Description
une petite exploration de la guerre dans la littérature avec des lectures de Clarence Massiani et Régis Decaix
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
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Transcription
Bonjour, Isadora Bessé, le podcast, une comédienne et un poète partagent une tasse de cafons. La comédienne c'est Clarence Massiani, le poète c'est Régis Lequet. Bonjour Clarence.
Bonjour Régis.
Alors la thématique qu'on va évoquer aujourd'hui, elle n'est pas très gaie, puisque c'est la guerre. La guerre qui pourtant a été traitée de multiples manières, parce qu'effectivement c'est un thème de prédilection, souvent pour la littérature, mais pas uniquement, d'ailleurs le cinéma, on a un genre carrément, les films de guerre c'est vraiment une thématique classique. Mais on va essayer d'aborder quelques auteurs et leurs écrits autour de la guerre, voir un petit peu comment eux l'ont traité. On va commencer avec un poème extrêmement connu de Jacques Prévert. La mère fait du tricot, le fils fait la guerre. Elle trouve ça tout naturel, la mère. Et le père, qu'est-ce qu'il fait, le père ? Il fait des affaires. Sa femme fait du tricot, son fils la guerre, lui des affaires. Il trouve ça tout naturel, le père. Et le fils et le fils, qu'est-ce qu'il trouve, le fils ? Il ne trouve absolument rien, le fils. Le fils, sa mère fait du tricot, son père des affaires, lui la guerre. Quand il aura fini la guerre, il fera des affaires avec son père. La guerre continue, la mer continue, elle tricote. Le père continue, il fait des affaires. Le fils est tué, il ne continue plus. Le père et la mer vont au cimetière. Il trouve ça naturel, le père et la mer. La vie continue avec le tricot, la guerre, les affaires. Les affaires, la guerre, le tricot, la guerre. Les affaires, les affaires et les affaires, la vie avec le cimetière. Clarence ?
Merci Régis pour ce poème de Jacques Prévert. Est-ce qu'il y a un titre à ce poème ?
C'est familial, et puis c'est dans le recueil paroles de Jacques Prévert. D'accord,
merci. Je vais continuer avec un extrait, même deux ou trois extraits de La Peur de Gabriel Chevalier. Gabriel Chevalier qui est né le 3 mai 1895 à Lyon, qui a publié près de 20 ouvrages et qui est mort le 5 avril 69 à Cannes. Et je voulais, avant de lire le premier extrait, dire une petite... Préface, il me semble, de quelques lignes. Ce livre tourné contre la guerre et publié pour la première fois en 1930 a connu la malchance de rencontrer une seconde guerre sur son chemin. En 1939, Savant fut librement suspendu par accord entre l'auteur et l'éditeur parce que quand la guerre est là, ce n'est plus le moment d'avertir les gens qu'il s'agit d'une sinistre aventure aux conséquences imprévisibles. Premier extrait. Une fois, notre caporal me demanda « Tu n'as pas eu trop peur ? » « Oh ! » répondit un ancien, « j'étais derrière lui et il n'a pas arrêté de siffler. » C'était vrai. Je n'aime pas être réveillée brusquement. Aussi apportais-je à ces alertes la mauvaise humeur d'un homme dont on choque les habitudes et qui refuse absolument de s'intéresser à un spectacle qu'il blâme. Mais si flottement qui avait étonné l'ancien exprimait mon mépris pour cette guerre qui empêchait les gens de dormir et faisait tant de bruit pour si peu d'effet. La conviction que ma destinée ne pouvait avoir en son terme sur un champ de bataille n'était pas encore ébranlée. Je n'avais pas encore pris la guerre, je pensais leur guerre au sérieux, la jugeant absurde dans ces manifestations que j'avais prévues tout autre. Il y avait là trop de crasse, de poux, de corvées et d'excréments, trop de destruction pour aboutir à quoi ? Trouvant cette affaire mal montée, je la boudais. Ma boudrée me rendait fort. et me donner une sorte de courage. On se jeta dans la nuit froide, sifflante, dans la nuit en déflagration, la nuit pleine d'obstacles, d'embuscades, de tronçons et de clameurs, la nuit qui cachait l'inconnu et la mort. Rodeuse muette, opprenait le déclatement, cherchant ses proies terrifiées. Des êtres abandonnés, entamés, étendus quelque part de notre régiment peut-être, hurlaient comme des chiens malades. Des caissons fous, ravitailleurs du tonnerre, passaient ventre à terre, culbutant, écrasant tout pour échapper. Nous courions de toutes nos forces sur des jambes insuffisantes, surchargées, trop faibles, pour nous soustraire aux trajectoires instantanées. Nos sacs, nos musettes, nous serraient les poumons, nous tiraient en arrière, nous rejetaient dans la zone étincelante, brusquement surchauffée du fracas. Et toujours ce fusil qui glisse de l'épaule, arme inutile, dérisoire, qui échappe et embarrasse. Et toujours cette baïonnette qui entrave. Nous courions, nous guidant sur un dos, les yeux dilatés mais prêts à se fermer pour ne pas voir le feu, à se fermer sur la pensée recroquevillée qui refuse sa fonction, qui voudrait ne pas savoir, ne pas comprendre, qui est un poids mort pour la carcasse qui bondit, cravachée par les lanières tranchantes de l'acier, qui fuit le cnou, plombé, rugissant à ses oreilles. Nous courions, le corps penché en avant avec l'inclinaison préparée de la chute qui doit être plus rapide que l'obus. Nous courions, comme des brutes, non plus des soldats, mais déserteurs dans le sens de l'ennemi, résonnant intérieurement de ce seul mot, assez, à travers les maisons titubantes soulevées et retombant en poussière sur leurs assises. Je pense excéder. J'en ai marre. J'ai 23 ans. J'ai déjà 23 ans. J'ai entamé cet avenir que je voulais si plein, si riche en 1914 et je n'ai rien acquis. Mes plus belles années se passent ici, j'use ma jeunesse à des occupations stupides dans une subordination imbécile. J'ai une vie contraire à mes goûts qui ne m'offre aucun but et tant de privations, de contraintes se termineront peut-être par ma mort. J'en ai marre. Je suis le centre du monde et chacun de nous pour soi-même l'est aussi. Je ne suis pas responsable des erreurs des autres, je ne suis pas solidaire de leurs ambitions, de leurs appétits, et j'ai mieux à faire qu'à payer leur gloire et leur profit de mon sang. Que ceux qui aiment la guerre la fassent, je m'en désintéresse. C'est affaire de professionnels, qu'ils se débrouillent entre eux, qu'ils exercent leur métier. Je récuse leur hiérarchie que ne prouve pas la valeur, je récuse les politiques qui ont abouti à ceci. Je n'accorde aucune confiance aux organisateurs de massacres, je méprise même leur victoire pour avoir trop vu de quoi elles sont faites. Je suis sans... haine. Mon patrimoine, c'est ma vie. Je n'ai pas de bien plus précieux à défendre. Je demeure à vivre en paix, loin des casernes, des champs de bataille, des génies militaires de tout poil. Vivre n'importe où, mais tranquille, et devenir lentement ce que je dois être.
À présent, Clarence, tu vas nous lire un extrait de David Diop, je crois, qui a été en 2018 le prix concours des lycéens.
Oui, et je vais vous lire un extrait de Frère Dame. David Diop est né à Paris en 1966, il a grandi au Sénégal et il est maître de conférence à l'université de Pau. Ah, mandat ! Diop, mon plus que frère, a mis trop de temps à mourir. Ça a été très difficile, ça n'en finissait pas du matin aux aurores au soir. Les tripes allèrent le dedans dehors, comme un mouton dépecé par le boucher rituel après son sacrifice. Lui, Mademba, n'était pas encore mort qu'il avait déjà le dedans du corps. dehors. Pendant que les autres s'étaient réfugiés dans les plaies béantes de la terre qu'on appelle les tranchées, moi je suis restée près de Madame Bas, allongée contre lui, ma main droite dans sa main gauche, à regarder le ciel bleu froid sillonné de métal. Trois fois il m'a demandé de l'achever, trois fois j'ai refusé. C'était avant, avant de m'autoriser à penser. Si j'avais été alors tel que je suis devenu aujourd'hui, je l'aurais tué la première fois qu'il me l'a demandé, sa tête tournée vers moi, sa main gauche dans ma main droite. Par la vérité de Dieu, si j'étais déjà devenu celui que je suis maintenant, je l'aurais égorgé comme un mouton de sacrifice par amitié. Mais j'ai pensé à mon vieux père, à ma mère, à la voix intérieure qui ordonne, et je n'ai pas su couper le fil barbelé de ses souffrances. Je n'ai pas été humain avec Madame Ba, mon plus que frère, mon ami d'enfance. J'ai laissé le devoir dicter mon choix, je ne lui ai offert que des mauvaises pensées, des pensées commandées par le devoir, des pensées recommandées par le respect des lois humaines, et je n'ai pas été humain. Par la vérité de Dieu, j'ai laissé Madame Ba pleurer comme un petit enfant, la troisième fois qu'il me suppliait de l'achever, faisant sous lui, la main droite tâtonnant la terre pour rassembler ses boyaux éparpillés. Je n'ai pas été humain. J'ai laissé Madame Bâmon, plus que frère, mon ami d'enfance, mourir les yeux pleins de larmes, la main tremblante. Ce n'est que quand tu t'es éteint que j'ai vraiment commencé à penser. Ce n'est qu'à ta mort au crépuscule que j'ai su, j'ai compris que je n'écouterai plus la voix qui impose la voix.
