- Speaker #0
Je suis Jean-François, un curieux et je pose des questions de médecine.
- Speaker #1
Bonjour, je suis Dane de la Cargerie, je suis médecin et le plus important pour moi c'est de pouvoir aborder ici tous les sujets de santé sans aucun doute.
- Speaker #0
Chaque année, la France dépense l'équivalent de 11% de son PIB pour la santé. Selon les données de la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques, l'ADRES, les dépenses courantes de santé s'élèvent à 325 milliards d'euros en France pour l'année 2023. plaçant le pays au troisième rang de l'OCDE derrière les États-Unis et l'Allemagne. Ces montants colossaux illustrent l'importance des politiques publiques nationales de santé ainsi que l'existence d'un écosystème complexe au sein duquel les hôpitaux jouent un rôle crucial. Donc aujourd'hui, un sujet spécial sur le management de la santé. Nous sommes très heureux d'accueillir Lucas Lachambre, actuellement élève directeur d'hôpital à l'EHESP, l'École des Hautes Études en Santé Publique. Bonjour Lucas.
- Speaker #2
Bonjour à tous les deux.
- Speaker #0
Nous serons également accompagnés, comme à l'accoutumée, du docteur Diane de la Clergerie. Bonjour Diane.
- Speaker #1
Bonjour Jean-François. Bonjour Lucas.
- Speaker #0
Avant de commencer, Lucas, est-ce que tu pourrais nous présenter brièvement ton parcours et ensuite, quelles ont été tes motivations pour t'orienter vers le métier de directeur d'hôpital et le domaine du management de la santé ?
- Speaker #2
Oui, bien sûr. Merci déjà à tous les deux pour votre invitation. Je suis effectivement élève directeur d'hôpital, donc en formation pour devenir directeur d'hôpital. Avant ça, j'ai commencé ma carrière au ministère de la Santé, au centre de crise sanitaire pendant la période du Covid. C'est en fait là-bas que j'ai découvert le monde de la santé. Ensuite, j'ai travaillé auprès des institutions européennes à Bruxelles. la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, puisqu'il y avait la présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022. Là-bas, j'étais coordinateur du secteur social. J'ai ensuite travaillé à l'Agence régionale de santé de Mayotte, avant de travailler au ministère des Sports. Et c'est ensuite que j'ai passé le concours pour devenir directeur d'hôpital. En fait, avant de découvrir l'hôpital, j'ai d'abord découvert la santé, finalement. Et moi, ce qui m'a motivé à passer ce concours et à m'engager pour l'hôpital, déjà, c'est un enjeu de valeur. Ce qui me portait, c'était vraiment travailler à la santé publique, travailler à la santé des populations, construire quelque chose. Moi, c'est ça qui me portait, participer à un service public, participer à la création d'un service public qui est de qualité, accessible à tous et à toutes, sur tout le territoire national et à tout moment de la journée. Ça, pour moi, c'était vraiment important de contribuer aux biens publics, donc déjà dans le cadre de la santé. Et c'est ensuite que l'hôpital est venu. Et parce que j'ai trouvé que c'était un environnement qui était tout simplement fascinant. L'hôpital, c'est une méga structure. On a des milliers d'agents. On est ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Il n'y a quasiment aucune entreprise en France qui est aussi grosse qu'un hôpital. et qui fonctionne avec des contraintes aussi fortes. Et c'est vraiment une petite ville. On a 200 métiers différents. On a des milliers de passages par jour ou par semaine. C'est vraiment un environnement qui est énorme et qui est absolument passionnant parce qu'il se transforme en permanence. Il se transforme parce qu'on a des évolutions techniques et technologiques permanentes, je pense à l'intelligence artificielle, aux robots, nouvelles techniques de santé, il y a quelques années. Pour changer une prothèse de hanche, on reste hospitalisé pendant plus de dix jours. Aujourd'hui, il y a des patients qui le font en ambulatoire, ils arrivent le matin et repartent le soir. C'est complètement fou. Il y a aussi des évolutions dans les besoins de santé. Aujourd'hui, on a de plus en plus de maladies chroniques, de cancers. Donc ça nécessite aussi de faire évoluer notre fonctionnement hospitalier. On a des attentes de la population qui changent aussi vis-à-vis des soins qu'ils reçoivent. Et on a un environnement qui est contraint, contraint financièrement, contraint en ressources humaines, on a des pénuries de produits de santé, on fait face aussi à de nombreuses crises sanitaires. Et donc tout ça force l'hôpital en permanence à se réinventer. Et moi c'est ce que je trouve fascinant en fait, c'est cette dynamique permanente de la structure hospitalière.
