- Speaker #0
« Bienvenue dans notre podcast Isadora BC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne, c'est Clarence Massiani et le poète, c'est Régis Dequet. Bonjour Régis. »
- Speaker #1
« Bonjour Clarence. » Aujourd'hui, c'est notre dernier épisode de cette série sur la dynamiterie de Cuny. Et on va évoquer un collectage qui a été réalisé auprès de personnes qui vivent actuellement à Cuny.
- Speaker #0
Tout à fait, qui nous ont parlé à la fois d'aujourd'hui et encore d'hier.
- Speaker #1
Eh bien, on t'écoute.
- Speaker #0
Alors ma belle, tu veux savoir quoi qu'elle m'a demandé ? Plein de choses. Ah bah dis donc, t'es vachement curieuse. Ouais. Je voulais savoir depuis combien de temps tu vis ici ? 94. Alors je t'explique. Quand j'ai été rembauchée, parce que j'ai fait 20 ans d'immobilier qu'elle m'a dit, mais j'ai fait d'autres choses. Donc en dernier, 20 ans d'immobilier, avec la découverte de Cuny, quand mon ancien patron m'a réembauchée, je me suis remise dans l'immobilier. Et un jour, malheureusement, j'avais la ferme à louer et je tombe sur des gens adorables. Mais manque de pot, je les emmène. Il faut dire que quand je louais à des gens, je leur faisais toujours faire le tour du village. Là, c'était une ancienne cantine. Ici, c'était une épicerie. Donc, on fait comme ça le tour du village. Ils regardent la ferme. Et manque de pot, on passe devant chez moi avec la cour des miracles devant. Et elle, elle dit, je veux acheter ça. Je lui réponds, c'est pas à vendre. Je veux acheter ça. Eh bien, je vous dis que ce n'est pas à vendre. Elle regarde son mari et lui dit, tu la séquestres dans la voiture. Je téléphone à la SFE. Je lui dis, il y a des gens qui veulent acheter la cour des miracles. Il me répond, certainement pas. Eh bien, il venait m'emmerder, mais il venait. Alors ? « Non ! » « Alors ? » « Non, ça a duré encore neuf mois. » Et puis les autres ont enfin accepté. Et c'est là maintenant qu'il y a les gîtes. « Mais attends, il ne m'avait pas lâché. » « Le fils, on s'était eu au téléphone le soir, le lendemain matin, j'arrivais au boulot, c'était déjà lui. » « Je lui disais, mais j'ai l'impression d'avoir dormi avec vous. » « Mais quand même, ils ont réussi, dis donc. » Et c'est le seul bien que la SF a accepté de vendre du temps de la société. S-F-E.
- Speaker #1
Cette société SFE, c'est la Société Française des Explosifs qui était propriétaire de la dynamiterie de CUNY.
- Speaker #0
Et elle a continué en disant...
- Speaker #1
Et ça représente toute ma vie, Cuny. Ah ouais, toute mon enfance, surtout. Bon, j'ai pas vécu mon enfance ici, mais c'est comme si j'étais revenu en enfance. Parce que c'est tellement verdoyant, c'est tellement atypique et tout, que c'est comme s'il y avait ma grand-mère qui était là. On m'obligerait à quitter Cuny, mais moi, je meurs. Ça me dérange un peu de vivre à côté de la dynamiterie, parce que ça a été un drôle d'endroit où les gens ont travaillé, ont souffert. Ils te disent qu'ils n'ont pas souffert, mais c'est parce qu'ils avaient une vie beaucoup plus rudimentaire et je pense qu'il y avait une ambiance d'enfer.
