Speaker #0Depuis un an, le fléau du narcotrafic explose au visage de la France. La drogue, les gangs, les armes, les règlements de comptes, les balles perdues, les enlèvements. Nous sommes en train de perdre la guerre, s'alarmait des magistrats marseillais l'an dernier, avec en tête un scénario de cauchemar, la mexicanisation de la France. Le Mexique et ses cartels aussi puissants que des multinationales, armés jusqu'aux dents, leurs moyens, leur violence sans limite, leur chef mythique aussi vénéré par la culture populaire. La France en prend peut-être le chemin, mais savez-vous que les cartels mexicains sont déjà à la conquête de l'Europe et de la France ? Ça, c'est intéressant. Je suis Dimitri Pavlenko, bienvenue sur Intéressant, le podcast qui décrypte l'actualité en grand format. Vous pouvez aussi me retrouver sur YouTube. Depuis un an, un mot s'est imposé dans le débat public. Mexicanisation. La mexicanisation comme la promesse d'un avenir terrifiant pour la France, celui d'une société qui se lézarde, d'un État devenu trop faible pour résister à la montée en puissance, de gangs enrichis par le trafic de stupéfiants et à la violence sans limite. La mexicanisation, c'est cette dystopie dans laquelle la puissance publique est défiée par un ordre concurrent, un ordre criminel. Le mot de mexicanisation d'ailleurs réveille tout un imaginaire, celui des cartels mexicains, malheureusement de moins en moins exotiques pour nous en France. Le narcotrafic au Mexique en 20 ans, c'est 450 000 morts, surtout les gangs entre eux, mais aussi dans la guerre qu'ils mènent à l'État mexicain et puis toutes les victimes civiles collatérales également. Bon. En France, on est encore loin de cette montagne de cadavres mexicaines, mais nous sommes entrés dans une spirale de narco-violences d'inspiration latino-américaine. C'est le signe le plus visible de cette mexicanisation du trafic de drogue en France. Depuis trois ans, on compte environ 400 morts par an en lien avec le narcotrafic. On approche des 10 000 armes à feu saisies chaque année, dont une part croissante d'armes de guerre. Les affaires de règlement de comptes, d'enlèvements, de balles perdues se multiplient avec des cas de torture récemment révélés à Marseille et même de réduction en esclavage. La mexicanisation, donc, c'est la violence. C'est aussi la massification du trafic de stupéfiants. La police recense aujourd'hui 3000 points de deal dans le pays, c'est-à-dire davantage que de restaurants McDonald's. Le secteur ferait vivre 250 000 personnes en France, c'est-à-dire à peu près les effectifs du secteur bancaire. Les saisies de drogue, elles se font aussi toujours plus importantes, 110 tonnes en 2024, sans que d'ailleurs cela n'affecte le prix du produit dans la rue, comme si les quantités interceptées n'étaient que des gouttes d'eau de ce tsunami de stupéfiants qui déferle sur la France. La mexicanisation, c'est aussi l'infiltration de l'économie légale, la corruption des agents publics. Récemment, la chef de la lutte anti-stupéfiants à Marseille et son adjoint ont été mis en examen pour la disparition de 400 kilos de cocaïne. Et en Normandie, l'adjoint à Mme le maire de Cantelieu a été condamné pour avoir aidé un réseau local de narcotrafiquants. La procureure de la République de Paris, Laure BQO, confiait dès 2022 au journal Le Monde que l'on détecte des risques de déstabilisation de l'état de droit. Mais la mexicanisation, la vraie mexicanisation, passe encore largement sous les radars du grand public. C'est que les puissants cartels mexicains ont mis un pied en Europe. En 2024, les gendarmes démantèlent à Toulon un laboratoire de production de méthamphétamine. Sur place, ils mettent la main sur 216 kg de cette puissante drogue qui, au détail, se revend autour de 30 euros le gramme. Valeur de cette saisie, 6 millions d'euros. Les gendarmes sont intrigués parce que la méthamphétamine est une drogue qui est encore assez peu diffusée en