effectivement c'est un texte très très très puissant la cuve annulée donc à présent pour continuer ce podcast je vais vous lire un extrait de ernes younger un livre qui s'appelle orages d'acier qui a été publié à stuttgart en 1961 donc c'est un auteur allemand qui le dédie aux combattants français de la Première Guerre mondiale, en y joignant l'espoir d'une amitié étroite entre les deux parties. Donc c'est un prélude à la bataille de la Somme. Vers la mi-avril... En 1916, je fus détaché de Croisilles, une petite ville située derrière le front de la division pour y suivre un cours d'instruction que dirigeait notre chef de corps, le major-colonel Sontag. Des sorties et des visites fréquentes aux organisations de l'arrière, dont la plupart avaient été improvisées sur place, nous donnèrent une idée de l'immense travail qui s'accomplissait dans le dos des troupes au combat. c'est ainsi que nous visitâmes les abattoirs le dépôt et l'atelier de réparation d'artillerie à boyelles la scierie et le parc du génie dans la forêt de boulon la laiterie l'élevage de porcs et les usines de récupération des déchets animaux à Inchy, le parc d'aviation et la boulangerie de Quéhan. Le dimanche, nous nous rendions dans les villes voisines de Cambrai, de Douai à Valenciennes, pour revoir des femmes en chapeau. Je serais ingrat dans ce livre qui contient tant de scènes sanglantes si je passais sous silence un épisode où je jouais un rôle quelque peu comique. Cet hiver-là, notre bataillon étant l'hôte du roi de Kéan, étant l'hôte donc du roi de Quéant, j'avais dû, officier frais et moulu, faire de la première fois la ronde des sentinelles. Je m'étais égaré à la sortie du bourg et pour demander le chemin d'un petit poste établi dans une gare, j'étais entré dans une minuscule maison isolée. Je n'y trouvais d'autres habitants qu'une fille de 17 ans, prénommée Jeanne, dont le père venait de mourir et qui y demeurait seule. En me donnant mon renseignement, elle s'était mise à rire. Et à ma question, elle avait répondu « Vous êtes bien jeune, je voudrais avoir votre avenir. » Impressionnée par les dispositions guerrières que dénotaient ses paroles, je l'avais surnommée en ce temps-là Jeanne d'Arc. Et dans la période des combats de tranchées qui suivit, j'avais parfois songé à la maisonnette isolée. Certains soirs à Croisy, je me sentis soudain l'envie de m'y rendre. Je fis sceller mon cheval et j'eus bientôt le bourg derrière moi. C'était un soir de mai, comme fait à souhait pour une escapade, le trèfle fleurissait en lourd coussin d'un sombre rond sombre. d'un rouge sombre, excusez-moi, dans les prairies bordées de haies, de pruneliers blancs, et à l'entrée des villages, les gros candélabres, des marronniers en fleurs, flamboyaient dans le demi-jour. Je traversais Bellecour et Écouste. sans me douter que, dans deux ans, au meilleur d'un paysage entièrement transmué, je montrais l'assaut des ruines sinistres de ces mêmes villages qui, ce soir-là, reposaient si paisiblement dans le crépuscule entre les étangs et les collines. J'aperçus bientôt la maisonnette avec son toit d'un rouge brun tacheté de plaques rondes de mousse. Je heurtai au volet déjà fermé. « Qui est là ? Bonsoir, Jeanne d'Arc. » « Ah, bonsoir, mon petit officier Gibraltar. » Je fus accueilli aussi gentiment que je l'avais espéré. Ayant attaché mon cheval, j'entrais et d'eux prendre ma part au souper. Des œufs. du pain blanc et du beurre, présenté de manière appétissante sur une feuille de chou. En de telles circonstances, on ne se fait pas longtemps prier, on se sert sans plus de façon. Voilà. Clarence, c'est à toi de reprendre. Tu vas nous présenter un texte issu d'un ouvrage qui s'appelle Compagnie K, je crois.
Oui, Compagnie K de William Mark, qui est un auteur américain qui s'est engagé à l'âge de 23 ans le 5 juin 1917, qui traverse la France pour rejoindre la ligne de front à quelques kilomètres de Verdun. Il participe aux batailles de Soissons, Saint-Miel, Blanmont, jusqu'à ce que l'armistice entraîne sa compagnie vers le Rhin. Et à travers les 113 lettres de la Compagnie K, il a voulu explorer la multiplicité des réactions humaines face à l'horreur. Ce sont donc des lettres de soldats que je vais vous lire. J'étais de faction près de la côte 44 et il pleuvait, il n'y avait pas de vent et la pluie tombait tout droit. Vers le nord, des lumières surgissaient comme des éclairs de chaleur le long de l'horizon et le grondement sourd des batteries résonnait au loin. Accroupi dans la tranchée, trempé jusqu'aux os et grelottant de froid, je pensais, c'est calme ici ce soir. Mais là-bas, vers le nord, il se passe des choses terribles. Là-bas, en ce moment même, des hommes se font mettre en pièce ou massacrer à coups de baïonnette. Une fusée éclairante est partie soudain, elle est allée effleurer le ciel d'un léger baiser avant d'exploser, et dans l'éclat de sa déflagration, j'ai vu l'enchevêtrement des défenses de barbelons rongées par la rouille. J'ai vu aussi la pluie lente qui, dans la lumière, luisait comme du quartz et tombait sur le champ de bataille en ligne verticale implacable. Je restais recroquevillée, tremblant, dans ma tranchée peu profonde, mon fusil plaqué contre moi. La pluie découvrait les corps enterrés à la hâte, il y avait une odeur de décomposition dans l'air. J'ai vu un homme qui avançait vers moi bien droit, sans peur. Il avait les pieds nus et de beaux cheveux longs. J'ai soulevé mon fusil pour le tuer, mais quand j'ai compris que c'était le Christ, j'ai baissé mon arme. « M'aurais-tu blessé ? » Il a demandé d'une voix triste. J'ai dit oui. Et je me suis mise à blasphémer. « Tu devras avoir honte de laisser tout ça continuer. Tu devras avoir honte de toi. » Mais il a ouvert les bras devant le champ de bataille des trempés, devant les barbelés emmêlés, devant les arbres calcinés, plantés comme des chicots dans une mâchoire décharnée. « Dis-moi ce que je dois faire, » il a répondu. « Dis-moi ce que je dois faire, si tu le sais. » C'est à ce moment-là que j'ai commencé à pleurer, et le Christ a pleuré lui aussi. Et nos larmes ont coulé lentement sous la pluie. À zéro heure, ma relève est arrivée. Je voulais lui raconter ce que j'avais vu, mais je savais qu'il ne ferait qu'en rire, sans me croire.
Oui, pardon. On est toujours avec William March, donc compagnie K. Et donc là, c'est un échange de lettres. Je vais lire la première lettre, tu vas lire la réponse. D'accord, c'est ça ? Alan Method. Ma poésie commençait à attirer l'attention quand je me suis engagé, convaincu de la beauté de la guerre par celle de mes propres sonnets. Ensuite, des mois d'instructions, de labeurs et de souffrances. Mais j'aurais pu endurer l'humiliation et les heures répétées d'absurde besogne. Je m'y suis habitué à la longue et je savais m'en détacher. C'était l'isolement spirituel, l'insupportable. À qui pouvais-je parler ? Qui pouvait me comprendre ? Il n'y avait personne, absolument personne. Ce sentiment de singularité d'être seul, il se refermait sur moi de plus en plus. Je regardais mes camarades, leurs visages inexpressifs de moutons. Ils n'attendaient rien d'autre de la vie que le repas et le repos. ou une nuit d'ivresse dans une maison de passe. Un sentiment de dégoût m'envahissait. Être abruti et indifférent, insensible à la beauté, en ces nuits de garde avec Daniel O'Leary. ses yeux désertés par l'intelligence. Il restait là à me dévisager d'un air stupide, ses épais sourcils froncés, ses grosses lèvres pendantes comme celles d'un idiot. J'ai essayé de lui parler, mais c'était sans espoir. Il baissait les yeux comme s'il avait honte de moi et fixait le caille-botis en ne sachant pas quoi faire de son fusil. Je marchais jusqu'au bout de la tranchée et contemplais une fusée vers le nord qui se consumait dans une lumière verte. Ce sentiment d'isolement, ce sentiment d'être seul parmi les étrangers. J'ai enjambé la crête de la tranchée et je me suis dirigé vers les lignes allemandes. Je marchais lentement, regardant les fusées et murmurant les vers de mes poèmes, m'arrêtant puis repartant de l'avant. Bientôt, une main surgira, et brusquement, elle m'arrachera du sol, je pensais, et alors je serai étendu au sol, corps brisé contre cette terre brisée. Bientôt un pied, qui aura la forme de l'infini, viendra se poser sur mon crâne, frêle, et l'écrasera.
La réponse est de Danny O'Leary. Réponse de Dani O'Leary Je voudrais que tu puisses me voir maintenant, Alan Meto. Je voudrais que tu puisses voir ce que tu as créé, car oui, tu m'as créé bien plus complètement que le docker ivrogne dont la semence m'a un jour engendré. J'étais tellement frustre, tellement bête, et puis tu es venu. Comment savais-tu ? Comment as-tu pu voir au travers de toutes les couches l'infâme étincelle qui était cachée en moi ? Te rappelles-tu nos nuits de garde où tu récitais Shelley et Wordsworth ? Ta voix scandant les vers était la chose la plus belle que j'ai jamais entendue. Je voulais te parler, te dire que je comprenais, te faire savoir que ta foi en moi ne serait pas vaine, mais je n'osais pas. Il m'était impossible de te considérer comme un être humain semblable à moi ou aux autres hommes de la compagnie. Je te considérais comme une personne tellement supérieure à nous. Quand à présent, je restais muet et je souhaitais qu'un Allemand saute dans la tranchée dans le but de te tuer pour me permettre d'interposer mon corps entre toi et la balle. Je restais là à ne pas savoir quoi faire de mon fusil, espérant que tu continuerais à jamais de dire ces vers magnifiques. J'apprendrai à lire, je me disais. Quand la guerre sera finie, j'apprendrai à lire.
Donc à présent, on va lire un passage de Jean Gionnaud dans Le Grand Troupeau. C'est un publié en 1931 et évidemment, c'est une guerre à laquelle Jean Gionnaud a participé. Olivier cherche Madeleine. Elle est là-bas, de l'autre côté. Elle le regarde. Il voit bouger sa grosse bouche sur les mots de la pitié. Il voit luire les larmes là-bas dans ses yeux. Maintenant, il ne dit plus rien. Il ne se regarde, elle et lui, au plein des yeux, et ils ne disent plus rien. Ils ont serré leurs lèvres, elle pleure sans rien dire, là-bas. Cette fois, il est tout habillé en soldat, depuis les pieds jusqu'à la tête. Il est marqué. Il va partir. Pour aller à Madeleine, son regard passe au-dessus de la table nue, au-dessus de ce petit tas de sel mort qui lui, entre les cierges. Les grosses lèvres de Madeleine bougent là-bas. Olivier, on a vu qu'elle a dit, le papé a fait signe, Olivier s'est dressé, il regarde du côté de Madeleine, elle tend vers lui son visage ruisselant, il dresse le bras en adieu et il marche à reculons vers la porte avec papé. Clarence, à présent, tu vas nous lire un nouvel extrait. Toujours Jean-Jonas, je crois, non ? Non, pas du tout. Ah, on change.
Je lis « Le dormeur du Val » d'Arthur Ryn.
Ah bah oui, c'est beaucoup plus ancien. Nous t'écoutons.
C'est un trou de verdure où chante une rivière accrochant follement aux herbes des haillons d'argent. Où le soleil de la montagne fière luit, c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat, jeune, bouche ouverte, tête nue, et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, dort. Il est étendu dans l'herbe sous la nu, pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeules, il dort. Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature berce le chaudement, il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine, Indore dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille. Il a deux traits rouges, au côté droit.
Alors pour conclure ce petit podcast, je vais vous lire un extrait évidemment de Louis Ferdinand Céline. On ne peut pas parler de la guerre sans parler de cet écrivain avec Voyage au bout de la nuit. Vous savez bien qu'il a participé à la première guerre mondiale et ce livre, son premier roman, a été publié en 1952 et il traite justement de cette guerre. Serais-je donc le seul lâche sur la terre, pensais-je ? Et avec quel effroi ! Parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux, avec casque sans casque. sans chevaux, sur moto, hurlant, en auto, sifflant, tirailleur, comploteur, volant, à genoux, creusant, se défilant, carrément. Caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermé sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout détruire. Allemagne, France et continent, tout ce qui respire. détruire, plus enragé que les chiens, adorant leur rage, ce que les chiens ne font pas, cent, mille fois plus enragé que mille chiens, et tellement plus vicieux. Nous étions jolis, décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique. Voilà, carence.
Merci beaucoup, Régis, pour ce partage de textes magnifiques.
Oui, comme quoi, en fait, l'horreur de la guerre peut donner naissance à des textes parfois très, très, très, très beaux. Eh bien, voilà, bonne semaine à tous.
À bientôt, au revoir.
Au revoir.
