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3. Ulysse Rabaté : Streetologie

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28min |08/10/2024
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3. Ulysse Rabaté : Streetologie

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28min |08/10/2024
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Description

Invité : Ulysse Rabatté


Dans cet épisode, Ulysse Rabatté nous emmène à la découverte des dynamiques des quartiers populaires. Avec son concept de streetologie, il nous invite à dépasser les clichés et à comprendre la richesse politique et culturelle de ces territoires souvent stigmatisés.


Nous abordons la place des quartiers populaires dans les discours politiques, leur instrumentalisation, et l’importance de valoriser les résistances et solidarités qui s’y construisent. Une discussion pour réaffirmer que ces espaces sont au cœur des luttes sociales et d’un avenir à réinventer.




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Si cet épisode vous a inspiré·e ou donné des clés pour mieux comprendre les enjeux actuels, n’hésitez pas à le partager autour de vous. Vous pouvez aussi soutenir le podcast en laissant une note 5 étoiles sur votre plateforme d’écoute préférée ou en écrivant un petit commentaire.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Cisorne et vous écoutez le podcast Au revoir, votre Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer, partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Ulysse Rabaté.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors Ulysse, tu es chercheur en sciences politiques à l'université Paris VIII, spécialiste des formes d'engagement politique au sein des classes populaires. Tu as été élu, tu es militant, tu as été un opposant au système de corruption du milliardaire Serge Dassault à Corbeil, ce qui n'est pas rien. Et récemment, tu nous proposes un nouveau livre, un stritologie qui est ton... Troisième ouvrage. Alors Ulysse, première question un peu basique, c'est quoi la stritologie ?

  • Speaker #1

    La stritologie, je le définis assez simplement, c'est la maîtrise d'une connaissance d'un mode de vie particulier, qui est celui de la sphère publique des quartiers populaires, que j'appelle la strite. La maîtrise de ces connaissances peut se transformer en pratique, en engagement, en discours politique. Et donc le travail de la stritologie, c'est... de montrer, de donner à voir, de révéler, comme disait Pierre Bourdieu, une forme de compétence politique qui serait ancrée dans la connaissance du mode de vie quotidien, ordinaire des quartiers populaires.

  • Speaker #0

    Et alors, pourquoi ce livre maintenant ?

  • Speaker #1

    Déjà parce que c'est très présent, notamment dans l'introduction du livre. J'essaie de décrypter ce que j'appelle la centralité politique des quartiers populaires, c'est-à-dire que les quartiers aujourd'hui sont… partie prenante de la vie politique française. Et je dirais même que souvent, beaucoup de discours, que ce soit les discours dominants ou au contraire les discours de résistance dans le champ politique, tournent autour de cette question des quartiers populaires. Et donc, je considère que ce soit le monde politique, mais aussi le monde de la recherche, n'est peut-être pas forcément à la hauteur de cette centralité. Et donc, pourquoi maintenant ? L'idée, c'est évidemment de progresser. déjà dans la connaissance des quartiers populaires, puisque cet ouvrage, c'est un ouvrage scientifique qui repose d'abord sur de la matière empirique et sur une enquête, cette partie très particulière du monde social que sont les quartiers. Donc l'idée, c'est de progresser en termes de connaissances, mais comme le dit le titre de l'ouvrage, c'est que mieux connaître les quartiers, c'est aussi mieux connaître le savoir qui s'y forme, et donc d'une certaine manière les redécouvrir d'un point de vue politique.

  • Speaker #0

    Dans ton livre, tu questionnes beaucoup ce rapport aux politiques et ce rapport aussi au monde politique politicien. En remettant en cause notamment le fameux rendez-vous manqué entre gauche, quartier populaire, etc., que tu peux préciser cette pensée ?

  • Speaker #1

    En remettant en cause cette idée du rendez-vous manqué, j'ai une formule qui pose ce qu'elle vaut, mais elle dit qu'il faut sortir du dilemme entre le divorce et la lune de miel. C'est-à-dire que quand on parle des quartiers populaires, soit on est dans le discours de la rupture, soit au contraire on est dans un espèce de discours démagogique où les quartiers seraient acquis à la gauche, etc. Ce que j'essaie de montrer dans le livre, c'est déjà qu'il y a une longue histoire maintenant en France d'interactions, de relations entre les quartiers populaires et le monde politique, principalement la gauche, et que cette longue histoire, en fait, elle est sans cesse niée dans ce discours qui consisterait à soit déplorer qu'il n'y a plus rien, soit au contraire à s'enflammer sur une espèce de rencontre presque magique entre la gauche et les quartiers. Au contraire, moi je pense qu'il faut redécouvrir un ensemble de pratiques politiques des actrices et des acteurs des quartiers ont joué aussi stratégiquement des logiques du champ politique, soit pour s'y insérer, soit pour y faire avancer des causes. Il y a aussi toute une histoire évidemment des mobilisations des quartiers populaires qui, on va dire dans la lecture traditionnelle, part de la marche pour l'égalité contre le racisme de 1983 et qui se poursuit aujourd'hui à travers les luttes contre les violences policières, voire... parce que je travaille un peu dans mon ouvrage, les listes citoyennes issues des quartiers dans de nombreuses villes populaires, etc. Donc voilà, toute cette histoire-là, elle remet complètement en cause, finalement, un prisme un peu simpliste. Je pense très sincèrement que ça résonne beaucoup avec l'actualité d'aujourd'hui. Si on prend les récents débats, notamment ce que j'ai appelé avec Abdel Yassine, le faux clash entre Mélenchon et Ruffin autour de la question des quartiers, je pense que là, on est au cœur de ce que j'essaye de... de décrypter dans ce rite au logis, c'est-à-dire qu'il faut arrêter d'enfermer les quartiers populaires dans les débats qui sont en fait les débats internes du champ politique pour accéder à une connaissance du réel des quartiers. Mais là, je pense que pour le coup, ça a beaucoup de conséquences politiques qui remettent en cause beaucoup de discours établis à gauche.

  • Speaker #0

    Et même dans ce faux clash, je pense qu'il y a aussi une caricature sur les campagnes, la ruralité, etc. Pour avoir grandi dans un village normand et après avoir vécu longtemps en banlieue parisienne, il y a tellement de thématiques qui se recoupent aussi. La question du service public, la question de la dignité, la question de bien vivre. Il y a tellement de thématiques qui se rejoignent. Alors évidemment avec des univers militants différents, mais comment on pourrait malgré tout contrer ce discours ? sur cette opposition banlieue-campagne et faire en sorte qu'on s'en sorte n'importe où en France ?

  • Speaker #1

    Cette opposition, on est beaucoup aujourd'hui à essayer justement de la déconstruire, y compris parce que je pense que la première chose à dire pour répondre à ta question, c'est quand même qu'il y a un espèce d'implicite dans cette opposition qui, disons-le, est un implicite pour moi. nourris par le contexte d'influence de l'extrême droite dans les débats publics aujourd'hui. C'est-à-dire que pour moi, l'opposition quartier-campagne, elle résonne de façon transformée et implicite dans une opposition entre monde issu de l'immigration et petits blancs des campagnes. C'est pour ça que, selon moi, il y a une responsabilité importante de ceux qui portent cette opposition à nourrir finalement un discours qui, pour moi… résonne plutôt avec l'influence de l'extrême droite dans le débat public, donc ça c'est la première chose. La deuxième, c'est qu'évidemment, pour aller dans le sens de ce que tu as dit, c'est qu'il y a du commun dans la mise à l'écart, il y a du commun dans la domination, il y a du commun dans la mise au banc des logiques dominantes de la société, mais ça c'est l'histoire de la gauche quand même, d'avoir toujours construit un espace de revendication qui fait se rencontrer différentes, allez, ce qu'on va appeler… pour continuer un peu avec Pierre Bourdieu, des différentes formes de souffrance sociale, évidemment qu'elles peuvent se rencontrer dans un prisme politique commun et qu'aujourd'hui, sur tout un tas de problématiques, on peut trouver des continuités entre ce qui se passe dans ce qu'on va appeler la ruralité, même si c'est un essentialisme, et ce qu'on va appeler les banlieues, même si là encore c'est un essentialisme. Mais ce qui est sûr, c'est que ces continuités-là, il faut trouver les espaces pour les faire s'exprimer. Et là, pour le coup, c'est quelque chose dont je parle aussi dans Straitologie, c'est-à-dire que la culture des quartiers populaires, la culture qui s'est formée dans les quartiers populaires, elle est aujourd'hui très présente dans la société française et d'ailleurs, elle déborde complètement géographiquement les frontières de ces quartiers. C'est-à-dire que, pour le dire clairement, il y a beaucoup de lieux dans la société où on reprend les codes des quartiers populaires, où on reprend les manières de s'y exprimer, où on reprend… sa musique, notamment à travers le rap. Et donc, on voit bien qu'il y a une résonance, finalement, dans le discours revendicatif qui peut être issu de la culture des quartiers et ce qui se passe ailleurs dans la société. Sinon, il n'y aurait pas cette résonance-là. Et donc, je pense qu'il y a comme ça des espaces cognitifs, culturels à investir et que la gauche, parfois, a encore un peu trop de pudeur de gazelle pour reprendre. d'expression consacrée, à se dire qu'il faut utiliser aussi ces vecteurs-là et ces leviers-là pour créer du commun. Et je pense que de ce point de vue-là, la culture des quartiers a encore beaucoup à apporter à l'architecture intellectuelle de la gauche.

  • Speaker #0

    Et selon toi, la gauche ne le fait pas par électoralisme ?

  • Speaker #1

    Je pense surtout qu'elle ne le fait pas parce que… Parce qu'elle est portée par un ordre culturel, la gauche, qui est plutôt issue du mouvement ouvrier, de ce qui s'est consolidé au XXe siècle, autour de la définition de ce que serait une culture de gauche, ce que serait une parole politique de gauche, et que tout un tas de nouvelles pratiques, notamment parce qu'elles viennent aussi de fractions des classes populaires qui ont été longtemps écartées de la sphère publique, je pense que la gauche a tout simplement du mal à accepter la légitimité de cette parole. Et là, de ce point de vue-là, l'histoire. politique des quartiers le montre très bien, c'est-à-dire qu'il y a énormément de pratiques, de discours qui, si on les regarde objectivement avec l'outil que sont les sciences sociales, qui sont des pratiques politiques, mais qui pour l'instant ne sont pas du tout reconnues comme telles encore par ceux qui détiennent, on va dire, les clés d'entrée du champ politique. qui émergent dans les quartiers de ce point de vue-là, c'est toujours aussi un petit peu alternatif par rapport à la définition dominante de ces nouvelles mobilisations, c'est-à-dire que le combat féministe dans les quartiers prend peut-être une autre forme que la définition consacrée, même s'il n'y en a pas une seule, du combat féministe dans la culture de gauche. Je pense que là encore, il y a aussi beaucoup de choses à découvrir sur la manière dont, tout simplement… Des générations successives de femmes se sont attelées à déconstruire des modes de domination qui se croisaient dans les quartiers, peut-être plus qu'ailleurs. Et donc là, de ce point de vue-là, je pense qu'il y a une dimension aussi ascendante dans la définition des modes d'engagement qui est très intéressante et qui est importante, à mon avis, à valoriser. Parce que c'est vrai que le discours féministe aussi est utilisé pour discréditer, discriminer les modes d'engagement dans les quartiers populaires, et notamment aussi les modes d'engagement des femmes. Et donc du coup, ça je pense que c'est quelque chose qui est important à souligner, parce que dans beaucoup de débats que je fais autour du livre, justement c'est vrai que quand je fais des débats dans les quartiers, les jeunes femmes qui sont engagées, c'est toujours quelque chose qui revient beaucoup dans les discussions, c'est-à-dire comment faire valoir un engagement pour la place des femmes dans les quartiers, sans aller dans le sens des discours qui stigmatisent, notamment... la pseudo-domination masculine dans les quartiers populaires, etc. Et donc je trouve que là, il y a vraiment des choses très intéressantes à creuser. Même sur la question de l'antiracisme, etc., on sait bien que, notamment depuis la fin des années 1990, le début des années 2000, il y a quand même un renouveau de la pensée antiraciste qui naît aussi de la visibilisation des luttes des quartiers populaires et qui vient, entre guillemets, un peu politiser. un antiracisme qui est hérité plutôt de la culture des souhaits-racisme, etc. Donc de ce point de vue-là aussi, finalement, ce qui se passe dans le réel va complètement bouger ou redéfinir la manière dont on pensait la politique. Et puis, le livre aussi essaye vraiment pour le coup d'approfondir des pratiques que moi j'appelle les pratiques ordinaires dans les quartiers, c'est-à-dire des pratiques de solidarité qui se font au quotidien, souvent hors de tout champ institutionnel. parfois contre même l'idée que ces pratiques seraient politiques. En tout cas, ceux qui mettent en place ces actions revendiquent parfois la distance à l'égard de la politique. Et en même temps, dans ces pratiques-là se déploie une vision du monde et puis souvent aussi un engagement dans la sphère publique qui parfois peut aller même jusqu'à mettre le pied dans le champ politique. Donc de ce point de vue-là, je pense qu'il y a aussi… Là, pour le coup, je pense à une redéfinition de la politique telle que la culture de gauche l'avait établie, qui de toute façon se fait, même si on ne veut pas la mettre en avant, de toute façon, ça y est, elle s'affirme dans des villes que tu connais, de la région parisienne, dans le Val-de-Marne notamment. Des collectifs citoyens sont dans des majorités municipales. Parfois, des listes citoyennes issues des quartiers vont chambouler certains jeux politiques locaux, etc. De toute façon, cette transformation est… Elle est en marche. Après, la question, c'est ce qu'on avait dit dans une tribune, encore une fois, avec mon ami Abdel Yassine, c'est soit la gauche s'ouvre à cette culture politique-là, soit, nous on avait dit, soit elle meurt, je ne sais pas s'il faut être aussi pessimiste, mais soit en tout cas, elle continue dans ce qu'on pourrait considérer comme un décrochage à l'égard de certaines fractions des classes populaires.

