Pirates et mutinerie - Xavier Dorison (1629, Long John Silver) et Claire Richard (La dernière nuit d'Anne Bonny) cover
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La Machine à écrire

Pirates et mutinerie - Xavier Dorison (1629, Long John Silver) et Claire Richard (La dernière nuit d'Anne Bonny)

Pirates et mutinerie - Xavier Dorison (1629, Long John Silver) et Claire Richard (La dernière nuit d'Anne Bonny)

1h17 |15/12/2024
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Description

Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de La Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires ! 

D'abord diffusée en fiction audio, La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en BD par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice, que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts comme 100 façons de disparaître, Les chemins de désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste. On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques, sur notre système de santé, et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste, essayiste et journaliste Claire Richard.

Notre 2e invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD 1629, ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, il s'était déjà attaqué à la piraterie avec Long John Silver, une série de BD rendant hommage au célèbre héros de l'Île au Trésor. Il est aussi l'auteur du 3e Testament, du Château des animaux et a contribué au retour en librairie de Goldorak, ainsi que des Brigades du tigre au cinéma. On le retrouve aux manettes des séries WEST, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur XIII et Thorgal. Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.


Qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirates ?
En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?
Comment ces récits explorent les thèmes de domination et de classes sociales ?

C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

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Crédit photos : Léa Schneider / @lea__sc


Pirate Ship at Bay w.out Seagulls.wav by CGEffex -- https://freesound.org/s/93677/ -- License: Attribution 4.0

AMBIENCE PORT PIRATES.wav by Elenalostale -- https://freesound.org/s/648593/ -- License: Creative Commons 0


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Mike Cesneau

    Nous sommes en 1870 à la Nouvelle-Orléans. Sentant la mort approcher, une vieille maquerelle convoque sa fille préférée pour lui dicter ses mémoires. Elle profite de ses derniers instants pour rétablir la vérité sur sa vie, quitte à contrarier les historiens. Nous voici embarqués dans le récit incroyable de la célèbre pirate Anne Bonny.

  • Yannick Lejeune

    D'abord diffusée sous forme de fiction audio sur Arte Radio. La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en bande dessinée par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts diffusés sur Arte Radio, Binge et Radio France comme Cents façons de disparaître, Les chemins du désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste.

  • Mike Cesneau

    On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques sur notre système de santé et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos qui luttèrent pour le progrès social à New York dans les années 70. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste essayiste et journaliste Claire Richard.

  • Yannick Lejeune

    Notre deuxième invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. Cette fois, il nous amène à bord d'un navire marchand en partance pour l'île de Java. À son bord, un équipage issu des bas-fonds d'Amsterdam et assez d'or pour exciter les plus folles convoitises.

  • Mike Cesneau

    C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD intitulée 1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, ce dernier s'était déjà attaqué à la piraterie en signant Long John Silver une série de BD rendant hommage aux célèbres héros de l'île au trésor.

  • Yannick Lejeune

    Il est également l'auteur, entre autres, de célèbres bandes dessinées comme le Troisième Testament, le Château des animaux inspiré de George Orwell et a contribué à l'épique retour en librairie de Goldorak ainsi que des Brigades du Tigre au cinéma.

  • Mike Cesneau

    On le retrouve également aux manettes des séries West, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur les séries XIII et Thorgal. Enseignant le scénario à la Fémis et à l'école Émile Cohl, il participe à de nombreux projets pour la télé et le cinéma en tant que script doctor.

  • Yannick Lejeune

    En 2020, il est même recruté par le ministère des armées pour intégrer la Red Team. un groupe de 10 auteurs de science-fiction chargés d'imaginer les futures crises géopolitiques qui pourraient mettre en danger la nation.

  • Mike Cesneau

    Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.

  • Yannick Lejeune

    Alors, qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirate ?

  • Mike Cesneau

    En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?

  • Yannick Lejeune

    Comment ces récits explorent-ils les thèmes de domination de classes sociales ?

  • Mike Cesneau

    Quelles sont les forces de la BD et du format audio pour raconter ces grandes aventures humaines ?

  • Yannick Lejeune

    C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

  • Mike Cesneau

    Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de la Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires.

  • Yannick Lejeune

    Je suis Yannick Lejeune.

  • Mike Cesneau

    Et je suis Mike Cesneau.

  • Yannick Lejeune

    Générique Moussaillon !

  • Xavier Dorison

    Bonjour. Bonjour.

  • Yannick Lejeune

    Bonjour. Comme première question pour notre podcast, on a l'habitude de poser qu'est-ce qui fait une bonne histoire ?

  • Claire Richard

    Quand je pense à ce que je trouve être une bonne histoire, c'est un bon personnage. Un univers singulier et un personnage. Un personnage complexe, un personnage avec des tessitures. Et je pense, même si bien sûr il y a des questions dramaturgiques, il faut qu'il y ait quand même quelque chose qui se passe, il faut qu'il y ait quand même de l'action, il y a la question de la tension, etc. Mais pour moi ça tient vraiment à cette... odyssée qu'on va faire en suivant un personnage dans toute sa singularité, ses contradictions, ses complexités.

  • Xavier Dorison

    Pour moi, ce qui fait une bonne histoire, c'est juste que je ne suis pas la même personne entre le moment où j'ai commencé à la lire, on va la voir, et après avoir terminé. Et si je me place plutôt en donc scénariste, les critères, ils sont relativement à la fois simples et compliqués. Simple parce qu'ils se résument facilement. D'abord, moi, j'espère qu'un sujet, il y ait quelque chose d'ironique, c'est-à-dire quelque chose d'amusant, de surprenant, qui vienne titiller ma curiosité. Je suis très attentif au fait que le problème... qui va être posée dans l'histoire, amène le personnage principal à se transformer. En gros, chez DreamWorks, par exemple, ils disent Prenez un personnage et faites que ce soit la dernière personne au monde à pouvoir résoudre le problème qu'on va lui proposer. Donc ça, c'est toujours intéressant de voir comment cet écart est posé. Et puis le troisième point, qui est aussi simple à définir, mais compliqué à faire, c'est que, pour moi, une bonne histoire, c'est une histoire qui pose un débat moral, dans les deux possibilités, de victoire et de défaite, que va poser le sujet. Qu'on comprenne bien que la victoire correspond à une valeur morale, la défaite à une autre valeur morale, mais que ce n'est évidemment pas le bien ou le mal. C'est deux valeurs intéressantes, deux valeurs nécessaires, et pourtant il va falloir trancher.

  • Yannick Lejeune

    Claire, pour commencer, est-ce que tu peux nous pitcher la dernière nuit d'Anne Bonny ?

  • Claire Richard

    La dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de la pirate Anne Bonny, donc une pirate femme qui a existé, ça on le sait, au XVIIIe siècle. Et dans cette histoire, on la prend à la toute fin de sa vie, elle a 80 ans, c'est une mackerel qui a beaucoup de succès, elle a la Nouvelle Orléans, et elle croise la mort dans une des rues qui lui dit qu'elle n'a plus qu'une nuit à vivre et qu'il faudrait qu'elle mette en ordre ses affaires. Et mettre en ordre ses affaires, ça va signifier transmettre son bordel à la fille qu'elle préfère, qui s'appelle Apolline. et surtout rectifier l'histoire de sa vie. Elle estime que ça a été mal raconté. Et donc, la dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de comment une petite fille bâtarde en Irlande est devenue une pirate au XVIIIe siècle. Mais c'est aussi l'histoire, à travers tout un tas de jeux métafictionnels sur lesquels on pourra revenir, de comment cette histoire a été racontée.

  • Yannick Lejeune

    À la base, c'est un podcast. C'est devenu une bande dessinée. Comment ça s'est fait, ce plomb ?

  • Claire Richard

    Alors ça s'est fait d'une façon assez simple parce que je travaille avec une agente qui s'appelle Karine Lanini et que le podcast est un écosystème dans lequel la question des adaptations se pose assez souvent. Et donc, on a envoyé le script qui était très avancé aux éditions du Lombard, à l'éditrice Elisa Roux. Et après, je pense que plus profondément, en fait, il y a un lien assez organique entre l'écriture pour le podcast et l'écriture pour la BD parce qu'écrire une fiction... plein de façons d'écrire de la fiction en podcast. Mais en tout cas, la façon dont moi je le fais, c'est beaucoup découpé par scènes. Il y a des narrations qui sont assez fortes, il y a déjà des dialogues, il y a déjà des personnages. Et après, moi-même, si j'écris pour le son, souvent, j'ai quand même une imagination très visuelle. Et du coup, le passage à la BD, en fait, c'est fait comme ça, mais d'une façon qui était en fait assez naturelle, même si c'était ma première expérience.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, même exercice, est-ce que tu peux nous parler de 1629 ou l'effrayante histoire de Naufragé du Jakarta ?

  • Xavier Dorison

    D'abord, il faut savoir que c'est diptyque, puisqu'il s'agit de deux mondes dessinés et tirés d'une histoire vraie. Et cette histoire commence donc, comme le titre l'indique, en 1629, où le plus grand navire de la compagnie hollandaise des Indes orientales, le Jakarta, se retrouve chargé de la plus grosse cargaison d'or peut-être de l'histoire, puisqu'il s'agit quand même d'aller corrompre l'empereur de Java, donc la compagnie a mis les moyens. Et à bord de ce navire, qui est en réalité une poudrière, puisque son équipage est essentiellement constitué de criminels, de gens recrutés de force, ou de gens qui fuient la loi, on fait venir... Deux personnages qui vont au cœur de cette histoire. D'une part, une jeune femme qui s'appelle Lucretia Hans, qui est une femme de l'aristocratie des Provinces-Unis, comme on dit à l'époque. Et elle, son but, c'est juste d'obéir à son mari et de rejoindre Java pour l'accompagner dans le cadre de son activité à lui, qui est une plantation d'esclaves. Une plantation dans laquelle œuvrent des esclaves. Et on va suivre là un deuxième personnage, qui est le numéro 2 à bord, qui s'appelle Jéronymus Cornelius, qui est un apothicaire. C'est l'élite de la société à l'époque, ces gens-là. C'est un homme cultivé, intelligent, fin, qui fuit en fait la loi également. Et lui, il n'a qu'un seul objectif, qui n'est pas de faire que le bateau arrive à destination, mais de capter la cargaison, la voler, mettre en place une mutinerie et tuer le reste de l'équipage. Et la seule personne qui va en fait se dresser face à lui est cette jeune femme, Lucretia Hans, aidée par un marin qu'on découvrait qui s'appelle Vip Hayes. et ce sont les deux qui vont sentir venir le plan machiavélique de Géronimus. Ce sont eux qui vont lui tenir tête. Le premier opus raconte comment Géronimus met en place son plan, comment Lucretia, Vibhaze et quelques personnages vont les suivre et tentent d'y mettre fin. Le navire finira par échouer, ce qui est dans le titre, je ne spawne rien. Et le deuxième épisode raconte comment ces personnages vont arriver sur une île, être naufragés. Tous les naufragés croient qu'ils sont sauvés puisqu'on est allé chercher du secours et puisque, somme toute, celui qui les gère est l'homme maintenant qui est le chef. Un contesté, c'est Jéronimus, et on a donc 300 naufragés qui se trouvent sous les ordres d'un psychopathe qui a tenté une mutinerie dans l'épisode d'avant.

  • Mike Cesneau

    Comment t'es tombé sur cette histoire qui, tu disais, s'est inspirée de faits réels ? Qu'est-ce qui t'a inspiré et pourquoi ça t'a intéressé d'écrire dessus ?

  • Xavier Dorison

    Alors je suis tombé dessus par hasard, comme d'habitude. Dans un contexte assez amusant, j'étais à Cuba, et je me retrouve un jour dans une toute petite maison, comme on peut louer là-bas, enfin on va chez des habitants, au bord d'une plage, et par véritablement une nuit tempête, je suis sous l'énorme haut vent de... cette maison et là je découvre que des touristes qui sont passés avant moi ont laissé des livres. Je découvre un petit recueil d'histoires, tout petit, qui racontent ces histoires. Et donc là, en plein milieu de la nuit, avec les éclairs, la tempête, un cigare au miel, parce que c'est ce qu'on fait à Cuba, je découvre cette histoire et d'emblée elle me parle, d'abord parce qu'elle est pleine d'aventures, de voyages, de marines, c'est un univers, une arène que j'aime énormément, mais il y a plusieurs choses qui me fascinent dedans. La première... Bien sûr, la découverte de l'univers réel de ce qu'était la compagnie hollandaise des Indes orientales et la nature réelle de ses voyages. La deuxième chose, c'est de voir comment cette femme, totalement soumise à son époque, à son milieu, à son mari. Vous imaginez qu'elle part dans ce voyage le jour où elle vient de perdre son dernier enfant. Elle part au milieu des funérailles parce qu'elle a reçu la lettre qui lui dit part tout de suite Donc c'est vraiment une femme totalement soumise et qui, à travers un périple d'horreur, va curieusement trouver sa liberté et son indépendance. Donc ça, ça m'intéressait. Et puis le dernier point qui vraiment m'a frappé, c'est le renversement de la dictature, quelque part dans cette histoire. C'est-à-dire qu'on part d'une première partie où la dictature, où l'autoritarisme est assuré par les représentants des officiers et de l'avocat sur une grande partie du navire. Et donc vous avez peu d'hommes qui ont énormément de pouvoir sur beaucoup. En gros, une trentaine d'officiers, une quarantaine d'officiers ont le pouvoir, un pouvoir extrêmement violent, sur plus de 250 membres d'équipage qui sont dans les cales. Et tout se renverse. lorsqu'on arrive dans l'île, où ce sont une 25, plus 30, plus 50 mutins qui vont avoir tout pouvoir sur tous les gens qui sont restés sur cette île. Et c'est ce rapport à la soumission, à la violence, comment l'ensemble d'un groupe se soumet à une autorité pourtant minoritaire, qui m'a beaucoup intéressé aussi dans cette histoire.

  • Yannick Lejeune

    Claire, comment as-tu rencontré Anne Bonny, toi ?

  • Claire Richard

    Alors moi, j'ai lu l'histoire d'Anne Bonny dans l'histoire des femmes pirates, que j'ai lu un peu par hasard, parce que j'ai de nombreuses... curiosité en suivant un vortex. Et en fait, ce qui m'a intéressée au début, comme tout le monde, puisque c'est pas une figure inconnue pour le coup, Anne Bonny, des amateurs de piraterie, c'est effectivement ce côté très romanesque d'une femme au XVIIIe siècle qu'on retrouve sur un bateau de pirates lors des procès de piraterie qui s'y aident en 1725. Ma première question, quand même, c'était de me dire au XVIIIe siècle, à une époque où il n'y a pas de livres, il n'y a pas de romans, il n'y a évidemment pas de réseaux sociaux, pas de films, etc. Comment c'est possible qu'une petite fille née en Irlande se retrouve 20 ans plus tard, à l'autre bout du monde, sur un bateau de pirates ? cœur d'un monde absolument inconnu pour elle. Et donc moi j'avais cette première question qui m'intéressait qui était c'est quoi la suite, dans un contexte historique très défavorable aux femmes évidemment, c'est quoi la suite des événements de sa vie qui ont rendu ça possible ? Donc ça c'était une première curiosité. Et ensuite en me documentant, je me suis aperçue assez vite que beaucoup de choses sur Anne Bonny étaient répétées dans tout un tas d'histoires, mais que si on allait chercher les sources historiques, en fait il n'y en avait vraiment quasi pas. C'est-à-dire il y a deux documents, il y a un registre paroissial en Irlande. Et ensuite, en 1725, elle éregistre des procès de piraterie qu'on peut trouver sur Internet, merveille d'Internet. Et là, il y a juste une ligne. C'est l'équipage du pirate Rackham est condamné, deux femmes sont déguisées en hommes et on sursoit leur exécution. Et en fait, c'est tout. Et par contre, évidemment, il y a tout un tas de récits autour. Donc là, j'ai suivi, je suis remontée à la source de ces récits, pareil, ce n'était pas très compliqué à faire. Et c'est cette fameuse histoire générale des pirates, donc un best-seller du XVIIIe, qui constitue la source de la majorité de l'imaginaire de la piraterie. Et en lisant le chapitre consacré à Anne Bonny, une fois de plus... tout est en ligne, merveilleux, de Gallica, en fait, ça saute aux yeux que Johnson, il a vraiment inventé les trois quarts du chapitre. Puisque, sur, je sais pas, 15 pages, il passe 10 pages à raconter un vaudeville hyper complexe pour raconter sa naissance illégitime, avec un mari cocu, une femme cocu, une servante coquine, des amants, etc. Donc, en fait, il n'y a aucune configuration dans laquelle quelqu'un lui a raconté ça. Et en fait, c'est ce jeu de décalage qui a commencé à vraiment m'intéresser, parce qu'au début, je me disais, bah, fascinante figure, mais il y a mille récits, donc pourquoi... Pourquoi en faire un mille et unième ? Et en fait, c'est ce jeu de décalage entre ce que dit Johnson, bien évidemment, avec l'idée de faire monter les ventes. Il en crée et un imaginaire misogyne, puisque vraiment, c'est une traînée, et aussi un imaginaire un peu salace. Et c'est de jouer sur cet écart entre les sources et ce récit-là. Et après, en creusant cette question de l'écart, j'ai lu beaucoup de choses sur la piraterie, qui m'avaient déjà un peu intéressée à une autre période de ma vie. Et en fait, c'est pareil, là, je retrouvais cette question d'interprétation différente, de ligne de faille, avec des historiens qui considèrent les pirates comme des révolutionnaires, d'autres qui disent non, en fait, c'était des hommes pragmatiques. Et en fait, c'est le mélange de toutes ces contradictions et de cette question centrale qui est comment une petite fille devient une femme pirate et des filles, pour le dire avec des mots un peu banals, mais quand même les cadres de vie qui lui étaient promis, qui a fait le moteur d'écriture.

  • Yannick Lejeune

    Comment vous avez géré toute cette partie recherche ? Je sais, Xavier, toi, tu... Tu travailles beaucoup en amont sur ces parties-là. Je me souviens, quand tu faisais HSE, tu m'avais demandé de relire une partie du scénario sur l'informatique pour que ça soit juste. Là, comment tu as fait pour t'assurer que tu n'allais pas délirer trop loin et en même temps pour conserver une partie dramatique qui n'est probablement pas dans les livres d'histoire ? Comment tu as mené ta recherche ?

  • Xavier Dorison

    C'est l'aventure du Batavia, puisque le Batavia, c'est le nom de Jakarta, est relativement documenté. C'est une histoire qui est très connue aux Pays-Bas. Il y a même un musée. Il y a le musée de l'Elichnacht, qui est juste à côté d'Amsterdam, dans lequel on peut voir une réplique du navire. Il y a plein de documents. Un des survivants, qui était le sub-regard, c'est-à-dire le représentant officiel de la compagnie hollandaise, qui s'appelait Francisco Pelsart, a survécu. Parce que c'est lui qui est allé chercher des secours à Java. Et lui, il a eu un procès. Et donc, dans ce procès, il a tout consigné. Donc,

  • Yannick Lejeune

    il y a les minutes du procès.

  • Xavier Dorison

    Donc, on a les minutes du procès, on a les archives de la Vogue. Et puis, il y a beaucoup de livres d'histoire qui traitent du sujet. Après, moi, je ne suis pas historien. Donc, mon but, c'était d'être fidèle à un certain nombre de points historiques et en même temps, d'apporter, c'est ce qu'on demande à un scénariste adaptateur, c'est d'amener son regard. Donc, c'est de temps en temps changer des fonctions de personnages, de temps en temps ajouter peut-être des choses qui n'existent pas. Et vraiment, j'ai eu un gros travail à faire qui a été de couper. un certain nombre de scènes qui étaient, je pense, dramatiquement hyper intéressantes, mais qui étaient d'un niveau de violence et d'horreur que même à lire, était à la limite du supportable. Et je n'avais pas forcément envie d'aller là. L'histoire est déjà suffisamment romanesque pour que je n'ai pas besoin, à ce point-là, d'exacerber l'horreur.

  • Mike Cesneau

    Et comment tu places le curseur, justement, sur ces parties-là ? Où tu sais que c'est vrai, donc ça pourrait tout à fait servir ta dramaturgie. Comment tu sais à quel moment ça va trop loin pour l'équilibre de l'histoire ?