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une petite exploration de la guerre dans la littérature avec des lectures de Clarence Massiani et Régis Decaix
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
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Bonjour, Isadora Bessé, le podcast, une comédienne et un poète partagent une tasse de cafons. La comédienne c'est Clarence Massiani, le poète c'est Régis Lequet. Bonjour Clarence.
Bonjour Régis.
Alors la thématique qu'on va évoquer aujourd'hui, elle n'est pas très gaie, puisque c'est la guerre. La guerre qui pourtant a été traitée de multiples manières, parce qu'effectivement c'est un thème de prédilection, souvent pour la littérature, mais pas uniquement, d'ailleurs le cinéma, on a un genre carrément, les films de guerre c'est vraiment une thématique classique. Mais on va essayer d'aborder quelques auteurs et leurs écrits autour de la guerre, voir un petit peu comment eux l'ont traité. On va commencer avec un poème extrêmement connu de Jacques Prévert. La mère fait du tricot, le fils fait la guerre. Elle trouve ça tout naturel, la mère. Et le père, qu'est-ce qu'il fait, le père ? Il fait des affaires. Sa femme fait du tricot, son fils la guerre, lui des affaires. Il trouve ça tout naturel, le père. Et le fils et le fils, qu'est-ce qu'il trouve, le fils ? Il ne trouve absolument rien, le fils. Le fils, sa mère fait du tricot, son père des affaires, lui la guerre. Quand il aura fini la guerre, il fera des affaires avec son père. La guerre continue, la mer continue, elle tricote. Le père continue, il fait des affaires. Le fils est tué, il ne continue plus. Le père et la mer vont au cimetière. Il trouve ça naturel, le père et la mer. La vie continue avec le tricot, la guerre, les affaires. Les affaires, la guerre, le tricot, la guerre. Les affaires, les affaires et les affaires, la vie avec le cimetière. Clarence ?
Merci Régis pour ce poème de Jacques Prévert. Est-ce qu'il y a un titre à ce poème ?
C'est familial, et puis c'est dans le recueil paroles de Jacques Prévert. D'accord,
merci. Je vais continuer avec un extrait, même deux ou trois extraits de La Peur de Gabriel Chevalier. Gabriel Chevalier qui est né le 3 mai 1895 à Lyon, qui a publié près de 20 ouvrages et qui est mort le 5 avril 69 à Cannes. Et je voulais, avant de lire le premier extrait, dire une petite... Préface, il me semble, de quelques lignes. Ce livre tourné contre la guerre et publié pour la première fois en 1930 a connu la malchance de rencontrer une seconde guerre sur son chemin. En 1939, Savant fut librement suspendu par accord entre l'auteur et l'éditeur parce que quand la guerre est là, ce n'est plus le moment d'avertir les gens qu'il s'agit d'une sinistre aventure aux conséquences imprévisibles. Premier extrait. Une fois, notre caporal me demanda « Tu n'as pas eu trop peur ? » « Oh ! » répondit un ancien, « j'étais derrière lui et il n'a pas arrêté de siffler. » C'était vrai. Je n'aime pas être réveillée brusquement. Aussi apportais-je à ces alertes la mauvaise humeur d'un homme dont on choque les habitudes et qui refuse absolument de s'intéresser à un spectacle qu'il blâme. Mais si flottement qui avait étonné l'ancien exprimait mon mépris pour cette guerre qui empêchait les gens de dormir et faisait tant de bruit pour si peu d'effet. La conviction que ma destinée ne pouvait avoir en son terme sur un champ de bataille n'était pas encore ébranlée. Je n'avais pas encore pris la guerre, je pensais leur guerre au sérieux, la jugeant absurde dans ces manifestations que j'avais prévues tout autre. Il y avait là trop de crasse, de poux, de corvées et d'excréments, trop de destruction pour aboutir à quoi ? Trouvant cette affaire mal montée, je la boudais. Ma boudrée me rendait fort. et me donner une sorte de courage. On se jeta dans la nuit froide, sifflante, dans la nuit en déflagration, la nuit pleine d'obstacles, d'embuscades, de tronçons et de clameurs, la nuit qui cachait l'inconnu et la mort. Rodeuse muette, opprenait le déclatement, cherchant ses proies terrifiées. Des êtres abandonnés, entamés, étendus quelque part de notre régiment peut-être, hurlaient comme des chiens malades. Des caissons fous, ravitailleurs du tonnerre, passaient ventre à terre, culbutant, écrasant tout pour échapper. Nous courions de toutes nos forces sur des jambes insuffisantes, surchargées, trop faibles, pour nous soustraire aux trajectoires instantanées. Nos sacs, nos musettes, nous serraient les poumons, nous tiraient en arrière, nous rejetaient dans la zone étincelante, brusquement surchauffée du fracas. Et toujours ce fusil qui glisse de l'épaule, arme inutile, dérisoire, qui échappe et embarrasse. Et toujours cette baïonnette qui entrave. Nous courions, nous guidant sur un dos, les yeux dilatés mais prêts à se fermer pour ne pas voir le feu, à se fermer sur la pensée recroquevillée qui refuse sa fonction, qui voudrait ne pas savoir, ne pas comprendre, qui est un poids mort pour la carcasse qui bondit, cravachée par les lanières tranchantes de l'acier, qui fuit le cnou, plombé, rugissant à ses oreilles. Nous courions, le corps penché en avant avec l'inclinaison préparée de la chute qui doit être plus rapide que l'obus. Nous courions, comme des brutes, non plus des soldats, mais déserteurs dans le sens de l'ennemi, résonnant intérieurement de ce seul mot, assez, à travers les maisons titubantes soulevées et retombant en poussière sur leurs assises. Je pense excéder. J'en ai marre. J'ai 23 ans. J'ai déjà 23 ans. J'ai entamé cet avenir que je voulais si plein, si riche en 1914 et je n'ai rien acquis. Mes plus belles années se passent ici, j'use ma jeunesse à des occupations stupides dans une subordination imbécile. J'ai une vie contraire à mes goûts qui ne m'offre aucun but et tant de privations, de contraintes se termineront peut-être par ma mort. J'en ai marre. Je suis le centre du monde et chacun de nous pour soi-même l'est aussi. Je ne suis pas responsable des erreurs des autres, je ne suis pas solidaire de leurs ambitions, de leurs appétits, et j'ai mieux à faire qu'à payer leur gloire et leur profit de mon sang. Que ceux qui aiment la guerre la fassent, je m'en désintéresse. C'est affaire de professionnels, qu'ils se débrouillent entre eux, qu'ils exercent leur métier. Je récuse leur hiérarchie que ne prouve pas la valeur, je récuse les politiques qui ont abouti à ceci. Je n'accorde aucune confiance aux organisateurs de massacres, je méprise même leur victoire pour avoir trop vu de quoi elles sont faites. Je suis sans... haine. Mon patrimoine, c'est ma vie. Je n'ai pas de bien plus précieux à défendre. Je demeure à vivre en paix, loin des casernes, des champs de bataille, des génies militaires de tout poil. Vivre n'importe où, mais tranquille, et devenir lentement ce que je dois être.
À présent, Clarence, tu vas nous lire un extrait de David Diop, je crois, qui a été en 2018 le prix concours des lycéens.
Oui, et je vais vous lire un extrait de Frère Dame. David Diop est né à Paris en 1966, il a grandi au Sénégal et il est maître de conférence à l'université de Pau. Ah, mandat ! Diop, mon plus que frère, a mis trop de temps à mourir. Ça a été très difficile, ça n'en finissait pas du matin aux aurores au soir. Les tripes allèrent le dedans dehors, comme un mouton dépecé par le boucher rituel après son sacrifice. Lui, Mademba, n'était pas encore mort qu'il avait déjà le dedans du corps. dehors. Pendant que les autres s'étaient réfugiés dans les plaies béantes de la terre qu'on appelle les tranchées, moi je suis restée près de Madame Bas, allongée contre lui, ma main droite dans sa main gauche, à regarder le ciel bleu froid sillonné de métal. Trois fois il m'a demandé de l'achever, trois fois j'ai refusé. C'était avant, avant de m'autoriser à penser. Si j'avais été alors tel que je suis devenu aujourd'hui, je l'aurais tué la première fois qu'il me l'a demandé, sa tête tournée vers moi, sa main gauche dans ma main droite. Par la vérité de Dieu, si j'étais déjà devenu celui que je suis maintenant, je l'aurais égorgé comme un mouton de sacrifice par amitié. Mais j'ai pensé à mon vieux père, à ma mère, à la voix intérieure qui ordonne, et je n'ai pas su couper le fil barbelé de ses souffrances. Je n'ai pas été humain avec Madame Ba, mon plus que frère, mon ami d'enfance. J'ai laissé le devoir dicter mon choix, je ne lui ai offert que des mauvaises pensées, des pensées commandées par le devoir, des pensées recommandées par le respect des lois humaines, et je n'ai pas été humain. Par la vérité de Dieu, j'ai laissé Madame Ba pleurer comme un petit enfant, la troisième fois qu'il me suppliait de l'achever, faisant sous lui, la main droite tâtonnant la terre pour rassembler ses boyaux éparpillés. Je n'ai pas été humain. J'ai laissé Madame Bâmon, plus que frère, mon ami d'enfance, mourir les yeux pleins de larmes, la main tremblante. Ce n'est que quand tu t'es éteint que j'ai vraiment commencé à penser. Ce n'est qu'à ta mort au crépuscule que j'ai su, j'ai compris que je n'écouterai plus la voix qui impose la voix.
