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Incipit - 29/05 18:35

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11min |29/05/2025|

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Description

Clarence Massiani et Régis Decaix évoque la notion d'Incipit à travers divers ouvrages.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    « Bienvenue dans notre podcast Isadora BC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne c'est Clarence Massiani et le poète c'est Régis Dequin. Bonjour Clarence. »

  • Speaker #1

    « Bonjour Régis. »

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, j'aimerais que nous évoquions le début d'un livre, la première phrase, le premier paragraphe.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu veux évoquer Link Pit qui nous vient du latin et qui signifie « ici commence » .

  • Speaker #0

    Oui, c'est tout à fait ça. Alors tout le monde connaît la célèbre phrase de Proust « longtemps je me suis couché de bonheur » . Mais je te propose d'explorer, de rencontrer. certains débuts d'autres commencements.

  • Speaker #1

    Alors commençons avec Tolstoy dans Anna Karenin. Sa première phrase est « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon » . Avec cette première phrase, Tolstoy indique son sujet et son propos.

  • Speaker #0

    Oui, c'est l'ouverture d'un récit. Tolstoy va nous parler de relations familiales, de malheurs. Il nous invite… dans une œuvre romanesque, mais un peu comme un conte, avec presque une ouverture en forme de morale. Les familles heureuses se ressemblent, etc.

  • Speaker #1

    Il peut aussi y avoir une ouverture comme dans L'étranger de Camus. Aujourd'hui, maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas, où nous sommes directement propulsés dans l'histoire avec des personnages, un narrateur et sa propre temporalité.

  • Speaker #0

    Oui. Par ailleurs, posé Un temps, un lieu, c'est un classique des Incipit, comme Dumas dans le conte de Montecristo. Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples. Alors là, on est déjà emmené vers un ailleurs, géographique et temporel.

  • Speaker #1

    Il est de coutume de considérer que l'incipit a pour fonction de programmer la suite du texte.

  • Speaker #0

    Un peu comme la célèbre phrase pour débuter une histoire, « il était une fois » .

  • Speaker #1

    Et l'on considère que l'incipit a quatre fonctions principales. La première, définir le genre littéraire du texte, contes, récits, romans, ainsi que les choix narratifs de l'auteur, le langage, le point de vue, le vocabulaire, le registre de langue.

  • Speaker #0

    La deuxième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    C'est de séduire le lecteur, susciter son intérêt et l'envie de poursuivre sa lecture.

  • Speaker #0

    Évidemment, dès le début, il faut accrocher le lecteur. Et pour la troisième et quatrième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    Comme dans Alexandre Dumas pour le 24 février 1815 et ce bateau qui rentre au port, il s'agit d'informer en mettant en place les lieux, les personnages et la temporalité du récit. Pour finir, une autre fonction consiste à permettre au lecteur de rentrer dans l'histoire ... en lui proposant un angle d'approche.

  • Speaker #0

    Et donc, à partir de ces quatre fonctions introductives, l'auteur aura un large choix. Les incipits qui informent, les incipits qui déstabilisent, comme celui de Delphine de Vigan dans « D'après une histoire vraie » , où elle commence par « Quelques mois après la parution de mon dernier roman, j'ai cessé d'écrire » . Là, on est vraiment dans un paradoxe. ou encore dans un style proche de celui de Jean Dormeson. Dans Un Hosanna sans fin, il écrit « Grâce à Dieu, je vais mourir » . Linky Pit qui comporte une morale, ce qui nous plonge tout de suite dans le bain, comme dans le germinal de Zola. Dans la pleine oase, sous la nuit sans étoile, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul. la grande route de Marchienne à Montsou. Dix kilomètres de pavés coupant tout droit à travers les champs de betteraves.

  • Speaker #1

    Les variations sont infinies et d'ailleurs, c'est amusant de regarder la première phrase d'un ouvrage, de puiser dans sa bibliothèque et de lire ses incipits, de voir comment les histoires commencent.

  • Speaker #0

    Super, très bonne idée. Je te propose de piocher un peu au hasard dans nos bibliothèques. et de voyager à travers l'incipit de nos livres.