- Speaker #0
Au sujet du poste, du métier, est-ce que tu peux nous rappeler comment on devient directeur d'hôpital ? C'est quoi ? C'est un concours ? Il y a une sélection ?
- Speaker #2
Alors les directeurs d'hôpital sont des fonctionnaires, donc on fait partie de la fonction publique hospitalière. Donc on passe un concours, comme pour tout poste de fonctionnaire. C'est un concours qui est national, qui est ouvert à toute personne qui dispose d'une licence, peu importe la nature de cette licence. Ce qui fait que moi dans ma promotion, donc on est 100 élèves. Ça va de 22 ans à 57 ans. Il y a des gens qui sortent de l'université, il y a des gens qui ont déjà des parcours professionnels, donc on a des anciens soignants, on a des anciennes infirmières, des anciens infirmiers, des kinés, mais on a aussi des gens qui sortent de la fac en économie, des gens qui sortent d'école d'ingénieur. Moi, par exemple, j'ai fait des sciences sociales, des sciences politiques, des relations internationales. Donc c'est des parcours très variés, ce qui permet d'avoir vraiment des profils. très différents et qui contribuent tous à ce que seront les corps de direction de nos établissements. Donc on passe ce concours. Ensuite, on rentre à l'école des hautes études en santé publique, qui est une école qui forme un certain nombre de corps de fonctionnaires en santé, notamment les directeurs d'hôpital, mais aussi les directeurs d'EHPAD, les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, les médecins de l'éducation nationale, etc. On a deux ans de formation qui sont répartis à la fois en période de cours et en période de stage, à peu près moitié-moitié. Et donc ces stages, c'est à la fois des stages de direction, donc là on porte des dossiers administratifs pour se préparer à être directeur, mais aussi des stages dans les services hospitaliers. Et donc on passe notamment deux mois d'immersion dans les services, où on vit le quotidien des soignants. On les observe, on donne un coup de main aussi sur certaines tâches. Et donc, ça permet de voir la réalité du fonctionnement d'un service. À la sortie de l'école, on prend un poste en tant que directeur d'hôpital. Alors, bien sûr, pas tout de suite en tant que chef d'établissement, puisqu'en fait, les hôpitaux ont le chef de l'établissement et puis plusieurs adjoints. Un directeur des finances, un directeur des ressources humaines, un directeur de la qualité, etc. Donc, on prend un poste d'adjoint. Généralement un poste dure à peu près cinq ans et puis ensuite tous les cinq ans on change de poste. Le corps est pensé sur la notion de mobilité géographique et fonctionnelle. Donc en fait entre chaque poste théoriquement on peut changer d'établissement, potentiellement de département ou de région, mais aussi on change de direction. Donc on peut passer du directeur qualité à directeur des finances, à directeur des ressources humaines par exemple. L'idée étant qu'on est pluridisciplinaire, on est censé être en capacité de faire chacune de ses fonctions. Nous, on a une obligation de servir de 10 ans. C'est-à-dire que quand on commence la formation, on devient fonctionnaire, on est payé pendant notre formation. Et donc à ce titre, pendant 10 ans, on doit servir l'État, soit en tant que directeur d'hôpital, soit dans une autre fonction publique. On peut faire des mobilités.
