de renforcer sa propre légitimité comme chef d'État. Et Napoléon III disait Je veux bien être baptisé par le suffrage universel, mais je ne veux pas vivre les pieds dans l'eau. Et franchement, je vois très bien Macron penser exactement la même chose. Donc il y a un côté césariste. Et l'autre chose, c'est que pour moi, et d'ailleurs je suis assez contente parce qu'avec ce que font les macronistes en ce moment, ça va être mon cours de première année en histoire politique de l'Europe, va être facilité parce que je passe mon temps à expliquer aux étudiants que les libéraux et les démocrates, ce n'est pas la même chose. Au XIXe siècle, certes, ils peuvent s'unir parfois pour attaquer les monarchistes, mais ils sont profondément opposés. Les libéraux sont contre la démocratie. Ils ne sont pas démocrates au XIXe siècle. Ils ne sont pas pour le suffrage universel, fut-il que masculin à l'époque. Ils sont pour le suffrage censitaire, c'est-à-dire que c'est seulement ceux qui payent le plus d'impôts qui ont le droit de vote. Ils sont favorables aux libertés fondamentales, presse, etc. mais ils mettent en place des dispositifs financiers qui font que seuls les plus riches peuvent ouvrir un journal, écrire un journal, voire lire un journal. Donc, il n'y a pas de culture démocratique au cœur du libéralisme politique et économique qui est porté par la famille des libéraux. Et en 1848, les libéraux sont bien obligés de faire avec le suffrage universel. Ils font avec pendant trois ans, parce que dès qu'ils reviennent au pouvoir, ils l'éliminent. Et ils empirent à nouveau les ouvriers. Ils vont essayer d'une... pas l'adopter en 75, quand est installée la troisième république, mais voilà on peut plus faire semblent suffraient universel. Donc ils inventent la démocratie libérale, mais en fait les libéraux ne sont pas de nature démocratique dans leur histoire. Et là c'est ce qu'on voit tous, que ce soit les macronistes ou la droite libérale, qui ont une politique libérale, voilà c'est très clair, là les questions sociales leur échappent complètement et... Les libertés économiques pour elles sont beaucoup plus importantes que les libertés politiques. Et quand ils n'arrivent plus à maîtriser ce suffrage universel, désormais universel, et qu'ils se retournent contre eux, qu'ils s'assoient dessus. Donc, on est finalement... Moi, je sais, quand j'essaie d'expliquer aux étudiants que les libéraux ne sont pas les démocrates, ils les confondent tout le temps. Alors là, c'est dans les copies, c'est la confusion permanente. Je n'arrête pas de leur dire, non, ce n'est pas pareil, je fais des tableaux. Mais là, ça va être facile. Je vais dire, regardez, franchement, quand il y a une élection, ça ne marche pas. Parce que des fois, je leur parle du TCE, mais ils ont un peu oublié, surtout, ils ne s'étaient pas nés.

  • Speaker #0

    Et donc, une solution pour sortir de cette démocratie libérale ?

  • Speaker #1

    Il faut de la démocratie sociale. La seule solution pour sortir, en tout cas par le haut, de la démocratie libérale, c'est de remettre de la démocratie sociale. Et ce que les communards appelaient la démocratie réelle, la vraie démocratie. Mais de fait, pour moi, la vraie démocratie, elle est forcément sociale, comme pour toute la famille des démocrates sociaux. Mais c'est ça aussi, il faut comprendre que la démocratie est multiple, la République est multiple. Donc la solution, elle est de renforcer le camp des démocrates sociaux.

  • Speaker #0

    Une dernière question. Ce podcast, c'est un clin d'œil à l'urgence de faire vivre l'espoir qu'un autre monde est possible et au-delà de l'espoir de faire aboutir cet autre monde. C'est quoi aujourd'hui l'espoir de Mathilde Larre ?

  • Speaker #1

    Là tout de suite, c'est le cessez-le-feu à Gaza. Je crois que vraiment, puis en Ukraine, c'est vraiment ça. C'est le premier truc qui me vient à l'idée, qui est une prise de conscience de l'effondrement climatique. Moi là, je trouve ça dingue, l'absence de réaction. Et... qui se voit au quotidien. Enfin, voilà, tu veux prendre le train, ça coûte super cher et l'avion coûte pas cher. Mais à quel moment on change pas des trucs comme ça ? Après, voilà, j'aimerais que l'hôpital se redresse, que l'école se redresse. J'aimerais qu'on ferme toutes les chaînes boulorées, entre autres. Mais tellement d'autres choses.

  • Speaker #0

    Merci, Attilde.

  • Speaker #1

    De rien.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer, espérons ensemble un lieu plus juste. N'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorne et je vous dis à très bientôt.

Description

Invitée : Mathilde Larrère


Pour inaugurer "Hop Hop Hope", je suis ravie d’accueillir Mathilde Larrère, historienne engagée et autrice de "On s'est battus pour les gagner : Histoire de la conquête des droits en France". Ensemble, nous retraçons les luttes qui ont façonné nos droits, en rappelant que chaque avancée sociale est le fruit de mobilisations collectives.


Mathilde nous montre qu’en dépit des obstacles, ces batailles peuvent être gagnées. Cet épisode est une ode à l'espoir et à l’action, une invitation à puiser dans l’histoire des luttes pour nourrir nos combats présents et futurs.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Sizorn et vous écoutez le podcast Hop Hop Hope. Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer et partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Mathilde Larère.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors tu es historienne des révolutions du XIXe siècle et de la citoyenneté, enseignante chercheuse à l'université Gustave Eiffel. Tu es bien sûr connue pour ton engagement en tant que femme de gauche, féministe, mais aussi connue pour ta volonté de partager tes connaissances, tes recherches, par des publications, des livres bien sûr, mais aussi via les réseaux sociaux. Tu as dit cette phrase... Le capital culturel, comme le capital économique, ne connaît pas les ruissellements. Il faut passer et transmettre pour couper l'herbe sous le pied au discours nauséabond. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta vision de ton métier d'universitaire et d'historienne ?

  • Speaker #1

    Alors oui, effectivement, c'est quelque chose que je redis souvent, cette phrase, parce qu'elle est vraiment au cœur de ma pratique. Donc, je suis enseignante chercheuse à l'université, je suis donc payée par l'État. Et en fait, tous ces savoirs... auxquelles j'ai accès parce que voilà je lis aussi ce que font mes collègues, je recherche. Si ça doit rester uniquement dans les laboratoires et dans les amphis, ça ne diffuse pas assez dans l'opinion publique, sur la sphère publique. Or c'est hyper important que les savoirs se diffusent. Je vais donner quelques exemples, tu vois quand il y a des gens qui parlent de France et de Souches, l'histoire est là pour faire justement l'histoire des métissages, des populations. des vagues d'immigration, de migration, de départ, d'arrivée. Donc, la diffusion du savoir scientifique est extrêmement importante, surtout à un moment où on instrumentalise énormément le passé au service de haine du présent. On voit chez Zemmour ou au Puy-du-Fou, par exemple. Donc, je pense que cette transmission est extrêmement importante et qu'elle relève donc de ma mission d'enseignante, chercheuse, fonctionnaire. Et donc, je m'y emploie en essayant d'utiliser tous les supports possibles. effectivement les réseaux sociaux, les émissions quand je peux, les livres, voilà. Pour moi, c'est vraiment essentiel en fait, et c'est une question d'engagement civique et citoyen.

  • Speaker #0

    Et donc, historienne de gauche ?

  • Speaker #1

    Ah oui, et ça, ça ne me pose pas de problème en fait. Je l'ai déjà dit plusieurs fois, et je ne suis évidemment pas la seule à le dire, tout chercheur en sciences sociales, en histoire, mais c'est vrai en géo, en socio, c'est vrai en économie aussi, on est situé, d'abord parce qu'on est citoyen, donc on est situé, puis en plus, de toute façon, la science, elle n'est pas neutre. les sciences humaines ne sont pas neutres, c'est un leurre en général ceux qui disent qu'ils sont neutres c'est qu'ils sont boites et franchement c'est pas juste la phrase de Alain, ça se vérifie concrètement, donc oui je suis une historienne de gauche et c'est pour ça que je travaille sur les rapports de domination, c'est pour ça que je fais l'histoire des luttes, c'est pour ça que je fais l'histoire des dominés et c'est un choix politique et militant, après je l'ai fait avec une méthode d'historienne et avec une discipline et une éthique historienne

  • Speaker #0

    Et donc tu viens de publier... Un nouvel ouvrage qui s'intitule On s'est battu pour les gagner, histoire de la conquête des droits en France Tu nous plonges de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789 à la constitutionnalisation de l'IVG en 2024, donc très récent. Tu retraces l'histoire de ces luttes passées et présentes et tu soulignes le caractère collectif et continu de ces combats. Pourquoi ce livre ? Tu en as fait plein. Pourquoi celui-là maintenant ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que vraiment ce qui m'a donné envie de le faire, c'est le mouvement du... printemps, même jusqu'à l'été dernier, contre la loi retraite, auquel j'ai évidemment ardemment et pleinement participé. J'avais vraiment la sensation qu'il y avait une nécessité de rappeler cette lutte longue. Alors, le cas de la retraite, c'est qu'on est dans les droits des travailleurs et des travailleuses, mais de façon générale, ce on s'est battu pour la gagner qui est un slogan de la manif, la retraite à 60 ans, on s'est battu pour la gagner, on se battra pour la garder. Je me suis rendue compte que je l'avais dit pour plein de choses. Le nombre de fois où j'ai crié ça dans la rue avec d'autres manifestants et manifestantes. J'ai eu besoin, un peu, parce que j'ai beaucoup fait de travaux sur les luttes féministes, et là j'avais envie de revenir plus largement aux droits humains concernant les hommes et les femmes, et remettre un peu plus de social que j'avais pu le faire, même si je fais attention à le faire aussi quand je fais de l'histoire des femmes et du féminisme. Voilà, il y avait cette espèce... d'urgence dans un contexte d'atteinte à ces droits-là. Et parce que le gouvernement actuel porte atteinte aux droits sociaux et aux droits des travailleurs et travailleuses, et qu'il y a des protestations, pour empêcher ces protestations, il y a une atteinte aux droits politiques même, aux droits fondamentaux. Donc tout est en lien. J'ai eu ce besoin de le faire. Même si c'est quelque chose que je faisais régulièrement, l'histoire des luttes, j'ai fait beaucoup d'émissions sur art et sur images en les racontant. Ce n'est pas nouveau, mais là, il y avait une espèce d'urgence. Peut-être parce que, est-ce qu'on a perdu ? Oui, on a perdu au sens où la loi est passée. On n'a pas complètement perdu parce que justement, ce qui s'est créé comme collectif, comme besoin de changement, la force qu'il y a eu dans ce mouvement, elle n'est pas partie.

