Speaker #0livia marche sur la pointe des pieds dans un long couloir étroit et enténébré amadéo l'accompagne ils ne croisent aucun garde et ça les étonne normalement des soldats patrouillent toute la nuit dans l'aile privée du château en temps de guerre ses parents ne souhaitent pas gaspiller inutilement des ressources en laissant brûler les torches en continu toute source de lumière est devenue précieuse La petite fille s'est habituée à cette obscurité constante. Elle connaît le château par cœur, elle pourrait trouver son chemin même en fermant les yeux. Elle a été mise au lit par sa nourrice quelques heures avant et s'est réveillée au milieu de la nuit dans un sursaut. Les pâtisseries auxquelles elle n'a pas eu droit au dessert l'appellent. Elle s'est faufilée dans la chambre de son frère pour qu'il vienne avec elle. Elle n'a pas eu besoin de le secouer. Il était dans son lit, l'air inquiet. Il a suivi sa sœur sans poser de questions. Mais à présent, Livia a l'impression de faire une grosse bêtise. Les corridors sont trop vides, trop sombres, trop froids, trop silencieux, jusqu'à ce qu'ils parviennent à l'immense escalier de pierre en hélice. Elle est terrifiée. Un pressentiment lui tord les boyaux et un violent frisson la fait trembler. En bas, des bruits de métal contre du métal, des sons sourds, des cris étouffés. Les deux enfants reconnaissent immédiatement les timbres d'un combat. Amadeo serre les poings. Livia est incapable du moindre mouvement. Côte à côte, même s'ils ne peuvent pas encore mettre des mots dessus, Ils prennent conscience que leur vie vient de basculer. Livia a envie de s'enfuir, de courir loin et de se cacher assez longtemps pour qu'on l'oublie. Pourtant ses jambes choisissent à sa place de descendre les marches, une à une, avec la lenteur d'une condamnée. Son frère la suit. Personne ne les arrête. Les adultes se battent. Malgré son jeune âge, Livia sait de quoi il en retourne. Le grand empire d'Urbs a pénétré encore plus loin dans leur petit royaume, jusqu'à leur château. Sa mère lui a expliqué ce qu'il faisait aux enfants, et Livia a envie de pleurer. Par automatisme, elle se dirige vers la salle du trône. Elle cherche ses parents. Elle trouve son père. Il se bat avec l'énergie du désespoir, et puisqu'il n'est pas encore vaincu, alors tout est possible. En face de lui, plusieurs soldats le harassent inlassablement. Mais le roi est trop fort pour eux, et ils tombent, ensanglantés, un à un. Livia se dissimule derrière l'une des grandes tentures murales pour continuer à observer sans être capturée. Elle a perdu Amadeo. Elle essaye de se rappeler ce qu'on lui a demandé de faire en cas d'attaque, mais elle a tout oublié. Bien malgré elle, elle garde les yeux grands ouverts et elle voit tout. Des militaires avec un uniforme différent s'avancent dans la salle. Livia l'ignore encore, mais ce sont des dévoratories. L'Empereur veut en terminer avec cette comédie. Il a perdu trop d'hommes. Kart Hadash a résisté trop longtemps. Livia n'a jamais vu la magie à l'œuvre. C'est sa première expérience. et ça la marquera à jamais. Tout à coup, l'épée de son père s'arrache de ses mains et va voler contre un mur dans un tentement sourd qui glace le sang. Puis le roi quitte le sol. Ses pieds ne touchent plus les épées tapis aux couleurs vives. Il est maintenu dans les airs par une force invisible. Ses membres s'agitent, comme la marionnette avec laquelle Livia joue de temps en temps. Elle pousse un cri de bête blessée et, quelques secondes après, elle a rejoint son père. Ça ne fait pas mal, mais elle ne peut plus contrôler son corps. D'allié, il est devenu ennemi. Elle a si peur que sa culotte s'imprègne d'urine. Elle est sûre qu'elle va mourir. Bientôt sa mère et Amadeo volent à leur tour, prisonniers ridicules. Tout le monde se rassemble dans la salle du trône. Les soldats Hadash-ti sont tâche-faits, ou ligotés. Les vainqueurs commencent déjà à piller les quelques richesses du château. Livia ne reconnaît pas l'empereur lorsqu'il s'avance en personne. Ses vêtements sont immaculés. Il a assisté au combat de loin, sans se salir les mains. Sur un signe de sa part, ils regagnent le sol et rejoignent une geôle de leur propre château. Amadeo et Livia sont séparés de leurs parents. Deux jours