- Speaker #0
Et si tu choisis de quitter avant les 10 ans ? Tu dois rembourser ta scolarité.
- Speaker #2
Exactement. Tu dois rembourser au prorata des années que tu n'as pas effectuées.
- Speaker #0
Je te remercie. Je me tourne maintenant vers Diane. Il me semble que Lucas et toi, vous vous êtes rencontrés lors d'une journée très particulière à l'Assemblée nationale. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Je trouvais que c'était important d'en parler aujourd'hui. On a eu la chance de se rencontrer à l'Assemblée nationale au cours d'une journée consacrée à la lutte contre le cancer, qui est une cause qui m'est très chère. Ça a été vraiment passionnant. Il y a eu des conférences sur l'intelligence artificielle, le partenariat patient, etc. Mais aussi, on a rendu hommage à Clémentine Verniaud. Pour celles et ceux qui ne la connaîtraient pas, c'était une journaliste qui est morte à l'âge de 31 ans. malheureusement donc en décembre 2023, suite à un cancer des voies biliaires, et qui a décidé de faire de son parcours de santé un podcast qui s'appelle « Ma vie face au cancer » . Si vous ne l'avez pas encore écouté, je vous suggère de le faire, c'est vraiment le plus beau podcast qui m'a été donné d'écouter, vraiment, c'est incroyable. Donc au cours de cet hommage, Lucas justement a pris la parole et a mentionné le fait que sa promotion de l'EHESP avait décidé de s'appeler Clémentine Vergniaud, ce qui m'a beaucoup touchée et on en a un petit peu discuté et du coup j'aimerais que tu nous expliques aujourd'hui pourquoi et ce que ça symbolise pour vous en fait.
- Speaker #2
Oui, tout à fait. Donc, en fait, les élèves directeurs et directrices d'hôpital ont comme tradition de prendre un nom pour leur promotion, qui est en fait une figure tutélaire. Donc, traditionnellement, c'est souvent des noms de médecins. Je pense à Axel Kahn ou des noms d'infirmières, par exemple Marie Marvin. Et donc, à chaque fois, c'est un message qui est très fort, puisque c'est un petit peu qui, dans le siège de qui on voudrait s'inscrire. Nous, au moment où on a commencé notre formation de directeur et directrice d'hôpital en janvier 2024, on était un petit peu à une période à la croisée des chemins. La période Covid était passée, la période du quoi qu'il en coûte, où l'hôpital a bénéficié de financements très importants, était finie. On a eu une grande phase de tension très forte sur les ressources humaines, avec beaucoup de départs, notamment du côté infirmier. de gens qui étaient épuisés suite au Covid. On a aussi des attentes qui ont évolué de la part des agents qui n'ont pas forcément envie de consacrer tout leur temps, toute leur vie à leur profession. On avait des tensions financières aussi importantes. Se pose aussi la question de la capacité de l'hôpital à prendre en charge tous les patients qui en auraient besoin, notamment au niveau des urgences, et donc de la soutenabilité. de notre système de santé et de notre système plus largement de protection sociale. Et donc nous, à ce moment-là, on se pose la question de quelle va être notre boussole, quelle va être notre figure tutélaire. Et donc, en fait, on a souhaité revenir au fondamental, au fondement de l'hôpital, à savoir le patient. Si l'hôpital existe, c'est avant tout pour le patient. Et donc, on