  • Speaker #1

    L'incipit du livre de Michel Hanor intitulé Fleurs de pluie commence ainsi. Les gens d'ici l'appelaient petite ou la tiote. Comment va la tiote ? Il posait la question tout près de sa figure, si près de son nez qu'elle sentait des odeurs. Comment va la tiote ? Tout de suite, nous saisissons que l'histoire se déroule dans une région des Hauts-de-France avec ce parler simple et des expressions comme la tiote qui va raconter une petite fille dans le quartier de la Wazingue. Nous pouvons de suite sentir si nous souhaitons entrer dans cette histoire, car c'est cela les premières phrases. savoir si nous voulons partir en voyage avec l'autrice ou l'auteur à la rencontre de son univers. Parfois, Ling Yipit peut être saisissant, mystérieux, presque brutal. Comme, au commencement, il y eut ce cri dans la nuit, dans le dit de Tian Yi, de François Cheng, qui n'en parle plus de ce cri pendant une dizaine de lignes et qui le reprend seulement après pour nous faire comprendre de quoi il s'agit. Son entrée en matière est forte et en même temps confuse. Car lorsqu'on lit les lignes suivantes, elles peuvent nous égarer par rapport à ce cri qui s'est déjà perdu. D'autres sont étonnants, comme celui de la guerre des mondes, de H.G. Wells, qui démarre ainsi. Personne n'aurait cru dans les dernières années du XIXe siècle que les choses humaines fussent observées, de la façon la plus pénétrante et la plus attentive, par des intelligences supérieures aux intelligences humaines et cependant mortelles comme elles. que tandis que les hommes s'absorbaient dans leurs occupations, ils étaient examinés et étudiés d'aussi près peut-être qu'un savant peut étudier qu'un microscope les créatures transitoires qui pullulent et se multiplient dans une goutte d'eau. La phrase en elle-même nous transporte de suite dans une forme très littéraire et dans le fantastique et qui, lorsque je le relis, m'évoque l'époque contemporaine dans laquelle nous évoluons. Ce début me donne envie de poursuivre et de trouver des similitudes avec notre monde. Et peut-être se dire, mon Dieu, cela a déjà été écrit et pensé ainsi. Lieberman, descendu du fiacre, du livre Les Pièges du Crépuscule de Frank Thalys, nous raconte d'emblée un des personnages principaux, Lieberman, et une époque avec son moyen de transport, le fiacre. Puis la suite. Plantés au milieu de la rue, deux agents de police vêtus d'un long par-dessus et coiffés d'un casque à pointe s'apprêtaient à dévier la circulation. L'un d'eux s'avança. « Herr Dr. Lieberman, oui, par ici je vous prie. » D'autres personnages, des fonctions, policiers, docteurs et une arrestation. Une entrée en matière avec ce dialogue et cette arrestation qui nous donne le sentiment d'une intrigue qui débute et dont on aimerait ou non connaître la suite. Mais il y a un inguipide que j'affectionne particulièrement, c'est celui du livre de Joseph Pontus à la ligne Feuillet d'usine. Je te la lis. En entrant à l'usine, bien sûr j'imaginais l'odeur. Le froid, le transport de charges lourdes, la pénibilité, les conditions de travail, la chaîne, l'esclavage moderne. Je l'aime tout d'abord par le sujet qui est abordé et au-delà du sujet, l'histoire de cet auteur, éducateur spécialisé ayant fait de hautes études littéraires et qui se retrouve à l'usine pour se nourrir et qui écrit ce livre dans ses peu de moments creux. Et puis l'écriture qui se distingue par une forme de poésie, de gestes, de tons directs sans fioritures. Un texte qui donne envie de le lire à voix haute grâce à la force des mots, à la puissance de la forme qu'il lui donne.

  • Speaker #0

    À mon tour, j'ai pris un livre d'un auteur que j'aime bien, Louis Sepulveda. Il s'agit de « Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre » . Et c'est un recueil de nouvelles. Chaque nouvelle a donc forcément un équipit. Par exemple, la nouvelle intitulée « Changement de route » commence par « Le mardi 17 mai 1980, le train Antofagasta-Ruro quitta la gare pour un voyage de routine. » On est donc dans du factuel, une date, un lieu, une situation, un train qui part et pourtant... Cette nouvelle, une histoire fantastique et totalement étonnante. Autre nouvelle du même ouvrage, à propos du journal d'hier. Il versa le café dans la tasse, un peu de lait, une demi-cuillerée de sucre. Il remua et attendit que cela refroidisse. Ici, la banalité de l'action est suspendue à la fin. Il attendit. Et donc, que va-t-il se passer ? Nous sommes déjà dans cette première phrase, entrés dans le récit, attendant nous-mêmes la suite de l'action. Une autre nouvelle de ce recueil que j'aime bien s'intitule « Répondeur automatique » . Bonjour ! Vous êtes en communication avec le répondeur automatique de quelqu'un qui n'est pas au bout du fil ou qui, pour diverses raisons, se refuse à répondre. À nous, la banalité se combine à une sorte de mystère, une raison non dévoilée qui est censée accrocher le lecteur. Et pour terminer, une nouvelle, toujours du même ouvrage, en haut, quelqu'un attend des Gardénia à la main. Je suis devant ta porte, impeccablement habillée avec un bouquet de Gardénia à la main. Dans ce début d'histoire, le narrateur utilise la première personne du singulier, le « je » , ce qui crée rapprochement. Nous sommes dès lors avec lui devant la porte avec un bouquet à la main. Comme on vient de le voir, un incipit peut utiliser toutes les possibilités pour entrer dans une histoire avec un point de vue, une accroche, etc.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Nous pourrions, la prochaine fois, peut-être évoquer des moments que nous aimons bien dans certains livres.

  • Speaker #0

    Nous verrons bien. Absolument. On pourrait choisir chacun un livre et puis parler de ce livre ou s'interviewer l'un de l'autre. Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #1

    On pourrait faire ça.

  • Speaker #0

    Écoute, on prépare ça.

  • Speaker #1

    Voilà, on va y réfléchir.

  • Speaker #0

    À très bientôt.

