Description
Clarence Massiani nous fait la lecture de quelques uns de ses écrits
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
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Clarence Massiani nous fait la lecture de quelques uns de ses écrits
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
Transcription
Bonjour, bienvenue sur Isadora WC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne c'est Clarence Massiani et le poète est Régis Dequet. Mais aujourd'hui, Régis est absent. Et c'est donc moi qui vais créer ce podcast. Et j'avais envie de partager quelques textes en cours que j'ai écrits dans les dernières semaines. Le premier s'appelle « Tremblement, il tremble » . Se balance, se dandine, dos de ligne, mais pourquoi tremble-t-il ainsi ? Ses longs doigts nerveux papillonnent dans l'air comme voulant se saisir, se raccrocher à quelque chose qui ne serait pas le vide, quelque chose de tangible, quelque chose de la véracité. Il tremble aussi, frémit, frissonne comme une feuille à la seconde où elle se détache. Sa peau est presque translucide, il referme ses poings sur rien, il n'a rien saisi, il vacille. Ses pieds le portent à peine, ses jambes flangent, sa bouche s'ouvre et se referme sur aucun mot, aucun son, seul le souffle haché de sa respiration. Aurait-il peur ? Oui, mais de quoi ? Quelle pensée traverse son esprit pour que se dessine sur son visage cette expression torturée ? Quelles images étreignent son cœur meurtri ? Quelle noirceur de nuit sans étoile le poursuit ? Quels souvenirs lui font ainsi claquer des dents, sueur froide tombant dans le cou ? Arrête, s'il te plaît. Il est cloué sur place, entouré, mais personne ne le voit comme seul, et les autres visibles pourtant n'y changent rien. Son corps de roseau s'agite dans un vent inexistant, cherchant à trouver un appui. Où poser ses mains ? Où asseoir son corps ? À quelle table se retenir ? Contre quel mur ? Il sursaute et tout tressaille en lui. Fissures, fractures, fêlures, il se fendille et se brise. Il a peur ? Oui, mais de quoi ? Il a peur de sa fragilité, il a peur de sa défaillance, il a peur de n'être plus aimé. Il a peur de n'avoir plus envie d'aimer. Les autres marchent à ses côtés mais ne lui prêtent pas attention. Il tend une main mais n'aspire que le rien, la remet dans sa poche et son pantalon frissonne. Arrête, s'il te plaît. Il a peur de la légèreté. Il a peur de la superficialité. Il a peur des mots qui ne veulent rien dire. Il a peur de ce qu'il ne peut saisir. Il attrape son visage dans ses mains et imagine pouvoir s'engloter mais ne le fait pas. Cela dérangerait. Il a peur de ne pas savoir vivre. Il a peur d'être passé à côté de lui. Il a peur de n'avoir rien compris. A-t-il dit tout ce qu'il voulait dire ? A-t-il su écouter le chant des oiseaux ? A-t-il compris quelque chose de l'amour ? A-t-il mémorisé ce qu'il a appris ? A-t-il lu tout ce qu'il fallait lire ? A-t-il touché ce qu'il y avait de plus tendre ? Il a la gorge nouée, presque emmurée. Il avale sa salive et cherche la chaise où se reposer. Cherche à calmer son angoisse. Cherche à éteindre sa détresse. Il aimerait qu'on lui prenne la main. Arrête. « Arrête s'il te plaît. » Il a peur de n'avoir pas compris ce que devait être sa vie. Il a peur d'être né dans le mauvais nid. Il a peur de ne pas avoir assez grandi. Il a peur de n'avoir jamais su choisir. Il a peur de ce que le monde pourrait devenir. Il a peur que les gens aient oublié le danger. Il a peur d'un