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ÉPISODE 1 Muriel BARBERY, Romancière cover
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Je vous raconte … des vies !

ÉPISODE 1 Muriel BARBERY, Romancière

ÉPISODE 1 Muriel BARBERY, Romancière

35min |23/10/2024
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Je vous raconte … des vies !

ÉPISODE 1 Muriel BARBERY, Romancière

ÉPISODE 1 Muriel BARBERY, Romancière

35min |23/10/2024
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Description

C’est un privilège de recevoir pour ce tout premier épisode Muriel Barbery, une des romancières françaises les plus connues, dont les œuvres ont profondément marqué le paysage littéraire contemporain. Connue pour sa sensibilité et sa finesse dans l’exploration des émotions humaines, elle nous fait le grand honneur de partager avec nous ses réflexions sur l’art de l’écriture et un moment déterminant de sa carrière. Alors prenez-un temps pour vous et écouter ce podcast qui vous emmène à la découverte de son univers.



Vous pouvez me joindre à jevousracontedesvies@gmail.com

Fabienne Colboc


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à ce premier épisode, je vous raconte... Pour ce tout premier épisode, j'ai l'immense honneur d'accueillir une romancière dont le talent et la sensibilité touchent des lecteurs à travers le monde depuis 24 ans. Bonjour Muriel Barberé.

  • Speaker #1

    Bonjour Fabienne.

  • Speaker #0

    C'est un véritable privilège de débuter cette aventure avec toi, Muriel. Après une brève présentation, nous reviendrons ensemble sur les moments marquants de ton parcours littéraire et personnel, et tenter... de te découvrir sous un autre angle. Chers auditeurs, prenez un moment pour vous et profitez de cet échange avec une autrice exceptionnelle dont la présence ici me touche particulièrement. Muriel, tu es l'une des romancières françaises les plus connues, tout en restant d'une subtile discrétion. Tu as écrit sept romans, dont L'élégance du hérisson, ton deuxième opus, édité chez Gallimard et qui a touché tant de lecteurs. Plus récemment, tes deux romans japonais, pour reprendre l'expression de certains critiques littéraires,

  • Speaker #1

    Une rose seule,

  • Speaker #0

    une heure de ferveur et ton dernier ouvrage, Thomas Helder, dont tu es actuellement en pleine promotion, tous trois publiés chez Actes Sud. Dans chacune de tes œuvres, on retrouve ta capacité à révéler la beauté du quotidien, à explorer les émotions humaines et à poser des questions existentielles. Après avoir vécu au Japon et à Amsterdam, tu as choisi de revenir en Touraine, où tu es installée en pleine nature dans le chimonée. Tu aimes dire que tu vis chez tes chats, ce qui soulève sûrement des questions intéressantes sur ton quotidien et peut-être sur ton processus créatif. Alors Muriel, merci de m'accueillir. aujourd'hui chez tes cinq chats. Je sais que tu aimes parler de ton travail d'écriture et de la manière dont tu donnes vie à tes personnages. Tu entres dans leur peau avec une telle intensité, presque comme un jeu d'acteur. Cette approche te permet de transmettre une introspection profonde et de faire réfléchir tes lecteurs sur des thèmes essentiels comme la nature, l'art, l'amitié, l'amour et le deuil. Des thèmes qui te sont si chers. Nous y reviendrons au cours de notre conversation. Tu le sais, l'essence même de cette série de podcasts est de se raconter à travers un moment décisif de son histoire. Alors, chère Muriel, peux-tu nous dire quel a été ce moment pour toi ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas simple comme question, parce qu'il y a beaucoup de moments décisifs dans une vie. Puisque je suis romancière, j'aime bien m'abriter derrière mes textes. Les romanciers ont pour vocation d'être quelqu'un d'autre, de ne pas être eux-mêmes. et à travers un égo fictif d'explorer l'existence. Je vais parler d'un moment décisif professionnel, mais qui a eu des retentissements considérables sur ma vie personnelle. Ce moment décisif, c'est un jour de novembre 1999, lorsque Jean-Marie Aclaftin, des éditions Gallimard, appelle chez moi, en Normandie, à l'époque où j'enseignais. Mon mari de l'époque décroche, me crie dans l'escalier que Jean-Marie Acleftine des éditions Gallimard veut me parler. Je pense que c'est une plaisanterie et ça n'en est pas une puisque deux mois plus tôt j'ai envoyé le manuscrit de mon premier roman à quelques grandes maisons d'édition françaises dont bien sûr Gallimard. J'ai déjà reçu trois réponses négatives. qui m'ont beaucoup moins contrariée qu'elles m'ont contrariée mon mari de l'époque, puisqu'on en parlera sans doute plus tard, mais la publication n'a jamais été un rêve, et me paraissait impossible. Mais c'était donc bien Jean-Marie qui avait lu le manuscrit de ce qui allait devenir une gourmandise, et qui me disait extrêmement gentiment tout le bien qu'il avait pensé du texte. qu'il allait le défendre devant le comité de lecture trois semaines plus tard, mais qu'il était assez confiant dans sa force de conviction. Et l'aventure a commencé là, à ce moment-là. Donc j'étais enseignante en Normandie, je commençais déjà à en avoir assez d'enseigner. Je savais que c'était un métier que je ne voulais pas faire toute ma vie. J'avais de plus en plus envie d'écrire et soudain, un nouveau monde s'ouvrait devant moi, celui de la... Celui de l'édition et de la publication. Trois semaines plus tard, Jean-Marie a rappelé pour dire que le roman serait publié à la rentrée suivante, donc en septembre 2000, dans la collection blanche de Gallimard.

  • Speaker #0

    Et là, tout commence.

  • Speaker #1

    Et là, tout commence, mais ça, je ne sais pas ce qui commence, bien sûr, puisque je suis enseignante dans un institut de formation des maîtres à Saint-Lô dans la Manche. Je ne suis pas parisienne, je ne connais pas... pas du tout au milieu de l'édition. Je n'ai aucune idée de ce que c'est que l'aventure éditoriale. Et je vais découvrir un monde qui maintenant est le mien.

  • Speaker #0

    Et as-tu craint ce moment ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. J'ai... Non. Bon, déjà, j'ai rencontré, donc, peu de temps après, Jean-Marie à Paris. Alors, je me souviens de la première fois où je suis entrée dans le hall des éditions Gallimard, à l'époque rue Sébastien Bottin. Et dans ce hall, il y a des portraits, des très beaux portraits des écrivains qui sont publiés, des écrivains de la rentrée. et puis de quelques écrivains tutélaires. C'est impressionnant quand même de se retrouver jeune romancière. J'avais 30 ans, je n'avais pas 20 ans, j'étais déjà un peu mûre.

  • Speaker #0

    Adulte confirmé.

  • Speaker #1

    Adulte confirmé, n'ayant pour l'instant rien fait sur le plan éditorial. Et je me souviens d'avoir pensé que je rentrais vraiment dans un temple de la littérature, dans un sanctuaire. inaccessible jusque là.

  • Speaker #0

    Quelles questions se posent à ce moment là ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vient à l'esprit ? Le cerveau ne fonctionne pas très vite à ce moment là. J'ai vu Jean-Marie descendre de l'escalier et j'ai été tellement intimidée que je l'ai regardée. J'ai vu tout de suite l'extrême gentillesse et le sourire bienveillant de Jean-Marie. On est allé déjeuner, on a mangé des huîtres je me souviens. Et là, on a parlé du texte, les choses ont commencé, mais j'étais très en confiance avec lui, tout de suite. Ça a été comme une évidence. Oui, et puis j'ai eu beaucoup de chance dans ma vie éditoriale, parce que sur mon chemin, il y a vraiment eu, et le premier était Jean-Marie, de très grands professionnels avec lesquels j'ai vraiment beaucoup aimé travailler, et qui ont été des interlocuteurs privilégiés. Je ne me suis jamais sentie seule, même si... Après la publication de Une Gourmandise, qui a eu un petit succès d'estime que j'ai trouvé formidable, mais qui n'a pas été un succès commercial majeur, je ne connaissais quand même pas grand monde. Je suis retournée à l'enseignement, je suis retournée dans ma province, j'ai continué à enseigner et à écrire. Mais disons que ça a été une sorte de parenthèse. Ce n'est qu'après... l'élégance du hérisson, que je suis rentrée de plein pied dans le monde éditorial. Éditorial et du succès. Alors oui, ça, ce n'était pas prévu.

  • Speaker #0

    Et pour revenir à une gourmandise, au moment où tu dis que c'était une évidence, que tu n'avais pas peur, que tu étais tout de suite en confiance, est-ce que ce n'est pas le fait aussi que ce n'était pas forcément ce que tu souhaitais, d'être édité, donc tu n'avais rien à perdre ?

  • Speaker #1

    J'étais tout près de la vérité, je me rends compte que je n'attendais rien. En fait, je n'avais aucune attente particulière, sauf la joie de me dire que quelqu'un, un éditeur comme Jean-Marie, allait me publier. Tout le reste me semblait être du bonus à venir, mais irréprésentable. Et donc, tout ce que je souhaitais, c'est que Jean-Marie soit heureux de ce qui se produirait. J'étais confiante.

  • Speaker #0

    Après 2006, l'élégance du hérisson, qu'est-ce qui se passe pendant ces six ans ? Est-ce que justement, là, il n'y a pas la pression de se dire qu'il faut que le deuxième soit absolument aussi édité ? Est-ce qu'il n'y a pas cette pression-là, du coup, de la première fois qu'ils disent qu'il faut qu'il y ait une deuxième fois ?

  • Speaker #1

    Non, à ce moment-là, je ne raisonne pas du tout comme ça. C'est drôle parce que je viens de me souvenir en t'écoutant que quand j'ai envoyé le manuscrit de l'élégance du haïson, Jean-Marie l'a lu, et j'ai reçu son mail. de retour d'après-lecture et ça commençait par Cela valait la peine d'attendre ! Puisque en effet, six ans, c'est long. Et beaucoup de primo-romanciers transforment le second essai beaucoup plus vite, avec beaucoup plus de rapidité et de vivacité que moi. Mais je n'avais pas de pression parce que là, encore une fois, je n'avais pas d'attente. Ça s'était très bien passé, mais de façon très douce et sans excès aucun. ni dans un sens ni dans l'autre. J'étais complètement libre d'écrire ce que je voulais. Jean-Marie me soutenait très gentiment. Donc, de la même façon, tu sais, la pression pour moi, elle est toujours au même endroit. La pression, c'est toujours est-ce que je vais réussir à progresser ? Progresser au sens de conquérir des nouveaux territoires, affiner mon travail, être capable d'aller au-delà de ce que j'ai fait jusque-là en termes de profondeur, en termes de... de construction en termes de tout ce qui représente le défi du roman. Cette pression-là, elle croît avec les années, ça c'est certain. En fait, elle croît avec l'ambition. L'ambition, pas du tout au sens de l'ambition commerciale, mais l'ambition littéraire.

  • Speaker #0

    On a une pression, c'est peut-être. En fait, j'ai l'impression, en t'entendant, que tu n'as pas trop de pression extérieure, mais plutôt toi-même.

  • Speaker #1

    Il y a une pression interne et il y a des parasitages extérieurs, puisque bien sûr, la publication implique de rentrer, de faire partie d'un écosystème dans lequel il y a des enjeux divers, il y a des enjeux littéraires, il y a des enjeux financiers, il y a des enjeux statutaires. Et ça, pour moi, c'est des parasitages. Ce sont des choses que je dois absolument évacuer, m'ôter de l'esprit quand j'écris. Et j'y arrive. C'est plus compliqué quand on a été beaucoup lu, quand on a désormais une visibilité. Mais ça, c'est possible. En revanche, la pression interne, je dois bien constater qu'elle est de plus en plus grande. Oui, parce que je... Je lis quand je repense à la manière dont j'ai écrit mes deux ou trois premiers romans, dans une espèce d'enthousiasme juvénile, où le seul enjeu c'est de se laisser porter par sa plume, de suivre ce qui vient, et de jouir de la possibilité de déployer des moyens littéraires qui sont en fait assez restreints, je m'en rends compte maintenant. Donc il y a... Il y a une sorte d'enthousiasme qui recouvre tout un tas de problèmes. Et ce qui m'intéresse maintenant, c'est de m'affronter à ces problèmes littéraires et d'arriver à faire ce que je ne savais pas faire jusque-là, à explorer une part de l'art romanesque dont j'étais incapable plus jeune. Et chaque fois, évidemment, j'échoue, ce qui me donne envie d'écrire encore un nouveau livre qui, lui, pourra...

  • Speaker #0

    Tu n'as pas l'impression d'échouer.

  • Speaker #1

    Toujours ! J'ai toujours l'impression d'échouer parce que le but que je me fixe est par définition inaccessible, mais j'essaye de m'en rapprocher le plus possible. Et ce qui est assez étonnant, c'est que le but évidemment n'est pas le même. Il n'y a pas un but ultime que livre après livre je poursuivrai. La vision de ce but change avec la maturité.

  • Speaker #0

    Et comment on gère cette pression alors ?

  • Speaker #1

    Ça, pas toujours. très très bien, c'est-à-dire que c'est beaucoup plus dur d'écrire c'est beaucoup plus dur de bâtir un roman, beaucoup plus dur au sens de ça demande une concentration une réflexion plus intense, beaucoup plus de doute et beaucoup plus de frustration à ne pas réussir à faire ce que je veux faire, mes chats en savent quelque chose, c'est curieux ce que je voulais te dire mais en même temps c'est tout l'intérêt de la chose c'est-à-dire que j'aime cette bataille et Il y a eu un moment, une transition entre probablement mon troisième ou mon quatrième roman, où ça a basculé, où je me suis rendue compte que la bataille ne cesserait jamais et qu'elle deviendrait de plus en plus ardue. Et en même temps, j'ai senti que j'apprenais à l'aimer. Tu l'apprivoises. Tu l'apprivoises et puis en fait, tu comprends que tout l'intérêt du travail, c'est ça. C'est une sorte de duel entre toi et toi. Mais de duel doux, parce que je n'ai aucune tendance masochiste et ce n'est pas que j'aime souffrir. C'est juste que je vois que de cette difficulté et de ces obstacles vont surgir des choses nouvelles. Et ça rend la bataille aimable.

  • Speaker #0

    Que nos auditeurs puissent comprendre, c'est de se dire qu'on a une telle pression interne, c'est peut-être déjà de la comprendre. de bien l'étudier, de bien l'analyser,

  • Speaker #1

    il y a une seule chose qui permet de gérer cette pression, c'est le travail. C'est la seule chose qui permet de faire en sorte qu'elle soit supportable et fructueuse. Je discutais avec ma grande amie romancière Alice Ferney, qui va d'ailleurs venir bientôt à Chinon, je discutais avec elle... Et on s'est amusé de se rendre compte qu'on avait suivi une trajectoire exactement inverse. Pendant très longtemps, Alice pensait que tout pouvait se résoudre avec du travail et que le talent, l'inspiration n'étaient que des oreilles peau dont s'habillait un travail bien fait et bien mené jusqu'au bout. Et qu'avec les années, elle s'était rendue compte que tout le travail du monde ne pourrait jamais pallier l'absence de talent. On peut discuter de ce que veut dire talent, mais en tout cas, elle a suivi ce cheminement. Moi, c'est exactement le chemin inverse que j'ai suivi, puisque jeune, je pensais qu'il suffisait d'avoir le feu sacré et d'aimer tenir une plume et que les choses suivraient, alors que maintenant, je suis convaincue que la somme, la somme oméga de ce que je fais, c'est le travail et j'aime ça et j'aime retravailler les textes, j'aime que ce soit difficile de les écrire, pas pour la difficulté en elle-même mais parce que je sais que cette difficulté sera fructueuse, j'aime... Autrefois, j'aimais le moment de la production du texte, le fait de créer un univers romanesque. Maintenant, ce que j'aime, c'est le travail après ça. Le moment où tu fais de l'orfèvrerie, le moment où tu cisènes, le moment où tu te rends compte qu'il y en a trop. et où tu restes là et soudain tu vois enfin apparaître la structure. Ça c'est le vrai plaisir, mais c'est dur, c'est dur à faire.

  • Speaker #0

    Parce que de ce que j'ai compris dans les différentes interviews, c'est que tes personnages t'arrivent. C'est un habitement comme ça, que tu as des flashs, et que tu as un personnage qui vient, et que tu as envie de construire son identité, sa personnalité, son parcours, son histoire, ce qu'il va vivre à un moment donné, soit dans un temps long ou un temps court. Donc ça, ça te vient, et après c'est comment tu l'écris. C'est plutôt la technique de l'écriture, c'est ça ? Tu vas aller rechercher, parce que tu as l'idée en tête.