a décidé de prendre le nom d'un patient, en l'occurrence d'une patiente, comme figure tutélaire, à la fois pour notre exercice quotidien, le pourquoi est-ce qu'on fait ça, Pourquoi est-ce qu'on fait cet arbitrage ? Pourquoi on va dans cette direction-là ? C'est pour le patient, mais aussi pour qu'à moyen terme, une fois qu'on aura été en poste pendant 10, 15, 20 ans, on se retourne, on se dise, qu'est-ce qui a motivé mes choix ? C'était le patient et sa dignité. Et en fait, prendre le nom de Clémentine Verniaux, moi je le vois comme une prise de position, à savoir former le vœu d'un hôpital au service. de la dignité du patient, parce que c'est vraiment ça qui est au cœur du podcast de Clémentine Verniaux, c'est la notion de dignité, et former le vœu d'un service public hospitalier qui est fort. Parce qu'en fait, au moment où nous, on commence notre formation, il y a la deuxième saison du podcast de Clémentine Verniaux qui sort à titre posthume. Et en fait, dans ces deux saisons de podcast, finalement, elle dit tout de l'hôpital. Elle parle de la notion de vulnérabilité et de soins. qui sont au cœur de l'hôpital. L'hôpital, c'est un lieu où on a peur, où on a de la joie, où on a de l'espoir, où on a de la tristesse aussi. Et c'est ce qui fait au final de nous des êtres humains. C'est cette vulnérabilité, c'est ces émotions-là. Elle parle aussi de la relation aux soignants. Elle leur rend hommage, médecins comme infirmiers notamment. Elle parle de la question de la fin de vie, de la fin de vie digne, de comment est-ce qu'on accompagne quelqu'un qui sait qu'il va mourir dans des conditions dignes. Elle parle aussi des essais thérapeutiques, de la recherche médicale qui apporte tout son lot d'espoir, mais aussi parfois de déception, comme ça a été le cas pour Clémentine Verniaud, qui a bénéficié d'essais thérapeutiques qui au début étaient miraculeux et qui finalement se sont révélés infructueux. Et surtout, et c'est ce que je disais tout à l'heure, en fait, elle parle de dignité. Et ça, c'est vraiment ce qui nous nous a porté. Et donc en prenant ce nom de promotion, l'objectif pour nous c'est vraiment d'initier un changement de culture, à savoir rappeler qu'au cœur de notre exercice hospitalier, qu'on soit soignant ou pas, notre boussole, ça doit être le patient. L'expérience du patient, elle a sa place de manière complète dans le parcours de prise en soins. Donc voilà, c'est vraiment changer la culture, changer la place du patient dans son propre parcours. et le rendre vraiment acteur de son parcours finalement.
- Speaker #1
Je suis tout à fait d'accord avec toi sur ce point. Et c'est vrai que le soin, c'est avant tout de l'humain. Et on ne le répétera jamais assez. Et c'est vrai que d'une part, pour les patients, c'est important, mais aussi du côté soignant. Et on entend de plus en plus parler de la souffrance éthique au travail. notamment avec toutes ces contraintes dont tu as parlé déjà un petit peu, des contrats administratifs, de gestion budgétaire, etc., qui sont parfois... contraire à nos valeurs du soin et qui provoque donc beaucoup de souffrance. Et je voulais savoir comment toi, tu te positionnais par rapport à tout ça. Est-ce que la notion de management bienveillant est abordée au cours de votre cursus ? Et si oui, comment ?