passé qui semble ressurgir. Il a peur de l'amour. Il a peur de mourir. Il a peur d'amourir. Il est assis, frémissant, le dos très légèrement courbé, passant la paume de ses mains sur ses cuisses dans un va-et-vient de bas en haut comme pour se réchauffer. Il a froid et sa peur est glacée, transie, frigorifiée, gelée. Il a peur d'avoir fait du mal sans le vouloir. Il a peur du mal qu'on pourrait encore lui faire. Il a peur de ses convictions. Et s'il s'était trompé, arrête s'il te plaît. Il ne te sert à rien de t'être terrifié. Il ne te sert à rien d'être intimidé. Il ne te sert à rien de te sentir menacé. Arrête s'il te plaît. La peur n'empêche rien. La peur n'enlève rien. La peur n'apporte rien. Arrête. S'il te plaît. La peur ne te soulève pas, la peur ne t'élève pas, la peur ne t'aime pas. Alors arrête, s'il te plaît. Elle est dans ta tête, elle est sous ta peau. Mais laisse-la te quitter. Laisse-la donc s'envoler. Arrête. Arrête, s'il te plaît. Sois ce que tu es. Sois ta sensibilité, sois ta fragilité. Soit ta vulnérabilité, soit ta délicatesse, soit tes tremblements, soit ton craquellement, soit ton chancellement, soit ta peur. Un homme feuille, t-shirt froissé sur pantalon de soie tremblant. Un homme tigre, visage peinture lurée, cheveux et mains colorées flottantes au vent. Un homme squelette, tête creusée, cœur battant aux os pliés et dépliés à l'envers et à l'endroit. Un homme fleur, aux mains fines et douces, caressant inlassablement les pétales de son crâne. Un homme soldat, visage d'acier, yeux rouges enfoncés et sourire noir. L'aveugle au clarane rase et écarquille ses yeux et me demande « Le vois-tu qu'ils ne sont pas vrais ? » Je plonge mon regard dans le sien, cavité orbitaire contre cavité orbitaire, m'enfonçant dans l'obscurité de sa pupille. stupilles, tombée d'une nuit soudaine, noirceurs et ténèbres, puis soudain m'en exprès presque violemment et réponds « non » . Et me crois-tu, continue-t-il, le cil clignotant en direction de ma voix, « oui » . Veux-tu que je les pose sur le comptoir du bar ? Ses longs doigts accrochus enveloppent les globes oculaires, saisissent le fond de l'œil, muscles, glandes, lacrymas, les nerfs et d'un coup sec arrache le tout. tout et les pose sanguinolent près de ma bière. Non, je crie. Il rit. Me dit-il la vérité ou veut-il me tromper ? Il n'a jamais vu son visage, jamais deviné le mien, jamais contemplé ses yeux posés dans ses mains. Mais alors que distingue-t-il ai-je envie d'oser ? Tandis qu'ils me parlent, leurs yeux se ferment. Mais où vont ces hommes aux yeux clos pendant leurs mots ? Mains posées sur la bouche, scellant l'ouverture de toute infiltration, exfiltration, de phrases ou de verbes regrettés, pas muselés, non, délicatement posés, peau contre lèvre, geste protecteur, geste interrogateur, geste qui semble dire « dois-je tout dévoiler ? » Bouches en cœur, yeux d'amande, mines claires et sans rature, Tresses isolées, délicatesse de l'ossature, Né Aquilin, portrait d'une ingénue, d'une femme pas encore née, Mais plus celui d'une enfant, un entre-deux, innocent. Traces de rides autour de mes yeux. Au bout, dans le creux de mes joues, entre mon nez et mon sourire, stris et sillons, semblables à de fines racines d'arbres ou rigoles de ruisseaux, enchevêtrement en lassements, arborescences creusées sous la transparence de ma blancheur, ne s'effaçant plus sous mes doigts. Impuissant, je m'interroge. Suis-je en train de disparaître ? Et surtout, vers quel horizon ?