  • Speaker #1

    Merci, à bientôt.

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Clarence Massiani et Régis Decaix évoque la notion d'Incipit à travers divers ouvrages.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    « Bienvenue dans notre podcast Isadora BC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne c'est Clarence Massiani et le poète c'est Régis Dequin. Bonjour Clarence. »

  • Speaker #1

    « Bonjour Régis. »

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, j'aimerais que nous évoquions le début d'un livre, la première phrase, le premier paragraphe.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu veux évoquer Link Pit qui nous vient du latin et qui signifie « ici commence » .

  • Speaker #0

    Oui, c'est tout à fait ça. Alors tout le monde connaît la célèbre phrase de Proust « longtemps je me suis couché de bonheur » . Mais je te propose d'explorer, de rencontrer. certains débuts d'autres commencements.

  • Speaker #1

    Alors commençons avec Tolstoy dans Anna Karenin. Sa première phrase est « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon » . Avec cette première phrase, Tolstoy indique son sujet et son propos.

  • Speaker #0

    Oui, c'est l'ouverture d'un récit. Tolstoy va nous parler de relations familiales, de malheurs. Il nous invite… dans une œuvre romanesque, mais un peu comme un conte, avec presque une ouverture en forme de morale. Les familles heureuses se ressemblent, etc.

  • Speaker #1

    Il peut aussi y avoir une ouverture comme dans L'étranger de Camus. Aujourd'hui, maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas, où nous sommes directement propulsés dans l'histoire avec des personnages, un narrateur et sa propre temporalité.

  • Speaker #0

    Oui. Par ailleurs, posé Un temps, un lieu, c'est un classique des Incipit, comme Dumas dans le conte de Montecristo. Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples. Alors là, on est déjà emmené vers un ailleurs, géographique et temporel.

  • Speaker #1

    Il est de coutume de considérer que l'incipit a pour fonction de programmer la suite du texte.

  • Speaker #0

    Un peu comme la célèbre phrase pour débuter une histoire, « il était une fois » .

  • Speaker #1

    Et l'on considère que l'incipit a quatre fonctions principales. La première, définir le genre littéraire du texte, contes, récits, romans, ainsi que les choix narratifs de l'auteur, le langage, le point de vue, le vocabulaire, le registre de langue.

  • Speaker #0

    La deuxième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    C'est de séduire le lecteur, susciter son intérêt et l'envie de poursuivre sa lecture.

  • Speaker #0

    Évidemment, dès le début, il faut accrocher le lecteur. Et pour la troisième et quatrième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    Comme dans Alexandre Dumas pour le 24 février 1815 et ce bateau qui rentre au port, il s'agit d'informer en mettant en place les lieux, les personnages et la temporalité du récit. Pour finir, une autre fonction consiste à permettre au lecteur de rentrer dans l'histoire ... en lui proposant un angle d'approche.

  • Speaker #0

    Et donc, à partir de ces quatre fonctions introductives, l'auteur aura un large choix. Les incipits qui informent, les incipits qui déstabilisent, comme celui de Delphine de Vigan dans « D'après une histoire vraie » , où elle commence par « Quelques mois après la parution de mon dernier roman, j'ai cessé d'écrire » . Là, on est vraiment dans un paradoxe. ou encore dans un style proche de celui de Jean Dormeson. Dans Un Hosanna sans fin, il écrit « Grâce à Dieu, je vais mourir » . Linky Pit qui comporte une morale, ce qui nous plonge tout de suite dans le bain, comme dans le germinal de Zola. Dans la pleine oase, sous la nuit sans étoile, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul. la grande route de Marchienne à Montsou. Dix kilomètres de pavés coupant tout droit à travers les champs de betteraves.

  • Speaker #1

    Les variations sont infinies et d'ailleurs, c'est amusant de regarder la première phrase d'un ouvrage, de puiser dans sa bibliothèque et de lire ses incipits, de voir comment les histoires commencent.

  • Speaker #0

    Super, très bonne idée. Je te propose de piocher un peu au hasard dans nos bibliothèques. et de voyager à travers l'incipit de nos livres.