France. C'est la drogue de la série Breaking Bad. C'est une drogue effrayante, extrêmement addictive, aux effets ravageurs. ... Après quelques mois seulement, les consommateurs ont des têtes de zombies avec d'importantes plaies sur le visage, le regard agarre. La meth se présente sous forme de poudre ou de cristaux. Chaque année, les saisies augmentent à autour de 300 kilos en 2024 en France, mais rien à voir avec les dizaines de tonnes de cocaïne ou de cannabis sur lesquelles les forces de l'ordre mettent la main. La méthamphétamine, en revanche, est un problème de santé publique massif en Asie. Et en Amérique du Nord, où des saisies de plusieurs tonnes sont désormais monnaie courante. Mais dans l'affaire de Toulon, les gendarmes vont découvrir un fait particulièrement préoccupant. Les chimistes qui ont fabriqué cette drogue ont été envoyés en France depuis le Mexique par le puissant cartel de Sinaloa. Sinaloa, état du nord-est du Mexique, capitale Kuliakan, est fief du plus ancien et plus puissant cartel de narcotrafiquants mexicains. Les gendarmes ne mettront pas la main sur les cuisiniers, comme les narcos s'appellent leurs chimistes, qui étaient déjà repartis sans doute pour aller cuisiner de la méthamphétamine ailleurs dans le monde, pour le compte du cartel ou bien d'un réseau client. En tout cas, Toulon, c'est la première fois qu'en France on documente aussi nettement la présence d'un cartel mexicain. présence que l'on a déjà pu observer en revanche à de nombreuses reprises aux Pays-Bas, en Belgique ou en Espagne où chaque année on démantèle des dizaines de laboratoires clandestins de fabrication de drogues de synthèse dans de petits villages, des péniches ou des hangars agricoles. Pourquoi le cartel de Sinaloa envoie-t-il ces chimistes en Europe ? Et bien tout simplement pour leur savoir-faire. La méthamphétamine est une drogue difficile à produire, le savoir-faire des cuisiniers mexicains est incomparable. pour fabriquer des cristaux gros et rentables. Les meilleurs cuisiniers mexicains sont capables de produire de la méthamphétamine à partir de poivre noir. Ce talent à manipuler les molécules, c'est d'ailleurs le point de départ de l'intrigue de la série Breaking Bad. Les organisations mexicaines utilisent les cocineros pour produire de la drogue au plus près des consommateurs. Ça a été d'ailleurs l'une des leçons du Covid pour eux. Ils le sont qu'il y avait un risque pour les affaires de fermeture des routes commerciales. Ils viennent aussi, ces cuisiniers, en Europe, quand il s'agit de reconditionner de la cocaïne masquée par d'autres substances lors du transport. En effet, les cartels ont trouvé la parade pour passer les scanners des douanes. Ils font voyager la cocaïne sous forme liquide, ce qui permet de la dissimuler dans des vêtements, du carton, dans des peintures ou encore du charbon de bois, ce qui la rend pratiquement indétectable. Les experts des cartels ajoutent même parfois des verrous chimiques dans le processus de dissimulation. Si on ne connaît pas les substances à utiliser pour récupérer la drogue, celle-ci reste introuvable. Le chimiste est donc un élément essentiel dans la chaîne de valeur de la drogue mise en place par les cartels, mais généralement il est tout en bas de l'organigramme. Les coccinéros travaillent souvent pour de l'argent, parfois sous la menace. Certains cartels financent aussi des bourses d'études de chimie. Et les étudiants qui y souscrivent, qui y répondent, se retrouvent ainsi piégés par leurs mécènes obligés de travailler pour eux à la fabrication de drogue. Selon le parquet de Marseille, le laboratoire toulonnais aurait sorti l'an dernier 400 kg de méthamphétamine. Autre affaire plus modeste, l'arrestation début juin 2025 à Saint-Ouen-L'Aumône dans le Val-d'Oise d'un Colombien de 66 ans, lié lui aussi au cartel de Sinaloa. repérée par la téléphonie en France par la DEA, la police fédérale antidrogue américaine. Alors les médias fonctionnent ainsi