effectivement c'est un texte très très très puissant la cuve annulée donc à présent pour continuer ce podcast je vais vous lire un extrait de ernes younger un livre qui s'appelle orages d'acier qui a été publié à stuttgart en 1961 donc c'est un auteur allemand qui le dédie aux combattants français de la Première Guerre mondiale, en y joignant l'espoir d'une amitié étroite entre les deux parties. Donc c'est un prélude à la bataille de la Somme. Vers la mi-avril... En 1916, je fus détaché de Croisilles, une petite ville située derrière le front de la division pour y suivre un cours d'instruction que dirigeait notre chef de corps, le major-colonel Sontag. Des sorties et des visites fréquentes aux organisations de l'arrière, dont la plupart avaient été improvisées sur place, nous donnèrent une idée de l'immense travail qui s'accomplissait dans le dos des troupes au combat. c'est ainsi que nous visitâmes les abattoirs le dépôt et l'atelier de réparation d'artillerie à boyelles la scierie et le parc du génie dans la forêt de boulon la laiterie l'élevage de porcs et les usines de récupération des déchets animaux à Inchy, le parc d'aviation et la boulangerie de Quéhan. Le dimanche, nous nous rendions dans les villes voisines de Cambrai, de Douai à Valenciennes, pour revoir des femmes en chapeau. Je serais ingrat dans ce livre qui contient tant de scènes sanglantes si je passais sous silence un épisode où je jouais un rôle quelque peu comique. Cet hiver-là, notre bataillon étant l'hôte du roi de Kéan, étant l'hôte donc du roi de Quéant, j'avais dû, officier frais et moulu, faire de la première fois la ronde des sentinelles. Je m'étais égaré à la sortie du bourg et pour demander le chemin d'un petit poste établi dans une gare, j'étais entré dans une minuscule maison isolée. Je n'y trouvais d'autres habitants qu'une fille de 17 ans, prénommée Jeanne, dont le père venait de mourir et qui y demeurait seule. En me donnant mon renseignement, elle s'était mise à rire. Et à ma question, elle avait répondu « Vous êtes bien jeune, je voudrais avoir votre avenir. » Impressionnée par les dispositions guerrières que dénotaient ses paroles, je l'avais surnommée en ce temps-là Jeanne d'Arc. Et dans la période des combats de tranchées qui suivit, j'avais parfois songé à la maisonnette isolée. Certains soirs à Croisy, je me sentis soudain l'envie de m'y rendre. Je fis sceller mon cheval et j'eus bientôt le bourg derrière moi. C'était un soir de mai, comme fait à souhait pour une escapade, le trèfle fleurissait en lourd coussin d'un sombre rond sombre. d'un rouge sombre, excusez-moi, dans les prairies bordées de haies, de pruneliers blancs, et à l'entrée des villages, les gros candélabres, des marronniers en fleurs, flamboyaient dans le demi-jour. Je traversais Bellecour et Écouste. sans me douter que, dans deux ans, au meilleur d'un paysage entièrement transmué, je montrais l'assaut des ruines sinistres de ces mêmes villages qui, ce soir-là, reposaient si paisiblement dans le crépuscule entre les étangs et les collines. J'aperçus bientôt la maisonnette avec son toit d'un rouge brun tacheté de plaques rondes de mousse. Je heurtai au volet déjà fermé. « Qui est là ? Bonsoir, Jeanne d'Arc. » « Ah, bonsoir, mon petit officier Gibraltar. » Je fus accueilli aussi gentiment que je l'avais espéré. Ayant attaché mon cheval, j'entrais et d'eux prendre ma part au souper. Des œufs. du pain blanc et du beurre, présenté de manière appétissante sur une feuille de chou. En de telles circonstances, on ne se fait pas longtemps prier, on se sert sans plus de façon. Voilà. Clarence, c'est à toi de reprendre. Tu vas nous présenter un texte issu d'un ouvrage qui s'appelle Compagnie K, je crois.
Oui, Compagnie K de William Mark, qui est un auteur américain qui s'est engagé à l'âge de 23 ans le 5 juin 1917, qui traverse la France pour rejoindre la ligne de front à quelques kilomètres de Verdun. Il participe aux batailles de Soissons, Saint-Miel, Blanmont, jusqu'à ce que l'armistice entraîne sa compagnie vers le Rhin. Et à travers les 113 lettres de la Compagnie K, il a voulu explorer la multiplicité des réactions humaines face à l'horreur. Ce sont donc des lettres de soldats que je vais vous lire. J'étais de faction près de la côte 44 et il pleuvait, il n'y avait pas de vent et la pluie tombait tout droit. Vers le nord, des lumières surgissaient comme des éclairs de chaleur le long de l'horizon et le grondement sourd des batteries résonnait au loin. Accroupi dans la tranchée, trempé jusqu'aux os et grelottant de froid, je pensais, c'est calme ici ce soir. Mais là-bas, vers le nord, il se passe des choses terribles. Là-bas, en ce moment même, des hommes se font mettre en pièce ou massacrer à coups de baïonnette. Une fusée éclairante est partie soudain, elle est allée effleurer le ciel d'un léger baiser avant d'exploser, et dans l'éclat de sa déflagration, j'ai vu l'enchevêtrement des défenses de barbelons rongées par la rouille. J'ai vu aussi la pluie lente qui, dans la lumière, luisait comme du quartz et tombait sur le champ de bataille en ligne verticale implacable. Je restais recroquevillée, tremblant, dans ma tranchée peu profonde, mon fusil plaqué contre moi. La pluie découvrait les corps enterrés à la hâte, il y avait une odeur de décomposition dans l'air. J'ai vu un homme qui avançait vers moi bien droit, sans peur. Il avait les pieds nus et de beaux cheveux longs. J'ai soulevé mon fusil pour le tuer, mais quand j'ai compris que c'était le Christ, j'ai baissé mon arme. « M'aurais-tu blessé ? » Il a demandé d'une voix triste. J'ai dit oui. Et je me suis mise à blasphémer. « Tu devras avoir honte de laisser tout ça continuer. Tu devras avoir honte de toi. » Mais il a ouvert les bras devant le champ de bataille des trempés, devant les barbelés emmêlés, devant les arbres calcinés, plantés comme des chicots dans une mâchoire décharnée. « Dis-moi ce que je dois faire, » il a répondu. « Dis-moi ce que je dois faire, si tu le sais. » C'est à ce moment-là que j'ai commencé à pleurer, et le Christ a pleuré lui aussi. Et nos larmes ont coulé lentement sous la pluie. À zéro heure, ma relève est arrivée. Je voulais lui raconter ce que j'avais vu, mais je savais qu'il ne ferait qu'en rire, sans me croire.
Oui, pardon. On est toujours avec William March, donc compagnie K. Et donc là, c'est un échange de lettres. Je vais lire la première lettre, tu vas lire la réponse. D'accord, c'est ça ? Alan Method. Ma poésie commençait à attirer l'attention quand je me suis engagé, convaincu de la beauté de la guerre par celle de mes propres sonnets. Ensuite, des mois d'instructions, de labeurs et de souffrances. Mais j'aurais pu endurer l'humiliation et les heures répétées d'absurde besogne. Je m'y suis habitué à la longue et je savais m'en détacher. C'était l'isolement spirituel, l'insupportable. À qui pouvais-je parler ? Qui pouvait me comprendre ? Il n'y avait personne, absolument personne. Ce sentiment de singularité d'être seul, il se refermait sur moi de plus en plus. Je regardais mes camarades, leurs visages inexpressifs de moutons. Ils n'attendaient rien d'autre de la vie que le repas et le repos. ou une nuit d'ivresse dans une maison de passe. Un sentiment de dégoût m'envahissait. Être abruti et indifférent, insensible à la beauté, en ces nuits de garde avec Daniel O'Leary. ses yeux désertés par l'intelligence. Il restait là à me dévisager d'un air stupide, ses épais sourcils froncés, ses grosses lèvres pendantes comme celles d'un idiot. J'ai essayé de lui parler, mais c'était sans espoir. Il baissait les yeux comme s'il avait honte de moi et fixait le caille-botis en ne sachant pas quoi faire de son fusil. Je marchais jusqu'au bout de la tranchée et contemplais une fusée vers le nord qui se consumait dans une lumière verte. Ce sentiment d'isolement, ce sentiment d'être seul parmi les étrangers. J'ai enjambé la crête de la tranchée et je me suis dirigé vers les lignes allemandes. Je marchais lentement, regardant les fusées et murmurant les vers de mes poèmes, m'arrêtant puis repartant de l'avant. Bientôt, une main surgira, et brusquement, elle m'arrachera du sol, je pensais, et alors je serai étendu au sol, corps brisé contre cette terre brisée. Bientôt un pied, qui aura la forme de l'infini, viendra se poser sur mon crâne, frêle, et l'écrasera.
La réponse est de Danny O'Leary. Réponse de Dani O'Leary Je voudrais que tu puisses me voir maintenant, Alan Meto. Je voudrais que tu puisses voir ce que tu as créé, car oui, tu m'as créé bien plus complètement que le docker ivrogne dont la semence m'a un jour engendré. J'étais tellement frustre, tellement bête, et puis tu es venu. Comment savais-tu ? Comment as-tu pu voir au travers de toutes les couches l'infâme étincelle qui était cachée en moi ? Te rappelles-tu nos nuits de garde où tu récitais Shelley et Wordsworth ? Ta voix scandant les vers était la chose la plus belle que j'ai jamais entendue. Je voulais te parler, te dire que je comprenais, te faire savoir que ta foi en moi ne serait pas vaine, mais je n'osais pas. Il m'était impossible de te considérer comme un être humain semblable à moi ou aux autres hommes de la compagnie. Je te considérais comme une personne tellement supérieure à nous. Quand à présent, je restais muet et je souhaitais qu'un Allemand saute dans la tranchée dans le but de te tuer pour me permettre d'interposer mon corps entre toi et la balle. Je restais là à ne pas savoir quoi faire de mon fusil, espérant que tu continuerais à jamais de dire ces vers magnifiques. J'apprendrai à lire, je me disais. Quand la guerre sera finie, j'apprendrai à lire.
Donc à présent, on va lire un passage de Jean Gionnaud dans Le Grand Troupeau. C'est un publié en 1931 et évidemment, c'est une guerre à laquelle Jean Gionnaud a participé. Olivier cherche Madeleine. Elle est là-bas, de l'autre côté. Elle le regarde. Il voit bouger sa grosse bouche sur les mots de la pitié. Il voit luire les larmes là-bas dans ses yeux. Maintenant, il ne dit plus rien. Il ne se regarde, elle et lui, au plein des yeux, et ils ne disent plus rien. Ils ont serré leurs lèvres, elle pleure sans rien dire, là-bas. Cette fois, il est tout habillé en soldat, depuis les pieds jusqu'à la tête. Il est marqué. Il va partir. Pour aller à Madeleine, son regard passe au-dessus de la table nue, au-dessus de ce petit tas de sel mort qui lui, entre les cierges. Les grosses lèvres de Madeleine bougent là-bas. Olivier, on a vu qu'elle a dit, le papé a fait signe, Olivier s'est dressé, il regarde du côté de Madeleine, elle tend vers lui son visage ruisselant, il dresse le bras en adieu et il marche à reculons vers la porte avec papé. Clarence, à présent, tu vas nous lire un nouvel extrait. Toujours Jean-Jonas, je crois, non ? Non, pas du tout. Ah, on change.
Je lis « Le dormeur du Val » d'Arthur Ryn.
Ah bah oui, c'est beaucoup plus ancien. Nous t'écoutons.
C'est un trou de verdure où chante une rivière accrochant follement aux herbes des haillons d'argent. Où le soleil de la montagne fière luit, c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat, jeune, bouche ouverte, tête nue, et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, dort. Il est étendu dans l'herbe sous la nu, pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeules, il dort. Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature berce le chaudement, il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine, Indore dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille. Il a deux traits rouges, au côté droit.
Alors pour conclure ce petit podcast, je vais vous lire un extrait évidemment de Louis Ferdinand Céline. On ne peut pas parler de la guerre sans parler de cet écrivain avec Voyage au bout de la nuit. Vous savez bien qu'il a participé à la première guerre mondiale et ce livre, son premier roman, a été publié en 1952 et il traite justement de cette guerre. Serais-je donc le seul lâche sur la terre, pensais-je ? Et avec quel effroi ! Parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux, avec casque sans casque. sans chevaux, sur moto, hurlant, en auto, sifflant, tirailleur, comploteur, volant, à genoux, creusant, se défilant, carrément. Caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermé sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout détruire. Allemagne, France et continent, tout ce qui respire. détruire, plus enragé que les chiens, adorant leur rage, ce que les chiens ne font pas, cent, mille fois plus enragé que mille chiens, et tellement plus vicieux. Nous étions jolis, décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique. Voilà, carence.
Merci beaucoup, Régis, pour ce partage de textes magnifiques.
Oui, comme quoi, en fait, l'horreur de la guerre peut donner naissance à des textes parfois très, très, très, très beaux. Eh bien, voilà, bonne semaine à tous.
À bientôt, au revoir.
Au revoir.