  • Speaker #0

    Alors, dans ton livre, tu précises bien qu'il n'est pas question de stratégie politique. Malgré tout, je me permets de te poser cette question. Quelle serait la bonne stratégie ? Qu'est-ce qui a foiré ? Quelles seraient les bonnes pratiques entre l'univers politique, la gauche en particulier,

  • Speaker #1

    et les banlieues ? Déjà, j'essaierai que j'utilise cette formule à la fin de la conclusion. C'est un peu une punchline parce que je trouve que le mot stratégie politique, aujourd'hui, il est un petit peu galvaudé. En fait, tout le monde qui a un avis sur la politique, il va dire qu'il fait une proposition en termes de stratégie. Et je trouve que la surutilisation du mot stratégie est un peu contradictoire avec, selon moi, la... la désertion de beaucoup d'espaces politiques, y compris par ceux qui prétendent faire de la stratégie. L'idée de cette formule, c'était aussi de dire qu'il y a un retour à la pratique qui est quand même un petit peu inévitable. Je pense qu'il y a beaucoup d'intellectuels, mais pas seulement, aussi dans le monde militant, qui pour moi utilisent ce mot stratégie à tort et à travers, avec aussi parfois une mauvaise lecture de Gramsci. qui, voilà, c'est toujours important de le rappeler, n'a jamais considéré que la parole... qu'on va appeler intellectuelle, pouvait comme ça donner une influence sur la pratique. Et voilà, chez Gramsci, il y a toujours cette idée que la guerre de mouvement et la guerre de position, elles sont inséparables. Et donc, une parole stratégique, finalement, elle n'a aucun effet si elle ne se mêle pas aussi à une expérience pratique. Cette phrase sur la stratégie, c'est aussi pour dire ça, c'est pour dire, bon, le retour à l'expérience pratique, ça reste quand même la base. Et je pense qu'aujourd'hui, moi, Ce livre n'est pas là pour donner des conseils à la gauche, parce que j'ai l'habitude de dire que si j'ai un avis ou si j'ai quelque chose à faire avancer dans le champ politique, il y a la politique pour ça. Écrire des livres, participer aux débats intellectuels, participer aux débats scientifiques, produire du savoir, c'est quand même autre chose. En tout cas, en termes de champ d'action, ce n'est pas pareil. Et si tu veux, moi, sur les quartiers, tu auras compris que je suis... je ne considère pas que quelque chose a foiré, de la même manière que je ne considère pas que quelque chose a marché. Je pense que quand on décrit l'histoire du rapport Descartes-Yala-Gauche, on décrit une histoire conflictuelle, mais qui est, comme dirait Étienne Balibar, qui est non terminée. En tout cas, l'objectif du livre, sans être un conseil stratégique, c'est de dire qu'il y a une culture politique qui est à la porte de la gauche. Soit on considère qu'elle peut... redéfinir les contours de ce qu'est une action révolutionnaire au XXIe siècle, et auquel cas on fait vraiment en sorte qu'elle puisse faire cette tâche-là. Soit les portes continuent d'être fermées et on continue de penser que les quartiers sont un capital électoral facilement mobilisable dans les grands moments d'élection, mais on oublie de le penser comme un capital politique, c'est-à-dire un capital intellectuel, un capital pratique. Et là, je pense qu'on en est encore loin de cette ouverture-là, je suis sincère. Je pense qu'encore aujourd'hui, la majeure partie du champ politique, et je mets la gauche dedans, sonne très faux quand il parle des quartiers populaires. Il y a un énorme retard dans la reconnaissance de ce qu'ont produit politiquement les quartiers, ce que le MIB appelle le monde de l'immigration et des banlieues. Le livre, en tout cas d'un point de vue politique, il sert à accroître ce champ de connaissances, mais il ne donne pas de conseils sur le plan politique parce qu'il y a le champ politique pour ça.

  • Speaker #0

    Et en parlant de champ politique, tu en as été, tu as été conseiller municipal. C'est marrant parce qu'on a un petit peu le même parcours, c'est-à-dire qu'on a connu cet univers qui peut être très institutionnel de l'engagement politique pour après décorer autre chose. Toi, comment tu analyses un petit peu cette rupture de ton parcours, qui n'est pas forcément une rupture parce qu'évidemment... il y a une cohérence. Et est-ce que cette casquette universitaire a fait que ton regard a changé sur certaines idées préconçues ou pas que tu pouvais avoir avant ?

  • Speaker #1

    Bon, de toute façon, c'est une réflexion qui est au cœur de l'ouvrage et puis de mes recherches. C'est-à-dire que le précédent livre et celui-ci, ils explicitent ce qu'il faut appeler une rupture, même si après, il faut mettre du contenu dans ce qu'est cette rupture. le passage du point de vue militant au point de vue scientifique, c'est évidemment une rupture. Et d'ailleurs, si je ne dis pas que c'est une rupture, dans ce cas, il ne faut donner aucun crédit à ce que je produis en termes de connaissances dans mes travaux. Le principe quand même de la démarche scientifique, c'est l'objectivation des phénomènes qu'on étudie. Et donc, d'une certaine manière, cette objectivation, elle impose une rupture avec le point de vue militant. Voilà, moi, c'est vrai que je suis dans la tradition de la sociologie critique, et notamment de Pierre Bourdieu. Merci. Moi, je suis convaincu que la position détermine le point de vue. Et donc, évidemment, pour reprendre ce que tu as dit, quand on est militant politique, quand on est élu, le point de vue qu'on a est inévitablement déterminé par notre position, les intérêts en jeu, etc. Et le départ de ma recherche, moi, c'est d'interroger ce point de vue, y compris d'interroger ce point de vue militant. Voilà, moi, j'ai été… Tu l'as dit en introduction, moi, j'ai été… Dans l'opposition au système d'assaut, je me suis attaqué à ce qu'on peut appeler le système mafieux de corruption, mis en place par ce milliardaire pendant 20 ans à Corbeil-Essonne. J'avais un certain regard sur la corruption, sur la manière dont le clientélisme pouvait déterminer les rapports sociaux dans une ville, etc. Évidemment qu'en passant du point de vue scientifique, il y a tout un tas de phénomènes qui ont une autre allure, y compris… Des choses que j'appelais avant clientélisme, aujourd'hui je les appelle peut-être politisation. Quand un groupe de jeunes, ou de moins jeunes d'ailleurs, s'organise pour aller faire valoir ses intérêts auprès de la ville, et peut-être l'emporte auprès d'un pouvoir politique, quand je combattais ça en tant que militant, j'appelais ça clientélisme. Aujourd'hui, on peut aussi, avec un regard pour le coup un petit peu plus objectif, on peut mesurer que c'est aussi un jeu de négociation qui est très présent dans le champ politique, qui concerne beaucoup de monde, et qui, par plein d'aspects, ressemble juste à faire valoir des intérêts collectifs avec les méthodes de mobilisation qui sont à disposition d'un certain groupe social. C'est un exemple parmi d'autres que je te donne. L'idée, c'était aussi de se rendre compte que dans plein de choses que j'avais combattues pendant des années, il y avait aussi des pratiques politiques, des manières de voir le monde, parfois des manières aussi de contourner certaines formes de domination. Et le seul moyen, c'était de rentrer dans des types d'actions qui ne rentraient pas dans ce qu'on va appeler le catalogue traditionnel de la gauche. Donc voilà, tout un tas de remises en cause, pour le coup, de mon point de vue de militant de gauche. qui sont salvatrices. Alors, je ne dis pas que le modèle politique, c'est de renverser tout ce qu'on avait fait avec le mouvement ouvrier et de considérer qu'aujourd'hui, il faut juste repartir de ce qui se passe spontanément dans la société. C'est bien plus compliqué que ça. Je pense qu'on est dans un moment, on peut dire qu'on a eu un moment d'affirmation très fort et que le mouvement ouvrier en France et à l'international a permis une transformation radicale profonde. des rapports sociaux et puis même de notre rapport au monde. Et je pense d'ailleurs que dans ce qu'a produit le mouvement ouvrier au XXe siècle, il y a encore tout un tas de choses qui peuvent nous aider, par exemple, à repenser le combat écologique au XXIe, etc. Je ne pense pas du tout que ce logiciel est passé. Mais je pense par contre qu'il faut voir dans différents endroits dans la société la manière dont il est réapproprié, transformé. Et voilà, ne jamais oublier quand même que l'idée de la transformation sociale, c'est quand même l'idée que le point de vue des plus en difficulté, des plus dominés, c'est là que se situe la solution pour renverser l'ordre des choses. Et voilà, ne jamais oublier ça. Et donc moi, je considère aussi que quand je travaille sur les quartiers populaires, quand je travaille dans ce qui se produit politiquement dans les quartiers, je fais aussi un travail d'intérêt général.

  • Speaker #0

    Et quand on parle d'intérêt général, on pense au service public ? pour avoir longtemps travaillé en collectivité territoriale et pour travailler encore pour et avec les collectivités territoriales, on voit que cette question du lien avec les habitants quand même taraude beaucoup d'entre elles. Certaines tentent des choses, d'autres y arrivent plus ou moins, des fois par manque de moyens, par manque d'envie ou par manque de méthode. Il y a peut-être quand même un cap à franchir pour améliorer cette capacité d'écoute et de travail ensemble.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord avec toi, mais on pourrait prendre le problème dans l'autre sens et se dire aussi que les collectivités ont une expérience, justement, déjà de la prise avec le réel, avec les nouvelles formes d'engagement et de négociations politiques, etc. Et que, d'une certaine manière, cette expérience-là, et je vais parler des collectivités de gauche parce qu'on va dire que, dans ce podcast, on peut dire, je pense, que les collectivités de droite, ce n'est pas forcément ce qui nous intéresse d'abord. Je pense que les collectivités de gauche, notamment les villes populaires, ont aussi une expérience de dialogue, d'interaction avec certaines fractions des classes populaires et que malheureusement cette expérience n'est pas du tout assez valorisée dans ce qu'est la gauche aujourd'hui à l'échelle nationale. Je pense que l'expérience d'élus locales, j'en ai une, on a beaucoup d'expériences comme celle-ci qui peuvent apporter. à ce qui se construit nationalement à l'échelle de la gauche. Je pense, et là ce n'est pas faire insulte au rapport de force aujourd'hui au sein de la gauche française, mais je pense que cette expérience locale est peut-être moins présente, moins prégnante qu'elle ne l'a été par le passé. Et je pense qu'on y perd aussi du point de vue de la connaissance de certaines parties du réel, et notamment de la connaissance des quartiers populaires. Et je pense d'ailleurs que... tu vois, dépasser des débats comme celui du faux clash autour du rural quartier. Je pense que dans des débats comme ça, en fait, c'est aussi la parole d'élus locaux, de gens qui ont l'expérience du réel, de la pratique politique dans le réel, qu'il faut entendre. Les collectivités aujourd'hui, moi, je verrais plus vis-à-vis de tout ça, je vois leur expérience plus positivement, si tu veux, que me dire qu'est-ce qu'elles peuvent faire de mieux. Je pense qu'elles auront déjà beaucoup à apporter. au débat national à gauche. Moi, avec mon expérience d'élu municipal et en ayant beaucoup pensé la politique à partir de la ville, je pense que la ville reste un échelon démocratique incomparable en France. Si on prend mon objet d'étude, que sont les quartiers populaires, je pense que dans les quartiers, la ville, ça reste un repère, un repère politique, un repère évidemment identitaire dans le bon sens du terme. et que la ville crée un commun qui n'a pas vraiment d'équivalent en France. Dans la contestation de l'ordre des choses, ça peut être un levier très fort pour faire entendre la voix des classes populaires. Et là encore, je pense que la gauche française de 2024 peut faire beaucoup mieux dans faire vivre cette parole à l'échelle des villes.

  • Speaker #0

    Et on va bientôt être à fond dans ce sujet avec les prochaines élections municipales qui arrivent.

  • Speaker #1

    Voilà, tu m'as eu le mot de la bouche. Mais voilà, je pense en effet que les échéances municipales de 2026, ça doit vraiment être un grand moment de reconfiguration, y compris intellectuelle, pour la gauche en France. Il ne faut absolument pas considérer qu'on peut enjamber ces élections et passer directement à la présidentielle. Je pense que... y compris les grands moments de mobilisation qu'on a vécu, comme celui au début de l'été, au mois de juillet, au deuxième tour des élections législatives, je pense que ce sont des moments qu'il ne faut pas idéaliser. Il y a eu une mobilisation que j'appelle défensive, contre l'extrême droite, qui a surpris tout le monde, y compris la gauche, mais qui ne veut pas dire que les quartiers, puisque ils se sont beaucoup mobilisés, que les quartiers seraient acquis à la gauche, que c'est... cette mobilisation-là pourrait se reproduire de manière équivalente, voire de manière exponentielle, comme ça, sur un autre scrutin. Ça, je dois dire que je n'y crois pas. Moi, je pense qu'une mobilisation, pour le coup, je suis très marxiste pour ça, mais c'est des conditions matérielles qui permettent une conscientisation et le déploiement d'une action, et que dans les conditions matérielles nécessaires pour ce type de mobilisation, le travail politique… À l'échelle territoriale, il est primordial. Et donc, je pense que si on veut préparer 2027, le mieux, c'est d'être très fort en 2026, notamment dans les lieux, en effet, qui se sont mobilisés pour la gauche ces dernières années. Oui,

  • Speaker #0

    et ça ne suffira peut-être pas. Il faudra que ça se fasse, on va dire, une belle tâche d'huile pour que l'ensemble du pays s'inspire des modes de mobilisation. Merci, Ulysse. Une dernière question ? Ce podcast, il est là pour questionner ce qui va, ce qui ne va pas, mais aussi pour créer de l'espoir. Ce serait quoi ton espoir ?

  • Speaker #1

    Que cette question de la pratique politique redevienne un petit peu au centre des débats à gauche. C'est vrai que même si aujourd'hui je suis plus dans le champ intellectuel et des idées, je souffre beaucoup du fait que les discussions à gauche, finalement, soient souvent un petit peu confisquées ou en tout cas circonscrites, soit au monde intellectuel, soit au champ politique. qui considèrent être le plus renseignés sur ces questions. Et du coup, voilà, moi, s'il y a un espoir, c'est que les discussions qu'on a là, elles se disséminent dans une pratique à l'échelle ordinaire et qu'elles rencontrent finalement tout un tas de conversations qui sont toutes aussi politiques, mais qui se situent à l'échelle du réel. Je pense que pour reprendre le titre de l'ouvrage, moi, je considère que la politique est partout dans la street. et donc il faut que la politique telle qu'elle se définit de manière dominante, elle ouvre la porte à cette culture-là et je ne pense pas qu'il y aura des miracles parce que je ne crois pas aux miracles en politique je ne crois qu'à la pratique mais voilà, je pense qu'en tout cas là, dans les temps qui viennent, il y a peut-être des conditions qui sont plus propices à ce que cette porte s'ouvre et à ce que quelque chose se passe, donc voilà.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer à espérer ensemble vers le plus juste, n'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorn et je vous dis à très bientôt.