que quand deux affaires surgissent de manière rapprochée, ils y cherchent une tendance et en creusant, on découvre en effet que la présence des cartels mexicains en Europe, cela fait plus de 20 ans qu'on en a des signes. Alors en économie, un cartel, c'est une entente entre plusieurs entités, ça peut être des groupes criminels. mais aussi et surtout des entreprises ou des États dans le but de se partager un marché et de s'accorder sur les prix. L'exemple typique, c'est l'OPEP, cartel d'État pétrolier. Ils ont longtemps fixé les prix mondiaux du pétrole, c'est moins vrai de nos jours. On a régulièrement aussi dans l'actualité économique des histoires de cartels, des affaires d'entente illégales nouées par des entreprises. Récemment, dans le secteur de la livraison de repas, un cartel européen des fabricants de pneus, cartel des lessives, etc. Vous voyez l'idée. Les cartels de la drogue au Mexique obéissent à la même logique. On s'unit pour être plus fort, pour mettre des ressources en commun, surtout pour stabiliser les prix, bref, se partager intelligemment le business. Alors l'économie parallèle a de si vastes échelles que les cartels de la drogue, c'est une vieille histoire mexicaine. Dans un pays où historiquement l'État est faible, où des pans entiers de la population sont économiquement exclus, avec aussi une tradition bien ancrée de banditisme social, Ce sont des figures par exemple comme Jesus Malverde, le saint des Narcos, ou Pancho Villa, orphelin, voleur de bétail, pilleur de range sans foi ni loi, devenu à la faveur de la révolution mexicaine en 1910 chef de guerre puis gouverneur de l'état du Chihuahua. A la fin du 19e siècle, des migrants chinois venus de Californie introduisent à côté de la Marijuana, venue de Jamaïque, la culture du pavot dans trois états du nord du Mexique, le Sinaloa, le Durango et le Chihuahua, qui tous les trois vont bientôt former le triangle d'or mexicain. Les conditions climatiques sont idéales, les conditions politiques également, et géographiques, au voisinage des riches États-Unis, qui vont devenir la destination naturelle de la drogue. Alors les Chinois ne vont pas rester, ce sont des paysans locaux qui vont reprendre les cultures, et la demande ne faiblira jamais. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'armée américaine a besoin de morphine. Dans les années 60, le Mexique va alimenter l'épidémie d'héroïne dans la jeunesse américaine. Puis ce sera le mouvement hippie, la démocratisation de la marijuana. Et c'est à cette époque-là qu'apparaissent les premiers cartels. Au départ, ce sont des sortes de coopératives agricoles illégales qui mutualisent leurs moyens pour développer des services en commun tels que le transport, la contrebande, le service d'ordre ou encore la corruption. Viennent ensuite les années 70, tournant majeur pour les narcos mexicains avec l'essor de la cocaïne produite en Colombie. Les colombiens ont l'habitude principalement d'expédier leurs produits vers la Floride, vers la côte est des Etats-Unis par avion. Mais les cartels mexicains vont les démarcher pour leur proposer de faire passer la drogue par les 3000 km de frontières communes avec les Etats-Unis. C'est toute l'histoire de la série Narcos Mexico. Les narcotrafiquants mexicains étaient des paysans producteurs de cannabis et de pavot. Ils vont se faire transporteurs et distributeurs à la botte des cartels colombiens avant de prendre le pouvoir quand l'État colombien va mettre à bas les cartels rivaux de Cali et Medellín dans les années 1990. Désormais, les Mexicains contrôlent l'ensemble du trafic des drogues sur le continent américain et le Mexique est aujourd'hui, en 2025, le troisième producteur mondial de pavot derrière l'Afghanistan et la Birmanie. le premier producteur américain de marijuana et le centre le plus important au monde de production de drogues de synthèse, principalement la méthamphétamine et le tristement célèbre fentanyl. Les cartels