  • Speaker #1

    L'incipit du livre de Michel Hanor intitulé Fleurs de pluie commence ainsi. Les gens d'ici l'appelaient petite ou la tiote. Comment va la tiote ? Il posait la question tout près de sa figure, si près de son nez qu'elle sentait des odeurs. Comment va la tiote ? Tout de suite, nous saisissons que l'histoire se déroule dans une région des Hauts-de-France avec ce parler simple et des expressions comme la tiote qui va raconter une petite fille dans le quartier de la Wazingue. Nous pouvons de suite sentir si nous souhaitons entrer dans cette histoire, car c'est cela les premières phrases. savoir si nous voulons partir en voyage avec l'autrice ou l'auteur à la rencontre de son univers. Parfois, Ling Yipit peut être saisissant, mystérieux, presque brutal. Comme, au commencement, il y eut ce cri dans la nuit, dans le dit de Tian Yi, de François Cheng, qui n'en parle plus de ce cri pendant une dizaine de lignes et qui le reprend seulement après pour nous faire comprendre de quoi il s'agit. Son entrée en matière est forte et en même temps confuse. Car lorsqu'on lit les lignes suivantes, elles peuvent nous égarer par rapport à ce cri qui s'est déjà perdu. D'autres sont étonnants, comme celui de la guerre des mondes, de H.G. Wells, qui démarre ainsi. Personne n'aurait cru dans les dernières années du XIXe siècle que les choses humaines fussent observées, de la façon la plus pénétrante et la plus attentive, par des intelligences supérieures aux intelligences humaines et cependant mortelles comme elles. que tandis que les hommes s'absorbaient dans leurs occupations, ils étaient examinés et étudiés d'aussi près peut-être qu'un savant peut étudier qu'un microscope les créatures transitoires qui pullulent et se multiplient dans une goutte d'eau. La phrase en elle-même nous transporte de suite dans une forme très littéraire et dans le fantastique et qui, lorsque je le relis, m'évoque l'époque contemporaine dans laquelle nous évoluons. Ce début me donne envie de poursuivre et de trouver des similitudes avec notre monde. Et peut-être se dire, mon Dieu, cela a déjà été écrit et pensé ainsi. Lieberman, descendu du fiacre, du livre Les Pièges du Crépuscule de Frank Thalys, nous raconte d'emblée un des personnages principaux, Lieberman, et une époque avec son moyen de transport, le fiacre. Puis la suite. Plantés au milieu de la rue, deux agents de police vêtus d'un long par-dessus et coiffés d'un casque à pointe s'apprêtaient à dévier la circulation. L'un d'eux s'avança. « Herr Dr. Lieberman, oui, par ici je vous prie. » D'autres personnages, des fonctions, policiers, docteurs et une arrestation. Une entrée en matière avec ce dialogue et cette arrestation qui nous donne le sentiment d'une intrigue qui débute et dont on aimerait ou non connaître la suite. Mais il y a un inguipide que j'affectionne particulièrement, c'est celui du livre de Joseph Pontus à la ligne Feuillet d'usine. Je te la lis. En entrant à l'usine, bien sûr j'imaginais l'odeur. Le froid, le transport de charges lourdes, la pénibilité, les conditions de travail, la chaîne, l'esclavage moderne. Je l'aime tout d'abord par le sujet qui est abordé et au-delà du sujet, l'histoire de cet auteur, éducateur spécialisé ayant fait de hautes études littéraires et qui se retrouve à l'usine pour se nourrir et qui écrit ce livre dans ses peu de moments creux. Et puis l'écriture qui se distingue par une forme de poésie, de gestes, de tons directs sans fioritures. Un texte qui donne envie de le lire à voix haute grâce à la force des mots, à la puissance de la forme qu'il lui donne.

  • Speaker #0

    À mon tour, j'ai pris un livre d'un auteur que j'aime bien, Louis Sepulveda. Il s'agit de « Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre » . Et c'est un recueil de nouvelles. Chaque nouvelle a donc forcément un équipit. Par exemple, la nouvelle intitulée « Changement de route » commence par « Le mardi 17 mai 1980, le train Antofagasta-Ruro quitta la gare pour un voyage de routine. » On est donc dans du factuel, une date, un lieu, une situation, un train qui part et pourtant... Cette nouvelle, une histoire fantastique et totalement étonnante. Autre nouvelle du même ouvrage, à propos du journal d'hier. Il versa le café dans la tasse, un peu de lait, une demi-cuillerée de sucre. Il remua et attendit que cela refroidisse. Ici, la banalité de l'action est suspendue à la fin. Il attendit. Et donc, que va-t-il se passer ? Nous sommes déjà dans cette première phrase, entrés dans le récit, attendant nous-mêmes la suite de l'action. Une autre nouvelle de ce recueil que j'aime bien s'intitule « Répondeur automatique » . Bonjour ! Vous êtes en communication avec le répondeur automatique de quelqu'un qui n'est pas au bout du fil ou qui, pour diverses raisons, se refuse à répondre. À nous, la banalité se combine à une sorte de mystère, une raison non dévoilée qui est censée accrocher le lecteur. Et pour terminer, une nouvelle, toujours du même ouvrage, en haut, quelqu'un attend des Gardénia à la main. Je suis devant ta porte, impeccablement habillée avec un bouquet de Gardénia à la main. Dans ce début d'histoire, le narrateur utilise la première personne du singulier, le « je » , ce qui crée rapprochement. Nous sommes dès lors avec lui devant la porte avec un bouquet à la main. Comme on vient de le voir, un incipit peut utiliser toutes les possibilités pour entrer dans une histoire avec un point de vue, une accroche, etc.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Nous pourrions, la prochaine fois, peut-être évoquer des moments que nous aimons bien dans certains livres.

  • Speaker #0

    Nous verrons bien. Absolument. On pourrait choisir chacun un livre et puis parler de ce livre ou s'interviewer l'un de l'autre. Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #1

    On pourrait faire ça.

  • Speaker #0

    Écoute, on prépare ça.

  • Speaker #1

    Voilà, on va y réfléchir.

  • Speaker #0

    À très bientôt.