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Description
une petite exploration de la guerre dans la littérature avec des lectures de Clarence Massiani et Régis Decaix
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
Transcription
Bonjour, Isadora Bessé, le podcast, une comédienne et un poète partagent une tasse de cafons. La comédienne c'est Clarence Massiani, le poète c'est Régis Lequet. Bonjour Clarence.
Bonjour Régis.
Alors la thématique qu'on va évoquer aujourd'hui, elle n'est pas très gaie, puisque c'est la guerre. La guerre qui pourtant a été traitée de multiples manières, parce qu'effectivement c'est un thème de prédilection, souvent pour la littérature, mais pas uniquement, d'ailleurs le cinéma, on a un genre carrément, les films de guerre c'est vraiment une thématique classique. Mais on va essayer d'aborder quelques auteurs et leurs écrits autour de la guerre, voir un petit peu comment eux l'ont traité. On va commencer avec un poème extrêmement connu de Jacques Prévert. La mère fait du tricot, le fils fait la guerre. Elle trouve ça tout naturel, la mère. Et le père, qu'est-ce qu'il fait, le père ? Il fait des affaires. Sa femme fait du tricot, son fils la guerre, lui des affaires. Il trouve ça tout naturel, le père. Et le fils et le fils, qu'est-ce qu'il trouve, le fils ? Il ne trouve absolument rien, le fils. Le fils, sa mère fait du tricot, son père des affaires, lui la guerre. Quand il aura fini la guerre, il fera des affaires avec son père. La guerre continue, la mer continue, elle tricote. Le père continue, il fait des affaires. Le fils est tué, il ne continue plus. Le père et la mer vont au cimetière. Il trouve ça naturel, le père et la mer. La vie continue avec le tricot, la guerre, les affaires. Les affaires, la guerre, le tricot, la guerre. Les affaires, les affaires et les affaires, la vie avec le cimetière. Clarence ?
Merci Régis pour ce poème de Jacques Prévert. Est-ce qu'il y a un titre à ce poème ?
C'est familial, et puis c'est dans le recueil paroles de Jacques Prévert. D'accord,
merci. Je vais continuer avec un extrait, même deux ou trois extraits de La Peur de Gabriel Chevalier. Gabriel Chevalier qui est né le 3 mai 1895 à Lyon, qui a publié près de 20 ouvrages et qui est mort le 5 avril 69 à Cannes. Et je voulais, avant de lire le premier extrait, dire une petite... Préface, il me semble, de quelques lignes. Ce livre tourné contre la guerre et publié pour la première fois en 1930 a connu la malchance de rencontrer une seconde guerre sur son chemin. En 1939, Savant fut librement suspendu par accord entre l'auteur et l'éditeur parce que quand la guerre est là, ce n'est plus le moment d'avertir les gens qu'il s'agit d'une sinistre aventure aux conséquences imprévisibles. Premier extrait. Une fois, notre caporal me demanda « Tu n'as pas eu trop peur ? » « Oh ! » répondit un ancien, « j'étais derrière lui et il n'a pas arrêté de siffler. » C'était vrai. Je n'aime pas être réveillée brusquement. Aussi apportais-je à ces alertes la mauvaise humeur d'un homme dont on choque les habitudes et qui refuse absolument de s'intéresser à un spectacle qu'il blâme. Mais si flottement qui avait étonné l'ancien exprimait mon mépris pour cette guerre qui empêchait les gens de dormir et faisait tant de bruit pour si peu d'effet. La conviction que ma destinée ne pouvait avoir en son terme sur un champ de bataille n'était pas encore ébranlée. Je n'avais pas encore pris la guerre, je pensais leur guerre au sérieux, la jugeant absurde dans ces manifestations que j'avais prévues tout autre. Il y avait là trop de crasse, de poux, de corvées et d'excréments, trop de destruction pour aboutir à quoi ? Trouvant cette affaire mal montée, je la boudais. Ma boudrée me rendait fort. et me donner une sorte de courage. On se jeta dans la nuit froide, sifflante, dans la nuit en déflagration, la nuit pleine d'obstacles, d'embuscades, de tronçons et de clameurs, la nuit qui cachait l'inconnu et la mort. Rodeuse muette, opprenait le déclatement, cherchant ses proies terrifiées. Des êtres abandonnés, entamés, étendus quelque part de notre régiment peut-être, hurlaient comme des chiens malades. Des caissons fous, ravitailleurs du tonnerre, passaient ventre à terre, culbutant, écrasant tout pour échapper. Nous courions de toutes nos forces sur des jambes insuffisantes, surchargées, trop faibles, pour nous soustraire aux trajectoires instantanées. Nos sacs, nos musettes, nous serraient les poumons, nous tiraient en arrière, nous rejetaient dans la zone étincelante, brusquement surchauffée du fracas. Et toujours ce fusil qui glisse de l'épaule, arme inutile, dérisoire, qui échappe et embarrasse. Et toujours cette baïonnette qui entrave. Nous courions, nous guidant sur un dos, les yeux dilatés mais prêts à se fermer pour ne pas voir le feu, à se fermer sur la pensée recroquevillée qui refuse sa fonction, qui voudrait ne pas savoir, ne pas comprendre, qui est un poids mort pour la carcasse qui bondit, cravachée par les lanières tranchantes de l'acier, qui fuit le cnou, plombé, rugissant à ses oreilles. Nous courions, le corps penché en avant avec l'inclinaison préparée de la chute qui doit être plus rapide que l'obus. Nous courions, comme des brutes, non plus des soldats, mais déserteurs dans le sens de l'ennemi, résonnant intérieurement de ce seul mot, assez, à travers les maisons titubantes soulevées et retombant en poussière sur leurs assises. Je pense excéder. J'en ai marre. J'ai 23 ans. J'ai déjà 23 ans. J'ai entamé cet avenir que je voulais si plein, si riche en 1914 et je n'ai rien acquis. Mes plus belles années se passent ici, j'use ma jeunesse à des occupations stupides dans une subordination imbécile. J'ai une vie contraire à mes goûts qui ne m'offre aucun but et tant de privations, de contraintes se termineront peut-être par ma mort. J'en ai marre. Je suis le centre du monde et chacun de nous pour soi-même l'est aussi. Je ne suis pas responsable des erreurs des autres, je ne suis pas solidaire de leurs ambitions, de leurs appétits, et j'ai mieux à faire qu'à payer leur gloire et leur profit de mon sang. Que ceux qui aiment la guerre la fassent, je m'en désintéresse. C'est affaire de professionnels, qu'ils se débrouillent entre eux, qu'ils exercent leur métier. Je récuse leur hiérarchie que ne prouve pas la valeur, je récuse les politiques qui ont abouti à ceci. Je n'accorde aucune confiance aux organisateurs de massacres, je méprise même leur victoire pour avoir trop vu de quoi elles sont faites. Je suis sans... haine. Mon patrimoine, c'est ma vie. Je n'ai pas de bien plus précieux à défendre. Je demeure à vivre en paix, loin des casernes, des champs de bataille, des génies militaires de tout poil. Vivre n'importe où, mais tranquille, et devenir lentement ce que je dois être.
À présent, Clarence, tu vas nous lire un extrait de David Diop, je crois, qui a été en 2018 le prix concours des lycéens.
Oui, et je vais vous lire un extrait de Frère Dame. David Diop est né à Paris en 1966, il a grandi au Sénégal et il est maître de conférence à l'université de Pau. Ah, mandat ! Diop, mon plus que frère, a mis trop de temps à mourir. Ça a été très difficile, ça n'en finissait pas du matin aux aurores au soir. Les tripes allèrent le dedans dehors, comme un mouton dépecé par le boucher rituel après son sacrifice. Lui, Mademba, n'était pas encore mort qu'il avait déjà le dedans du corps. dehors. Pendant que les autres s'étaient réfugiés dans les plaies béantes de la terre qu'on appelle les tranchées, moi je suis restée près de Madame Bas, allongée contre lui, ma main droite dans sa main gauche, à regarder le ciel bleu froid sillonné de métal. Trois fois il m'a demandé de l'achever, trois fois j'ai refusé. C'était avant, avant de m'autoriser à penser. Si j'avais été alors tel que je suis devenu aujourd'hui, je l'aurais tué la première fois qu'il me l'a demandé, sa tête tournée vers moi, sa main gauche dans ma main droite. Par la vérité de Dieu, si j'étais déjà devenu celui que je suis maintenant, je l'aurais égorgé comme un mouton de sacrifice par amitié. Mais j'ai pensé à mon vieux père, à ma mère, à la voix intérieure qui ordonne, et je n'ai pas su couper le fil barbelé de ses souffrances. Je n'ai pas été humain avec Madame Ba, mon plus que frère, mon ami d'enfance. J'ai laissé le devoir dicter mon choix, je ne lui ai offert que des mauvaises pensées, des pensées commandées par le devoir, des pensées recommandées par le respect des lois humaines, et je n'ai pas été humain. Par la vérité de Dieu, j'ai laissé Madame Ba pleurer comme un petit enfant, la troisième fois qu'il me suppliait de l'achever, faisant sous lui, la main droite tâtonnant la terre pour rassembler ses boyaux éparpillés. Je n'ai pas été humain. J'ai laissé Madame Bâmon, plus que frère, mon ami d'enfance, mourir les yeux pleins de larmes, la main tremblante. Ce n'est que quand tu t'es éteint que j'ai vraiment commencé à penser. Ce n'est qu'à ta mort au crépuscule que j'ai su, j'ai compris que je n'écouterai plus la voix qui impose la voix.