  • Xavier Dorison

    Alors, c'est... C'est vrai que c'est un exercice périlleux parce que, évidemment, en tant qu'individu, on n'est pas là pour faire mal aux gens, on n'est pas là pour les malmener, mais en tant que scénariste, on est là pour être un peu sadique, bien sûr. On est là pour être sadique avec nos personnages, surtout sadique un peu avec nos lecteurs, pour les faire vibrer. Et donc, il ne s'agit pas de se dire, oulala, c'est moche, on ne va pas en parler, vous êtes trop prudes, bien sûr. Et en même temps, moi, j'ai une sorte de signal d'alarme qui me dit à un moment, cette scène-là et l'horreur de cette scène ne correspondent pas au ton général de l'œuvre. Un exemple tout simple. Il y avait un pasteur qui a survécu, il avait cinq enfants. Une de ses filles était convoitée par un des mutins. Donc il a dû accepter sur l'île qu'elle se marie avec lui. Et Jérôme de Muscouine invite, pour fêter le mariage, à dîner dans sa tente, le père, la mère, la jeune mariée, le mari lui-même. Pendant qu'il les invite à dîner, il envoie le reste de ses hommes massacrer les quatre autres enfants du pasteur. C'était des enfants dont l'âge allait de 6 à 13 ans. Ils sont à table. Ils sont avec le criminel, Jérôme Némus qui a donné l'ordre de faire cette exécution. Ils entendent les hurlements des enfants. Et on est en train de leur servir l'entrée. Est-ce que vraiment j'ai envie de raconter ? Alors pour nos auditeurs, oui. Mais moi non, ça allait beaucoup trop loin. Et puis donc j'ai décidé de changer le sort de cette famille, même s'ils ne vont pas passer un bon moment. Par exemple dans l'histoire, il y a des moments de pur sadisme. Les mutins à un moment dans cette histoire s'ennuient. Bon, donc je dis, si on va torturer des gens, c'est drôle. Ça va nous occuper. Je n'ai pas eu envie de traiter ça. J'ai traité le fait qu'ils s'amusaient avec leurs prisonniers. donc le message y est, le sens y est et je ne vais pas jusqu'à trifouiller dans la plaie des salles des personnages comme des lecteurs Toi Claire,

  • Yannick Lejeune

    dans le podcast et dans la bande dessinée, il y a une scène de procès assez longue qui permet d'essayer de confronter la réalité et sa vision à elle mais il y a aussi des historiens qui sont incarnés, qui parlent ou qui sont dessinés et qui se disputent sur l'interprétation de l'histoire est-ce que tout ça c'est réel ? ou est-ce que c'est l'autrice qui fait part de ses propres débats internes ?

  • Claire Richard

    Alors ces historiens qui interviennent de temps en temps dans la narration pour la commenter, c'est deux personnages qui vont incarner deux positions d'analyse possibles par rapport à l'histoire d'Anne Boilly. Donc il y a une historienne qui va plutôt être féministe, plutôt axée en gros sur ce qu'on pourrait dire de façon un peu caricaturale, les femmes puissantes, faire revivre les figures oubliées de l'histoire quitte à en faire un peu trop. quitte à les glorifier de façon un peu exagérée, et un autre historien à l'ancienne, qui serait plus marxiste en gros, qui pense que la question c'est la classe, et qu'on en fait trop avec cette figure, et qu'il faut coller plutôt à la réalité historique. Et en fait, moi c'est deux positions qui existent, même si l'historienne est un poil caricaturale, parce qu'en vrai, les historiennes féminines sont plus subtiles que cette historienne, et je pense qu'à travers elle, j'avais un peu envie de régler mes comptes avec une certaine industrie de la figure de la femme puissante qui me fatigue un peu, parce que je la trouve... pas si intéressantes que ça au final. Mais par contre, ils vont s'affronter par exemple sur la vision de l'esclavage, ils vont s'affronter sur la probabilité qu'Anne Bonny ait pu par exemple tirer à bord. Donc l'historien dit mais c'est impossible, de toute façon il y avait très peu de femmes à bord, et puis en plus quand il y en avait, vraiment elle reprisait les voiles. Et l'autre dit oui souvent, mais en fait ça ne veut pas dire que c'était pas possible. Et en fait, quelque part, les deux ont raison et c'est pas tranché, et c'est ça qui m'intéressait, c'est vraiment de faire vivre cette contradiction. Mais du coup les deux viennent de tout un tas de lectures, d'analyses historiques, parce que j'aime bien ça, Et quand même, effectivement, d'ailleurs, c'est l'historien Grognon, qui est en fait celui dont je me sens le plus proche, en vrai. Mais lui, il vient vraiment d'un article que j'ai lu, d'un historien de Floride, un historien local, et qui lui, vraiment, à un moment de l'histoire d'Anne Bonny, donc elle a rencontré un marin, etc. Et ils partent, ils s'enfuient vers l'île de Providence, qui est la république des pirates, l'île où sont tous les pirates. Et dans l'histoire de Johnson, là, elle se met à coucher avec tout un tas de gens et elle rencontre Jack Rackham. Cette historienne locale disait N'importe quoi, de toute façon, très probablement, elle s'est prostituée. Enfin, c'était l'activité principale pour les femmes. Et cette figure le gonflait. Et en fait, c'est là où j'ai imaginé le personnage de Tout s'est mis en route Mais ce qui m'intéresse, c'est moins de dire Elle, c'était ça ou C'était ça plutôt que de faire vivre cette contradiction autour de la légende, de la figure de la légende.

  • Mike Cesneau

    D'ailleurs, c'est intéressant parce que dans le podcast, quand les deux historiens vont chacun donner leur point de vue... Des fois, il y a Anne Bonny elle-même qui prend la parole et du coup, elle se situe dans un entre-deux. Et ça donne après au récit fictionnel un peu plus d'authenticité parce qu'on a l'impression que c'est la vraie personne qui parle. Et ça rend la narration encore plus palpitante.

  • Claire Richard

    C'était un peu toute la difficulté. C'était à la fois d'avoir cette dimension méta qui, moi, déjà m'amusait, qui constituait un vrai ressort d'écriture parce que... aussi pour plein de raisons, de contrastes, de changements de plans, de rythmes, ça amenait énormément de choses. Et puis aussi, ça permettait de justifier l'idée de faire la énième histoire d'Anne Bonny. Et en même temps, j'aime bien les réflexions métables et je déteste qu'en fait, quand une fiction lève le rideau et dit Eh non, tout ceci n'était qu'une illusion ! Vraiment, je déteste qu'on m'enlève ce plaisir de lecture, de spectatrice, d'auditrice. Et donc toute la question, c'était de comment faire pour avoir ces décrochages et en même temps, ne quitter pas l'espace de la fiction. Et en fait, au final, de dire Finalement, c'est la fiction qui triomphe dans tout ça, malgré ces décrochages-là. Et donc, le fait qu'Anne Bonny puisse leur répondre, c'était à la fois, je parle d'un truc qui vient dans l'écriture aussi, où le personnage qui est assez drôle, qui répond beaucoup, ça venait assez naturellement, mais c'était aussi une façon comme ça de reprendre, comme on reprendrait comme ça dans un pli ou une couverture, tous ces décrochages dans le grand espace de la fiction, et dire en fait, c'est elle qui a raison.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, dans tes nombreux succès, tu as Long John Silver, une série de bande dessinée inspirée du personnage de Stevenson. Le personnage que tu en as fait est un personnage... droit, très réaliste, un peu meneur. C'est pas du tout un personnage parodique. Alors j'ai deux questions. La première question, c'est qu'est-ce qui fait que toute cette histoire d'aventure maritime, de la fin du XVIIe, du début du XVIIIe, est une bonne arène pour raconter des histoires ? Et la deuxième, c'est pourquoi est-ce que t'aimes pas du tout, ça rejoint un peu ce que vient de dire Claire, le côté parodique, par exemple, d'un pirate des Caraïbes, dont je sais que c'est pas trop t'accable en termes d'histoire de pirate ?

  • Xavier Dorison

    Premier préambule quand même, ma réponse, c'est que là on met en parallèle 1629 et London Silver, et certes, Dans les deux histoires, il y a des bateaux. Certes, dans les deux histoires, il y a des sabres, mais ça n'a vraiment rien à voir. L'Ungeon Silver est complètement du côté de l'histoire mythologique. En fait, c'est une mythologie. Tout ce qui est raconté là n'a rien à voir avec la réalité. J'entends réalité historique, pas forcément réalité humaine. C'est un autre sujet. Alors que 1629, bien sûr, est très ancré dans la réalité. L'Ungeon Silver est une histoire de pirates. 1629, c'est une histoire d'abord de mutinerie et ensuite de naufragés. C'est trois genres, mutinerie, naufrage, pirates, qui n'ont rien à voir. dans leurs raisons, dans ce qui les soutient. Ensuite, ce qui est de l'arène, moi, je ne sais pas pourquoi, j'ai une fascination pour les histoires qui se passent en mer et pour la mer. C'est marrant parce que j'ai le mal de mer. Heureusement, il y a la scopolamine. Ça me permet de faire des trajets en bateau.

  • Yannick Lejeune

    Regarde l'horizon.

  • Xavier Dorison

    Avec un bon patch de scopolamines, on ne tient pas trop mal. J'adore. D'ailleurs, j'adore la mer, mais quand on n'est pas trop loin des côtes. C'est-à-dire, la pleine mer ne m'intéresse pas tellement. par contre être à côté de la mer on est dans cette sorte de position d'observateur et pas dans la position où on est perdu je sais pas je me sens bien là la mer me fait un effet en tant que scénariste je suis désolé si la réponse est pas très rationnelle mais moi quand je suis au bord de la mer quand je suis sur une plage, quand je vois de l'eau je sais pas pourquoi ça me donne des idées, ça me donne envie d'y être ça me donne je sais pas un sentiment de liberté un sentiment d'évasion, une possibilité d'être en marge, d'être à côté, d'être en observateur ce qui je crois me correspond assez bien à cette position là et donc j'ai beaucoup d'histoires qui tournent autour de la mer avec des sous-marins, avec des bateaux. Et donc, naturellement, la piraterie, par exemple, typiquement telle que celle de Lone John Silver, m'offre un univers d'évasion. Et je l'ai d'ailleurs écrite au moment où je sortais de l'écriture d'un long métrage qui était celui des Brigades d'Uti que j'avais écrit avec Fabien Nury, où on en avait bavé avec toutes les contraintes de fabrication et tout ce que ça peut représenter de faire un film. Et vraiment, j'avais besoin de souffler, de m'amuser, j'avais besoin de grands espaces, etc. Et vraiment, de ce point de vue-là, la piraterie correspond parfaitement parce que... Au cœur de la piraterie, il y a cette idée, cette utopie en fait, d'un groupe d'hommes ou de femmes qui décident de se faire leur propre loi, leur propre univers sur leur bateau. Moi, j'appelle ça aussi le syndrome Nautilus. C'est-à-dire, on a notre sous-marin, on a notre lieu, et ici, on va se refaire notre cité, on va se refaire notre vie. Et comme on bouge tout le temps, on est loin du nôtre. Moi, cet univers me parle et je pense continuer à fasciner un certain nombre.

  • Yannick Lejeune

    Ce que vient de dire Xavier, c'est ce qu'on retrouve dans le destin d'Anne Bonny, finalement, c'est cette fille illégitime. dont on a tracé un peu un destin de mariage forcé qui d'un seul coup achète sa liberté en devenant pirate. Femme de pirate d'abord, puis pirate elle-même. C'est ce qui t'intéressait là-dedans ?

  • Claire Richard

    Ouais, effectivement, il y avait à la fois comme ce que tu évoquais, en fait, un désir de faire quelque chose de très joyeux, parce que j'avais avant bossé sur le porno, des questions très féministes. Et donc là, j'avais envie de faire un truc où je m'amusais, donc quelque chose d'ancré immédiatement dans un genre. Et la piraterie, en fait, ça évoque tout de suite des codes, des images, des moments. Donc j'avais vraiment envie de m'amuser là-dedans. Et après, moi, ce qui m'a le plus touchée, c'est la question de libération, en fait. de façon générale, à la fois comme ces utopies, comme tu le disais très bien, ces idées de faire des contre-sociétés à bord de tout petits espaces c'est les bateaux sur la mer d'ailleurs dans un temps dont les pirates eux-mêmes savent qu'il est limité, ils savent que de toute façon ça va mal finir, c'est quand même toujours le cas, et après quand même cette question de la libération d'un personnage,

  • Yannick Lejeune

    moi c'est quand même les histoires que j'aime le plus écrire et de personnages féminins Je reviens à ma question sur les pirates des Caraïbes je crois que t'aimes pas trop la partie parodique de toutes ces...

  • Xavier Dorison

    J'aime pas trop d'abord si elle plaît à certains et certains ils l'en feront libre à eux. Mais moi elle me plaît pas trop parce que d'abord c'est peut-être aussi ce que disait Claire tout à l'heure c'est que moi j'aime pas quand on me raconte une histoire et qu'on me fait un clin d'oeil en permanence pour me dire, au fait, vous y croyez pas moi non plus. Déjà ça, ça m'exaspère. Ensuite, Pirates des Caraïbes au départ c'était une attraction. Mais c'est resté une attraction. C'est jamais rien d'autre. C'est-à-dire que ce sont des stimuli fantastiques, beaucoup de fantastiques ou des stimuli de scène. qui sont là pour faire que le spectateur reste accroché. Mais dans le fond, c'est d'une vacuité totale. C'est souvent... Enfin, moi, je m'ennuie à mourir, en fait, pour dire les choses, simplement, quand je vois ça. Mais c'est marrant parce que c'est un film qui est très représentatif d'une évolution plus générale du film de divertissement qui a été, dans les années... Début des années 80, un genre de film... Enfin, 70, début 80, en tout cas, c'est un genre de film où on faisait de l'aventure pour l'aventure, mais où on essayait, en tout cas, de mettre une structure, on essayait de mettre un sens. une évolution de personnages, etc. Et où on est passé à littéralement une industrie cinématographique qui est en fait devenue elle-même un parc de loisirs. Donc on fait des rides. Et si on compare de ce point de vue-là, ça peut être les premières histoires de pirates et pirates des Caraïbes, mais on pourrait le faire par exemple avec Star Wars, ce serait intéressant. On comparerait l'Empire contre-attaque et épisode 3. Vous avez le même cheminement où on passe du conte de divertissement mais intelligent à une grande pub pour les jeux vidéo et les jouets qui sortiront derrière sans cohérence ni profondeur. Donc effectivement, tout ça me déçoit un peu, mais ça n'empêche pas de marcher.

  • Mike Cesneau

    C'est quoi dans les histoires de pirates ou de bateaux ou d'univers maritimes d'époque et tout qui te plaisent le plus ?

  • Xavier Dorison

    C'est une question difficile, je vais y répondre, mais je précise que c'est une question difficile parce que le genre pirate en cinéma est un genre où finalement il y a peu de chefs-d'oeuvre. Moi, j'adore évidemment la première version de Lilo Trezor, je trouve magnifique, puisqu'en fait, elle reprend en plus, par ses plans, ses cadrages, les peintures de Nancy Wyatt. J'ai une petite tendresse, quand même, pour le pirate de Polanski, mais grosso modo, je ne vais pas acheter le corsaire rouge, je ne vais pas acheter Barbe Noire, tout ça, on ne me parle pas. Et moi, je retrouve par exemple de la piraterie, vous allez me dire mais c'est loin, et pourtant non, dans African Queen, par exemple. Parce que dans African Queen, Humphrey Bogart et Catherine Hepburn ne sont évidemment pas des pirates, mais leur voyage, leur itinéraire, en marge de la société, en marge de la religion, dont elle vient en marge de la guerre est en fait pour moi un type de voyage pirate. Et toutes les histoires qui racontent les tentatives pour des gens de créer leurs univers sont plutôt celles que je suis allé regarder.

  • Mike Cesneau

    Et dans les histoires de naufragés, est-ce qu'il y en a certaines qui t'ont aussi inspiré ?

  • Yannick Lejeune

    Le lagon bleu.

  • Mike Cesneau

    Sans filtre ? Peut-être, je pense à ça.

  • Xavier Dorison

    Non, je n'ai pas revu le lagon bleu. Bien sûr que j'ai regardé The Island. Non, il n'y a pas tant. J'avais pas... Par exemple, j'ai beaucoup regardé, évidemment, pour la première partie des versions du Bounty. Alors là, il y en a plusieurs. Celle de Milestone, bien sûr. Celle avec Marlon Brando. Et curieusement, j'aime beaucoup aussi celle avec Mel Gibson, qui a vraiment un charme, notamment par la musique. Mais la deuxième partie, j'avais assez peu d'ouvrages de référence. C'est curieux, il y a des histoires où j'ai une énorme filmographie qui m'aide à construire. Et là, je suis plutôt parti avec de l'histoire. Et je dois dire, là, c'est des livres de psychologie.

  • Yannick Lejeune

    Pour la dimension du huis clos social. Oui,

  • Xavier Dorison

    par exemple, j'ai revu... Alors, le livre s'appelle The Lucifer Effect, du professeur Zimbardo, et le film s'appelle... C'est Experiment... C'est Stanford Experiment. Milgram ? Non,

  • Yannick Lejeune

    c'est pas Milgram. Non, mais c'est... C'est pas loin, parce que... Ils ont bossé ensemble.

  • Claire Richard

    Ah oui, d'accord, ok.

  • Xavier Dorison

    L'expérience qui a été faite aux Etats-Unis, elle est très simple. Ils prennent un groupe, un grand groupe d'étudiants, diplômés, qui sont volontaires pour faire une expérience en sociologie. Ils coupent ce groupe en deux. à peu près en deux. Ils font des surveillants. Et des prisonniers. Et des prisonniers, absolument. Et ils sont prévenus qu'il y aura une expérience. Et un jour, la police, en service d'ailleurs, va arrêter les prisonniers, les soi-disant prisonniers, et les fait descendre, les ubander dans un couloir. de la faculté qui a été transformée, ils ont transformé la couleur en prison et tout est filmé. Ça devait durer 15 jours. Et le seul ordre qui est donné aux gardiens... c'est justement de maintenir l'ordre. On leur dit pas quand, comment, avec quels moyens et quelles limites. Ils ont arrêté l'expérience au bout de trois jours. D'une part, parce que quasiment la totalité des gardiens devenaient sadiques, et d'autre part, parce que la totalité, avec une exception notable, des prisonniers devenaient totalement soumis.

  • Yannick Lejeune

    Et aussi parce que l'équipe de chercheurs, et notamment celui dont tu as cité Zimbardo, a perdu son regard critique, tellement ils étaient fascinés par ce qui se passait. Ils ont perdu toute capacité scientifique à se détacher. ou à intervenir. Et du coup, ça a mal tourné.

  • Xavier Dorison

    Voilà. Donc, curieusement, je suis allé chercher ma documentation plutôt du côté de la sociologie et de la psycho. Il y a pas mal de documents qui parlent de ça. C'est revenu au devant de la scène, il y a eu des procès où des gens ont dit Mais moi, j'étais dans un système, notamment au moment de l'affaire de la prison d'Abou Graïb.

  • Yannick Lejeune

    Claire, tu as traduit des ouvrages qui parlent un peu de ce genre d'expérience ?

  • Claire Richard

    Oui, j'ai traduit. C'était il y a vraiment longtemps. C'était il y a 15 ans, je pense. Mais c'était sur l'expérience de 1000 grammes. Effectivement, c'était l'obéissance et la désobéissance à l'autorité, quelque chose comme ça, ouais. Et c'est assez similaire, en fait. C'est la question des, je crois...

  • Yannick Lejeune

    De l'électricité.

  • Claire Richard

    Ouais, voilà, des décharges croissantes que tu vas infliger.

  • Yannick Lejeune

    Ça donne un ordre jusqu'à quel point tu es prête à l'économie.

  • Claire Richard

    À quel point c'est modifié en fonction de si quelqu'un regarde ou pas, si tu es seule ou pas. Tu te sens plus ou moins responsable moralement, si tu es seule ou pas.

  • Yannick Lejeune

    Ça me fait une très bonne transition pour la question d'après. Vous avez tous les deux parlé de libération dans le chemin du... pirate, quelqu'un qui s'émancipe. Lucrèce, dont on a mentionné, va sortir un petit peu de sa condition pour se battre contre le tortionnaire. Toi, Anne, elle va sortir, mais au démarrage, j'ai l'impression que il y a un sujet de fond dans beaucoup de vos œuvres, chez Xavier, par exemple, dans Le Château des Animaux, c'est la soumission. C'est comment des classes s'affrontent dans un rapport de dominants-dominés. Dans le bateau, il y a les très pauvres et puis on va dire les soldats qui sont un peu plus riches. Est-ce que c'est un sujet qui vous intéresse particulièrement et que vous sentez revenir dans vos œuvres ? Ou est-ce que c'est le contexte qui fait ça ?