  • Speaker #1

    Merci, à bientôt.

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    « Bienvenue dans notre podcast Isadora BC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne c'est Clarence Massiani et le poète c'est Régis Dequin. Bonjour Clarence. »

  • Speaker #1

    « Bonjour Régis. »

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, j'aimerais que nous évoquions le début d'un livre, la première phrase, le premier paragraphe.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu veux évoquer Link Pit qui nous vient du latin et qui signifie « ici commence » .

  • Speaker #0

    Oui, c'est tout à fait ça. Alors tout le monde connaît la célèbre phrase de Proust « longtemps je me suis couché de bonheur » . Mais je te propose d'explorer, de rencontrer. certains débuts d'autres commencements.

  • Speaker #1

    Alors commençons avec Tolstoy dans Anna Karenin. Sa première phrase est « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon » . Avec cette première phrase, Tolstoy indique son sujet et son propos.

  • Speaker #0

    Oui, c'est l'ouverture d'un récit. Tolstoy va nous parler de relations familiales, de malheurs. Il nous invite… dans une œuvre romanesque, mais un peu comme un conte, avec presque une ouverture en forme de morale. Les familles heureuses se ressemblent, etc.

  • Speaker #1

    Il peut aussi y avoir une ouverture comme dans L'étranger de Camus. Aujourd'hui, maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas, où nous sommes directement propulsés dans l'histoire avec des personnages, un narrateur et sa propre temporalité.

  • Speaker #0

    Oui. Par ailleurs, posé Un temps, un lieu, c'est un classique des Incipit, comme Dumas dans le conte de Montecristo. Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples. Alors là, on est déjà emmené vers un ailleurs, géographique et temporel.

  • Speaker #1

    Il est de coutume de considérer que l'incipit a pour fonction de programmer la suite du texte.

  • Speaker #0

    Un peu comme la célèbre phrase pour débuter une histoire, « il était une fois » .

  • Speaker #1

    Et l'on considère que l'incipit a quatre fonctions principales. La première, définir le genre littéraire du texte, contes, récits, romans, ainsi que les choix narratifs de l'auteur, le langage, le point de vue, le vocabulaire, le registre de langue.

  • Speaker #0

    La deuxième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    C'est de séduire le lecteur, susciter son intérêt et l'envie de poursuivre sa lecture.

  • Speaker #0

    Évidemment, dès le début, il faut accrocher le lecteur. Et pour la troisième et quatrième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    Comme dans Alexandre Dumas pour le 24 février 1815 et ce bateau qui rentre au port, il s'agit d'informer en mettant en place les lieux, les personnages et la temporalité du récit. Pour finir, une autre fonction consiste à permettre au lecteur de rentrer dans l'histoire ... en lui proposant un angle d'approche.

  • Speaker #0

    Et donc, à partir de ces quatre fonctions introductives, l'auteur aura un large choix. Les incipits qui informent, les incipits qui déstabilisent, comme celui de Delphine de Vigan dans « D'après une histoire vraie » , où elle commence par « Quelques mois après la parution de mon dernier roman, j'ai cessé d'écrire » . Là, on est vraiment dans un paradoxe. ou encore dans un style proche de celui de Jean Dormeson. Dans Un Hosanna sans fin, il écrit « Grâce à Dieu, je vais mourir » . Linky Pit qui comporte une morale, ce qui nous plonge tout de suite dans le bain, comme dans le germinal de Zola. Dans la pleine oase, sous la nuit sans étoile, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul. la grande route de Marchienne à Montsou. Dix kilomètres de pavés coupant tout droit à travers les champs de betteraves.

  • Speaker #1

    Les variations sont infinies et d'ailleurs, c'est amusant de regarder la première phrase d'un ouvrage, de puiser dans sa bibliothèque et de lire ses incipits, de voir comment les histoires commencent.

  • Speaker #0

    Super, très bonne idée. Je te propose de piocher un peu au hasard dans nos bibliothèques. et de voyager à travers l'incipit de nos livres.