  • Speaker #0

    Et est-ce que l'urgence, c'était aussi de rappeler que des fois, on gagne ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est vrai. Ça faisait partie du chose, je disais, c'est peut-être aussi lié au fait qu'on a perdu. Mais dans l'histoire des luttes, on perd des fois, mais on gagne au coup d'après. En fait, il ne faut pas, on a perdu une bataille, mais on n'a pas perdu la guerre. C'est vrai aussi en histoire des luttes. Donc, il ne faut pas se décourager. Pour l'avoir, la retraite, il a fallu du temps, des années, des années, des années, des années de lutte avant qu'elle se mette en place sous l'égide de Croizat. Mais grâce aux militants et militantes de la CGT, maintenant, il faut recommencer.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu pourrais me citer une lutte qui a gagné rapidement ?

  • Speaker #1

    Waouh, non. Alors si, tu as des luttes, mais pas des luttes pour les droits. Évidemment, tu as des luttes sectorielles qui gagnent rapidement. Je veux dire, il y a des grèves, même une semaine de grève, et bing, là, je peux t'en citer plein. Mais des luttes d'ampleur pour arracher des droits nouveaux qu'il faut d'abord concevoir, imposer, dont il faut imposer la légitimité, là, c'est beaucoup plus long. Après, tout dépend. Il y a des moments d'accélération. C'est sûr que les droits de l'homme, tels qu'ils sont formulés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Bastille tombe le 14 juillet, la Déclaration est rédigée le 26 août. On pourrait se dire que c'est rapide, sauf qu'en fait, derrière, il y avait un travail long de conceptualisation de ces droits. Et voilà, souvent, tu as une accélération finale. On pourrait dire que le droit à l'avortement... On est entre 1971 et 1974, c'est rapide. Sauf qu'en fait, justement, c'est ça que j'essaie de montrer dans le bouquin. Cette question du droit à l'avortement, elle plonge ses racines dans des revendications de la fin du XIXe siècle. Donc, ça faisait longtemps.

  • Speaker #0

    Et donc, l'importance du temps long et aussi l'importance du collectif dans les victoires ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est deux choses extrêmement importantes. Même si le temps long, l'historien ne dirait pas que c'est le temps long. Parce que tu sais, le temps long pour l'historien, c'est vraiment plusieurs siècles. Là, moi, je travaille sur aller le max 150 ans avant d'obtenir quelque chose, genre le droit de voter femme. Sinon, quelques décennies, c'est du temps moyen, on va dire, pour un historien ou une historienne. Mais à l'échelle d'une vie, c'est long. Tu as des gens qui vont mener des luttes et qui vont mourir avant qu'elles l'emportent. Et je pense en permanence, quand je croise des personnages qui ont mené des luttes importantes et qui sont morts avant qu'elles soient formalisées en termes de loi, je me dis mais quelle tristesse. C'est quoi ? Quand tu penses qu'à trois ans près, il l'aurait vu ou elle l'aurait vu. Donc oui, plus que le temps long, gérer la tenacité, en fait. La tenacité et la transmission d'expérience et remettre en permanence l'ouvrage sur le métier. Le collectif, là, il est essentiel et il peut prendre des formes variables. C'est sûr qu'à partir du XXe siècle, comme il y a des collectifs qui s'institutionnalisent parce qu'ils sont autorisés, il faut bien voir qu'au XIXe siècle, tu n'as pas le droit ni d'association politique, ni d'association en général, ni d'association professionnelle. Mais... C'est vrai qu'une fois connaissent les syndicats, les associations et les partis, ça aide la lutte. Alors, des fois, ils ne sont pas forcément des alliés, mais en général, ça aide la lutte. Reste qu'avant, on a des formes de collectifs qui n'ont pas ces formes contemporaines et qui sont les nôtres, mais qui fonctionnent aussi.

  • Speaker #0

    Et sur le lien entre collectif et tête de file, chef, chef-e, il y a toujours des leaders ?

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas toujours des leaders. Par exemple, là. dans la commune, il n'y a pas vraiment de leader. Il y a plein de moments où il n'y en a pas et souvent, c'est des choix. Ce qui est marrant, c'est que c'est assez sinusoidal dans l'histoire. Il y a des moments où il y a des besoins de leader qui peuvent correspondre à des traditions politiques. Par exemple, en politique, on a eu du mal à se dégager de la référence monarchique. Une fois le roi à la fois tombé et décapité, il fallait bien trouver d'autres leaders à la place et ensuite... Il y a justement un besoin de se détacher des leaders, puis ça revient. Paradoxalement, le lénisme a beaucoup joué dans la valorisation de la figure du leader, parce que même s'il y a l'idée du parti qui pourrait l'emporter, mais l'avant-garde, au bout du compte, elle se retourne à zé vite avec un leader et deux, trois personnes autour. Et on retrouve ça plus dans les traditions libertaires, qui se passent plus de leaders. Et dans les mouvements les plus récents, les mouvements Occupy, on a vu ça aussi même dans les Gilets jaunes, il y a au contraire un besoin de ne pas avoir de leader. Lorsque Nuit Debout, même si concrètement ça n'a pas eu de débouché, mais Nuit Debout travaillait énormément à ce qu'il n'y ait surtout pas une figure de leader, homme ou femme, qui se dégage. Donc là, on est plutôt dans un moment où il y a une demande d'absence de leader. C'était terriblement organisé. Moi j'étais très engagée dans Nuit Debout. Il y avait des commissions, des commissions qui se réunissaient tous les jours, qui discutaient des rapports des commissions le soir. C'était en fait, pour avoir été dans un parti avant Nuit Debout et ensuite à Nuit Debout, il y avait de l'organisation dans les deux, je dirais presque même plus dans Nuit Debout. Et finalement l'horizontalité, quand elle est réelle, elle implique beaucoup plus de... d'organisation que la verticalité, parce que la verticalité, ça décide en haut, ça applique en bas. Quand c'est horizontal, il faut tout à fait s'organiser pour que tout le monde soit en accord ou en connaissance des décisions qui sont prises. Donc c'était très organisé. Nuit Debout était comme le mouvement syndical qui l'accompagnait contre la loi travail laquelle est passée. Enfin, ça fait un petit bout de temps que ça ne suffit plus de faire des manifs monstres, d'être soutenu par l'opinion publique, ce qui pose tout un tas de problèmes. quant à la crise démocratique qui est la nôtre, mais ça c'est une autre question. Nuit Debout était plus un espace de réflexion sur le monde qu'il faudrait changer, contre la loi travail et son monde, et c'est un espace dans lequel on a pensé un autre monde. Donc on était plus dans la pépinière, mais il n'y avait pas de revendications absolument immédiates. Donc c'est difficile de dire que Nuit Debout a perdu. Ça s'est essoufflé, mais ça a quand même été assez long, c'est resté longtemps, et il y a des choses qui ont été récupérées par la suite. On m'a... Je fais un peu partie de ceux qui considèrent que même quand on a perdu, c'est-à-dire que la revendication n'est pas suivie de fait, on ne perd pas en fait, on ne perd jamais. Tous ceux qui se gagnent dans un mouvement de contact, de conscientisation, de politisation des gens, de légitimation de l'action politique ou sociale, c'est jamais perdu.

  • Speaker #0

    Tu disais que maintenant, ça ne suffit plus de faire des manifestations monstres, etc. Est-ce que tu as des stratégies oubliées qui ont réussi à une certaine époque ?

  • Speaker #1

    J'allais dire la barricade. Objectivement, la révolution, ça marchait pas mal. En tout cas, sur le temps court, ça permettait d'obtenir des choses. Le problème, c'est que ça casse un peu des œufs. Ce qui tient, c'est de recommencer, recommencer, recommencer, se rebattre, redemander, justement, alterner des moments d'organisation pacifique et soit de recours à la violence, soit de risque de recours à la violence. C'est la tenacité qui gagne. Et là, ça gagne. Franchement, il n'y en a pas un des droits qui n'a pas fini par être arraché.

  • Speaker #0

    Et si tu as une anecdote dans ton livre que tu trouves intéressante, un personnage, une histoire qui pourrait nous inspirer aujourd'hui, ça serait laquelle ?