  • Claire Richard

    Je ne sais pas si c'est la soumission, mais j'ai l'impression que la question de la libération et de l'émancipation, elle se déroule dans un contexte, contexte dans lequel il y a des structures sociales, donc des relations de domination, des relations de classe. Et j'ai l'impression que c'est plutôt ça. Et après, ça va jouer à deux endroits. Soit... la question d'organisation politique, la question de comment on en arrive à résister, qu'est-ce que c'est une organisation collective de résistance, parce que dans un tout autre champ de mon travail, en plus en documentaire, en journalisme, j'ai fait beaucoup de choses autour de groupes politiques, d'organisations politiques, de comment ils s'organisent, donc ça c'est quelque chose qui m'intéresse, et c'est toujours dans un contexte de conflits, enfin de conflits de classes, de conflits de domination économique, de genre, de race, etc. Et après, un autre versant, et c'est peut-être à ça aussi que fait référence le mot soumission, mais c'est la façon dont ces structures de pouvoir dans lesquelles... les personnages sont imbriqués, nous sommes imbriqués, elles vont se traduire dans les subjectivités en fait, et donc dans les comportements, dans les relations interpersonnelles, dans même nos relations à nous-mêmes. Ces contradictions en fait, c'est à la fois le double mouvement de qu'est-ce qui libère, par quelle forme les gens se libèrent, soit individuellement, mais c'est rarement purement individuel, donc en lien avec qui et comment, très pratiquement comment en fait, comment ça se passe. C'est toujours un mélange de chance et de préparation quoi. Ça, je trouve ça un peu fascinant. C'est infiniment fascinant, quand même, comment les résistances fonctionnent et comment elles échouent. Et après, à un niveau personnel, dans quelle contradiction ça place et les personnages et nous. Et par exemple, Anne Bonny, donc ce personnage d'Anne Bonny qui est dans la BD, le fait qu'elle soit mackerel, au début, c'est venu un peu comme ça, un peu facilement, presque parce que j'aimais bien la Nouvelle Orléans et donc on imagine des bordels, une atmosphère un peu capiteuse et tout.

  • Yannick Lejeune

    Est-ce que c'est en lien avec le début des chemins du désir ?

  • Claire Richard

    Alors non, enfin pas consciemment. Après, peut-être.

  • Yannick Lejeune

    Allongez-vous sur ce qu'elle fait, parlons-en.

  • Claire Richard

    Le sexe. Non mais par contre, en fait, ce qui était important pour moi, c'est que, précisément, elle, elle se libère, mais l'instrument de sa libération finale, après la piraterie, qui la rend riche, qui la rend installée, c'est le fait d'exploiter d'autres femmes. Et ça, ça venait à la fois d'une réflexion sur la libération dans ce contexte, je me disais, en fait, au XVIIIe siècle, je ne pense pas qu'une sororité soit possible. En fait, elle est comme la marquise de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses, c'est-à-dire, elle a une trajectoire... flamboyante au sens de libération, mais en écrasant les gens autour. Parce que ça n'est pas trop possible autrement pour une femme à ce moment-là.

  • Mike Cesneau

    C'est plus qu'un manque de sororité. Elle le dit ouvertement qu'elle n'aime pas les femmes.

  • Claire Richard

    Mais parce que je me disais, c'est dans le contexte, en fait, la sororité, ça existe dans certains lieux très précis, très limités. Et donc, ça me semblait, pour le coup, un vrai anachronisme de penser ça. Donc, effectivement, après, je lui fais dire, moi, j'aime pas les femmes. Mais je trouvais ça intéressant.

  • Mike Cesneau

    Parce qu'elle a du mépris envers les gens qui ne veulent pas se libérer.

  • Claire Richard

    Voilà. Elle a une idéologie de la force. Elle a toute une mythologie de la force, quelque chose, alors je ne la pensais pas du tout dans ces termes, mais c'est un peu Nietzschean. C'est en gros, moi j'ai réussi à m'élever et c'est parce que je vaux plus, je suis meilleure. Et donc j'ai le droit d'exploiter toutes ces filles qui travaillent pour moi parce qu'elles sont faibles. Et ce qui m'intéresse, sans révéler la fin, mais ce qui m'intéressait, c'était cette tension. Donc ça n'est pas une pure figure glorieuse d'émancipation, elle le fait aux dépens d'autres gens. Et donc là, c'est là où on retrouve ces tensions autour du pouvoir et de la domination.

  • Xavier Dorison

    Moi je crois que ce qui est tragique, c'est pas tant ce qu'on va faire à un personnage ou ce qu'on nous fait, mais c'est ce que les personnages n'arrivent pas à faire pour eux-mêmes, ou ce que nous n'arrivons pas à faire pour eux-mêmes. Et donc, en termes de soumission, ce qui m'intéresse, c'est pas tant la soumission presque dans un sens marxiste, c'est-à-dire comment les groupes sociaux... où des systèmes vont soumettre les gens, mais plus comment des personnages vont arriver à se libérer de la soumission qu'ils ont en eux-mêmes. Et bien entendu, les soumissions que l'on a en nous-mêmes, nos propres limites, nos propres restrictions, elles sont renforcées, soutenues, encouragées par des systèmes, ce qui nous amène évidemment à écrire des histoires dans des arènes bien particulières. Mais ce sur quoi je vais essayer de mettre l'accent, c'est quelle est la soumission intérieure de mon personnage. Par exemple, dans 1629, la soumission intérieure de Lucégratia Hans, c'est de croire profondément qu'une femme est là pour se soumettre aux ordres, et c'est comme ça qu'elle s'en sortira. Et sinon, elle sera dans le beau drap. Et elle va découvrir que si elle ne fait rien, évidemment, ça va être pire encore. Et de la même façon, j'ai envie de dire, dans Le Château des Animaux, Miss B, qui est donc l'héroïne, est une mère de famille qui a évidemment comme objectif de protéger ses enfants et elle-même. Et donc, la première chose, c'est de se dire, je vais baisser les yeux, ne pas m'occuper de politique. Moyennant quoi... tout se déroulera bien. Et le schéma se reproduit dans les deux cas, c'est toujours la même chose, quand vous ne faites pas de politique, la politique vient à vous, comme les gardères. Et dans les deux cas, la mort se rapproche et la mort auprès des gens auxquels ils tiennent. Et donc ces gens-là vont devoir changer en interne, d'abord se dire que oui, ils peuvent changer les choses. Mais moi je crois profondément que rien ne bouge tant que ça ne vient pas de l'intérieur. Et donc, c'est forcément ça que, en tant que scénario, je vais aller regarder en premier.

  • Yannick Lejeune

    Quand on s'est rencontrés il y a fort longtemps, tu réfléchissais à ce qu'il y a se passer s'il y avait une troisième guerre mondiale. Je crois que tu bossais avec les préfets, des choses sur comment ça allait se bloquer et tout. Et après, t'as rejoint la red team du ministère des armées pour imaginer des scénarios futuristes de défense, j'imagine. Est-ce que t'as le droit de nous en parler ou est-ce que t'es obligé de tous nous buter à la sortie si tu nous racontes ?

  • Xavier Dorison

    Tu sais, les deux gars qui sont en train de réparer en barrique, en fait, c'est pas des réparateurs. Non, plus sérieusement, euh... effectivement j'avais commencé à travailler il y a quelques années avec un réalisateur qui s'appelle Jérôme Lemaire sur une série pour Fédération qui fait notamment le bureau des légendes qui s'appelait Insurrection et qui racontait comment une guerre civile, pour être précis se déclarait en France et amenait la France à être dans une situation on va dire proche de... enfin Paris devenait Beyrouth ou Sarajevo, Ausha bon ça s'est arrêté pour une raison assez simple c'est qu'on était en train de l'écrire et en plein milieu de l'écriture il y a eu les Gilets jaunes, donc on s'est dit bon on va croire 1 qu'on profite et puis 2 on était presque en train de faire une prophétie autoréalisatrice. Donc, on a tout arrêté à ce moment-là. Ce que j'ai fait pour l'armée n'a rien à voir. En fait, l'armée a lancé un programme qui copie en quelque sorte des programmes du DARPA aux États-Unis, qui vise à prendre des auteurs, les former, et à les faire imaginer des situations conflictuelles à moyen ou long terme, 10 ans, 20 ans, 30 ans. Il y a eu deux équipes, en gros, qui ont été sélectionnées. J'ai fait partie d'une des deux équipes. Moi, je faisais partie d'une équipe qui était la plus confidentielle. Donc, je peux parler du procès, je ne peux pas parler de ce qu'on a écrit. Il y a une partie de notre travail de départ, qui est une sorte de travail promotionnel un peu, a été publiée. Donc là, voilà. Et on avait vraiment un premier sujet, c'est marrant, je ne sais pas même pour en parler, qui était la piraterie à horizon 20 ans. Et donc, avec deux auteurs, qui étaient Déo A, qui est auteur de roman, et Xavier Moméjean, qui est aussi d'ailleurs auteur de roman, on a travaillé sur une perspective de piraterie développée en Méditerranée avec le développement de zones de non-droit, dans plusieurs zones du Malraie.

  • Yannick Lejeune

    Et après, tu ne peux plus parler sinon. Non, le réel,

  • Xavier Dorison

    je pourrais le développer parce que cette histoire a été publiée avec d'autres histoires de l'autre équipe de la Red Team aux éditions des Équateurs. Mais les autres sujets que j'ai développés, non. Je ne peux pas en parler.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'il y avait des bonnes idées de scénarios pour faire des films et des séries ?

  • Xavier Dorison

    Je peux te dire que, par exemple, s'il y a une idée qu'on avait qui a donné lieu à un roman qui est sorti il y a... Je ne pourrais pas dire à quelqu'un, mais qui a donné lieu à un roman qui a eu beaucoup de succès l'année dernière. ça n'a rien à voir ça n'a pas été copié ni rien mais comme quoi on n'était pas totalement à côté de la plaque puis il y en a qui arrivent comment ça arrive on pensait que c'était dans 10 ans et en fait c'est en train d'arriver maintenant donc on est assez surpris puisque tu parlais de séries télé t'as écrit pour le cinéma donc on a parlé des Brigades du Tigre tout à l'heure de Jérôme Cornu avec Fabien Nury au scénario avec toi ensuite

  • Yannick Lejeune

    t'as fait un téléfilm qui s'appelle Pour toi j'ai tué je crois que t'as aussi t'es pas mal scrive docteur t'es prof à la FEMIS est-ce que le cinéma c'est un médium qui t'intéresse particulièrement ou est-ce que tu t'es dit comme tu l'as dit tout à l'heure, trop de contraintes, trop de producteurs, trop de gens autour de la table, finalement la BD, c'est ce que je préfère, quel est ton rapport à ça ?

  • Xavier Dorison

    J'adore le cinéma, c'est-à-dire j'adore voir des films. Je suis un passionné, évidemment, complet de cinéma. Mais bon, la réponse est un peu dans ta question. C'est-à-dire que le milieu du cinéma, pas tant les gens, mais le système qui fait qu'un film va pouvoir se faire, est extrêmement compliqué, extrêmement dur, très politique. C'est normal, dès qu'il y a beaucoup de gens, il y a de la politique. C'est naturel, le mot n'est pas péjoratif dans ce sens-là. Et c'est vrai que, comme j'adore énormément la bande dessinée aussi, et que la bande dessinée... nous donne une marge de manœuvre absolument extraordinaire. C'est-à-dire, il faut quand même réaliser, on n'a pas de problème de budget, on raconte ce qu'on veut, à l'époque qu'on veut, on n'a pas de limite de sujet. J'ai raconté tout à l'heure des limites sur la violence, mais c'est moi qui ai décidé, j'aurais pu décider que j'allais le raconter et mon éditeur, je pense, m'aurait suivi. On est très peu de gens à intervenir. Quand on fait un album comme 1629, au départ, il y a Timothée Montaigne qui dessine, bon, Clara Tessier qui va faire la couleur. Mon éditeur, Philippe Aurier, avec qui je discute énormément. Et puis ensuite, bien sûr, on a des rapports avec le marketing. Mais globalement, en résumé, on est quatre. Un film, c'est une centaine de personnes, voire plus que ça. Donc les décisions sont rapides. Et surtout, ce qui est extraordinaire, c'est que d'abord, je suis sûr que ça va se faire. Moi, j'ai écrit plusieurs scénarios de films pour lesquels j'ai été bien payé, très bien. Mais ils vont rester dans un carton et je ne pourrai jamais les raconter à personne. C'est hyper frustrant. J'ai envie d'écrire, mais pour que les gens me lisent. Et puisque j'adore aussi, et ce qui fait d'ailleurs que les scénaristes de bandes dessinées sont en général très mal élevés. C'est qu'en bande dessinée, on a la possibilité d'être main dans la main, non seulement avec le dessinateur, mais aussi avec l'éditeur, pour être présent. Ça ne veut pas dire décider, ça ne veut pas dire être pine ailleurs, mais c'est-à-dire amener une vision de la première idée jusqu'au libraire qui soit continue.

  • Mike Cesneau

    C'est plus showrunner que juste scénariste qui lui fournit son texte.

  • Xavier Dorison

    Exactement. Il n'y a pas d'obligation. Il y a des scénaristes de bande dessinée qui vivent ça d'une autre façon et qui remettent un script et disparaissent. C'est tout à fait légitime, ils ont le droit de le faire. Moi, je vis ça plutôt comme un showrunner. Je vais rencontrer les libraires, les gens du marketing, tout le monde. Et puis bien sûr, chacun décide de son métier. Il ne s'agit pas de prendre le pouvoir sur les autres. Mais j'aime bien cette idée d'une aventure collective que je peux suivre de A à Z. Je n'aurais jamais ça en cinéma. Donc je continue à écrire des films de temps en temps. Je continue à aider des gens à faire des films, ce qui est un plaisir énorme. Mais c'est vrai que je suis très heureux de faire la bande dessinée.

  • Yannick Lejeune

    À propos de Showrunner, il y a ta série Les Sentinelles, qui est une relecture de la Première Guerre mondiale en steampunk. qui va être adapté sur Canal+, ça sort dans pas trop longtemps. Oui,

  • Xavier Dorison

    ça sort.

  • Yannick Lejeune

    Quel est ton lien avec la production ? Est-ce que tu as participé à l'écriture ? Est-ce que tu as dit, prenez mes droits, ne m'en parlez plus, je regarderai ? Est-ce que tu as vu ?

  • Xavier Dorison

    Réponse 2. Réponse 2, c'est-à-dire, moi j'ai cédé mes droits, à l'époque j'avais énormément de travail, et donc j'ai dit à Guillaume Léman, écoute, je te fais confiance, fonce. Et ce qu'il a fait avec son équipe, et c'est vrai que pour eux c'était un chantier énorme, t'imagines faire une série de super-héros qui va donc être la... D'époque. D'époque, il va être la série la plus chère que Canal ait jamais produit. Bon, challenge énorme, des problèmes de fabrication. Ils en ont eu des tonnes. Il faut bien comprendre que quand on fait de la bande dessinée, on a essentiellement des problèmes de création. Quand vous faites de l'audiovisuel, vous avez des problèmes de création et de fabrication. Ça n'a rien à voir. Et eux, des problèmes de fabrication, ils en ont eu en voiture, voilà. Donc, ils ont eu le champ libre. Et puis sinon, vous verrez ça bientôt sur Canal, la saison 3 de Paris Police. Moi, j'ai travaillé sur la saison 2 avec Fabien Nury. C'est sa série. moi je l'ai accompagné simplement et puis je l'ai aussi un peu accompagné sur la saison 3 il a fait un travail extraordinaire et donc moi je serais content aussi de voir ça l'année prochaine aussi sur Canal.

  • Yannick Lejeune

    Claire toi aussi t'as fait des expériences multimédia les chemins du désir, le podcast se termine par une réflexion sur le roman comment ça se construit, le dernier épisode ça parle de toi en interview sur le roman comment ça se construit au démarrage est-ce qu'il y a l'idée des deux dès le départ qui amène l'autre ?

  • Claire Richard

    Non dans ce cas c'est on a commencé par le son, mais juste en fait c'est vrai que tout ce que tu dis sur la liberté de la BD, en fait ça s'applique mot pour mot à la radio je me dis la même chose, c'est-à-dire que pour avoir fait des toutes petites expériences en série et effectivement avoir vu le ratio de projets qui se font en fait ce que tu dis, l'idée de développer une histoire de penser à un personnage, de vivre avec lui pour rien, ça me semble complètement lunaire et effectivement la radio ça coûte de l'argent je sais plus quel était le budget d'Anne Bonny mais c'est le plus gros budget pour Arte Radio. Donc, en fait, c'est rien par rapport à la télé ou le cinéma.

  • Yannick Lejeune

    Et tu as conscience quand même qu'en termes de qualité de production de podcast, c'est très au-dessus de la moyenne.

  • Claire Richard

    Oui, bien sûr. Mais on l'a écouté.

  • Yannick Lejeune

    On est en retard.

  • Claire Richard

    Moi, j'ai l'impression que c'est un lieu qui fait de la radio depuis 15 ans. On a une tradition de création sonore qui n'est pas forcément connue parce que l'écosystème du podcast, il y a plein de... En fait, ça recouvre plein de formes très différentes. Et Arte Radio, c'est un endroit qui a une expérience en création radiophonique, donc en réalisation, en bruitage. Alors, on est aussi allé chercher des bruiteurs de cinéma, mais en même temps, ça s'est déjà fait sur d'autres fictions. Il y a un compositeur extrêmement talentueux, Michael Liot, qui a fait des musiques, des chansons superbes. Donc, c'est sûr que pour une fiction radio... C'est un gros budget. On a eu beaucoup de temps, en fait. C'est ça, après, comme tout. Mais on a eu plein d'intérêt.

  • Mike Cesneau

    Vous aviez parlé de showrunner sur la bande dessinée. Est-ce que tu as pu être impliquée dans la production et la réalisation d'Anne Bonny, par exemple ?

  • Claire Richard

    Alors oui, parce que c'est une structure, c'est une petite équipe, Arte Radio. Et les deux réalisateurs, réalisatrices, Arnaud Forest et Sabine Zovigian, c'est des gens que je connais depuis longtemps. On a travaillé avant sur les chemins de désir, même encore avant sur une fiction que j'avais faite. Donc, en fait, c'est des amis. Donc, on se connaît très bien. Et par ailleurs... Ça se fabrique comme ça, Arte Radio. À France Culture, c'est un peu différent. Mais donc oui, sur le casting, sur les musiques, Sabine, Arnaud m'envoyaient tout. Mais après, par contre, le montage, je les laisse quand même en autonomie. Ensuite, moi, je fais des écoutes à plusieurs moments. Mais on a une relation, en fait, on se connaît quand même très bien. Donc on a une relation de confiance importante. Et je sais que ce que j'entends quand j'écris, ou plutôt les tonalités, mais que Sabine, qu'Arnaud vont les faire exister hyper bien. Mais oui, oui, c'est une chance. C'est un écosystème merveilleux. et donc c'est un peu la même chose en fait c'est léger enfin ça coûte de l'argent mais c'est rien par rapport au cinéma et donc on peut faire de la piraterie donc on peut avoir des abordages on peut avoir des bateaux des trucs et ça nous coûte une fraction de ce que ça serait aussi c'est un film d'action c'est une grande fresque quand on l'écoute ouais complètement et on se dit si c'était assez il me coûterait vraiment peut-être cher et ça coûterait ce serait pas faisable quoi en série il y a un autre sujet d'ailleurs dont tu parles c'est qu'il y a la liberté de moyens dont tu parles c'est à dire l'abordage etc

  • Xavier Dorison

    Mais j'ai envie de dire qu'en... Enfin, je ne sais pas si c'est ce que tu as vécu en podcast, mais la vraie liberté qu'on a en bande dessinée, au-delà du moyen financier des décors, des personnages, des costumes, etc., c'est la liberté de pouvoir raconter ce qu'on a envie de raconter.

  • Yannick Lejeune

    Tu n'as pas 15 diffuseurs qui te donnent un cahier des chocs en disant pour la ménagère de 5 ans.