  • Speaker #1

    Je ne sais même pas une idée, tu l'as bien dit, c'est plutôt des voix, parfois des images, parfois des situations. Tu vois, par exemple, je sais... Je sais déjà qui sera le personnage principal du prochain roman, en tout cas j'ai son nom, je sais que c'est une femme, je vois à peu près son profil, mais tout le reste est à bâtir. D'abord pour moi l'esthétique de roman. Est-ce que je veux un roman ample, lyrique, avec beaucoup de souffle ? Est-ce qu'au contraire je veux un roman extrêmement resserré, avec une écriture plus minimaliste ? Est-ce que je veux que ce soit très poétique ? Au contraire, est-ce que je veux que ce soit âpre ? Et là je viens à plus j'ai... j'ai envie d'aller vers la protée. Donc la deuxième chose qui se précise c'est quelle esthétique, quelle forme. Et ensuite lorsque j'étais plus jeune je pensais que l'histoire surgirait naturellement, ce qui est vrai parce que nous sommes tous tissés d'histoire et qu'il y a toujours un moment où s'il y a une forme pour les accueillir elle remonte à la surface. Simplement je laissais l'histoire se déployer comme elle le voulait bien et j'exerçais très peu de contrôle là-dessus. J'ai de plus en plus d'intérêt pour la chose narrative. Et j'essaye de tenir tout ensemble, la langue, la psychologie des personnages, et une narration qui soit tenue, beaucoup plus tenue que dans mes textes précédents. Et tenir tous ces paramètres ensemble, il y a, seuls les grands génies de la littérature savent le faire. Il y a toujours un moment où, lorsqu'on n'est pas un grand génie de la littérature, lorsqu'on est une romancière du XXIe siècle, il y a toujours un moment où il y a un pan qui est plus compliqué à tenir. que les autres.

  • Speaker #0

    Et combien de temps tu décides qu'à un moment donné, ça y est, là, il faut l'envoyer et après, il y a des relectures.

  • Speaker #1

    L'univers a inventé vraiment une créature merveilleuse qui s'appelle l'éditeur. et qui lorsque toi tu ne sais plus rien tu es dans le brouillard, tu ne vois absolument plus tu relis une page et tu as l'impression qu'elle ne veut rien dire, tu as tellement relu ton texte, tu as tellement travaillé que tu n'es même plus capable de te dire si ça a un sens et à ce moment là tu vois envoies ton texte à ton éditeur ou ton éditrice. Plus jeune, encore une fois, je pensais que j'envoyais mes textes achevés, complètement achevés, en bonne élève qui a bien fait son travail et qui attend la sanction du professeur. Maintenant j'aime beaucoup le dialogue avec les éditeurs parce que je me rends compte qu'il n'y a aucune intrusion dans l'intimité que j'ai avec le texte. Il n'y a aucun danger, ils me laisseront faire absolument ce que je veux.

  • Speaker #0

    je veux mais j'ai besoin du dialogue sur toutes ces considérations techniques au sens noble au panier mans est important extrêmement important et en donne des challenges comme toi tu te donnes une pression en

  • Speaker #1

    fait l'accompagnement aller à trouver des ressources externe humaine oui humaine humaine et évidemment professionnelle un très bon éditeur est celui qui t'aide en entendant ta voix, te montre des films que tu n'as pas tirés, des choses qui posent problème, toujours à partir de ton texte. Et puis j'ai un deuxième type d'interlocuteur et de ressources formidables, ce sont d'autres auteurs. Au moment des Gans du Ressent, je te l'ai dit... Je n'ai pas connaissait aucun collègue, j'étais toujours professeur en Normandie, avec très peu de connexion aux autres. Et en général, les auteurs sont très solitaires. Après les grandes générations, je suis partie au Japon. J'ai aussi fui le succès fausse beaucoup de choses, donc il était nécessaire de s'éloigner pendant un temps. Mais maintenant, j'ai grand plaisir à parler du travail avec des amis auteurs avec lesquels il y a une vraie discussion et une vraie connivence, en particulier parce que nous avons des univers romanistes totalement différents qui est extrêmement fructueuse.

  • Speaker #0

    Processus, en fait, partager un peu son processus.

  • Speaker #1

    Oui, et même faire lire, faire lire et avoir un regard, cette fois-ci non pas du tout éditorial. Je ne crois pas que ce soit si courant une confiance totale entre auteurs. Enfin, je discute avec deux ou trois très grands amis auteurs. Il y en a un seul à qui j'envoie mes esquisses ou à qui je demande son avis. Alors là, d'écrivain, pas d'éditeur. Et c'est Jean-Baptiste Delamaux.

  • Speaker #0

    Voir des gens de confiance,

  • Speaker #1

    c'est important. Et Jean-Baptiste, travail pour lequel j'ai une très grande admiration. Jean-Baptiste et moi avons des univers romanesques. pratiquement aux antipodes l'un de l'autre, sauf que pour l'un comme pour l'autre, la question esthétique est majeure. Et pour l'un comme pour l'autre, le but est le même, l'exploration sans cesse de nouveaux territoires pour aller au-delà de ce qu'on a fait jusque-là.

  • Speaker #0

    Et toutes ces expériences, ce processus, cette pression, mais en même temps que tu aimes, cette pression de travail, parce que tu aimes le travail, est-ce que ça transforme personnellement une vision du monde, cette exigence en fait. Tu as une exigence telle, est-ce que ça se transporte sur d'autres pans de ta vie ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas facile de répondre à cette question parce que, en fait, comme je suis monomaniaque, que je ne fais pour le moment qu'écrire et que c'est mon unique passion, brûlante mais vraiment unique, c'est presque toute ma vie. À l'exception, bien entendu, de ma vie amoureuse et amicale, l'écriture emplit tous les secteurs de ma vie. Une grande partie de mes amis font partie du monde éditorial. L'écriture infiltre pratiquement tous les secteurs de ma vie. Et ce que je sais, c'est qu'écrire des romans, pour le coup, c'est une règle générale, je crois, te transforme. De la même façon que la lecture de romans m'a transformée en tant que lectrice, que certains romans ont fait de moi quelqu'un d'autre, le fait d'écrire des romans transforme ton regard sur le monde, c'est certain.

  • Speaker #0

    Justement, j'avais une question là-dessus. En tant que romancière, on pourrait naturellement se demander comment tes expériences de vie influencent tes personnages. Mais à t'écouter, à te connaître, à avoir écouté plusieurs interviews... Moi, j'aimerais plutôt savoir si ce que tu racontes de ton processus d'écriture, si ces personnages, par leur intensité, parce que c'est des personnages à chaque fois avec une forte personnalité, une profondeur, une intensité, qui est quand même très touchante, voire bouleversante des fois, comment tes personnages plutôt influencent la vie ?

  • Speaker #1

    Je vais quand même répondre brièvement à la première question que tu ne poses pas. pour poser à la seconde. Il y a une très belle métaphore de Milan Kundera qui incite dans l'art du roman, où il explique qu'écrire un roman, c'est déconstruire la maison de sa vie et avec les briques, en reconstruire une autre, celle du roman. Donc, il est vain de chercher les éléments autobiographiques dans l'œuvre d'un vrai romancier, parce que l'autofiction, c'est tout à fait autre chose. Mais pour les romanciers de fiction, La question de l'implication personnelle ou de ce qu'on met de soi dans les personnages est pratiquement pas intéressante. En revanche, ce qui est vraiment passionnant et c'est pour ça que j'aime beaucoup ta question, c'est qu'écrire un roman c'est devenir quelqu'un d'autre. Le temps de l'écriture, être quelqu'un d'autre. Et le temps de la lecture aussi. Quand on lit un roman dans lequel on rentre, pendant un temps donné, on est dans l'intériorité de quelqu'un d'autre. C'est encore plus fort qu'au cinéma où l'image nous coupe de l'autre. Là, par la magie de la lecture silencieuse, on devient quelqu'un d'autre. Et donc, je crois profondément que ce devenir quelqu'un d'autre, qui est très fort dans la lecture comme dans l'écriture, te modifie. C'est pour ça que nous misons des romans. C'est pour avoir accès à l'autre. Et la rencontre avec l'autre est toujours un modificateur. puissant de notre destinée, de notre analyse de la vie, de notre capacité à... Il en reste quelque chose et vraiment, quand j'écris... J'ai l'impression que je suis quelqu'un d'autre. C'est une réincarnation, vraiment. Je crois que c'est une réincarnation.

  • Speaker #0

    Par exemple, tu écris, après tu vas dîner, tu vas rencontrer des amis, tu vas au cinéma, tu sors de ce personnage et tu re-rentres quand tu es sur ta table, ton bureau, pour écrire ?

  • Speaker #1

    Globalement, oui, mais autrefois, vraiment, je posais le stylo et je pensais à tout à fait autre chose et je me remettais au travail le lendemain matin. Maintenant, quand même, j'espère que c'est un bon signe. Je pense, quand je suis vraiment plein dans l'écriture du texte, je pense au texte. Il y a des répliques de personnages qui me viennent à l'esprit, des gestes, je les vois faire un geste, je les vois s'incarner. Et d'ailleurs, jusqu'à Une rose seule, mon avant-avant-dernier roman, une fois que j'avais terminé le roman, je disais adieu à mes personnages sans aucun remords.

  • Speaker #0

    C'est ce que j'ai entendu. Et justement, je me demandais, parce que vous me disiez, comment on peut abandonner ces personnages si forts, alors que ça a dû demander une réflexion tellement forte pour les construire. Vous me dites, mais en fait, c'est parce que tu les gardes un peu avec toi quand même, inconsciemment. En fait, tu ne les lâches pas vraiment, mais ils ont pris, comme ma question précédente, ils t'ont un peu transformé, donc du coup, ils sont un peu avec toi.

  • Speaker #1

    Ils font partie de ta vie. Oui, mais ils font partie du passé quand même. Jusqu'à un certain moment, j'avais de la tendresse pour eux. Lorsque je devais relire mes textes, mes premiers textes, je les regardais avec la tendresse qu'on a pour des copains de jeunesse qu'on a complètement perdus de vue. Je regarde mes livres avec l'impression que c'est vraiment des créations de la jeunesse. à la fois la tendresse et le sens critique qu'on a à l'égard de ce qu'on a fait quand on était jeune. Les choses ont changé avec une rose seule, parce que c'est la première fois que les personnages insistaient autant en moi, et à tel point qu'après avoir voulu écrire tout à fait autre chose, j'ai décidé qu'un des personnages secondaires de ce roman deviendrait le personnage principal du suivant, et je suis restée dans le même univers. Et je me suis rendu compte que je pourrais continuer ça indéfiniment, prendre d'autres personnages secondaires et en faire de nouveau dans une sorte de comédie humaine, à ma façon.

  • Speaker #0

    Thomas Seldor, il y a aussi deux personnages secondaires.

  • Speaker #1

    Qui pourraient devenir... Oui, et tu sais, quand tu dis on moi, la première, j'ai envie de découvrir, parce que tant que je n'ai pas écrit, que je n'ai pas pris la voix d'un personnage, ou que je ne parle pas de lui, je ne sais pas qui il est. Je le découvre en même temps que je l'écris et donc en même temps que le lecteur. Et là maintenant les personnages de mes romans insistent beaucoup et me donnent envie de continuer, ce qui est un danger. Parce que pour écrire correctement, il faut quand même sortir de sa zone de confort, il faut être capable d'aller ailleurs. Quand ça devient trop confortable, c'est un mauvais signe.

  • Speaker #0

    Pourquoi c'est confortable ? un personnage secondaire dans un roman, de le reprendre et de le refaire vivre ?

  • Speaker #1

    Parce que c'est la même esthétique. D'accord. Bien sûr que tu peux, tu peux, mais tu vas quand même avoir beaucoup d'inchangés. Beaucoup de choses qui vont être inchangées. Par exemple, Thomas Hengderm, mon dernier roman, qui suit les deux romans japonais, devait se passer au Japon au début, en partie au Japon, non pas entre le Brac en France et Amsterdam et la mer du Nord aux Pays-Bas, mais... entre Loubraque et Kyoto. Et mes éditeurs m'ont dit très justement si on était toi, on n'insisterait pas. Et ils avaient raison parce que encore une fois, j'aurais ronronné. Là où il faut surtout pas ronronner.

  • Speaker #0

    Surtout que tu décris bien Kyoto dans ces deux romans déjà.

  • Speaker #1

    Surtout que Kyoto a été le personnage presque principal de ces deux romans et que c'est inépuisable bien sûr, mais le décor ne convenait plus. pour explorer pour toi pratiquement les mêmes questions existentielles très bien moi je voudrais revenir sur ce moment décisif qui nous a amené jusqu'ici et quel parcours quelle

  • Speaker #0

    réflexion quelle maturité littéraire ça t'a apporté toutes ces 24 années quand même et si tu pouvais revenir à ce moment décisif L'appel de Jean-Marie Lachy, novembre 99. Que dirais-tu à la Murielle que tu étais à ce moment-là ?

  • Speaker #1

    C'est une belle question, elle est difficile. Je pense que je lui dirais que je sais qu'elle va écrire beaucoup d'autres livres. Parce qu'écrire un premier roman, il y a beaucoup de primo-romanciers qui ne publieront jamais un second ou un deuxième roman. Et à l'époque, je ne me vivais absolument pas comme une romancière ou une écrivaine. Je ne pourrais même pas te dire comment je me représentais et qui j'étais, mais ça me paraissait presque... J'avais une telle révérence pour la littérature et pour la littérature classique que j'ai lue dans ma jeunesse et la littérature contemporaine en général que je ne me sentais pas faire partie de cette... communauté. Il a fallu du temps pour que j'accepte que c'était mon destin et pour que je désire que ce soit mon destin et que je revendique que ce soit mon destin. Donc je crois que je lui dirai mais c'est ton destin, c'est ton destin, c'est très clair et ça n'était pas à l'époque.

  • Speaker #0

    Merci parce que c'est passionnant et envoûtant on va dire. Que souhaiterais-tu que nos auditeurs retiennent ? histoire et une autre question, qu'aimerais-tu qu'ils disent de toi après cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je commence par la fin. La question de ce que les autres disent de nous est une question qu'en général, de nous et de moi en particulier, est une question en général que j'essaye de ne pas me poser, ce que je la trouve terrifiante toujours. Mais je vais quand même y réfléchir pendant que je réponds à la première. Tes questions m'incitent à me font penser que ce que j'aimerais qu'on retienne c'est que il y a une telle une telle plus-value de la littérature romanesque dans la possibilité d'entendre l'autre à une époque où je trouve que c'est devenu très très difficile que j'aimerais qu'on retienne ça que lire des romans c'est l'accès à une complexité et une altérité qui ne peuvent pas s'atteindre autrement. Je consacre ma vie aux romans, en grande partie pour cette raison. Bien sûr, j'aime la langue, la langue française, j'aime les histoires, mais surtout, j'ai la passion de comprendre l'autre et de saisir cette complexité par tous les moyens possibles. Très bien. Donc, lisez des romans. Très bien. Oui, surtout,

  • Speaker #0

    comme tu l'as dit tout à l'heure, ça nous transforme, ça nous aide, ça nous accompagne. Et je pense que c'est une vraie thérapie, quelque part.

  • Speaker #1

    Oui, et puis, je vais citer encore une fois Kundera, il disait que la vie en tant que telle est défaite, puisqu'elle s'achemine toujours vers sa fin, et puis elle est extrêmement chaotique. C'est très compliqué de comprendre quelque chose à l'existence. Et que le roman est la tentative précisément d'entrevoir une lumière dans cette complexité et ce chaos. J'y crois profondément.

  • Speaker #0

    La deuxième question. Qu'aimerais-tu que nos auditeurs disent de toi à la suite de cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je suis vraiment incapable de répondre à la question, mais je vais te dire ce que j'ai répondu un jour à une journaliste. C'était où ? C'était en Afrique du Sud, qui me demandait qu'est-ce que vous voudriez qu'il y ait sur votre tombe ? Quel épitaphe souhaiteriez-vous ? J'ai réfléchi et j'ai dit... J'aimerais qu'il y ait écrit Elle a essayé Et je crois profondément que la vie n'est pas faite pour réussir, elle est faite pour essayer, si ça marche, très bien, mais c'est surtout le fait de t'essayer sans cesse qui est intéressant.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est un peu une devise.

  • Speaker #1

    J'ai deux devises, c'est celle-ci. C'est La vie est faite pour essayer Et je pense même que, enfin ça c'est pour faire un peu un télo, mais ça me vient d'une lecture de jeunesse de Kierkegaard. Et il y a un proverbe que j'utilise souvent, je vais le dire en anglais parce que la première fois que j'en ai entendu parler, c'était en anglais, mais c'est un vieux proverbe persan. Un proverbe qui dit this too shall pass ça aussi ça passera. Et avoir conscience que tout est éphémère, c'est aussi la leçon du Japon, c'est la leçon du roman. Je trouve que c'est une devise qui permet de relativiser et de ne pas se prendre au sérieux.