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Ses pieds le portent à peine, ses jambes flangent, sa bouche s'ouvre et se referme sur aucun mot, aucun son, seul le souffle haché de sa respiration. Aurait-il peur ? Oui, mais de quoi ? Quelle pensée traverse son esprit pour que se dessine sur son visage cette expression torturée ? Quelles images étreignent son cœur meurtri ? Quelle noirceur de nuit sans étoile le poursuit ? Quels souvenirs lui font ainsi claquer des dents, sueur froide tombant dans le cou ? Arrête, s'il te plaît. Il est cloué sur place, entouré, mais personne ne le voit comme seul, et les autres visibles pourtant n'y changent rien. Son corps de roseau s'agite dans un vent inexistant, cherchant à trouver un appui. Où poser ses mains ? Où asseoir son corps ? À quelle table se retenir ? Contre quel mur ? Il sursaute et tout tressaille en lui. Fissures, fractures, fêlures, il se fendille et se brise. Il a peur ? Oui, mais de quoi ? Il a peur de sa fragilité, il a peur de sa défaillance, il a peur de n'être plus aimé. Il a peur de n'avoir plus envie d'aimer. Les autres marchent à ses côtés mais ne lui prêtent pas attention. Il tend une main mais n'aspire que le rien, la remet dans sa poche et son pantalon frissonne. Arrête, s'il te plaît. Il a peur de la légèreté. Il a peur de la superficialité. Il a peur des mots qui ne veulent rien dire. Il a peur de ce qu'il ne peut saisir. Il attrape son visage dans ses mains et imagine pouvoir s'engloter mais ne le fait pas. Cela dérangerait. Il a peur de ne pas savoir vivre. Il a peur d'être passé à côté de lui. Il a peur de n'avoir rien compris. A-t-il dit tout ce qu'il voulait dire ? A-t-il su écouter le chant des oiseaux ? A-t-il compris quelque chose de l'amour ? A-t-il mémorisé ce qu'il a appris ? A-t-il lu tout ce qu'il fallait lire ? A-t-il touché ce qu'il y avait de plus tendre ? Il a la gorge nouée, presque emmurée. Il avale sa salive et cherche la chaise où se reposer. Cherche à calmer son angoisse. Cherche à éteindre sa détresse. Il aimerait qu'on lui prenne la main. Arrête. « Arrête s'il te plaît. » Il a peur de n'avoir pas compris ce que devait être sa vie. Il a peur d'être né dans le mauvais nid. Il a peur de ne pas avoir assez grandi. Il a peur de n'avoir jamais su choisir. Il a peur de ce que le monde pourrait devenir. Il a peur que les gens aient oublié le danger. Il a peur d'un passé qui semble ressurgir. Il a peur de l'amour. Il a peur de mourir. Il a peur d'amourir. Il est assis, frémissant, le dos très légèrement courbé, passant la paume de ses mains sur ses cuisses dans un va-et-vient de bas en haut comme pour se réchauffer. Il a froid et sa peur est glacée, transie, frigorifiée, gelée. Il a peur d'avoir fait du mal sans le vouloir. Il a peur du mal qu'on pourrait encore lui faire. Il a peur de ses convictions. Et s'il s'était trompé, arrête s'il te plaît. Il ne te sert à rien de t'être terrifié. Il ne te sert à rien d'être intimidé. Il ne te sert à rien de te sentir menacé. Arrête s'il te plaît. La peur n'empêche rien. La peur n'enlève rien. La peur n'apporte rien. Arrête. S'il te plaît. La peur ne te soulève pas, la peur ne t'élève pas, la peur ne t'aime pas. Alors arrête, s'il te plaît. Elle est dans ta tête, elle est sous ta peau. Mais laisse-la te quitter. Laisse-la donc s'envoler. Arrête. Arrête, s'il te plaît. Sois ce que tu es. Sois ta sensibilité, sois ta fragilité. Soit ta vulnérabilité, soit ta délicatesse, soit tes tremblements, soit ton craquellement, soit ton chancellement, soit ta peur. Un homme feuille, t-shirt froissé sur pantalon de soie tremblant. Un homme tigre, visage peinture lurée, cheveux et mains colorées flottantes au vent. Un homme squelette, tête creusée, cœur battant aux os pliés et dépliés à l'envers et à l'endroit. Un homme fleur, aux mains fines et douces, caressant inlassablement les pétales de son crâne. Un homme soldat, visage d'acier, yeux