  • Speaker #1

    Mon premier réflexe, parce que c'est ce que je connais le mieux, c'est de penser aux mobilisations féministes. Et une que j'aime particulièrement, c'est tous les avortements carmanes qu'il y a autour du MLAAC, puis du planning, et donc de ces femmes qui se sont organisées de façon très sororelle pour avorter des femmes et pour les avorter dans des conditions qui soient en plus très chaleureuses et qui s'accompagnent d'une découverte de son corps, de self-help, etc. Et cette espèce d'énergie dont on bien compte le film Annie Colère. J'étais super contente quand le film est sorti parce que j'ai toujours enseigné ces avortements carmades, j'ai toujours essayé d'en parler mais personne ne connaissait. On avait juste l'histoire de les grandes mobilisations, les manifs et puis Simone Veil qui pose sa loi. Toute cette désobéissance civile, qui sont vraiment les avortements carmanes, et toute cette énergie, toute cette joie qu'il y a eu autour, a été complètement invisibilisée dans les récits des luttes. Donc voilà, c'en est une qui me tient à cœur en tant que femme et en tant que féministe. Maintenant, en travaillant sur ce bouquin, il y en a plein d'autres qui sont revenus. Il y en a qui sont dramatiques, les grèves de la fin des sans-papiers, quand on lit leur histoire. Là, j'y pense qu'on vient de fêter le triste anniversaire. de l'église Saint-Bernard, de l'évacuation très violente de l'église Saint-Bernard. Voilà, c'est des choses qui marquent aussi. Il y a des luttes très impertinentes et extrêmement joyeuses au sein des milieux. Alors là, c'est les milieux LGBTQIA+, mais c'était vraiment à ce moment-là plutôt les milieux homos. Enfin, le phare et les gouines rouges, dès qu'on lit là-dessus, c'est génial d'impertinence. Il y a quelque chose d'assez jouissif à suivre ces luttes. Mais voilà, les grandes grèves, c'est beau aussi. les grandes grèves de la fin du XIXe siècle, la grève générale de 1906. Pareil, quand on se plonge dans les sources, moi, j'ai des larmes qui me montent aux yeux à chaque fois.

  • Speaker #0

    Donc, il y a des luttes joyeuses. Puis, il y en a d'autres, tu le disais, qui connaissent la répression. Actuellement, peu de manifs se terminent joyeusement sur nos places parisiennes. Tu as quel regard sur ces répressions de mobilisation sociale qu'on connaît depuis quelques années ?

  • Speaker #1

    Un regard extrêmement préoccupant. inquiet D'abord en raison des droits, c'est-à-dire que c'est un droit depuis 1789 que de manifester son opinion, qui plus est de façon pacifique. C'est des manifestations pleinement pacifiques, qui sont noyées sous les gaz lacrymo et les grenades de désencerclement. Quand bien même les médias, les chaînes Bolloré voudraient nous faire croire le contraire en bloquant leurs caméras sur la seule poubelle qui brûle. Donc voilà, je trouve ça... extrêmement inquiétant. Je trouve ça inquiétant aussi parce que quand on ferme les répertoires d'action légaux et pacifiques, il ne reste plus que les répertoires d'action illégaux et possiblement violents. Et que donc, en faisant ça, les pouvoirs jouent aux apprentis sorciers et mettent des gens en danger. Donc ça, ça me préoccupe profondément. Et puis ça me préoccupe comme démocrate. C'est-à-dire que des mouvements soutenus massivement... justifié par un corpus qui s'appuie sur des recherches, etc. Quand même, le mouvement pour les retraites, c'est des semaines, je ne sais plus combien de semaines, mais 15 semaines de manifestations permanentes, des grèves importantes, un soutien de l'opinion publique à la hauteur de 70-80% de soutien de gens, et tout ça pour déboucher sur un 40-3 expédié et des violences sur la place de la Concorde. Ce n'est pas possible dans une démocratie, en fait. Dans une démocratie, on aurait dû effacer la réforme retraite.

  • Speaker #0

    Et sur cette crise démocratique, j'imagine que ton regard d'historienne en a vu d'autres. Est-ce que tu fais des parallèles sur ce qu'on vit actuellement ? Et juste pour donner un élément de contexte, au jour où on enregistre cet épisode, nous n'avons toujours pas de Premier ministre. Est-ce que ça t'inquiète ou en tout cas, est-ce que tu as un regard particulier avec des clins d'œil sur d'autres moments historiques ?

  • Speaker #1

    Oui, ça m'inquiète, mais je crois que même les gens à droite ont l'air de commencer à être inquiets. Alors oui, en tant qu'historienne, ça me fait penser à deux choses. J'ai l'impression que se percutent deux traditions de nos régimes politiques et qui se retrouvent là. La première, c'est une tradition césariste. Il y a du Bonaparte, il y a du Napoléon dans la pratique de Macron. D'abord, ce besoin autocratique, au bout du compte, de gouverner tout seul. Cet écrasement des libertés, les deux régimes ont été des moments liberticides, tout en se revendiquant de la légitimité des urnes. Alors là, il est un peu plus emmerdé puisque les urnes se sont retournées contre sa formation. Mais pendant très longtemps, l'argument, c'est toujours élu, élu, élu, j'ai été élu, j'ai été élu, vous verrez aux prochaines élections. Et moi, ça me fait penser à une phrase de Napoléon III après le deuxième plébiscite, parce que Napoléon III se fait plébister, c'est-à-dire qu'il organise des référendums, mais qu'il tourne de telle sorte que le oui l'emporte et que ce oui... ne permettent pas d'accepter ou de refuser une mesure, mais de renforcer sa propre légitimité comme chef d'État. Et Napoléon III disait Je veux bien être baptisé par le suffrage universel, mais je ne veux pas vivre les pieds dans l'eau. Et franchement, je vois très bien Macron penser exactement la même chose. Donc il y a un côté césariste. Et l'autre chose, c'est que pour moi, et d'ailleurs je suis assez contente parce qu'avec ce que font les macronistes en ce moment, ça va être mon cours de première année en histoire politique de l'Europe, va être facilité parce que je passe mon temps à expliquer aux étudiants que les libéraux et les démocrates, ce n'est pas la même chose. Au XIXe siècle, certes, ils peuvent s'unir parfois pour attaquer les monarchistes, mais ils sont profondément opposés. Les libéraux sont contre la démocratie. Ils ne sont pas démocrates au XIXe siècle. Ils ne sont pas pour le suffrage universel, fut-il que masculin à l'époque. Ils sont pour le suffrage censitaire, c'est-à-dire que c'est seulement ceux qui payent le plus d'impôts qui ont le droit de vote. Ils sont favorables aux libertés fondamentales, presse, etc. mais ils mettent en place des dispositifs financiers qui font que seuls les plus riches peuvent ouvrir un journal, écrire un journal, voire lire un journal. Donc, il n'y a pas de culture démocratique au cœur du libéralisme politique et économique qui est porté par la famille des libéraux. Et en 1848, les libéraux sont bien obligés de faire avec le suffrage universel. Ils font avec pendant trois ans, parce que dès qu'ils reviennent au pouvoir, ils l'éliminent. Et ils empirent à nouveau les ouvriers. Ils vont essayer d'une... pas l'adopter en 75, quand est installée la troisième république, mais voilà on peut plus faire semblent suffraient universel. Donc ils inventent la démocratie libérale, mais en fait les libéraux ne sont pas de nature démocratique dans leur histoire. Et là c'est ce qu'on voit tous, que ce soit les macronistes ou la droite libérale, qui ont une politique libérale, voilà c'est très clair, là les questions sociales leur échappent complètement et... Les libertés économiques pour elles sont beaucoup plus importantes que les libertés politiques. Et quand ils n'arrivent plus à maîtriser ce suffrage universel, désormais universel, et qu'ils se retournent contre eux, qu'ils s'assoient dessus. Donc, on est finalement... Moi, je sais, quand j'essaie d'expliquer aux étudiants que les libéraux ne sont pas les démocrates, ils les confondent tout le temps. Alors là, c'est dans les copies, c'est la confusion permanente. Je n'arrête pas de leur dire, non, ce n'est pas pareil, je fais des tableaux. Mais là, ça va être facile. Je vais dire, regardez, franchement, quand il y a une élection, ça ne marche pas. Parce que des fois, je leur parle du TCE, mais ils ont un peu oublié, surtout, ils ne s'étaient pas nés.

  • Speaker #0

    Et donc, une solution pour sortir de cette démocratie libérale ?

  • Speaker #1

    Il faut de la démocratie sociale. La seule solution pour sortir, en tout cas par le haut, de la démocratie libérale, c'est de remettre de la démocratie sociale. Et ce que les communards appelaient la démocratie réelle, la vraie démocratie. Mais de fait, pour moi, la vraie démocratie, elle est forcément sociale, comme pour toute la famille des démocrates sociaux. Mais c'est ça aussi, il faut comprendre que la démocratie est multiple, la République est multiple. Donc la solution, elle est de renforcer le camp des démocrates sociaux.

  • Speaker #0

    Une dernière question. Ce podcast, c'est un clin d'œil à l'urgence de faire vivre l'espoir qu'un autre monde est possible et au-delà de l'espoir de faire aboutir cet autre monde. C'est quoi aujourd'hui l'espoir de Mathilde Larre ?

  • Speaker #1

    Là tout de suite, c'est le cessez-le-feu à Gaza. Je crois que vraiment, puis en Ukraine, c'est vraiment ça. C'est le premier truc qui me vient à l'idée, qui est une prise de conscience de l'effondrement climatique. Moi là, je trouve ça dingue, l'absence de réaction. Et... qui se voit au quotidien. Enfin, voilà, tu veux prendre le train, ça coûte super cher et l'avion coûte pas cher. Mais à quel moment on change pas des trucs comme ça ? Après, voilà, j'aimerais que l'hôpital se redresse, que l'école se redresse. J'aimerais qu'on ferme toutes les chaînes boulorées, entre autres. Mais tellement d'autres choses.

  • Speaker #0

    Merci, Attilde.

  • Speaker #1

    De rien.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer, espérons ensemble un lieu plus juste. N'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorne et je vous dis à très bientôt.