  • Speaker #0

    Merci Muriel.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Fabienne. Pour conclure,

  • Speaker #0

    moi je dirais que ce que je retiens de tes romans, et notamment les derniers où le deuil est très présent, c'est qu'il faut absolument se dire les choses en temps réel. Certes, c'est une évidence, mais peu pratiquée, je trouve, mais pas chez toi d'ailleurs. Cela vient sûrement peut-être d'un des personnages que tu as gardé en toi. Alors, chère Muriel, en guise de reconnaissance profonde, je tiens à te remercier non seulement en tant que précieuse invitée aujourd'hui, mais aussi pour ce que tu es en tant que femme, romancière et amie. Mes chers auditeurs, j'espère que ce premier épisode vous a conquis. Et je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour le deuxième épisode avec une invité touchante qui saura nous faire venir aussi des émotions intenses. Merci.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

Description

C’est un privilège de recevoir pour ce tout premier épisode Muriel Barbery, une des romancières françaises les plus connues, dont les œuvres ont profondément marqué le paysage littéraire contemporain. Connue pour sa sensibilité et sa finesse dans l’exploration des émotions humaines, elle nous fait le grand honneur de partager avec nous ses réflexions sur l’art de l’écriture et un moment déterminant de sa carrière. Alors prenez-un temps pour vous et écouter ce podcast qui vous emmène à la découverte de son univers.



Vous pouvez me joindre à jevousracontedesvies@gmail.com

Fabienne Colboc


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à ce premier épisode, je vous raconte... Pour ce tout premier épisode, j'ai l'immense honneur d'accueillir une romancière dont le talent et la sensibilité touchent des lecteurs à travers le monde depuis 24 ans. Bonjour Muriel Barberé.

  • Speaker #1

    Bonjour Fabienne.

  • Speaker #0

    C'est un véritable privilège de débuter cette aventure avec toi, Muriel. Après une brève présentation, nous reviendrons ensemble sur les moments marquants de ton parcours littéraire et personnel, et tenter... de te découvrir sous un autre angle. Chers auditeurs, prenez un moment pour vous et profitez de cet échange avec une autrice exceptionnelle dont la présence ici me touche particulièrement. Muriel, tu es l'une des romancières françaises les plus connues, tout en restant d'une subtile discrétion. Tu as écrit sept romans, dont L'élégance du hérisson, ton deuxième opus, édité chez Gallimard et qui a touché tant de lecteurs. Plus récemment, tes deux romans japonais, pour reprendre l'expression de certains critiques littéraires,

  • Speaker #1

    Une rose seule,

  • Speaker #0

    une heure de ferveur et ton dernier ouvrage, Thomas Helder, dont tu es actuellement en pleine promotion, tous trois publiés chez Actes Sud. Dans chacune de tes œuvres, on retrouve ta capacité à révéler la beauté du quotidien, à explorer les émotions humaines et à poser des questions existentielles. Après avoir vécu au Japon et à Amsterdam, tu as choisi de revenir en Touraine, où tu es installée en pleine nature dans le chimonée. Tu aimes dire que tu vis chez tes chats, ce qui soulève sûrement des questions intéressantes sur ton quotidien et peut-être sur ton processus créatif. Alors Muriel, merci de m'accueillir. aujourd'hui chez tes cinq chats. Je sais que tu aimes parler de ton travail d'écriture et de la manière dont tu donnes vie à tes personnages. Tu entres dans leur peau avec une telle intensité, presque comme un jeu d'acteur. Cette approche te permet de transmettre une introspection profonde et de faire réfléchir tes lecteurs sur des thèmes essentiels comme la nature, l'art, l'amitié, l'amour et le deuil. Des thèmes qui te sont si chers. Nous y reviendrons au cours de notre conversation. Tu le sais, l'essence même de cette série de podcasts est de se raconter à travers un moment décisif de son histoire. Alors, chère Muriel, peux-tu nous dire quel a été ce moment pour toi ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas simple comme question, parce qu'il y a beaucoup de moments décisifs dans une vie. Puisque je suis romancière, j'aime bien m'abriter derrière mes textes. Les romanciers ont pour vocation d'être quelqu'un d'autre, de ne pas être eux-mêmes. et à travers un égo fictif d'explorer l'existence. Je vais parler d'un moment décisif professionnel, mais qui a eu des retentissements considérables sur ma vie personnelle. Ce moment décisif, c'est un jour de novembre 1999, lorsque Jean-Marie Aclaftin, des éditions Gallimard, appelle chez moi, en Normandie, à l'époque où j'enseignais. Mon mari de l'époque décroche, me crie dans l'escalier que Jean-Marie Acleftine des éditions Gallimard veut me parler. Je pense que c'est une plaisanterie et ça n'en est pas une puisque deux mois plus tôt j'ai envoyé le manuscrit de mon premier roman à quelques grandes maisons d'édition françaises dont bien sûr Gallimard. J'ai déjà reçu trois réponses négatives. qui m'ont beaucoup moins contrariée qu'elles m'ont contrariée mon mari de l'époque, puisqu'on en parlera sans doute plus tard, mais la publication n'a jamais été un rêve, et me paraissait impossible. Mais c'était donc bien Jean-Marie qui avait lu le manuscrit de ce qui allait devenir une gourmandise, et qui me disait extrêmement gentiment tout le bien qu'il avait pensé du texte. qu'il allait le défendre devant le comité de lecture trois semaines plus tard, mais qu'il était assez confiant dans sa force de conviction. Et l'aventure a commencé là, à ce moment-là. Donc j'étais enseignante en Normandie, je commençais déjà à en avoir assez d'enseigner. Je savais que c'était un métier que je ne voulais pas faire toute ma vie. J'avais de plus en plus envie d'écrire et soudain, un nouveau monde s'ouvrait devant moi, celui de la... Celui de l'édition et de la publication. Trois semaines plus tard, Jean-Marie a rappelé pour dire que le roman serait publié à la rentrée suivante, donc en septembre 2000, dans la collection blanche de Gallimard.

  • Speaker #0

    Et là, tout commence.

  • Speaker #1

    Et là, tout commence, mais ça, je ne sais pas ce qui commence, bien sûr, puisque je suis enseignante dans un institut de formation des maîtres à Saint-Lô dans la Manche. Je ne suis pas parisienne, je ne connais pas... pas du tout au milieu de l'édition. Je n'ai aucune idée de ce que c'est que l'aventure éditoriale. Et je vais découvrir un monde qui maintenant est le mien.

  • Speaker #0

    Et as-tu craint ce moment ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. J'ai... Non. Bon, déjà, j'ai rencontré, donc, peu de temps après, Jean-Marie à Paris. Alors, je me souviens de la première fois où je suis entrée dans le hall des éditions Gallimard, à l'époque rue Sébastien Bottin. Et dans ce hall, il y a des portraits, des très beaux portraits des écrivains qui sont publiés, des écrivains de la rentrée. et puis de quelques écrivains tutélaires. C'est impressionnant quand même de se retrouver jeune romancière. J'avais 30 ans, je n'avais pas 20 ans, j'étais déjà un peu mûre.

  • Speaker #0

    Adulte confirmé.

  • Speaker #1

    Adulte confirmé, n'ayant pour l'instant rien fait sur le plan éditorial. Et je me souviens d'avoir pensé que je rentrais vraiment dans un temple de la littérature, dans un sanctuaire. inaccessible jusque là.

  • Speaker #0

    Quelles questions se posent à ce moment là ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vient à l'esprit ? Le cerveau ne fonctionne pas très vite à ce moment là. J'ai vu Jean-Marie descendre de l'escalier et j'ai été tellement intimidée que je l'ai regardée. J'ai vu tout de suite l'extrême gentillesse et le sourire bienveillant de Jean-Marie. On est allé déjeuner, on a mangé des huîtres je me souviens. Et là, on a parlé du texte, les choses ont commencé, mais j'étais très en confiance avec lui, tout de suite. Ça a été comme une évidence. Oui, et puis j'ai eu beaucoup de chance dans ma vie éditoriale, parce que sur mon chemin, il y a vraiment eu, et le premier était Jean-Marie, de très grands professionnels avec lesquels j'ai vraiment beaucoup aimé travailler, et qui ont été des interlocuteurs privilégiés. Je ne me suis jamais sentie seule, même si... Après la publication de Une Gourmandise, qui a eu un petit succès d'estime que j'ai trouvé formidable, mais qui n'a pas été un succès commercial majeur, je ne connaissais quand même pas grand monde. Je suis retournée à l'enseignement, je suis retournée dans ma province, j'ai continué à enseigner et à écrire. Mais disons que ça a été une sorte de parenthèse. Ce n'est qu'après... l'élégance du hérisson, que je suis rentrée de plein pied dans le monde éditorial. Éditorial et du succès. Alors oui, ça, ce n'était pas prévu.

  • Speaker #0

    Et pour revenir à une gourmandise, au moment où tu dis que c'était une évidence, que tu n'avais pas peur, que tu étais tout de suite en confiance, est-ce que ce n'est pas le fait aussi que ce n'était pas forcément ce que tu souhaitais, d'être édité, donc tu n'avais rien à perdre ?

  • Speaker #1

    J'étais tout près de la vérité, je me rends compte que je n'attendais rien. En fait, je n'avais aucune attente particulière, sauf la joie de me dire que quelqu'un, un éditeur comme Jean-Marie, allait me publier. Tout le reste me semblait être du bonus à venir, mais irréprésentable. Et donc, tout ce que je souhaitais, c'est que Jean-Marie soit heureux de ce qui se produirait. J'étais confiante.

  • Speaker #0

    Après 2006, l'élégance du hérisson, qu'est-ce qui se passe pendant ces six ans ? Est-ce que justement, là, il n'y a pas la pression de se dire qu'il faut que le deuxième soit absolument aussi édité ? Est-ce qu'il n'y a pas cette pression-là, du coup, de la première fois qu'ils disent qu'il faut qu'il y ait une deuxième fois ?

  • Speaker #1

    Non, à ce moment-là, je ne raisonne pas du tout comme ça. C'est drôle parce que je viens de me souvenir en t'écoutant que quand j'ai envoyé le manuscrit de l'élégance du haïson, Jean-Marie l'a lu, et j'ai reçu son mail. de retour d'après-lecture et ça commençait par Cela valait la peine d'attendre ! Puisque en effet, six ans, c'est long. Et beaucoup de primo-romanciers transforment le second essai beaucoup plus vite, avec beaucoup plus de rapidité et de vivacité que moi. Mais je n'avais pas de pression parce que là, encore une fois, je n'avais pas d'attente. Ça s'était très bien passé, mais de façon très douce et sans excès aucun. ni dans un sens ni dans l'autre. J'étais complètement libre d'écrire ce que je voulais. Jean-Marie me soutenait très gentiment. Donc, de la même façon, tu sais, la pression pour moi, elle est toujours au même endroit. La pression, c'est toujours est-ce que je vais réussir à progresser ? Progresser au sens de conquérir des nouveaux territoires, affiner mon travail, être capable d'aller au-delà de ce que j'ai fait jusque-là en termes de profondeur, en termes de... de construction en termes de tout ce qui représente le défi du roman. Cette pression-là, elle croît avec les années, ça c'est certain. En fait, elle croît avec l'ambition. L'ambition, pas du tout au sens de l'ambition commerciale, mais l'ambition littéraire.

  • Speaker #0

    On a une pression, c'est peut-être. En fait, j'ai l'impression, en t'entendant, que tu n'as pas trop de pression extérieure, mais plutôt toi-même.

  • Speaker #1

    Il y a une pression interne et il y a des parasitages extérieurs, puisque bien sûr, la publication implique de rentrer, de faire partie d'un écosystème dans lequel il y a des enjeux divers, il y a des enjeux littéraires, il y a des enjeux financiers, il y a des enjeux statutaires. Et ça, pour moi, c'est des parasitages. Ce sont des choses que je dois absolument évacuer, m'ôter de l'esprit quand j'écris. Et j'y arrive. C'est plus compliqué quand on a été beaucoup lu, quand on a désormais une visibilité. Mais ça, c'est possible. En revanche, la pression interne, je dois bien constater qu'elle est de plus en plus grande. Oui, parce que je... Je lis quand je repense à la manière dont j'ai écrit mes deux ou trois premiers romans, dans une espèce d'enthousiasme juvénile, où le seul enjeu c'est de se laisser porter par sa plume, de suivre ce qui vient, et de jouir de la possibilité de déployer des moyens littéraires qui sont en fait assez restreints, je m'en rends compte maintenant. Donc il y a... Il y a une sorte d'enthousiasme qui recouvre tout un tas de problèmes. Et ce qui m'intéresse maintenant, c'est de m'affronter à ces problèmes littéraires et d'arriver à faire ce que je ne savais pas faire jusque-là, à explorer une part de l'art romanesque dont j'étais incapable plus jeune. Et chaque fois, évidemment, j'échoue, ce qui me donne envie d'écrire encore un nouveau livre qui, lui, pourra...

  • Speaker #0

    Tu n'as pas l'impression d'échouer.

  • Speaker #1

    Toujours ! J'ai toujours l'impression d'échouer parce que le but que je me fixe est par définition inaccessible, mais j'essaye de m'en rapprocher le plus possible. Et ce qui est assez étonnant, c'est que le but évidemment n'est pas le même. Il n'y a pas un but ultime que livre après livre je poursuivrai. La vision de ce but change avec la maturité.

  • Speaker #0

    Et comment on gère cette pression alors ?

  • Speaker #1

    Ça, pas toujours. très très bien, c'est-à-dire que c'est beaucoup plus dur d'écrire c'est beaucoup plus dur de bâtir un roman, beaucoup plus dur au sens de ça demande une concentration une réflexion plus intense, beaucoup plus de doute et beaucoup plus de frustration à ne pas réussir à faire ce que je veux faire, mes chats en savent quelque chose, c'est curieux ce que je voulais te dire mais en même temps c'est tout l'intérêt de la chose c'est-à-dire que j'aime cette bataille et Il y a eu un moment, une transition entre probablement mon troisième ou mon quatrième roman, où ça a basculé, où je me suis rendue compte que la bataille ne cesserait jamais et qu'elle deviendrait de plus en plus ardue. Et en même temps, j'ai senti que j'apprenais à l'aimer. Tu l'apprivoises. Tu l'apprivoises et puis en fait, tu comprends que tout l'intérêt du travail, c'est ça. C'est une sorte de duel entre toi et toi. Mais de duel doux, parce que je n'ai aucune tendance masochiste et ce n'est pas que j'aime souffrir. C'est juste que je vois que de cette difficulté et de ces obstacles vont surgir des choses nouvelles. Et ça rend la bataille aimable.

  • Speaker #0

    Que nos auditeurs puissent comprendre, c'est de se dire qu'on a une telle pression interne, c'est peut-être déjà de la comprendre. de bien l'étudier, de bien l'analyser,

  • Speaker #1

    il y a une seule chose qui permet de gérer cette pression, c'est le travail. C'est la seule chose qui permet de faire en sorte qu'elle soit supportable et fructueuse. Je discutais avec ma grande amie romancière Alice Ferney, qui va d'ailleurs venir bientôt à Chinon, je discutais avec elle... Et on s'est amusé de se rendre compte qu'on avait suivi une trajectoire exactement inverse. Pendant très longtemps, Alice pensait que tout pouvait se résoudre avec du travail et que le talent, l'inspiration n'étaient que des oreilles peau dont s'habillait un travail bien fait et bien mené jusqu'au bout. Et qu'avec les années, elle s'était rendue compte que tout le travail du monde ne pourrait jamais pallier l'absence de talent. On peut discuter de ce que veut dire talent, mais en tout cas, elle a suivi ce cheminement. Moi, c'est exactement le chemin inverse que j'ai suivi, puisque jeune, je pensais qu'il suffisait d'avoir le feu sacré et d'aimer tenir une plume et que les choses suivraient, alors que maintenant, je suis convaincue que la somme, la somme oméga de ce que je fais, c'est le travail et j'aime ça et j'aime retravailler les textes, j'aime que ce soit difficile de les écrire, pas pour la difficulté en elle-même mais parce que je sais que cette difficulté sera fructueuse, j'aime... Autrefois, j'aimais le moment de la production du texte, le fait de créer un univers romanesque. Maintenant, ce que j'aime, c'est le travail après ça. Le moment où tu fais de l'orfèvrerie, le moment où tu cisènes, le moment où tu te rends compte qu'il y en a trop. et où tu restes là et soudain tu vois enfin apparaître la structure. Ça c'est le vrai plaisir, mais c'est dur, c'est dur à faire.

  • Speaker #0

    Parce que de ce que j'ai compris dans les différentes interviews, c'est que tes personnages t'arrivent. C'est un habitement comme ça, que tu as des flashs, et que tu as un personnage qui vient, et que tu as envie de construire son identité, sa personnalité, son parcours, son histoire, ce qu'il va vivre à un moment donné, soit dans un temps long ou un temps court. Donc ça, ça te vient, et après c'est comment tu l'écris. C'est plutôt la technique de l'écriture, c'est ça ? Tu vas aller rechercher, parce que tu as l'idée en tête.