  • Xavier Dorison

    Il n'y a pas un distributeur qui vient me dire, je ne sais pas, ah ben non, Diane Kruger, elle ne peut pas mourir à la fin. Ben si, elle peut, c'est dans le scénario. Ouais, mais dans le spectateur, on n'acceptera pas. Pourquoi ? Oui, ça, je n'ai pas embellé. Il peut essayer, mais elle mourra quand même.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'en podcast, c'est aussi pareil ? Sur la liberté éditoriale, c'était complètement...

  • Claire Richard

    Ouais, ouais, total. Parce que c'est quand même un petit milieu, donc on ne gagne pas des sommes.

  • Mike Cesneau

    Je crois que Arte, même sur la production audiovisuelle pour leur série, il laisse les créateurs vraiment très tranquilles.

  • Claire Richard

    Alors ça, pour le coup, en série audiovisuelle, ça, je ne sais pas. Mais nous, en radio, on a une liberté absolument totale. Et ça, c'est aussi la beauté de ces lieux-là où il y a une confiance. Alors France Culture, parce que c'est l'autre gros producteur de séries de fiction radio, Ils sont un peu plus regardants. C'est-à-dire que je pense que c'est un processus qui s'apparente un peu plus peut-être à... S'il y a de l'audiovisuel, même si on a énormément de liberté créative, mais tu fais une Bible. En gros, à moi, Anne Bonny, parce qu'il y avait un rapport de confiance aussi avec Sylvain Chirc, qui était le directeur éditorial à l'époque. Moi, j'ai écrit le premier épisode et c'est tout. Du coup, je n'avais pas de Bible. Alors, tu as déjà mis en place toute la narration, le ton, la matrice, comment ça va fonctionner et tout. Mais il n'y a pas à écrire un synopsis. Alors, je crois que ça peut avoir un peu changé. Et donc, pour Les chemins de désir...

  • Yannick Lejeune

    Déjà, est-ce que tu peux pitcher pour les gens ? Et je préfère que ce soit toi qui le fasses, vu le sujet. C'est vrai que t'es bon.

  • Claire Richard

    Ouais, alors, Les chemins de désir, c'est une autofiction qui raconte, on pourrait dire, une sorte d'autofiction pornographique, c'est-à-dire le chemin fantasmatique, en fait, d'une narratrice de sa première rencontre avec une image érotique, donc quand elle a 8 ans, avec une BD de Manara chez sa grand-mère, jusqu'à la trentaine. Non, d'ailleurs, attends, c'est une BD de SFQ qu'elle rencontre... qu'elle voit chez sa grand-mère. Et donc, dans cette image où il y a deux femmes attachées, l'une dominatrice, l'une soumise, en fait, c'est un premier choc fantasmatique, érotique. Et la série raconte comment ce choc initial, en fait, commence à créer des chemins de désir, donc un imaginaire érotique et pornographique. C'est-à-dire que chaque épisode, en fait, c'est un peu un moment différent de sa vie. C'est des épisodes pas très longs, c'est entre 15 et 18 minutes. Et à chaque épisode, il y a l'arrivée d'un nouveau support de fantasmes et donc de porno. Effectivement, dans le deuxième épisode, elle va, enfin elle, je, mais elle, parce que c'est quand même une création aussi dramaturgique, mais elle arrive au musée d'Angoulême. Elle voit une image de Manara qui la lance dans une activité fantasmatique et masturbatrice un peu intense pendant son adolescence.

  • Yannick Lejeune

    C'était pas Crepax ?

  • Claire Richard

    Si, c'était Crepax. Non mais oui, effectivement, c'est Crepax. Ensuite, Internet arrive et donc elle passe beaucoup de temps sur un site qui fait l'objet de tout un épisode, puis sur les tubes avec U-Porn, etc. Et l'idée, c'était à la fois de raconter ça, parce que ça n'avait pas été beaucoup fait d'un point de vue de femme et d'un point de vue d'usagère du porno. Parce que je me disais que c'était une histoire générationnelle. Moi, je suis dans le 85 et l'écriture, elle date un peu déjà maintenant. J'ai dû commencer, je ne sais plus, en 2018, quelque chose comme ça. Mais c'était l'idée que je faisais partie de la génération qui avait connu le porno avant et après Internet. Et donc, de raconter ce que ça faisait à un imaginaire qui, petit à petit, rencontrait des lieux de plus en plus nombreux pour s'exercer.

  • Yannick Lejeune

    C'est ce que je trouve le plus génial dans ce que tu as fait. On parlait avec Mickaël en préparant le podcast, c'est qu'au début, on écoute ça comme une autofiction, dont on imagine qu'elle est assez proche de beaucoup de choses chez toi. Je disais au début, c'est un peu compliqué de se dire, tiens, c'est la première fois que je reçois un ou une invitée du podcast dont je sais quel est le tag précis qui la faisait triper sur YouPorn. Mais en fait, ce qui m'a emporté, c'est qu'au final, c'est très générationnel. C'est-à-dire que dans cette expérience qui est très singulière, il y a ce côté, je vais piquer une bande dessinée dans le grenier de mes grands-parents. Et en fait, c'est le écho des savanes de tonton machin qu'on trouve et qui crée les premiers émois. Ensuite, c'est... Cette capacité à se raconter des choses. Et puis un jour arrive Internet et une espèce de profusion beaucoup moins complexe que tu racontes le film de M6 capté en cachette le soir. Le porno de Canal+, dès que les parents en Canal+. Et je me suis dit, c'est hyper générationnel. Et en fait, dans cette histoire de femme qui s'interroge sur sa sexualité, sur son rapport entre le féminisme et le porno, ça me sent hyper concerné. Et j'ai trouvé que c'était hyper fort dans la capacité universelle du propos. Comment c'est venu cette envie ? parler de ça.

  • Claire Richard

    Par rapport à ce que je disais tout à l'heure, le fait qu'on est façonné par notre époque, je savais aussi, pour avoir lu des choses, que la consommation de porno, elle, est élevée chez les femmes, que beaucoup de femmes qui se considèrent hétéros consomment du porno lesbien, parce que c'est une tension qui est centrale dans les chemins de désir, à mesure que la narratrice, elle grandit, elle commence à conscientiser un peu potentiellement qu'est-ce que ça veut dire d'un point de vue féministe. Donc ça, je savais que ça concernait plein de gens. Et après, moi, à ce moment-là, j'étais journaliste pour le site rue 89 et on faisait beaucoup de choses quand même sur les questions sexualité, culture et beaucoup de récits en fait, on allait interviewer beaucoup de gens et on avait même une rubrique dans le nom m'échappe, je sais plus en gros des gens nous écrivaient parce qu'ils voulaient nous raconter leur histoire de cul et on allait les interviewer je me souviens notamment d'un couple qui s'était lancé dans le candolisme, c'est quand on aime regarder son partenaire avec une autre personne et en fait c'était assez beau la façon dont ils le racontaient parce que évidemment qu'au coeur de ça c'est l'amour de ce couples, leurs relations conjugales, etc. Donc, je baignais un peu dans cette idée que les histoires sexuelles sont intéressantes à raconter parce qu'elles concernent tout le monde, et que c'est une banalité, mais quand même, plus on est précis, plus elles concernent tout le monde. Et voilà, et après, c'était aussi un peu cette pensée, d'abord, de cartographier une expérience qui allait disparaître, puisque ce que je disais, ce côté générationnel, d'avoir découvert l'imaginaire érotique avant Internet, puisque c'est plus le cas des générations qui arrivent. C'est pas mieux, c'est pas moins bien. Mais je trouvais que c'était important de raconter ça.

  • Yannick Lejeune

    Et qu'est-ce qui est venu avant, alors, le roman ou le podcast ?

  • Claire Richard

    Le podcast. parce que j'avais déjà travaillé pour Arte Radio avant, un peu par hasard, parce qu'au début, moi, je voulais écrire de la littérature expérimentale, mais ça ne marchait pas beaucoup. Et par hasard, je suis arrivée à Arte Radio et donc un premier texte que j'avais écrit avait été transformé en fiction là-bas. Et donc, il y avait eu cette espèce de rencontre miraculeuse avec un endroit qui voulait mes textes, me faisait des contrats pour ça. Ce n'était pas des sommes mirobolantes, mais ça me semblait quand même d'un goût. Et donc, en fait, à la base, c'était une demande de Sylvain Gir de me dire, je te fais un contrat écrit sur ce que tu veux. Parce qu'il y a une... politique d'auteur, une politique de fidélité aux autrices, parce que c'est principalement quand même des femmes. Et donc, il m'a encouragée en me disant ce que tu veux. Alors que l'édition classique, ça ne s'était pas matérialisé. Là, j'avais un endroit où c'était possible. Donc, c'est parti en son. Et après, il y avait aussi l'idée que raconter des histoires de porno en son, ça avait beaucoup de sens, que ça posait plein de questions très intéressantes qui étaient puisque c'est générationnel, puisque c'est des images qu'on a tous et toutes en tête. En tout cas, on a... chacun, chacune, nos images en tête de porno, comment les évoquer sans en même temps mettre mal à l'aise, c'était aussi tout le défi de réalisation qui était hyper intéressant, c'est-à-dire comment rester à la fois très cru par moments, tout en étant aussi poétique et évocateur, ce qu'on voulait faire. Et ça, c'était propre au film. Ça exhibe, c'est ça qui est très réussi. Moi, j'avais un peu comme critère l'idée qu'on puisse l'écouter en public sans être absolument mortifié, à côté d'inconnu.

  • Mike Cesneau

    Est-ce que maintenant, tu abordes toutes tes futures idées de projets en te disant, je vais commencer par une fiction audio et après, je verrai où ça atterrit.

  • Claire Richard

    Et bien en fait, quasi ouais, parce que je travaille sur d'autres médiums, mais je me dis un peu, même par rapport à ce qu'on disait de la série, c'est que c'est un bon endroit où développer des histoires, parce qu'en fait, elles existent, elles se font, ou tu sais, en tout cas, tu sais très vite si ça se fait pas. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un processus de développement infini à la fin duquel on te dit, ah bah non, désolé. Là, tu le sais, donc en fait, oui, un peu. Là, j'ai fait une fiction radio qui est sortie au début de l'année, enfin là, en septembre, sur France Culture, que j'essaie d'adapter en roman parce que j'aime les personnages. Je vais faire une série pour France Culture l'année prochaine. Et oui, j'essaierai parce qu'elle est... Elle est un peu plus classique dramaturgiquement. Moi,

  • Yannick Lejeune

    je me suis demandé si ce n'était pas aussi lié justement à ton histoire sexuelle. Parce que dans le podcast, tu commences par cette case de BD. Ensuite, tu vas sur FBB. Donc là, c'est des textes. Ensuite, tu vas dans le porno visuel. Et tu expliques que tu en consommes énormément. Et à un moment, il y a une coupure d'Internet. Et tu dis, avant, quand j'étais dans le texte, dans l'imaginaire, j'arrivais à réorganiser tout ça dans ma tête pour me créer de l'émoi. Alors que le porno visuel, quand il n'y en a pas devant mes yeux... Je ne sais plus m'en servir et je ne me souviens même pas des trucs que j'ai regardés. Et puis, tu finis le podcast, ça ne va pas tout dévoiler, mais tu vas sur un sous-groupe de Reddit où c'est des gens qui enregistrent certains des orgasmes, certaines des histoires de cul. Et tu dis, pour la première fois depuis des années, je peux me toucher les yeux fermés. Pour la première fois depuis des années, je n'ai plus besoin d'images. On prend mon imagination par la main. Et je me suis dit, mais c'est peut-être là que naît le podcast dans ta tête. C'est le jour où tu te dis, mais en fait, quand on me parle et qu'on me raconte une histoire sans images, je peux visualiser ce que je veux. Allongez-vous sur ce canal. Non,

  • Claire Richard

    mais la vérité m'oblige à dire que c'est une fin... Là, on est vraiment dans l'autofiction, c'est-à-dire que tu mets de la structure sur le réel. Donc oui, j'ai eu une phase porno-sonore, mais en vérité, elle ne constitue pas l'acmé. Mais par contre, pour un podcast... C'était beau de chier à la chien. Donc en fait, c'était un peu ça. Parce qu'à travers cette question du porno, il y avait aussi un peu en petit filigrane qu'est-ce que ça fait d'être dans une culture visuelle démultipliée ? Qu'est-ce que ça nous fait, en fait, les vitesses d'Internet ? Parce que ça, c'est aussi une question qui m'intéresse beaucoup. Qu'est-ce que ça nous fait ? Tous nos médias, comment ça nous transforme ? Et en fait, le retour au son à ce petit site d'amateurs, c'était aussi le retour du coup à un temps différent. Parce que le son, tu peux l'accélérer, mais c'est pas pareil. Et puis, c'est le retour à l'amateurisme aussi. Parce que c'est ça qui est beau dans les voix de ce site, c'est que c'est vraiment... C'est vraiment des gens qui s'enregistrent chez eux, et c'est ça que t'entends en fait. T'entends l'émotion, t'entends le trouble, et donc t'as un contraste très fort avec la production démultipliée et hyper professionnalisée que tu vas trouver sur les grands sites. Et après, oui, pour retomber sur le roman, je l'ai envoyé à quelqu'un que je connaissais pour avoir travaillé ensemble dans un magazine de critique littéraire quand j'avais 20 ans. qui était au seuil et je m'étais dit que ça ferait, parce que c'est un texte assez court, un début d'essai et autant j'avais vraiment galéré quelques années avant, autant là il y a eu une espèce d'alignement des planètes autour de ce projet où il a été pris au seuil très vite. Et donc en fait c'est à peu de choses près le même texte avec un tout petit peu plus de détails mais pas beaucoup.

  • Yannick Lejeune

    Il y a ça aussi dans la bande dessinée, moi j'étais très agréablement surpris par le fait que souvent une adaptation d'un podcast ou de quoi que ce soit en bande dessinée c'est pas bien parce qu'on tronçonne la matière de départ. par des gens qui, en plus, n'ont pas forcément les moyens, parce qu'on a déjà payé la licence, de faire une bonne adaptation. Et surtout, ils n'utilisent pas la BD pour ce qu'elle est. Donc finalement, ils vont illustrer un texte. Et là, en fait, t'as réussi à prendre quasiment toutes les phrases du podcast. C'est vraiment très, très proche du podcast sonore. Et à les mettre en bande dessinée en faisant un très bon album de BD. Alors déjà, le dessinateur est extraordinaire. Mais comment t'as adapté ?

  • Claire Richard

    Ça me fait très plaisir, merci, parce que c'est... La première fois, j'ai lu Scott McCloud. pendant un été, en prenant des notes.

  • Yannick Lejeune

    Je crois que ton dessinateur, il vient de l'animation.

  • Claire Richard

    Ouais, il vient de l'animation. Et puis, il y avait beaucoup de... Justement, sur la question des angles, du dynamisme. En fait, ça, il a amené beaucoup de choses. Et après, je réfléchissais à la question de l'ellipse, du découpage, du passage d'une page à une autre, ce genre de choses. Mais sinon, c'était assez naturel, parce qu'une fois de plus, j'ai quand même une imagination visuelle. Donc, j'avais l'impression de décrire vraiment ce qui ne se voit pas dans le script audio, mais que moi, j'ai en tête. C'est-à-dire le bordel, tous les décors, etc. c'était assez facile à décrire parce que je les avais en tête.

  • Yannick Lejeune

    Là, c'était la rentrée littéraire. J'ai lu à peu près 200 albums de BD depuis début septembre. Et franchement, le tien est ressorti comme un des qui m'a le plus touché. Et ça me fait une transition toute trouvée pour parler de Ulysse et Cyrano, qui est vraiment à moi un de mes coups de cœur de l'année aussi. Xavier, je te le dis, je vais te laisser le pitcher.

  • Xavier Dorison

    On est en France, dans les tout débuts des années 50. Ulysse Dussert a 16 ans. Il va bientôt passer son bachot, comme on dit à l'époque. Et Ulysse Dussert a la spécificité d'être le fils unique de la famille Dussert que tout le monde connaît puisqu'il s'agit des plus grandes fortunes françaises. Et le destin d'Ulysse est tout tracé, il va reprendre la boîte de papa, enfin avant il fera mathélème comme on disait à l'époque, puis il fera bien sûr polytechnique, et puis bien sûr il dirigea la boîte. Sauf que papa a un problème, papa est accusé de collaboration, et le temps de se défendre, le temps que les choses s'apaisent un peu à Paris, M. Dussert envoie son fils Ulysse et son épouse, Mme Dussert. ouvert, comme on dit, en Bourgogne. Il a loué une grande maison sous le nom de jeune fille de sa femme et il espère que Ulysse finira de préparer son bachot là-bas et que lui, il aura le temps de résoudre les problèmes qu'il a à Paris. Mais Ulysse du Cerf va faire une rencontre. Il va rencontrer un homme qui s'appelle Cyrano. Alors Cyrano, c'est l'opposé complet d'Ulysse. Il a presque la soixantaine. Il a jeté son réveil et ses montres il y a une bonne dizaine d'années. Il vit comme il veut. Il fait ce qu'il veut. Il vit dans une grande maison un peu délabrée au milieu de la forêt en Bourgogne et avec une particularité quand même, c'est que dans cette maison, il y a une pièce extraordinaire, c'est la cuisine. Parce qu'il se trouve que Cyrano, dans une autre vie, a été le plus grand cuisinier de France. Il ne l'est plus, il n'a plus de restaurant. Pourquoi ? Vous le saurez en lisant l'album. Mais ces deux personnages vont se rencontrer, vont devenir amis. Grâce à Cyrano, Ulysse va réaliser ce qu'il aime. Et bien, il aime faire plaisir, il aime faire quelque chose avec ses mains, il aime être créatif. Bref, il aime faire la cuisine. Et petit à petit, une idée va commencer à germer dans la tête d'Ulysse. Et si je devenais cuisinier ? Sauf que vous vous en doutez, quand on est en France, dans les années 50, et qu'on est fils de la famille du cerf, on ne devient pas ouvré légume et éplucheur de patates et non toute la question est de savoir si Ulysse pourra réaliser son rêve.

  • Yannick Lejeune

    Alors cet album, il est impressionnant parce qu'il est d'une densité narrative extraordinaire. Et pourquoi ? C'est parce que ça raconte à la fois une histoire d'amitié, ça raconte une histoire de gastronomie. Moi, j'y suis allé pour la bouffe au départ, je te le dis. Ça raconte l'histoire de cette époque avec la collabo, les soupçons, des rapports au travail, des histoires de filiation. et un maelstrom de récits en fait et de thèmes.

  • Mike Cesneau

    Il y a encore la lutte des classes aussi, les confrontations entre des classes de main dominée.

  • Xavier Dorison

    Il y a tout ça, mais par contre, il y a une colonne vertébrale qui est très, en tout cas pour ces auteurs, qui était très claire, qui se résume en trois mots, c'est l'apprentissage du bonheur. C'est-à-dire comprendre qui l'on est, mettre en place une activité qui correspond à ce qu'on est et enfin trouver sa place avec cette activité dans le monde. Dans le fond, c'est ça que raconte Ulysse et Cyrano. Il se trouve qu'avec le co-auteur Antoine Christo, on est des passionnés de cuisine. Lui encore plus que moi. Donc, ça nous plaisait bien, on aimait bien la Bourgogne. Mais on aurait pu faire ça dans la musique, dans la maroquinerie.

  • Yannick Lejeune

    Il y a plein de BD qui surfent sur une mode, la mode de tout le monde. Là, quand ça parle de cuisine, on sent que derrière, vous y connaissez, il y a un espèce de plaisir de ce que la cuisine peut avoir d'artistique qui est retransmis dans la BD.