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Description

Invitée : Mathilde Larrère


Pour inaugurer "Hop Hop Hope", je suis ravie d’accueillir Mathilde Larrère, historienne engagée et autrice de "On s'est battus pour les gagner : Histoire de la conquête des droits en France". Ensemble, nous retraçons les luttes qui ont façonné nos droits, en rappelant que chaque avancée sociale est le fruit de mobilisations collectives.


Mathilde nous montre qu’en dépit des obstacles, ces batailles peuvent être gagnées. Cet épisode est une ode à l'espoir et à l’action, une invitation à puiser dans l’histoire des luttes pour nourrir nos combats présents et futurs.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Sizorn et vous écoutez le podcast Hop Hop Hope. Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer et partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Mathilde Larère.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors tu es historienne des révolutions du XIXe siècle et de la citoyenneté, enseignante chercheuse à l'université Gustave Eiffel. Tu es bien sûr connue pour ton engagement en tant que femme de gauche, féministe, mais aussi connue pour ta volonté de partager tes connaissances, tes recherches, par des publications, des livres bien sûr, mais aussi via les réseaux sociaux. Tu as dit cette phrase... Le capital culturel, comme le capital économique, ne connaît pas les ruissellements. Il faut passer et transmettre pour couper l'herbe sous le pied au discours nauséabond. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta vision de ton métier d'universitaire et d'historienne ?

  • Speaker #1

    Alors oui, effectivement, c'est quelque chose que je redis souvent, cette phrase, parce qu'elle est vraiment au cœur de ma pratique. Donc, je suis enseignante chercheuse à l'université, je suis donc payée par l'État. Et en fait, tous ces savoirs... auxquelles j'ai accès parce que voilà je lis aussi ce que font mes collègues, je recherche. Si ça doit rester uniquement dans les laboratoires et dans les amphis, ça ne diffuse pas assez dans l'opinion publique, sur la sphère publique. Or c'est hyper important que les savoirs se diffusent. Je vais donner quelques exemples, tu vois quand il y a des gens qui parlent de France et de Souches, l'histoire est là pour faire justement l'histoire des métissages, des populations. des vagues d'immigration, de migration, de départ, d'arrivée. Donc, la diffusion du savoir scientifique est extrêmement importante, surtout à un moment où on instrumentalise énormément le passé au service de haine du présent. On voit chez Zemmour ou au Puy-du-Fou, par exemple. Donc, je pense que cette transmission est extrêmement importante et qu'elle relève donc de ma mission d'enseignante, chercheuse, fonctionnaire. Et donc, je m'y emploie en essayant d'utiliser tous les supports possibles. effectivement les réseaux sociaux, les émissions quand je peux, les livres, voilà. Pour moi, c'est vraiment essentiel en fait, et c'est une question d'engagement civique et citoyen.

  • Speaker #0

    Et donc, historienne de gauche ?

  • Speaker #1

    Ah oui, et ça, ça ne me pose pas de problème en fait. Je l'ai déjà dit plusieurs fois, et je ne suis évidemment pas la seule à le dire, tout chercheur en sciences sociales, en histoire, mais c'est vrai en géo, en socio, c'est vrai en économie aussi, on est situé, d'abord parce qu'on est citoyen, donc on est situé, puis en plus, de toute façon, la science, elle n'est pas neutre. les sciences humaines ne sont pas neutres, c'est un leurre en général ceux qui disent qu'ils sont neutres c'est qu'ils sont boites et franchement c'est pas juste la phrase de Alain, ça se vérifie concrètement, donc oui je suis une historienne de gauche et c'est pour ça que je travaille sur les rapports de domination, c'est pour ça que je fais l'histoire des luttes, c'est pour ça que je fais l'histoire des dominés et c'est un choix politique et militant, après je l'ai fait avec une méthode d'historienne et avec une discipline et une éthique historienne

  • Speaker #0

    Et donc tu viens de publier... Un nouvel ouvrage qui s'intitule On s'est battu pour les gagner, histoire de la conquête des droits en France Tu nous plonges de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789 à la constitutionnalisation de l'IVG en 2024, donc très récent. Tu retraces l'histoire de ces luttes passées et présentes et tu soulignes le caractère collectif et continu de ces combats. Pourquoi ce livre ? Tu en as fait plein. Pourquoi celui-là maintenant ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que vraiment ce qui m'a donné envie de le faire, c'est le mouvement du... printemps, même jusqu'à l'été dernier, contre la loi retraite, auquel j'ai évidemment ardemment et pleinement participé. J'avais vraiment la sensation qu'il y avait une nécessité de rappeler cette lutte longue. Alors, le cas de la retraite, c'est qu'on est dans les droits des travailleurs et des travailleuses, mais de façon générale, ce on s'est battu pour la gagner qui est un slogan de la manif, la retraite à 60 ans, on s'est battu pour la gagner, on se battra pour la garder. Je me suis rendue compte que je l'avais dit pour plein de choses. Le nombre de fois où j'ai crié ça dans la rue avec d'autres manifestants et manifestantes. J'ai eu besoin, un peu, parce que j'ai beaucoup fait de travaux sur les luttes féministes, et là j'avais envie de revenir plus largement aux droits humains concernant les hommes et les femmes, et remettre un peu plus de social que j'avais pu le faire, même si je fais attention à le faire aussi quand je fais de l'histoire des femmes et du féminisme. Voilà, il y avait cette espèce... d'urgence dans un contexte d'atteinte à ces droits-là. Et parce que le gouvernement actuel porte atteinte aux droits sociaux et aux droits des travailleurs et travailleuses, et qu'il y a des protestations, pour empêcher ces protestations, il y a une atteinte aux droits politiques même, aux droits fondamentaux. Donc tout est en lien. J'ai eu ce besoin de le faire. Même si c'est quelque chose que je faisais régulièrement, l'histoire des luttes, j'ai fait beaucoup d'émissions sur art et sur images en les racontant. Ce n'est pas nouveau, mais là, il y avait une espèce d'urgence. Peut-être parce que, est-ce qu'on a perdu ? Oui, on a perdu au sens où la loi est passée. On n'a pas complètement perdu parce que justement, ce qui s'est créé comme collectif, comme besoin de changement, la force qu'il y a eu dans ce mouvement, elle n'est pas partie.

  • Speaker #0

    Et est-ce que l'urgence, c'était aussi de rappeler que des fois, on gagne ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est vrai. Ça faisait partie du chose, je disais, c'est peut-être aussi lié au fait qu'on a perdu. Mais dans l'histoire des luttes, on perd des fois, mais on gagne au coup d'après. En fait, il ne faut pas, on a perdu une bataille, mais on n'a pas perdu la guerre. C'est vrai aussi en histoire des luttes. Donc, il ne faut pas se décourager. Pour l'avoir, la retraite, il a fallu du temps, des années, des années, des années, des années de lutte avant qu'elle se mette en place sous l'égide de Croizat. Mais grâce aux militants et militantes de la CGT, maintenant, il faut recommencer.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu pourrais me citer une lutte qui a gagné rapidement ?

  • Speaker #1

    Waouh, non. Alors si, tu as des luttes, mais pas des luttes pour les droits. Évidemment, tu as des luttes sectorielles qui gagnent rapidement. Je veux dire, il y a des grèves, même une semaine de grève, et bing, là, je peux t'en citer plein. Mais des luttes d'ampleur pour arracher des droits nouveaux qu'il faut d'abord concevoir, imposer, dont il faut imposer la légitimité, là, c'est beaucoup plus long. Après, tout dépend. Il y a des moments d'accélération. C'est sûr que les droits de l'homme, tels qu'ils sont formulés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Bastille tombe le 14 juillet, la Déclaration est rédigée le 26 août. On pourrait se dire que c'est rapide, sauf qu'en fait, derrière, il y avait un travail long de conceptualisation de ces droits. Et voilà, souvent, tu as une accélération finale. On pourrait dire que le droit à l'avortement... On est entre 1971 et 1974, c'est rapide. Sauf qu'en fait, justement, c'est ça que j'essaie de montrer dans le bouquin. Cette question du droit à l'avortement, elle plonge ses racines dans des revendications de la fin du XIXe siècle. Donc, ça faisait longtemps.

  • Speaker #0

    Et donc, l'importance du temps long et aussi l'importance du collectif dans les victoires ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est deux choses extrêmement importantes. Même si le temps long, l'historien ne dirait pas que c'est le temps long. Parce que tu sais, le temps long pour l'historien, c'est vraiment plusieurs siècles. Là, moi, je travaille sur aller le max 150 ans avant d'obtenir quelque chose, genre le droit de voter femme. Sinon, quelques décennies, c'est du temps moyen, on va dire, pour un historien ou une historienne. Mais à l'échelle d'une vie, c'est long. Tu as des gens qui vont mener des luttes et qui vont mourir avant qu'elles l'emportent. Et je pense en permanence, quand je croise des personnages qui ont mené des luttes importantes et qui sont morts avant qu'elles soient formalisées en termes de loi, je me dis mais quelle tristesse. C'est quoi ? Quand tu penses qu'à trois ans près, il l'aurait vu ou elle l'aurait vu. Donc oui, plus que le temps long, gérer la tenacité, en fait. La tenacité et la transmission d'expérience et remettre en permanence l'ouvrage sur le métier. Le collectif, là, il est essentiel et il peut prendre des formes variables. C'est sûr qu'à partir du XXe siècle, comme il y a des collectifs qui s'institutionnalisent parce qu'ils sont autorisés, il faut bien voir qu'au XIXe siècle, tu n'as pas le droit ni d'association politique, ni d'association en général, ni d'association professionnelle. Mais... C'est vrai qu'une fois connaissent les syndicats, les associations et les partis, ça aide la lutte. Alors, des fois, ils ne sont pas forcément des alliés, mais en général, ça aide la lutte. Reste qu'avant, on a des formes de collectifs qui n'ont pas ces formes contemporaines et qui sont les nôtres, mais qui fonctionnent aussi.