rouges enfoncés et sourire noir. L'aveugle au clarane rase et écarquille ses yeux et me demande « Le vois-tu qu'ils ne sont pas vrais ? » Je plonge mon regard dans le sien, cavité orbitaire contre cavité orbitaire, m'enfonçant dans l'obscurité de sa pupille. stupilles, tombée d'une nuit soudaine, noirceurs et ténèbres, puis soudain m'en exprès presque violemment et réponds « non » . Et me crois-tu, continue-t-il, le cil clignotant en direction de ma voix, « oui » . Veux-tu que je les pose sur le comptoir du bar ? Ses longs doigts accrochus enveloppent les globes oculaires, saisissent le fond de l'œil, muscles, glandes, lacrymas, les nerfs et d'un coup sec arrache le tout. tout et les pose sanguinolent près de ma bière. Non, je crie. Il rit. Me dit-il la vérité ou veut-il me tromper ? Il n'a jamais vu son visage, jamais deviné le mien, jamais contemplé ses yeux posés dans ses mains. Mais alors que distingue-t-il ai-je envie d'oser ? Tandis qu'ils me parlent, leurs yeux se ferment. Mais où vont ces hommes aux yeux clos pendant leurs mots ? Mains posées sur la bouche, scellant l'ouverture de toute infiltration, exfiltration, de phrases ou de verbes regrettés, pas muselés, non, délicatement posés, peau contre lèvre, geste protecteur, geste interrogateur, geste qui semble dire « dois-je tout dévoiler ? » Bouches en cœur, yeux d'amande, mines claires et sans rature, Tresses isolées, délicatesse de l'ossature, Né Aquilin, portrait d'une ingénue, d'une femme pas encore née, Mais plus celui d'une enfant, un entre-deux, innocent. Traces de rides autour de mes yeux. Au bout, dans le creux de mes joues, entre mon nez et mon sourire, stris et sillons, semblables à de fines racines d'arbres ou rigoles de ruisseaux, enchevêtrement en lassements, arborescences creusées sous la transparence de ma blancheur, ne s'effaçant plus sous mes doigts. Impuissant, je m'interroge. Suis-je en train de disparaître ? Et surtout, vers quel horizon ?
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Ses pieds le portent à peine, ses jambes flangent, sa bouche s'ouvre et se referme sur aucun mot, aucun son, seul le souffle haché de sa respiration. Aurait-il peur ? Oui, mais de quoi ? Quelle pensée traverse son esprit pour que se dessine sur son visage cette expression torturée ? Quelles images étreignent son cœur meurtri ? Quelle noirceur de nuit sans étoile le poursuit ? Quels souvenirs lui font ainsi claquer des dents, sueur froide tombant dans le cou ? Arrête, s'il te plaît. Il est cloué sur place, entouré, mais personne ne le voit comme seul, et les autres visibles pourtant n'y changent rien. Son corps de roseau s'agite dans un vent inexistant, cherchant à trouver un appui. Où poser ses mains ? Où asseoir son corps ? À quelle table se retenir ? Contre quel mur ? Il sursaute et tout tressaille en lui. Fissures, fractures, fêlures, il se fendille et se brise. Il a peur ? Oui, mais de quoi ? Il a peur de sa fragilité, il a peur de sa défaillance, il a peur de n'être plus aimé. Il a peur de n'avoir plus envie d'aimer. Les autres marchent à ses côtés mais ne lui prêtent pas attention. Il tend une main mais n'aspire que le rien, la remet dans sa poche et son pantalon frissonne. Arrête, s'il te plaît. Il a peur de la légèreté. Il a peur de la superficialité. Il a peur des mots qui ne veulent rien dire. Il a peur de ce qu'il ne peut saisir. Il attrape son visage dans ses mains et imagine pouvoir s'engloter mais ne le fait pas. Cela dérangerait. Il a peur de ne pas savoir vivre. Il a peur d'être passé à côté de lui. Il a peur de n'avoir rien compris. A-t-il dit tout ce qu'il voulait dire ? A-t-il su écouter le chant des oiseaux ? A-t-il compris quelque chose de l'amour ? A-t-il mémorisé ce qu'il a appris ? A-t-il lu tout ce qu'il fallait lire ? A-t-il touché ce qu'il y avait de plus tendre ? Il a la gorge nouée, presque emmurée. Il avale sa salive et cherche la chaise où se