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Invité : Ulysse Rabatté


Dans cet épisode, Ulysse Rabatté nous emmène à la découverte des dynamiques des quartiers populaires. Avec son concept de streetologie, il nous invite à dépasser les clichés et à comprendre la richesse politique et culturelle de ces territoires souvent stigmatisés.


Nous abordons la place des quartiers populaires dans les discours politiques, leur instrumentalisation, et l’importance de valoriser les résistances et solidarités qui s’y construisent. Une discussion pour réaffirmer que ces espaces sont au cœur des luttes sociales et d’un avenir à réinventer.




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Si cet épisode vous a inspiré·e ou donné des clés pour mieux comprendre les enjeux actuels, n’hésitez pas à le partager autour de vous. Vous pouvez aussi soutenir le podcast en laissant une note 5 étoiles sur votre plateforme d’écoute préférée ou en écrivant un petit commentaire.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Cisorne et vous écoutez le podcast Au revoir, votre Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer, partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Ulysse Rabaté.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors Ulysse, tu es chercheur en sciences politiques à l'université Paris VIII, spécialiste des formes d'engagement politique au sein des classes populaires. Tu as été élu, tu es militant, tu as été un opposant au système de corruption du milliardaire Serge Dassault à Corbeil, ce qui n'est pas rien. Et récemment, tu nous proposes un nouveau livre, un stritologie qui est ton... Troisième ouvrage. Alors Ulysse, première question un peu basique, c'est quoi la stritologie ?

  • Speaker #1

    La stritologie, je le définis assez simplement, c'est la maîtrise d'une connaissance d'un mode de vie particulier, qui est celui de la sphère publique des quartiers populaires, que j'appelle la strite. La maîtrise de ces connaissances peut se transformer en pratique, en engagement, en discours politique. Et donc le travail de la stritologie, c'est... de montrer, de donner à voir, de révéler, comme disait Pierre Bourdieu, une forme de compétence politique qui serait ancrée dans la connaissance du mode de vie quotidien, ordinaire des quartiers populaires.

  • Speaker #0

    Et alors, pourquoi ce livre maintenant ?

  • Speaker #1

    Déjà parce que c'est très présent, notamment dans l'introduction du livre. J'essaie de décrypter ce que j'appelle la centralité politique des quartiers populaires, c'est-à-dire que les quartiers aujourd'hui sont… partie prenante de la vie politique française. Et je dirais même que souvent, beaucoup de discours, que ce soit les discours dominants ou au contraire les discours de résistance dans le champ politique, tournent autour de cette question des quartiers populaires. Et donc, je considère que ce soit le monde politique, mais aussi le monde de la recherche, n'est peut-être pas forcément à la hauteur de cette centralité. Et donc, pourquoi maintenant ? L'idée, c'est évidemment de progresser. déjà dans la connaissance des quartiers populaires, puisque cet ouvrage, c'est un ouvrage scientifique qui repose d'abord sur de la matière empirique et sur une enquête, cette partie très particulière du monde social que sont les quartiers. Donc l'idée, c'est de progresser en termes de connaissances, mais comme le dit le titre de l'ouvrage, c'est que mieux connaître les quartiers, c'est aussi mieux connaître le savoir qui s'y forme, et donc d'une certaine manière les redécouvrir d'un point de vue politique.

  • Speaker #0

    Dans ton livre, tu questionnes beaucoup ce rapport aux politiques et ce rapport aussi au monde politique politicien. En remettant en cause notamment le fameux rendez-vous manqué entre gauche, quartier populaire, etc., que tu peux préciser cette pensée ?

  • Speaker #1

    En remettant en cause cette idée du rendez-vous manqué, j'ai une formule qui pose ce qu'elle vaut, mais elle dit qu'il faut sortir du dilemme entre le divorce et la lune de miel. C'est-à-dire que quand on parle des quartiers populaires, soit on est dans le discours de la rupture, soit au contraire on est dans un espèce de discours démagogique où les quartiers seraient acquis à la gauche, etc. Ce que j'essaie de montrer dans le livre, c'est déjà qu'il y a une longue histoire maintenant en France d'interactions, de relations entre les quartiers populaires et le monde politique, principalement la gauche, et que cette longue histoire, en fait, elle est sans cesse niée dans ce discours qui consisterait à soit déplorer qu'il n'y a plus rien, soit au contraire à s'enflammer sur une espèce de rencontre presque magique entre la gauche et les quartiers. Au contraire, moi je pense qu'il faut redécouvrir un ensemble de pratiques politiques des actrices et des acteurs des quartiers ont joué aussi stratégiquement des logiques du champ politique, soit pour s'y insérer, soit pour y faire avancer des causes. Il y a aussi toute une histoire évidemment des mobilisations des quartiers populaires qui, on va dire dans la lecture traditionnelle, part de la marche pour l'égalité contre le racisme de 1983 et qui se poursuit aujourd'hui à travers les luttes contre les violences policières, voire... parce que je travaille un peu dans mon ouvrage, les listes citoyennes issues des quartiers dans de nombreuses villes populaires, etc. Donc voilà, toute cette histoire-là, elle remet complètement en cause, finalement, un prisme un peu simpliste. Je pense très sincèrement que ça résonne beaucoup avec l'actualité d'aujourd'hui. Si on prend les récents débats, notamment ce que j'ai appelé avec Abdel Yassine, le faux clash entre Mélenchon et Ruffin autour de la question des quartiers, je pense que là, on est au cœur de ce que j'essaye de... de décrypter dans ce rite au logis, c'est-à-dire qu'il faut arrêter d'enfermer les quartiers populaires dans les débats qui sont en fait les débats internes du champ politique pour accéder à une connaissance du réel des quartiers. Mais là, je pense que pour le coup, ça a beaucoup de conséquences politiques qui remettent en cause beaucoup de discours établis à gauche.

  • Speaker #0

    Et même dans ce faux clash, je pense qu'il y a aussi une caricature sur les campagnes, la ruralité, etc. Pour avoir grandi dans un village normand et après avoir vécu longtemps en banlieue parisienne, il y a tellement de thématiques qui se recoupent aussi. La question du service public, la question de la dignité, la question de bien vivre. Il y a tellement de thématiques qui se rejoignent. Alors évidemment avec des univers militants différents, mais comment on pourrait malgré tout contrer ce discours ? sur cette opposition banlieue-campagne et faire en sorte qu'on s'en sorte n'importe où en France ?

  • Speaker #1

    Cette opposition, on est beaucoup aujourd'hui à essayer justement de la déconstruire, y compris parce que je pense que la première chose à dire pour répondre à ta question, c'est quand même qu'il y a un espèce d'implicite dans cette opposition qui, disons-le, est un implicite pour moi. nourris par le contexte d'influence de l'extrême droite dans les débats publics aujourd'hui. C'est-à-dire que pour moi, l'opposition quartier-campagne, elle résonne de façon transformée et implicite dans une opposition entre monde issu de l'immigration et petits blancs des campagnes. C'est pour ça que, selon moi, il y a une responsabilité importante de ceux qui portent cette opposition à nourrir finalement un discours qui, pour moi… résonne plutôt avec l'influence de l'extrême droite dans le débat public, donc ça c'est la première chose. La deuxième, c'est qu'évidemment, pour aller dans le sens de ce que tu as dit, c'est qu'il y a du commun dans la mise à l'écart, il y a du commun dans la domination, il y a du commun dans la mise au banc des logiques dominantes de la société, mais ça c'est l'histoire de la gauche quand même, d'avoir toujours construit un espace de revendication qui fait se rencontrer différentes, allez, ce qu'on va appeler… pour continuer un peu avec Pierre Bourdieu, des différentes formes de souffrance sociale, évidemment qu'elles peuvent se rencontrer dans un prisme politique commun et qu'aujourd'hui, sur tout un tas de problématiques, on peut trouver des continuités entre ce qui se passe dans ce qu'on va appeler la ruralité, même si c'est un essentialisme, et ce qu'on va appeler les banlieues, même si là encore c'est un essentialisme. Mais ce qui est sûr, c'est que ces continuités-là, il faut trouver les espaces pour les faire s'exprimer. Et là, pour le coup, c'est quelque chose dont je parle aussi dans Straitologie, c'est-à-dire que la culture des quartiers populaires, la culture qui s'est formée dans les quartiers populaires, elle est aujourd'hui très présente dans la société française et d'ailleurs, elle déborde complètement géographiquement les frontières de ces quartiers. C'est-à-dire que, pour le dire clairement, il y a beaucoup de lieux dans la société où on reprend les codes des quartiers populaires, où on reprend les manières de s'y exprimer, où on reprend… sa musique, notamment à travers le rap. Et donc, on voit bien qu'il y a une résonance, finalement, dans le discours revendicatif qui peut être issu de la culture des quartiers et ce qui se passe ailleurs dans la société. Sinon, il n'y aurait pas cette résonance-là. Et donc, je pense qu'il y a comme ça des espaces cognitifs, culturels à investir et que la gauche, parfois, a encore un peu trop de pudeur de gazelle pour reprendre. d'expression consacrée, à se dire qu'il faut utiliser aussi ces vecteurs-là et ces leviers-là pour créer du commun. Et je pense que de ce point de vue-là, la culture des quartiers a encore beaucoup à apporter à l'architecture intellectuelle de la gauche.

  • Speaker #0

    Et selon toi, la gauche ne le fait pas par électoralisme ?

  • Speaker #1

    Je pense surtout qu'elle ne le fait pas parce que… Parce qu'elle est portée par un ordre culturel, la gauche, qui est plutôt issue du mouvement ouvrier, de ce qui s'est consolidé au XXe siècle, autour de la définition de ce que serait une culture de gauche, ce que serait une parole politique de gauche, et que tout un tas de nouvelles pratiques, notamment parce qu'elles viennent aussi de fractions des classes populaires qui ont été longtemps écartées de la sphère publique, je pense que la gauche a tout simplement du mal à accepter la légitimité de cette parole. Et là, de ce point de vue-là, l'histoire. politique des quartiers le montre très bien, c'est-à-dire qu'il y a énormément de pratiques, de discours qui, si on les regarde objectivement avec l'outil que sont les sciences sociales, qui sont des pratiques politiques, mais qui pour l'instant ne sont pas du tout reconnues comme telles encore par ceux qui détiennent, on va dire, les clés d'entrée du champ politique. qui émergent dans les quartiers de ce point de vue-là, c'est toujours aussi un petit peu alternatif par rapport à la définition dominante de ces nouvelles mobilisations, c'est-à-dire que le combat féministe dans les quartiers prend peut-être une autre forme que la définition consacrée, même s'il n'y en a pas une seule, du combat féministe dans la culture de gauche. Je pense que là encore, il y a aussi beaucoup de choses à découvrir sur la manière dont, tout simplement… Des générations successives de femmes se sont attelées à déconstruire des modes de domination qui se croisaient dans les quartiers, peut-être plus qu'ailleurs. Et donc là, de ce point de vue-là, je pense qu'il y a une dimension aussi ascendante dans la définition des modes d'engagement qui est très intéressante et qui est importante, à mon avis, à valoriser. Parce que c'est vrai que le discours féministe aussi est utilisé pour discréditer, discriminer les modes d'engagement dans les quartiers populaires, et notamment aussi les modes d'engagement des femmes. Et donc du coup, ça je pense que c'est quelque chose qui est important à souligner, parce que dans beaucoup de débats que je fais autour du livre, justement c'est vrai que quand je fais des débats dans les quartiers, les jeunes femmes qui sont engagées, c'est toujours quelque chose qui revient beaucoup dans les discussions, c'est-à-dire comment faire valoir un engagement pour la place des femmes dans les quartiers, sans aller dans le sens des discours qui stigmatisent, notamment... la pseudo-domination masculine dans les quartiers populaires, etc. Et donc je trouve que là, il y a vraiment des choses très intéressantes à creuser. Même sur la question de l'antiracisme, etc., on sait bien que, notamment depuis la fin des années 1990, le début des années 2000, il y a quand même un renouveau de la pensée antiraciste qui naît aussi de la visibilisation des luttes des quartiers populaires et qui vient, entre guillemets, un peu politiser. un antiracisme qui est hérité plutôt de la culture des souhaits-racisme, etc. Donc de ce point de vue-là aussi, finalement, ce qui se passe dans le réel va complètement bouger ou redéfinir la manière dont on pensait la politique. Et puis, le livre aussi essaye vraiment pour le coup d'approfondir des pratiques que moi j'appelle les pratiques ordinaires dans les quartiers, c'est-à-dire des pratiques de solidarité qui se font au quotidien, souvent hors de tout champ institutionnel. parfois contre même l'idée que ces pratiques seraient politiques. En tout cas, ceux qui mettent en place ces actions revendiquent parfois la distance à l'égard de la politique. Et en même temps, dans ces pratiques-là se déploie une vision du monde et puis souvent aussi un engagement dans la sphère publique qui parfois peut aller même jusqu'à mettre le pied dans le champ politique. Donc de ce point de vue-là, je pense qu'il y a aussi… Là, pour le coup, je pense à une redéfinition de la politique telle que la culture de gauche l'avait établie, qui de toute façon se fait, même si on ne veut pas la mettre en avant, de toute façon, ça y est, elle s'affirme dans des villes que tu connais, de la région parisienne, dans le Val-de-Marne notamment. Des collectifs citoyens sont dans des majorités municipales. Parfois, des listes citoyennes issues des quartiers vont chambouler certains jeux politiques locaux, etc. De toute façon, cette transformation est… Elle est en marche. Après, la question, c'est ce qu'on avait dit dans une tribune, encore une fois, avec mon ami Abdel Yassine, c'est soit la gauche s'ouvre à cette culture politique-là, soit, nous on avait dit, soit elle meurt, je ne sais pas s'il faut être aussi pessimiste, mais soit en tout cas, elle continue dans ce qu'on pourrait considérer comme un décrochage à l'égard de certaines fractions des classes populaires.