  • Speaker #0

    Et sur le lien entre collectif et tête de file, chef, chef-e, il y a toujours des leaders ?

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas toujours des leaders. Par exemple, là. dans la commune, il n'y a pas vraiment de leader. Il y a plein de moments où il n'y en a pas et souvent, c'est des choix. Ce qui est marrant, c'est que c'est assez sinusoidal dans l'histoire. Il y a des moments où il y a des besoins de leader qui peuvent correspondre à des traditions politiques. Par exemple, en politique, on a eu du mal à se dégager de la référence monarchique. Une fois le roi à la fois tombé et décapité, il fallait bien trouver d'autres leaders à la place et ensuite... Il y a justement un besoin de se détacher des leaders, puis ça revient. Paradoxalement, le lénisme a beaucoup joué dans la valorisation de la figure du leader, parce que même s'il y a l'idée du parti qui pourrait l'emporter, mais l'avant-garde, au bout du compte, elle se retourne à zé vite avec un leader et deux, trois personnes autour. Et on retrouve ça plus dans les traditions libertaires, qui se passent plus de leaders. Et dans les mouvements les plus récents, les mouvements Occupy, on a vu ça aussi même dans les Gilets jaunes, il y a au contraire un besoin de ne pas avoir de leader. Lorsque Nuit Debout, même si concrètement ça n'a pas eu de débouché, mais Nuit Debout travaillait énormément à ce qu'il n'y ait surtout pas une figure de leader, homme ou femme, qui se dégage. Donc là, on est plutôt dans un moment où il y a une demande d'absence de leader. C'était terriblement organisé. Moi j'étais très engagée dans Nuit Debout. Il y avait des commissions, des commissions qui se réunissaient tous les jours, qui discutaient des rapports des commissions le soir. C'était en fait, pour avoir été dans un parti avant Nuit Debout et ensuite à Nuit Debout, il y avait de l'organisation dans les deux, je dirais presque même plus dans Nuit Debout. Et finalement l'horizontalité, quand elle est réelle, elle implique beaucoup plus de... d'organisation que la verticalité, parce que la verticalité, ça décide en haut, ça applique en bas. Quand c'est horizontal, il faut tout à fait s'organiser pour que tout le monde soit en accord ou en connaissance des décisions qui sont prises. Donc c'était très organisé. Nuit Debout était comme le mouvement syndical qui l'accompagnait contre la loi travail laquelle est passée. Enfin, ça fait un petit bout de temps que ça ne suffit plus de faire des manifs monstres, d'être soutenu par l'opinion publique, ce qui pose tout un tas de problèmes. quant à la crise démocratique qui est la nôtre, mais ça c'est une autre question. Nuit Debout était plus un espace de réflexion sur le monde qu'il faudrait changer, contre la loi travail et son monde, et c'est un espace dans lequel on a pensé un autre monde. Donc on était plus dans la pépinière, mais il n'y avait pas de revendications absolument immédiates. Donc c'est difficile de dire que Nuit Debout a perdu. Ça s'est essoufflé, mais ça a quand même été assez long, c'est resté longtemps, et il y a des choses qui ont été récupérées par la suite. On m'a... Je fais un peu partie de ceux qui considèrent que même quand on a perdu, c'est-à-dire que la revendication n'est pas suivie de fait, on ne perd pas en fait, on ne perd jamais. Tous ceux qui se gagnent dans un mouvement de contact, de conscientisation, de politisation des gens, de légitimation de l'action politique ou sociale, c'est jamais perdu.

  • Speaker #0

    Tu disais que maintenant, ça ne suffit plus de faire des manifestations monstres, etc. Est-ce que tu as des stratégies oubliées qui ont réussi à une certaine époque ?

  • Speaker #1

    J'allais dire la barricade. Objectivement, la révolution, ça marchait pas mal. En tout cas, sur le temps court, ça permettait d'obtenir des choses. Le problème, c'est que ça casse un peu des œufs. Ce qui tient, c'est de recommencer, recommencer, recommencer, se rebattre, redemander, justement, alterner des moments d'organisation pacifique et soit de recours à la violence, soit de risque de recours à la violence. C'est la tenacité qui gagne. Et là, ça gagne. Franchement, il n'y en a pas un des droits qui n'a pas fini par être arraché.

  • Speaker #0

    Et si tu as une anecdote dans ton livre que tu trouves intéressante, un personnage, une histoire qui pourrait nous inspirer aujourd'hui, ça serait laquelle ?

  • Speaker #1

    Mon premier réflexe, parce que c'est ce que je connais le mieux, c'est de penser aux mobilisations féministes. Et une que j'aime particulièrement, c'est tous les avortements carmanes qu'il y a autour du MLAAC, puis du planning, et donc de ces femmes qui se sont organisées de façon très sororelle pour avorter des femmes et pour les avorter dans des conditions qui soient en plus très chaleureuses et qui s'accompagnent d'une découverte de son corps, de self-help, etc. Et cette espèce d'énergie dont on bien compte le film Annie Colère. J'étais super contente quand le film est sorti parce que j'ai toujours enseigné ces avortements carmades, j'ai toujours essayé d'en parler mais personne ne connaissait. On avait juste l'histoire de les grandes mobilisations, les manifs et puis Simone Veil qui pose sa loi. Toute cette désobéissance civile, qui sont vraiment les avortements carmanes, et toute cette énergie, toute cette joie qu'il y a eu autour, a été complètement invisibilisée dans les récits des luttes. Donc voilà, c'en est une qui me tient à cœur en tant que femme et en tant que féministe. Maintenant, en travaillant sur ce bouquin, il y en a plein d'autres qui sont revenus. Il y en a qui sont dramatiques, les grèves de la fin des sans-papiers, quand on lit leur histoire. Là, j'y pense qu'on vient de fêter le triste anniversaire. de l'église Saint-Bernard, de l'évacuation très violente de l'église Saint-Bernard. Voilà, c'est des choses qui marquent aussi. Il y a des luttes très impertinentes et extrêmement joyeuses au sein des milieux. Alors là, c'est les milieux LGBTQIA+, mais c'était vraiment à ce moment-là plutôt les milieux homos. Enfin, le phare et les gouines rouges, dès qu'on lit là-dessus, c'est génial d'impertinence. Il y a quelque chose d'assez jouissif à suivre ces luttes. Mais voilà, les grandes grèves, c'est beau aussi. les grandes grèves de la fin du XIXe siècle, la grève générale de 1906. Pareil, quand on se plonge dans les sources, moi, j'ai des larmes qui me montent aux yeux à chaque fois.

  • Speaker #0

    Donc, il y a des luttes joyeuses. Puis, il y en a d'autres, tu le disais, qui connaissent la répression. Actuellement, peu de manifs se terminent joyeusement sur nos places parisiennes. Tu as quel regard sur ces répressions de mobilisation sociale qu'on connaît depuis quelques années ?

  • Speaker #1

    Un regard extrêmement préoccupant. inquiet D'abord en raison des droits, c'est-à-dire que c'est un droit depuis 1789 que de manifester son opinion, qui plus est de façon pacifique. C'est des manifestations pleinement pacifiques, qui sont noyées sous les gaz lacrymo et les grenades de désencerclement. Quand bien même les médias, les chaînes Bolloré voudraient nous faire croire le contraire en bloquant leurs caméras sur la seule poubelle qui brûle. Donc voilà, je trouve ça... extrêmement inquiétant. Je trouve ça inquiétant aussi parce que quand on ferme les répertoires d'action légaux et pacifiques, il ne reste plus que les répertoires d'action illégaux et possiblement violents. Et que donc, en faisant ça, les pouvoirs jouent aux apprentis sorciers et mettent des gens en danger. Donc ça, ça me préoccupe profondément. Et puis ça me préoccupe comme démocrate. C'est-à-dire que des mouvements soutenus massivement... justifié par un corpus qui s'appuie sur des recherches, etc. Quand même, le mouvement pour les retraites, c'est des semaines, je ne sais plus combien de semaines, mais 15 semaines de manifestations permanentes, des grèves importantes, un soutien de l'opinion publique à la hauteur de 70-80% de soutien de gens, et tout ça pour déboucher sur un 40-3 expédié et des violences sur la place de la Concorde. Ce n'est pas possible dans une démocratie, en fait. Dans une démocratie, on aurait dû effacer la réforme retraite.

  • Speaker #0

    Et sur cette crise démocratique, j'imagine que ton regard d'historienne en a vu d'autres. Est-ce que tu fais des parallèles sur ce qu'on vit actuellement ? Et juste pour donner un élément de contexte, au jour où on enregistre cet épisode, nous n'avons toujours pas de Premier ministre. Est-ce que ça t'inquiète ou en tout cas, est-ce que tu as un regard particulier avec des clins d'œil sur d'autres moments historiques ?