- Speaker #2
Alors bien sûr, je parle en mon nom propre avec l'expérience et la vision que moi j'ai de l'hôpital et qui peut sûrement être discutée et discutable. Moi, je pense que l'hôpital, c'est effectivement un lieu de singularité. avec des moments humains extrêmement forts que je mentionnais tout à l'heure, la peur, la souffrance, la mort, la naissance aussi, des choses magnifiques comme des choses qui sont horribles et parfois traumatisantes. Et ce qui fait que l'hôpital, notamment pour les gens qui y travaillent, est perçu comme un lieu de vocation. À savoir qu'on a le sentiment d'y être extrêmement attaché. Et c'est le cas à la fois des soignants, mais de tous les autres agents. qu'ils soient les agents logistiques, mais les agents administratifs et de direction également. Et en fait, cet attachement très fort à l'institution hospitalière, qui fait qu'elle fonctionne et qu'elle tourne et qu'elle a résisté pendant le Covid aussi, vient avec tout son lot de risques. À savoir que parfois, on est trop investi, et en fait, ça a fini par peser sur sa vie psychologique, sur sa vie personnelle. Et ça, c'est très dangereux. Et le Covid a vraiment mis en lumière ces risques-là. et l'importance de vraiment prendre soin de ceux qui soignent, à la fois leur santé physique, mais aussi la santé mentale. Et donc, il y a un vrai enjeu à ce que notre institution hospitalière ne casse pas nos agents, parce qu'éthiquement, on ne peut pas se permettre de détruire nos agents, mais aussi d'un point de vue complètement rationnel et organisationnel. C'est-à-dire que fatiguer... nos agents, ça veut dire qu'à un moment, ils ne seront plus en capacité de travailler, on perd des ressources humaines et notre hôpital ne peut plus fonctionner. Donc c'est à la fois de l'éthique, mais aussi du purement rationnel. Donc pour revenir sur la notion de management bienveillant que tu mentionnais, moi je pense que tout management est censé être bienveillant, donc bien sûr que c'est quelque chose qu'il faut intégrer. Moi je ferais peut-être plutôt référence à la notion de management compassionnel, et là je me réfère notamment au... Aux échanges et aux interventions qu'a pu faire ma collègue Nabila Lajahil récemment, la notion de management compassionnel, c'est quoi ? C'est être sensible à la souffrance de ses agents et de ses collègues, apporter une écoute active à cette souffrance, faire preuve de compréhension, reconnaître que cette souffrance existe et pas la nier. Surtout, ça c'est important. Mais surtout chercher à... à la soulager et à la prévenir. Et ça, c'est important pour créer un collectif, pour que chacun se sente part d'une action qui est plus large que soi, qui est l'hôpital finalement. Et donc ça, il y a un rôle qui est extrêmement important des directions à ce sujet-là pour identifier les postes qui sont à risque, puisque l'hôpital, c'est 200 métiers, c'est des dizaines de services, et il y a des postes qui sont très différents les uns des autres. Tous les postes n'ont pas la charge émotionnelle, n'ont pas une exposition à la souffrance. qui est la même. Et donc, il y a des postes qui sont vraiment plus à risque que d'autres. Il y a un enjeu, bien sûr, à mettre en place des dispositifs pour accompagner les personnes en souffrance, déjà repérer ces personnes-là et puis ensuite les accompagner, mais surtout les prévenir. Et moi, je pense qu'il y a un vrai enjeu de prévention de ces enjeux-là. Ça peut être par des dispositifs d'accompagnement psychologique qui sont systématiques et pas optionnels. Ça peut être individuel, ça peut être collectif. Ça peut être de l'art-thérapie, ça peut être de l'activité physique. Il y a plein de choses qu'on peut penser. Mais ce qui est complexe, en fait, c'est que ce n'est pas seulement quelque chose dont doit s'emparer la direction, puisqu'en fait, le management à l'hôpital, il est très diffus. La direction le fait, mais finalement, le chef de service, la cadre de santé sont les personnes qui font le management de terrain au quotidien. Et donc, ces acteurs-là sont essentiels. C'est des acteurs clés pour moi. vraiment travailler sur ces enjeux-là. Là où moi je mettrais un point de vigilance, c'est qu'en fait, le management, ce n'est pas une solution en tant que telle, ce n'est pas la seule solution. Pour moi, c'est un préalable, mais qui cache finalement le vrai