reposer. Cherche à calmer son angoisse. Cherche à éteindre sa détresse. Il aimerait qu'on lui prenne la main. Arrête. « Arrête s'il te plaît. » Il a peur de n'avoir pas compris ce que devait être sa vie. Il a peur d'être né dans le mauvais nid. Il a peur de ne pas avoir assez grandi. Il a peur de n'avoir jamais su choisir. Il a peur de ce que le monde pourrait devenir. Il a peur que les gens aient oublié le danger. Il a peur d'un passé qui semble ressurgir. Il a peur de l'amour. Il a peur de mourir. Il a peur d'amourir. Il est assis, frémissant, le dos très légèrement courbé, passant la paume de ses mains sur ses cuisses dans un va-et-vient de bas en haut comme pour se réchauffer. Il a froid et sa peur est glacée, transie, frigorifiée, gelée. Il a peur d'avoir fait du mal sans le vouloir. Il a peur du mal qu'on pourrait encore lui faire. Il a peur de ses convictions. Et s'il s'était trompé, arrête s'il te plaît. Il ne te sert à rien de t'être terrifié. Il ne te sert à rien d'être intimidé. Il ne te sert à rien de te sentir menacé. Arrête s'il te plaît. La peur n'empêche rien. La peur n'enlève rien. La peur n'apporte rien. Arrête. S'il te plaît. La peur ne te soulève pas, la peur ne t'élève pas, la peur ne t'aime pas. Alors arrête, s'il te plaît. Elle est dans ta tête, elle est sous ta peau. Mais laisse-la te quitter. Laisse-la donc s'envoler. Arrête. Arrête, s'il te plaît. Sois ce que tu es. Sois ta sensibilité, sois ta fragilité. Soit ta vulnérabilité, soit ta délicatesse, soit tes tremblements, soit ton craquellement, soit ton chancellement, soit ta peur. Un homme feuille, t-shirt froissé sur pantalon de soie tremblant. Un homme tigre, visage peinture lurée, cheveux et mains colorées flottantes au vent. Un homme squelette, tête creusée, cœur battant aux os pliés et dépliés à l'envers et à l'endroit. Un homme fleur, aux mains fines et douces, caressant inlassablement les pétales de son crâne. Un homme soldat, visage d'acier, yeux rouges enfoncés et sourire noir. L'aveugle au clarane rase et écarquille ses yeux et me demande « Le vois-tu qu'ils ne sont pas vrais ? » Je plonge mon regard dans le sien, cavité orbitaire contre cavité orbitaire, m'enfonçant dans l'obscurité de sa pupille. stupilles, tombée d'une nuit soudaine, noirceurs et ténèbres, puis soudain m'en exprès presque violemment et réponds « non » . Et me crois-tu, continue-t-il, le cil clignotant en direction de ma voix, « oui » . Veux-tu que je les pose sur le comptoir du bar ? Ses longs doigts accrochus enveloppent les globes oculaires, saisissent le fond de l'œil, muscles, glandes, lacrymas, les nerfs et d'un coup sec arrache le tout. tout et les pose sanguinolent près de ma bière. Non, je crie. Il rit. Me dit-il la vérité ou veut-il me tromper ? Il n'a jamais vu son visage, jamais deviné le mien, jamais contemplé ses yeux posés dans ses mains. Mais alors que distingue-t-il ai-je envie d'oser ? Tandis qu'ils me parlent, leurs yeux se ferment. Mais où vont ces hommes aux yeux clos pendant leurs mots ? Mains posées sur la bouche, scellant l'ouverture de toute infiltration, exfiltration, de phrases ou de verbes regrettés, pas muselés, non, délicatement posés, peau contre lèvre, geste protecteur, geste interrogateur, geste qui semble dire « dois-je tout dévoiler ? » Bouches en cœur, yeux d'amande, mines claires et sans rature, Tresses isolées, délicatesse de l'ossature, Né Aquilin, portrait d'une ingénue, d'une femme pas encore née, Mais plus celui d'une enfant, un entre-deux, innocent. Traces de rides autour de mes yeux. Au bout, dans le creux de mes joues, entre mon nez et mon sourire, stris et sillons, semblables à de fines racines d'arbres ou rigoles de ruisseaux, enchevêtrement en lassements, arborescences creusées sous la transparence de ma blancheur, ne s'effaçant plus sous mes doigts. Impuissant, je m'interroge. Suis-je en train de disparaître ? Et surtout, vers quel horizon ?