  • Speaker #0

    Alors, dans ton livre, tu précises bien qu'il n'est pas question de stratégie politique. Malgré tout, je me permets de te poser cette question. Quelle serait la bonne stratégie ? Qu'est-ce qui a foiré ? Quelles seraient les bonnes pratiques entre l'univers politique, la gauche en particulier,

  • Speaker #1

    et les banlieues ? Déjà, j'essaierai que j'utilise cette formule à la fin de la conclusion. C'est un peu une punchline parce que je trouve que le mot stratégie politique, aujourd'hui, il est un petit peu galvaudé. En fait, tout le monde qui a un avis sur la politique, il va dire qu'il fait une proposition en termes de stratégie. Et je trouve que la surutilisation du mot stratégie est un peu contradictoire avec, selon moi, la... la désertion de beaucoup d'espaces politiques, y compris par ceux qui prétendent faire de la stratégie. L'idée de cette formule, c'était aussi de dire qu'il y a un retour à la pratique qui est quand même un petit peu inévitable. Je pense qu'il y a beaucoup d'intellectuels, mais pas seulement, aussi dans le monde militant, qui pour moi utilisent ce mot stratégie à tort et à travers, avec aussi parfois une mauvaise lecture de Gramsci. qui, voilà, c'est toujours important de le rappeler, n'a jamais considéré que la parole... qu'on va appeler intellectuelle, pouvait comme ça donner une influence sur la pratique. Et voilà, chez Gramsci, il y a toujours cette idée que la guerre de mouvement et la guerre de position, elles sont inséparables. Et donc, une parole stratégique, finalement, elle n'a aucun effet si elle ne se mêle pas aussi à une expérience pratique. Cette phrase sur la stratégie, c'est aussi pour dire ça, c'est pour dire, bon, le retour à l'expérience pratique, ça reste quand même la base. Et je pense qu'aujourd'hui, moi, Ce livre n'est pas là pour donner des conseils à la gauche, parce que j'ai l'habitude de dire que si j'ai un avis ou si j'ai quelque chose à faire avancer dans le champ politique, il y a la politique pour ça. Écrire des livres, participer aux débats intellectuels, participer aux débats scientifiques, produire du savoir, c'est quand même autre chose. En tout cas, en termes de champ d'action, ce n'est pas pareil. Et si tu veux, moi, sur les quartiers, tu auras compris que je suis... je ne considère pas que quelque chose a foiré, de la même manière que je ne considère pas que quelque chose a marché. Je pense que quand on décrit l'histoire du rapport Descartes-Yala-Gauche, on décrit une histoire conflictuelle, mais qui est, comme dirait Étienne Balibar, qui est non terminée. En tout cas, l'objectif du livre, sans être un conseil stratégique, c'est de dire qu'il y a une culture politique qui est à la porte de la gauche. Soit on considère qu'elle peut... redéfinir les contours de ce qu'est une action révolutionnaire au XXIe siècle, et auquel cas on fait vraiment en sorte qu'elle puisse faire cette tâche-là. Soit les portes continuent d'être fermées et on continue de penser que les quartiers sont un capital électoral facilement mobilisable dans les grands moments d'élection, mais on oublie de le penser comme un capital politique, c'est-à-dire un capital intellectuel, un capital pratique. Et là, je pense qu'on en est encore loin de cette ouverture-là, je suis sincère. Je pense qu'encore aujourd'hui, la majeure partie du champ politique, et je mets la gauche dedans, sonne très faux quand il parle des quartiers populaires. Il y a un énorme retard dans la reconnaissance de ce qu'ont produit politiquement les quartiers, ce que le MIB appelle le monde de l'immigration et des banlieues. Le livre, en tout cas d'un point de vue politique, il sert à accroître ce champ de connaissances, mais il ne donne pas de conseils sur le plan politique parce qu'il y a le champ politique pour ça.

  • Speaker #0

    Et en parlant de champ politique, tu en as été, tu as été conseiller municipal. C'est marrant parce qu'on a un petit peu le même parcours, c'est-à-dire qu'on a connu cet univers qui peut être très institutionnel de l'engagement politique pour après décorer autre chose. Toi, comment tu analyses un petit peu cette rupture de ton parcours, qui n'est pas forcément une rupture parce qu'évidemment... il y a une cohérence. Et est-ce que cette casquette universitaire a fait que ton regard a changé sur certaines idées préconçues ou pas que tu pouvais avoir avant ?

  • Speaker #1

    Bon, de toute façon, c'est une réflexion qui est au cœur de l'ouvrage et puis de mes recherches. C'est-à-dire que le précédent livre et celui-ci, ils explicitent ce qu'il faut appeler une rupture, même si après, il faut mettre du contenu dans ce qu'est cette rupture. le passage du point de vue militant au point de vue scientifique, c'est évidemment une rupture. Et d'ailleurs, si je ne dis pas que c'est une rupture, dans ce cas, il ne faut donner aucun crédit à ce que je produis en termes de connaissances dans mes travaux. Le principe quand même de la démarche scientifique, c'est l'objectivation des phénomènes qu'on étudie. Et donc, d'une certaine manière, cette objectivation, elle impose une rupture avec le point de vue militant. Voilà, moi, c'est vrai que je suis dans la tradition de la sociologie critique, et notamment de Pierre Bourdieu. Merci. Moi, je suis convaincu que la position détermine le point de vue. Et donc, évidemment, pour reprendre ce que tu as dit, quand on est militant politique, quand on est élu, le point de vue qu'on a est inévitablement déterminé par notre position, les intérêts en jeu, etc. Et le départ de ma recherche, moi, c'est d'interroger ce point de vue, y compris d'interroger ce point de vue militant. Voilà, moi, j'ai été… Tu l'as dit en introduction, moi, j'ai été… Dans l'opposition au système d'assaut, je me suis attaqué à ce qu'on peut appeler le système mafieux de corruption, mis en place par ce milliardaire pendant 20 ans à Corbeil-Essonne. J'avais un certain regard sur la corruption, sur la manière dont le clientélisme pouvait déterminer les rapports sociaux dans une ville, etc. Évidemment qu'en passant du point de vue scientifique, il y a tout un tas de phénomènes qui ont une autre allure, y compris… Des choses que j'appelais avant clientélisme, aujourd'hui je les appelle peut-être politisation. Quand un groupe de jeunes, ou de moins jeunes d'ailleurs, s'organise pour aller faire valoir ses intérêts auprès de la ville, et peut-être l'emporte auprès d'un pouvoir politique, quand je combattais ça en tant que militant, j'appelais ça clientélisme. Aujourd'hui, on peut aussi, avec un regard pour le coup un petit peu plus objectif, on peut mesurer que c'est aussi un jeu de négociation qui est très présent dans le champ politique, qui concerne beaucoup de monde, et qui, par plein d'aspects, ressemble juste à faire valoir des intérêts collectifs avec les méthodes de mobilisation qui sont à disposition d'un certain groupe social. C'est un exemple parmi d'autres que je te donne. L'idée, c'était aussi de se rendre compte que dans plein de choses que j'avais combattues pendant des années, il y avait aussi des pratiques politiques, des manières de voir le monde, parfois des manières aussi de contourner certaines formes de domination. Et le seul moyen, c'était de rentrer dans des types d'actions qui ne rentraient pas dans ce qu'on va appeler le catalogue traditionnel de la gauche. Donc voilà, tout un tas de remises en cause, pour le coup, de mon point de vue de militant de gauche. qui sont salvatrices. Alors, je ne dis pas que le modèle politique, c'est de renverser tout ce qu'on avait fait avec le mouvement ouvrier et de considérer qu'aujourd'hui, il faut juste repartir de ce qui se passe spontanément dans la société. C'est bien plus compliqué que ça. Je pense qu'on est dans un moment, on peut dire qu'on a eu un moment d'affirmation très fort et que le mouvement ouvrier en France et à l'international a permis une transformation radicale profonde. des rapports sociaux et puis même de notre rapport au monde. Et je pense d'ailleurs que dans ce qu'a produit le mouvement ouvrier au XXe siècle, il y a encore tout un tas de choses qui peuvent nous aider, par exemple, à repenser le combat écologique au XXIe, etc. Je ne pense pas du tout que ce logiciel est passé. Mais je pense par contre qu'il faut voir dans différents endroits dans la société la manière dont il est réapproprié, transformé. Et voilà, ne jamais oublier quand même que l'idée de la transformation sociale, c'est quand même l'idée que le point de vue des plus en difficulté, des plus dominés, c'est là que se situe la solution pour renverser l'ordre des choses. Et voilà, ne jamais oublier ça. Et donc moi, je considère aussi que quand je travaille sur les quartiers populaires, quand je travaille dans ce qui se produit politiquement dans les quartiers, je fais aussi un travail d'intérêt général.

  • Speaker #0

    Et quand on parle d'intérêt général, on pense au service public ? pour avoir longtemps travaillé en collectivité territoriale et pour travailler encore pour et avec les collectivités territoriales, on voit que cette question du lien avec les habitants quand même taraude beaucoup d'entre elles. Certaines tentent des choses, d'autres y arrivent plus ou moins, des fois par manque de moyens, par manque d'envie ou par manque de méthode. Il y a peut-être quand même un cap à franchir pour améliorer cette capacité d'écoute et de travail ensemble.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord avec toi, mais on pourrait prendre le problème dans l'autre sens et se dire aussi que les collectivités ont une expérience, justement, déjà de la prise avec le réel, avec les nouvelles formes d'engagement et de négociations politiques, etc. Et que, d'une certaine manière, cette expérience-là, et je vais parler des collectivités de gauche parce qu'on va dire que, dans ce podcast, on peut dire, je pense, que les collectivités de droite, ce n'est pas forcément ce qui nous intéresse d'abord. Je pense que les collectivités de gauche, notamment les villes populaires, ont aussi une expérience de dialogue, d'interaction avec certaines fractions des classes populaires et que malheureusement cette expérience n'est pas du tout assez valorisée dans ce qu'est la gauche aujourd'hui à l'échelle nationale. Je pense que l'expérience d'élus locales, j'en ai une, on a beaucoup d'expériences comme celle-ci qui peuvent apporter. à ce qui se construit nationalement à l'échelle de la gauche. Je pense, et là ce n'est pas faire insulte au rapport de force aujourd'hui au sein de la gauche française, mais je pense que cette expérience locale est peut-être moins présente, moins prégnante qu'elle ne l'a été par le passé. Et je pense qu'on y perd aussi du point de vue de la connaissance de certaines parties du réel, et notamment de la connaissance des quartiers populaires. Et je pense d'ailleurs que... tu vois, dépasser des débats comme celui du faux clash autour du rural quartier. Je pense que dans des débats comme ça, en fait, c'est aussi la parole d'élus locaux, de gens qui ont l'expérience du réel, de la pratique politique dans le réel, qu'il faut entendre. Les collectivités aujourd'hui, moi, je verrais plus vis-à-vis de tout ça, je vois leur expérience plus positivement, si tu veux, que me dire qu'est-ce qu'elles peuvent faire de mieux. Je pense qu'elles auront déjà beaucoup à apporter. au débat national à gauche. Moi, avec mon expérience d'élu municipal et en ayant beaucoup pensé la politique à partir de la ville, je pense que la ville reste un échelon démocratique incomparable en France. Si on prend mon objet d'étude, que sont les quartiers populaires, je pense que dans les quartiers, la ville, ça reste un repère, un repère politique, un repère évidemment identitaire dans le bon sens du terme. et que la ville crée un commun qui n'a pas vraiment d'équivalent en France. Dans la contestation de l'ordre des choses, ça peut être un levier très fort pour faire entendre la voix des classes populaires. Et là encore, je pense que la gauche française de 2024 peut faire beaucoup mieux dans faire vivre cette parole à l'échelle des villes.

  • Speaker #0

    Et on va bientôt être à fond dans ce sujet avec les prochaines élections municipales qui arrivent.

  • Speaker #1

    Voilà, tu m'as eu le mot de la bouche. Mais voilà, je pense en effet que les échéances municipales de 2026, ça doit vraiment être un grand moment de reconfiguration, y compris intellectuelle, pour la gauche en France. Il ne faut absolument pas considérer qu'on peut enjamber ces élections et passer directement à la présidentielle. Je pense que... y compris les grands moments de mobilisation qu'on a vécu, comme celui au début de l'été, au mois de juillet, au deuxième tour des élections législatives, je pense que ce sont des moments qu'il ne faut pas idéaliser. Il y a eu une mobilisation que j'appelle défensive, contre l'extrême droite, qui a surpris tout le monde, y compris la gauche, mais qui ne veut pas dire que les quartiers, puisque ils se sont beaucoup mobilisés, que les quartiers seraient acquis à la gauche, que c'est... cette mobilisation-là pourrait se reproduire de manière équivalente, voire de manière exponentielle, comme ça, sur un autre scrutin. Ça, je dois dire que je n'y crois pas. Moi, je pense qu'une mobilisation, pour le coup, je suis très marxiste pour ça, mais c'est des conditions matérielles qui permettent une conscientisation et le déploiement d'une action, et que dans les conditions matérielles nécessaires pour ce type de mobilisation, le travail politique… À l'échelle territoriale, il est primordial. Et donc, je pense que si on veut préparer 2027, le mieux, c'est d'être très fort en 2026, notamment dans les lieux, en effet, qui se sont mobilisés pour la gauche ces dernières années. Oui,

  • Speaker #0

    et ça ne suffira peut-être pas. Il faudra que ça se fasse, on va dire, une belle tâche d'huile pour que l'ensemble du pays s'inspire des modes de mobilisation. Merci, Ulysse. Une dernière question ? Ce podcast, il est là pour questionner ce qui va, ce qui ne va pas, mais aussi pour créer de l'espoir. Ce serait quoi ton espoir ?

  • Speaker #1

    Que cette question de la pratique politique redevienne un petit peu au centre des débats à gauche. C'est vrai que même si aujourd'hui je suis plus dans le champ intellectuel et des idées, je souffre beaucoup du fait que les discussions à gauche, finalement, soient souvent un petit peu confisquées ou en tout cas circonscrites, soit au monde intellectuel, soit au champ politique. qui considèrent être le plus renseignés sur ces questions. Et du coup, voilà, moi, s'il y a un espoir, c'est que les discussions qu'on a là, elles se disséminent dans une pratique à l'échelle ordinaire et qu'elles rencontrent finalement tout un tas de conversations qui sont toutes aussi politiques, mais qui se situent à l'échelle du réel. Je pense que pour reprendre le titre de l'ouvrage, moi, je considère que la politique est partout dans la street. et donc il faut que la politique telle qu'elle se définit de manière dominante, elle ouvre la porte à cette culture-là et je ne pense pas qu'il y aura des miracles parce que je ne crois pas aux miracles en politique je ne crois qu'à la pratique mais voilà, je pense qu'en tout cas là, dans les temps qui viennent, il y a peut-être des conditions qui sont plus propices à ce que cette porte s'ouvre et à ce que quelque chose se passe, donc voilà.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer à espérer ensemble vers le plus juste, n'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorn et je vous dis à très bientôt.