- Speaker #0
Ça, c'est la goutte à Pépé. Pépé est mort en 83, est-ce que tu vas boire l'aide avant 1950 ? T'inquiète pas, ça te boit sans problème. Et là, je me suis dit, je vais jamais quitter Cuny. Mais la collecte a quand même commencé. Nous, quand on est arrivés, c'était vraiment la fin. Ça sentait le village qui mourait. C'est là qu'il s'est passé quelque chose pour le bistrot, c'est qu'il restait des gens de Cuny. C'était pas vide, la plupart des gens étaient restés, mais il y avait 5-6 familles là-dedans. Le terrain de foot fonctionnait encore, les courses de cyclistes, parce que cet endroit avec la petite montée du bois et la redescente, c'est un super petit circuit pour les courses de cyclistes. Si tu veux, quand on est arrivé, c'était encore l'époque où les gens qui avaient travaillé à la dignoîtrie ne savaient pas trop ce qu'ils allaient faire. Alors ils étaient encore plus ou moins locataires. Et puis ils n'avaient plus trop de raison d'être là, alors ils partaient petit à petit. Certains sont restés. Et puis là, SFE a décidé de redouer les logements pour ne pas les laisser vides. Donc c'est une nouvelle population qui n'avait plus rien à voir avec l'usine qui est arrivée dans les années 87-88.
- Speaker #1
Cet endroit-là, moi, j'y ai passé toutes mes vacances, de toute mon enfance, à Bourron-Marlotte, chez ma grand-mère. Et quand j'allais à la piscine à Saint-Pierre-les-Neumours, on prenait les carvers, ça s'appelait comme ça à l'époque. Et on partait de la pointe de Bourron-Marlotte, on passait à Montigny, Sork, on passait à Épizy et on arrivait à Cuny. Quand on arrivait à Cuny, devant cet abri bus, moi, quand j'arrivais dans ce lieu-là, j'étais hyper surprise parce que ça ne ressemblait pas. Les habitations, elles ne ressemblaient pas à toute la région. Tu voyais bien que c'était différent. Et je demandais à ma grand-mère, je lui disais, mais on est où là ? Parce que moi, petite fille, dans le car, je finissais par perdre le sens de l'orientation. Elle me disait, oh, t'occupes, ici c'est dangereux, ce n'est pas bien, on ne s'arrêtera jamais ici. Et dans la tête des gens d'ici, ça ne faisait pas pauvre, mais par rapport à la bourgeoisie de Bourron-Marlotte, on était chez les ouvriers.
- Speaker #0
Et donc, on rentre entre ce type qui nous donne rendez-vous un samedi matin. Et pour la première fois depuis genre dix ans, on prend la voiture. On fait bourron-marlotte, on arrive à Cuny sur l'allée des Platanes, place des Marronniers. Mais on a eu un coup de cœur tous les deux. C'était tellement joli, tellement la sensation d'un bout du monde. J'ai adoré ce moment-là. Et ce jour-là, je n'ai pas reconnu l'endroit que je traversais en bus, petite fille. Mais aussi parce qu'on est arrivé par l'allée des Platanes, on est entré à l'intérieur. Et ce jour-là, on a parlé avec le type et on est reparti par l'allée des Platanes et machin. Et dans ma tête, ça a commencé à faire un truc. Je me suis dit, mais cet endroit-là, moi, je le connais. Mais c'était... très très loin dans ma tête. Et c'est après qu'on est retournés, qu'on n'a pas pris le même chemin, qu'on a fait le tour du Cuny. Ça m'a mis longtemps à revenir dans la mémoire. Mais là, je me suis dit, ça y est, je sais. Donc, on s'est retrouvés là tous les deux. Il y avait plein de maisons qui étaient vides. On a passé des coups de fil aux copains. Eh, il y a des plans super, il y a un petit hameau magnifique avec des loyers pas trop chers. Et là, il y a toute une communauté qui a commencé à arriver. On a passé 3-4 années vraiment géniales parce qu'il y avait une ambiance fantastique. On était tous jeunes, on avait une trentaine d'années, il y avait des musiciens. Il y avait une sculptrice à l'école et des gens du cinéma. Il y a plein de gens qui sont restés comme ça, 6 mois, 1 année. Les gamins, ils passaient d'un jardin à l'autre, ils jouaient tous ensemble, tout le temps. La place des Marronniers, c'était la nôtre. Ici, sur cette place, il y a eu des crises de rire qui montaient toute la nuit. Les gens en parlent encore, ils disaient que ça rigolait jusqu'à 14h du matin. On était tous jeunes, on faisait la fête, on travaillait dans le spectacle, donc on avait une certaine façon de vivre, tu vois. Et quand ça jouait, ça mangeait, ça buvait, c'était tout le temps la rigolade.