  • Xavier Dorison

    C'est le partage qui nous intéresse dans la cuisine. En fait... c'est la communion. Alors il se trouve que Antoine, qui a co-écrit avec moi, qui lui a complètement un autre métier, mais lui, il a été sélectionné pour faire Masterchef. Bon alors comme il est DRH dans une grosse boîte, il s'est fait attendre, j'ai pas trois semaines à vous consacrer, mais vraiment, c'est vrai que c'est un excellent cuisinier, mais pourquoi est-ce qu'on aime la cuisine autant la faire que la partager ? C'est parce qu'en fait, elle va créer un moment. Elle va créer un moment d'abord de plaisir physique, ça nous renvoie à ce dont on parlait à l'émission tout à l'heure, mais la cuisine, et manger, c'est bien un... un plaisir qui est très intime, en fait. Et c'est un plaisir intime qu'on partage. Et c'est ça qui nous plaît, en fait. Et d'ailleurs, on aime tous les types de cuisine, tous les types de restaurants, mais c'est vrai qu'à la limite, Antoine et moi, on va presque préférer une nappe à carreaux et un bœuf bourguignon très bien fait ou une blanquette à un étoilé. Beaucoup d'estime pour le chef étoilé, il ne sait pas du tout ce qu'on veut dire, mais à la limite, le restaurant étoilé va créer un contexte presque guindé, presque d'admiration d'une performance qui, pour nous, à la marge, nuit un peu à cette communion. Et c'est vrai que tout le monde aime ces moments où on se retrouve autour d'un Mont-Plat. Et le Mont-Plat n'est pas le sujet. Le Mont-Plat, c'est le catalyseur du moment, en fait. Et donc, qu'on place son énergie, son envie et sa place dans le monde, dans la création de ce moment de communion, c'est évidemment ce qui nous a fait retrouver, j'ai envie de dire, tous les trois. Parce qu'évidemment, avec Stéphane Servin, qui est le dessinateur.

  • Mike Cesneau

    Qu'est-ce qui vous a inspiré dans la création de ce personnage de Cyrano qui est un peu comme ça, bigger than life ?

  • Xavier Dorison

    C'est tout bête. Il est l'inverse d'Ulysse. Il est inspiré... de personnages, grande gueule. On voit bien Gabin faire ça. On voit bien Alexandre le Bienheureux, Philippe Noiret. Mais il faut voir qu'au-delà de cette apparence-là, en fait, il va être le mentor. C'est son ami, mais c'est aussi son mentor à Ulysse. Il va lui transmettre une bonne partie de sa vision de la vie. Alors, c'est marrant parce que mes enfants, ayant lu l'album, ils ont dit Bon, on a l'impression que tu parles dans toutes les bulles. Alors, je dis Bon, visiblement, on va voir. Mais moi, j'avais... Je termine là-dessus. Alors, c'était moi. et une fois de plus en soi, qui ont partagé un certain nombre de convictions sur l'éducation. Mais moi, j'avais en plus un rapport très intime et très particulier à cette histoire, qui est que mon propre père, d'un milieu bourgeois parisien, son père est directeur adjoint d'une compagnie de charbonnage, ils habitaient dans le 6e arrondissement. Et à l'âge de 17 ans, alors qu'il est étudiant au lycée Montaigne ou Henri IV, mon père vient voir mon grand-père, parce qu'on parlait au père à ce moment-là, et elle lui dit, écoute... de papa, voilà, tu veux que je fasse des études et tout, mais moi, je voudrais rendre les gens beaux et donc je voudrais être coiffeur. Là, on parle, on est avant 68. Alors, je crois que d'après ce qu'on m'a raconté, pendant 3-4 jours, mon grand-père a eu un peu de mal à... Mais il se trouve que il n'était pas du tout, je l'ai un peu connu, il n'était pas du tout comme le père d'Ulysse. C'était un homme très bon, très compréhensif, qui d'ailleurs était vice-président et pas président, parce que lui, il voulait pouvoir aller jouer quand même au bridge un certain nombre d'après-midi dans la semaine. Et donc, il a dit oui à mon père et il l'a soutenu. Et donc, mon père... qui est toujours vivant, a été coiffeur toute sa vie, et sans doute pas très riche, mais très heureux. parce qu'il faisait ce qu'il aimait. Le matin, il était content d'aller voir ses clientes ou ses clients. Il était content de retrouver les autres coiffeurs qui travaillaient. Et il a mis ça en place dans notre fratrie. Et mes parents, ils ont toujours dit, faites ce que vous voulez, du moment que vous le faites bien et que ça vous rend heureux.

  • Yannick Lejeune

    Dans les chemins de désir, Claire, tu racontes qu'à force de consommer du porno, j'y reviens, je suis désolé, mais tes chemins de désir deviennent des machines voraces qui exigent du nouveau, de l'extrême, de plus en plus souvent. Il y a un truc très drôle avec une espèce de visualisation d'orpeur romain qui, pour s'amuser, demande des choses de plus en plus décadentes et escabreuses. Est-ce que vous pensez que c'est pareil dans la culture d'aujourd'hui ? Est-ce qu'avec le flux qu'on a à travers les plateformes, est-ce que le flux, je pense que la rentrée littéraire BD n'a jamais été aussi monstrueuse en termes de volume ? Est-ce que vous pensez qu'il faut faire du Bigger Than Life pour arriver à sortir le nez du flux ?

  • Xavier Dorison

    Il y a deux questions différentes.

  • Claire Richard

    Pour répondre à la première, je pense que oui, mais je pense que c'est quelque chose qu'on ressent tous et toutes. Tu vois, ce déferlement des contenus. Moi, je pense, je ne sais plus à quel moment on parlait tout à l'heure, ou en réfléchissant à ce qui faisait une bonne histoire, ou je pensais à Netflix, en fait, ou à quel moment tu es déçu d'un pitch. Moi, j'ai l'impression quand même, j'ai encore Netflix, mais chaque mois, je me demande pourquoi je continue à payer. On le voit qu'en fait, on est arrivé à... degré de production industrielle de séries où tu vois exactement quels sont les devices dramaturgiques qu'ils sont allés chercher. La dernière, c'est une podcasteuse féministe et un rabbin. Tu vois très bien que les mecs se sont dit...

  • Yannick Lejeune

    J'ai regardé quatre premiers épisodes et j'ai arrêté.

  • Claire Richard

    Ça se trouve, c'est bien. Moi, je me suis dit que ce n'était pas possible. C'est un bitch qui a été écrite par une IA. C'est un peu paresseux. Je pense que ça, on le sent. J'avais pensé à ça sur la question pour revenir à la deuxième de est-ce que c'est bigger than life ? Pour moi, ce n'est pas tant la question. C'est plutôt... la question de la singularité, même si c'est une... Pareil, c'est un peu banal. Et pour reprendre l'exemple de Netflix, je pense que la dernière série que j'ai beaucoup aimée, je pense qu'on est nombreux, nombreuses dans ce cas-là, c'était Petit Reine. Et pourquoi ? Parce que précisément, alors je crois qu'en plus, l'auteur s'est inspiré de sa propre vie. Cette histoire de ce bartender qui est harcelé par une femme, voilà, et le harcèlement prend des proportions très, très intenses. Et bien sûr, ça vient révéler leur vulnérabilité à tous les deux. En fait, j'avais l'impression, pour la première fois depuis assez longtemps sur Netflix, de voir une histoire très très singulière qui d'ailleurs se déroulait selon des arches qui n'étaient pas prévisibles qui ne suivaient pas nécessairement les actes etc. les climax moi j'ai l'impression que c'est plutôt ça qui fait que les choses se détachent en tout cas c'est ce que je me dis en tant qu'autrice quand je me demande qu'est-ce que j'ai envie de faire et surtout à quoi bon écrire telle ou telle histoire ça va être la question d'un personnage de résister à cette tentation de standardiser mais c'est vraiment des banalités ce que je dis mais de standardiser c'est que Petit Rennes ça correspond quand même exactement

  • Yannick Lejeune

    à ce que l'algo de Netflix sortirait, c'est-à-dire une histoire d'amour avec un fait divers proche du fait d'entrer l'accusé. Si tu prends ce qui est regardé sur Netflix, ça rentre pile-pile dans le cycle. Après, je suis d'accord avec toi, la structure et même le fait que les personnages sont tous...

  • Claire Richard

    Et la singularité, en fait, c'est surtout que tu sors dans quelque chose d'extrêmement cringe tout du long. Et que quand même, t'as pas l'impression de voir une histoire qui se déroule selon les...

  • Yannick Lejeune

    Non, mais c'est...

  • Claire Richard

    Tu vois, selon les...

  • Yannick Lejeune

    Les pays faux,

  • Claire Richard

    ouais. Les points un peu attendus.

  • Xavier Dorison

    donc c'est plutôt ça que je dirais en fait maintenant il y a trois qui te plongent il y a une première question qui est justement ce phénomène de normalisation de banalisation dont tu parles des séries qu'on voit mais le problème de fond c'est que la production de contenu est au départ une industrie de l'offre c'est à dire que c'est aux auteurs et aux artistes de proposer ce qui leur paraît intéressant, pertinent, on va y revenir dans le deuxième point mais C'est à eux de définir ça. Or, les plateformes comme Netflix, Amazon et d'autres sont dirigées, conduites et organisées par des gens qui ne connaissent que le marché de la demande. C'est-à-dire que c'est des gens qui, en gros, ont des systèmes de pensée qui sont façonnés comme ça. Et c'est normal, ils viennent d'écoles de commerce, je sais de quoi je parle, où on leur a dit, regardez ce qui s'est fait hier, reproduisons-le. S'il y a bien un domaine où ça ne marche pas, où c'est mauvais, c'est en art. Ce qui a déjà été fait hier n'est pas intéressant. Et donc, on ne peut pas fonctionner comme ça. Et comme eux-mêmes ne savent pas écrire, ne savent pas créer, parce que sinon ils seraient auteurs, ils se réfugient dans un système qu'ils connaissent, c'est celui de la reproduction de code. Et plus l'industrie grossit, plus le nombre de gens qui pensent comme ça est important. Donc, vous avez des systèmes qui, naturellement, vont amener à la production d'œuvres qui se ressemblent. Ça, c'est le premier point, à mon avis. Le deuxième, c'est... Tu peux avoir l'occasion de savoir, est-ce que les séries, c'est comme le porno sur Internet, ça devient addictif, et à un moment, on veut des choses de plus en plus violentes. Je crois que c'est très différent. Enfin, moi, j'ai compris la question comme ça. Parce que je comprends bien le phénomène.

  • Yannick Lejeune

    Plus en plus violent ou plus en plus bizarre ?

  • Xavier Dorison

    Ou bizarre. Violent ou bizarre, absolument. Pardon, tu as totalement raison, violent ou bizarre. Ce système-là est lié, au fait, à tous les principes d'addiction. Quelle que soit ton addiction, il y a un phénomène qui va faire que la dose d'hier, comme tu la connais déjà, tu l'as déjà vue, va se banaliser, et moyennant quoi, il va falloir l'augmenter. Et là, je pense que les histoires sont assez différentes, précisément pour la raison qu'évoquait Claire, c'est-à-dire que... L'intérêt des histoires, c'est pas tant de se dire qu'on va les raconter différemment. à mon avis, c'est plutôt de se dire qu'on va raconter autre chose. Et comme la vie continue, la vie émotionnelle, relationnelle, amoureuse, sociale, politique, il se passe des nouveaux trucs tous les jours. Donc comme il se passe des nouveaux trucs globalement tous les jours, par définition, les auteurs ont à contempler de nouvelles choses. Et comme ils ont tous, il faut l'espérer, des regards différents, ils ont tous de nouvelles choses à raconter. Donc tant que la vie continuera, on pourra raconter de nouvelles histoires sans tomber dans les problématiques que posent... un phénomène d'addiction et puis la dernière question c'était comment on fait aujourd'hui quand il y a beaucoup de titres notamment en bande dessinée qui sortent ben là je suis d'accord il y a une nécessité absolue de sortir du lot moi quand j'ai commencé en bande dessinée il y avait 800 nouveautés par an on en est à plus de 5000 si cette année je pense ouais peut-être plus de 6000 avec cette problématique qui est à nouveau dans ce marché là qui reste donc je le rappelle un marché de l'offre qui est que si l'album n'est pas sur une table des nouveautés ça pourrait être le meilleur album du monde ben il ne sera pas

  • Yannick Lejeune

    Toi, tu es un bon exemple de ce qui s'est passé avec Netflix. Moi, pendant dix ans, j'entends, alors de toute façon, depuis Blueberry, le western, c'est mort. Arrive Undertaker, que tu écris, et d'un seul coup, tout le monde se remet à faire du western. Ah, le western, c'est super.

  • Xavier Dorison

    Moi, j'essaie de passer ma vie à faire un peu des ruptures. J'ai commencé comme ça. Quand j'ai commencé avec Alex Salis, on avait 25 ans, 24 ans. on s'est dit tiens on va mélanger Da Vinci Code avec le National Zone et X-Files on s'est dit on va faire une histoire une aventure historique qui va s'appeler le 3ème testament ça sera une histoire d'aventure mais il y aura de la religion de l'ésotérisme. Pendant deux ans tous les éditeurs de La Place, tous nous ont dit mais ça marchera jamais votre truc il faut faire soit de l'histoire seulement et puis un jour chez Glenna ils ont dit, Jean-Claude Camano on va essayer, bim ça va marcher après je sais pas moi j'ai voulu faire du pirate il y avait plus de pirate il y avait plus de récits pirates c'était Barbeau Rouge c'était un film de John Silver on dit mais vous êtes sûr parce qu'il n'y avait pas Pirates des Caraïbes non plus et vous dites Pirates bon après il y avait plein de Pirates et voilà et aujourd'hui je ne suis pas tu parlais du Cyrano je fais une histoire Feel Good Feel Good Story un peu à la papa française alors j'espère que c'est renouvelé et tout mais les producteurs de cinéma là je vous rends compte maintenant qu'ils ont l'album en main ils réagissent différemment mais quand ils avaient juste le scénario parce qu'il y avait un scénario de film aussi ils disaient non mais le Feel Good Story ça n'intéresse plus personne toutes les histoires tous les sujets intéresse tout le monde, du moment que c'est honnête, bien fait, bien raconté, et que ça ne nous répète pas ce qu'on a déjà entendu dix fois.

  • Mike Cesneau

    Puisqu'on a repassé un peu en revue plusieurs choses que tu as faites, moi je m'étais posé une question. Quand tu as fait Long John Silver, c'était une volonté de créer une suite imaginaire aux aventures qu'avait écrite Stevenson à la base. Tu as aussi travaillé sur la suite de Goldorak, qui a été un très très grand succès de librairie. Et je voulais savoir, j'avais deux petites questions. La première c'était, qu'est-ce qui t'intéresse dans le fait de faire revivre...

  • Xavier Dorison

    un grand mythe culturel qui n'est pas à la base ta création à toi et de reprendre un personnage mythique pour le faire comme Torgal aussi comme Torgal 2013 et est-ce que il y en a d'autres qui seraient dans tes fantasmes futurs peut-être de faire revivre alors dans les fantasmes futurs pour l'instant non pour l'instant non parce que j'en ai fait pas mal et j'ai maintenant envie de m'amuser plus avec mes propres créations mais alors les raisons à chaque fois sont différentes Goldorak honnêtement quand à 47 ans vous écrivez Corneau Fulgure et Astéro H c'est un peu quand il y a un truc bizarre. Mais pour moi, comme pour toute l'équipe qui a travaillé sur cet album, c'était un fantasme de gosse.

  • Yannick Lejeune

    Tu ne peux pas refuser ça aux gosses que tu as aimés.

  • Xavier Dorison

    Oui, mais parce que si on était dans mon bureau, tu verrais qu'il y a plein de trucs qui sont de l'époque de mon enfance. Non pas que je veuille retomber en enfance. J'ai 52 ans, je suis un adulte. Mais il y a une énergie, une envie qui est liée à mon enfance qui est pour moi une source à laquelle je m'abreuve le plus possible. Et quand j'ai cette image d'enfant ou à 7 ans, Quand Goldorak sort, je suis comme 90% des gosses de ma génération, totalement hystérique. Totalement hystérique, c'est-à-dire qu'un épisode de Goldorak, je le vis, je suis dans, et je le revis à l'école, et je le rejoue à l'école, etc. Et ce qui était assez curieux, c'est que je n'avais jamais quitté Goldorak depuis mon enfance. Et notamment, je m'étais pendant longtemps imaginé une suite et tout. Et c'était une suite, mais vue avec des yeux d'adulte et des moyens narratifs d'adulte, évidemment. En fait, il y a eu au départ une sorte de piège amical. Voilà. Et quand Christelle Houlan, qui est la directrice générale de Kana, qui est le plus gros éditeur de manga au monde, hors Japon, me dit un jour à un déjeuner en Angoulême, tiens, tu connais Goldorak, ça t'amuserait d'écrire un truc ? Alors évidemment, déjà, je lui déroule d'emblée un synopsis. Et qu'elle me dit, écoute, je connais Gonagai, le créateur, si tu me présentes quelque chose de sérieux, on y va. Mais j'ai plus 47 ans, j'ai 7 ans. Et donc là, ce fantasme d'écrire le dernier épisode, puisque c'était ça cet album, c'est le dernier épisode de Goldorak, on est au 77, on a fait le 78e. on était comme des fous et en même temps on avait assez de recul pour se dire on fait un épisode qui est dans le respect de cette série il s'agit pas de dire le héros était un salaud de casser le temple Mais on se donne quand même pour objectif de rajouter une pierre au temple et d'amener un regard. Comme on a pris les personnages qui sont dix ans après. Bon, nous, c'était quarante ans après. Mais ils ont vieilli, ils sont comme nous et on a fait une mise en abîme. Et en même temps, on a vécu. Donc, je suis. Donc, Scénarii, je suis dans le centre où j'ai été piloté Goldorak. Et donc, chaque reprise, entre guillemets, a une... Bon, je ne vais pas toutes les faire. Mais typiquement, quand je fais treize Outorgal, surtout treize d'ailleurs, il y a l'idée là de me mettre dans les traces d'un de mes maîtres dans mon métier. J'ai eu plusieurs mentors. L'un est évidemment Jean Von Am. Et donc, quand on dit, voilà, tu vas passer derrière, derrière ton mentor et essayer de lui rendre hommage, là, il y a...

  • Mike Cesneau

    C'est une mission sacrée,

  • Xavier Dorison

    presque. Pour l'anecdote, quand j'avais 22 ans, quelque chose comme ça, je n'imaginais pas devenir scénariste. Ce n'était pas possible. Personne dans mon milieu était scénariste. Ça ne voulait rien dire. Ça n'existait pas, les scénaristes. Et je suis au Festival de bande dessinée des Grandes Écoles que je co-organise avec d'autres. Et là, je rencontre Jean-Renan. Je n'avais jamais vu un scénariste en vrai. Je passe une journée avec lui. Je souris tellement que j'ai mal au jou, et je pense qu'il y a une voix en moi qui s'est dit je veux pas être Jean Van Damme, parce que j'ai pas son talent, pas son carrière, etc. Mais je veux être comme un Van Damme, et ça me donne un objectif. Et quand dix ans plus tard, Yves Schlier, directeur éditorial de Dargaud, me dit est-ce que tu veux être le premier à écrire un 13 après Jean Van Damme ? C'est magique, quoi.

  • Yannick Lejeune

    Puisqu'on vient de parler de mentors, pour conclure, est-ce que vous pouvez nous donner le meilleur conseil d'écriture que vous ayez reçu et que vous donneriez à quelqu'un d'autre ?

  • Xavier Dorison

    Moi, s'il y en avait un que je devais donner, c'est ne jamais oublier que la vraie victoire est la victoire intérieure. C'est ça qui compte dans une histoire. Est-ce que le personnage principal aura sa victoire intérieure ? C'est-à-dire, est-ce qu'il dépassera son défaut initial, son défaut fatal ?

  • Claire Richard

    Moi, je dirais le conseil, enfin un des conseils d'Amingway qui est The first draft of anything is shit c'est-à-dire la première version de quoi que ce soit, c'est naze. Et un autre qui est un peu lié, alors je crois que c'était, je ne sais plus si c'était Tanay Isiko ou Jennifer Regan, parce que je... des romanciers américains que j'aime bien, et qui est l'idée que ce qui nous bloque souvent pour écrire une première version, c'est l'écart entre... Je ne sais plus ce qu'elle dit, je crois qu'elle dit, en fait, beaucoup de gens n'arrivent pas à aller jusqu'à la fin de la première version, parce que ce qui sort en premier est mauvais, et que personne n'aime être confronté à cette chose médiocre qui sort de toi. Et donc l'idée de traverser ça. C'est moins un problème, mais je pense qu'au début, c'est cette idée que ça n'est qu'une V1, et qu'en fait tout le travail, c'est les V2, les V3, les V4. Mais je me le dis encore souvent.

  • Yannick Lejeune

    C'est une bonne conclusion, merci. Merci beaucoup, merci à vous. Merci beaucoup.

  • Mike Cesneau

    C'est ainsi que se termine cet épisode de La Machine à écrire. Nous espérons que vous avez passé un bon moment avec nos invités, que l'on remercie pour leur temps et leur générosité.