  • Speaker #1

    Oui, ça m'inquiète, mais je crois que même les gens à droite ont l'air de commencer à être inquiets. Alors oui, en tant qu'historienne, ça me fait penser à deux choses. J'ai l'impression que se percutent deux traditions de nos régimes politiques et qui se retrouvent là. La première, c'est une tradition césariste. Il y a du Bonaparte, il y a du Napoléon dans la pratique de Macron. D'abord, ce besoin autocratique, au bout du compte, de gouverner tout seul. Cet écrasement des libertés, les deux régimes ont été des moments liberticides, tout en se revendiquant de la légitimité des urnes. Alors là, il est un peu plus emmerdé puisque les urnes se sont retournées contre sa formation. Mais pendant très longtemps, l'argument, c'est toujours élu, élu, élu, j'ai été élu, j'ai été élu, vous verrez aux prochaines élections. Et moi, ça me fait penser à une phrase de Napoléon III après le deuxième plébiscite, parce que Napoléon III se fait plébister, c'est-à-dire qu'il organise des référendums, mais qu'il tourne de telle sorte que le oui l'emporte et que ce oui... ne permettent pas d'accepter ou de refuser une mesure, mais de renforcer sa propre légitimité comme chef d'État. Et Napoléon III disait Je veux bien être baptisé par le suffrage universel, mais je ne veux pas vivre les pieds dans l'eau. Et franchement, je vois très bien Macron penser exactement la même chose. Donc il y a un côté césariste. Et l'autre chose, c'est que pour moi, et d'ailleurs je suis assez contente parce qu'avec ce que font les macronistes en ce moment, ça va être mon cours de première année en histoire politique de l'Europe, va être facilité parce que je passe mon temps à expliquer aux étudiants que les libéraux et les démocrates, ce n'est pas la même chose. Au XIXe siècle, certes, ils peuvent s'unir parfois pour attaquer les monarchistes, mais ils sont profondément opposés. Les libéraux sont contre la démocratie. Ils ne sont pas démocrates au XIXe siècle. Ils ne sont pas pour le suffrage universel, fut-il que masculin à l'époque. Ils sont pour le suffrage censitaire, c'est-à-dire que c'est seulement ceux qui payent le plus d'impôts qui ont le droit de vote. Ils sont favorables aux libertés fondamentales, presse, etc. mais ils mettent en place des dispositifs financiers qui font que seuls les plus riches peuvent ouvrir un journal, écrire un journal, voire lire un journal. Donc, il n'y a pas de culture démocratique au cœur du libéralisme politique et économique qui est porté par la famille des libéraux. Et en 1848, les libéraux sont bien obligés de faire avec le suffrage universel. Ils font avec pendant trois ans, parce que dès qu'ils reviennent au pouvoir, ils l'éliminent. Et ils empirent à nouveau les ouvriers. Ils vont essayer d'une... pas l'adopter en 75, quand est installée la troisième république, mais voilà on peut plus faire semblent suffraient universel. Donc ils inventent la démocratie libérale, mais en fait les libéraux ne sont pas de nature démocratique dans leur histoire. Et là c'est ce qu'on voit tous, que ce soit les macronistes ou la droite libérale, qui ont une politique libérale, voilà c'est très clair, là les questions sociales leur échappent complètement et... Les libertés économiques pour elles sont beaucoup plus importantes que les libertés politiques. Et quand ils n'arrivent plus à maîtriser ce suffrage universel, désormais universel, et qu'ils se retournent contre eux, qu'ils s'assoient dessus. Donc, on est finalement... Moi, je sais, quand j'essaie d'expliquer aux étudiants que les libéraux ne sont pas les démocrates, ils les confondent tout le temps. Alors là, c'est dans les copies, c'est la confusion permanente. Je n'arrête pas de leur dire, non, ce n'est pas pareil, je fais des tableaux. Mais là, ça va être facile. Je vais dire, regardez, franchement, quand il y a une élection, ça ne marche pas. Parce que des fois, je leur parle du TCE, mais ils ont un peu oublié, surtout, ils ne s'étaient pas nés.

  • Speaker #0

    Et donc, une solution pour sortir de cette démocratie libérale ?

  • Speaker #1

    Il faut de la démocratie sociale. La seule solution pour sortir, en tout cas par le haut, de la démocratie libérale, c'est de remettre de la démocratie sociale. Et ce que les communards appelaient la démocratie réelle, la vraie démocratie. Mais de fait, pour moi, la vraie démocratie, elle est forcément sociale, comme pour toute la famille des démocrates sociaux. Mais c'est ça aussi, il faut comprendre que la démocratie est multiple, la République est multiple. Donc la solution, elle est de renforcer le camp des démocrates sociaux.

  • Speaker #0

    Une dernière question. Ce podcast, c'est un clin d'œil à l'urgence de faire vivre l'espoir qu'un autre monde est possible et au-delà de l'espoir de faire aboutir cet autre monde. C'est quoi aujourd'hui l'espoir de Mathilde Larre ?

  • Speaker #1

    Là tout de suite, c'est le cessez-le-feu à Gaza. Je crois que vraiment, puis en Ukraine, c'est vraiment ça. C'est le premier truc qui me vient à l'idée, qui est une prise de conscience de l'effondrement climatique. Moi là, je trouve ça dingue, l'absence de réaction. Et... qui se voit au quotidien. Enfin, voilà, tu veux prendre le train, ça coûte super cher et l'avion coûte pas cher. Mais à quel moment on change pas des trucs comme ça ? Après, voilà, j'aimerais que l'hôpital se redresse, que l'école se redresse. J'aimerais qu'on ferme toutes les chaînes boulorées, entre autres. Mais tellement d'autres choses.

  • Speaker #0

    Merci, Attilde.

  • Speaker #1

    De rien.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer, espérons ensemble un lieu plus juste. N'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorne et je vous dis à très bientôt.

Description

Invitée : Mathilde Larrère


Pour inaugurer "Hop Hop Hope", je suis ravie d’accueillir Mathilde Larrère, historienne engagée et autrice de "On s'est battus pour les gagner : Histoire de la conquête des droits en France". Ensemble, nous retraçons les luttes qui ont façonné nos droits, en rappelant que chaque avancée sociale est le fruit de mobilisations collectives.


Mathilde nous montre qu’en dépit des obstacles, ces batailles peuvent être gagnées. Cet épisode est une ode à l'espoir et à l’action, une invitation à puiser dans l’histoire des luttes pour nourrir nos combats présents et futurs.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Sizorn et vous écoutez le podcast Hop Hop Hope. Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer et partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Mathilde Larère.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors tu es historienne des révolutions du XIXe siècle et de la citoyenneté, enseignante chercheuse à l'université Gustave Eiffel. Tu es bien sûr connue pour ton engagement en tant que femme de gauche, féministe, mais aussi connue pour ta volonté de partager tes connaissances, tes recherches, par des publications, des livres bien sûr, mais aussi via les réseaux sociaux. Tu as dit cette phrase... Le capital culturel, comme le capital économique, ne connaît pas les ruissellements. Il faut passer et transmettre pour couper l'herbe sous le pied au discours nauséabond. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta vision de ton métier d'universitaire et d'historienne ?

  • Speaker #1

    Alors oui, effectivement, c'est quelque chose que je redis souvent, cette phrase, parce qu'elle est vraiment au cœur de ma pratique. Donc, je suis enseignante chercheuse à l'université, je suis donc payée par l'État. Et en fait, tous ces savoirs... auxquelles j'ai accès parce que voilà je lis aussi ce que font mes collègues, je recherche. Si ça doit rester uniquement dans les laboratoires et dans les amphis, ça ne diffuse pas assez dans l'opinion publique, sur la sphère publique. Or c'est hyper important que les savoirs se diffusent. Je vais donner quelques exemples, tu vois quand il y a des gens qui parlent de France et de Souches, l'histoire est là pour faire justement l'histoire des métissages, des populations. des vagues d'immigration, de migration, de départ, d'arrivée. Donc, la diffusion du savoir scientifique est extrêmement importante, surtout à un moment où on instrumentalise énormément le passé au service de haine du présent. On voit chez Zemmour ou au Puy-du-Fou, par exemple. Donc, je pense que cette transmission est extrêmement importante et qu'elle relève donc de ma mission d'enseignante, chercheuse, fonctionnaire. Et donc, je m'y emploie en essayant d'utiliser tous les supports possibles. effectivement les réseaux sociaux, les émissions quand je peux, les livres, voilà. Pour moi, c'est vraiment essentiel en fait, et c'est une question d'engagement civique et citoyen.

  • Speaker #0

    Et donc, historienne de gauche ?

  • Speaker #1

    Ah oui, et ça, ça ne me pose pas de problème en fait. Je l'ai déjà dit plusieurs fois, et je ne suis évidemment pas la seule à le dire, tout chercheur en sciences sociales, en histoire, mais c'est vrai en géo, en socio, c'est vrai en économie aussi, on est situé, d'abord parce qu'on est citoyen, donc on est situé, puis en plus, de toute façon, la science, elle n'est pas neutre. les sciences humaines ne sont pas neutres, c'est un leurre en général ceux qui disent qu'ils sont neutres c'est qu'ils sont boites et franchement c'est pas juste la phrase de Alain, ça se vérifie concrètement, donc oui je suis une historienne de gauche et c'est pour ça que je travaille sur les rapports de domination, c'est pour ça que je fais l'histoire des luttes, c'est pour ça que je fais l'histoire des dominés et c'est un choix politique et militant, après je l'ai fait avec une méthode d'historienne et avec une discipline et une éthique historienne

  • Speaker #0

    Et donc tu viens de publier... Un nouvel ouvrage qui s'intitule On s'est battu pour les gagner, histoire de la conquête des droits en France Tu nous plonges de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789 à la constitutionnalisation de l'IVG en 2024, donc très récent. Tu retraces l'histoire de ces luttes passées et présentes et tu soulignes le caractère collectif et continu de ces combats. Pourquoi ce livre ? Tu en as fait plein. Pourquoi celui-là maintenant ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que vraiment ce qui m'a donné envie de le faire, c'est le mouvement du... printemps, même jusqu'à l'été dernier, contre la loi retraite, auquel j'ai évidemment ardemment et pleinement participé. J'avais vraiment la sensation qu'il y avait une nécessité de rappeler cette lutte longue. Alors, le cas de la retraite, c'est qu'on est dans les droits des travailleurs et des travailleuses, mais de façon générale, ce on s'est battu pour la gagner qui est un slogan de la manif, la retraite à 60 ans, on s'est battu pour la gagner, on se battra pour la garder. Je me suis rendue compte que je l'avais dit pour plein de choses. Le nombre de fois où j'ai crié ça dans la rue avec d'autres manifestants et manifestantes. J'ai eu besoin, un peu, parce que j'ai beaucoup fait de travaux sur les luttes féministes, et là j'avais envie de revenir plus largement aux droits humains concernant les hommes et les femmes, et remettre un peu plus de social que j'avais pu le faire, même si je fais attention à le faire aussi quand je fais de l'histoire des femmes et du féminisme. Voilà, il y avait cette espèce... d'urgence dans un contexte d'atteinte à ces droits-là. Et parce que le gouvernement actuel porte atteinte aux droits sociaux et aux droits des travailleurs et travailleuses, et qu'il y a des protestations, pour empêcher ces protestations, il y a une atteinte aux droits politiques même, aux droits fondamentaux. Donc tout est en lien. J'ai eu ce besoin de le faire. Même si c'est quelque chose que je faisais régulièrement, l'histoire des luttes, j'ai fait beaucoup d'émissions sur art et sur images en les racontant. Ce n'est pas nouveau, mais là, il y avait une espèce d'urgence. Peut-être parce que, est-ce qu'on a perdu ? Oui, on a perdu au sens où la loi est passée. On n'a pas complètement perdu parce que justement, ce qui s'est créé comme collectif, comme besoin de changement, la force qu'il y a eu dans ce mouvement, elle n'est pas partie.