plus tard, ils en sortent enfin. On ne leur dit rien. On les conduit faire au pied dans ces couloirs qu'ils connaissent si bien, jusqu'à une estrade en bois qui a été montée sur la grand-place devant le château. Juste avant de les forcer à monter, on leur retire leur chaîne. Soudain, ça recommence. Livia ne maîtrise plus son corps. Elle est une marionnette actionnée par des fils invisibles. Ses jambes grimpent toutes seules les quelques marches, au sommet desquelles elle retrouve ses parents. Ils sont agenouillés, en position de soumission, aussi sales qu'elle. Elle ne les a jamais vues comme ça, et la nausée lui tord le ventre. Mais elle n'a rien à vomir. Elle est placée au bord de l'estrade. Elle essaye de lutter contre ce poids, rien n'y fait. Amadeo se tient à ses côtés. C'est seulement là qu'elle se rend compte que l'estrade domine une foule à perte de vue. Les gens sont silencieux. Livia aperçoit des visages terrifiés. inquiets et fatigués. Ils ploient tous la tête. Elle ne comprend pas ce qu'il se passe. Pourquoi les a-t-on amenées là Elle sent que le moment est grave sans pouvoir mettre un doigt dessus. Sa mère est relevée et amenée à l'arrière de l'estrade. Elle non plus ne contrôle plus ses gestes, mais Livia aperçoit sa rage jusqu'au fond de ses os. Elle aimerait lui demander de l'aide, seulement sa bouche ne s'ouvre pas et Juliana ne la regarde pas. L'empereur surgit soudain à leur côté. Il fait un discours aux mots compliqués que Livia ne comprend pas, à part les derniers. Ils lui font froid dans le dos. Elle tremblerait si elle pouvait bouger. Elle serait incapable même de tenir debout. Ils vont tuer son père. Vous écoutez Inky et Pete se livre, le podcast lecture en 15 minutes, à peu près, qui donne vie et voix aux premiers mots d'un livre et vous donne envie de découvrir les suivants. Ou pas. Je suis Mafalda Vidal, amoureuse des jolis mots et des belles histoires. Vous venez d'écouter l'incipit de Conjuration, écrit par Bleu Nguiyou, publié en 2024 chez Naos, la collection young adulte des éditions Mnemos. Conjuration, c'est l'histoire de Livia. Livia voit son père assassiné sous ses yeux, et est forcée de rejoindre la cité de Urps, où elle va grandir en tant qu'otage. Elle est considérée par l'Empereur lui-même comme un modèle d'intégration. D'ailleurs, elle est fiancée au fils cadet de l'Empereur, Caius. Alors bon... Elle complote en parallèle pour empoisonner l'héritière du trône, Agrippine, la sœur de Caius, à petit feu. Donc, ce n'est pas tout à fait un modèle parfait. Quoique, si on considère les magouilles politiques dans lesquelles baigne toute la cité, finalement, on peut se dire qu'elle était à bonne école. Seulement voilà, l'empereur va mourir de manière brutale. Donc, les fiançailles vont peut-être être rompues. Et surtout, si Agrippine meurt, donc si l'héritière meurt, les accusations vont tout de suite se porter sur... Caius et sur Livia, puisque ce sont les suivants dans la ligne d'héritage. S'ajoutent à ça des attentats mystérieux contre la famille impériale. Agrippine accède au trône, mais elle est particulièrement affaiblie à cause de l'empoisonnement déjà en cours, elle est complètement parano, et honnêtement, on le serait pour moins. Et elle voue une haine sans nom à Livia, parce qu'elle considère qu'elle a infiltré sa famille, tel un parasite, et qu'elle a manipulé son frère pour arriver là où elle est. Alors oui, Livia c'est une otage, elle a été emmenée à Urps contre son gré, mais elle a grandi avec Agrippine et Caius. Et elle aime sincèrement Caius, de manière amicale, mais ça c'est une autre histoire. Et surtout, de manière très originale, elle ne cherche pas à se venger de l'Empire qui l'a fait otage. C'est en ça qu'elle est une otage bien intégrée. Parce qu'elle a conscience de tout ce que l'Empire a, j'ouvre les guillemets, fait pour elle, je ferme les guillemets. Oui. L'Empire a détruit son pays. Oui, il a assassiné son père, devant ses yeux, donc pour ça elle lui en veut. Mais d'un autre côté, l'Empire, c'est une civilisation bien plus avancée que sa cité natale. En particulier, c'est une civilisation qui donne une place aux femmes. Donc l'éducation qu'elle a reçue dans l'Empire, même en tant qu'otage, elle ne l'aurait pas reçue si l'Empire n'avait