  • Speaker #1

    Je ne sais même pas une idée, tu l'as bien dit, c'est plutôt des voix, parfois des images, parfois des situations. Tu vois, par exemple, je sais... Je sais déjà qui sera le personnage principal du prochain roman, en tout cas j'ai son nom, je sais que c'est une femme, je vois à peu près son profil, mais tout le reste est à bâtir. D'abord pour moi l'esthétique de roman. Est-ce que je veux un roman ample, lyrique, avec beaucoup de souffle ? Est-ce qu'au contraire je veux un roman extrêmement resserré, avec une écriture plus minimaliste ? Est-ce que je veux que ce soit très poétique ? Au contraire, est-ce que je veux que ce soit âpre ? Et là je viens à plus j'ai... j'ai envie d'aller vers la protée. Donc la deuxième chose qui se précise c'est quelle esthétique, quelle forme. Et ensuite lorsque j'étais plus jeune je pensais que l'histoire surgirait naturellement, ce qui est vrai parce que nous sommes tous tissés d'histoire et qu'il y a toujours un moment où s'il y a une forme pour les accueillir elle remonte à la surface. Simplement je laissais l'histoire se déployer comme elle le voulait bien et j'exerçais très peu de contrôle là-dessus. J'ai de plus en plus d'intérêt pour la chose narrative. Et j'essaye de tenir tout ensemble, la langue, la psychologie des personnages, et une narration qui soit tenue, beaucoup plus tenue que dans mes textes précédents. Et tenir tous ces paramètres ensemble, il y a, seuls les grands génies de la littérature savent le faire. Il y a toujours un moment où, lorsqu'on n'est pas un grand génie de la littérature, lorsqu'on est une romancière du XXIe siècle, il y a toujours un moment où il y a un pan qui est plus compliqué à tenir. que les autres.

  • Speaker #0

    Et combien de temps tu décides qu'à un moment donné, ça y est, là, il faut l'envoyer et après, il y a des relectures.

  • Speaker #1

    L'univers a inventé vraiment une créature merveilleuse qui s'appelle l'éditeur. et qui lorsque toi tu ne sais plus rien tu es dans le brouillard, tu ne vois absolument plus tu relis une page et tu as l'impression qu'elle ne veut rien dire, tu as tellement relu ton texte, tu as tellement travaillé que tu n'es même plus capable de te dire si ça a un sens et à ce moment là tu vois envoies ton texte à ton éditeur ou ton éditrice. Plus jeune, encore une fois, je pensais que j'envoyais mes textes achevés, complètement achevés, en bonne élève qui a bien fait son travail et qui attend la sanction du professeur. Maintenant j'aime beaucoup le dialogue avec les éditeurs parce que je me rends compte qu'il n'y a aucune intrusion dans l'intimité que j'ai avec le texte. Il n'y a aucun danger, ils me laisseront faire absolument ce que je veux.

  • Speaker #0

    je veux mais j'ai besoin du dialogue sur toutes ces considérations techniques au sens noble au panier mans est important extrêmement important et en donne des challenges comme toi tu te donnes une pression en

  • Speaker #1

    fait l'accompagnement aller à trouver des ressources externe humaine oui humaine humaine et évidemment professionnelle un très bon éditeur est celui qui t'aide en entendant ta voix, te montre des films que tu n'as pas tirés, des choses qui posent problème, toujours à partir de ton texte. Et puis j'ai un deuxième type d'interlocuteur et de ressources formidables, ce sont d'autres auteurs. Au moment des Gans du Ressent, je te l'ai dit... Je n'ai pas connaissait aucun collègue, j'étais toujours professeur en Normandie, avec très peu de connexion aux autres. Et en général, les auteurs sont très solitaires. Après les grandes générations, je suis partie au Japon. J'ai aussi fui le succès fausse beaucoup de choses, donc il était nécessaire de s'éloigner pendant un temps. Mais maintenant, j'ai grand plaisir à parler du travail avec des amis auteurs avec lesquels il y a une vraie discussion et une vraie connivence, en particulier parce que nous avons des univers romanistes totalement différents qui est extrêmement fructueuse.

  • Speaker #0

    Processus, en fait, partager un peu son processus.

  • Speaker #1

    Oui, et même faire lire, faire lire et avoir un regard, cette fois-ci non pas du tout éditorial. Je ne crois pas que ce soit si courant une confiance totale entre auteurs. Enfin, je discute avec deux ou trois très grands amis auteurs. Il y en a un seul à qui j'envoie mes esquisses ou à qui je demande son avis. Alors là, d'écrivain, pas d'éditeur. Et c'est Jean-Baptiste Delamaux.

  • Speaker #0

    Voir des gens de confiance,

  • Speaker #1

    c'est important. Et Jean-Baptiste, travail pour lequel j'ai une très grande admiration. Jean-Baptiste et moi avons des univers romanesques. pratiquement aux antipodes l'un de l'autre, sauf que pour l'un comme pour l'autre, la question esthétique est majeure. Et pour l'un comme pour l'autre, le but est le même, l'exploration sans cesse de nouveaux territoires pour aller au-delà de ce qu'on a fait jusque-là.

  • Speaker #0

    Et toutes ces expériences, ce processus, cette pression, mais en même temps que tu aimes, cette pression de travail, parce que tu aimes le travail, est-ce que ça transforme personnellement une vision du monde, cette exigence en fait. Tu as une exigence telle, est-ce que ça se transporte sur d'autres pans de ta vie ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas facile de répondre à cette question parce que, en fait, comme je suis monomaniaque, que je ne fais pour le moment qu'écrire et que c'est mon unique passion, brûlante mais vraiment unique, c'est presque toute ma vie. À l'exception, bien entendu, de ma vie amoureuse et amicale, l'écriture emplit tous les secteurs de ma vie. Une grande partie de mes amis font partie du monde éditorial. L'écriture infiltre pratiquement tous les secteurs de ma vie. Et ce que je sais, c'est qu'écrire des romans, pour le coup, c'est une règle générale, je crois, te transforme. De la même façon que la lecture de romans m'a transformée en tant que lectrice, que certains romans ont fait de moi quelqu'un d'autre, le fait d'écrire des romans transforme ton regard sur le monde, c'est certain.

  • Speaker #0

    Justement, j'avais une question là-dessus. En tant que romancière, on pourrait naturellement se demander comment tes expériences de vie influencent tes personnages. Mais à t'écouter, à te connaître, à avoir écouté plusieurs interviews... Moi, j'aimerais plutôt savoir si ce que tu racontes de ton processus d'écriture, si ces personnages, par leur intensité, parce que c'est des personnages à chaque fois avec une forte personnalité, une profondeur, une intensité, qui est quand même très touchante, voire bouleversante des fois, comment tes personnages plutôt influencent la vie ?

  • Speaker #1

    Je vais quand même répondre brièvement à la première question que tu ne poses pas. pour poser à la seconde. Il y a une très belle métaphore de Milan Kundera qui incite dans l'art du roman, où il explique qu'écrire un roman, c'est déconstruire la maison de sa vie et avec les briques, en reconstruire une autre, celle du roman. Donc, il est vain de chercher les éléments autobiographiques dans l'œuvre d'un vrai romancier, parce que l'autofiction, c'est tout à fait autre chose. Mais pour les romanciers de fiction, La question de l'implication personnelle ou de ce qu'on met de soi dans les personnages est pratiquement pas intéressante. En revanche, ce qui est vraiment passionnant et c'est pour ça que j'aime beaucoup ta question, c'est qu'écrire un roman c'est devenir quelqu'un d'autre. Le temps de l'écriture, être quelqu'un d'autre. Et le temps de la lecture aussi. Quand on lit un roman dans lequel on rentre, pendant un temps donné, on est dans l'intériorité de quelqu'un d'autre. C'est encore plus fort qu'au cinéma où l'image nous coupe de l'autre. Là, par la magie de la lecture silencieuse, on devient quelqu'un d'autre. Et donc, je crois profondément que ce devenir quelqu'un d'autre, qui est très fort dans la lecture comme dans l'écriture, te modifie. C'est pour ça que nous misons des romans. C'est pour avoir accès à l'autre. Et la rencontre avec l'autre est toujours un modificateur. puissant de notre destinée, de notre analyse de la vie, de notre capacité à... Il en reste quelque chose et vraiment, quand j'écris... J'ai l'impression que je suis quelqu'un d'autre. C'est une réincarnation, vraiment. Je crois que c'est une réincarnation.

  • Speaker #0

    Par exemple, tu écris, après tu vas dîner, tu vas rencontrer des amis, tu vas au cinéma, tu sors de ce personnage et tu re-rentres quand tu es sur ta table, ton bureau, pour écrire ?

  • Speaker #1

    Globalement, oui, mais autrefois, vraiment, je posais le stylo et je pensais à tout à fait autre chose et je me remettais au travail le lendemain matin. Maintenant, quand même, j'espère que c'est un bon signe. Je pense, quand je suis vraiment plein dans l'écriture du texte, je pense au texte. Il y a des répliques de personnages qui me viennent à l'esprit, des gestes, je les vois faire un geste, je les vois s'incarner. Et d'ailleurs, jusqu'à Une rose seule, mon avant-avant-dernier roman, une fois que j'avais terminé le roman, je disais adieu à mes personnages sans aucun remords.

  • Speaker #0

    C'est ce que j'ai entendu. Et justement, je me demandais, parce que vous me disiez, comment on peut abandonner ces personnages si forts, alors que ça a dû demander une réflexion tellement forte pour les construire. Vous me dites, mais en fait, c'est parce que tu les gardes un peu avec toi quand même, inconsciemment. En fait, tu ne les lâches pas vraiment, mais ils ont pris, comme ma question précédente, ils t'ont un peu transformé, donc du coup, ils sont un peu avec toi.

  • Speaker #1

    Ils font partie de ta vie. Oui, mais ils font partie du passé quand même. Jusqu'à un certain moment, j'avais de la tendresse pour eux. Lorsque je devais relire mes textes, mes premiers textes, je les regardais avec la tendresse qu'on a pour des copains de jeunesse qu'on a complètement perdus de vue. Je regarde mes livres avec l'impression que c'est vraiment des créations de la jeunesse. à la fois la tendresse et le sens critique qu'on a à l'égard de ce qu'on a fait quand on était jeune. Les choses ont changé avec une rose seule, parce que c'est la première fois que les personnages insistaient autant en moi, et à tel point qu'après avoir voulu écrire tout à fait autre chose, j'ai décidé qu'un des personnages secondaires de ce roman deviendrait le personnage principal du suivant, et je suis restée dans le même univers. Et je me suis rendu compte que je pourrais continuer ça indéfiniment, prendre d'autres personnages secondaires et en faire de nouveau dans une sorte de comédie humaine, à ma façon.

  • Speaker #0

    Thomas Seldor, il y a aussi deux personnages secondaires.

  • Speaker #1

    Qui pourraient devenir... Oui, et tu sais, quand tu dis on moi, la première, j'ai envie de découvrir, parce que tant que je n'ai pas écrit, que je n'ai pas pris la voix d'un personnage, ou que je ne parle pas de lui, je ne sais pas qui il est. Je le découvre en même temps que je l'écris et donc en même temps que le lecteur. Et là maintenant les personnages de mes romans insistent beaucoup et me donnent envie de continuer, ce qui est un danger. Parce que pour écrire correctement, il faut quand même sortir de sa zone de confort, il faut être capable d'aller ailleurs. Quand ça devient trop confortable, c'est un mauvais signe.

  • Speaker #0

    Pourquoi c'est confortable ? un personnage secondaire dans un roman, de le reprendre et de le refaire vivre ?

  • Speaker #1

    Parce que c'est la même esthétique. D'accord. Bien sûr que tu peux, tu peux, mais tu vas quand même avoir beaucoup d'inchangés. Beaucoup de choses qui vont être inchangées. Par exemple, Thomas Hengderm, mon dernier roman, qui suit les deux romans japonais, devait se passer au Japon au début, en partie au Japon, non pas entre le Brac en France et Amsterdam et la mer du Nord aux Pays-Bas, mais... entre Loubraque et Kyoto. Et mes éditeurs m'ont dit très justement si on était toi, on n'insisterait pas. Et ils avaient raison parce que encore une fois, j'aurais ronronné. Là où il faut surtout pas ronronner.

  • Speaker #0

    Surtout que tu décris bien Kyoto dans ces deux romans déjà.

  • Speaker #1

    Surtout que Kyoto a été le personnage presque principal de ces deux romans et que c'est inépuisable bien sûr, mais le décor ne convenait plus. pour explorer pour toi pratiquement les mêmes questions existentielles très bien moi je voudrais revenir sur ce moment décisif qui nous a amené jusqu'ici et quel parcours quelle

  • Speaker #0

    réflexion quelle maturité littéraire ça t'a apporté toutes ces 24 années quand même et si tu pouvais revenir à ce moment décisif L'appel de Jean-Marie Lachy, novembre 99. Que dirais-tu à la Murielle que tu étais à ce moment-là ?

  • Speaker #1

    C'est une belle question, elle est difficile. Je pense que je lui dirais que je sais qu'elle va écrire beaucoup d'autres livres. Parce qu'écrire un premier roman, il y a beaucoup de primo-romanciers qui ne publieront jamais un second ou un deuxième roman. Et à l'époque, je ne me vivais absolument pas comme une romancière ou une écrivaine. Je ne pourrais même pas te dire comment je me représentais et qui j'étais, mais ça me paraissait presque... J'avais une telle révérence pour la littérature et pour la littérature classique que j'ai lue dans ma jeunesse et la littérature contemporaine en général que je ne me sentais pas faire partie de cette... communauté. Il a fallu du temps pour que j'accepte que c'était mon destin et pour que je désire que ce soit mon destin et que je revendique que ce soit mon destin. Donc je crois que je lui dirai mais c'est ton destin, c'est ton destin, c'est très clair et ça n'était pas à l'époque.

  • Speaker #0

    Merci parce que c'est passionnant et envoûtant on va dire. Que souhaiterais-tu que nos auditeurs retiennent ? histoire et une autre question, qu'aimerais-tu qu'ils disent de toi après cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je commence par la fin. La question de ce que les autres disent de nous est une question qu'en général, de nous et de moi en particulier, est une question en général que j'essaye de ne pas me poser, ce que je la trouve terrifiante toujours. Mais je vais quand même y réfléchir pendant que je réponds à la première. Tes questions m'incitent à me font penser que ce que j'aimerais qu'on retienne c'est que il y a une telle une telle plus-value de la littérature romanesque dans la possibilité d'entendre l'autre à une époque où je trouve que c'est devenu très très difficile que j'aimerais qu'on retienne ça que lire des romans c'est l'accès à une complexité et une altérité qui ne peuvent pas s'atteindre autrement. Je consacre ma vie aux romans, en grande partie pour cette raison. Bien sûr, j'aime la langue, la langue française, j'aime les histoires, mais surtout, j'ai la passion de comprendre l'autre et de saisir cette complexité par tous les moyens possibles. Très bien. Donc, lisez des romans. Très bien. Oui, surtout,

  • Speaker #0

    comme tu l'as dit tout à l'heure, ça nous transforme, ça nous aide, ça nous accompagne. Et je pense que c'est une vraie thérapie, quelque part.

  • Speaker #1

    Oui, et puis, je vais citer encore une fois Kundera, il disait que la vie en tant que telle est défaite, puisqu'elle s'achemine toujours vers sa fin, et puis elle est extrêmement chaotique. C'est très compliqué de comprendre quelque chose à l'existence. Et que le roman est la tentative précisément d'entrevoir une lumière dans cette complexité et ce chaos. J'y crois profondément.

  • Speaker #0

    La deuxième question. Qu'aimerais-tu que nos auditeurs disent de toi à la suite de cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je suis vraiment incapable de répondre à la question, mais je vais te dire ce que j'ai répondu un jour à une journaliste. C'était où ? C'était en Afrique du Sud, qui me demandait qu'est-ce que vous voudriez qu'il y ait sur votre tombe ? Quel épitaphe souhaiteriez-vous ? J'ai réfléchi et j'ai dit... J'aimerais qu'il y ait écrit Elle a essayé Et je crois profondément que la vie n'est pas faite pour réussir, elle est faite pour essayer, si ça marche, très bien, mais c'est surtout le fait de t'essayer sans cesse qui est intéressant.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est un peu une devise.

  • Speaker #1

    J'ai deux devises, c'est celle-ci. C'est La vie est faite pour essayer Et je pense même que, enfin ça c'est pour faire un peu un télo, mais ça me vient d'une lecture de jeunesse de Kierkegaard. Et il y a un proverbe que j'utilise souvent, je vais le dire en anglais parce que la première fois que j'en ai entendu parler, c'était en anglais, mais c'est un vieux proverbe persan. Un proverbe qui dit this too shall pass ça aussi ça passera. Et avoir conscience que tout est éphémère, c'est aussi la leçon du Japon, c'est la leçon du roman. Je trouve que c'est une devise qui permet de relativiser et de ne pas se prendre au sérieux.