  • Speaker #0

    Et est-ce que l'urgence, c'était aussi de rappeler que des fois, on gagne ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est vrai. Ça faisait partie du chose, je disais, c'est peut-être aussi lié au fait qu'on a perdu. Mais dans l'histoire des luttes, on perd des fois, mais on gagne au coup d'après. En fait, il ne faut pas, on a perdu une bataille, mais on n'a pas perdu la guerre. C'est vrai aussi en histoire des luttes. Donc, il ne faut pas se décourager. Pour l'avoir, la retraite, il a fallu du temps, des années, des années, des années, des années de lutte avant qu'elle se mette en place sous l'égide de Croizat. Mais grâce aux militants et militantes de la CGT, maintenant, il faut recommencer.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu pourrais me citer une lutte qui a gagné rapidement ?

  • Speaker #1

    Waouh, non. Alors si, tu as des luttes, mais pas des luttes pour les droits. Évidemment, tu as des luttes sectorielles qui gagnent rapidement. Je veux dire, il y a des grèves, même une semaine de grève, et bing, là, je peux t'en citer plein. Mais des luttes d'ampleur pour arracher des droits nouveaux qu'il faut d'abord concevoir, imposer, dont il faut imposer la légitimité, là, c'est beaucoup plus long. Après, tout dépend. Il y a des moments d'accélération. C'est sûr que les droits de l'homme, tels qu'ils sont formulés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Bastille tombe le 14 juillet, la Déclaration est rédigée le 26 août. On pourrait se dire que c'est rapide, sauf qu'en fait, derrière, il y avait un travail long de conceptualisation de ces droits. Et voilà, souvent, tu as une accélération finale. On pourrait dire que le droit à l'avortement... On est entre 1971 et 1974, c'est rapide. Sauf qu'en fait, justement, c'est ça que j'essaie de montrer dans le bouquin. Cette question du droit à l'avortement, elle plonge ses racines dans des revendications de la fin du XIXe siècle. Donc, ça faisait longtemps.

  • Speaker #0

    Et donc, l'importance du temps long et aussi l'importance du collectif dans les victoires ?

  • Speaker #1

    Alors ça, c'est deux choses extrêmement importantes. Même si le temps long, l'historien ne dirait pas que c'est le temps long. Parce que tu sais, le temps long pour l'historien, c'est vraiment plusieurs siècles. Là, moi, je travaille sur aller le max 150 ans avant d'obtenir quelque chose, genre le droit de voter femme. Sinon, quelques décennies, c'est du temps moyen, on va dire, pour un historien ou une historienne. Mais à l'échelle d'une vie, c'est long. Tu as des gens qui vont mener des luttes et qui vont mourir avant qu'elles l'emportent. Et je pense en permanence, quand je croise des personnages qui ont mené des luttes importantes et qui sont morts avant qu'elles soient formalisées en termes de loi, je me dis mais quelle tristesse. C'est quoi ? Quand tu penses qu'à trois ans près, il l'aurait vu ou elle l'aurait vu. Donc oui, plus que le temps long, gérer la tenacité, en fait. La tenacité et la transmission d'expérience et remettre en permanence l'ouvrage sur le métier. Le collectif, là, il est essentiel et il peut prendre des formes variables. C'est sûr qu'à partir du XXe siècle, comme il y a des collectifs qui s'institutionnalisent parce qu'ils sont autorisés, il faut bien voir qu'au XIXe siècle, tu n'as pas le droit ni d'association politique, ni d'association en général, ni d'association professionnelle. Mais... C'est vrai qu'une fois connaissent les syndicats, les associations et les partis, ça aide la lutte. Alors, des fois, ils ne sont pas forcément des alliés, mais en général, ça aide la lutte. Reste qu'avant, on a des formes de collectifs qui n'ont pas ces formes contemporaines et qui sont les nôtres, mais qui fonctionnent aussi.

  • Speaker #0

    Et sur le lien entre collectif et tête de file, chef, chef-e, il y a toujours des leaders ?

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas toujours des leaders. Par exemple, là. dans la commune, il n'y a pas vraiment de leader. Il y a plein de moments où il n'y en a pas et souvent, c'est des choix. Ce qui est marrant, c'est que c'est assez sinusoidal dans l'histoire. Il y a des moments où il y a des besoins de leader qui peuvent correspondre à des traditions politiques. Par exemple, en politique, on a eu du mal à se dégager de la référence monarchique. Une fois le roi à la fois tombé et décapité, il fallait bien trouver d'autres leaders à la place et ensuite... Il y a justement un besoin de se détacher des leaders, puis ça revient. Paradoxalement, le lénisme a beaucoup joué dans la valorisation de la figure du leader, parce que même s'il y a l'idée du parti qui pourrait l'emporter, mais l'avant-garde, au bout du compte, elle se retourne à zé vite avec un leader et deux, trois personnes autour. Et on retrouve ça plus dans les traditions libertaires, qui se passent plus de leaders. Et dans les mouvements les plus récents, les mouvements Occupy, on a vu ça aussi même dans les Gilets jaunes, il y a au contraire un besoin de ne pas avoir de leader. Lorsque Nuit Debout, même si concrètement ça n'a pas eu de débouché, mais Nuit Debout travaillait énormément à ce qu'il n'y ait surtout pas une figure de leader, homme ou femme, qui se dégage. Donc là, on est plutôt dans un moment où il y a une demande d'absence de leader. C'était terriblement organisé. Moi j'étais très engagée dans Nuit Debout. Il y avait des commissions, des commissions qui se réunissaient tous les jours, qui discutaient des rapports des commissions le soir. C'était en fait, pour avoir été dans un parti avant Nuit Debout et ensuite à Nuit Debout, il y avait de l'organisation dans les deux, je dirais presque même plus dans Nuit Debout. Et finalement l'horizontalité, quand elle est réelle, elle implique beaucoup plus de... d'organisation que la verticalité, parce que la verticalité, ça décide en haut, ça applique en bas. Quand c'est horizontal, il faut tout à fait s'organiser pour que tout le monde soit en accord ou en connaissance des décisions qui sont prises. Donc c'était très organisé. Nuit Debout était comme le mouvement syndical qui l'accompagnait contre la loi travail laquelle est passée. Enfin, ça fait un petit bout de temps que ça ne suffit plus de faire des manifs monstres, d'être soutenu par l'opinion publique, ce qui pose tout un tas de problèmes. quant à la crise démocratique qui est la nôtre, mais ça c'est une autre question. Nuit Debout était plus un espace de réflexion sur le monde qu'il faudrait changer, contre la loi travail et son monde, et c'est un espace dans lequel on a pensé un autre monde. Donc on était plus dans la pépinière, mais il n'y avait pas de revendications absolument immédiates. Donc c'est difficile de dire que Nuit Debout a perdu. Ça s'est essoufflé, mais ça a quand même été assez long, c'est resté longtemps, et il y a des choses qui ont été récupérées par la suite. On m'a... Je fais un peu partie de ceux qui considèrent que même quand on a perdu, c'est-à-dire que la revendication n'est pas suivie de fait, on ne perd pas en fait, on ne perd jamais. Tous ceux qui se gagnent dans un mouvement de contact, de conscientisation, de politisation des gens, de légitimation de l'action politique ou sociale, c'est jamais perdu.

  • Speaker #0

    Tu disais que maintenant, ça ne suffit plus de faire des manifestations monstres, etc. Est-ce que tu as des stratégies oubliées qui ont réussi à une certaine époque ?

  • Speaker #1

    J'allais dire la barricade. Objectivement, la révolution, ça marchait pas mal. En tout cas, sur le temps court, ça permettait d'obtenir des choses. Le problème, c'est que ça casse un peu des œufs. Ce qui tient, c'est de recommencer, recommencer, recommencer, se rebattre, redemander, justement, alterner des moments d'organisation pacifique et soit de recours à la violence, soit de risque de recours à la violence. C'est la tenacité qui gagne. Et là, ça gagne. Franchement, il n'y en a pas un des droits qui n'a pas fini par être arraché.

  • Speaker #0

    Et si tu as une anecdote dans ton livre que tu trouves intéressante, un personnage, une histoire qui pourrait nous inspirer aujourd'hui, ça serait laquelle ?