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Invité : Ulysse Rabatté


Dans cet épisode, Ulysse Rabatté nous emmène à la découverte des dynamiques des quartiers populaires. Avec son concept de streetologie, il nous invite à dépasser les clichés et à comprendre la richesse politique et culturelle de ces territoires souvent stigmatisés.


Nous abordons la place des quartiers populaires dans les discours politiques, leur instrumentalisation, et l’importance de valoriser les résistances et solidarités qui s’y construisent. Une discussion pour réaffirmer que ces espaces sont au cœur des luttes sociales et d’un avenir à réinventer.




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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Cisorne et vous écoutez le podcast Au revoir, votre Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer, partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Ulysse Rabaté.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors Ulysse, tu es chercheur en sciences politiques à l'université Paris VIII, spécialiste des formes d'engagement politique au sein des classes populaires. Tu as été élu, tu es militant, tu as été un opposant au système de corruption du milliardaire Serge Dassault à Corbeil, ce qui n'est pas rien. Et récemment, tu nous proposes un nouveau livre, un stritologie qui est ton... Troisième ouvrage. Alors Ulysse, première question un peu basique, c'est quoi la stritologie ?

  • Speaker #1

    La stritologie, je le définis assez simplement, c'est la maîtrise d'une connaissance d'un mode de vie particulier, qui est celui de la sphère publique des quartiers populaires, que j'appelle la strite. La maîtrise de ces connaissances peut se transformer en pratique, en engagement, en discours politique. Et donc le travail de la stritologie, c'est... de montrer, de donner à voir, de révéler, comme disait Pierre Bourdieu, une forme de compétence politique qui serait ancrée dans la connaissance du mode de vie quotidien, ordinaire des quartiers populaires.

  • Speaker #0

    Et alors, pourquoi ce livre maintenant ?

  • Speaker #1

    Déjà parce que c'est très présent, notamment dans l'introduction du livre. J'essaie de décrypter ce que j'appelle la centralité politique des quartiers populaires, c'est-à-dire que les quartiers aujourd'hui sont… partie prenante de la vie politique française. Et je dirais même que souvent, beaucoup de discours, que ce soit les discours dominants ou au contraire les discours de résistance dans le champ politique, tournent autour de cette question des quartiers populaires. Et donc, je considère que ce soit le monde politique, mais aussi le monde de la recherche, n'est peut-être pas forcément à la hauteur de cette centralité. Et donc, pourquoi maintenant ? L'idée, c'est évidemment de progresser. déjà dans la connaissance des quartiers populaires, puisque cet ouvrage, c'est un ouvrage scientifique qui repose d'abord sur de la matière empirique et sur une enquête, cette partie très particulière du monde social que sont les quartiers. Donc l'idée, c'est de progresser en termes de connaissances, mais comme le dit le titre de l'ouvrage, c'est que mieux connaître les quartiers, c'est aussi mieux connaître le savoir qui s'y forme, et donc d'une certaine manière les redécouvrir d'un point de vue politique.

  • Speaker #0

    Dans ton livre, tu questionnes beaucoup ce rapport aux politiques et ce rapport aussi au monde politique politicien. En remettant en cause notamment le fameux rendez-vous manqué entre gauche, quartier populaire, etc., que tu peux préciser cette pensée ?

  • Speaker #1

    En remettant en cause cette idée du rendez-vous manqué, j'ai une formule qui pose ce qu'elle vaut, mais elle dit qu'il faut sortir du dilemme entre le divorce et la lune de miel. C'est-à-dire que quand on parle des quartiers populaires, soit on est dans le discours de la rupture, soit au contraire on est dans un espèce de discours démagogique où les quartiers seraient acquis à la gauche, etc. Ce que j'essaie de montrer dans le livre, c'est déjà qu'il y a une longue histoire maintenant en France d'interactions, de relations entre les quartiers populaires et le monde politique, principalement la gauche, et que cette longue histoire, en fait, elle est sans cesse niée dans ce discours qui consisterait à soit déplorer qu'il n'y a plus rien, soit au contraire à s'enflammer sur une espèce de rencontre presque magique entre la gauche et les quartiers. Au contraire, moi je pense qu'il faut redécouvrir un ensemble de pratiques politiques des actrices et des acteurs des quartiers ont joué aussi stratégiquement des logiques du champ politique, soit pour s'y insérer, soit pour y faire avancer des causes. Il y a aussi toute une histoire évidemment des mobilisations des quartiers populaires qui, on va dire dans la lecture traditionnelle, part de la marche pour l'égalité contre le racisme de 1983 et qui se poursuit aujourd'hui à travers les luttes contre les violences policières, voire... parce que je travaille un peu dans mon ouvrage, les listes citoyennes issues des quartiers dans de nombreuses villes populaires, etc. Donc voilà, toute cette histoire-là, elle remet complètement en cause, finalement, un prisme un peu simpliste. Je pense très sincèrement que ça résonne beaucoup avec l'actualité d'aujourd'hui. Si on prend les récents débats, notamment ce que j'ai appelé avec Abdel Yassine, le faux clash entre Mélenchon et Ruffin autour de la question des quartiers, je pense que là, on est au cœur de ce que j'essaye de... de décrypter dans ce rite au logis, c'est-à-dire qu'il faut arrêter d'enfermer les quartiers populaires dans les débats qui sont en fait les débats internes du champ politique pour accéder à une connaissance du réel des quartiers. Mais là, je pense que pour le coup, ça a beaucoup de conséquences politiques qui remettent en cause beaucoup de discours établis à gauche.

  • Speaker #0

    Et même dans ce faux clash, je pense qu'il y a aussi une caricature sur les campagnes, la ruralité, etc. Pour avoir grandi dans un village normand et après avoir vécu longtemps en banlieue parisienne, il y a tellement de thématiques qui se recoupent aussi. La question du service public, la question de la dignité, la question de bien vivre. Il y a tellement de thématiques qui se rejoignent. Alors évidemment avec des univers militants différents, mais comment on pourrait malgré tout contrer ce discours ? sur cette opposition banlieue-campagne et faire en sorte qu'on s'en sorte n'importe où en France ?

  • Speaker #1

    Cette opposition, on est beaucoup aujourd'hui à essayer justement de la déconstruire, y compris parce que je pense que la première chose à dire pour répondre à ta question, c'est quand même qu'il y a un espèce d'implicite dans cette opposition qui, disons-le, est un implicite pour moi. nourris par le contexte d'influence de l'extrême droite dans les débats publics aujourd'hui. C'est-à-dire que pour moi, l'opposition quartier-campagne, elle résonne de façon transformée et implicite dans une opposition entre monde issu de l'immigration et petits blancs des campagnes. C'est pour ça que, selon moi, il y a une responsabilité importante de ceux qui portent cette opposition à nourrir finalement un discours qui, pour moi… résonne plutôt avec l'influence de l'extrême droite dans le débat public, donc ça c'est la première chose. La deuxième, c'est qu'évidemment, pour aller dans le sens de ce que tu as dit, c'est qu'il y a du commun dans la mise à l'écart, il y a du commun dans la domination, il y a du commun dans la mise au banc des logiques dominantes de la société, mais ça c'est l'histoire de la gauche quand même, d'avoir toujours construit un espace de revendication qui fait se rencontrer différentes, allez, ce qu'on va appeler… pour continuer un peu avec Pierre Bourdieu, des différentes formes de souffrance sociale, évidemment qu'elles peuvent se rencontrer dans un prisme politique commun et qu'aujourd'hui, sur tout un tas de problématiques, on peut trouver des continuités entre ce qui se passe dans ce qu'on va appeler la ruralité, même si c'est un essentialisme, et ce qu'on va appeler les banlieues, même si là encore c'est un essentialisme. Mais ce qui est sûr, c'est que ces continuités-là, il faut trouver les espaces pour les faire s'exprimer. Et là, pour le coup, c'est quelque chose dont je parle aussi dans Straitologie, c'est-à-dire que la culture des quartiers populaires, la culture qui s'est formée dans les quartiers populaires, elle est aujourd'hui très présente dans la société française et d'ailleurs, elle déborde complètement géographiquement les frontières de ces quartiers. C'est-à-dire que, pour le dire clairement, il y a beaucoup de lieux dans la société où on reprend les codes des quartiers populaires, où on reprend les manières de s'y exprimer, où on reprend… sa musique, notamment à travers le rap. Et donc, on voit bien qu'il y a une résonance, finalement, dans le discours revendicatif qui peut être issu de la culture des quartiers et ce qui se passe ailleurs dans la société. Sinon, il n'y aurait pas cette résonance-là. Et donc, je pense qu'il y a comme ça des espaces cognitifs, culturels à investir et que la gauche, parfois, a encore un peu trop de pudeur de gazelle pour reprendre. d'expression consacrée, à se dire qu'il faut utiliser aussi ces vecteurs-là et ces leviers-là pour créer du commun. Et je pense que de ce point de vue-là, la culture des quartiers a encore beaucoup à apporter à l'architecture intellectuelle de la gauche.

  • Speaker #0

    Et selon toi, la gauche ne le fait pas par électoralisme ?

  • Speaker #1

    Je pense surtout qu'elle ne le fait pas parce que… Parce qu'elle est portée par un ordre culturel, la gauche, qui est plutôt issue du mouvement ouvrier, de ce qui s'est consolidé au XXe siècle, autour de la définition de ce que serait une culture de gauche, ce que serait une parole politique de gauche, et que tout un tas de nouvelles pratiques, notamment parce qu'elles viennent aussi de fractions des classes populaires qui ont été longtemps écartées de la sphère publique, je pense que la gauche a tout simplement du mal à accepter la légitimité de cette parole. Et là, de ce point de vue-là, l'histoire. politique des quartiers le montre très bien, c'est-à-dire qu'il y a énormément de pratiques, de discours qui, si on les regarde objectivement avec l'outil que sont les sciences sociales, qui sont des pratiques politiques, mais qui pour l'instant ne sont pas du tout reconnues comme telles encore par ceux qui détiennent, on va dire, les clés d'entrée du champ politique. qui émergent dans les quartiers de ce point de vue-là, c'est toujours aussi un petit peu alternatif par rapport à la définition dominante de ces nouvelles mobilisations, c'est-à-dire que le combat féministe dans les quartiers prend peut-être une autre forme que la définition consacrée, même s'il n'y en a pas une seule, du combat féministe dans la culture de gauche. Je pense que là encore, il y a aussi beaucoup de choses à découvrir sur la manière dont, tout simplement… Des générations successives de femmes se sont attelées à déconstruire des modes de domination qui se croisaient dans les quartiers, peut-être plus qu'ailleurs. Et donc là, de ce point de vue-là, je pense qu'il y a une dimension aussi ascendante dans la définition des modes d'engagement qui est très intéressante et qui est importante, à mon avis, à valoriser. Parce que c'est vrai que le discours féministe aussi est utilisé pour discréditer, discriminer les modes d'engagement dans les quartiers populaires, et notamment aussi les modes d'engagement des femmes. Et donc du coup, ça je pense que c'est quelque chose qui est important à souligner, parce que dans beaucoup de débats que je fais autour du livre, justement c'est vrai que quand je fais des débats dans les quartiers, les jeunes femmes qui sont engagées, c'est toujours quelque chose qui revient beaucoup dans les discussions, c'est-à-dire comment faire valoir un engagement pour la place des femmes dans les quartiers, sans aller dans le sens des discours qui stigmatisent, notamment... la pseudo-domination masculine dans les quartiers populaires, etc. Et donc je trouve que là, il y a vraiment des choses très intéressantes à creuser. Même sur la question de l'antiracisme, etc., on sait bien que, notamment depuis la fin des années 1990, le début des années 2000, il y a quand même un renouveau de la pensée antiraciste qui naît aussi de la visibilisation des luttes des quartiers populaires et qui vient, entre guillemets, un peu politiser. un antiracisme qui est hérité plutôt de la culture des souhaits-racisme, etc. Donc de ce point de vue-là aussi, finalement, ce qui se passe dans le réel va complètement bouger ou redéfinir la manière dont on pensait la politique. Et puis, le livre aussi essaye vraiment pour le coup d'approfondir des pratiques que moi j'appelle les pratiques ordinaires dans les quartiers, c'est-à-dire des pratiques de solidarité qui se font au quotidien, souvent hors de tout champ institutionnel. parfois contre même l'idée que ces pratiques seraient politiques. En tout cas, ceux qui mettent en place ces actions revendiquent parfois la distance à l'égard de la politique. Et en même temps, dans ces pratiques-là se déploie une vision du monde et puis souvent aussi un engagement dans la sphère publique qui parfois peut aller même jusqu'à mettre le pied dans le champ politique. Donc de ce point de vue-là, je pense qu'il y a aussi… Là, pour le coup, je pense à une redéfinition de la politique telle que la culture de gauche l'avait établie, qui de toute façon se fait, même si on ne veut pas la mettre en avant, de toute façon, ça y est, elle s'affirme dans des villes que tu connais, de la région parisienne, dans le Val-de-Marne notamment. Des collectifs citoyens sont dans des majorités municipales. Parfois, des listes citoyennes issues des quartiers vont chambouler certains jeux politiques locaux, etc. De toute façon, cette transformation est… Elle est en marche. Après, la question, c'est ce qu'on avait dit dans une tribune, encore une fois, avec mon ami Abdel Yassine, c'est soit la gauche s'ouvre à cette culture politique-là, soit, nous on avait dit, soit elle meurt, je ne sais pas s'il faut être aussi pessimiste, mais soit en tout cas, elle continue dans ce qu'on pourrait considérer comme un décrochage à l'égard de certaines fractions des classes populaires.