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Clarence Massiani nous fait la lecture de quelques uns de ses écrits
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
Transcription
Bonjour, bienvenue sur Isadora WC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne c'est Clarence Massiani et le poète est Régis Dequet. Mais aujourd'hui, Régis est absent. Et c'est donc moi qui vais créer ce podcast. Et j'avais envie de partager quelques textes en cours que j'ai écrits dans les dernières semaines. Le premier s'appelle « Tremblement, il tremble » . Se balance, se dandine, dos de ligne, mais pourquoi tremble-t-il ainsi ? Ses longs doigts nerveux papillonnent dans l'air comme voulant se saisir, se raccrocher à quelque chose qui ne serait pas le vide, quelque chose de tangible, quelque chose de la véracité. Il tremble aussi, frémit, frissonne comme une feuille à la seconde où elle se détache. Sa peau est presque translucide, il referme ses poings sur rien, il n'a rien saisi, il vacille. Ses pieds le portent à peine, ses jambes flangent, sa bouche s'ouvre et se referme sur aucun mot, aucun son, seul le souffle haché de sa respiration. Aurait-il peur ? Oui, mais de quoi ? Quelle pensée traverse son esprit pour que se dessine sur son visage cette expression torturée ? Quelles images étreignent son cœur meurtri ? Quelle noirceur de nuit sans étoile le poursuit ? Quels souvenirs lui font ainsi claquer des dents, sueur froide tombant dans le cou ? Arrête, s'il te plaît. Il est cloué sur place, entouré, mais personne ne le voit comme seul, et les autres visibles pourtant n'y changent rien. Son corps de roseau s'agite dans un vent inexistant, cherchant à trouver un appui. Où poser ses mains ? Où asseoir son corps ? À quelle table se retenir ? Contre quel mur ? Il sursaute et tout tressaille en lui. Fissures, fractures, fêlures, il se fendille et se brise. Il a peur ? Oui, mais de quoi ? Il a peur de sa fragilité, il a peur de sa défaillance, il a peur de n'être plus aimé. Il a peur de n'avoir plus envie d'aimer. Les autres marchent à ses côtés mais ne lui prêtent pas attention. Il tend une main mais n'aspire que le rien, la remet dans sa poche et son pantalon frissonne. Arrête, s'il te plaît. Il a peur de la légèreté. Il a peur de la superficialité. Il a peur des mots qui ne veulent rien dire. Il a peur de ce qu'il ne peut saisir. Il attrape son visage dans ses mains et imagine pouvoir s'engloter mais ne le fait pas. Cela dérangerait. Il a peur de ne pas savoir vivre. Il a peur d'être passé à côté de lui. Il a peur de n'avoir rien compris. A-t-il dit tout ce qu'il voulait dire ? A-t-il su écouter le chant des oiseaux ? A-t-il compris quelque chose de l'amour ? A-t-il mémorisé ce qu'il a appris ? A-t-il lu tout ce qu'il fallait lire ? A-t-il touché ce qu'il y avait de plus tendre ? Il a la gorge nouée, presque emmurée. Il avale sa salive et cherche la chaise où se reposer. Cherche à calmer son angoisse. Cherche à éteindre sa détresse. Il aimerait qu'on lui prenne la main. Arrête. « Arrête s'il te plaît. » Il a peur de n'avoir pas compris ce que devait être sa vie. Il a peur d'être né dans le mauvais nid. Il a peur de ne pas avoir assez grandi. Il a peur de n'avoir jamais su choisir. Il a peur de ce que le monde pourrait devenir. Il a peur que les gens aient oublié le danger. Il a peur d'un passé qui semble ressurgir. Il a peur de l'amour. Il a peur de mourir. Il a peur d'amourir. Il