mexicains profitent de l'abandon des campagnes par l'État mexicain pour exercer une emprise locale très forte. L'émergence dans les grandes villes mexicaines d'une classe moyenne dotée d'un certain pouvoir d'achat leur offre en outre un marché domestique en expansion. Mais leur principal marché, bien évidemment, ce sont les États-Unis, premier marché mondial de la drogue. L'ancien dictateur Porfirio Díaz disait de son pays « pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis » . L'Amérique, premier pays consommateur mondial de toutes les drogues, et les Mexicains contrôlent, eux, 70% des ventes de drogue aux États-Unis. Ils ont des parts de marché pour toutes les substances. Et les revenus mondiaux du marché mondial de la drogue, selon les Nations Unies, atteignent 250 milliards de dollars chaque année. Mais la drogue n'est que le cœur de métier des cartels mexicains qui se sont diversifiés dans tous les délits. L'immigration clandestine, les jeux d'argent, la prostitution, la piraterie, les fraudes en tout genre, le trafic d'organes, la contrebande d'animaux, les fraudes informatiques, la contrefaçon, l'extorsion, etc. Au milieu des années 2000, les autorités mexicaines dénombraient six grands cartels. Aujourd'hui, elles font face à des centaines de gangs. Le paysage mafieux mexicain s'est atomisé au gré des scissions qui s'opèrent depuis maintenant 20 ans à la faveur de la guerre déclarée aux narcotrafiquants en 2006 par l'État mexicain qui croyait faire à l'époque un coup politique. 19 ans plus tard, le bilan est catastrophique. 450 000 morts, 70 000 disparus. On compte 30 000 assassinats par an, le taux d'homicide est 20 fois plus élevé qu'en France. Aujourd'hui, les cartels sont des puissances paramilitaires capables d'une cruauté absolument sans limite, avec des mises en scène macabres souvent filmées pour être mises en ligne sur les réseaux sociaux. On a même récemment retrouvé un petit camp de concentration appartenant à un cartel de narcos. Les experts au sujet du Mexique parlent d'un conflit de basse intensité, de narco-insurrection. ... Il n'y a pas d'armée régulière, pas de ligne de front, mais une insurrection criminelle avec des méthodes de guérilla. Ainsi, du phénomène des narco-bloqueos, c'est-à-dire qu'un cartel bloque les accès d'une ville en installant des barrages routiers pour empêcher l'entrée de la police ou de l'armée. Dans certains états du Mexique, les narcos construisent les écoles, aident les pauvres, ils ont remplacé l'état et ailleurs, ils infiltrent. Toutes les institutions se les attachent par la corruption et la complicité. Police en tête, le cartel de Sinaloa s'était même attaché la fidélité de l'architecte de la guerre au Narcos, l'ancien ministre de la Sécurité, Gennaro Garcia Luna, qui négociait avec les cartels des saisies pour la galerie tout en protégeant le business. L'influence des cartels mexicains s'étend aujourd'hui à tous les pays de transit et de rebond de la cocaïne et la crise sécuritaire mexicaine devenue permanente. infuse aujourd'hui sa violence sur tout le continent sud-américain. Les narcos sont aussi devenus des influenceurs culturels. Il existe au Mexique depuis plus d'un siècle un genre musical, les corridos, qu'on pourrait traduire par balade, qui s'est fait coloniser et pervertir par la narco-culture, à tel point que l'on parle aujourd'hui de narco-corridos, les narco-balades, qui sont la bande-son des cartels. Voici un exemple avec l'artiste Peso Pluma, que sûrement vous n'avez jamais entendu de votre vie. Alors Peso Pluma vient de Guadalajara, la ville du premier cartel de l'histoire. Sur YouTube, ses clips comptent plus de vues que Drake, Bad Bunny ou Taylor Swift et des artistes majeurs américains. Il a franchi le cap des... 10 milliards de vues il y a maintenant deux ans. Alors je vous traduis son texte. Je me lève, je prends un bain, je commence à travailler. C'est du poison, de la bonne qualité. Les téléphones ne cessent de