  • Speaker #0

    Merci Muriel.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Fabienne. Pour conclure,

  • Speaker #0

    moi je dirais que ce que je retiens de tes romans, et notamment les derniers où le deuil est très présent, c'est qu'il faut absolument se dire les choses en temps réel. Certes, c'est une évidence, mais peu pratiquée, je trouve, mais pas chez toi d'ailleurs. Cela vient sûrement peut-être d'un des personnages que tu as gardé en toi. Alors, chère Muriel, en guise de reconnaissance profonde, je tiens à te remercier non seulement en tant que précieuse invitée aujourd'hui, mais aussi pour ce que tu es en tant que femme, romancière et amie. Mes chers auditeurs, j'espère que ce premier épisode vous a conquis. Et je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour le deuxième épisode avec une invité touchante qui saura nous faire venir aussi des émotions intenses. Merci.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

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Description

C’est un privilège de recevoir pour ce tout premier épisode Muriel Barbery, une des romancières françaises les plus connues, dont les œuvres ont profondément marqué le paysage littéraire contemporain. Connue pour sa sensibilité et sa finesse dans l’exploration des émotions humaines, elle nous fait le grand honneur de partager avec nous ses réflexions sur l’art de l’écriture et un moment déterminant de sa carrière. Alors prenez-un temps pour vous et écouter ce podcast qui vous emmène à la découverte de son univers.



Vous pouvez me joindre à jevousracontedesvies@gmail.com

Fabienne Colboc


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à ce premier épisode, je vous raconte... Pour ce tout premier épisode, j'ai l'immense honneur d'accueillir une romancière dont le talent et la sensibilité touchent des lecteurs à travers le monde depuis 24 ans. Bonjour Muriel Barberé.

  • Speaker #1

    Bonjour Fabienne.

  • Speaker #0

    C'est un véritable privilège de débuter cette aventure avec toi, Muriel. Après une brève présentation, nous reviendrons ensemble sur les moments marquants de ton parcours littéraire et personnel, et tenter... de te découvrir sous un autre angle. Chers auditeurs, prenez un moment pour vous et profitez de cet échange avec une autrice exceptionnelle dont la présence ici me touche particulièrement. Muriel, tu es l'une des romancières françaises les plus connues, tout en restant d'une subtile discrétion. Tu as écrit sept romans, dont L'élégance du hérisson, ton deuxième opus, édité chez Gallimard et qui a touché tant de lecteurs. Plus récemment, tes deux romans japonais, pour reprendre l'expression de certains critiques littéraires,

  • Speaker #1

    Une rose seule,

  • Speaker #0

    une heure de ferveur et ton dernier ouvrage, Thomas Helder, dont tu es actuellement en pleine promotion, tous trois publiés chez Actes Sud. Dans chacune de tes œuvres, on retrouve ta capacité à révéler la beauté du quotidien, à explorer les émotions humaines et à poser des questions existentielles. Après avoir vécu au Japon et à Amsterdam, tu as choisi de revenir en Touraine, où tu es installée en pleine nature dans le chimonée. Tu aimes dire que tu vis chez tes chats, ce qui soulève sûrement des questions intéressantes sur ton quotidien et peut-être sur ton processus créatif. Alors Muriel, merci de m'accueillir. aujourd'hui chez tes cinq chats. Je sais que tu aimes parler de ton travail d'écriture et de la manière dont tu donnes vie à tes personnages. Tu entres dans leur peau avec une telle intensité, presque comme un jeu d'acteur. Cette approche te permet de transmettre une introspection profonde et de faire réfléchir tes lecteurs sur des thèmes essentiels comme la nature, l'art, l'amitié, l'amour et le deuil. Des thèmes qui te sont si chers. Nous y reviendrons au cours de notre conversation. Tu le sais, l'essence même de cette série de podcasts est de se raconter à travers un moment décisif de son histoire. Alors, chère Muriel, peux-tu nous dire quel a été ce moment pour toi ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas simple comme question, parce qu'il y a beaucoup de moments décisifs dans une vie. Puisque je suis romancière, j'aime bien m'abriter derrière mes textes. Les romanciers ont pour vocation d'être quelqu'un d'autre, de ne pas être eux-mêmes. et à travers un égo fictif d'explorer l'existence. Je vais parler d'un moment décisif professionnel, mais qui a eu des retentissements considérables sur ma vie personnelle. Ce moment décisif, c'est un jour de novembre 1999, lorsque Jean-Marie Aclaftin, des éditions Gallimard, appelle chez moi, en Normandie, à l'époque où j'enseignais. Mon mari de l'époque décroche, me crie dans l'escalier que Jean-Marie Acleftine des éditions Gallimard veut me parler. Je pense que c'est une plaisanterie et ça n'en est pas une puisque deux mois plus tôt j'ai envoyé le manuscrit de mon premier roman à quelques grandes maisons d'édition françaises dont bien sûr Gallimard. J'ai déjà reçu trois réponses négatives. qui m'ont beaucoup moins contrariée qu'elles m'ont contrariée mon mari de l'époque, puisqu'on en parlera sans doute plus tard, mais la publication n'a jamais été un rêve, et me paraissait impossible. Mais c'était donc bien Jean-Marie qui avait lu le manuscrit de ce qui allait devenir une gourmandise, et qui me disait extrêmement gentiment tout le bien qu'il avait pensé du texte. qu'il allait le défendre devant le comité de lecture trois semaines plus tard, mais qu'il était assez confiant dans sa force de conviction. Et l'aventure a commencé là, à ce moment-là. Donc j'étais enseignante en Normandie, je commençais déjà à en avoir assez d'enseigner. Je savais que c'était un métier que je ne voulais pas faire toute ma vie. J'avais de plus en plus envie d'écrire et soudain, un nouveau monde s'ouvrait devant moi, celui de la... Celui de l'édition et de la publication. Trois semaines plus tard, Jean-Marie a rappelé pour dire que le roman serait publié à la rentrée suivante, donc en septembre 2000, dans la collection blanche de Gallimard.

  • Speaker #0

    Et là, tout commence.

  • Speaker #1

    Et là, tout commence, mais ça, je ne sais pas ce qui commence, bien sûr, puisque je suis enseignante dans un institut de formation des maîtres à Saint-Lô dans la Manche. Je ne suis pas parisienne, je ne connais pas... pas du tout au milieu de l'édition. Je n'ai aucune idée de ce que c'est que l'aventure éditoriale. Et je vais découvrir un monde qui maintenant est le mien.

  • Speaker #0

    Et as-tu craint ce moment ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. J'ai... Non. Bon, déjà, j'ai rencontré, donc, peu de temps après, Jean-Marie à Paris. Alors, je me souviens de la première fois où je suis entrée dans le hall des éditions Gallimard, à l'époque rue Sébastien Bottin. Et dans ce hall, il y a des portraits, des très beaux portraits des écrivains qui sont publiés, des écrivains de la rentrée. et puis de quelques écrivains tutélaires. C'est impressionnant quand même de se retrouver jeune romancière. J'avais 30 ans, je n'avais pas 20 ans, j'étais déjà un peu mûre.

  • Speaker #0

    Adulte confirmé.

  • Speaker #1

    Adulte confirmé, n'ayant pour l'instant rien fait sur le plan éditorial. Et je me souviens d'avoir pensé que je rentrais vraiment dans un temple de la littérature, dans un sanctuaire. inaccessible jusque là.

  • Speaker #0

    Quelles questions se posent à ce moment là ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vient à l'esprit ? Le cerveau ne fonctionne pas très vite à ce moment là. J'ai vu Jean-Marie descendre de l'escalier et j'ai été tellement intimidée que je l'ai regardée. J'ai vu tout de suite l'extrême gentillesse et le sourire bienveillant de Jean-Marie. On est allé déjeuner, on a mangé des huîtres je me souviens. Et là, on a parlé du texte, les choses ont commencé, mais j'étais très en confiance avec lui, tout de suite. Ça a été comme une évidence. Oui, et puis j'ai eu beaucoup de chance dans ma vie éditoriale, parce que sur mon chemin, il y a vraiment eu, et le premier était Jean-Marie, de très grands professionnels avec lesquels j'ai vraiment beaucoup aimé travailler, et qui ont été des interlocuteurs privilégiés. Je ne me suis jamais sentie seule, même si... Après la publication de Une Gourmandise, qui a eu un petit succès d'estime que j'ai trouvé formidable, mais qui n'a pas été un succès commercial majeur, je ne connaissais quand même pas grand monde. Je suis retournée à l'enseignement, je suis retournée dans ma province, j'ai continué à enseigner et à écrire. Mais disons que ça a été une sorte de parenthèse. Ce n'est qu'après... l'élégance du hérisson, que je suis rentrée de plein pied dans le monde éditorial. Éditorial et du succès. Alors oui, ça, ce n'était pas prévu.

  • Speaker #0

    Et pour revenir à une gourmandise, au moment où tu dis que c'était une évidence, que tu n'avais pas peur, que tu étais tout de suite en confiance, est-ce que ce n'est pas le fait aussi que ce n'était pas forcément ce que tu souhaitais, d'être édité, donc tu n'avais rien à perdre ?

  • Speaker #1

    J'étais tout près de la vérité, je me rends compte que je n'attendais rien. En fait, je n'avais aucune attente particulière, sauf la joie de me dire que quelqu'un, un éditeur comme Jean-Marie, allait me publier. Tout le reste me semblait être du bonus à venir, mais irréprésentable. Et donc, tout ce que je souhaitais, c'est que Jean-Marie soit heureux de ce qui se produirait. J'étais confiante.

  • Speaker #0

    Après 2006, l'élégance du hérisson, qu'est-ce qui se passe pendant ces six ans ? Est-ce que justement, là, il n'y a pas la pression de se dire qu'il faut que le deuxième soit absolument aussi édité ? Est-ce qu'il n'y a pas cette pression-là, du coup, de la première fois qu'ils disent qu'il faut qu'il y ait une deuxième fois ?

  • Speaker #1

    Non, à ce moment-là, je ne raisonne pas du tout comme ça. C'est drôle parce que je viens de me souvenir en t'écoutant que quand j'ai envoyé le manuscrit de l'élégance du haïson, Jean-Marie l'a lu, et j'ai reçu son mail. de retour d'après-lecture et ça commençait par Cela valait la peine d'attendre ! Puisque en effet, six ans, c'est long. Et beaucoup de primo-romanciers transforment le second essai beaucoup plus vite, avec beaucoup plus de rapidité et de vivacité que moi. Mais je n'avais pas de pression parce que là, encore une fois, je n'avais pas d'attente. Ça s'était très bien passé, mais de façon très douce et sans excès aucun. ni dans un sens ni dans l'autre. J'étais complètement libre d'écrire ce que je voulais. Jean-Marie me soutenait très gentiment. Donc, de la même façon, tu sais, la pression pour moi, elle est toujours au même endroit. La pression, c'est toujours est-ce que je vais réussir à progresser ? Progresser au sens de conquérir des nouveaux territoires, affiner mon travail, être capable d'aller au-delà de ce que j'ai fait jusque-là en termes de profondeur, en termes de... de construction en termes de tout ce qui représente le défi du roman. Cette pression-là, elle croît avec les années, ça c'est certain. En fait, elle croît avec l'ambition. L'ambition, pas du tout au sens de l'ambition commerciale, mais l'ambition littéraire.

  • Speaker #0

    On a une pression, c'est peut-être. En fait, j'ai l'impression, en t'entendant, que tu n'as pas trop de pression extérieure, mais plutôt toi-même.

  • Speaker #1

    Il y a une pression interne et il y a des parasitages extérieurs, puisque bien sûr, la publication implique de rentrer, de faire partie d'un écosystème dans lequel il y a des enjeux divers, il y a des enjeux littéraires, il y a des enjeux financiers, il y a des enjeux statutaires. Et ça, pour moi, c'est des parasitages. Ce sont des choses que je dois absolument évacuer, m'ôter de l'esprit quand j'écris. Et j'y arrive. C'est plus compliqué quand on a été beaucoup lu, quand on a désormais une visibilité. Mais ça, c'est possible. En revanche, la pression interne, je dois bien constater qu'elle est de plus en plus grande. Oui, parce que je... Je lis quand je repense à la manière dont j'ai écrit mes deux ou trois premiers romans, dans une espèce d'enthousiasme juvénile, où le seul enjeu c'est de se laisser porter par sa plume, de suivre ce qui vient, et de jouir de la possibilité de déployer des moyens littéraires qui sont en fait assez restreints, je m'en rends compte maintenant. Donc il y a... Il y a une sorte d'enthousiasme qui recouvre tout un tas de problèmes. Et ce qui m'intéresse maintenant, c'est de m'affronter à ces problèmes littéraires et d'arriver à faire ce que je ne savais pas faire jusque-là, à explorer une part de l'art romanesque dont j'étais incapable plus jeune. Et chaque fois, évidemment, j'échoue, ce qui me donne envie d'écrire encore un nouveau livre qui, lui, pourra...

  • Speaker #0

    Tu n'as pas l'impression d'échouer.

  • Speaker #1

    Toujours ! J'ai toujours l'impression d'échouer parce que le but que je me fixe est par définition inaccessible, mais j'essaye de m'en rapprocher le plus possible. Et ce qui est assez étonnant, c'est que le but évidemment n'est pas le même. Il n'y a pas un but ultime que livre après livre je poursuivrai. La vision de ce but change avec la maturité.

  • Speaker #0

    Et comment on gère cette pression alors ?

  • Speaker #1

    Ça, pas toujours. très très bien, c'est-à-dire que c'est beaucoup plus dur d'écrire c'est beaucoup plus dur de bâtir un roman, beaucoup plus dur au sens de ça demande une concentration une réflexion plus intense, beaucoup plus de doute et beaucoup plus de frustration à ne pas réussir à faire ce que je veux faire, mes chats en savent quelque chose, c'est curieux ce que je voulais te dire mais en même temps c'est tout l'intérêt de la chose c'est-à-dire que j'aime cette bataille et Il y a eu un moment, une transition entre probablement mon troisième ou mon quatrième roman, où ça a basculé, où je me suis rendue compte que la bataille ne cesserait jamais et qu'elle deviendrait de plus en plus ardue. Et en même temps, j'ai senti que j'apprenais à l'aimer. Tu l'apprivoises. Tu l'apprivoises et puis en fait, tu comprends que tout l'intérêt du travail, c'est ça. C'est une sorte de duel entre toi et toi. Mais de duel doux, parce que je n'ai aucune tendance masochiste et ce n'est pas que j'aime souffrir. C'est juste que je vois que de cette difficulté et de ces obstacles vont surgir des choses nouvelles. Et ça rend la bataille aimable.

  • Speaker #0

    Que nos auditeurs puissent comprendre, c'est de se dire qu'on a une telle pression interne, c'est peut-être déjà de la comprendre. de bien l'étudier, de bien l'analyser,

  • Speaker #1

    il y a une seule chose qui permet de gérer cette pression, c'est le travail. C'est la seule chose qui permet de faire en sorte qu'elle soit supportable et fructueuse. Je discutais avec ma grande amie romancière Alice Ferney, qui va d'ailleurs venir bientôt à Chinon, je discutais avec elle... Et on s'est amusé de se rendre compte qu'on avait suivi une trajectoire exactement inverse. Pendant très longtemps, Alice pensait que tout pouvait se résoudre avec du travail et que le talent, l'inspiration n'étaient que des oreilles peau dont s'habillait un travail bien fait et bien mené jusqu'au bout. Et qu'avec les années, elle s'était rendue compte que tout le travail du monde ne pourrait jamais pallier l'absence de talent. On peut discuter de ce que veut dire talent, mais en tout cas, elle a suivi ce cheminement. Moi, c'est exactement le chemin inverse que j'ai suivi, puisque jeune, je pensais qu'il suffisait d'avoir le feu sacré et d'aimer tenir une plume et que les choses suivraient, alors que maintenant, je suis convaincue que la somme, la somme oméga de ce que je fais, c'est le travail et j'aime ça et j'aime retravailler les textes, j'aime que ce soit difficile de les écrire, pas pour la difficulté en elle-même mais parce que je sais que cette difficulté sera fructueuse, j'aime... Autrefois, j'aimais le moment de la production du texte, le fait de créer un univers romanesque. Maintenant, ce que j'aime, c'est le travail après ça. Le moment où tu fais de l'orfèvrerie, le moment où tu cisènes, le moment où tu te rends compte qu'il y en a trop. et où tu restes là et soudain tu vois enfin apparaître la structure. Ça c'est le vrai plaisir, mais c'est dur, c'est dur à faire.

  • Speaker #0

    Parce que de ce que j'ai compris dans les différentes interviews, c'est que tes personnages t'arrivent. C'est un habitement comme ça, que tu as des flashs, et que tu as un personnage qui vient, et que tu as envie de construire son identité, sa personnalité, son parcours, son histoire, ce qu'il va vivre à un moment donné, soit dans un temps long ou un temps court. Donc ça, ça te vient, et après c'est comment tu l'écris. C'est plutôt la technique de l'écriture, c'est ça ? Tu vas aller rechercher, parce que tu as l'idée en tête.