effectivement c'est un texte très très très puissant la cuve annulée donc à présent pour continuer ce podcast je vais vous lire un extrait de ernes younger un livre qui s'appelle orages d'acier qui a été publié à stuttgart en 1961 donc c'est un auteur allemand qui le dédie aux combattants français de la Première Guerre mondiale, en y joignant l'espoir d'une amitié étroite entre les deux parties. Donc c'est un prélude à la bataille de la Somme. Vers la mi-avril... En 1916, je fus détaché de Croisilles, une petite ville située derrière le front de la division pour y suivre un cours d'instruction que dirigeait notre chef de corps, le major-colonel Sontag. Des sorties et des visites fréquentes aux organisations de l'arrière, dont la plupart avaient été improvisées sur place, nous donnèrent une idée de l'immense travail qui s'accomplissait dans le dos des troupes au combat. c'est ainsi que nous visitâmes les abattoirs le dépôt et l'atelier de réparation d'artillerie à boyelles la scierie et le parc du génie dans la forêt de boulon la laiterie l'élevage de porcs et les usines de récupération des déchets animaux à Inchy, le parc d'aviation et la boulangerie de Quéhan. Le dimanche, nous nous rendions dans les villes voisines de Cambrai, de Douai à Valenciennes, pour revoir des femmes en chapeau. Je serais ingrat dans ce livre qui contient tant de scènes sanglantes si je passais sous silence un épisode où je jouais un rôle quelque peu comique. Cet hiver-là, notre bataillon étant l'hôte du roi de Kéan, étant l'hôte donc du roi de Quéant, j'avais dû, officier frais et moulu, faire de la première fois la ronde des sentinelles. Je m'étais égaré à la sortie du bourg et pour demander le chemin d'un petit poste établi dans une gare, j'étais entré dans une minuscule maison isolée. Je n'y trouvais d'autres habitants qu'une fille de 17 ans, prénommée Jeanne, dont le père venait de mourir et qui y demeurait seule. En me donnant mon renseignement, elle s'était mise à rire. Et à ma question, elle avait répondu « Vous êtes bien jeune, je voudrais avoir votre avenir. » Impressionnée par les dispositions guerrières que dénotaient ses paroles, je l'avais surnommée en ce temps-là Jeanne d'Arc. Et dans la période des combats de tranchées qui suivit, j'avais parfois songé à la maisonnette isolée. Certains soirs à Croisy, je me sentis soudain l'envie de m'y rendre. Je fis sceller mon cheval et j'eus bientôt le bourg derrière moi. C'était un soir de mai, comme fait à souhait pour une escapade, le trèfle fleurissait en lourd coussin d'un sombre rond sombre. d'un rouge sombre, excusez-moi, dans les prairies bordées de haies, de pruneliers blancs, et à l'entrée des villages, les gros candélabres, des marronniers en fleurs, flamboyaient dans le demi-jour. Je traversais Bellecour et Écouste. sans me douter que, dans deux ans, au meilleur d'un paysage entièrement transmué, je montrais l'assaut des ruines sinistres de ces mêmes villages qui, ce soir-là, reposaient si paisiblement dans le crépuscule entre les étangs et les collines. J'aperçus bientôt la maisonnette avec son toit d'un rouge brun tacheté de plaques rondes de mousse. Je heurtai au volet déjà fermé. « Qui est là ? Bonsoir, Jeanne d'Arc. » « Ah, bonsoir, mon petit officier Gibraltar. » Je fus accueilli aussi gentiment que je l'avais espéré. Ayant attaché mon cheval, j'entrais et d'eux prendre ma part au souper. Des œufs. du pain blanc et du beurre, présenté de manière appétissante sur une feuille de chou. En de telles circonstances, on ne se fait pas longtemps prier, on se sert sans plus de façon. Voilà. Clarence, c'est à toi de reprendre. Tu vas nous présenter un texte issu d'un ouvrage qui s'appelle Compagnie K, je crois.
Oui, Compagnie K de William Mark, qui est un auteur américain qui s'est engagé à l'âge de 23 ans le 5 juin 1917, qui traverse la France pour rejoindre la ligne de front à quelques kilomètres de Verdun. Il participe aux batailles de Soissons, Saint-Miel, Blanmont, jusqu'à ce que l'armistice entraîne sa compagnie vers le Rhin. Et à travers les 113 lettres de la Compagnie K, il a voulu explorer la multiplicité des réactions humaines face à l'horreur. Ce sont donc des lettres de soldats que je vais vous lire. J'étais de faction près de la côte 44 et il pleuvait, il n'y avait pas de vent et la pluie tombait tout droit. Vers le nord, des lumières surgissaient comme des éclairs de chaleur le long de l'horizon et le grondement sourd des batteries résonnait au loin. Accroupi dans la tranchée, trempé jusqu'aux os et grelottant de froid, je pensais, c'est calme ici ce soir. Mais là-bas, vers le nord, il se passe des choses terribles. Là-bas, en ce moment même, des hommes se font mettre en pièce ou massacrer à coups de baïonnette. Une fusée éclairante est partie soudain, elle est allée effleurer le ciel d'un léger baiser avant d'exploser, et dans l'éclat de sa déflagration, j'ai vu l'enchevêtrement des défenses de barbelons rongées par la rouille. J'ai vu aussi la pluie lente qui, dans la lumière, luisait comme du quartz et tombait sur le champ de bataille en ligne verticale implacable. Je restais recroquevillée, tremblant, dans ma tranchée peu profonde, mon fusil plaqué contre moi. La pluie découvrait les corps enterrés à la hâte, il y avait une odeur de décomposition dans l'air. J'ai vu un homme qui avançait vers moi bien droit, sans peur. Il avait les pieds nus et de beaux cheveux longs. J'ai soulevé mon fusil pour le tuer, mais quand j'ai compris que c'était le Christ, j'ai baissé mon arme. « M'aurais-tu blessé ? » Il a demandé d'une voix triste. J'ai dit oui. Et je me suis mise à blasphémer. « Tu devras avoir honte de laisser tout ça continuer. Tu devras avoir honte de toi. » Mais il a ouvert les bras devant le champ de bataille des trempés, devant les barbelés emmêlés, devant les arbres calcinés, plantés comme des chicots dans une mâchoire décharnée. « Dis-moi ce que je dois faire, » il a répondu. « Dis-moi ce que je dois faire, si tu le sais. » C'est à ce moment-là que j'ai commencé à pleurer, et le Christ a pleuré lui aussi. Et nos larmes ont coulé lentement sous la pluie. À zéro heure, ma relève est arrivée. Je voulais lui raconter ce que j'avais vu, mais je savais qu'il ne ferait qu'en rire, sans me croire.
Oui, pardon. On est toujours avec William March, donc compagnie K. Et donc là, c'est un échange de lettres. Je vais lire la première lettre, tu vas lire la réponse. D'accord, c'est ça ? Alan Method. Ma poésie commençait à attirer l'attention quand je me suis engagé, convaincu de la beauté de la guerre par celle de mes propres sonnets. Ensuite, des mois d'instructions, de labeurs et de souffrances. Mais j'aurais pu endurer l'humiliation et les heures répétées d'absurde besogne. Je m'y suis habitué à la longue et je savais m'en détacher. C'était l'isolement spirituel, l'insupportable. À qui pouvais-je parler ? Qui pouvait me comprendre ? Il n'y avait personne, absolument personne. Ce sentiment de singularité d'être seul, il se refermait sur moi de plus en plus. Je regardais mes camarades, leurs visages inexpressifs de moutons. Ils n'attendaient rien d'autre de la vie que le repas et le repos. ou une nuit d'ivresse dans une maison de passe. Un sentiment de dégoût m'envahissait. Être abruti et indifférent, insensible à la beauté, en ces nuits de garde avec Daniel O'Leary. ses yeux désertés par l'intelligence. Il restait là à me dévisager d'un air stupide, ses épais sourcils froncés, ses grosses lèvres pendantes comme celles d'un idiot. J'ai essayé de lui parler, mais c'était sans espoir. Il baissait les yeux comme s'il avait honte de moi et fixait le caille-botis en ne sachant pas quoi faire de son fusil. Je marchais jusqu'au bout de la tranchée et contemplais une fusée vers le nord qui se consumait dans une lumière verte. Ce sentiment d'isolement, ce sentiment d'être seul parmi les étrangers. J'ai enjambé la crête de la tranchée et je me suis dirigé vers les lignes allemandes. Je marchais lentement, regardant les fusées et murmurant les vers de mes poèmes, m'arrêtant puis repartant de l'avant. Bientôt, une main surgira, et brusquement, elle m'arrachera du sol, je pensais, et alors je serai étendu au sol, corps brisé contre cette terre brisée. Bientôt un pied, qui aura la forme de l'infini, viendra se poser sur mon crâne, frêle, et l'écrasera.
La réponse est de Danny O'Leary. Réponse de Dani O'Leary Je voudrais que tu puisses me voir maintenant, Alan Meto. Je voudrais que tu puisses voir ce que tu as créé, car oui, tu m'as créé bien plus complètement que le docker ivrogne dont la semence m'a un jour engendré. J'étais tellement frustre, tellement bête, et puis tu es venu. Comment savais-tu ? Comment as-tu pu voir au travers de toutes les couches l'infâme étincelle qui était cachée en moi ? Te rappelles-tu nos nuits de garde où tu récitais Shelley et Wordsworth ? Ta voix scandant les vers était la chose la plus belle que j'ai jamais entendue. Je voulais te parler, te dire que je comprenais, te faire savoir que ta foi en moi ne serait pas vaine, mais je n'osais pas. Il m'était impossible de te considérer comme un être humain semblable à moi ou aux autres hommes de la compagnie. Je te considérais comme une personne tellement supérieure à nous. Quand à présent, je restais muet et je souhaitais qu'un Allemand saute dans la tranchée dans le but de te tuer pour me permettre d'interposer mon corps entre toi et la balle. Je restais là à ne pas savoir quoi faire de mon fusil, espérant que tu continuerais à jamais de dire ces vers magnifiques. J'apprendrai à lire, je me disais. Quand la guerre sera finie, j'apprendrai à lire.
Donc à présent, on va lire un passage de Jean Gionnaud dans Le Grand Troupeau. C'est un publié en 1931 et évidemment, c'est une guerre à laquelle Jean Gionnaud a participé. Olivier cherche Madeleine. Elle est là-bas, de l'autre côté. Elle le regarde. Il voit bouger sa grosse bouche sur les mots de la pitié. Il voit luire les larmes là-bas dans ses yeux. Maintenant, il ne dit plus rien. Il ne se regarde, elle et lui, au plein des yeux, et ils ne disent plus rien. Ils ont serré leurs lèvres, elle pleure sans rien dire, là-bas. Cette fois, il est tout habillé en soldat, depuis les pieds jusqu'à la tête. Il est marqué. Il va partir. Pour aller à Madeleine, son regard passe au-dessus de la table nue, au-dessus de ce petit tas de sel mort qui lui, entre les cierges. Les grosses lèvres de Madeleine bougent là-bas. Olivier, on a vu qu'elle a dit, le papé a fait signe, Olivier s'est dressé, il regarde du côté de Madeleine, elle tend vers lui son visage ruisselant, il dresse le bras en adieu et il marche à reculons vers la porte avec papé. Clarence, à présent, tu vas nous lire un nouvel extrait. Toujours Jean-Jonas, je crois, non ? Non, pas du tout. Ah, on change.
Je lis « Le dormeur du Val » d'Arthur Ryn.
Ah bah oui, c'est beaucoup plus ancien. Nous t'écoutons.
C'est un trou de verdure où chante une rivière accrochant follement aux herbes des haillons d'argent. Où le soleil de la montagne fière luit, c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat, jeune, bouche ouverte, tête nue, et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, dort. Il est étendu dans l'herbe sous la nu, pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeules, il dort. Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature berce le chaudement, il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine, Indore dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille. Il a deux traits rouges, au côté droit.
Alors pour conclure ce petit podcast, je vais vous lire un extrait évidemment de Louis Ferdinand Céline. On ne peut pas parler de la guerre sans parler de cet écrivain avec Voyage au bout de la nuit. Vous savez bien qu'il a participé à la première guerre mondiale et ce livre, son premier roman, a été publié en 1952 et il traite justement de cette guerre. Serais-je donc le seul lâche sur la terre, pensais-je ? Et avec quel effroi ! Parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux, avec casque sans casque. sans chevaux, sur moto, hurlant, en auto, sifflant, tirailleur, comploteur, volant, à genoux, creusant, se défilant, carrément. Caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermé sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout détruire. Allemagne, France et continent, tout ce qui respire. détruire, plus enragé que les chiens, adorant leur rage, ce que les chiens ne font pas, cent, mille fois plus enragé que mille chiens, et tellement plus vicieux. Nous étions jolis, décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique. Voilà, carence.
Merci beaucoup, Régis, pour ce partage de textes magnifiques.
Oui, comme quoi, en fait, l'horreur de la guerre peut donner naissance à des textes parfois très, très, très, très beaux. Eh bien, voilà, bonne semaine à tous.
À bientôt, au revoir.
Au revoir.