sonner. Si ce n'est pas une fille, c'est un client qui en veut plus. Vous avez compris de ce dont il est question, de cocaïne, de trafic, d'armes, de filles. Certains corridos racontent carrément des épisodes de la vie à l'intérieur des cartels. Et Pesso Pluma a carrément reconnu que certains de ses titres étaient des commandes de Narcos. Le Narco Corrido, c'est une musique d'initié, sauf qu'au Mexique, tout le monde a les références. Les autorités régulièrement tentent d'interdire les titres les plus populaires, mais le phénomène est devenu trop important. Alors, autre exemple de Narco Corrido plus traditionnel, Los Tucanes de Tijuana, la chanson s'appelle El Balido de Mi Ganado, le bellement de Montbépa. En apparence, c'est une ode à la vie rurale, il est question de cornes de bouc, sauf que dans le langage des narcos, les cornes de bouc sont des chargeurs de calaches. Et cette chanson est en fait une longue menace de mort ou de représailles envers tous ceux qui s'attaqueraient aux chanteurs. Alors vous me direz, quand on écoute du rap français, aujourd'hui on n'est pas dépaysé. La mexicanisation, c'est ça aussi, l'influence de la narco-culture qui imprègne déjà très fortement le milieu du rap. À l'envue de France, la crise sécuritaire mexicaine nous paraît lointaine, mais nous aurions tort de nous croire à l'abri. Rappelez-vous, ce 14 mai 2024, le narcotrafiquant Mohamed Amra s'évade lors du trajet qu'il ramène du palais de justice de Rouen à sa maison d'arrêt. Au péage d'Incarville, une équipe cagoulée et armée de fusils d'assaut tire sans sommation sur les surveillants de prison et extrait Amra du fourgon cellulaire qu'ils ont au préalable percuté par l'avant pour l'empêcher d'avancer. Le jour du drame, hasard du calendrier, une délégation de magistrats mexicains est en visite au parquet de Paris pour rencontrer leurs homologues de la Junalco, la juridiction nationale de lutte contre le crime organisé. Le message des Mexicains est alors alarmant. Selon eux, l'affaire Amra montre qu'aujourd'hui, les forces de l'ordre ne jouent pas à armes égales au sens propre avec les organisations criminelles. Amra n'est qu'un trafiquant du milieu du spectre comme disent les policiers mais déjà Il aura fallu neuf mois et de gros moyens pour le retrouver. Selon les magistrats mexicains, la France est à un seuil pour prendre des mesures et ne pas commettre les mêmes erreurs que leur pays. Ce 14 mai 2024, une commission d'enquête sénatoriale rendait également public son rapport sur le narcotrafic en France. Les sénateurs y évoquent un tsunami blanc déferlant sur la France, un tsunami de cocaïne, pour qui l'Europe est devenue le premier marché au monde. De 50 à 60% du produit pur annuellement fabriqué dans les montagnes colombiennes est aujourd'hui destiné au vieux continent pour un chiffre d'affaires entre 4 et 5 milliards d'euros. Selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, la cocaïne est la substance illicite qui connaît la plus forte croissance au monde. La production a doublé en 5 ans de 2 000 à presque 4 000 tonnes par an. Le nombre d'usagers a bondi. Lui de 17 à 25 millions en 10 ans, dont 600 000 Français, c'est-à-dire que deux consommateurs de cocaïne sur 100 dans le monde sont français. Pour les narcos mexicains, la France est un marché de premier ordre. C'est aussi géographiquement une porte d'entrée évidente en Europe avec ses milliers de kilomètres de côtes, ses ports plus ou moins bien sécurisés, ainsi du petit port de Radicatel près du Havre, cité dans un rapport de police comme un port très apprécié des trafiquants. parce que l'accès se fait par une barrière commandée par un digicode à 4 chiffres, le code étant changé seulement deux fois par an. Au Havre, premier port de France pour les arrivées de conteneurs, le ticket de sortie d'un conteneur peut se monnayer auprès d'un docker jusqu'à 100 000 euros, sachant que l'on ne contrôle que 1% des conteneurs par manque de moyens. Europol