  • Speaker #1

    L'incipit du livre de Michel Hanor intitulé Fleurs de pluie commence ainsi. Les gens d'ici l'appelaient petite ou la tiote. Comment va la tiote ? Il posait la question tout près de sa figure, si près de son nez qu'elle sentait des odeurs. Comment va la tiote ? Tout de suite, nous saisissons que l'histoire se déroule dans une région des Hauts-de-France avec ce parler simple et des expressions comme la tiote qui va raconter une petite fille dans le quartier de la Wazingue. Nous pouvons de suite sentir si nous souhaitons entrer dans cette histoire, car c'est cela les premières phrases. savoir si nous voulons partir en voyage avec l'autrice ou l'auteur à la rencontre de son univers. Parfois, Ling Yipit peut être saisissant, mystérieux, presque brutal. Comme, au commencement, il y eut ce cri dans la nuit, dans le dit de Tian Yi, de François Cheng, qui n'en parle plus de ce cri pendant une dizaine de lignes et qui le reprend seulement après pour nous faire comprendre de quoi il s'agit. Son entrée en matière est forte et en même temps confuse. Car lorsqu'on lit les lignes suivantes, elles peuvent nous égarer par rapport à ce cri qui s'est déjà perdu. D'autres sont étonnants, comme celui de la guerre des mondes, de H.G. Wells, qui démarre ainsi. Personne n'aurait cru dans les dernières années du XIXe siècle que les choses humaines fussent observées, de la façon la plus pénétrante et la plus attentive, par des intelligences supérieures aux intelligences humaines et cependant mortelles comme elles. que tandis que les hommes s'absorbaient dans leurs occupations, ils étaient examinés et étudiés d'aussi près peut-être qu'un savant peut étudier qu'un microscope les créatures transitoires qui pullulent et se multiplient dans une goutte d'eau. La phrase en elle-même nous transporte de suite dans une forme très littéraire et dans le fantastique et qui, lorsque je le relis, m'évoque l'époque contemporaine dans laquelle nous évoluons. Ce début me donne envie de poursuivre et de trouver des similitudes avec notre monde. Et peut-être se dire, mon Dieu, cela a déjà été écrit et pensé ainsi. Lieberman, descendu du fiacre, du livre Les Pièges du Crépuscule de Frank Thalys, nous raconte d'emblée un des personnages principaux, Lieberman, et une époque avec son moyen de transport, le fiacre. Puis la suite. Plantés au milieu de la rue, deux agents de police vêtus d'un long par-dessus et coiffés d'un casque à pointe s'apprêtaient à dévier la circulation. L'un d'eux s'avança. « Herr Dr. Lieberman, oui, par ici je vous prie. » D'autres personnages, des fonctions, policiers, docteurs et une arrestation. Une entrée en matière avec ce dialogue et cette arrestation qui nous donne le sentiment d'une intrigue qui débute et dont on aimerait ou non connaître la suite. Mais il y a un inguipide que j'affectionne particulièrement, c'est celui du livre de Joseph Pontus à la ligne Feuillet d'usine. Je te la lis. En entrant à l'usine, bien sûr j'imaginais l'odeur. Le froid, le transport de charges lourdes, la pénibilité, les conditions de travail, la chaîne, l'esclavage moderne. Je l'aime tout d'abord par le sujet qui est abordé et au-delà du sujet, l'histoire de cet auteur, éducateur spécialisé ayant fait de hautes études littéraires et qui se retrouve à l'usine pour se nourrir et qui écrit ce livre dans ses peu de moments creux. Et puis l'écriture qui se distingue par une forme de poésie, de gestes, de tons directs sans fioritures. Un texte qui donne envie de le lire à voix haute grâce à la force des mots, à la puissance de la forme qu'il lui donne.

  • Speaker #0

    À mon tour, j'ai pris un livre d'un auteur que j'aime bien, Louis Sepulveda. Il s'agit de « Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre » . Et c'est un recueil de nouvelles. Chaque nouvelle a donc forcément un équipit. Par exemple, la nouvelle intitulée « Changement de route » commence par « Le mardi 17 mai 1980, le train Antofagasta-Ruro quitta la gare pour un voyage de routine. » On est donc dans du factuel, une date, un lieu, une situation, un train qui part et pourtant... Cette nouvelle, une histoire fantastique et totalement étonnante. Autre nouvelle du même ouvrage, à propos du journal d'hier. Il versa le café dans la tasse, un peu de lait, une demi-cuillerée de sucre. Il remua et attendit que cela refroidisse. Ici, la banalité de l'action est suspendue à la fin. Il attendit. Et donc, que va-t-il se passer ? Nous sommes déjà dans cette première phrase, entrés dans le récit, attendant nous-mêmes la suite de l'action. Une autre nouvelle de ce recueil que j'aime bien s'intitule « Répondeur automatique » . Bonjour ! Vous êtes en communication avec le répondeur automatique de quelqu'un qui n'est pas au bout du fil ou qui, pour diverses raisons, se refuse à répondre. À nous, la banalité se combine à une sorte de mystère, une raison non dévoilée qui est censée accrocher le lecteur. Et pour terminer, une nouvelle, toujours du même ouvrage, en haut, quelqu'un attend des Gardénia à la main. Je suis devant ta porte, impeccablement habillée avec un bouquet de Gardénia à la main. Dans ce début d'histoire, le narrateur utilise la première personne du singulier, le « je » , ce qui crée rapprochement. Nous sommes dès lors avec lui devant la porte avec un bouquet à la main. Comme on vient de le voir, un incipit peut utiliser toutes les possibilités pour entrer dans une histoire avec un point de vue, une accroche, etc.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Nous pourrions, la prochaine fois, peut-être évoquer des moments que nous aimons bien dans certains livres.

  • Speaker #0

    Nous verrons bien. Absolument. On pourrait choisir chacun un livre et puis parler de ce livre ou s'interviewer l'un de l'autre. Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #1

    On pourrait faire ça.

  • Speaker #0

    Écoute, on prépare ça.

  • Speaker #1

    Voilà, on va y réfléchir.

  • Speaker #0

    À très bientôt.

  • Speaker #1

    Merci, à bientôt.