  • Speaker #0

    Alors, dans ton livre, tu précises bien qu'il n'est pas question de stratégie politique. Malgré tout, je me permets de te poser cette question. Quelle serait la bonne stratégie ? Qu'est-ce qui a foiré ? Quelles seraient les bonnes pratiques entre l'univers politique, la gauche en particulier,

  • Speaker #1

    et les banlieues ? Déjà, j'essaierai que j'utilise cette formule à la fin de la conclusion. C'est un peu une punchline parce que je trouve que le mot stratégie politique, aujourd'hui, il est un petit peu galvaudé. En fait, tout le monde qui a un avis sur la politique, il va dire qu'il fait une proposition en termes de stratégie. Et je trouve que la surutilisation du mot stratégie est un peu contradictoire avec, selon moi, la... la désertion de beaucoup d'espaces politiques, y compris par ceux qui prétendent faire de la stratégie. L'idée de cette formule, c'était aussi de dire qu'il y a un retour à la pratique qui est quand même un petit peu inévitable. Je pense qu'il y a beaucoup d'intellectuels, mais pas seulement, aussi dans le monde militant, qui pour moi utilisent ce mot stratégie à tort et à travers, avec aussi parfois une mauvaise lecture de Gramsci. qui, voilà, c'est toujours important de le rappeler, n'a jamais considéré que la parole... qu'on va appeler intellectuelle, pouvait comme ça donner une influence sur la pratique. Et voilà, chez Gramsci, il y a toujours cette idée que la guerre de mouvement et la guerre de position, elles sont inséparables. Et donc, une parole stratégique, finalement, elle n'a aucun effet si elle ne se mêle pas aussi à une expérience pratique. Cette phrase sur la stratégie, c'est aussi pour dire ça, c'est pour dire, bon, le retour à l'expérience pratique, ça reste quand même la base. Et je pense qu'aujourd'hui, moi, Ce livre n'est pas là pour donner des conseils à la gauche, parce que j'ai l'habitude de dire que si j'ai un avis ou si j'ai quelque chose à faire avancer dans le champ politique, il y a la politique pour ça. Écrire des livres, participer aux débats intellectuels, participer aux débats scientifiques, produire du savoir, c'est quand même autre chose. En tout cas, en termes de champ d'action, ce n'est pas pareil. Et si tu veux, moi, sur les quartiers, tu auras compris que je suis... je ne considère pas que quelque chose a foiré, de la même manière que je ne considère pas que quelque chose a marché. Je pense que quand on décrit l'histoire du rapport Descartes-Yala-Gauche, on décrit une histoire conflictuelle, mais qui est, comme dirait Étienne Balibar, qui est non terminée. En tout cas, l'objectif du livre, sans être un conseil stratégique, c'est de dire qu'il y a une culture politique qui est à la porte de la gauche. Soit on considère qu'elle peut... redéfinir les contours de ce qu'est une action révolutionnaire au XXIe siècle, et auquel cas on fait vraiment en sorte qu'elle puisse faire cette tâche-là. Soit les portes continuent d'être fermées et on continue de penser que les quartiers sont un capital électoral facilement mobilisable dans les grands moments d'élection, mais on oublie de le penser comme un capital politique, c'est-à-dire un capital intellectuel, un capital pratique. Et là, je pense qu'on en est encore loin de cette ouverture-là, je suis sincère. Je pense qu'encore aujourd'hui, la majeure partie du champ politique, et je mets la gauche dedans, sonne très faux quand il parle des quartiers populaires. Il y a un énorme retard dans la reconnaissance de ce qu'ont produit politiquement les quartiers, ce que le MIB appelle le monde de l'immigration et des banlieues. Le livre, en tout cas d'un point de vue politique, il sert à accroître ce champ de connaissances, mais il ne donne pas de conseils sur le plan politique parce qu'il y a le champ politique pour ça.

  • Speaker #0

    Et en parlant de champ politique, tu en as été, tu as été conseiller municipal. C'est marrant parce qu'on a un petit peu le même parcours, c'est-à-dire qu'on a connu cet univers qui peut être très institutionnel de l'engagement politique pour après décorer autre chose. Toi, comment tu analyses un petit peu cette rupture de ton parcours, qui n'est pas forcément une rupture parce qu'évidemment... il y a une cohérence. Et est-ce que cette casquette universitaire a fait que ton regard a changé sur certaines idées préconçues ou pas que tu pouvais avoir avant ?

  • Speaker #1

    Bon, de toute façon, c'est une réflexion qui est au cœur de l'ouvrage et puis de mes recherches. C'est-à-dire que le précédent livre et celui-ci, ils explicitent ce qu'il faut appeler une rupture, même si après, il faut mettre du contenu dans ce qu'est cette rupture. le passage du point de vue militant au point de vue scientifique, c'est évidemment une rupture. Et d'ailleurs, si je ne dis pas que c'est une rupture, dans ce cas, il ne faut donner aucun crédit à ce que je produis en termes de connaissances dans mes travaux. Le principe quand même de la démarche scientifique, c'est l'objectivation des phénomènes qu'on étudie. Et donc, d'une certaine manière, cette objectivation, elle impose une rupture avec le point de vue militant. Voilà, moi, c'est vrai que je suis dans la tradition de la sociologie critique, et notamment de Pierre Bourdieu. Merci. Moi, je suis convaincu que la position détermine le point de vue. Et donc, évidemment, pour reprendre ce que tu as dit, quand on est militant politique, quand on est élu, le point de vue qu'on a est inévitablement déterminé par notre position, les intérêts en jeu, etc. Et le départ de ma recherche, moi, c'est d'interroger ce point de vue, y compris d'interroger ce point de vue militant. Voilà, moi, j'ai été… Tu l'as dit en introduction, moi, j'ai été… Dans l'opposition au système d'assaut, je me suis attaqué à ce qu'on peut appeler le système mafieux de corruption, mis en place par ce milliardaire pendant 20 ans à Corbeil-Essonne. J'avais un certain regard sur la corruption, sur la manière dont le clientélisme pouvait déterminer les rapports sociaux dans une ville, etc. Évidemment qu'en passant du point de vue scientifique, il y a tout un tas de phénomènes qui ont une autre allure, y compris… Des choses que j'appelais avant clientélisme, aujourd'hui je les appelle peut-être politisation. Quand un groupe de jeunes, ou de moins jeunes d'ailleurs, s'organise pour aller faire valoir ses intérêts auprès de la ville, et peut-être l'emporte auprès d'un pouvoir politique, quand je combattais ça en tant que militant, j'appelais ça clientélisme. Aujourd'hui, on peut aussi, avec un regard pour le coup un petit peu plus objectif, on peut mesurer que c'est aussi un jeu de négociation qui est très présent dans le champ politique, qui concerne beaucoup de monde, et qui, par plein d'aspects, ressemble juste à faire valoir des intérêts collectifs avec les méthodes de mobilisation qui sont à disposition d'un certain groupe social. C'est un exemple parmi d'autres que je te donne. L'idée, c'était aussi de se rendre compte que dans plein de choses que j'avais combattues pendant des années, il y avait aussi des pratiques politiques, des manières de voir le monde, parfois des manières aussi de contourner certaines formes de domination. Et le seul moyen, c'était de rentrer dans des types d'actions qui ne rentraient pas dans ce qu'on va appeler le catalogue traditionnel de la gauche. Donc voilà, tout un tas de remises en cause, pour le coup, de mon point de vue de militant de gauche. qui sont salvatrices. Alors, je ne dis pas que le modèle politique, c'est de renverser tout ce qu'on avait fait avec le mouvement ouvrier et de considérer qu'aujourd'hui, il faut juste repartir de ce qui se passe spontanément dans la société. C'est bien plus compliqué que ça. Je pense qu'on est dans un moment, on peut dire qu'on a eu un moment d'affirmation très fort et que le mouvement ouvrier en France et à l'international a permis une transformation radicale profonde. des rapports sociaux et puis même de notre rapport au monde. Et je pense d'ailleurs que dans ce qu'a produit le mouvement ouvrier au XXe siècle, il y a encore tout un tas de choses qui peuvent nous aider, par exemple, à repenser le combat écologique au XXIe, etc. Je ne pense pas du tout que ce logiciel est passé. Mais je pense par contre qu'il faut voir dans différents endroits dans la société la manière dont il est réapproprié, transformé. Et voilà, ne jamais oublier quand même que l'idée de la transformation sociale, c'est quand même l'idée que le point de vue des plus en difficulté, des plus dominés, c'est là que se situe la solution pour renverser l'ordre des choses. Et voilà, ne jamais oublier ça. Et donc moi, je considère aussi que quand je travaille sur les quartiers populaires, quand je travaille dans ce qui se produit politiquement dans les quartiers, je fais aussi un travail d'intérêt général.

  • Speaker #0

    Et quand on parle d'intérêt général, on pense au service public ? pour avoir longtemps travaillé en collectivité territoriale et pour travailler encore pour et avec les collectivités territoriales, on voit que cette question du lien avec les habitants quand même taraude beaucoup d'entre elles. Certaines tentent des choses, d'autres y arrivent plus ou moins, des fois par manque de moyens, par manque d'envie ou par manque de méthode. Il y a peut-être quand même un cap à franchir pour améliorer cette capacité d'écoute et de travail ensemble.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord avec toi, mais on pourrait prendre le problème dans l'autre sens et se dire aussi que les collectivités ont une expérience, justement, déjà de la prise avec le réel, avec les nouvelles formes d'engagement et de négociations politiques, etc. Et que, d'une certaine manière, cette expérience-là, et je vais parler des collectivités de gauche parce qu'on va dire que, dans ce podcast, on peut dire, je pense, que les collectivités de droite, ce n'est pas forcément ce qui nous intéresse d'abord. Je pense que les collectivités de gauche, notamment les villes populaires, ont aussi une expérience de dialogue, d'interaction avec certaines fractions des classes populaires et que malheureusement cette expérience n'est pas du tout assez valorisée dans ce qu'est la gauche aujourd'hui à l'échelle nationale. Je pense que l'expérience d'élus locales, j'en ai une, on a beaucoup d'expériences comme celle-ci qui peuvent apporter. à ce qui se construit nationalement à l'échelle de la gauche. Je pense, et là ce n'est pas faire insulte au rapport de force aujourd'hui au sein de la gauche française, mais je pense que cette expérience locale est peut-être moins présente, moins prégnante qu'elle ne l'a été par le passé. Et je pense qu'on y perd aussi du point de vue de la connaissance de certaines parties du réel, et notamment de la connaissance des quartiers populaires. Et je pense d'ailleurs que... tu vois, dépasser des débats comme celui du faux clash autour du rural quartier. Je pense que dans des débats comme ça, en fait, c'est aussi la parole d'élus locaux, de gens qui ont l'expérience du réel, de la pratique politique dans le réel, qu'il faut entendre. Les collectivités aujourd'hui, moi, je verrais plus vis-à-vis de tout ça, je vois leur expérience plus positivement, si tu veux, que me dire qu'est-ce qu'elles peuvent faire de mieux. Je pense qu'elles auront déjà beaucoup à apporter. au débat national à gauche. Moi, avec mon expérience d'élu municipal et en ayant beaucoup pensé la politique à partir de la ville, je pense que la ville reste un échelon démocratique incomparable en France. Si on prend mon objet d'étude, que sont les quartiers populaires, je pense que dans les quartiers, la ville, ça reste un repère, un repère politique, un repère évidemment identitaire dans le bon sens du terme. et que la ville crée un commun qui n'a pas vraiment d'équivalent en France. Dans la contestation de l'ordre des choses, ça peut être un levier très fort pour faire entendre la voix des classes populaires. Et là encore, je pense que la gauche française de 2024 peut faire beaucoup mieux dans faire vivre cette parole à l'échelle des villes.

  • Speaker #0

    Et on va bientôt être à fond dans ce sujet avec les prochaines élections municipales qui arrivent.

  • Speaker #1

    Voilà, tu m'as eu le mot de la bouche. Mais voilà, je pense en effet que les échéances municipales de 2026, ça doit vraiment être un grand moment de reconfiguration, y compris intellectuelle, pour la gauche en France. Il ne faut absolument pas considérer qu'on peut enjamber ces élections et passer directement à la présidentielle. Je pense que... y compris les grands moments de mobilisation qu'on a vécu, comme celui au début de l'été, au mois de juillet, au deuxième tour des élections législatives, je pense que ce sont des moments qu'il ne faut pas idéaliser. Il y a eu une mobilisation que j'appelle défensive, contre l'extrême droite, qui a surpris tout le monde, y compris la gauche, mais qui ne veut pas dire que les quartiers, puisque ils se sont beaucoup mobilisés, que les quartiers seraient acquis à la gauche, que c'est... cette mobilisation-là pourrait se reproduire de manière équivalente, voire de manière exponentielle, comme ça, sur un autre scrutin. Ça, je dois dire que je n'y crois pas. Moi, je pense qu'une mobilisation, pour le coup, je suis très marxiste pour ça, mais c'est des conditions matérielles qui permettent une conscientisation et le déploiement d'une action, et que dans les conditions matérielles nécessaires pour ce type de mobilisation, le travail politique… À l'échelle territoriale, il est primordial. Et donc, je pense que si on veut préparer 2027, le mieux, c'est d'être très fort en 2026, notamment dans les lieux, en effet, qui se sont mobilisés pour la gauche ces dernières années. Oui,

  • Speaker #0

    et ça ne suffira peut-être pas. Il faudra que ça se fasse, on va dire, une belle tâche d'huile pour que l'ensemble du pays s'inspire des modes de mobilisation. Merci, Ulysse. Une dernière question ? Ce podcast, il est là pour questionner ce qui va, ce qui ne va pas, mais aussi pour créer de l'espoir. Ce serait quoi ton espoir ?

  • Speaker #1

    Que cette question de la pratique politique redevienne un petit peu au centre des débats à gauche. C'est vrai que même si aujourd'hui je suis plus dans le champ intellectuel et des idées, je souffre beaucoup du fait que les discussions à gauche, finalement, soient souvent un petit peu confisquées ou en tout cas circonscrites, soit au monde intellectuel, soit au champ politique. qui considèrent être le plus renseignés sur ces questions. Et du coup, voilà, moi, s'il y a un espoir, c'est que les discussions qu'on a là, elles se disséminent dans une pratique à l'échelle ordinaire et qu'elles rencontrent finalement tout un tas de conversations qui sont toutes aussi politiques, mais qui se situent à l'échelle du réel. Je pense que pour reprendre le titre de l'ouvrage, moi, je considère que la politique est partout dans la street. et donc il faut que la politique telle qu'elle se définit de manière dominante, elle ouvre la porte à cette culture-là et je ne pense pas qu'il y aura des miracles parce que je ne crois pas aux miracles en politique je ne crois qu'à la pratique mais voilà, je pense qu'en tout cas là, dans les temps qui viennent, il y a peut-être des conditions qui sont plus propices à ce que cette porte s'ouvre et à ce que quelque chose se passe, donc voilà.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer à espérer ensemble vers le plus juste, n'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorn et je vous dis à très bientôt.

Description

Invité : Ulysse Rabatté


Dans cet épisode, Ulysse Rabatté nous emmène à la découverte des dynamiques des quartiers populaires. Avec son concept de streetologie, il nous invite à dépasser les clichés et à comprendre la richesse politique et culturelle de ces territoires souvent stigmatisés.