Description
une petite exploration de la guerre dans la littérature avec des lectures de Clarence Massiani et Régis Decaix
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
Transcription
Bonjour, Isadora Bessé, le podcast, une comédienne et un poète partagent une tasse de cafons. La comédienne c'est Clarence Massiani, le poète c'est Régis Lequet. Bonjour Clarence.
Bonjour Régis.
Alors la thématique qu'on va évoquer aujourd'hui, elle n'est pas très gaie, puisque c'est la guerre. La guerre qui pourtant a été traitée de multiples manières, parce qu'effectivement c'est un thème de prédilection, souvent pour la littérature, mais pas uniquement, d'ailleurs le cinéma, on a un genre carrément, les films de guerre c'est vraiment une thématique classique. Mais on va essayer d'aborder quelques auteurs et leurs écrits autour de la guerre, voir un petit peu comment eux l'ont traité. On va commencer avec un poème extrêmement connu de Jacques Prévert. La mère fait du tricot, le fils fait la guerre. Elle trouve ça tout naturel, la mère. Et le père, qu'est-ce qu'il fait, le père ? Il fait des affaires. Sa femme fait du tricot, son fils la guerre, lui des affaires. Il trouve ça tout naturel, le père. Et le fils et le fils, qu'est-ce qu'il trouve, le fils ? Il ne trouve absolument rien, le fils. Le fils, sa mère fait du tricot, son père des affaires, lui la guerre. Quand il aura fini la guerre, il fera des affaires avec son père. La guerre continue, la mer continue, elle tricote. Le père continue, il fait des affaires. Le fils est tué, il ne continue plus. Le père et la mer vont au cimetière. Il trouve ça naturel, le père et la mer. La vie continue avec le tricot, la guerre, les affaires. Les affaires, la guerre, le tricot, la guerre. Les affaires, les affaires et les affaires, la vie avec le cimetière. Clarence ?
Merci Régis pour ce poème de Jacques Prévert. Est-ce qu'il y a un titre à ce poème ?
C'est familial, et puis c'est dans le recueil paroles de Jacques Prévert. D'accord,
merci. Je vais continuer avec un extrait, même deux ou trois extraits de La Peur de Gabriel Chevalier. Gabriel Chevalier qui est né le 3 mai 1895 à Lyon, qui a publié près de 20 ouvrages et qui est mort le 5 avril 69 à Cannes. Et je voulais, avant de lire le premier extrait, dire une petite... Préface, il me semble, de quelques lignes. Ce livre tourné contre la guerre et publié pour la première fois en 1930 a connu la malchance de rencontrer une seconde guerre sur son chemin. En 1939, Savant fut librement suspendu par accord entre l'auteur et l'éditeur parce que quand la guerre est là, ce n'est plus le moment d'avertir les gens qu'il s'agit d'une sinistre aventure aux conséquences imprévisibles. Premier extrait. Une fois, notre caporal me demanda « Tu n'as pas eu trop peur ? » « Oh ! » répondit un ancien, « j'étais derrière lui et il n'a pas arrêté de siffler. » C'était vrai. Je n'aime pas être réveillée brusquement. Aussi apportais-je à ces alertes la mauvaise humeur d'un homme dont on choque les habitudes et qui refuse absolument de s'intéresser à un spectacle qu'il blâme. Mais si flottement qui avait étonné l'ancien exprimait mon mépris pour cette guerre qui empêchait les gens de dormir et faisait tant de bruit pour si peu d'effet. La conviction que ma destinée ne pouvait avoir en son terme sur un champ de bataille n'était pas encore ébranlée. Je n'avais pas encore pris la guerre, je pensais leur guerre au sérieux, la jugeant absurde dans ces manifestations que j'avais prévues tout autre. Il y avait là trop de crasse, de poux, de corvées et d'excréments, trop de destruction pour aboutir à quoi ? Trouvant cette affaire mal montée, je la boudais. Ma boudrée me rendait fort. et me donner une sorte de courage. On se jeta dans la nuit froide, sifflante, dans la nuit en déflagration, la nuit pleine d'obstacles, d'embuscades, de tronçons et de clameurs, la nuit qui cachait l'inconnu et la mort. Rodeuse muette, opprenait le déclatement, cherchant ses proies terrifiées. Des êtres abandonnés, entamés, étendus quelque part de notre régiment peut-être, hurlaient comme des chiens malades. Des caissons fous, ravitailleurs du tonnerre, passaient ventre à terre, culbutant, écrasant tout pour échapper. Nous courions de toutes nos forces sur des jambes insuffisantes, surchargées, trop faibles, pour nous soustraire aux trajectoires instantanées. Nos sacs, nos musettes, nous serraient les poumons, nous tiraient en arrière, nous rejetaient dans la zone étincelante, brusquement surchauffée du fracas. Et toujours ce fusil qui glisse de l'épaule, arme inutile, dérisoire, qui échappe et embarrasse. Et toujours cette baïonnette qui entrave. Nous courions, nous guidant sur un dos, les yeux dilatés mais prêts à se fermer pour ne pas voir le feu, à se fermer sur la pensée recroquevillée qui refuse sa fonction, qui voudrait ne pas savoir, ne pas comprendre, qui est un poids mort pour la carcasse qui bondit, cravachée par les lanières tranchantes de l'acier, qui fuit le cnou, plombé, rugissant à ses oreilles. Nous courions, le corps penché en avant avec l'inclinaison préparée de la chute qui doit être plus rapide que l'obus. Nous courions, comme des brutes, non plus des soldats, mais déserteurs dans le sens de l'ennemi, résonnant intérieurement de ce seul mot, assez, à travers les maisons titubantes soulevées et retombant en poussière sur leurs assises. Je pense excéder. J'en ai marre. J'ai 23 ans. J'ai déjà 23 ans. J'ai entamé cet avenir que je voulais si plein, si riche en 1914 et je n'ai rien acquis. Mes plus belles années se passent ici, j'use ma jeunesse à des occupations stupides dans une subordination imbécile. J'ai une vie contraire à mes goûts qui ne m'offre aucun but et tant de privations, de contraintes se termineront peut-être par ma mort. J'en ai marre. Je suis le centre du monde et chacun de nous pour soi-même l'est aussi. Je ne suis pas responsable des erreurs des autres, je ne suis pas solidaire de leurs ambitions, de leurs appétits, et j'ai mieux à faire qu'à payer leur gloire et leur profit de mon sang. Que ceux qui aiment la guerre la fassent, je m'en désintéresse. C'est affaire de professionnels, qu'ils se débrouillent entre eux, qu'ils exercent leur métier. Je récuse leur hiérarchie que ne prouve pas la valeur, je récuse les politiques qui ont abouti à ceci. Je n'accorde aucune confiance aux organisateurs de massacres, je méprise même leur victoire pour avoir trop vu de quoi elles sont faites. Je suis sans... haine. Mon patrimoine, c'est ma vie. Je n'ai pas de bien plus précieux à défendre. Je demeure à vivre en paix, loin des casernes, des champs de bataille, des génies militaires de tout poil. Vivre n'importe où, mais tranquille, et devenir lentement ce que je dois être.
À présent, Clarence, tu vas nous lire un extrait de David Diop, je crois, qui a été en 2018 le prix concours des lycéens.
Oui, et je vais vous lire un extrait de Frère Dame. David Diop est né à Paris en 1966, il a grandi au Sénégal et il est maître de conférence à l'université de Pau. Ah, mandat ! Diop, mon plus que frère, a mis trop de temps à mourir. Ça a été très difficile, ça n'en finissait pas du matin aux aurores au soir. Les tripes allèrent le dedans dehors, comme un mouton dépecé par le boucher rituel après son sacrifice. Lui, Mademba, n'était pas encore mort qu'il avait déjà le dedans du corps. dehors. Pendant que les autres s'étaient réfugiés dans les plaies béantes de la terre qu'on appelle les tranchées, moi je suis restée près de Madame Bas, allongée contre lui, ma main droite dans sa main gauche, à regarder le ciel bleu froid sillonné de métal. Trois fois il m'a demandé de l'achever, trois fois j'ai refusé. C'était avant, avant de m'autoriser à penser. Si j'avais été alors tel que je suis devenu aujourd'hui, je l'aurais tué la première fois qu'il me l'a demandé, sa tête tournée vers moi, sa main gauche dans ma main droite. Par la vérité de Dieu, si j'étais déjà devenu celui que je suis maintenant, je l'aurais égorgé comme un mouton de sacrifice par amitié. Mais j'ai pensé à mon vieux père, à ma mère, à la voix intérieure qui ordonne, et je n'ai pas su couper le fil barbelé de ses souffrances. Je n'ai pas été humain avec Madame Ba, mon plus que frère, mon ami d'enfance. J'ai laissé le devoir dicter mon choix, je ne lui ai offert que des mauvaises pensées, des pensées commandées par le devoir, des pensées recommandées par le respect des lois humaines, et je n'ai pas été humain. Par la vérité de Dieu, j'ai laissé Madame Ba pleurer comme un petit enfant, la troisième fois qu'il me suppliait de l'achever, faisant sous lui, la main droite tâtonnant la terre pour rassembler ses boyaux éparpillés. Je n'ai pas été humain. J'ai laissé Madame Bâmon, plus que frère, mon ami d'enfance, mourir les yeux pleins de larmes, la main tremblante. Ce n'est que quand tu t'es éteint que j'ai vraiment commencé à penser. Ce n'est qu'à ta mort au crépuscule que j'ai su, j'ai compris que je n'écouterai plus la voix qui impose la voix.