  • Yannick Lejeune

    On vous invite à lire et à écouter La Dernière Nuit d'Anne-Bénie en librairie pour la BD et sur l'application Arte Radio pour la fiction audio, ainsi bien sûr que les précédents podcasts de Claire Richard.

  • Mike Cesneau

    On vous met les liens d'écoute dans la description de l'épisode.

  • Yannick Lejeune

    On vous recommande également les deux tomes de 1629, Le Naufragé du Jakarta de Xavier Dorison, sorti le 13 novembre en librairie. Et si ce n'est déjà fait, bien sûr, vous allez découvrir l'ensemble de son oeuvre, vous ne le regretterez pas.

  • Mike Cesneau

    Si vous aimez la machine à écrire, n'hésitez pas à nous dire quels sont les invités que vous aimeriez entendre dans de prochains épisodes. Vous pouvez nous l'écrire dans les commentaires sur Apple Podcast et sur Instagram.

  • Yannick Lejeune

    N'hésitez pas non plus à nous proposer des thèmes et à nous partager les sujets d'écriture qui vous intéressent le plus. On fera de notre mieux pour les inclure dans de futurs épisodes.

  • Mike Cesneau

    Et pour savoir quand un nouvel épisode est disponible, vous pouvez toujours vous inscrire à notre newsletter 5 bonnes histoires le vendredi, qui compte déjà plusieurs milliers d'abonnés.

  • Yannick Lejeune

    Chaque vendredi, nous y partageons 5 récits marquants et étonnants sélectionnés avec amour par nos soeurs. Des livres, des BD, des séries, des films, des documentaires de quoi vous divertir et vous aimer voir chaque fin de semaine.

  • Mike Cesneau

    Vous y trouverez de quoi occuper vos soirées et aussi de bonnes idées cadeaux adaptées à tous les âges. Pour s'y inscrire, rien de plus simple, il suffit de cliquer sur le lien dans la description de l'épisode.

  • Yannick Lejeune

    Si vous le souhaitez, vous pouvez également nous suivre sur vos réseaux sociaux préférés et parler de nous à votre entourage, les bouches à oreilles et les meilleurs moyens de nous aider à grandir.

  • Mike Cesneau

    Avant de se quitter, nous tenons à remercier la Société Nationale de Bande Dessinée, l'atelier de Mathieu Sapin et Christophe Blain qui nous héberge pour les enregistrements.

  • Yannick Lejeune

    Et surtout, un grand merci à vous pour votre soutien et votre fidélité. On se retrouve au prochain épisode et d'ici là,

  • Mike Cesneau

    on vous dit à bientôt !

Description

Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de La Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires ! 

D'abord diffusée en fiction audio, La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en BD par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice, que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts comme 100 façons de disparaître, Les chemins de désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste. On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques, sur notre système de santé, et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste, essayiste et journaliste Claire Richard.

Notre 2e invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD 1629, ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, il s'était déjà attaqué à la piraterie avec Long John Silver, une série de BD rendant hommage au célèbre héros de l'Île au Trésor. Il est aussi l'auteur du 3e Testament, du Château des animaux et a contribué au retour en librairie de Goldorak, ainsi que des Brigades du tigre au cinéma. On le retrouve aux manettes des séries WEST, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur XIII et Thorgal. Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.


Qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirates ?
En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?
Comment ces récits explorent les thèmes de domination et de classes sociales ?

C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

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Crédit photos : Léa Schneider / @lea__sc


Pirate Ship at Bay w.out Seagulls.wav by CGEffex -- https://freesound.org/s/93677/ -- License: Attribution 4.0

AMBIENCE PORT PIRATES.wav by Elenalostale -- https://freesound.org/s/648593/ -- License: Creative Commons 0


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Mike Cesneau

    Nous sommes en 1870 à la Nouvelle-Orléans. Sentant la mort approcher, une vieille maquerelle convoque sa fille préférée pour lui dicter ses mémoires. Elle profite de ses derniers instants pour rétablir la vérité sur sa vie, quitte à contrarier les historiens. Nous voici embarqués dans le récit incroyable de la célèbre pirate Anne Bonny.

  • Yannick Lejeune

    D'abord diffusée sous forme de fiction audio sur Arte Radio. La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en bande dessinée par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts diffusés sur Arte Radio, Binge et Radio France comme Cents façons de disparaître, Les chemins du désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste.

  • Mike Cesneau

    On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques sur notre système de santé et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos qui luttèrent pour le progrès social à New York dans les années 70. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste essayiste et journaliste Claire Richard.

  • Yannick Lejeune

    Notre deuxième invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. Cette fois, il nous amène à bord d'un navire marchand en partance pour l'île de Java. À son bord, un équipage issu des bas-fonds d'Amsterdam et assez d'or pour exciter les plus folles convoitises.

  • Mike Cesneau

    C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD intitulée 1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, ce dernier s'était déjà attaqué à la piraterie en signant Long John Silver une série de BD rendant hommage aux célèbres héros de l'île au trésor.

  • Yannick Lejeune

    Il est également l'auteur, entre autres, de célèbres bandes dessinées comme le Troisième Testament, le Château des animaux inspiré de George Orwell et a contribué à l'épique retour en librairie de Goldorak ainsi que des Brigades du Tigre au cinéma.

  • Mike Cesneau

    On le retrouve également aux manettes des séries West, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur les séries XIII et Thorgal. Enseignant le scénario à la Fémis et à l'école Émile Cohl, il participe à de nombreux projets pour la télé et le cinéma en tant que script doctor.

  • Yannick Lejeune

    En 2020, il est même recruté par le ministère des armées pour intégrer la Red Team. un groupe de 10 auteurs de science-fiction chargés d'imaginer les futures crises géopolitiques qui pourraient mettre en danger la nation.

  • Mike Cesneau

    Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.

  • Yannick Lejeune

    Alors, qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirate ?

  • Mike Cesneau

    En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?

  • Yannick Lejeune

    Comment ces récits explorent-ils les thèmes de domination de classes sociales ?

  • Mike Cesneau

    Quelles sont les forces de la BD et du format audio pour raconter ces grandes aventures humaines ?

  • Yannick Lejeune

    C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

  • Mike Cesneau

    Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de la Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires.

  • Yannick Lejeune

    Je suis Yannick Lejeune.

  • Mike Cesneau

    Et je suis Mike Cesneau.

  • Yannick Lejeune

    Générique Moussaillon !

  • Xavier Dorison

    Bonjour. Bonjour.

  • Yannick Lejeune

    Bonjour. Comme première question pour notre podcast, on a l'habitude de poser qu'est-ce qui fait une bonne histoire ?

  • Claire Richard

    Quand je pense à ce que je trouve être une bonne histoire, c'est un bon personnage. Un univers singulier et un personnage. Un personnage complexe, un personnage avec des tessitures. Et je pense, même si bien sûr il y a des questions dramaturgiques, il faut qu'il y ait quand même quelque chose qui se passe, il faut qu'il y ait quand même de l'action, il y a la question de la tension, etc. Mais pour moi ça tient vraiment à cette... odyssée qu'on va faire en suivant un personnage dans toute sa singularité, ses contradictions, ses complexités.

  • Xavier Dorison

    Pour moi, ce qui fait une bonne histoire, c'est juste que je ne suis pas la même personne entre le moment où j'ai commencé à la lire, on va la voir, et après avoir terminé. Et si je me place plutôt en donc scénariste, les critères, ils sont relativement à la fois simples et compliqués. Simple parce qu'ils se résument facilement. D'abord, moi, j'espère qu'un sujet, il y ait quelque chose d'ironique, c'est-à-dire quelque chose d'amusant, de surprenant, qui vienne titiller ma curiosité. Je suis très attentif au fait que le problème... qui va être posée dans l'histoire, amène le personnage principal à se transformer. En gros, chez DreamWorks, par exemple, ils disent Prenez un personnage et faites que ce soit la dernière personne au monde à pouvoir résoudre le problème qu'on va lui proposer. Donc ça, c'est toujours intéressant de voir comment cet écart est posé. Et puis le troisième point, qui est aussi simple à définir, mais compliqué à faire, c'est que, pour moi, une bonne histoire, c'est une histoire qui pose un débat moral, dans les deux possibilités, de victoire et de défaite, que va poser le sujet. Qu'on comprenne bien que la victoire correspond à une valeur morale, la défaite à une autre valeur morale, mais que ce n'est évidemment pas le bien ou le mal. C'est deux valeurs intéressantes, deux valeurs nécessaires, et pourtant il va falloir trancher.

  • Yannick Lejeune

    Claire, pour commencer, est-ce que tu peux nous pitcher la dernière nuit d'Anne Bonny ?

  • Claire Richard

    La dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de la pirate Anne Bonny, donc une pirate femme qui a existé, ça on le sait, au XVIIIe siècle. Et dans cette histoire, on la prend à la toute fin de sa vie, elle a 80 ans, c'est une mackerel qui a beaucoup de succès, elle a la Nouvelle Orléans, et elle croise la mort dans une des rues qui lui dit qu'elle n'a plus qu'une nuit à vivre et qu'il faudrait qu'elle mette en ordre ses affaires. Et mettre en ordre ses affaires, ça va signifier transmettre son bordel à la fille qu'elle préfère, qui s'appelle Apolline. et surtout rectifier l'histoire de sa vie. Elle estime que ça a été mal raconté. Et donc, la dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de comment une petite fille bâtarde en Irlande est devenue une pirate au XVIIIe siècle. Mais c'est aussi l'histoire, à travers tout un tas de jeux métafictionnels sur lesquels on pourra revenir, de comment cette histoire a été racontée.

  • Yannick Lejeune

    À la base, c'est un podcast. C'est devenu une bande dessinée. Comment ça s'est fait, ce plomb ?

  • Claire Richard

    Alors ça s'est fait d'une façon assez simple parce que je travaille avec une agente qui s'appelle Karine Lanini et que le podcast est un écosystème dans lequel la question des adaptations se pose assez souvent. Et donc, on a envoyé le script qui était très avancé aux éditions du Lombard, à l'éditrice Elisa Roux. Et après, je pense que plus profondément, en fait, il y a un lien assez organique entre l'écriture pour le podcast et l'écriture pour la BD parce qu'écrire une fiction... plein de façons d'écrire de la fiction en podcast. Mais en tout cas, la façon dont moi je le fais, c'est beaucoup découpé par scènes. Il y a des narrations qui sont assez fortes, il y a déjà des dialogues, il y a déjà des personnages. Et après, moi-même, si j'écris pour le son, souvent, j'ai quand même une imagination très visuelle. Et du coup, le passage à la BD, en fait, c'est fait comme ça, mais d'une façon qui était en fait assez naturelle, même si c'était ma première expérience.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, même exercice, est-ce que tu peux nous parler de 1629 ou l'effrayante histoire de Naufragé du Jakarta ?

  • Xavier Dorison

    D'abord, il faut savoir que c'est diptyque, puisqu'il s'agit de deux mondes dessinés et tirés d'une histoire vraie. Et cette histoire commence donc, comme le titre l'indique, en 1629, où le plus grand navire de la compagnie hollandaise des Indes orientales, le Jakarta, se retrouve chargé de la plus grosse cargaison d'or peut-être de l'histoire, puisqu'il s'agit quand même d'aller corrompre l'empereur de Java, donc la compagnie a mis les moyens. Et à bord de ce navire, qui est en réalité une poudrière, puisque son équipage est essentiellement constitué de criminels, de gens recrutés de force, ou de gens qui fuient la loi, on fait venir... Deux personnages qui vont au cœur de cette histoire. D'une part, une jeune femme qui s'appelle Lucretia Hans, qui est une femme de l'aristocratie des Provinces-Unis, comme on dit à l'époque. Et elle, son but, c'est juste d'obéir à son mari et de rejoindre Java pour l'accompagner dans le cadre de son activité à lui, qui est une plantation d'esclaves. Une plantation dans laquelle œuvrent des esclaves. Et on va suivre là un deuxième personnage, qui est le numéro 2 à bord, qui s'appelle Jéronymus Cornelius, qui est un apothicaire. C'est l'élite de la société à l'époque, ces gens-là. C'est un homme cultivé, intelligent, fin, qui fuit en fait la loi également. Et lui, il n'a qu'un seul objectif, qui n'est pas de faire que le bateau arrive à destination, mais de capter la cargaison, la voler, mettre en place une mutinerie et tuer le reste de l'équipage. Et la seule personne qui va en fait se dresser face à lui est cette jeune femme, Lucretia Hans, aidée par un marin qu'on découvrait qui s'appelle Vip Hayes. et ce sont les deux qui vont sentir venir le plan machiavélique de Géronimus. Ce sont eux qui vont lui tenir tête. Le premier opus raconte comment Géronimus met en place son plan, comment Lucretia, Vibhaze et quelques personnages vont les suivre et tentent d'y mettre fin. Le navire finira par échouer, ce qui est dans le titre, je ne spawne rien. Et le deuxième épisode raconte comment ces personnages vont arriver sur une île, être naufragés. Tous les naufragés croient qu'ils sont sauvés puisqu'on est allé chercher du secours et puisque, somme toute, celui qui les gère est l'homme maintenant qui est le chef. Un contesté, c'est Jéronimus, et on a donc 300 naufragés qui se trouvent sous les ordres d'un psychopathe qui a tenté une mutinerie dans l'épisode d'avant.

  • Mike Cesneau

    Comment t'es tombé sur cette histoire qui, tu disais, s'est inspirée de faits réels ? Qu'est-ce qui t'a inspiré et pourquoi ça t'a intéressé d'écrire dessus ?

  • Xavier Dorison

    Alors je suis tombé dessus par hasard, comme d'habitude. Dans un contexte assez amusant, j'étais à Cuba, et je me retrouve un jour dans une toute petite maison, comme on peut louer là-bas, enfin on va chez des habitants, au bord d'une plage, et par véritablement une nuit tempête, je suis sous l'énorme haut vent de... cette maison et là je découvre que des touristes qui sont passés avant moi ont laissé des livres. Je découvre un petit recueil d'histoires, tout petit, qui racontent ces histoires. Et donc là, en plein milieu de la nuit, avec les éclairs, la tempête, un cigare au miel, parce que c'est ce qu'on fait à Cuba, je découvre cette histoire et d'emblée elle me parle, d'abord parce qu'elle est pleine d'aventures, de voyages, de marines, c'est un univers, une arène que j'aime énormément, mais il y a plusieurs choses qui me fascinent dedans. La première... Bien sûr, la découverte de l'univers réel de ce qu'était la compagnie hollandaise des Indes orientales et la nature réelle de ses voyages. La deuxième chose, c'est de voir comment cette femme, totalement soumise à son époque, à son milieu, à son mari. Vous imaginez qu'elle part dans ce voyage le jour où elle vient de perdre son dernier enfant. Elle part au milieu des funérailles parce qu'elle a reçu la lettre qui lui dit part tout de suite Donc c'est vraiment une femme totalement soumise et qui, à travers un périple d'horreur, va curieusement trouver sa liberté et son indépendance. Donc ça, ça m'intéressait. Et puis le dernier point qui vraiment m'a frappé, c'est le renversement de la dictature, quelque part dans cette histoire. C'est-à-dire qu'on part d'une première partie où la dictature, où l'autoritarisme est assuré par les représentants des officiers et de l'avocat sur une grande partie du navire. Et donc vous avez peu d'hommes qui ont énormément de pouvoir sur beaucoup. En gros, une trentaine d'officiers, une quarantaine d'officiers ont le pouvoir, un pouvoir extrêmement violent, sur plus de 250 membres d'équipage qui sont dans les cales. Et tout se renverse. lorsqu'on arrive dans l'île, où ce sont une 25, plus 30, plus 50 mutins qui vont avoir tout pouvoir sur tous les gens qui sont restés sur cette île. Et c'est ce rapport à la soumission, à la violence, comment l'ensemble d'un groupe se soumet à une autorité pourtant minoritaire, qui m'a beaucoup intéressé aussi dans cette histoire.

  • Yannick Lejeune

    Claire, comment as-tu rencontré Anne Bonny, toi ?

  • Claire Richard

    Alors moi, j'ai lu l'histoire d'Anne Bonny dans l'histoire des femmes pirates, que j'ai lu un peu par hasard, parce que j'ai de nombreuses... curiosité en suivant un vortex. Et en fait, ce qui m'a intéressée au début, comme tout le monde, puisque c'est pas une figure inconnue pour le coup, Anne Bonny, des amateurs de piraterie, c'est effectivement ce côté très romanesque d'une femme au XVIIIe siècle qu'on retrouve sur un bateau de pirates lors des procès de piraterie qui s'y aident en 1725. Ma première question, quand même, c'était de me dire au XVIIIe siècle, à une époque où il n'y a pas de livres, il n'y a pas de romans, il n'y a évidemment pas de réseaux sociaux, pas de films, etc. Comment c'est possible qu'une petite fille née en Irlande se retrouve 20 ans plus tard, à l'autre bout du monde, sur un bateau de pirates ? cœur d'un monde absolument inconnu pour elle. Et donc moi j'avais cette première question qui m'intéressait qui était c'est quoi la suite, dans un contexte historique très défavorable aux femmes évidemment, c'est quoi la suite des événements de sa vie qui ont rendu ça possible ? Donc ça c'était une première curiosité. Et ensuite en me documentant, je me suis aperçue assez vite que beaucoup de choses sur Anne Bonny étaient répétées dans tout un tas d'histoires, mais que si on allait chercher les sources historiques, en fait il n'y en avait vraiment quasi pas. C'est-à-dire il y a deux documents, il y a un registre paroissial en Irlande. Et ensuite, en 1725, elle éregistre des procès de piraterie qu'on peut trouver sur Internet, merveille d'Internet. Et là, il y a juste une ligne. C'est l'équipage du pirate Rackham est condamné, deux femmes sont déguisées en hommes et on sursoit leur exécution. Et en fait, c'est tout. Et par contre, évidemment, il y a tout un tas de récits autour. Donc là, j'ai suivi, je suis remontée à la source de ces récits, pareil, ce n'était pas très compliqué à faire. Et c'est cette fameuse histoire générale des pirates, donc un best-seller du XVIIIe, qui constitue la source de la majorité de l'imaginaire de la piraterie. Et en lisant le chapitre consacré à Anne Bonny, une fois de plus... tout est en ligne, merveilleux, de Gallica, en fait, ça saute aux yeux que Johnson, il a vraiment inventé les trois quarts du chapitre. Puisque, sur, je sais pas, 15 pages, il passe 10 pages à raconter un vaudeville hyper complexe pour raconter sa naissance illégitime, avec un mari cocu, une femme cocu, une servante coquine, des amants, etc. Donc, en fait, il n'y a aucune configuration dans laquelle quelqu'un lui a raconté ça. Et en fait, c'est ce jeu de décalage qui a commencé à vraiment m'intéresser, parce qu'au début, je me disais, bah, fascinante figure, mais il y a mille récits, donc pourquoi... Pourquoi en faire un mille et unième ? Et en fait, c'est ce jeu de décalage entre ce que dit Johnson, bien évidemment, avec l'idée de faire monter les ventes. Il en crée et un imaginaire misogyne, puisque vraiment, c'est une traînée, et aussi un imaginaire un peu salace. Et c'est de jouer sur cet écart entre les sources et ce récit-là. Et après, en creusant cette question de l'écart, j'ai lu beaucoup de choses sur la piraterie, qui m'avaient déjà un peu intéressée à une autre période de ma vie. Et en fait, c'est pareil, là, je retrouvais cette question d'interprétation différente, de ligne de faille, avec des historiens qui considèrent les pirates comme des révolutionnaires, d'autres qui disent non, en fait, c'était des hommes pragmatiques. Et en fait, c'est le mélange de toutes ces contradictions et de cette question centrale qui est comment une petite fille devient une femme pirate et des filles, pour le dire avec des mots un peu banals, mais quand même les cadres de vie qui lui étaient promis, qui a fait le moteur d'écriture.

  • Yannick Lejeune

    Comment vous avez géré toute cette partie recherche ? Je sais, Xavier, toi, tu... Tu travailles beaucoup en amont sur ces parties-là. Je me souviens, quand tu faisais HSE, tu m'avais demandé de relire une partie du scénario sur l'informatique pour que ça soit juste. Là, comment tu as fait pour t'assurer que tu n'allais pas délirer trop loin et en même temps pour conserver une partie dramatique qui n'est probablement pas dans les livres d'histoire ? Comment tu as mené ta recherche ?