et l'ONU signalent depuis déjà plusieurs années cette diversification des cartels mexicains sur le sol européen. Mais le modèle qui ressort n'est pas celui de puissants cartels mexicains géants débarquant en conquérant en Europe. Non, c'est plutôt le modèle de partenariat noué entre des myriades d'organisations criminelles de part et d'autre de l'Atlantique, mexicaines et européennes. Il y a quelques gros groupes, mais la tendance lourde du business de la drogue, c'est plutôt sa démocratisation. Son ouverture à des centaines de petits gangs, des freelances en situation d'hyper concurrence les uns par rapport aux autres. Les Mexicains sont les fournisseurs et les convoyeurs du produit que leurs partenaires européens ont ensuite la charge de distribuer. Le transport, c'est le cœur. critique du trafic de drogue, le segment le plus coûteux de la chaîne de valeur, ce qui fait exploser les prix entre le lieu de production et son lieu de vente. Transporter un kilo de cocaïne du Mexique en Europe coûte 15 000 euros en moyenne, 15 000 euros par kilo. Et à ce petit jeu, les Mexicains sont évidemment les meilleurs, c'est comme si l'Atlantique pour eux n'existait pas. Ces organisations ont recours à des représentants ou à des intermédiaires indépendants pour nouer des coopérations. Il s'agit de négociateurs, de courtiers, de tueurs aussi. Et c'est tout un trafic transatlantique qui a lieu avec d'innombrables allers-retours sous de fausses identités, bien sûr. L'Europe et donc la France sont clairement des terres d'avenir pour les cartels mexicains. Et il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, la pression policière y est moins forte qu'aux États-Unis. La concurrence y est moins vive entre les trafiquants. La position géographique de l'Europe fait aussi d'elle une plaque tournante naturelle vers l'Asie du Sud-Est. La méthamphétamine de Toulon, par exemple, était destinée à la Nouvelle-Zélande. Et on n'est sûrement qu'au début de ce mouvement, car parmi les tendances nouvelles préoccupantes, la police a découvert récemment en Allemagne des entreprises servant probablement de façade aux cartels mexicains pour importer des précurseurs, c'est-à-dire les substances chimiques essentielles, à la fabrication du fentanyl, responsable, le fentanyl de 100 000 décès par an aux États-Unis. C'est la poule aux odeurs des cartels mexicains. Et ce fentanyl commence à faire son apparition en Europe. Alors, je voudrais, pour conclure ce podcast, vous recommander un roman coup de poing. C'est d'ailleurs lui qui m'a donné l'idée de cette chronique. Le dernier livre de Mathias Köpping, qui est un auteur français. Son livre s'appelle Cartel 1011, Cartel 1000 ansé, les bâtisseurs. C'est paru chez Flammarion. Le premier tome est sorti à la fin de 2024. Ce livre met de la chair, du sang, des larmes, des visages aussi sur ce que je vous ai décrit à grands traits, racontant sous de multiples points de vue l'émergence d'un mystérieux cartel, le cartel 1011, bien décidé à se tailler la part du lion dans une Amérique du Sud de cauchemars malheureusement bien réels. Voici une phrase du livre que j'ai trouvé d'une lucidité désespérante et qui va me servir de conclusion. « Pour remonter un peu la pente, écrit Matthias Köpping, il aurait fallu éradiquer la misère, les injustices, les ignorances, les iniquités. Au Mexique, en Amérique centrale et du Sud, c'était une pure chimère. Mais ce serait bientôt impossible aussi en Europe et aux États-Unis, où les fondations de la société se lézardaient. Les Européens commençaient à goûter à la cuisine mexicaine, la vraie, bien épicée, celle de l'exubérance totale et de la terreur érigée en spectacle permanent. » C'est la fin de cette chronique. Merci les amis de m'avoir écouté. Si vous ne l'avez pas déjà vu, je vous mets le lien vers la chronique de la semaine dernière consacrée à un autre méga enjeu de société, l'avenir de la sécurité sociale. Je vous dis à la semaine prochaine.