effectivement c'est un texte très très très puissant la cuve annulée donc à présent pour continuer ce podcast je vais vous lire un extrait de ernes younger un livre qui s'appelle orages d'acier qui a été publié à stuttgart en 1961 donc c'est un auteur allemand qui le dédie aux combattants français de la Première Guerre mondiale, en y joignant l'espoir d'une amitié étroite entre les deux parties. Donc c'est un prélude à la bataille de la Somme. Vers la mi-avril... En 1916, je fus détaché de Croisilles, une petite ville située derrière le front de la division pour y suivre un cours d'instruction que dirigeait notre chef de corps, le major-colonel Sontag. Des sorties et des visites fréquentes aux organisations de l'arrière, dont la plupart avaient été improvisées sur place, nous donnèrent une idée de l'immense travail qui s'accomplissait dans le dos des troupes au combat. c'est ainsi que nous visitâmes les abattoirs le dépôt et l'atelier de réparation d'artillerie à boyelles la scierie et le parc du génie dans la forêt de boulon la laiterie l'élevage de porcs et les usines de récupération des déchets animaux à Inchy, le parc d'aviation et la boulangerie de Quéhan. Le dimanche, nous nous rendions dans les villes voisines de Cambrai, de Douai à Valenciennes, pour revoir des femmes en chapeau. Je serais ingrat dans ce livre qui contient tant de scènes sanglantes si je passais sous silence un épisode où je jouais un rôle quelque peu comique. Cet hiver-là, notre bataillon étant l'hôte du roi de Kéan, étant l'hôte donc du roi de Quéant, j'avais dû, officier frais et moulu, faire de la première fois la ronde des sentinelles. Je m'étais égaré à la sortie du bourg et pour demander le chemin d'un petit poste établi dans une gare, j'étais entré dans une minuscule maison isolée. Je n'y trouvais d'autres habitants qu'une fille de 17 ans, prénommée Jeanne, dont le père venait de mourir et qui y demeurait seule. En me donnant mon renseignement, elle s'était mise à rire. Et à ma question, elle avait répondu « Vous êtes bien jeune, je voudrais avoir votre avenir. » Impressionnée par les dispositions guerrières que dénotaient ses paroles, je l'avais surnommée en ce temps-là Jeanne d'Arc. Et dans la période des combats de tranchées qui suivit, j'avais parfois songé à la maisonnette isolée. Certains soirs à Croisy, je me sentis soudain l'envie de m'y rendre. Je fis sceller mon cheval et j'eus bientôt le bourg derrière moi. C'était un soir de mai, comme fait à souhait pour une escapade, le trèfle fleurissait en lourd coussin d'un sombre rond sombre. d'un rouge sombre, excusez-moi, dans les prairies bordées de haies, de pruneliers blancs, et à l'entrée des villages, les gros candélabres, des marronniers en fleurs, flamboyaient dans le demi-jour. Je traversais Bellecour et Écouste. sans me douter que, dans deux ans, au meilleur d'un paysage entièrement transmué, je montrais l'assaut des ruines sinistres de ces mêmes villages qui, ce soir-là, reposaient si paisiblement dans le crépuscule entre les étangs et les collines. J'aperçus bientôt la maisonnette avec son toit d'un rouge brun tacheté de plaques rondes de mousse. Je heurtai au volet déjà fermé. « Qui est là ? Bonsoir, Jeanne d'Arc. » « Ah, bonsoir, mon petit officier Gibraltar. » Je fus accueilli aussi gentiment que je l'avais espéré. Ayant attaché mon cheval, j'entrais et d'eux prendre ma part au souper. Des œufs. du pain blanc et du beurre, présenté de manière appétissante sur une feuille de chou. En de telles circonstances, on ne se fait pas longtemps prier, on se sert sans plus de façon. Voilà. Clarence, c'est à toi de reprendre. Tu vas nous présenter un texte issu d'un ouvrage qui s'appelle Compagnie K, je crois.
Oui, Compagnie K de William Mark, qui est un auteur américain qui s'est engagé à l'âge de 23 ans le 5 juin 1917, qui traverse la France pour rejoindre la ligne de front à quelques kilomètres de Verdun. Il participe aux batailles de Soissons, Saint-Miel, Blanmont, jusqu'à ce que l'armistice entraîne sa compagnie vers le Rhin. Et à travers les 113 lettres de la Compagnie K, il a voulu explorer la multiplicité des réactions humaines face à l'horreur. Ce sont donc des lettres de soldats que je vais vous lire. J'étais de faction près de la côte 44 et il pleuvait, il n'y avait pas de vent et la pluie tombait tout droit. Vers le nord, des lumières surgissaient comme des éclairs de chaleur le long de l'horizon et le grondement sourd des batteries résonnait au loin. Accroupi dans la tranchée, trempé jusqu'aux os et grelottant de froid, je pensais, c'est calme ici ce soir. Mais là-bas, vers le nord, il se passe des choses terribles. Là-bas, en ce moment même, des hommes se font mettre en pièce ou massacrer à coups de baïonnette. Une fusée éclairante est partie soudain, elle est allée effleurer le ciel d'un léger baiser avant d'exploser, et dans l'éclat de sa déflagration, j'ai vu l'enchevêtrement des défenses de barbelons rongées par la rouille. J'ai vu aussi la pluie lente qui, dans la lumière, luisait comme du quartz et tombait sur le champ de bataille en ligne verticale implacable. Je restais recroquevillée, tremblant, dans ma tranchée peu profonde, mon fusil plaqué contre moi. La pluie découvrait les corps enterrés à la hâte, il y avait une odeur de décomposition dans l'air. J'ai vu un homme qui avançait vers moi bien droit, sans peur. Il avait les pieds nus et de beaux cheveux longs. J'ai soulevé mon fusil pour le tuer, mais quand j'ai compris que c'était le Christ, j'ai baissé mon arme. « M'aurais-tu blessé ? » Il a demandé d'une voix triste. J'ai dit oui. Et je me suis mise à blasphémer. « Tu devras avoir honte de laisser tout ça continuer. Tu devras avoir honte de toi. » Mais il a ouvert les bras devant le champ de bataille des trempés, devant les barbelés emmêlés, devant les arbres calcinés, plantés comme des chicots dans une mâchoire décharnée. « Dis-moi ce que je dois faire, » il a répondu. « Dis-moi ce que je dois faire, si tu le sais. » C'est à ce moment-là que j'ai commencé à pleurer, et le Christ a pleuré lui aussi. Et nos larmes ont coulé lentement sous la pluie. À zéro heure, ma relève est arrivée. Je voulais lui raconter ce que j'avais vu, mais je savais qu'il ne ferait qu'en rire, sans me croire.
Oui, pardon. On est toujours avec William March, donc compagnie K. Et donc là, c'est un échange de lettres. Je vais lire la première lettre, tu vas lire la réponse. D'accord, c'est ça ? Alan Method. Ma poésie commençait à attirer l'attention quand je me suis engagé, convaincu de la beauté de la guerre par celle de mes propres sonnets. Ensuite, des mois d'instructions, de labeurs et de souffrances. Mais j'aurais pu endurer l'humiliation et les heures répétées d'absurde besogne. Je m'y suis habitué à la longue et je savais m'en détacher. C'était l'isolement spirituel, l'insupportable. À qui pouvais-je parler ? Qui pouvait me comprendre ? Il n'y avait personne, absolument personne. Ce sentiment de singularité d'être seul, il se refermait sur moi de plus en plus. Je regardais mes camarades, leurs visages inexpressifs de moutons. Ils n'attendaient rien d'autre de la vie que le repas et le repos. ou une nuit d'ivresse dans une maison de passe. Un sentiment de dégoût m'envahissait. Être abruti et indifférent, insensible à la beauté, en ces nuits de garde avec Daniel O'Leary. ses yeux désertés par l'intelligence. Il restait là à me dévisager d'un air stupide, ses épais sourcils froncés, ses grosses lèvres pendantes comme celles d'un idiot. J'ai essayé de lui parler, mais c'était sans espoir. Il baissait les yeux comme s'il avait honte de moi et fixait le caille-botis en ne sachant pas quoi faire de son fusil. Je marchais jusqu'au bout de la tranchée et contemplais une fusée vers le nord qui se consumait dans une lumière verte. Ce sentiment d'isolement, ce sentiment d'être seul parmi les étrangers. J'ai enjambé la crête de la tranchée et je me suis dirigé vers les lignes allemandes. Je marchais lentement, regardant les fusées et murmurant les vers de mes poèmes, m'arrêtant puis repartant de l'avant. Bientôt, une main surgira, et brusquement, elle m'arrachera du sol, je pensais, et alors je serai étendu au sol, corps brisé contre cette terre brisée. Bientôt un pied, qui aura la forme de l'infini, viendra se poser sur mon crâne, frêle, et l'écrasera.
La réponse est de Danny O'Leary. Réponse de Dani O'Leary Je voudrais que tu puisses me voir maintenant, Alan Meto. Je voudrais que tu puisses voir ce que tu as créé, car oui, tu m'as créé bien plus complètement que le docker ivrogne dont la semence m'a un jour engendré. J'étais tellement frustre, tellement bête, et puis tu es venu. Comment savais-tu ? Comment as-tu pu voir au travers de toutes les couches l'infâme étincelle qui était cachée en moi ? Te rappelles-tu nos nuits de garde où tu récitais Shelley et Wordsworth ? Ta voix scandant les vers était la chose la plus belle que j'ai jamais entendue. Je voulais te parler, te dire que je comprenais, te faire savoir que ta foi en moi ne serait pas vaine, mais je n'osais pas. Il m'était impossible de te considérer comme un être humain semblable à moi ou aux autres hommes de la compagnie. Je te considérais comme une personne tellement supérieure à nous. Quand à présent, je restais muet et je souhaitais qu'un Allemand saute dans la tranchée dans le but de te tuer pour me permettre d'interposer mon corps entre toi et la balle. Je restais là à ne pas savoir quoi faire de mon fusil, espérant que tu continuerais à jamais de dire ces vers magnifiques. J'apprendrai à lire, je me disais. Quand la guerre sera finie, j'apprendrai à lire.
Donc à présent, on va lire un passage de Jean Gionnaud dans Le Grand Troupeau. C'est un publié en 1931 et évidemment, c'est une guerre à laquelle Jean Gionnaud a participé. Olivier cherche Madeleine. Elle est là-bas, de l'autre côté. Elle le regarde. Il voit bouger sa grosse bouche sur les mots de la pitié. Il voit luire les larmes là-bas dans ses yeux. Maintenant, il ne dit plus rien. Il ne se regarde, elle et lui, au plein des yeux, et ils ne disent plus rien. Ils ont serré leurs lèvres, elle pleure sans rien dire, là-bas. Cette fois, il est tout habillé en soldat, depuis les pieds jusqu'à la tête. Il est marqué. Il va partir. Pour aller à Madeleine, son regard passe au-dessus de la table nue, au-dessus de ce petit tas de sel mort qui lui, entre les cierges. Les grosses lèvres de Madeleine bougent là-bas. Olivier, on a vu qu'elle a dit, le papé a fait signe, Olivier s'est dressé, il regarde du côté de Madeleine, elle tend vers lui son visage ruisselant, il dresse le bras en adieu et il marche à reculons vers la porte avec papé. Clarence, à présent, tu vas nous lire un nouvel extrait. Toujours Jean-Jonas, je crois, non ? Non, pas du tout. Ah, on change.
Je lis « Le dormeur du Val » d'Arthur Ryn.
Ah bah oui, c'est beaucoup plus ancien. Nous t'écoutons.
C'est un trou de verdure où chante une rivière accrochant follement aux herbes des haillons d'argent. Où le soleil de la montagne fière luit, c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat, jeune, bouche ouverte, tête nue, et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, dort. Il est étendu dans l'herbe sous la nu, pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeules, il dort. Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature berce le chaudement, il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine, Indore dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille. Il a deux traits rouges, au côté droit.
Alors pour conclure ce petit podcast, je vais vous lire un extrait évidemment de Louis Ferdinand Céline. On ne peut pas parler de la guerre sans parler de cet écrivain avec Voyage au bout de la nuit. Vous savez bien qu'il a participé à la première guerre mondiale et ce livre, son premier roman, a été publié en 1952 et il traite justement de cette guerre. Serais-je donc le seul lâche sur la terre, pensais-je ? Et avec quel effroi ! Parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux, avec casque sans casque. sans chevaux, sur moto, hurlant, en auto, sifflant, tirailleur, comploteur, volant, à genoux, creusant, se défilant, carrément. Caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermé sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout détruire. Allemagne, France et continent, tout ce qui respire. détruire, plus enragé que les chiens, adorant leur rage, ce que les chiens ne font pas, cent, mille fois plus enragé que mille chiens, et tellement plus vicieux. Nous étions jolis, décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique. Voilà, carence.
Merci beaucoup, Régis, pour ce partage de textes magnifiques.
Oui, comme quoi, en fait, l'horreur de la guerre peut donner naissance à des textes parfois très, très, très, très beaux. Eh bien, voilà, bonne semaine à tous.
À bientôt, au revoir.
Au revoir.
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