Nous abordons la place des quartiers populaires dans les discours politiques, leur instrumentalisation, et l’importance de valoriser les résistances et solidarités qui s’y construisent. Une discussion pour réaffirmer que ces espaces sont au cœur des luttes sociales et d’un avenir à réinventer.




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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Fanny Cisorne et vous écoutez le podcast Au revoir, votre Ici, je vous invite à rencontrer des personnes qui partagent une urgence commune, celle de réinventer notre monde. Ce sont des penseurs, des créatrices et créateurs de mouvements, des voix qui résonnent et qui font du commun. Ensemble, nous explorons comment transformer les idéaux en actions, comment mobiliser, inspirer, créer, partager, comment l'espoir se travaille et se construit. Alors rejoignez-nous dans cette aventure collective où chaque épisode est une invitation à agir. et espérer ensemble un monde plus juste et solidaire. Bonjour Ulysse Rabaté.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Alors Ulysse, tu es chercheur en sciences politiques à l'université Paris VIII, spécialiste des formes d'engagement politique au sein des classes populaires. Tu as été élu, tu es militant, tu as été un opposant au système de corruption du milliardaire Serge Dassault à Corbeil, ce qui n'est pas rien. Et récemment, tu nous proposes un nouveau livre, un stritologie qui est ton... Troisième ouvrage. Alors Ulysse, première question un peu basique, c'est quoi la stritologie ?

  • Speaker #1

    La stritologie, je le définis assez simplement, c'est la maîtrise d'une connaissance d'un mode de vie particulier, qui est celui de la sphère publique des quartiers populaires, que j'appelle la strite. La maîtrise de ces connaissances peut se transformer en pratique, en engagement, en discours politique. Et donc le travail de la stritologie, c'est... de montrer, de donner à voir, de révéler, comme disait Pierre Bourdieu, une forme de compétence politique qui serait ancrée dans la connaissance du mode de vie quotidien, ordinaire des quartiers populaires.

  • Speaker #0

    Et alors, pourquoi ce livre maintenant ?

  • Speaker #1

    Déjà parce que c'est très présent, notamment dans l'introduction du livre. J'essaie de décrypter ce que j'appelle la centralité politique des quartiers populaires, c'est-à-dire que les quartiers aujourd'hui sont… partie prenante de la vie politique française. Et je dirais même que souvent, beaucoup de discours, que ce soit les discours dominants ou au contraire les discours de résistance dans le champ politique, tournent autour de cette question des quartiers populaires. Et donc, je considère que ce soit le monde politique, mais aussi le monde de la recherche, n'est peut-être pas forcément à la hauteur de cette centralité. Et donc, pourquoi maintenant ? L'idée, c'est évidemment de progresser. déjà dans la connaissance des quartiers populaires, puisque cet ouvrage, c'est un ouvrage scientifique qui repose d'abord sur de la matière empirique et sur une enquête, cette partie très particulière du monde social que sont les quartiers. Donc l'idée, c'est de progresser en termes de connaissances, mais comme le dit le titre de l'ouvrage, c'est que mieux connaître les quartiers, c'est aussi mieux connaître le savoir qui s'y forme, et donc d'une certaine manière les redécouvrir d'un point de vue politique.

  • Speaker #0

    Dans ton livre, tu questionnes beaucoup ce rapport aux politiques et ce rapport aussi au monde politique politicien. En remettant en cause notamment le fameux rendez-vous manqué entre gauche, quartier populaire, etc., que tu peux préciser cette pensée ?

  • Speaker #1

    En remettant en cause cette idée du rendez-vous manqué, j'ai une formule qui pose ce qu'elle vaut, mais elle dit qu'il faut sortir du dilemme entre le divorce et la lune de miel. C'est-à-dire que quand on parle des quartiers populaires, soit on est dans le discours de la rupture, soit au contraire on est dans un espèce de discours démagogique où les quartiers seraient acquis à la gauche, etc. Ce que j'essaie de montrer dans le livre, c'est déjà qu'il y a une longue histoire maintenant en France d'interactions, de relations entre les quartiers populaires et le monde politique, principalement la gauche, et que cette longue histoire, en fait, elle est sans cesse niée dans ce discours qui consisterait à soit déplorer qu'il n'y a plus rien, soit au contraire à s'enflammer sur une espèce de rencontre presque magique entre la gauche et les quartiers. Au contraire, moi je pense qu'il faut redécouvrir un ensemble de pratiques politiques des actrices et des acteurs des quartiers ont joué aussi stratégiquement des logiques du champ politique, soit pour s'y insérer, soit pour y faire avancer des causes. Il y a aussi toute une histoire évidemment des mobilisations des quartiers populaires qui, on va dire dans la lecture traditionnelle, part de la marche pour l'égalité contre le racisme de 1983 et qui se poursuit aujourd'hui à travers les luttes contre les violences policières, voire... parce que je travaille un peu dans mon ouvrage, les listes citoyennes issues des quartiers dans de nombreuses villes populaires, etc. Donc voilà, toute cette histoire-là, elle remet complètement en cause, finalement, un prisme un peu simpliste. Je pense très sincèrement que ça résonne beaucoup avec l'actualité d'aujourd'hui. Si on prend les récents débats, notamment ce que j'ai appelé avec Abdel Yassine, le faux clash entre Mélenchon et Ruffin autour de la question des quartiers, je pense que là, on est au cœur de ce que j'essaye de... de décrypter dans ce rite au logis, c'est-à-dire qu'il faut arrêter d'enfermer les quartiers populaires dans les débats qui sont en fait les débats internes du champ politique pour accéder à une connaissance du réel des quartiers. Mais là, je pense que pour le coup, ça a beaucoup de conséquences politiques qui remettent en cause beaucoup de discours établis à gauche.

  • Speaker #0

    Et même dans ce faux clash, je pense qu'il y a aussi une caricature sur les campagnes, la ruralité, etc. Pour avoir grandi dans un village normand et après avoir vécu longtemps en banlieue parisienne, il y a tellement de thématiques qui se recoupent aussi. La question du service public, la question de la dignité, la question de bien vivre. Il y a tellement de thématiques qui se rejoignent. Alors évidemment avec des univers militants différents, mais comment on pourrait malgré tout contrer ce discours ? sur cette opposition banlieue-campagne et faire en sorte qu'on s'en sorte n'importe où en France ?

  • Speaker #1

    Cette opposition, on est beaucoup aujourd'hui à essayer justement de la déconstruire, y compris parce que je pense que la première chose à dire pour répondre à ta question, c'est quand même qu'il y a un espèce d'implicite dans cette opposition qui, disons-le, est un implicite pour moi. nourris par le contexte d'influence de l'extrême droite dans les débats publics aujourd'hui. C'est-à-dire que pour moi, l'opposition quartier-campagne, elle résonne de façon transformée et implicite dans une opposition entre monde issu de l'immigration et petits blancs des campagnes. C'est pour ça que, selon moi, il y a une responsabilité importante de ceux qui portent cette opposition à nourrir finalement un discours qui, pour moi… résonne plutôt avec l'influence de l'extrême droite dans le débat public, donc ça c'est la première chose. La deuxième, c'est qu'évidemment, pour aller dans le sens de ce que tu as dit, c'est qu'il y a du commun dans la mise à l'écart, il y a du commun dans la domination, il y a du commun dans la mise au banc des logiques dominantes de la société, mais ça c'est l'histoire de la gauche quand même, d'avoir toujours construit un espace de revendication qui fait se rencontrer différentes, allez, ce qu'on va appeler… pour continuer un peu avec Pierre Bourdieu, des différentes formes de souffrance sociale, évidemment qu'elles peuvent se rencontrer dans un prisme politique commun et qu'aujourd'hui, sur tout un tas de problématiques, on peut trouver des continuités entre ce qui se passe dans ce qu'on va appeler la ruralité, même si c'est un essentialisme, et ce qu'on va appeler les banlieues, même si là encore c'est un essentialisme. Mais ce qui est sûr, c'est que ces continuités-là, il faut trouver les espaces pour les faire s'exprimer. Et là, pour le coup, c'est quelque chose dont je parle aussi dans Straitologie, c'est-à-dire que la culture des quartiers populaires, la culture qui s'est formée dans les quartiers populaires, elle est aujourd'hui très présente dans la société française et d'ailleurs, elle déborde complètement géographiquement les frontières de ces quartiers. C'est-à-dire que, pour le dire clairement, il y a beaucoup de lieux dans la société où on reprend les codes des quartiers populaires, où on reprend les manières de s'y exprimer, où on reprend… sa musique, notamment à travers le rap. Et donc, on voit bien qu'il y a une résonance, finalement, dans le discours revendicatif qui peut être issu de la culture des quartiers et ce qui se passe ailleurs dans la société. Sinon, il n'y aurait pas cette résonance-là. Et donc, je pense qu'il y a comme ça des espaces cognitifs, culturels à investir et que la gauche, parfois, a encore un peu trop de pudeur de gazelle pour reprendre. d'expression consacrée, à se dire qu'il faut utiliser aussi ces vecteurs-là et ces leviers-là pour créer du commun. Et je pense que de ce point de vue-là, la culture des quartiers a encore beaucoup à apporter à l'architecture intellectuelle de la gauche.

  • Speaker #0

    Et selon toi, la gauche ne le fait pas par électoralisme ?

  • Speaker #1

    Je pense surtout qu'elle ne le fait pas parce que… Parce qu'elle est portée par un ordre culturel, la gauche, qui est plutôt issue du mouvement ouvrier, de ce qui s'est consolidé au XXe siècle, autour de la définition de ce que serait une culture de gauche, ce que serait une parole politique de gauche, et que tout un tas de nouvelles pratiques, notamment parce qu'elles viennent aussi de fractions des classes populaires qui ont été longtemps écartées de la sphère publique, je pense que la gauche a tout simplement du mal à accepter la légitimité de cette parole. Et là, de ce point de vue-là, l'histoire. politique des quartiers le montre très bien, c'est-à-dire qu'il y a énormément de pratiques, de discours qui, si on les regarde objectivement avec l'outil que sont les sciences sociales, qui sont des pratiques politiques, mais qui pour l'instant ne sont pas du tout reconnues comme telles encore par ceux qui détiennent, on va dire, les clés d'entrée du champ politique. qui émergent dans les quartiers de ce point de vue-là, c'est toujours aussi un petit peu alternatif par rapport à la définition dominante de ces nouvelles mobilisations, c'est-à-dire que le combat féministe dans les quartiers prend peut-être une autre forme que la définition consacrée, même s'il n'y en a pas une seule, du combat féministe dans la culture de gauche. Je pense que là encore, il y a aussi beaucoup de choses à découvrir sur la manière dont, tout simplement… Des générations successives de femmes se sont attelées à déconstruire des modes de domination qui se croisaient dans les quartiers, peut-être plus qu'ailleurs. Et donc là, de ce point de vue-là, je pense qu'il y a une dimension aussi ascendante dans la définition des modes d'engagement qui est très intéressante et qui est importante, à mon avis, à valoriser. Parce que c'est vrai que le discours féministe aussi est utilisé pour discréditer, discriminer les modes d'engagement dans les quartiers populaires, et notamment aussi les modes d'engagement des femmes. Et donc du coup, ça je pense que c'est quelque chose qui est important à souligner, parce que dans beaucoup de débats que je fais autour du livre, justement c'est vrai que quand je fais des débats dans les quartiers, les jeunes femmes qui sont engagées, c'est toujours quelque chose qui revient beaucoup dans les discussions, c'est-à-dire comment faire valoir un engagement pour la place des femmes dans les quartiers, sans aller dans le sens des discours qui stigmatisent, notamment... la pseudo-domination masculine dans les quartiers populaires, etc. Et donc je trouve que là, il y a vraiment des choses très intéressantes à creuser. Même sur la question de l'antiracisme, etc., on sait bien que, notamment depuis la fin des années 1990, le début des années 2000, il y a quand même un renouveau de la pensée antiraciste qui naît aussi de la visibilisation des luttes des quartiers populaires et qui vient, entre guillemets, un peu politiser. un antiracisme qui est hérité plutôt de la culture des souhaits-racisme, etc. Donc de ce point de vue-là aussi, finalement, ce qui se passe dans le réel va complètement bouger ou redéfinir la manière dont on pensait la politique. Et puis, le livre aussi essaye vraiment pour le coup d'approfondir des pratiques que moi j'appelle les pratiques ordinaires dans les quartiers, c'est-à-dire des pratiques de solidarité qui se font au quotidien, souvent hors de tout champ institutionnel. parfois contre même l'idée que ces pratiques seraient politiques. En tout cas, ceux qui mettent en place ces actions revendiquent parfois la distance à l'égard de la politique. Et en même temps, dans ces pratiques-là se déploie une vision du monde et puis souvent aussi un engagement dans la sphère publique qui parfois peut aller même jusqu'à mettre le pied dans le champ politique. Donc de ce point de vue-là, je pense qu'il y a aussi… Là, pour le coup, je pense à une redéfinition de la politique telle que la culture de gauche l'avait établie, qui de toute façon se fait, même si on ne veut pas la mettre en avant, de toute façon, ça y est, elle s'affirme dans des villes que tu connais, de la région parisienne, dans le Val-de-Marne notamment. Des collectifs citoyens sont dans des majorités municipales. Parfois, des listes citoyennes issues des quartiers vont chambouler certains jeux politiques locaux, etc. De toute façon, cette transformation est… Elle est en marche. Après, la question, c'est ce qu'on avait dit dans une tribune, encore une fois, avec mon ami Abdel Yassine, c'est soit la gauche s'ouvre à cette culture politique-là, soit, nous on avait dit, soit elle meurt, je ne sais pas s'il faut être aussi pessimiste, mais soit en tout cas, elle continue dans ce qu'on pourrait considérer comme un décrochage à l'égard de certaines fractions des classes populaires.