- Speaker #1
Cette ambiance ouvrière, si tu veux, on en avait un peu conscience quand tu es à Cuny. Tu vois bien les maisons, la maison de l'ouvrier, la maison du cadre supérieur, la dynamiterie. On était allé farfouiller un petit peu, mais il y avait quand même le gardien qui surveillait à l'époque de la SFE. Elle n'était pas du tout prête à ouvrir les grilles et qu'on aille se promener là-dedans, non. Et c'est né quand même de toutes mes rencontres avec les anciens de la dynamiterie dans l'ambulance, il y a des dizaines d'années. Il y avait encore les panneaux de dynamiterie. Ça faisait peur aux gens.
- Speaker #0
Nous, quand on est venu s'installer ici, c'était d'un village de pestiférés. Il faut reconnaître qu'il y a eu une petite période avant la fermeture, vers les années 70-80, il y avait des décharges partout. Toute la région venait décharger dans les coins, dans les bois. Les vols, il y avait aussi beaucoup de voyous, soi-disant qui volaient des mobilettes, qui les démontaient et tout. Bon, je ne peux pas te dire que c'est faux parce que je connais les bois mètres par mètre. Mais je peux te dire que oui, il y avait plein de vestiges et ce genre de choses. Il y avait chez les gens des congélateurs parce que quand tu vois ces petites maisons sur la route, derrière, il y avait un petit hangar au fond et ce petit hangar servait à plein de choses et beaucoup de gens y mettaient leurs congélateurs. Ils se faisaient cambrioler les congélateurs. Mais par contre, il faut dire aussi que dans ces maisons, tu vois, les gens d'ici... ... Ça braconnait.
- Speaker #1
Dans l'esprit, ici, on était en 1880. C'est un peu la sensation qu'on a eue quand on est arrivé. En période de chasse, tu pouvais te promener le matin jusqu'à midi, mais après, tu pouvais plus. Ils étaient tous bourrés, ils hurlaient de partout, ils faisaient chier, et j'ai gueulé une fois ici, « Je veux plus jamais vous revoir ici ! » Bah, ils sont jamais plus revenus. Mais les mecs bourrés, braconnants du siècle d'avant, ici, c'était le Moyen-Âge. C'était Zola, quoi. C'était Zola. Attends, ça sait pas lire, ça sait pas écrire. Par contre, ça sait exactement à quelle heure va sortir la morille. Alors là, tu discutes pas. Il y en avait que tout le monde connaissait ici. Lui, par exemple, je pense à quelqu'un là, qui était un type qui était intelligent, mais qui avait pas fait d'études, donc il buvait beaucoup, mais beaucoup. Et il connaissait le moindre arbre. Le moindre chemin. Je pense que ceux qui sont restés après la dynamiterie, malheureusement, ce sont les plus démunis. Ceux qui s'en sont bien sortis, ils sont partis, ils ont trouvé des maisons ailleurs. Mais là, voilà.
- Speaker #0
Il y a deux trucs que j'adore dans la région, c'est quand je suis à l'obélisque de Fondemblot et que je prends la petite rue dans la forêt. Déjà, j'ai un premier stade de décompression. Je dis « Ah, là ! » Et quand je passe le feu rouge et que j'arrive à Cuny, j'ai un deuxième stade de décompression et j'aime ça. C'est ce côté où tu as la sensation d'habiter une île et c'est pas une île parce que tu peux en sortir très facilement. Et de nos fenêtres, on ne voit personne que de la nature.
- Speaker #1
Ma première impression, c'était à partir de l'obélisque de Fontainebleau. On prend cette petite route en forêt et ça m'a semblé loin, loin par la route de l'escargot. Et plus ça allait, plus le chemin devenait petit et forestier. Et on se disait, mais on va où ? Ils sont partis, nos amis ? Et après, on est arrivé à Cuny et en fait, on s'est perdu. Il y a cinq rues, mais les premières fois, on se perdait toujours pour arriver et pour repartir. On n'arrivait pas du tout à se repérer, trop de végétation. On a tellement l'habitude de se repérer par rapport à un magasin, une boutique, un immeuble. Et là, on était quand même très désorientés.