Description

Clarence Massiani et Régis Decaix évoque la notion d'Incipit à travers divers ouvrages.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    « Bienvenue dans notre podcast Isadora BC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne c'est Clarence Massiani et le poète c'est Régis Dequin. Bonjour Clarence. »

  • Speaker #1

    « Bonjour Régis. »

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, j'aimerais que nous évoquions le début d'un livre, la première phrase, le premier paragraphe.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu veux évoquer Link Pit qui nous vient du latin et qui signifie « ici commence » .

  • Speaker #0

    Oui, c'est tout à fait ça. Alors tout le monde connaît la célèbre phrase de Proust « longtemps je me suis couché de bonheur » . Mais je te propose d'explorer, de rencontrer. certains débuts d'autres commencements.

  • Speaker #1

    Alors commençons avec Tolstoy dans Anna Karenin. Sa première phrase est « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon » . Avec cette première phrase, Tolstoy indique son sujet et son propos.

  • Speaker #0

    Oui, c'est l'ouverture d'un récit. Tolstoy va nous parler de relations familiales, de malheurs. Il nous invite… dans une œuvre romanesque, mais un peu comme un conte, avec presque une ouverture en forme de morale. Les familles heureuses se ressemblent, etc.

  • Speaker #1

    Il peut aussi y avoir une ouverture comme dans L'étranger de Camus. Aujourd'hui, maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas, où nous sommes directement propulsés dans l'histoire avec des personnages, un narrateur et sa propre temporalité.

  • Speaker #0

    Oui. Par ailleurs, posé Un temps, un lieu, c'est un classique des Incipit, comme Dumas dans le conte de Montecristo. Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples. Alors là, on est déjà emmené vers un ailleurs, géographique et temporel.

  • Speaker #1

    Il est de coutume de considérer que l'incipit a pour fonction de programmer la suite du texte.

  • Speaker #0

    Un peu comme la célèbre phrase pour débuter une histoire, « il était une fois » .

  • Speaker #1

    Et l'on considère que l'incipit a quatre fonctions principales. La première, définir le genre littéraire du texte, contes, récits, romans, ainsi que les choix narratifs de l'auteur, le langage, le point de vue, le vocabulaire, le registre de langue.

  • Speaker #0

    La deuxième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    C'est de séduire le lecteur, susciter son intérêt et l'envie de poursuivre sa lecture.

  • Speaker #0

    Évidemment, dès le début, il faut accrocher le lecteur. Et pour la troisième et quatrième fonction de l'Inkipit ?

  • Speaker #1

    Comme dans Alexandre Dumas pour le 24 février 1815 et ce bateau qui rentre au port, il s'agit d'informer en mettant en place les lieux, les personnages et la temporalité du récit. Pour finir, une autre fonction consiste à permettre au lecteur de rentrer dans l'histoire ... en lui proposant un angle d'approche.

  • Speaker #0

    Et donc, à partir de ces quatre fonctions introductives, l'auteur aura un large choix. Les incipits qui informent, les incipits qui déstabilisent, comme celui de Delphine de Vigan dans « D'après une histoire vraie » , où elle commence par « Quelques mois après la parution de mon dernier roman, j'ai cessé d'écrire » . Là, on est vraiment dans un paradoxe. ou encore dans un style proche de celui de Jean Dormeson. Dans Un Hosanna sans fin, il écrit « Grâce à Dieu, je vais mourir » . Linky Pit qui comporte une morale, ce qui nous plonge tout de suite dans le bain, comme dans le germinal de Zola. Dans la pleine oase, sous la nuit sans étoile, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul. la grande route de Marchienne à Montsou. Dix kilomètres de pavés coupant tout droit à travers les champs de betteraves.

  • Speaker #1

    Les variations sont infinies et d'ailleurs, c'est amusant de regarder la première phrase d'un ouvrage, de puiser dans sa bibliothèque et de lire ses incipits, de voir comment les histoires commencent.

  • Speaker #0

    Super, très bonne idée. Je te propose de piocher un peu au hasard dans nos bibliothèques. et de voyager à travers l'incipit de nos livres.