  • Speaker #0

    Alors, dans ton livre, tu précises bien qu'il n'est pas question de stratégie politique. Malgré tout, je me permets de te poser cette question. Quelle serait la bonne stratégie ? Qu'est-ce qui a foiré ? Quelles seraient les bonnes pratiques entre l'univers politique, la gauche en particulier,

  • Speaker #1

    et les banlieues ? Déjà, j'essaierai que j'utilise cette formule à la fin de la conclusion. C'est un peu une punchline parce que je trouve que le mot stratégie politique, aujourd'hui, il est un petit peu galvaudé. En fait, tout le monde qui a un avis sur la politique, il va dire qu'il fait une proposition en termes de stratégie. Et je trouve que la surutilisation du mot stratégie est un peu contradictoire avec, selon moi, la... la désertion de beaucoup d'espaces politiques, y compris par ceux qui prétendent faire de la stratégie. L'idée de cette formule, c'était aussi de dire qu'il y a un retour à la pratique qui est quand même un petit peu inévitable. Je pense qu'il y a beaucoup d'intellectuels, mais pas seulement, aussi dans le monde militant, qui pour moi utilisent ce mot stratégie à tort et à travers, avec aussi parfois une mauvaise lecture de Gramsci. qui, voilà, c'est toujours important de le rappeler, n'a jamais considéré que la parole... qu'on va appeler intellectuelle, pouvait comme ça donner une influence sur la pratique. Et voilà, chez Gramsci, il y a toujours cette idée que la guerre de mouvement et la guerre de position, elles sont inséparables. Et donc, une parole stratégique, finalement, elle n'a aucun effet si elle ne se mêle pas aussi à une expérience pratique. Cette phrase sur la stratégie, c'est aussi pour dire ça, c'est pour dire, bon, le retour à l'expérience pratique, ça reste quand même la base. Et je pense qu'aujourd'hui, moi, Ce livre n'est pas là pour donner des conseils à la gauche, parce que j'ai l'habitude de dire que si j'ai un avis ou si j'ai quelque chose à faire avancer dans le champ politique, il y a la politique pour ça. Écrire des livres, participer aux débats intellectuels, participer aux débats scientifiques, produire du savoir, c'est quand même autre chose. En tout cas, en termes de champ d'action, ce n'est pas pareil. Et si tu veux, moi, sur les quartiers, tu auras compris que je suis... je ne considère pas que quelque chose a foiré, de la même manière que je ne considère pas que quelque chose a marché. Je pense que quand on décrit l'histoire du rapport Descartes-Yala-Gauche, on décrit une histoire conflictuelle, mais qui est, comme dirait Étienne Balibar, qui est non terminée. En tout cas, l'objectif du livre, sans être un conseil stratégique, c'est de dire qu'il y a une culture politique qui est à la porte de la gauche. Soit on considère qu'elle peut... redéfinir les contours de ce qu'est une action révolutionnaire au XXIe siècle, et auquel cas on fait vraiment en sorte qu'elle puisse faire cette tâche-là. Soit les portes continuent d'être fermées et on continue de penser que les quartiers sont un capital électoral facilement mobilisable dans les grands moments d'élection, mais on oublie de le penser comme un capital politique, c'est-à-dire un capital intellectuel, un capital pratique. Et là, je pense qu'on en est encore loin de cette ouverture-là, je suis sincère. Je pense qu'encore aujourd'hui, la majeure partie du champ politique, et je mets la gauche dedans, sonne très faux quand il parle des quartiers populaires. Il y a un énorme retard dans la reconnaissance de ce qu'ont produit politiquement les quartiers, ce que le MIB appelle le monde de l'immigration et des banlieues. Le livre, en tout cas d'un point de vue politique, il sert à accroître ce champ de connaissances, mais il ne donne pas de conseils sur le plan politique parce qu'il y a le champ politique pour ça.

  • Speaker #0

    Et en parlant de champ politique, tu en as été, tu as été conseiller municipal. C'est marrant parce qu'on a un petit peu le même parcours, c'est-à-dire qu'on a connu cet univers qui peut être très institutionnel de l'engagement politique pour après décorer autre chose. Toi, comment tu analyses un petit peu cette rupture de ton parcours, qui n'est pas forcément une rupture parce qu'évidemment... il y a une cohérence. Et est-ce que cette casquette universitaire a fait que ton regard a changé sur certaines idées préconçues ou pas que tu pouvais avoir avant ?

  • Speaker #1

    Bon, de toute façon, c'est une réflexion qui est au cœur de l'ouvrage et puis de mes recherches. C'est-à-dire que le précédent livre et celui-ci, ils explicitent ce qu'il faut appeler une rupture, même si après, il faut mettre du contenu dans ce qu'est cette rupture. le passage du point de vue militant au point de vue scientifique, c'est évidemment une rupture. Et d'ailleurs, si je ne dis pas que c'est une rupture, dans ce cas, il ne faut donner aucun crédit à ce que je produis en termes de connaissances dans mes travaux. Le principe quand même de la démarche scientifique, c'est l'objectivation des phénomènes qu'on étudie. Et donc, d'une certaine manière, cette objectivation, elle impose une rupture avec le point de vue militant. Voilà, moi, c'est vrai que je suis dans la tradition de la sociologie critique, et notamment de Pierre Bourdieu. Merci. Moi, je suis convaincu que la position détermine le point de vue. Et donc, évidemment, pour reprendre ce que tu as dit, quand on est militant politique, quand on est élu, le point de vue qu'on a est inévitablement déterminé par notre position, les intérêts en jeu, etc. Et le départ de ma recherche, moi, c'est d'interroger ce point de vue, y compris d'interroger ce point de vue militant. Voilà, moi, j'ai été… Tu l'as dit en introduction, moi, j'ai été… Dans l'opposition au système d'assaut, je me suis attaqué à ce qu'on peut appeler le système mafieux de corruption, mis en place par ce milliardaire pendant 20 ans à Corbeil-Essonne. J'avais un certain regard sur la corruption, sur la manière dont le clientélisme pouvait déterminer les rapports sociaux dans une ville, etc. Évidemment qu'en passant du point de vue scientifique, il y a tout un tas de phénomènes qui ont une autre allure, y compris… Des choses que j'appelais avant clientélisme, aujourd'hui je les appelle peut-être politisation. Quand un groupe de jeunes, ou de moins jeunes d'ailleurs, s'organise pour aller faire valoir ses intérêts auprès de la ville, et peut-être l'emporte auprès d'un pouvoir politique, quand je combattais ça en tant que militant, j'appelais ça clientélisme. Aujourd'hui, on peut aussi, avec un regard pour le coup un petit peu plus objectif, on peut mesurer que c'est aussi un jeu de négociation qui est très présent dans le champ politique, qui concerne beaucoup de monde, et qui, par plein d'aspects, ressemble juste à faire valoir des intérêts collectifs avec les méthodes de mobilisation qui sont à disposition d'un certain groupe social. C'est un exemple parmi d'autres que je te donne. L'idée, c'était aussi de se rendre compte que dans plein de choses que j'avais combattues pendant des années, il y avait aussi des pratiques politiques, des manières de voir le monde, parfois des manières aussi de contourner certaines formes de domination. Et le seul moyen, c'était de rentrer dans des types d'actions qui ne rentraient pas dans ce qu'on va appeler le catalogue traditionnel de la gauche. Donc voilà, tout un tas de remises en cause, pour le coup, de mon point de vue de militant de gauche. qui sont salvatrices. Alors, je ne dis pas que le modèle politique, c'est de renverser tout ce qu'on avait fait avec le mouvement ouvrier et de considérer qu'aujourd'hui, il faut juste repartir de ce qui se passe spontanément dans la société. C'est bien plus compliqué que ça. Je pense qu'on est dans un moment, on peut dire qu'on a eu un moment d'affirmation très fort et que le mouvement ouvrier en France et à l'international a permis une transformation radicale profonde. des rapports sociaux et puis même de notre rapport au monde. Et je pense d'ailleurs que dans ce qu'a produit le mouvement ouvrier au XXe siècle, il y a encore tout un tas de choses qui peuvent nous aider, par exemple, à repenser le combat écologique au XXIe, etc. Je ne pense pas du tout que ce logiciel est passé. Mais je pense par contre qu'il faut voir dans différents endroits dans la société la manière dont il est réapproprié, transformé. Et voilà, ne jamais oublier quand même que l'idée de la transformation sociale, c'est quand même l'idée que le point de vue des plus en difficulté, des plus dominés, c'est là que se situe la solution pour renverser l'ordre des choses. Et voilà, ne jamais oublier ça. Et donc moi, je considère aussi que quand je travaille sur les quartiers populaires, quand je travaille dans ce qui se produit politiquement dans les quartiers, je fais aussi un travail d'intérêt général.

  • Speaker #0

    Et quand on parle d'intérêt général, on pense au service public ? pour avoir longtemps travaillé en collectivité territoriale et pour travailler encore pour et avec les collectivités territoriales, on voit que cette question du lien avec les habitants quand même taraude beaucoup d'entre elles. Certaines tentent des choses, d'autres y arrivent plus ou moins, des fois par manque de moyens, par manque d'envie ou par manque de méthode. Il y a peut-être quand même un cap à franchir pour améliorer cette capacité d'écoute et de travail ensemble.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord avec toi, mais on pourrait prendre le problème dans l'autre sens et se dire aussi que les collectivités ont une expérience, justement, déjà de la prise avec le réel, avec les nouvelles formes d'engagement et de négociations politiques, etc. Et que, d'une certaine manière, cette expérience-là, et je vais parler des collectivités de gauche parce qu'on va dire que, dans ce podcast, on peut dire, je pense, que les collectivités de droite, ce n'est pas forcément ce qui nous intéresse d'abord. Je pense que les collectivités de gauche, notamment les villes populaires, ont aussi une expérience de dialogue, d'interaction avec certaines fractions des classes populaires et que malheureusement cette expérience n'est pas du tout assez valorisée dans ce qu'est la gauche aujourd'hui à l'échelle nationale. Je pense que l'expérience d'élus locales, j'en ai une, on a beaucoup d'expériences comme celle-ci qui peuvent apporter. à ce qui se construit nationalement à l'échelle de la gauche. Je pense, et là ce n'est pas faire insulte au rapport de force aujourd'hui au sein de la gauche française, mais je pense que cette expérience locale est peut-être moins présente, moins prégnante qu'elle ne l'a été par le passé. Et je pense qu'on y perd aussi du point de vue de la connaissance de certaines parties du réel, et notamment de la connaissance des quartiers populaires. Et je pense d'ailleurs que... tu vois, dépasser des débats comme celui du faux clash autour du rural quartier. Je pense que dans des débats comme ça, en fait, c'est aussi la parole d'élus locaux, de gens qui ont l'expérience du réel, de la pratique politique dans le réel, qu'il faut entendre. Les collectivités aujourd'hui, moi, je verrais plus vis-à-vis de tout ça, je vois leur expérience plus positivement, si tu veux, que me dire qu'est-ce qu'elles peuvent faire de mieux. Je pense qu'elles auront déjà beaucoup à apporter. au débat national à gauche. Moi, avec mon expérience d'élu municipal et en ayant beaucoup pensé la politique à partir de la ville, je pense que la ville reste un échelon démocratique incomparable en France. Si on prend mon objet d'étude, que sont les quartiers populaires, je pense que dans les quartiers, la ville, ça reste un repère, un repère politique, un repère évidemment identitaire dans le bon sens du terme. et que la ville crée un commun qui n'a pas vraiment d'équivalent en France. Dans la contestation de l'ordre des choses, ça peut être un levier très fort pour faire entendre la voix des classes populaires. Et là encore, je pense que la gauche française de 2024 peut faire beaucoup mieux dans faire vivre cette parole à l'échelle des villes.

  • Speaker #0

    Et on va bientôt être à fond dans ce sujet avec les prochaines élections municipales qui arrivent.

  • Speaker #1

    Voilà, tu m'as eu le mot de la bouche. Mais voilà, je pense en effet que les échéances municipales de 2026, ça doit vraiment être un grand moment de reconfiguration, y compris intellectuelle, pour la gauche en France. Il ne faut absolument pas considérer qu'on peut enjamber ces élections et passer directement à la présidentielle. Je pense que... y compris les grands moments de mobilisation qu'on a vécu, comme celui au début de l'été, au mois de juillet, au deuxième tour des élections législatives, je pense que ce sont des moments qu'il ne faut pas idéaliser. Il y a eu une mobilisation que j'appelle défensive, contre l'extrême droite, qui a surpris tout le monde, y compris la gauche, mais qui ne veut pas dire que les quartiers, puisque ils se sont beaucoup mobilisés, que les quartiers seraient acquis à la gauche, que c'est... cette mobilisation-là pourrait se reproduire de manière équivalente, voire de manière exponentielle, comme ça, sur un autre scrutin. Ça, je dois dire que je n'y crois pas. Moi, je pense qu'une mobilisation, pour le coup, je suis très marxiste pour ça, mais c'est des conditions matérielles qui permettent une conscientisation et le déploiement d'une action, et que dans les conditions matérielles nécessaires pour ce type de mobilisation, le travail politique… À l'échelle territoriale, il est primordial. Et donc, je pense que si on veut préparer 2027, le mieux, c'est d'être très fort en 2026, notamment dans les lieux, en effet, qui se sont mobilisés pour la gauche ces dernières années. Oui,

  • Speaker #0

    et ça ne suffira peut-être pas. Il faudra que ça se fasse, on va dire, une belle tâche d'huile pour que l'ensemble du pays s'inspire des modes de mobilisation. Merci, Ulysse. Une dernière question ? Ce podcast, il est là pour questionner ce qui va, ce qui ne va pas, mais aussi pour créer de l'espoir. Ce serait quoi ton espoir ?

  • Speaker #1

    Que cette question de la pratique politique redevienne un petit peu au centre des débats à gauche. C'est vrai que même si aujourd'hui je suis plus dans le champ intellectuel et des idées, je souffre beaucoup du fait que les discussions à gauche, finalement, soient souvent un petit peu confisquées ou en tout cas circonscrites, soit au monde intellectuel, soit au champ politique. qui considèrent être le plus renseignés sur ces questions. Et du coup, voilà, moi, s'il y a un espoir, c'est que les discussions qu'on a là, elles se disséminent dans une pratique à l'échelle ordinaire et qu'elles rencontrent finalement tout un tas de conversations qui sont toutes aussi politiques, mais qui se situent à l'échelle du réel. Je pense que pour reprendre le titre de l'ouvrage, moi, je considère que la politique est partout dans la street. et donc il faut que la politique telle qu'elle se définit de manière dominante, elle ouvre la porte à cette culture-là et je ne pense pas qu'il y aura des miracles parce que je ne crois pas aux miracles en politique je ne crois qu'à la pratique mais voilà, je pense qu'en tout cas là, dans les temps qui viennent, il y a peut-être des conditions qui sont plus propices à ce que cette porte s'ouvre et à ce que quelque chose se passe, donc voilà.

  • Speaker #0

    C'était un épisode du podcast Hop Hop Hop. Et pour continuer à espérer ensemble vers le plus juste, n'hésitez pas à partager cet épisode. Et si vous avez des idées, des avis ou des suggestions, contactez-moi sur LinkedIn ou Instagram. Je suis Fanny Cisorn et je vous dis à très bientôt.

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