  • Xavier Dorison

    C'est l'aventure du Batavia, puisque le Batavia, c'est le nom de Jakarta, est relativement documenté. C'est une histoire qui est très connue aux Pays-Bas. Il y a même un musée. Il y a le musée de l'Elichnacht, qui est juste à côté d'Amsterdam, dans lequel on peut voir une réplique du navire. Il y a plein de documents. Un des survivants, qui était le sub-regard, c'est-à-dire le représentant officiel de la compagnie hollandaise, qui s'appelait Francisco Pelsart, a survécu. Parce que c'est lui qui est allé chercher des secours à Java. Et lui, il a eu un procès. Et donc, dans ce procès, il a tout consigné. Donc,

  • Yannick Lejeune

    il y a les minutes du procès.

  • Xavier Dorison

    Donc, on a les minutes du procès, on a les archives de la Vogue. Et puis, il y a beaucoup de livres d'histoire qui traitent du sujet. Après, moi, je ne suis pas historien. Donc, mon but, c'était d'être fidèle à un certain nombre de points historiques et en même temps, d'apporter, c'est ce qu'on demande à un scénariste adaptateur, c'est d'amener son regard. Donc, c'est de temps en temps changer des fonctions de personnages, de temps en temps ajouter peut-être des choses qui n'existent pas. Et vraiment, j'ai eu un gros travail à faire qui a été de couper. un certain nombre de scènes qui étaient, je pense, dramatiquement hyper intéressantes, mais qui étaient d'un niveau de violence et d'horreur que même à lire, était à la limite du supportable. Et je n'avais pas forcément envie d'aller là. L'histoire est déjà suffisamment romanesque pour que je n'ai pas besoin, à ce point-là, d'exacerber l'horreur.

  • Mike Cesneau

    Et comment tu places le curseur, justement, sur ces parties-là ? Où tu sais que c'est vrai, donc ça pourrait tout à fait servir ta dramaturgie. Comment tu sais à quel moment ça va trop loin pour l'équilibre de l'histoire ?

  • Xavier Dorison

    Alors, c'est... C'est vrai que c'est un exercice périlleux parce que, évidemment, en tant qu'individu, on n'est pas là pour faire mal aux gens, on n'est pas là pour les malmener, mais en tant que scénariste, on est là pour être un peu sadique, bien sûr. On est là pour être sadique avec nos personnages, surtout sadique un peu avec nos lecteurs, pour les faire vibrer. Et donc, il ne s'agit pas de se dire, oulala, c'est moche, on ne va pas en parler, vous êtes trop prudes, bien sûr. Et en même temps, moi, j'ai une sorte de signal d'alarme qui me dit à un moment, cette scène-là et l'horreur de cette scène ne correspondent pas au ton général de l'œuvre. Un exemple tout simple. Il y avait un pasteur qui a survécu, il avait cinq enfants. Une de ses filles était convoitée par un des mutins. Donc il a dû accepter sur l'île qu'elle se marie avec lui. Et Jérôme de Muscouine invite, pour fêter le mariage, à dîner dans sa tente, le père, la mère, la jeune mariée, le mari lui-même. Pendant qu'il les invite à dîner, il envoie le reste de ses hommes massacrer les quatre autres enfants du pasteur. C'était des enfants dont l'âge allait de 6 à 13 ans. Ils sont à table. Ils sont avec le criminel, Jérôme Némus qui a donné l'ordre de faire cette exécution. Ils entendent les hurlements des enfants. Et on est en train de leur servir l'entrée. Est-ce que vraiment j'ai envie de raconter ? Alors pour nos auditeurs, oui. Mais moi non, ça allait beaucoup trop loin. Et puis donc j'ai décidé de changer le sort de cette famille, même s'ils ne vont pas passer un bon moment. Par exemple dans l'histoire, il y a des moments de pur sadisme. Les mutins à un moment dans cette histoire s'ennuient. Bon, donc je dis, si on va torturer des gens, c'est drôle. Ça va nous occuper. Je n'ai pas eu envie de traiter ça. J'ai traité le fait qu'ils s'amusaient avec leurs prisonniers. donc le message y est, le sens y est et je ne vais pas jusqu'à trifouiller dans la plaie des salles des personnages comme des lecteurs Toi Claire,

  • Yannick Lejeune

    dans le podcast et dans la bande dessinée, il y a une scène de procès assez longue qui permet d'essayer de confronter la réalité et sa vision à elle mais il y a aussi des historiens qui sont incarnés, qui parlent ou qui sont dessinés et qui se disputent sur l'interprétation de l'histoire est-ce que tout ça c'est réel ? ou est-ce que c'est l'autrice qui fait part de ses propres débats internes ?

  • Claire Richard

    Alors ces historiens qui interviennent de temps en temps dans la narration pour la commenter, c'est deux personnages qui vont incarner deux positions d'analyse possibles par rapport à l'histoire d'Anne Boilly. Donc il y a une historienne qui va plutôt être féministe, plutôt axée en gros sur ce qu'on pourrait dire de façon un peu caricaturale, les femmes puissantes, faire revivre les figures oubliées de l'histoire quitte à en faire un peu trop. quitte à les glorifier de façon un peu exagérée, et un autre historien à l'ancienne, qui serait plus marxiste en gros, qui pense que la question c'est la classe, et qu'on en fait trop avec cette figure, et qu'il faut coller plutôt à la réalité historique. Et en fait, moi c'est deux positions qui existent, même si l'historienne est un poil caricaturale, parce qu'en vrai, les historiennes féminines sont plus subtiles que cette historienne, et je pense qu'à travers elle, j'avais un peu envie de régler mes comptes avec une certaine industrie de la figure de la femme puissante qui me fatigue un peu, parce que je la trouve... pas si intéressantes que ça au final. Mais par contre, ils vont s'affronter par exemple sur la vision de l'esclavage, ils vont s'affronter sur la probabilité qu'Anne Bonny ait pu par exemple tirer à bord. Donc l'historien dit mais c'est impossible, de toute façon il y avait très peu de femmes à bord, et puis en plus quand il y en avait, vraiment elle reprisait les voiles. Et l'autre dit oui souvent, mais en fait ça ne veut pas dire que c'était pas possible. Et en fait, quelque part, les deux ont raison et c'est pas tranché, et c'est ça qui m'intéressait, c'est vraiment de faire vivre cette contradiction. Mais du coup les deux viennent de tout un tas de lectures, d'analyses historiques, parce que j'aime bien ça, Et quand même, effectivement, d'ailleurs, c'est l'historien Grognon, qui est en fait celui dont je me sens le plus proche, en vrai. Mais lui, il vient vraiment d'un article que j'ai lu, d'un historien de Floride, un historien local, et qui lui, vraiment, à un moment de l'histoire d'Anne Bonny, donc elle a rencontré un marin, etc. Et ils partent, ils s'enfuient vers l'île de Providence, qui est la république des pirates, l'île où sont tous les pirates. Et dans l'histoire de Johnson, là, elle se met à coucher avec tout un tas de gens et elle rencontre Jack Rackham. Cette historienne locale disait N'importe quoi, de toute façon, très probablement, elle s'est prostituée. Enfin, c'était l'activité principale pour les femmes. Et cette figure le gonflait. Et en fait, c'est là où j'ai imaginé le personnage de Tout s'est mis en route Mais ce qui m'intéresse, c'est moins de dire Elle, c'était ça ou C'était ça plutôt que de faire vivre cette contradiction autour de la légende, de la figure de la légende.

  • Mike Cesneau

    D'ailleurs, c'est intéressant parce que dans le podcast, quand les deux historiens vont chacun donner leur point de vue... Des fois, il y a Anne Bonny elle-même qui prend la parole et du coup, elle se situe dans un entre-deux. Et ça donne après au récit fictionnel un peu plus d'authenticité parce qu'on a l'impression que c'est la vraie personne qui parle. Et ça rend la narration encore plus palpitante.

  • Claire Richard

    C'était un peu toute la difficulté. C'était à la fois d'avoir cette dimension méta qui, moi, déjà m'amusait, qui constituait un vrai ressort d'écriture parce que... aussi pour plein de raisons, de contrastes, de changements de plans, de rythmes, ça amenait énormément de choses. Et puis aussi, ça permettait de justifier l'idée de faire la énième histoire d'Anne Bonny. Et en même temps, j'aime bien les réflexions métables et je déteste qu'en fait, quand une fiction lève le rideau et dit Eh non, tout ceci n'était qu'une illusion ! Vraiment, je déteste qu'on m'enlève ce plaisir de lecture, de spectatrice, d'auditrice. Et donc toute la question, c'était de comment faire pour avoir ces décrochages et en même temps, ne quitter pas l'espace de la fiction. Et en fait, au final, de dire Finalement, c'est la fiction qui triomphe dans tout ça, malgré ces décrochages-là. Et donc, le fait qu'Anne Bonny puisse leur répondre, c'était à la fois, je parle d'un truc qui vient dans l'écriture aussi, où le personnage qui est assez drôle, qui répond beaucoup, ça venait assez naturellement, mais c'était aussi une façon comme ça de reprendre, comme on reprendrait comme ça dans un pli ou une couverture, tous ces décrochages dans le grand espace de la fiction, et dire en fait, c'est elle qui a raison.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, dans tes nombreux succès, tu as Long John Silver, une série de bande dessinée inspirée du personnage de Stevenson. Le personnage que tu en as fait est un personnage... droit, très réaliste, un peu meneur. C'est pas du tout un personnage parodique. Alors j'ai deux questions. La première question, c'est qu'est-ce qui fait que toute cette histoire d'aventure maritime, de la fin du XVIIe, du début du XVIIIe, est une bonne arène pour raconter des histoires ? Et la deuxième, c'est pourquoi est-ce que t'aimes pas du tout, ça rejoint un peu ce que vient de dire Claire, le côté parodique, par exemple, d'un pirate des Caraïbes, dont je sais que c'est pas trop t'accable en termes d'histoire de pirate ?

  • Xavier Dorison

    Premier préambule quand même, ma réponse, c'est que là on met en parallèle 1629 et London Silver, et certes, Dans les deux histoires, il y a des bateaux. Certes, dans les deux histoires, il y a des sabres, mais ça n'a vraiment rien à voir. L'Ungeon Silver est complètement du côté de l'histoire mythologique. En fait, c'est une mythologie. Tout ce qui est raconté là n'a rien à voir avec la réalité. J'entends réalité historique, pas forcément réalité humaine. C'est un autre sujet. Alors que 1629, bien sûr, est très ancré dans la réalité. L'Ungeon Silver est une histoire de pirates. 1629, c'est une histoire d'abord de mutinerie et ensuite de naufragés. C'est trois genres, mutinerie, naufrage, pirates, qui n'ont rien à voir. dans leurs raisons, dans ce qui les soutient. Ensuite, ce qui est de l'arène, moi, je ne sais pas pourquoi, j'ai une fascination pour les histoires qui se passent en mer et pour la mer. C'est marrant parce que j'ai le mal de mer. Heureusement, il y a la scopolamine. Ça me permet de faire des trajets en bateau.

  • Yannick Lejeune

    Regarde l'horizon.

  • Xavier Dorison

    Avec un bon patch de scopolamines, on ne tient pas trop mal. J'adore. D'ailleurs, j'adore la mer, mais quand on n'est pas trop loin des côtes. C'est-à-dire, la pleine mer ne m'intéresse pas tellement. par contre être à côté de la mer on est dans cette sorte de position d'observateur et pas dans la position où on est perdu je sais pas je me sens bien là la mer me fait un effet en tant que scénariste je suis désolé si la réponse est pas très rationnelle mais moi quand je suis au bord de la mer quand je suis sur une plage, quand je vois de l'eau je sais pas pourquoi ça me donne des idées, ça me donne envie d'y être ça me donne je sais pas un sentiment de liberté un sentiment d'évasion, une possibilité d'être en marge, d'être à côté, d'être en observateur ce qui je crois me correspond assez bien à cette position là et donc j'ai beaucoup d'histoires qui tournent autour de la mer avec des sous-marins, avec des bateaux. Et donc, naturellement, la piraterie, par exemple, typiquement telle que celle de Lone John Silver, m'offre un univers d'évasion. Et je l'ai d'ailleurs écrite au moment où je sortais de l'écriture d'un long métrage qui était celui des Brigades d'Uti que j'avais écrit avec Fabien Nury, où on en avait bavé avec toutes les contraintes de fabrication et tout ce que ça peut représenter de faire un film. Et vraiment, j'avais besoin de souffler, de m'amuser, j'avais besoin de grands espaces, etc. Et vraiment, de ce point de vue-là, la piraterie correspond parfaitement parce que... Au cœur de la piraterie, il y a cette idée, cette utopie en fait, d'un groupe d'hommes ou de femmes qui décident de se faire leur propre loi, leur propre univers sur leur bateau. Moi, j'appelle ça aussi le syndrome Nautilus. C'est-à-dire, on a notre sous-marin, on a notre lieu, et ici, on va se refaire notre cité, on va se refaire notre vie. Et comme on bouge tout le temps, on est loin du nôtre. Moi, cet univers me parle et je pense continuer à fasciner un certain nombre.

  • Yannick Lejeune

    Ce que vient de dire Xavier, c'est ce qu'on retrouve dans le destin d'Anne Bonny, finalement, c'est cette fille illégitime. dont on a tracé un peu un destin de mariage forcé qui d'un seul coup achète sa liberté en devenant pirate. Femme de pirate d'abord, puis pirate elle-même. C'est ce qui t'intéressait là-dedans ?

  • Claire Richard

    Ouais, effectivement, il y avait à la fois comme ce que tu évoquais, en fait, un désir de faire quelque chose de très joyeux, parce que j'avais avant bossé sur le porno, des questions très féministes. Et donc là, j'avais envie de faire un truc où je m'amusais, donc quelque chose d'ancré immédiatement dans un genre. Et la piraterie, en fait, ça évoque tout de suite des codes, des images, des moments. Donc j'avais vraiment envie de m'amuser là-dedans. Et après, moi, ce qui m'a le plus touchée, c'est la question de libération, en fait. de façon générale, à la fois comme ces utopies, comme tu le disais très bien, ces idées de faire des contre-sociétés à bord de tout petits espaces c'est les bateaux sur la mer d'ailleurs dans un temps dont les pirates eux-mêmes savent qu'il est limité, ils savent que de toute façon ça va mal finir, c'est quand même toujours le cas, et après quand même cette question de la libération d'un personnage,

  • Yannick Lejeune

    moi c'est quand même les histoires que j'aime le plus écrire et de personnages féminins Je reviens à ma question sur les pirates des Caraïbes je crois que t'aimes pas trop la partie parodique de toutes ces...

  • Xavier Dorison

    J'aime pas trop d'abord si elle plaît à certains et certains ils l'en feront libre à eux. Mais moi elle me plaît pas trop parce que d'abord c'est peut-être aussi ce que disait Claire tout à l'heure c'est que moi j'aime pas quand on me raconte une histoire et qu'on me fait un clin d'oeil en permanence pour me dire, au fait, vous y croyez pas moi non plus. Déjà ça, ça m'exaspère. Ensuite, Pirates des Caraïbes au départ c'était une attraction. Mais c'est resté une attraction. C'est jamais rien d'autre. C'est-à-dire que ce sont des stimuli fantastiques, beaucoup de fantastiques ou des stimuli de scène. qui sont là pour faire que le spectateur reste accroché. Mais dans le fond, c'est d'une vacuité totale. C'est souvent... Enfin, moi, je m'ennuie à mourir, en fait, pour dire les choses, simplement, quand je vois ça. Mais c'est marrant parce que c'est un film qui est très représentatif d'une évolution plus générale du film de divertissement qui a été, dans les années... Début des années 80, un genre de film... Enfin, 70, début 80, en tout cas, c'est un genre de film où on faisait de l'aventure pour l'aventure, mais où on essayait, en tout cas, de mettre une structure, on essayait de mettre un sens. une évolution de personnages, etc. Et où on est passé à littéralement une industrie cinématographique qui est en fait devenue elle-même un parc de loisirs. Donc on fait des rides. Et si on compare de ce point de vue-là, ça peut être les premières histoires de pirates et pirates des Caraïbes, mais on pourrait le faire par exemple avec Star Wars, ce serait intéressant. On comparerait l'Empire contre-attaque et épisode 3. Vous avez le même cheminement où on passe du conte de divertissement mais intelligent à une grande pub pour les jeux vidéo et les jouets qui sortiront derrière sans cohérence ni profondeur. Donc effectivement, tout ça me déçoit un peu, mais ça n'empêche pas de marcher.

  • Mike Cesneau

    C'est quoi dans les histoires de pirates ou de bateaux ou d'univers maritimes d'époque et tout qui te plaisent le plus ?

  • Xavier Dorison

    C'est une question difficile, je vais y répondre, mais je précise que c'est une question difficile parce que le genre pirate en cinéma est un genre où finalement il y a peu de chefs-d'oeuvre. Moi, j'adore évidemment la première version de Lilo Trezor, je trouve magnifique, puisqu'en fait, elle reprend en plus, par ses plans, ses cadrages, les peintures de Nancy Wyatt. J'ai une petite tendresse, quand même, pour le pirate de Polanski, mais grosso modo, je ne vais pas acheter le corsaire rouge, je ne vais pas acheter Barbe Noire, tout ça, on ne me parle pas. Et moi, je retrouve par exemple de la piraterie, vous allez me dire mais c'est loin, et pourtant non, dans African Queen, par exemple. Parce que dans African Queen, Humphrey Bogart et Catherine Hepburn ne sont évidemment pas des pirates, mais leur voyage, leur itinéraire, en marge de la société, en marge de la religion, dont elle vient en marge de la guerre est en fait pour moi un type de voyage pirate. Et toutes les histoires qui racontent les tentatives pour des gens de créer leurs univers sont plutôt celles que je suis allé regarder.

  • Mike Cesneau

    Et dans les histoires de naufragés, est-ce qu'il y en a certaines qui t'ont aussi inspiré ?

  • Yannick Lejeune

    Le lagon bleu.

  • Mike Cesneau

    Sans filtre ? Peut-être, je pense à ça.

  • Xavier Dorison

    Non, je n'ai pas revu le lagon bleu. Bien sûr que j'ai regardé The Island. Non, il n'y a pas tant. J'avais pas... Par exemple, j'ai beaucoup regardé, évidemment, pour la première partie des versions du Bounty. Alors là, il y en a plusieurs. Celle de Milestone, bien sûr. Celle avec Marlon Brando. Et curieusement, j'aime beaucoup aussi celle avec Mel Gibson, qui a vraiment un charme, notamment par la musique. Mais la deuxième partie, j'avais assez peu d'ouvrages de référence. C'est curieux, il y a des histoires où j'ai une énorme filmographie qui m'aide à construire. Et là, je suis plutôt parti avec de l'histoire. Et je dois dire, là, c'est des livres de psychologie.

  • Yannick Lejeune

    Pour la dimension du huis clos social. Oui,

  • Xavier Dorison

    par exemple, j'ai revu... Alors, le livre s'appelle The Lucifer Effect, du professeur Zimbardo, et le film s'appelle... C'est Experiment... C'est Stanford Experiment. Milgram ? Non,

  • Yannick Lejeune

    c'est pas Milgram. Non, mais c'est... C'est pas loin, parce que... Ils ont bossé ensemble.

  • Claire Richard

    Ah oui, d'accord, ok.

  • Xavier Dorison

    L'expérience qui a été faite aux Etats-Unis, elle est très simple. Ils prennent un groupe, un grand groupe d'étudiants, diplômés, qui sont volontaires pour faire une expérience en sociologie. Ils coupent ce groupe en deux. à peu près en deux. Ils font des surveillants. Et des prisonniers. Et des prisonniers, absolument. Et ils sont prévenus qu'il y aura une expérience. Et un jour, la police, en service d'ailleurs, va arrêter les prisonniers, les soi-disant prisonniers, et les fait descendre, les ubander dans un couloir. de la faculté qui a été transformée, ils ont transformé la couleur en prison et tout est filmé. Ça devait durer 15 jours. Et le seul ordre qui est donné aux gardiens... c'est justement de maintenir l'ordre. On leur dit pas quand, comment, avec quels moyens et quelles limites. Ils ont arrêté l'expérience au bout de trois jours. D'une part, parce que quasiment la totalité des gardiens devenaient sadiques, et d'autre part, parce que la totalité, avec une exception notable, des prisonniers devenaient totalement soumis.