pas envahi son pays. Donc elle ne veut pas prendre sa revanche sur l'Empire, elle veut prendre sa revanche sur la situation. Elle veut se faire une place dans l'Empire en tant que personne. Et si elle peut récupérer au passage un peu de pouvoir et du respect, elle ne va pas s'en priver. Bien sûr, l'Empire n'est pas parfait, et Livia le sait. Mais c'est toujours mieux que sa cité d'origine. Et surtout, elle croit dur comme fer que Caius peut rendre l'Empire meilleur. Agrippine est la personne à abattre pour deux raisons. Première raison, elle est l'obstacle pour l'accession au pouvoir de Caius, et donc de Livia. Mais également, Agrippine considère les otages comme des moins que rien, et est extrêmement cruelle et injuste avec eux. La dynamique entre ces deux personnages, Livia versus Agrippine, est très intéressante, parce qu'au fond, Livia et Agrippine se ressemblent énormément. Et si Livia n'avait pas été otage, je suis persuadée qu'elles auraient presque été amies. Parce qu'elles fonctionnent pareil, elles sont toutes les deux prêtes à de grands sacrifices pour arriver à leur fin. Des sacrifices au sens propre, ça peut vouloir dire tuer. Mais ça peut aussi vouloir dire blessé, que ce soit physiquement ou moralement. Juste un exemple, Livia ment effrontément à son futur mari quant à l'empoisonnement de sa propre sœur. Et ça c'est un point intéressant parce que dans ce roman, qui est quand même destiné à des jeunes adultes, il y a très peu de manichéisme. Les personnages ne sont pas noirs ou blancs, ils sont vraiment très très gris. Et ils sont capables de faire le bien, mais pour ça, ils n'hésitent pas à faire le mal. Autre point intéressant, c'est tout le contexte. Il faut savoir que Bleu-Hen-Guillou a un master en histoire romaine. Donc elle maîtrise bien le sujet. Son histoire se déroule dans une antiquité revisitée, plus particulièrement dans une Rome revisitée, donc la cité de Ourps. Dans cette cité, il n'y a pas d'esclaves, mais il y a des otages, des citoyens, et surtout des citoyennes, des citoyennes avec un vrai pouvoir. Autre point commun avec Rome, toutes les intrigues politiques, les intrigues géopolitiques, mais aussi les courses de chars, les monuments, toutes les histoires de cours et les histoires de chœurs. Il y a énormément de clins d'œil à la vraie histoire, notamment dans les noms des personnages. Et à ce décor antique s'ajoute de la magie. La magie est assez mystérieuse. Elle fait peur parce qu'elle n'est pas maîtrisée et qu'on n'en connaît pas l'origine. Elle est extrêmement réglementée parce qu'elle rend fou. Plus on utilise cette magie, plus on a envie de l'utiliser. Et plus on l'utilise, plus on devient fou. Le parallèle avec le pouvoir est assez frappant. Parce que finalement... la folie menace plusieurs personnages, dont Agrippine. Agrippine n'utilise pas la magie, mais Agrippine goûte au pouvoir. Livia aussi. Plus elle s'approche du pouvoir, plus elle a la pression, et plus elle a l'impression de devenir folle. Et je ne parle pas de Caius, qui lui, ne veut pas du pouvoir, contrairement à ce que croit sa sœur, mais qui par la force des choses va s'en rapprocher. Conjuration, c'est donc un roman qui mêle antiquité et fantaisie complot politique et magie, mais c'est aussi un roman sur la transformation d'une femme, donc Livia, qui va entamer une ascension sociale et qui va user de tous les moyens à sa disposition, donc manipulation, mensonge, poison, pour influencer la politique de l'Empire, mais surtout pour prouver qu'elle a sa place et pour prouver qu'elle a le contrôle sur sa vie. Et en parallèle, on a l'évolution d'une autre femme, Agrippine, qui elle est déjà en haut de l'échelle sociale, donc qui ne peut que redescendre. qui a priori a bien un contrôle sur sa propre vie, quoique, qui se bat avec les mêmes armes que Livia, sauf qu'elle n'utilise pas de poison, elle utilise une dague. La confrontation de ces deux femmes, de leurs histoires, de leurs valeurs, va finalement faire plus de bruit que tous les attentats qui peuvent frapper Ourps. Merci de m'avoir écoutée jusqu'au bout. Si vous avez passé un bon moment, dites-le moi. Dites-le aussi à votre plateforme d'écoute. Et n'hésitez pas à partager le podcast avec d'autres amoureux et amoureuses des nous. A bientôt