- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce premier épisode de Jusqu'à la fin, saison 2 du podcast du Centre National Soins Palliatifs Fin de Vie. Je m'appelle Germain et pour cette seconde saison, nous allons ensemble continuer d'explorer les confins de la vie, ce territoire peu connu. Je dis peu connu parce que le sujet recouvre un certain tabou. Si chacune et chacun a été ou sera confronté à la mort et à plus forte raison à cette période, qu'est la fin de vie, ce sont des expériences très personnelles, intimes et souvent douloureuses. Autrement dit, rarement un sujet de conversation. C'est donc en novice que je vais explorer le territoire de la fin de vie avec celles et ceux qui y travaillent, celles et ceux qui, par leurs recherches ou leurs expériences, la décrivent et la pensent. Quand on creuse un peu, la définition de la fin de vie est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. C'est donc pourquoi, sur ce premier épisode, nous allons commencer par la fin. Pour nous guider tout au long de cet épisode, j'ai contacté Régis Aubry. Il est médecin en soins palliatifs depuis les années 80 et membre du Comité Consultatif National d'Éthique.
- Speaker #1
Peut-être que mon premier contact avec la question de la fin de vie, ça a été la période du sida pour moi. J'étais un jeune médecin formé à la médecine interne. Voyant que je savais beaucoup de choses, et puis d'un seul coup, me voici confronté au limite du savoir et en même temps au limite de la vie. Et c'était un choc qui m'a ensuite amené à me former au soin pathétique et puis à prendre pas mal de responsabilités dans ce champ-là.
- Speaker #0
Avant de l'appeler, je dois vous avouer que j'avais une vision assez simple de la fin de vie. C'était les derniers jours, les derniers instants de la vie d'une personne. J'ai vite compris que je me trompais sur toute la ligne.
- Speaker #1
Cette tendance à limiter la question de la fin de vie, la toute fin de vie, à mon avis, est un moyen d'éviter de penser, en quelque sorte. Alors, étrangement, ce n'est pas simple de définir la fin de vie, quand débute la fin. Peut-être qu'il y a deux approches. Une approche que je qualifierais un peu biomédicale pour définir la fin de vie, puis une approche plus personnelle, psychologique. L'approche biomédicale, finalement, et tout le monde s'entend autour de tout cela, la fin de vie, elle... commence en quelque sorte lorsque une personne est atteinte d'une maladie incurable, d'une maladie que l'on sait, que l'on ne sait pas traiter, que l'on sait ne pas savoir traiter.
- Speaker #0
La définition biomédicale que M. Régis Aubry vient de nous donner n'est pas sans rappeler une définition juridique de la fin de vie. C'est celle de la loi Claes-Leonetti de 2016, qui est la dernière loi en date d'une série de législations entamées à la fin des années 90. Selon cette loi, étant fin de vie, je cite, Une personne en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. C'est une définition qui ne résume pas la fin de vie à la toute fin de vie. Au contraire, cette définition dépend des situations propres à chacune et à chacun des patients. Je laisse M. Aubry nous expliquer.
- Speaker #1
On assimile souvent fin de vie à presque la mort. Et en réalité, plus la médecine progresse, plus la fin de vie devient un temps de l'existence. où on sait qu'on ne sait pas guérir une maladie, mais on sait la freiner, la ralentir, prolonger l'existence, possiblement pendant des mois, voire des années.
- Speaker #0
C'est à cet instant que je comprends que les avancées dans le domaine de la médecine en particulier et de la santé en général sont indissociables de la question de la fin de vie. En fait, ce n'est pas pour rien que la notion de soins palliatifs n'apparaît que dans les années 80 en France ou que l'encadrement de la fin de vie soit finalement... assez récents. Ce sont ces avancées de la médecine qui allongent l'espérance de vie. Par exemple, une femme née en 1950 pouvait espérer vivre 69,2 ans. Une femme née en 2023 peut espérer vivre 85,7 ans. Pour les hommes, on passe de 63 ans à 80. C'est plus de 16 ans en moyenne gagnés sur la mort.
- Speaker #1
Aujourd'hui, on guérit une maladie dont on mourait jadis. C'est le cas. de plus de la moitié des cancers maintenant, c'est le cas de maladies infectieuses. Mais ce progrès s'accompagne d'une autre réalité, c'est qu'il rend possible la vie sans pouvoir guérir. Autrement dit, la question de la fin de vie, on ne peut pas la limiter à la toute fin de vie, puisque les avancées de la médecine font que l'on est confronté à la question de la fin de vie. On sait que l'on ne peut pas guérir certaines maladies, mais cela n'empêche pas certaines personnes de vivre avec la confrontation, avec la question de la finitude.