  • Speaker #1

    Je ne sais même pas une idée, tu l'as bien dit, c'est plutôt des voix, parfois des images, parfois des situations. Tu vois, par exemple, je sais... Je sais déjà qui sera le personnage principal du prochain roman, en tout cas j'ai son nom, je sais que c'est une femme, je vois à peu près son profil, mais tout le reste est à bâtir. D'abord pour moi l'esthétique de roman. Est-ce que je veux un roman ample, lyrique, avec beaucoup de souffle ? Est-ce qu'au contraire je veux un roman extrêmement resserré, avec une écriture plus minimaliste ? Est-ce que je veux que ce soit très poétique ? Au contraire, est-ce que je veux que ce soit âpre ? Et là je viens à plus j'ai... j'ai envie d'aller vers la protée. Donc la deuxième chose qui se précise c'est quelle esthétique, quelle forme. Et ensuite lorsque j'étais plus jeune je pensais que l'histoire surgirait naturellement, ce qui est vrai parce que nous sommes tous tissés d'histoire et qu'il y a toujours un moment où s'il y a une forme pour les accueillir elle remonte à la surface. Simplement je laissais l'histoire se déployer comme elle le voulait bien et j'exerçais très peu de contrôle là-dessus. J'ai de plus en plus d'intérêt pour la chose narrative. Et j'essaye de tenir tout ensemble, la langue, la psychologie des personnages, et une narration qui soit tenue, beaucoup plus tenue que dans mes textes précédents. Et tenir tous ces paramètres ensemble, il y a, seuls les grands génies de la littérature savent le faire. Il y a toujours un moment où, lorsqu'on n'est pas un grand génie de la littérature, lorsqu'on est une romancière du XXIe siècle, il y a toujours un moment où il y a un pan qui est plus compliqué à tenir. que les autres.

  • Speaker #0

    Et combien de temps tu décides qu'à un moment donné, ça y est, là, il faut l'envoyer et après, il y a des relectures.

  • Speaker #1

    L'univers a inventé vraiment une créature merveilleuse qui s'appelle l'éditeur. et qui lorsque toi tu ne sais plus rien tu es dans le brouillard, tu ne vois absolument plus tu relis une page et tu as l'impression qu'elle ne veut rien dire, tu as tellement relu ton texte, tu as tellement travaillé que tu n'es même plus capable de te dire si ça a un sens et à ce moment là tu vois envoies ton texte à ton éditeur ou ton éditrice. Plus jeune, encore une fois, je pensais que j'envoyais mes textes achevés, complètement achevés, en bonne élève qui a bien fait son travail et qui attend la sanction du professeur. Maintenant j'aime beaucoup le dialogue avec les éditeurs parce que je me rends compte qu'il n'y a aucune intrusion dans l'intimité que j'ai avec le texte. Il n'y a aucun danger, ils me laisseront faire absolument ce que je veux.

  • Speaker #0

    je veux mais j'ai besoin du dialogue sur toutes ces considérations techniques au sens noble au panier mans est important extrêmement important et en donne des challenges comme toi tu te donnes une pression en

  • Speaker #1

    fait l'accompagnement aller à trouver des ressources externe humaine oui humaine humaine et évidemment professionnelle un très bon éditeur est celui qui t'aide en entendant ta voix, te montre des films que tu n'as pas tirés, des choses qui posent problème, toujours à partir de ton texte. Et puis j'ai un deuxième type d'interlocuteur et de ressources formidables, ce sont d'autres auteurs. Au moment des Gans du Ressent, je te l'ai dit... Je n'ai pas connaissait aucun collègue, j'étais toujours professeur en Normandie, avec très peu de connexion aux autres. Et en général, les auteurs sont très solitaires. Après les grandes générations, je suis partie au Japon. J'ai aussi fui le succès fausse beaucoup de choses, donc il était nécessaire de s'éloigner pendant un temps. Mais maintenant, j'ai grand plaisir à parler du travail avec des amis auteurs avec lesquels il y a une vraie discussion et une vraie connivence, en particulier parce que nous avons des univers romanistes totalement différents qui est extrêmement fructueuse.

  • Speaker #0

    Processus, en fait, partager un peu son processus.

  • Speaker #1

    Oui, et même faire lire, faire lire et avoir un regard, cette fois-ci non pas du tout éditorial. Je ne crois pas que ce soit si courant une confiance totale entre auteurs. Enfin, je discute avec deux ou trois très grands amis auteurs. Il y en a un seul à qui j'envoie mes esquisses ou à qui je demande son avis. Alors là, d'écrivain, pas d'éditeur. Et c'est Jean-Baptiste Delamaux.

  • Speaker #0

    Voir des gens de confiance,

  • Speaker #1

    c'est important. Et Jean-Baptiste, travail pour lequel j'ai une très grande admiration. Jean-Baptiste et moi avons des univers romanesques. pratiquement aux antipodes l'un de l'autre, sauf que pour l'un comme pour l'autre, la question esthétique est majeure. Et pour l'un comme pour l'autre, le but est le même, l'exploration sans cesse de nouveaux territoires pour aller au-delà de ce qu'on a fait jusque-là.

  • Speaker #0

    Et toutes ces expériences, ce processus, cette pression, mais en même temps que tu aimes, cette pression de travail, parce que tu aimes le travail, est-ce que ça transforme personnellement une vision du monde, cette exigence en fait. Tu as une exigence telle, est-ce que ça se transporte sur d'autres pans de ta vie ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas facile de répondre à cette question parce que, en fait, comme je suis monomaniaque, que je ne fais pour le moment qu'écrire et que c'est mon unique passion, brûlante mais vraiment unique, c'est presque toute ma vie. À l'exception, bien entendu, de ma vie amoureuse et amicale, l'écriture emplit tous les secteurs de ma vie. Une grande partie de mes amis font partie du monde éditorial. L'écriture infiltre pratiquement tous les secteurs de ma vie. Et ce que je sais, c'est qu'écrire des romans, pour le coup, c'est une règle générale, je crois, te transforme. De la même façon que la lecture de romans m'a transformée en tant que lectrice, que certains romans ont fait de moi quelqu'un d'autre, le fait d'écrire des romans transforme ton regard sur le monde, c'est certain.

  • Speaker #0

    Justement, j'avais une question là-dessus. En tant que romancière, on pourrait naturellement se demander comment tes expériences de vie influencent tes personnages. Mais à t'écouter, à te connaître, à avoir écouté plusieurs interviews... Moi, j'aimerais plutôt savoir si ce que tu racontes de ton processus d'écriture, si ces personnages, par leur intensité, parce que c'est des personnages à chaque fois avec une forte personnalité, une profondeur, une intensité, qui est quand même très touchante, voire bouleversante des fois, comment tes personnages plutôt influencent la vie ?

  • Speaker #1

    Je vais quand même répondre brièvement à la première question que tu ne poses pas. pour poser à la seconde. Il y a une très belle métaphore de Milan Kundera qui incite dans l'art du roman, où il explique qu'écrire un roman, c'est déconstruire la maison de sa vie et avec les briques, en reconstruire une autre, celle du roman. Donc, il est vain de chercher les éléments autobiographiques dans l'œuvre d'un vrai romancier, parce que l'autofiction, c'est tout à fait autre chose. Mais pour les romanciers de fiction, La question de l'implication personnelle ou de ce qu'on met de soi dans les personnages est pratiquement pas intéressante. En revanche, ce qui est vraiment passionnant et c'est pour ça que j'aime beaucoup ta question, c'est qu'écrire un roman c'est devenir quelqu'un d'autre. Le temps de l'écriture, être quelqu'un d'autre. Et le temps de la lecture aussi. Quand on lit un roman dans lequel on rentre, pendant un temps donné, on est dans l'intériorité de quelqu'un d'autre. C'est encore plus fort qu'au cinéma où l'image nous coupe de l'autre. Là, par la magie de la lecture silencieuse, on devient quelqu'un d'autre. Et donc, je crois profondément que ce devenir quelqu'un d'autre, qui est très fort dans la lecture comme dans l'écriture, te modifie. C'est pour ça que nous misons des romans. C'est pour avoir accès à l'autre. Et la rencontre avec l'autre est toujours un modificateur. puissant de notre destinée, de notre analyse de la vie, de notre capacité à... Il en reste quelque chose et vraiment, quand j'écris... J'ai l'impression que je suis quelqu'un d'autre. C'est une réincarnation, vraiment. Je crois que c'est une réincarnation.

  • Speaker #0

    Par exemple, tu écris, après tu vas dîner, tu vas rencontrer des amis, tu vas au cinéma, tu sors de ce personnage et tu re-rentres quand tu es sur ta table, ton bureau, pour écrire ?

  • Speaker #1

    Globalement, oui, mais autrefois, vraiment, je posais le stylo et je pensais à tout à fait autre chose et je me remettais au travail le lendemain matin. Maintenant, quand même, j'espère que c'est un bon signe. Je pense, quand je suis vraiment plein dans l'écriture du texte, je pense au texte. Il y a des répliques de personnages qui me viennent à l'esprit, des gestes, je les vois faire un geste, je les vois s'incarner. Et d'ailleurs, jusqu'à Une rose seule, mon avant-avant-dernier roman, une fois que j'avais terminé le roman, je disais adieu à mes personnages sans aucun remords.

  • Speaker #0

    C'est ce que j'ai entendu. Et justement, je me demandais, parce que vous me disiez, comment on peut abandonner ces personnages si forts, alors que ça a dû demander une réflexion tellement forte pour les construire. Vous me dites, mais en fait, c'est parce que tu les gardes un peu avec toi quand même, inconsciemment. En fait, tu ne les lâches pas vraiment, mais ils ont pris, comme ma question précédente, ils t'ont un peu transformé, donc du coup, ils sont un peu avec toi.

  • Speaker #1

    Ils font partie de ta vie. Oui, mais ils font partie du passé quand même. Jusqu'à un certain moment, j'avais de la tendresse pour eux. Lorsque je devais relire mes textes, mes premiers textes, je les regardais avec la tendresse qu'on a pour des copains de jeunesse qu'on a complètement perdus de vue. Je regarde mes livres avec l'impression que c'est vraiment des créations de la jeunesse. à la fois la tendresse et le sens critique qu'on a à l'égard de ce qu'on a fait quand on était jeune. Les choses ont changé avec une rose seule, parce que c'est la première fois que les personnages insistaient autant en moi, et à tel point qu'après avoir voulu écrire tout à fait autre chose, j'ai décidé qu'un des personnages secondaires de ce roman deviendrait le personnage principal du suivant, et je suis restée dans le même univers. Et je me suis rendu compte que je pourrais continuer ça indéfiniment, prendre d'autres personnages secondaires et en faire de nouveau dans une sorte de comédie humaine, à ma façon.

  • Speaker #0

    Thomas Seldor, il y a aussi deux personnages secondaires.

  • Speaker #1

    Qui pourraient devenir... Oui, et tu sais, quand tu dis on moi, la première, j'ai envie de découvrir, parce que tant que je n'ai pas écrit, que je n'ai pas pris la voix d'un personnage, ou que je ne parle pas de lui, je ne sais pas qui il est. Je le découvre en même temps que je l'écris et donc en même temps que le lecteur. Et là maintenant les personnages de mes romans insistent beaucoup et me donnent envie de continuer, ce qui est un danger. Parce que pour écrire correctement, il faut quand même sortir de sa zone de confort, il faut être capable d'aller ailleurs. Quand ça devient trop confortable, c'est un mauvais signe.

  • Speaker #0

    Pourquoi c'est confortable ? un personnage secondaire dans un roman, de le reprendre et de le refaire vivre ?

  • Speaker #1

    Parce que c'est la même esthétique. D'accord. Bien sûr que tu peux, tu peux, mais tu vas quand même avoir beaucoup d'inchangés. Beaucoup de choses qui vont être inchangées. Par exemple, Thomas Hengderm, mon dernier roman, qui suit les deux romans japonais, devait se passer au Japon au début, en partie au Japon, non pas entre le Brac en France et Amsterdam et la mer du Nord aux Pays-Bas, mais... entre Loubraque et Kyoto. Et mes éditeurs m'ont dit très justement si on était toi, on n'insisterait pas. Et ils avaient raison parce que encore une fois, j'aurais ronronné. Là où il faut surtout pas ronronner.

  • Speaker #0

    Surtout que tu décris bien Kyoto dans ces deux romans déjà.

  • Speaker #1

    Surtout que Kyoto a été le personnage presque principal de ces deux romans et que c'est inépuisable bien sûr, mais le décor ne convenait plus. pour explorer pour toi pratiquement les mêmes questions existentielles très bien moi je voudrais revenir sur ce moment décisif qui nous a amené jusqu'ici et quel parcours quelle

  • Speaker #0

    réflexion quelle maturité littéraire ça t'a apporté toutes ces 24 années quand même et si tu pouvais revenir à ce moment décisif L'appel de Jean-Marie Lachy, novembre 99. Que dirais-tu à la Murielle que tu étais à ce moment-là ?

  • Speaker #1

    C'est une belle question, elle est difficile. Je pense que je lui dirais que je sais qu'elle va écrire beaucoup d'autres livres. Parce qu'écrire un premier roman, il y a beaucoup de primo-romanciers qui ne publieront jamais un second ou un deuxième roman. Et à l'époque, je ne me vivais absolument pas comme une romancière ou une écrivaine. Je ne pourrais même pas te dire comment je me représentais et qui j'étais, mais ça me paraissait presque... J'avais une telle révérence pour la littérature et pour la littérature classique que j'ai lue dans ma jeunesse et la littérature contemporaine en général que je ne me sentais pas faire partie de cette... communauté. Il a fallu du temps pour que j'accepte que c'était mon destin et pour que je désire que ce soit mon destin et que je revendique que ce soit mon destin. Donc je crois que je lui dirai mais c'est ton destin, c'est ton destin, c'est très clair et ça n'était pas à l'époque.

  • Speaker #0

    Merci parce que c'est passionnant et envoûtant on va dire. Que souhaiterais-tu que nos auditeurs retiennent ? histoire et une autre question, qu'aimerais-tu qu'ils disent de toi après cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je commence par la fin. La question de ce que les autres disent de nous est une question qu'en général, de nous et de moi en particulier, est une question en général que j'essaye de ne pas me poser, ce que je la trouve terrifiante toujours. Mais je vais quand même y réfléchir pendant que je réponds à la première. Tes questions m'incitent à me font penser que ce que j'aimerais qu'on retienne c'est que il y a une telle une telle plus-value de la littérature romanesque dans la possibilité d'entendre l'autre à une époque où je trouve que c'est devenu très très difficile que j'aimerais qu'on retienne ça que lire des romans c'est l'accès à une complexité et une altérité qui ne peuvent pas s'atteindre autrement. Je consacre ma vie aux romans, en grande partie pour cette raison. Bien sûr, j'aime la langue, la langue française, j'aime les histoires, mais surtout, j'ai la passion de comprendre l'autre et de saisir cette complexité par tous les moyens possibles. Très bien. Donc, lisez des romans. Très bien. Oui, surtout,

  • Speaker #0

    comme tu l'as dit tout à l'heure, ça nous transforme, ça nous aide, ça nous accompagne. Et je pense que c'est une vraie thérapie, quelque part.

  • Speaker #1

    Oui, et puis, je vais citer encore une fois Kundera, il disait que la vie en tant que telle est défaite, puisqu'elle s'achemine toujours vers sa fin, et puis elle est extrêmement chaotique. C'est très compliqué de comprendre quelque chose à l'existence. Et que le roman est la tentative précisément d'entrevoir une lumière dans cette complexité et ce chaos. J'y crois profondément.

  • Speaker #0

    La deuxième question. Qu'aimerais-tu que nos auditeurs disent de toi à la suite de cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je suis vraiment incapable de répondre à la question, mais je vais te dire ce que j'ai répondu un jour à une journaliste. C'était où ? C'était en Afrique du Sud, qui me demandait qu'est-ce que vous voudriez qu'il y ait sur votre tombe ? Quel épitaphe souhaiteriez-vous ? J'ai réfléchi et j'ai dit... J'aimerais qu'il y ait écrit Elle a essayé Et je crois profondément que la vie n'est pas faite pour réussir, elle est faite pour essayer, si ça marche, très bien, mais c'est surtout le fait de t'essayer sans cesse qui est intéressant.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est un peu une devise.

  • Speaker #1

    J'ai deux devises, c'est celle-ci. C'est La vie est faite pour essayer Et je pense même que, enfin ça c'est pour faire un peu un télo, mais ça me vient d'une lecture de jeunesse de Kierkegaard. Et il y a un proverbe que j'utilise souvent, je vais le dire en anglais parce que la première fois que j'en ai entendu parler, c'était en anglais, mais c'est un vieux proverbe persan. Un proverbe qui dit this too shall pass ça aussi ça passera. Et avoir conscience que tout est éphémère, c'est aussi la leçon du Japon, c'est la leçon du roman. Je trouve que c'est une devise qui permet de relativiser et de ne pas se prendre au sérieux.

  • Speaker #0

    Merci Muriel.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Fabienne. Pour conclure,

  • Speaker #0

    moi je dirais que ce que je retiens de tes romans, et notamment les derniers où le deuil est très présent, c'est qu'il faut absolument se dire les choses en temps réel. Certes, c'est une évidence, mais peu pratiquée, je trouve, mais pas chez toi d'ailleurs. Cela vient sûrement peut-être d'un des personnages que tu as gardé en toi. Alors, chère Muriel, en guise de reconnaissance profonde, je tiens à te remercier non seulement en tant que précieuse invitée aujourd'hui, mais aussi pour ce que tu es en tant que femme, romancière et amie. Mes chers auditeurs, j'espère que ce premier épisode vous a conquis. Et je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour le deuxième épisode avec une invité touchante qui saura nous faire venir aussi des émotions intenses. Merci.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

Description

C’est un privilège de recevoir pour ce tout premier épisode Muriel Barbery, une des romancières françaises les plus connues, dont les œuvres ont profondément marqué le paysage littéraire contemporain. Connue pour sa sensibilité et sa finesse dans l’exploration des émotions humaines, elle nous fait le grand honneur de partager avec nous ses réflexions sur l’art de l’écriture et un moment déterminant de sa carrière. Alors prenez-un temps pour vous et écouter ce podcast qui vous emmène à la découverte de son univers.