est assis, frémissant, le dos très légèrement courbé, passant la paume de ses mains sur ses cuisses dans un va-et-vient de bas en haut comme pour se réchauffer. Il a froid et sa peur est glacée, transie, frigorifiée, gelée. Il a peur d'avoir fait du mal sans le vouloir. Il a peur du mal qu'on pourrait encore lui faire. Il a peur de ses convictions. Et s'il s'était trompé, arrête s'il te plaît. Il ne te sert à rien de t'être terrifié. Il ne te sert à rien d'être intimidé. Il ne te sert à rien de te sentir menacé. Arrête s'il te plaît. La peur n'empêche rien. La peur n'enlève rien. La peur n'apporte rien. Arrête. S'il te plaît. La peur ne te soulève pas, la peur ne t'élève pas, la peur ne t'aime pas. Alors arrête, s'il te plaît. Elle est dans ta tête, elle est sous ta peau. Mais laisse-la te quitter. Laisse-la donc s'envoler. Arrête. Arrête, s'il te plaît. Sois ce que tu es. Sois ta sensibilité, sois ta fragilité. Soit ta vulnérabilité, soit ta délicatesse, soit tes tremblements, soit ton craquellement, soit ton chancellement, soit ta peur. Un homme feuille, t-shirt froissé sur pantalon de soie tremblant. Un homme tigre, visage peinture lurée, cheveux et mains colorées flottantes au vent. Un homme squelette, tête creusée, cœur battant aux os pliés et dépliés à l'envers et à l'endroit. Un homme fleur, aux mains fines et douces, caressant inlassablement les pétales de son crâne. Un homme soldat, visage d'acier, yeux rouges enfoncés et sourire noir. L'aveugle au clarane rase et écarquille ses yeux et me demande « Le vois-tu qu'ils ne sont pas vrais ? » Je plonge mon regard dans le sien, cavité orbitaire contre cavité orbitaire, m'enfonçant dans l'obscurité de sa pupille. stupilles, tombée d'une nuit soudaine, noirceurs et ténèbres, puis soudain m'en exprès presque violemment et réponds « non » . Et me crois-tu, continue-t-il, le cil clignotant en direction de ma voix, « oui » . Veux-tu que je les pose sur le comptoir du bar ? Ses longs doigts accrochus enveloppent les globes oculaires, saisissent le fond de l'œil, muscles, glandes, lacrymas, les nerfs et d'un coup sec arrache le tout. tout et les pose sanguinolent près de ma bière. Non, je crie. Il rit. Me dit-il la vérité ou veut-il me tromper ? Il n'a jamais vu son visage, jamais deviné le mien, jamais contemplé ses yeux posés dans ses mains. Mais alors que distingue-t-il ai-je envie d'oser ? Tandis qu'ils me parlent, leurs yeux se ferment. Mais où vont ces hommes aux yeux clos pendant leurs mots ? Mains posées sur la bouche, scellant l'ouverture de toute infiltration, exfiltration, de phrases ou de verbes regrettés, pas muselés, non, délicatement posés, peau contre lèvre, geste protecteur, geste interrogateur, geste qui semble dire « dois-je tout dévoiler ? » Bouches en cœur, yeux d'amande, mines claires et sans rature, Tresses isolées, délicatesse de l'ossature, Né Aquilin, portrait d'une ingénue, d'une femme pas encore née, Mais plus celui d'une enfant, un entre-deux, innocent. Traces de rides autour de mes yeux. Au bout, dans le creux de mes joues, entre mon nez et mon sourire, stris et sillons, semblables à de fines racines d'arbres ou rigoles de ruisseaux, enchevêtrement en lassements, arborescences creusées sous la transparence de ma blancheur, ne s'effaçant plus sous mes doigts. Impuissant, je m'interroge. Suis-je en train de disparaître ? Et surtout, vers quel horizon ?
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