- Speaker #0
Pour le patient, c'est une confrontation qui peut être difficile. Il ou elle passe de l'insouciance, une vie dont la fin a un contour abstrait, impalpable, à une certitude, celle que l'on a une maladie dont on va mourir. Mais quand ? Ce serait là la seconde définition que l'on pourrait donner de la fin de vie, une définition plus subjective, celle de la prise de conscience de sa propre finitude.
- Speaker #1
C'est souvent à ce moment-là que l'homme qui fonctionne, s'il est immortel jusque-là, en gros... ne pensant pas finalement à la question de sa propre finitude, d'un seul coup l'homme devient confronté à cette question qu'il perçoit dans son corps. C'est la question des limites, la question du temps limité, même s'il est encore important, qu'il reste à vivre.
- Speaker #0
À cette prise de conscience de la limite s'ajoutent les symptômes de la maladie, comme par exemple la douleur. C'est là que l'on peut comprendre que le rôle de la médecine n'est plus seulement de traiter la maladie elle-même. mais aussi les symptômes.
- Speaker #1
En tant que médecin professionnel de santé, cette conscience que l'on a de notre impossibilité de pouvoir guérir la maladie dont souffre une personne nous oblige à une visée de la médecine qui est celle d'essayer d'optimiser la qualité de l'existence de la personne. Il y a comme une forme de responsabilité sociale de la santé et de la médecine à développer des traitements qui ont une visée curative, petit à petit vont avoir une visée palliative, mais qui sont des traitements spécifiques, des traitements qui vont ralentir l'évolutivité de la maladie. Donc, continuer à augmenter l'espérance de vie avec la maladie.
- Speaker #0
Vers la fin de notre entretien, j'ai fini par interroger M. Aubry sur la question de la mort en elle-même. Là aussi, on pourrait croire que sa définition est plutôt simple. Mais là encore, c'est le progrès de la science et de la médecine qui modifient la frontière.
- Speaker #1
Il y a quelques décennies... La vision que l'on avait de la mort, c'était le pneu mal, l'arrêt du souffle, en quelque sorte, l'arrêt du cœur et l'arrêt de la respiration. D'ailleurs, dans certains pays encore, c'est ce qui, au Japon, je crois, vaut pour la définition officielle de la mort, l'arrêt cardio-respiratoire. Là aussi, la question du progrès de la médecine vient bousculer ces définitions que l'on croit pourtant évidentes. La mort, c'est quand on n'est plus en vie. Eh bien non, voici qu'apparaissent... ces avancées techniques et scientifiques de la médecine dans les années 80, des greffes et donc des prélèvements d'organes. Pour sauver des vies, on va modifier la définition de la mort. Vous voyez comment tout cela, même la définition de la mort, qui pourrait apparaître très simple, est en réalité quelque chose d'évolutif, de complexe, et que la médecine, les améliorations en santé, en se développant, vont nous obliger à repenser les définitions de la mort, de la vie. de la souffrance, etc.
- Speaker #0
Dans cet épisode, on a découvert que la définition de la mort, qui pourrait être très simple, est en réalité évolutive et complexe. Le progrès des sciences, en permettant de prolonger l'espérance de vie, va chambouler les définitions et va conduire à repenser les frontières entre la vie et la mort. C'est un défi qui pose des questions parfois éthiques et complexes, comme nous le verrons dans le prochain épisode. Jusqu'à la fin est un podcast du Centre National Soins Palliatifs Fin de Vie. Pour aller plus loin sur ces questions, nous avons mis quelques sources et quelques textes dans la description de l'épisode. Vous pouvez également vous rendre sur le site du Centre National. Je tenais à remercier Régis Aubry pour cet entretien riche et toutes les réponses à nos questions. Je lui laisse le mot de la fin.
- Speaker #1
Plus j'avance en âge et en expérience, moins je suis sûr de moi. Et plus je suis content de ne pas être sûr de moi. Ça me semble important d'éclairer. Par exemple, puisque votre podcast est destiné à des citoyens, c'est plutôt ces citoyens à qui il faut aussi l'expliquer la complexité.