Vous pouvez me joindre à jevousracontedesvies@gmail.com

Fabienne Colboc


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à ce premier épisode, je vous raconte... Pour ce tout premier épisode, j'ai l'immense honneur d'accueillir une romancière dont le talent et la sensibilité touchent des lecteurs à travers le monde depuis 24 ans. Bonjour Muriel Barberé.

  • Speaker #1

    Bonjour Fabienne.

  • Speaker #0

    C'est un véritable privilège de débuter cette aventure avec toi, Muriel. Après une brève présentation, nous reviendrons ensemble sur les moments marquants de ton parcours littéraire et personnel, et tenter... de te découvrir sous un autre angle. Chers auditeurs, prenez un moment pour vous et profitez de cet échange avec une autrice exceptionnelle dont la présence ici me touche particulièrement. Muriel, tu es l'une des romancières françaises les plus connues, tout en restant d'une subtile discrétion. Tu as écrit sept romans, dont L'élégance du hérisson, ton deuxième opus, édité chez Gallimard et qui a touché tant de lecteurs. Plus récemment, tes deux romans japonais, pour reprendre l'expression de certains critiques littéraires,

  • Speaker #1

    Une rose seule,

  • Speaker #0

    une heure de ferveur et ton dernier ouvrage, Thomas Helder, dont tu es actuellement en pleine promotion, tous trois publiés chez Actes Sud. Dans chacune de tes œuvres, on retrouve ta capacité à révéler la beauté du quotidien, à explorer les émotions humaines et à poser des questions existentielles. Après avoir vécu au Japon et à Amsterdam, tu as choisi de revenir en Touraine, où tu es installée en pleine nature dans le chimonée. Tu aimes dire que tu vis chez tes chats, ce qui soulève sûrement des questions intéressantes sur ton quotidien et peut-être sur ton processus créatif. Alors Muriel, merci de m'accueillir. aujourd'hui chez tes cinq chats. Je sais que tu aimes parler de ton travail d'écriture et de la manière dont tu donnes vie à tes personnages. Tu entres dans leur peau avec une telle intensité, presque comme un jeu d'acteur. Cette approche te permet de transmettre une introspection profonde et de faire réfléchir tes lecteurs sur des thèmes essentiels comme la nature, l'art, l'amitié, l'amour et le deuil. Des thèmes qui te sont si chers. Nous y reviendrons au cours de notre conversation. Tu le sais, l'essence même de cette série de podcasts est de se raconter à travers un moment décisif de son histoire. Alors, chère Muriel, peux-tu nous dire quel a été ce moment pour toi ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas simple comme question, parce qu'il y a beaucoup de moments décisifs dans une vie. Puisque je suis romancière, j'aime bien m'abriter derrière mes textes. Les romanciers ont pour vocation d'être quelqu'un d'autre, de ne pas être eux-mêmes. et à travers un égo fictif d'explorer l'existence. Je vais parler d'un moment décisif professionnel, mais qui a eu des retentissements considérables sur ma vie personnelle. Ce moment décisif, c'est un jour de novembre 1999, lorsque Jean-Marie Aclaftin, des éditions Gallimard, appelle chez moi, en Normandie, à l'époque où j'enseignais. Mon mari de l'époque décroche, me crie dans l'escalier que Jean-Marie Acleftine des éditions Gallimard veut me parler. Je pense que c'est une plaisanterie et ça n'en est pas une puisque deux mois plus tôt j'ai envoyé le manuscrit de mon premier roman à quelques grandes maisons d'édition françaises dont bien sûr Gallimard. J'ai déjà reçu trois réponses négatives. qui m'ont beaucoup moins contrariée qu'elles m'ont contrariée mon mari de l'époque, puisqu'on en parlera sans doute plus tard, mais la publication n'a jamais été un rêve, et me paraissait impossible. Mais c'était donc bien Jean-Marie qui avait lu le manuscrit de ce qui allait devenir une gourmandise, et qui me disait extrêmement gentiment tout le bien qu'il avait pensé du texte. qu'il allait le défendre devant le comité de lecture trois semaines plus tard, mais qu'il était assez confiant dans sa force de conviction. Et l'aventure a commencé là, à ce moment-là. Donc j'étais enseignante en Normandie, je commençais déjà à en avoir assez d'enseigner. Je savais que c'était un métier que je ne voulais pas faire toute ma vie. J'avais de plus en plus envie d'écrire et soudain, un nouveau monde s'ouvrait devant moi, celui de la... Celui de l'édition et de la publication. Trois semaines plus tard, Jean-Marie a rappelé pour dire que le roman serait publié à la rentrée suivante, donc en septembre 2000, dans la collection blanche de Gallimard.

  • Speaker #0

    Et là, tout commence.

  • Speaker #1

    Et là, tout commence, mais ça, je ne sais pas ce qui commence, bien sûr, puisque je suis enseignante dans un institut de formation des maîtres à Saint-Lô dans la Manche. Je ne suis pas parisienne, je ne connais pas... pas du tout au milieu de l'édition. Je n'ai aucune idée de ce que c'est que l'aventure éditoriale. Et je vais découvrir un monde qui maintenant est le mien.

  • Speaker #0

    Et as-tu craint ce moment ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout. J'ai... Non. Bon, déjà, j'ai rencontré, donc, peu de temps après, Jean-Marie à Paris. Alors, je me souviens de la première fois où je suis entrée dans le hall des éditions Gallimard, à l'époque rue Sébastien Bottin. Et dans ce hall, il y a des portraits, des très beaux portraits des écrivains qui sont publiés, des écrivains de la rentrée. et puis de quelques écrivains tutélaires. C'est impressionnant quand même de se retrouver jeune romancière. J'avais 30 ans, je n'avais pas 20 ans, j'étais déjà un peu mûre.

  • Speaker #0

    Adulte confirmé.

  • Speaker #1

    Adulte confirmé, n'ayant pour l'instant rien fait sur le plan éditorial. Et je me souviens d'avoir pensé que je rentrais vraiment dans un temple de la littérature, dans un sanctuaire. inaccessible jusque là.

  • Speaker #0

    Quelles questions se posent à ce moment là ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vient à l'esprit ? Le cerveau ne fonctionne pas très vite à ce moment là. J'ai vu Jean-Marie descendre de l'escalier et j'ai été tellement intimidée que je l'ai regardée. J'ai vu tout de suite l'extrême gentillesse et le sourire bienveillant de Jean-Marie. On est allé déjeuner, on a mangé des huîtres je me souviens. Et là, on a parlé du texte, les choses ont commencé, mais j'étais très en confiance avec lui, tout de suite. Ça a été comme une évidence. Oui, et puis j'ai eu beaucoup de chance dans ma vie éditoriale, parce que sur mon chemin, il y a vraiment eu, et le premier était Jean-Marie, de très grands professionnels avec lesquels j'ai vraiment beaucoup aimé travailler, et qui ont été des interlocuteurs privilégiés. Je ne me suis jamais sentie seule, même si... Après la publication de Une Gourmandise, qui a eu un petit succès d'estime que j'ai trouvé formidable, mais qui n'a pas été un succès commercial majeur, je ne connaissais quand même pas grand monde. Je suis retournée à l'enseignement, je suis retournée dans ma province, j'ai continué à enseigner et à écrire. Mais disons que ça a été une sorte de parenthèse. Ce n'est qu'après... l'élégance du hérisson, que je suis rentrée de plein pied dans le monde éditorial. Éditorial et du succès. Alors oui, ça, ce n'était pas prévu.

  • Speaker #0

    Et pour revenir à une gourmandise, au moment où tu dis que c'était une évidence, que tu n'avais pas peur, que tu étais tout de suite en confiance, est-ce que ce n'est pas le fait aussi que ce n'était pas forcément ce que tu souhaitais, d'être édité, donc tu n'avais rien à perdre ?

  • Speaker #1

    J'étais tout près de la vérité, je me rends compte que je n'attendais rien. En fait, je n'avais aucune attente particulière, sauf la joie de me dire que quelqu'un, un éditeur comme Jean-Marie, allait me publier. Tout le reste me semblait être du bonus à venir, mais irréprésentable. Et donc, tout ce que je souhaitais, c'est que Jean-Marie soit heureux de ce qui se produirait. J'étais confiante.

  • Speaker #0

    Après 2006, l'élégance du hérisson, qu'est-ce qui se passe pendant ces six ans ? Est-ce que justement, là, il n'y a pas la pression de se dire qu'il faut que le deuxième soit absolument aussi édité ? Est-ce qu'il n'y a pas cette pression-là, du coup, de la première fois qu'ils disent qu'il faut qu'il y ait une deuxième fois ?

  • Speaker #1

    Non, à ce moment-là, je ne raisonne pas du tout comme ça. C'est drôle parce que je viens de me souvenir en t'écoutant que quand j'ai envoyé le manuscrit de l'élégance du haïson, Jean-Marie l'a lu, et j'ai reçu son mail. de retour d'après-lecture et ça commençait par Cela valait la peine d'attendre ! Puisque en effet, six ans, c'est long. Et beaucoup de primo-romanciers transforment le second essai beaucoup plus vite, avec beaucoup plus de rapidité et de vivacité que moi. Mais je n'avais pas de pression parce que là, encore une fois, je n'avais pas d'attente. Ça s'était très bien passé, mais de façon très douce et sans excès aucun. ni dans un sens ni dans l'autre. J'étais complètement libre d'écrire ce que je voulais. Jean-Marie me soutenait très gentiment. Donc, de la même façon, tu sais, la pression pour moi, elle est toujours au même endroit. La pression, c'est toujours est-ce que je vais réussir à progresser ? Progresser au sens de conquérir des nouveaux territoires, affiner mon travail, être capable d'aller au-delà de ce que j'ai fait jusque-là en termes de profondeur, en termes de... de construction en termes de tout ce qui représente le défi du roman. Cette pression-là, elle croît avec les années, ça c'est certain. En fait, elle croît avec l'ambition. L'ambition, pas du tout au sens de l'ambition commerciale, mais l'ambition littéraire.

  • Speaker #0

    On a une pression, c'est peut-être. En fait, j'ai l'impression, en t'entendant, que tu n'as pas trop de pression extérieure, mais plutôt toi-même.

  • Speaker #1

    Il y a une pression interne et il y a des parasitages extérieurs, puisque bien sûr, la publication implique de rentrer, de faire partie d'un écosystème dans lequel il y a des enjeux divers, il y a des enjeux littéraires, il y a des enjeux financiers, il y a des enjeux statutaires. Et ça, pour moi, c'est des parasitages. Ce sont des choses que je dois absolument évacuer, m'ôter de l'esprit quand j'écris. Et j'y arrive. C'est plus compliqué quand on a été beaucoup lu, quand on a désormais une visibilité. Mais ça, c'est possible. En revanche, la pression interne, je dois bien constater qu'elle est de plus en plus grande. Oui, parce que je... Je lis quand je repense à la manière dont j'ai écrit mes deux ou trois premiers romans, dans une espèce d'enthousiasme juvénile, où le seul enjeu c'est de se laisser porter par sa plume, de suivre ce qui vient, et de jouir de la possibilité de déployer des moyens littéraires qui sont en fait assez restreints, je m'en rends compte maintenant. Donc il y a... Il y a une sorte d'enthousiasme qui recouvre tout un tas de problèmes. Et ce qui m'intéresse maintenant, c'est de m'affronter à ces problèmes littéraires et d'arriver à faire ce que je ne savais pas faire jusque-là, à explorer une part de l'art romanesque dont j'étais incapable plus jeune. Et chaque fois, évidemment, j'échoue, ce qui me donne envie d'écrire encore un nouveau livre qui, lui, pourra...

  • Speaker #0

    Tu n'as pas l'impression d'échouer.

  • Speaker #1

    Toujours ! J'ai toujours l'impression d'échouer parce que le but que je me fixe est par définition inaccessible, mais j'essaye de m'en rapprocher le plus possible. Et ce qui est assez étonnant, c'est que le but évidemment n'est pas le même. Il n'y a pas un but ultime que livre après livre je poursuivrai. La vision de ce but change avec la maturité.

  • Speaker #0

    Et comment on gère cette pression alors ?

  • Speaker #1

    Ça, pas toujours. très très bien, c'est-à-dire que c'est beaucoup plus dur d'écrire c'est beaucoup plus dur de bâtir un roman, beaucoup plus dur au sens de ça demande une concentration une réflexion plus intense, beaucoup plus de doute et beaucoup plus de frustration à ne pas réussir à faire ce que je veux faire, mes chats en savent quelque chose, c'est curieux ce que je voulais te dire mais en même temps c'est tout l'intérêt de la chose c'est-à-dire que j'aime cette bataille et Il y a eu un moment, une transition entre probablement mon troisième ou mon quatrième roman, où ça a basculé, où je me suis rendue compte que la bataille ne cesserait jamais et qu'elle deviendrait de plus en plus ardue. Et en même temps, j'ai senti que j'apprenais à l'aimer. Tu l'apprivoises. Tu l'apprivoises et puis en fait, tu comprends que tout l'intérêt du travail, c'est ça. C'est une sorte de duel entre toi et toi. Mais de duel doux, parce que je n'ai aucune tendance masochiste et ce n'est pas que j'aime souffrir. C'est juste que je vois que de cette difficulté et de ces obstacles vont surgir des choses nouvelles. Et ça rend la bataille aimable.

  • Speaker #0

    Que nos auditeurs puissent comprendre, c'est de se dire qu'on a une telle pression interne, c'est peut-être déjà de la comprendre. de bien l'étudier, de bien l'analyser,

  • Speaker #1

    il y a une seule chose qui permet de gérer cette pression, c'est le travail. C'est la seule chose qui permet de faire en sorte qu'elle soit supportable et fructueuse. Je discutais avec ma grande amie romancière Alice Ferney, qui va d'ailleurs venir bientôt à Chinon, je discutais avec elle... Et on s'est amusé de se rendre compte qu'on avait suivi une trajectoire exactement inverse. Pendant très longtemps, Alice pensait que tout pouvait se résoudre avec du travail et que le talent, l'inspiration n'étaient que des oreilles peau dont s'habillait un travail bien fait et bien mené jusqu'au bout. Et qu'avec les années, elle s'était rendue compte que tout le travail du monde ne pourrait jamais pallier l'absence de talent. On peut discuter de ce que veut dire talent, mais en tout cas, elle a suivi ce cheminement. Moi, c'est exactement le chemin inverse que j'ai suivi, puisque jeune, je pensais qu'il suffisait d'avoir le feu sacré et d'aimer tenir une plume et que les choses suivraient, alors que maintenant, je suis convaincue que la somme, la somme oméga de ce que je fais, c'est le travail et j'aime ça et j'aime retravailler les textes, j'aime que ce soit difficile de les écrire, pas pour la difficulté en elle-même mais parce que je sais que cette difficulté sera fructueuse, j'aime... Autrefois, j'aimais le moment de la production du texte, le fait de créer un univers romanesque. Maintenant, ce que j'aime, c'est le travail après ça. Le moment où tu fais de l'orfèvrerie, le moment où tu cisènes, le moment où tu te rends compte qu'il y en a trop. et où tu restes là et soudain tu vois enfin apparaître la structure. Ça c'est le vrai plaisir, mais c'est dur, c'est dur à faire.

  • Speaker #0

    Parce que de ce que j'ai compris dans les différentes interviews, c'est que tes personnages t'arrivent. C'est un habitement comme ça, que tu as des flashs, et que tu as un personnage qui vient, et que tu as envie de construire son identité, sa personnalité, son parcours, son histoire, ce qu'il va vivre à un moment donné, soit dans un temps long ou un temps court. Donc ça, ça te vient, et après c'est comment tu l'écris. C'est plutôt la technique de l'écriture, c'est ça ? Tu vas aller rechercher, parce que tu as l'idée en tête.