- Speaker #0
Quand on est arrivé, il y avait de nombreuses maisons qui étaient vides et abandonnées. C'était vraiment un temps où Cuny était totalement endormi. Il y avait trois maisons en ruine qui ont été démolies depuis. L'atmosphère était différente. Au niveau des habitants, il y avait pas mal d'artistes et de musiciens, mais tous ces gens sont partis il y a un an du fait que tout est en vente maintenant.
- Speaker #1
On avait créé un collectif qui s'appelait le Colocu, Collectif des Locataires de Cuny. Et au début, on avait bataillé sur certains points. Et quand on a eu vent de la vente de Cuny, on a décidé de se réunir dans un jardin au printemps et en commençant la réunion en disant voilà. On n'a pas tous les mêmes objectifs, il va se passer quelque chose, ça va changer. Certains veulent partir, certains veulent rester, certains veulent acheter, mais ils ne peuvent pas. On essayait de prendre ça en compte et à un moment, j'ai dit, voilà, j'ai rencontré le nouveau propriétaire, il a l'air quand même sympa. Et ça a créé des fractures. Et à partir de là, il y a eu une amitié qui s'est brisée, voilà. J'en ai beaucoup souffert. Il y a eu des rumeurs comme quoi il allait mettre les gens dehors, mais il n'a mis personne à la porte. Il a tenu parole. Mais j'avais pris une position inattendue, et on me l'a reproché. Et on a décidé de ne plus m'adresser la parole.
- Speaker #0
Ici, ce qui nous manque, c'est un endroit où aller boire un café ensemble avec mes potes. Je me souviens à Paris, je m'arrêtais beaucoup dans les cafés parce que j'avais écouté ma grand-mère qui était une très vieille dame et qui me disait « Bon, tu fumes, mais ne fume pas dans la rue. » Donc je l'écoutais et quand j'avais envie de fumer, je m'arrêtais, je me mettais au comptoir, je me mettais mon café, mon verre d'eau en fumant ma clope. J'écoutais les gens et j'adorais ça. J'adorais ça. À Fontainebleau, tant en tant que je le fais. Ce qui est rigolo, c'est que quand tu parles de Cuny aux alentours, les gens te disent « Ah, c'est là où on venait faire les cons quand on était jeunes. »
- Speaker #1
Je viens d'un petit village près de Saint-Fargeau-Pontier-Rio. Et Cuny me l'a complètement rappelé. Ce sont ces petits villages qui ont besoin qu'on y habite pour y venir. Il y a ça aussi à Cuny. Il y a la Genovraie et Cuny. Il y a les Cunyans et la Genovraie. Et comme disait le père de mon pote, les gens de Cuny, c'était des cas sociaux qui bossaient à l'usine. Et par contre, au niveau de l'intégration sociale, c'est vachement plus simple à Cuny que dans d'autres villages. Ici, ça attire des gens qui sont déçus de la ville, mais ça attire aussi des gens qui viennent parce que ce n'est pas cher et qui s'en foutent de la vie du village. Et puis, il y a aussi les gens qui achètent et qui sont émerveillés. Je connais mon voisin, on se parle, on se voit.
- Speaker #0
Donc, je connaissais la jeune vraie. Je connaissais cette route qui montait vers l'église. Je n'étais jamais allée derrière cette route. Je me suis dit que c'était un truc un peu caché, un peu à l'abandon, parce que c'était l'époque où il n'y avait pas encore les nouveaux pavillons. Et ce qui est rigolo, c'est que les gens du crime disaient « Ouais, c'est les cas sociaux, c'était les gens de la dynamiterie, c'était les ouvriers de Cuny. »
- Speaker #1
Il n'y a rien. que je n'aime pas du tout dans mon village. Je l'adore. Pour moi, c'est le village idéal. Alors, est-ce qu'il le restera ? C'est peut-être ça que je peux ne pas aimer. C'est de ne pas savoir ce qu'il va rester. Ce que je n'aime pas, c'est l'incertitude de ce qu'il va devenir. Mais au-delà de ça, j'adore mon village. La première semaine où je suis arrivé ici, c'était mon village.
- Speaker #0
Et voilà, dernier épisode de cette Dynamitry de Cuny. On aurait encore beaucoup, plein de choses à dire. Mais nous vous souhaitons une bonne écoute et à très bientôt.
- Speaker #1
À très bientôt.