  • Speaker #1

    Mon premier réflexe, parce que c'est ce que je connais le mieux, c'est de penser aux mobilisations féministes. Et une que j'aime particulièrement, c'est tous les avortements carmanes qu'il y a autour du MLAAC, puis du planning, et donc de ces femmes qui se sont organisées de façon très sororelle pour avorter des femmes et pour les avorter dans des conditions qui soient en plus très chaleureuses et qui s'accompagnent d'une découverte de son corps, de self-help, etc. Et cette espèce d'énergie dont on bien compte le film Annie Colère. J'étais super contente quand le film est sorti parce que j'ai toujours enseigné ces avortements carmades, j'ai toujours essayé d'en parler mais personne ne connaissait. On avait juste l'histoire de les grandes mobilisations, les manifs et puis Simone Veil qui pose sa loi. Toute cette désobéissance civile, qui sont vraiment les avortements carmanes, et toute cette énergie, toute cette joie qu'il y a eu autour, a été complètement invisibilisée dans les récits des luttes. Donc voilà, c'en est une qui me tient à cœur en tant que femme et en tant que féministe. Maintenant, en travaillant sur ce bouquin, il y en a plein d'autres qui sont revenus. Il y en a qui sont dramatiques, les grèves de la fin des sans-papiers, quand on lit leur histoire. Là, j'y pense qu'on vient de fêter le triste anniversaire. de l'église Saint-Bernard, de l'évacuation très violente de l'église Saint-Bernard. Voilà, c'est des choses qui marquent aussi. Il y a des luttes très impertinentes et extrêmement joyeuses au sein des milieux. Alors là, c'est les milieux LGBTQIA+, mais c'était vraiment à ce moment-là plutôt les milieux homos. Enfin, le phare et les gouines rouges, dès qu'on lit là-dessus, c'est génial d'impertinence. Il y a quelque chose d'assez jouissif à suivre ces luttes. Mais voilà, les grandes grèves, c'est beau aussi. les grandes grèves de la fin du XIXe siècle, la grève générale de 1906. Pareil, quand on se plonge dans les sources, moi, j'ai des larmes qui me montent aux yeux à chaque fois.

  • Speaker #0

    Donc, il y a des luttes joyeuses. Puis, il y en a d'autres, tu le disais, qui connaissent la répression. Actuellement, peu de manifs se terminent joyeusement sur nos places parisiennes. Tu as quel regard sur ces répressions de mobilisation sociale qu'on connaît depuis quelques années ?

  • Speaker #1

    Un regard extrêmement préoccupant. inquiet D'abord en raison des droits, c'est-à-dire que c'est un droit depuis 1789 que de manifester son opinion, qui plus est de façon pacifique. C'est des manifestations pleinement pacifiques, qui sont noyées sous les gaz lacrymo et les grenades de désencerclement. Quand bien même les médias, les chaînes Bolloré voudraient nous faire croire le contraire en bloquant leurs caméras sur la seule poubelle qui brûle. Donc voilà, je trouve ça... extrêmement inquiétant. Je trouve ça inquiétant aussi parce que quand on ferme les répertoires d'action légaux et pacifiques, il ne reste plus que les répertoires d'action illégaux et possiblement violents. Et que donc, en faisant ça, les pouvoirs jouent aux apprentis sorciers et mettent des gens en danger. Donc ça, ça me préoccupe profondément. Et puis ça me préoccupe comme démocrate. C'est-à-dire que des mouvements soutenus massivement... justifié par un corpus qui s'appuie sur des recherches, etc. Quand même, le mouvement pour les retraites, c'est des semaines, je ne sais plus combien de semaines, mais 15 semaines de manifestations permanentes, des grèves importantes, un soutien de l'opinion publique à la hauteur de 70-80% de soutien de gens, et tout ça pour déboucher sur un 40-3 expédié et des violences sur la place de la Concorde. Ce n'est pas possible dans une démocratie, en fait. Dans une démocratie, on aurait dû effacer la réforme retraite.

  • Speaker #0

    Et sur cette crise démocratique, j'imagine que ton regard d'historienne en a vu d'autres. Est-ce que tu fais des parallèles sur ce qu'on vit actuellement ? Et juste pour donner un élément de contexte, au jour où on enregistre cet épisode, nous n'avons toujours pas de Premier ministre. Est-ce que ça t'inquiète ou en tout cas, est-ce que tu as un regard particulier avec des clins d'œil sur d'autres moments historiques ?

  • Speaker #1

    Oui, ça m'inquiète, mais je crois que même les gens à droite ont l'air de commencer à être inquiets. Alors oui, en tant qu'historienne, ça me fait penser à deux choses. J'ai l'impression que se percutent deux traditions de nos régimes politiques et qui se retrouvent là. La première, c'est une tradition césariste. Il y a du Bonaparte, il y a du Napoléon dans la pratique de Macron. D'abord, ce besoin autocratique, au bout du compte, de gouverner tout seul. Cet écrasement des libertés, les deux régimes ont été des moments liberticides, tout en se revendiquant de la légitimité des urnes. Alors là, il est un peu plus emmerdé puisque les urnes se sont retournées contre sa formation. Mais pendant très longtemps, l'argument, c'est toujours élu, élu, élu, j'ai été élu, j'ai été élu, vous verrez aux prochaines élections. Et moi, ça me fait penser à une phrase de Napoléon III après le deuxième plébiscite, parce que Napoléon III se fait plébister, c'est-à-dire qu'il organise des référendums, mais qu'il tourne de telle sorte que le oui l'emporte et que ce oui... ne permettent pas d'accepter ou de refuser une mesure, mais de renforcer sa propre légitimité comme chef d'État. Et Napoléon III disait Je veux bien être baptisé par le suffrage universel, mais je ne veux pas vivre les pieds dans l'eau. Et franchement, je vois très bien Macron penser exactement la même chose. Donc il y a un côté césariste. Et l'autre chose, c'est que pour moi, et d'ailleurs je suis assez contente parce qu'avec ce que font les macronistes en ce moment, ça va être mon cours de première année en histoire politique de l'Europe, va être facilité parce que je passe mon temps à expliquer aux étudiants que les libéraux et les démocrates, ce n'est pas la même chose. Au XIXe siècle, certes, ils peuvent s'unir parfois pour attaquer les monarchistes, mais ils sont profondément opposés. Les libéraux sont contre la démocratie. Ils ne sont pas démocrates au XIXe siècle. Ils ne sont pas pour le suffrage universel, fut-il que masculin à l'époque. Ils sont pour le suffrage censitaire, c'est-à-dire que c'est seulement ceux qui payent le plus d'impôts qui ont le droit de vote. Ils sont favorables aux libertés fondamentales, presse, etc. mais ils mettent en place des dispositifs financiers qui font que seuls les plus riches peuvent ouvrir un journal, écrire un journal, voire lire un journal. Donc, il n'y a pas de culture démocratique au cœur du libéralisme politique et économique qui est porté par la famille des libéraux. Et en 1848, les libéraux sont bien obligés de faire avec le suffrage universel. Ils font avec pendant trois ans, parce que dès qu'ils reviennent au pouvoir, ils l'éliminent. Et ils empirent à nouveau les ouvriers. Ils vont essayer d'une... pas l'adopter en 75, quand est installée la troisième république, mais voilà on peut plus faire semblent suffraient universel. Donc ils inventent la démocratie libérale, mais en fait les libéraux ne sont pas de nature démocratique dans leur histoire. Et là c'est ce qu'on voit tous, que ce soit les macronistes ou la droite libérale, qui ont une politique libérale, voilà c'est très clair, là les questions sociales leur échappent complètement et... Les libertés économiques pour elles sont beaucoup plus importantes que les libertés politiques. Et quand ils n'arrivent plus à maîtriser ce suffrage universel, désormais universel, et qu'ils se retournent contre eux, qu'ils s'assoient dessus. Donc, on est finalement... Moi, je sais, quand j'essaie d'expliquer aux étudiants que les libéraux ne sont pas les démocrates, ils les confondent tout le temps. Alors là, c'est dans les copies, c'est la confusion permanente. Je n'arrête pas de leur dire, non, ce n'est pas pareil, je fais des tableaux. Mais là, ça va être facile. Je vais dire, regardez, franchement, quand il y a une élection, ça ne marche pas. Parce que des fois, je leur parle du TCE, mais ils ont un peu oublié, surtout, ils ne s'étaient pas nés.

  • Speaker #0

    Et donc, une solution pour sortir de cette démocratie libérale ?

  • Speaker #1

    Il faut de la démocratie sociale. La seule solution pour sortir, en tout cas par le haut, de la démocratie libérale, c'est de remettre de la démocratie sociale. Et ce que les communards appelaient la démocratie réelle, la vraie démocratie. Mais de fait, pour moi, la vraie démocratie, elle est forcément sociale, comme pour toute la famille des démocrates sociaux. Mais c'est ça aussi, il faut comprendre que la démocratie est multiple, la République est multiple. Donc la solution, elle est de renforcer le camp des démocrates sociaux.

  • Speaker #0

    Une dernière question. Ce podcast, c'est un clin d'œil à l'urgence de faire vivre l'espoir qu'un autre monde est possible et au-delà de l'espoir de faire aboutir cet autre monde. C'est quoi aujourd'hui l'espoir de Mathilde Larre ?

  • Speaker #1

    Là tout de suite, c'est le cessez-le-feu à Gaza. Je crois que vraiment, puis en Ukraine, c'est vraiment ça. C'est le premier truc qui me vient à l'idée, qui est une prise de conscience de l'effondrement climatique. Moi là, je trouve ça dingue, l'absence de réaction. Et... qui se voit au quotidien. Enfin, voilà, tu veux prendre le train, ça coûte super cher et l'avion coûte pas cher. Mais à quel moment on change pas des trucs comme ça ? Après, voilà, j'aimerais que l'hôpital se redresse, que l'école se redresse. J'aimerais qu'on ferme toutes les chaînes boulorées, entre autres. Mais tellement d'autres choses.

  • Speaker #0

    Merci, Attilde.

  • Speaker #1

    De rien.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer, espérons ensemble un lieu plus juste. N'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorne et je vous dis à très bientôt.

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