problème. Le vrai problème qui est le déclencheur de cette souffrance. Parce que derrière, s'il y a une souffrance, ce n'est pas seulement la charge émotionnelle du service en tant que telle, C'est... En fait, c'est d'autres choses, c'est d'autres problématiques qui viennent rendre la charge émotionnelle trop importante. C'est des problèmes organisationnels, c'est des problèmes de répartition de la charge de travail, c'est des problèmes de flux logistique, etc. Donc pour moi... Plus que de simplement dire je mets en place de l'accompagnement psychologique, etc. Il faut vraiment réfléchir pourquoi il y a un problème. Est-ce que mes agents sont en train de courir dans tous les sens dans le service ? Est-ce que c'est parce qu'il n'y a pas assez d'agents ? Et dans ce cas-là, il faut recruter quand c'est possible. Mais il y a plein d'autres choses qu'on peut faire aussi. Est-ce que c'est parce qu'en fait, il y a des moments de la journée où il y a énormément de patients et des moments où il y en a moins ? Sauf qu'en fait, notre nombre d'agents est stable sur toute la journée. Il y a des moments où il y a trop de travail par rapport au nombre d'agents et d'autres moments où il n'y en a pas assez. Il faut vraiment rentrer dans le cœur des organisations et vraiment aller chercher le cœur du problème et pas se limiter au fait que le soin représente une charge émotionnelle importante, ce qui est vrai, mais ce n'est pas la seule chose. Et juste pour finir aussi, tu mentionnais la notion d'éthique qui est extrêmement importante. Souvent, on a tendance à voir l'éthique, notamment à l'hôpital, comme étant monolithique et unique, à savoir que les soignants représentent la vision éthique du prendre soin, opposée à la direction qui, elle, a une vision comptable, tableur Excel, en costume noir, toujours en train de faire la gueule aussi, et qui aurait une opposition très binaire finalement entre ces deux mondes irréconciliables. Je pense qu'il faut casser ces discours qui sont en fait dangereux pour l'hôpital et qui ne permettent pas d'aller de l'avant. Ils sont sûrement vrais dans certains contextes, mais je pense qu'en fait, il ne faut pas voir cette binarité. Pour moi, il faut voir l'éthique comme étant multiple. Et là, je fais référence à un cours qu'on a pu avoir sur cette notion d'éthique où notre enseignant nous prenait l'exemple de la série de Doctor House. Dans la série Doctor House, il y a trois personnages importants. Il y a Doctor House, son meilleur ami qui est également médecin, et la directrice de l'établissement, qui portent chacun finalement trois visions qui sont éthiques, qui sont entendables, mais qui sont bien différentes. Il y a la vision de Doctor House en tant que telle, qui lui a une vision du chercheur qui veut essayer de comprendre quelle est la pathologie de ce patient-là. à tout prix, y compris parfois avec le risque de devenir maltraitant pour ses patients. En soi, ça se comprend. C'est l'éthique du chercheur, c'est l'éthique de l'investigation, d'essayer de percer un mystère et peut-être de faire avancer la science aussi. Il y a l'éthique ensuite du meilleur ami qui, lui, est vraiment dans une approche du care, du soin individuel, de l'attention personnelle, qui est... évidemment extrêmement importante aussi et sûrement première. Et enfin, il y a l'approche de la directrice qui n'est pas moins éthique finalement, qui est là pour rappeler le collectif, rappeler que certes, il faut soigner ce patient-là, mais il y a tous les autres patients à soigner aussi. Et qu'il y a toujours cette tension entre quel effort je mets pour ce patient-là individuellement versus quel effort je peux mettre pour la santé publique, pour le collectif. Et je pense que c'est important de se rappeler qu'en fait, l'éthique, elle est plurielle et qu'il faut en fait les faire dialoguer, les mettre en tension et pas les opposer. Il faut les faire se rencontrer et c'est pour ça que c'est important de créer un dialogue entre le monde médical, le monde infirmier, le monde administratif de l'hôpital.
- Speaker #0
C'est la fin de la première partie de cet épisode spécial de J'ai une question docteur. consacré au management de l'Office House. Nous vous donnons rendez-vous dans deux semaines pour la suite, toujours en compagnie de Diane et Lucas. D'ici là, bonne journée à tous. et de la confiance dans nous.