  • Speaker #1

    Je ne sais même pas une idée, tu l'as bien dit, c'est plutôt des voix, parfois des images, parfois des situations. Tu vois, par exemple, je sais... Je sais déjà qui sera le personnage principal du prochain roman, en tout cas j'ai son nom, je sais que c'est une femme, je vois à peu près son profil, mais tout le reste est à bâtir. D'abord pour moi l'esthétique de roman. Est-ce que je veux un roman ample, lyrique, avec beaucoup de souffle ? Est-ce qu'au contraire je veux un roman extrêmement resserré, avec une écriture plus minimaliste ? Est-ce que je veux que ce soit très poétique ? Au contraire, est-ce que je veux que ce soit âpre ? Et là je viens à plus j'ai... j'ai envie d'aller vers la protée. Donc la deuxième chose qui se précise c'est quelle esthétique, quelle forme. Et ensuite lorsque j'étais plus jeune je pensais que l'histoire surgirait naturellement, ce qui est vrai parce que nous sommes tous tissés d'histoire et qu'il y a toujours un moment où s'il y a une forme pour les accueillir elle remonte à la surface. Simplement je laissais l'histoire se déployer comme elle le voulait bien et j'exerçais très peu de contrôle là-dessus. J'ai de plus en plus d'intérêt pour la chose narrative. Et j'essaye de tenir tout ensemble, la langue, la psychologie des personnages, et une narration qui soit tenue, beaucoup plus tenue que dans mes textes précédents. Et tenir tous ces paramètres ensemble, il y a, seuls les grands génies de la littérature savent le faire. Il y a toujours un moment où, lorsqu'on n'est pas un grand génie de la littérature, lorsqu'on est une romancière du XXIe siècle, il y a toujours un moment où il y a un pan qui est plus compliqué à tenir. que les autres.

  • Speaker #0

    Et combien de temps tu décides qu'à un moment donné, ça y est, là, il faut l'envoyer et après, il y a des relectures.

  • Speaker #1

    L'univers a inventé vraiment une créature merveilleuse qui s'appelle l'éditeur. et qui lorsque toi tu ne sais plus rien tu es dans le brouillard, tu ne vois absolument plus tu relis une page et tu as l'impression qu'elle ne veut rien dire, tu as tellement relu ton texte, tu as tellement travaillé que tu n'es même plus capable de te dire si ça a un sens et à ce moment là tu vois envoies ton texte à ton éditeur ou ton éditrice. Plus jeune, encore une fois, je pensais que j'envoyais mes textes achevés, complètement achevés, en bonne élève qui a bien fait son travail et qui attend la sanction du professeur. Maintenant j'aime beaucoup le dialogue avec les éditeurs parce que je me rends compte qu'il n'y a aucune intrusion dans l'intimité que j'ai avec le texte. Il n'y a aucun danger, ils me laisseront faire absolument ce que je veux.

  • Speaker #0

    je veux mais j'ai besoin du dialogue sur toutes ces considérations techniques au sens noble au panier mans est important extrêmement important et en donne des challenges comme toi tu te donnes une pression en

  • Speaker #1

    fait l'accompagnement aller à trouver des ressources externe humaine oui humaine humaine et évidemment professionnelle un très bon éditeur est celui qui t'aide en entendant ta voix, te montre des films que tu n'as pas tirés, des choses qui posent problème, toujours à partir de ton texte. Et puis j'ai un deuxième type d'interlocuteur et de ressources formidables, ce sont d'autres auteurs. Au moment des Gans du Ressent, je te l'ai dit... Je n'ai pas connaissait aucun collègue, j'étais toujours professeur en Normandie, avec très peu de connexion aux autres. Et en général, les auteurs sont très solitaires. Après les grandes générations, je suis partie au Japon. J'ai aussi fui le succès fausse beaucoup de choses, donc il était nécessaire de s'éloigner pendant un temps. Mais maintenant, j'ai grand plaisir à parler du travail avec des amis auteurs avec lesquels il y a une vraie discussion et une vraie connivence, en particulier parce que nous avons des univers romanistes totalement différents qui est extrêmement fructueuse.

  • Speaker #0

    Processus, en fait, partager un peu son processus.

  • Speaker #1

    Oui, et même faire lire, faire lire et avoir un regard, cette fois-ci non pas du tout éditorial. Je ne crois pas que ce soit si courant une confiance totale entre auteurs. Enfin, je discute avec deux ou trois très grands amis auteurs. Il y en a un seul à qui j'envoie mes esquisses ou à qui je demande son avis. Alors là, d'écrivain, pas d'éditeur. Et c'est Jean-Baptiste Delamaux.

  • Speaker #0

    Voir des gens de confiance,

  • Speaker #1

    c'est important. Et Jean-Baptiste, travail pour lequel j'ai une très grande admiration. Jean-Baptiste et moi avons des univers romanesques. pratiquement aux antipodes l'un de l'autre, sauf que pour l'un comme pour l'autre, la question esthétique est majeure. Et pour l'un comme pour l'autre, le but est le même, l'exploration sans cesse de nouveaux territoires pour aller au-delà de ce qu'on a fait jusque-là.

  • Speaker #0

    Et toutes ces expériences, ce processus, cette pression, mais en même temps que tu aimes, cette pression de travail, parce que tu aimes le travail, est-ce que ça transforme personnellement une vision du monde, cette exigence en fait. Tu as une exigence telle, est-ce que ça se transporte sur d'autres pans de ta vie ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas facile de répondre à cette question parce que, en fait, comme je suis monomaniaque, que je ne fais pour le moment qu'écrire et que c'est mon unique passion, brûlante mais vraiment unique, c'est presque toute ma vie. À l'exception, bien entendu, de ma vie amoureuse et amicale, l'écriture emplit tous les secteurs de ma vie. Une grande partie de mes amis font partie du monde éditorial. L'écriture infiltre pratiquement tous les secteurs de ma vie. Et ce que je sais, c'est qu'écrire des romans, pour le coup, c'est une règle générale, je crois, te transforme. De la même façon que la lecture de romans m'a transformée en tant que lectrice, que certains romans ont fait de moi quelqu'un d'autre, le fait d'écrire des romans transforme ton regard sur le monde, c'est certain.

  • Speaker #0

    Justement, j'avais une question là-dessus. En tant que romancière, on pourrait naturellement se demander comment tes expériences de vie influencent tes personnages. Mais à t'écouter, à te connaître, à avoir écouté plusieurs interviews... Moi, j'aimerais plutôt savoir si ce que tu racontes de ton processus d'écriture, si ces personnages, par leur intensité, parce que c'est des personnages à chaque fois avec une forte personnalité, une profondeur, une intensité, qui est quand même très touchante, voire bouleversante des fois, comment tes personnages plutôt influencent la vie ?

  • Speaker #1

    Je vais quand même répondre brièvement à la première question que tu ne poses pas. pour poser à la seconde. Il y a une très belle métaphore de Milan Kundera qui incite dans l'art du roman, où il explique qu'écrire un roman, c'est déconstruire la maison de sa vie et avec les briques, en reconstruire une autre, celle du roman. Donc, il est vain de chercher les éléments autobiographiques dans l'œuvre d'un vrai romancier, parce que l'autofiction, c'est tout à fait autre chose. Mais pour les romanciers de fiction, La question de l'implication personnelle ou de ce qu'on met de soi dans les personnages est pratiquement pas intéressante. En revanche, ce qui est vraiment passionnant et c'est pour ça que j'aime beaucoup ta question, c'est qu'écrire un roman c'est devenir quelqu'un d'autre. Le temps de l'écriture, être quelqu'un d'autre. Et le temps de la lecture aussi. Quand on lit un roman dans lequel on rentre, pendant un temps donné, on est dans l'intériorité de quelqu'un d'autre. C'est encore plus fort qu'au cinéma où l'image nous coupe de l'autre. Là, par la magie de la lecture silencieuse, on devient quelqu'un d'autre. Et donc, je crois profondément que ce devenir quelqu'un d'autre, qui est très fort dans la lecture comme dans l'écriture, te modifie. C'est pour ça que nous misons des romans. C'est pour avoir accès à l'autre. Et la rencontre avec l'autre est toujours un modificateur. puissant de notre destinée, de notre analyse de la vie, de notre capacité à... Il en reste quelque chose et vraiment, quand j'écris... J'ai l'impression que je suis quelqu'un d'autre. C'est une réincarnation, vraiment. Je crois que c'est une réincarnation.

  • Speaker #0

    Par exemple, tu écris, après tu vas dîner, tu vas rencontrer des amis, tu vas au cinéma, tu sors de ce personnage et tu re-rentres quand tu es sur ta table, ton bureau, pour écrire ?

  • Speaker #1

    Globalement, oui, mais autrefois, vraiment, je posais le stylo et je pensais à tout à fait autre chose et je me remettais au travail le lendemain matin. Maintenant, quand même, j'espère que c'est un bon signe. Je pense, quand je suis vraiment plein dans l'écriture du texte, je pense au texte. Il y a des répliques de personnages qui me viennent à l'esprit, des gestes, je les vois faire un geste, je les vois s'incarner. Et d'ailleurs, jusqu'à Une rose seule, mon avant-avant-dernier roman, une fois que j'avais terminé le roman, je disais adieu à mes personnages sans aucun remords.

  • Speaker #0

    C'est ce que j'ai entendu. Et justement, je me demandais, parce que vous me disiez, comment on peut abandonner ces personnages si forts, alors que ça a dû demander une réflexion tellement forte pour les construire. Vous me dites, mais en fait, c'est parce que tu les gardes un peu avec toi quand même, inconsciemment. En fait, tu ne les lâches pas vraiment, mais ils ont pris, comme ma question précédente, ils t'ont un peu transformé, donc du coup, ils sont un peu avec toi.

  • Speaker #1

    Ils font partie de ta vie. Oui, mais ils font partie du passé quand même. Jusqu'à un certain moment, j'avais de la tendresse pour eux. Lorsque je devais relire mes textes, mes premiers textes, je les regardais avec la tendresse qu'on a pour des copains de jeunesse qu'on a complètement perdus de vue. Je regarde mes livres avec l'impression que c'est vraiment des créations de la jeunesse. à la fois la tendresse et le sens critique qu'on a à l'égard de ce qu'on a fait quand on était jeune. Les choses ont changé avec une rose seule, parce que c'est la première fois que les personnages insistaient autant en moi, et à tel point qu'après avoir voulu écrire tout à fait autre chose, j'ai décidé qu'un des personnages secondaires de ce roman deviendrait le personnage principal du suivant, et je suis restée dans le même univers. Et je me suis rendu compte que je pourrais continuer ça indéfiniment, prendre d'autres personnages secondaires et en faire de nouveau dans une sorte de comédie humaine, à ma façon.

  • Speaker #0

    Thomas Seldor, il y a aussi deux personnages secondaires.

  • Speaker #1

    Qui pourraient devenir... Oui, et tu sais, quand tu dis on moi, la première, j'ai envie de découvrir, parce que tant que je n'ai pas écrit, que je n'ai pas pris la voix d'un personnage, ou que je ne parle pas de lui, je ne sais pas qui il est. Je le découvre en même temps que je l'écris et donc en même temps que le lecteur. Et là maintenant les personnages de mes romans insistent beaucoup et me donnent envie de continuer, ce qui est un danger. Parce que pour écrire correctement, il faut quand même sortir de sa zone de confort, il faut être capable d'aller ailleurs. Quand ça devient trop confortable, c'est un mauvais signe.

  • Speaker #0

    Pourquoi c'est confortable ? un personnage secondaire dans un roman, de le reprendre et de le refaire vivre ?

  • Speaker #1

    Parce que c'est la même esthétique. D'accord. Bien sûr que tu peux, tu peux, mais tu vas quand même avoir beaucoup d'inchangés. Beaucoup de choses qui vont être inchangées. Par exemple, Thomas Hengderm, mon dernier roman, qui suit les deux romans japonais, devait se passer au Japon au début, en partie au Japon, non pas entre le Brac en France et Amsterdam et la mer du Nord aux Pays-Bas, mais... entre Loubraque et Kyoto. Et mes éditeurs m'ont dit très justement si on était toi, on n'insisterait pas. Et ils avaient raison parce que encore une fois, j'aurais ronronné. Là où il faut surtout pas ronronner.

  • Speaker #0

    Surtout que tu décris bien Kyoto dans ces deux romans déjà.

  • Speaker #1

    Surtout que Kyoto a été le personnage presque principal de ces deux romans et que c'est inépuisable bien sûr, mais le décor ne convenait plus. pour explorer pour toi pratiquement les mêmes questions existentielles très bien moi je voudrais revenir sur ce moment décisif qui nous a amené jusqu'ici et quel parcours quelle

  • Speaker #0

    réflexion quelle maturité littéraire ça t'a apporté toutes ces 24 années quand même et si tu pouvais revenir à ce moment décisif L'appel de Jean-Marie Lachy, novembre 99. Que dirais-tu à la Murielle que tu étais à ce moment-là ?

  • Speaker #1

    C'est une belle question, elle est difficile. Je pense que je lui dirais que je sais qu'elle va écrire beaucoup d'autres livres. Parce qu'écrire un premier roman, il y a beaucoup de primo-romanciers qui ne publieront jamais un second ou un deuxième roman. Et à l'époque, je ne me vivais absolument pas comme une romancière ou une écrivaine. Je ne pourrais même pas te dire comment je me représentais et qui j'étais, mais ça me paraissait presque... J'avais une telle révérence pour la littérature et pour la littérature classique que j'ai lue dans ma jeunesse et la littérature contemporaine en général que je ne me sentais pas faire partie de cette... communauté. Il a fallu du temps pour que j'accepte que c'était mon destin et pour que je désire que ce soit mon destin et que je revendique que ce soit mon destin. Donc je crois que je lui dirai mais c'est ton destin, c'est ton destin, c'est très clair et ça n'était pas à l'époque.

  • Speaker #0

    Merci parce que c'est passionnant et envoûtant on va dire. Que souhaiterais-tu que nos auditeurs retiennent ? histoire et une autre question, qu'aimerais-tu qu'ils disent de toi après cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je commence par la fin. La question de ce que les autres disent de nous est une question qu'en général, de nous et de moi en particulier, est une question en général que j'essaye de ne pas me poser, ce que je la trouve terrifiante toujours. Mais je vais quand même y réfléchir pendant que je réponds à la première. Tes questions m'incitent à me font penser que ce que j'aimerais qu'on retienne c'est que il y a une telle une telle plus-value de la littérature romanesque dans la possibilité d'entendre l'autre à une époque où je trouve que c'est devenu très très difficile que j'aimerais qu'on retienne ça que lire des romans c'est l'accès à une complexité et une altérité qui ne peuvent pas s'atteindre autrement. Je consacre ma vie aux romans, en grande partie pour cette raison. Bien sûr, j'aime la langue, la langue française, j'aime les histoires, mais surtout, j'ai la passion de comprendre l'autre et de saisir cette complexité par tous les moyens possibles. Très bien. Donc, lisez des romans. Très bien. Oui, surtout,

  • Speaker #0

    comme tu l'as dit tout à l'heure, ça nous transforme, ça nous aide, ça nous accompagne. Et je pense que c'est une vraie thérapie, quelque part.

  • Speaker #1

    Oui, et puis, je vais citer encore une fois Kundera, il disait que la vie en tant que telle est défaite, puisqu'elle s'achemine toujours vers sa fin, et puis elle est extrêmement chaotique. C'est très compliqué de comprendre quelque chose à l'existence. Et que le roman est la tentative précisément d'entrevoir une lumière dans cette complexité et ce chaos. J'y crois profondément.

  • Speaker #0

    La deuxième question. Qu'aimerais-tu que nos auditeurs disent de toi à la suite de cette conversation ?

  • Speaker #1

    Je suis vraiment incapable de répondre à la question, mais je vais te dire ce que j'ai répondu un jour à une journaliste. C'était où ? C'était en Afrique du Sud, qui me demandait qu'est-ce que vous voudriez qu'il y ait sur votre tombe ? Quel épitaphe souhaiteriez-vous ? J'ai réfléchi et j'ai dit... J'aimerais qu'il y ait écrit Elle a essayé Et je crois profondément que la vie n'est pas faite pour réussir, elle est faite pour essayer, si ça marche, très bien, mais c'est surtout le fait de t'essayer sans cesse qui est intéressant.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est un peu une devise.

  • Speaker #1

    J'ai deux devises, c'est celle-ci. C'est La vie est faite pour essayer Et je pense même que, enfin ça c'est pour faire un peu un télo, mais ça me vient d'une lecture de jeunesse de Kierkegaard. Et il y a un proverbe que j'utilise souvent, je vais le dire en anglais parce que la première fois que j'en ai entendu parler, c'était en anglais, mais c'est un vieux proverbe persan. Un proverbe qui dit this too shall pass ça aussi ça passera. Et avoir conscience que tout est éphémère, c'est aussi la leçon du Japon, c'est la leçon du roman. Je trouve que c'est une devise qui permet de relativiser et de ne pas se prendre au sérieux.

  • Speaker #0

    Merci Muriel.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Fabienne. Pour conclure,

  • Speaker #0

    moi je dirais que ce que je retiens de tes romans, et notamment les derniers où le deuil est très présent, c'est qu'il faut absolument se dire les choses en temps réel. Certes, c'est une évidence, mais peu pratiquée, je trouve, mais pas chez toi d'ailleurs. Cela vient sûrement peut-être d'un des personnages que tu as gardé en toi. Alors, chère Muriel, en guise de reconnaissance profonde, je tiens à te remercier non seulement en tant que précieuse invitée aujourd'hui, mais aussi pour ce que tu es en tant que femme, romancière et amie. Mes chers auditeurs, j'espère que ce premier épisode vous a conquis. Et je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour le deuxième épisode avec une invité touchante qui saura nous faire venir aussi des émotions intenses. Merci.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

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