  • Speaker #1

    L'incipit du livre de Michel Hanor intitulé Fleurs de pluie commence ainsi. Les gens d'ici l'appelaient petite ou la tiote. Comment va la tiote ? Il posait la question tout près de sa figure, si près de son nez qu'elle sentait des odeurs. Comment va la tiote ? Tout de suite, nous saisissons que l'histoire se déroule dans une région des Hauts-de-France avec ce parler simple et des expressions comme la tiote qui va raconter une petite fille dans le quartier de la Wazingue. Nous pouvons de suite sentir si nous souhaitons entrer dans cette histoire, car c'est cela les premières phrases. savoir si nous voulons partir en voyage avec l'autrice ou l'auteur à la rencontre de son univers. Parfois, Ling Yipit peut être saisissant, mystérieux, presque brutal. Comme, au commencement, il y eut ce cri dans la nuit, dans le dit de Tian Yi, de François Cheng, qui n'en parle plus de ce cri pendant une dizaine de lignes et qui le reprend seulement après pour nous faire comprendre de quoi il s'agit. Son entrée en matière est forte et en même temps confuse. Car lorsqu'on lit les lignes suivantes, elles peuvent nous égarer par rapport à ce cri qui s'est déjà perdu. D'autres sont étonnants, comme celui de la guerre des mondes, de H.G. Wells, qui démarre ainsi. Personne n'aurait cru dans les dernières années du XIXe siècle que les choses humaines fussent observées, de la façon la plus pénétrante et la plus attentive, par des intelligences supérieures aux intelligences humaines et cependant mortelles comme elles. que tandis que les hommes s'absorbaient dans leurs occupations, ils étaient examinés et étudiés d'aussi près peut-être qu'un savant peut étudier qu'un microscope les créatures transitoires qui pullulent et se multiplient dans une goutte d'eau. La phrase en elle-même nous transporte de suite dans une forme très littéraire et dans le fantastique et qui, lorsque je le relis, m'évoque l'époque contemporaine dans laquelle nous évoluons. Ce début me donne envie de poursuivre et de trouver des similitudes avec notre monde. Et peut-être se dire, mon Dieu, cela a déjà été écrit et pensé ainsi. Lieberman, descendu du fiacre, du livre Les Pièges du Crépuscule de Frank Thalys, nous raconte d'emblée un des personnages principaux, Lieberman, et une époque avec son moyen de transport, le fiacre. Puis la suite. Plantés au milieu de la rue, deux agents de police vêtus d'un long par-dessus et coiffés d'un casque à pointe s'apprêtaient à dévier la circulation. L'un d'eux s'avança. « Herr Dr. Lieberman, oui, par ici je vous prie. » D'autres personnages, des fonctions, policiers, docteurs et une arrestation. Une entrée en matière avec ce dialogue et cette arrestation qui nous donne le sentiment d'une intrigue qui débute et dont on aimerait ou non connaître la suite. Mais il y a un inguipide que j'affectionne particulièrement, c'est celui du livre de Joseph Pontus à la ligne Feuillet d'usine. Je te la lis. En entrant à l'usine, bien sûr j'imaginais l'odeur. Le froid, le transport de charges lourdes, la pénibilité, les conditions de travail, la chaîne, l'esclavage moderne. Je l'aime tout d'abord par le sujet qui est abordé et au-delà du sujet, l'histoire de cet auteur, éducateur spécialisé ayant fait de hautes études littéraires et qui se retrouve à l'usine pour se nourrir et qui écrit ce livre dans ses peu de moments creux. Et puis l'écriture qui se distingue par une forme de poésie, de gestes, de tons directs sans fioritures. Un texte qui donne envie de le lire à voix haute grâce à la force des mots, à la puissance de la forme qu'il lui donne.

  • Speaker #0

    À mon tour, j'ai pris un livre d'un auteur que j'aime bien, Louis Sepulveda. Il s'agit de « Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre » . Et c'est un recueil de nouvelles. Chaque nouvelle a donc forcément un équipit. Par exemple, la nouvelle intitulée « Changement de route » commence par « Le mardi 17 mai 1980, le train Antofagasta-Ruro quitta la gare pour un voyage de routine. » On est donc dans du factuel, une date, un lieu, une situation, un train qui part et pourtant... Cette nouvelle, une histoire fantastique et totalement étonnante. Autre nouvelle du même ouvrage, à propos du journal d'hier. Il versa le café dans la tasse, un peu de lait, une demi-cuillerée de sucre. Il remua et attendit que cela refroidisse. Ici, la banalité de l'action est suspendue à la fin. Il attendit. Et donc, que va-t-il se passer ? Nous sommes déjà dans cette première phrase, entrés dans le récit, attendant nous-mêmes la suite de l'action. Une autre nouvelle de ce recueil que j'aime bien s'intitule « Répondeur automatique » . Bonjour ! Vous êtes en communication avec le répondeur automatique de quelqu'un qui n'est pas au bout du fil ou qui, pour diverses raisons, se refuse à répondre. À nous, la banalité se combine à une sorte de mystère, une raison non dévoilée qui est censée accrocher le lecteur. Et pour terminer, une nouvelle, toujours du même ouvrage, en haut, quelqu'un attend des Gardénia à la main. Je suis devant ta porte, impeccablement habillée avec un bouquet de Gardénia à la main. Dans ce début d'histoire, le narrateur utilise la première personne du singulier, le « je » , ce qui crée rapprochement. Nous sommes dès lors avec lui devant la porte avec un bouquet à la main. Comme on vient de le voir, un incipit peut utiliser toutes les possibilités pour entrer dans une histoire avec un point de vue, une accroche, etc.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Régis.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Nous pourrions, la prochaine fois, peut-être évoquer des moments que nous aimons bien dans certains livres.

  • Speaker #0

    Nous verrons bien. Absolument. On pourrait choisir chacun un livre et puis parler de ce livre ou s'interviewer l'un de l'autre. Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #1

    On pourrait faire ça.

  • Speaker #0

    Écoute, on prépare ça.

  • Speaker #1

    Voilà, on va y réfléchir.

  • Speaker #0

    À très bientôt.

  • Speaker #1

    Merci, à bientôt.

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