  • Yannick Lejeune

    Et aussi parce que l'équipe de chercheurs, et notamment celui dont tu as cité Zimbardo, a perdu son regard critique, tellement ils étaient fascinés par ce qui se passait. Ils ont perdu toute capacité scientifique à se détacher. ou à intervenir. Et du coup, ça a mal tourné.

  • Xavier Dorison

    Voilà. Donc, curieusement, je suis allé chercher ma documentation plutôt du côté de la sociologie et de la psycho. Il y a pas mal de documents qui parlent de ça. C'est revenu au devant de la scène, il y a eu des procès où des gens ont dit Mais moi, j'étais dans un système, notamment au moment de l'affaire de la prison d'Abou Graïb.

  • Yannick Lejeune

    Claire, tu as traduit des ouvrages qui parlent un peu de ce genre d'expérience ?

  • Claire Richard

    Oui, j'ai traduit. C'était il y a vraiment longtemps. C'était il y a 15 ans, je pense. Mais c'était sur l'expérience de 1000 grammes. Effectivement, c'était l'obéissance et la désobéissance à l'autorité, quelque chose comme ça, ouais. Et c'est assez similaire, en fait. C'est la question des, je crois...

  • Yannick Lejeune

    De l'électricité.

  • Claire Richard

    Ouais, voilà, des décharges croissantes que tu vas infliger.

  • Yannick Lejeune

    Ça donne un ordre jusqu'à quel point tu es prête à l'économie.

  • Claire Richard

    À quel point c'est modifié en fonction de si quelqu'un regarde ou pas, si tu es seule ou pas. Tu te sens plus ou moins responsable moralement, si tu es seule ou pas.

  • Yannick Lejeune

    Ça me fait une très bonne transition pour la question d'après. Vous avez tous les deux parlé de libération dans le chemin du... pirate, quelqu'un qui s'émancipe. Lucrèce, dont on a mentionné, va sortir un petit peu de sa condition pour se battre contre le tortionnaire. Toi, Anne, elle va sortir, mais au démarrage, j'ai l'impression que il y a un sujet de fond dans beaucoup de vos œuvres, chez Xavier, par exemple, dans Le Château des Animaux, c'est la soumission. C'est comment des classes s'affrontent dans un rapport de dominants-dominés. Dans le bateau, il y a les très pauvres et puis on va dire les soldats qui sont un peu plus riches. Est-ce que c'est un sujet qui vous intéresse particulièrement et que vous sentez revenir dans vos œuvres ? Ou est-ce que c'est le contexte qui fait ça ?

  • Claire Richard

    Je ne sais pas si c'est la soumission, mais j'ai l'impression que la question de la libération et de l'émancipation, elle se déroule dans un contexte, contexte dans lequel il y a des structures sociales, donc des relations de domination, des relations de classe. Et j'ai l'impression que c'est plutôt ça. Et après, ça va jouer à deux endroits. Soit... la question d'organisation politique, la question de comment on en arrive à résister, qu'est-ce que c'est une organisation collective de résistance, parce que dans un tout autre champ de mon travail, en plus en documentaire, en journalisme, j'ai fait beaucoup de choses autour de groupes politiques, d'organisations politiques, de comment ils s'organisent, donc ça c'est quelque chose qui m'intéresse, et c'est toujours dans un contexte de conflits, enfin de conflits de classes, de conflits de domination économique, de genre, de race, etc. Et après, un autre versant, et c'est peut-être à ça aussi que fait référence le mot soumission, mais c'est la façon dont ces structures de pouvoir dans lesquelles... les personnages sont imbriqués, nous sommes imbriqués, elles vont se traduire dans les subjectivités en fait, et donc dans les comportements, dans les relations interpersonnelles, dans même nos relations à nous-mêmes. Ces contradictions en fait, c'est à la fois le double mouvement de qu'est-ce qui libère, par quelle forme les gens se libèrent, soit individuellement, mais c'est rarement purement individuel, donc en lien avec qui et comment, très pratiquement comment en fait, comment ça se passe. C'est toujours un mélange de chance et de préparation quoi. Ça, je trouve ça un peu fascinant. C'est infiniment fascinant, quand même, comment les résistances fonctionnent et comment elles échouent. Et après, à un niveau personnel, dans quelle contradiction ça place et les personnages et nous. Et par exemple, Anne Bonny, donc ce personnage d'Anne Bonny qui est dans la BD, le fait qu'elle soit mackerel, au début, c'est venu un peu comme ça, un peu facilement, presque parce que j'aimais bien la Nouvelle Orléans et donc on imagine des bordels, une atmosphère un peu capiteuse et tout.

  • Yannick Lejeune

    Est-ce que c'est en lien avec le début des chemins du désir ?

  • Claire Richard

    Alors non, enfin pas consciemment. Après, peut-être.

  • Yannick Lejeune

    Allongez-vous sur ce qu'elle fait, parlons-en.

  • Claire Richard

    Le sexe. Non mais par contre, en fait, ce qui était important pour moi, c'est que, précisément, elle, elle se libère, mais l'instrument de sa libération finale, après la piraterie, qui la rend riche, qui la rend installée, c'est le fait d'exploiter d'autres femmes. Et ça, ça venait à la fois d'une réflexion sur la libération dans ce contexte, je me disais, en fait, au XVIIIe siècle, je ne pense pas qu'une sororité soit possible. En fait, elle est comme la marquise de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses, c'est-à-dire, elle a une trajectoire... flamboyante au sens de libération, mais en écrasant les gens autour. Parce que ça n'est pas trop possible autrement pour une femme à ce moment-là.

  • Mike Cesneau

    C'est plus qu'un manque de sororité. Elle le dit ouvertement qu'elle n'aime pas les femmes.

  • Claire Richard

    Mais parce que je me disais, c'est dans le contexte, en fait, la sororité, ça existe dans certains lieux très précis, très limités. Et donc, ça me semblait, pour le coup, un vrai anachronisme de penser ça. Donc, effectivement, après, je lui fais dire, moi, j'aime pas les femmes. Mais je trouvais ça intéressant.

  • Mike Cesneau

    Parce qu'elle a du mépris envers les gens qui ne veulent pas se libérer.

  • Claire Richard

    Voilà. Elle a une idéologie de la force. Elle a toute une mythologie de la force, quelque chose, alors je ne la pensais pas du tout dans ces termes, mais c'est un peu Nietzschean. C'est en gros, moi j'ai réussi à m'élever et c'est parce que je vaux plus, je suis meilleure. Et donc j'ai le droit d'exploiter toutes ces filles qui travaillent pour moi parce qu'elles sont faibles. Et ce qui m'intéresse, sans révéler la fin, mais ce qui m'intéressait, c'était cette tension. Donc ça n'est pas une pure figure glorieuse d'émancipation, elle le fait aux dépens d'autres gens. Et donc là, c'est là où on retrouve ces tensions autour du pouvoir et de la domination.

  • Xavier Dorison

    Moi je crois que ce qui est tragique, c'est pas tant ce qu'on va faire à un personnage ou ce qu'on nous fait, mais c'est ce que les personnages n'arrivent pas à faire pour eux-mêmes, ou ce que nous n'arrivons pas à faire pour eux-mêmes. Et donc, en termes de soumission, ce qui m'intéresse, c'est pas tant la soumission presque dans un sens marxiste, c'est-à-dire comment les groupes sociaux... où des systèmes vont soumettre les gens, mais plus comment des personnages vont arriver à se libérer de la soumission qu'ils ont en eux-mêmes. Et bien entendu, les soumissions que l'on a en nous-mêmes, nos propres limites, nos propres restrictions, elles sont renforcées, soutenues, encouragées par des systèmes, ce qui nous amène évidemment à écrire des histoires dans des arènes bien particulières. Mais ce sur quoi je vais essayer de mettre l'accent, c'est quelle est la soumission intérieure de mon personnage. Par exemple, dans 1629, la soumission intérieure de Lucégratia Hans, c'est de croire profondément qu'une femme est là pour se soumettre aux ordres, et c'est comme ça qu'elle s'en sortira. Et sinon, elle sera dans le beau drap. Et elle va découvrir que si elle ne fait rien, évidemment, ça va être pire encore. Et de la même façon, j'ai envie de dire, dans Le Château des Animaux, Miss B, qui est donc l'héroïne, est une mère de famille qui a évidemment comme objectif de protéger ses enfants et elle-même. Et donc, la première chose, c'est de se dire, je vais baisser les yeux, ne pas m'occuper de politique. Moyennant quoi... tout se déroulera bien. Et le schéma se reproduit dans les deux cas, c'est toujours la même chose, quand vous ne faites pas de politique, la politique vient à vous, comme les gardères. Et dans les deux cas, la mort se rapproche et la mort auprès des gens auxquels ils tiennent. Et donc ces gens-là vont devoir changer en interne, d'abord se dire que oui, ils peuvent changer les choses. Mais moi je crois profondément que rien ne bouge tant que ça ne vient pas de l'intérieur. Et donc, c'est forcément ça que, en tant que scénario, je vais aller regarder en premier.

  • Yannick Lejeune

    Quand on s'est rencontrés il y a fort longtemps, tu réfléchissais à ce qu'il y a se passer s'il y avait une troisième guerre mondiale. Je crois que tu bossais avec les préfets, des choses sur comment ça allait se bloquer et tout. Et après, t'as rejoint la red team du ministère des armées pour imaginer des scénarios futuristes de défense, j'imagine. Est-ce que t'as le droit de nous en parler ou est-ce que t'es obligé de tous nous buter à la sortie si tu nous racontes ?

  • Xavier Dorison

    Tu sais, les deux gars qui sont en train de réparer en barrique, en fait, c'est pas des réparateurs. Non, plus sérieusement, euh... effectivement j'avais commencé à travailler il y a quelques années avec un réalisateur qui s'appelle Jérôme Lemaire sur une série pour Fédération qui fait notamment le bureau des légendes qui s'appelait Insurrection et qui racontait comment une guerre civile, pour être précis se déclarait en France et amenait la France à être dans une situation on va dire proche de... enfin Paris devenait Beyrouth ou Sarajevo, Ausha bon ça s'est arrêté pour une raison assez simple c'est qu'on était en train de l'écrire et en plein milieu de l'écriture il y a eu les Gilets jaunes, donc on s'est dit bon on va croire 1 qu'on profite et puis 2 on était presque en train de faire une prophétie autoréalisatrice. Donc, on a tout arrêté à ce moment-là. Ce que j'ai fait pour l'armée n'a rien à voir. En fait, l'armée a lancé un programme qui copie en quelque sorte des programmes du DARPA aux États-Unis, qui vise à prendre des auteurs, les former, et à les faire imaginer des situations conflictuelles à moyen ou long terme, 10 ans, 20 ans, 30 ans. Il y a eu deux équipes, en gros, qui ont été sélectionnées. J'ai fait partie d'une des deux équipes. Moi, je faisais partie d'une équipe qui était la plus confidentielle. Donc, je peux parler du procès, je ne peux pas parler de ce qu'on a écrit. Il y a une partie de notre travail de départ, qui est une sorte de travail promotionnel un peu, a été publiée. Donc là, voilà. Et on avait vraiment un premier sujet, c'est marrant, je ne sais pas même pour en parler, qui était la piraterie à horizon 20 ans. Et donc, avec deux auteurs, qui étaient Déo A, qui est auteur de roman, et Xavier Moméjean, qui est aussi d'ailleurs auteur de roman, on a travaillé sur une perspective de piraterie développée en Méditerranée avec le développement de zones de non-droit, dans plusieurs zones du Malraie.

  • Yannick Lejeune

    Et après, tu ne peux plus parler sinon. Non, le réel,

  • Xavier Dorison

    je pourrais le développer parce que cette histoire a été publiée avec d'autres histoires de l'autre équipe de la Red Team aux éditions des Équateurs. Mais les autres sujets que j'ai développés, non. Je ne peux pas en parler.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'il y avait des bonnes idées de scénarios pour faire des films et des séries ?

  • Xavier Dorison

    Je peux te dire que, par exemple, s'il y a une idée qu'on avait qui a donné lieu à un roman qui est sorti il y a... Je ne pourrais pas dire à quelqu'un, mais qui a donné lieu à un roman qui a eu beaucoup de succès l'année dernière. ça n'a rien à voir ça n'a pas été copié ni rien mais comme quoi on n'était pas totalement à côté de la plaque puis il y en a qui arrivent comment ça arrive on pensait que c'était dans 10 ans et en fait c'est en train d'arriver maintenant donc on est assez surpris puisque tu parlais de séries télé t'as écrit pour le cinéma donc on a parlé des Brigades du Tigre tout à l'heure de Jérôme Cornu avec Fabien Nury au scénario avec toi ensuite

  • Yannick Lejeune

    t'as fait un téléfilm qui s'appelle Pour toi j'ai tué je crois que t'as aussi t'es pas mal scrive docteur t'es prof à la FEMIS est-ce que le cinéma c'est un médium qui t'intéresse particulièrement ou est-ce que tu t'es dit comme tu l'as dit tout à l'heure, trop de contraintes, trop de producteurs, trop de gens autour de la table, finalement la BD, c'est ce que je préfère, quel est ton rapport à ça ?

  • Xavier Dorison

    J'adore le cinéma, c'est-à-dire j'adore voir des films. Je suis un passionné, évidemment, complet de cinéma. Mais bon, la réponse est un peu dans ta question. C'est-à-dire que le milieu du cinéma, pas tant les gens, mais le système qui fait qu'un film va pouvoir se faire, est extrêmement compliqué, extrêmement dur, très politique. C'est normal, dès qu'il y a beaucoup de gens, il y a de la politique. C'est naturel, le mot n'est pas péjoratif dans ce sens-là. Et c'est vrai que, comme j'adore énormément la bande dessinée aussi, et que la bande dessinée... nous donne une marge de manœuvre absolument extraordinaire. C'est-à-dire, il faut quand même réaliser, on n'a pas de problème de budget, on raconte ce qu'on veut, à l'époque qu'on veut, on n'a pas de limite de sujet. J'ai raconté tout à l'heure des limites sur la violence, mais c'est moi qui ai décidé, j'aurais pu décider que j'allais le raconter et mon éditeur, je pense, m'aurait suivi. On est très peu de gens à intervenir. Quand on fait un album comme 1629, au départ, il y a Timothée Montaigne qui dessine, bon, Clara Tessier qui va faire la couleur. Mon éditeur, Philippe Aurier, avec qui je discute énormément. Et puis ensuite, bien sûr, on a des rapports avec le marketing. Mais globalement, en résumé, on est quatre. Un film, c'est une centaine de personnes, voire plus que ça. Donc les décisions sont rapides. Et surtout, ce qui est extraordinaire, c'est que d'abord, je suis sûr que ça va se faire. Moi, j'ai écrit plusieurs scénarios de films pour lesquels j'ai été bien payé, très bien. Mais ils vont rester dans un carton et je ne pourrai jamais les raconter à personne. C'est hyper frustrant. J'ai envie d'écrire, mais pour que les gens me lisent. Et puisque j'adore aussi, et ce qui fait d'ailleurs que les scénaristes de bandes dessinées sont en général très mal élevés. C'est qu'en bande dessinée, on a la possibilité d'être main dans la main, non seulement avec le dessinateur, mais aussi avec l'éditeur, pour être présent. Ça ne veut pas dire décider, ça ne veut pas dire être pine ailleurs, mais c'est-à-dire amener une vision de la première idée jusqu'au libraire qui soit continue.

  • Mike Cesneau

    C'est plus showrunner que juste scénariste qui lui fournit son texte.

  • Xavier Dorison

    Exactement. Il n'y a pas d'obligation. Il y a des scénaristes de bande dessinée qui vivent ça d'une autre façon et qui remettent un script et disparaissent. C'est tout à fait légitime, ils ont le droit de le faire. Moi, je vis ça plutôt comme un showrunner. Je vais rencontrer les libraires, les gens du marketing, tout le monde. Et puis bien sûr, chacun décide de son métier. Il ne s'agit pas de prendre le pouvoir sur les autres. Mais j'aime bien cette idée d'une aventure collective que je peux suivre de A à Z. Je n'aurais jamais ça en cinéma. Donc je continue à écrire des films de temps en temps. Je continue à aider des gens à faire des films, ce qui est un plaisir énorme. Mais c'est vrai que je suis très heureux de faire la bande dessinée.

  • Yannick Lejeune

    À propos de Showrunner, il y a ta série Les Sentinelles, qui est une relecture de la Première Guerre mondiale en steampunk. qui va être adapté sur Canal+, ça sort dans pas trop longtemps. Oui,

  • Xavier Dorison

    ça sort.

  • Yannick Lejeune

    Quel est ton lien avec la production ? Est-ce que tu as participé à l'écriture ? Est-ce que tu as dit, prenez mes droits, ne m'en parlez plus, je regarderai ? Est-ce que tu as vu ?

  • Xavier Dorison

    Réponse 2. Réponse 2, c'est-à-dire, moi j'ai cédé mes droits, à l'époque j'avais énormément de travail, et donc j'ai dit à Guillaume Léman, écoute, je te fais confiance, fonce. Et ce qu'il a fait avec son équipe, et c'est vrai que pour eux c'était un chantier énorme, t'imagines faire une série de super-héros qui va donc être la... D'époque. D'époque, il va être la série la plus chère que Canal ait jamais produit. Bon, challenge énorme, des problèmes de fabrication. Ils en ont eu des tonnes. Il faut bien comprendre que quand on fait de la bande dessinée, on a essentiellement des problèmes de création. Quand vous faites de l'audiovisuel, vous avez des problèmes de création et de fabrication. Ça n'a rien à voir. Et eux, des problèmes de fabrication, ils en ont eu en voiture, voilà. Donc, ils ont eu le champ libre. Et puis sinon, vous verrez ça bientôt sur Canal, la saison 3 de Paris Police. Moi, j'ai travaillé sur la saison 2 avec Fabien Nury. C'est sa série. moi je l'ai accompagné simplement et puis je l'ai aussi un peu accompagné sur la saison 3 il a fait un travail extraordinaire et donc moi je serais content aussi de voir ça l'année prochaine aussi sur Canal.

  • Yannick Lejeune

    Claire toi aussi t'as fait des expériences multimédia les chemins du désir, le podcast se termine par une réflexion sur le roman comment ça se construit, le dernier épisode ça parle de toi en interview sur le roman comment ça se construit au démarrage est-ce qu'il y a l'idée des deux dès le départ qui amène l'autre ?

  • Claire Richard

    Non dans ce cas c'est on a commencé par le son, mais juste en fait c'est vrai que tout ce que tu dis sur la liberté de la BD, en fait ça s'applique mot pour mot à la radio je me dis la même chose, c'est-à-dire que pour avoir fait des toutes petites expériences en série et effectivement avoir vu le ratio de projets qui se font en fait ce que tu dis, l'idée de développer une histoire de penser à un personnage, de vivre avec lui pour rien, ça me semble complètement lunaire et effectivement la radio ça coûte de l'argent je sais plus quel était le budget d'Anne Bonny mais c'est le plus gros budget pour Arte Radio. Donc, en fait, c'est rien par rapport à la télé ou le cinéma.

  • Yannick Lejeune

    Et tu as conscience quand même qu'en termes de qualité de production de podcast, c'est très au-dessus de la moyenne.

  • Claire Richard

    Oui, bien sûr. Mais on l'a écouté.

  • Yannick Lejeune

    On est en retard.

  • Claire Richard

    Moi, j'ai l'impression que c'est un lieu qui fait de la radio depuis 15 ans. On a une tradition de création sonore qui n'est pas forcément connue parce que l'écosystème du podcast, il y a plein de... En fait, ça recouvre plein de formes très différentes. Et Arte Radio, c'est un endroit qui a une expérience en création radiophonique, donc en réalisation, en bruitage. Alors, on est aussi allé chercher des bruiteurs de cinéma, mais en même temps, ça s'est déjà fait sur d'autres fictions. Il y a un compositeur extrêmement talentueux, Michael Liot, qui a fait des musiques, des chansons superbes. Donc, c'est sûr que pour une fiction radio... C'est un gros budget. On a eu beaucoup de temps, en fait. C'est ça, après, comme tout. Mais on a eu plein d'intérêt.

  • Mike Cesneau

    Vous aviez parlé de showrunner sur la bande dessinée. Est-ce que tu as pu être impliquée dans la production et la réalisation d'Anne Bonny, par exemple ?

  • Claire Richard

    Alors oui, parce que c'est une structure, c'est une petite équipe, Arte Radio. Et les deux réalisateurs, réalisatrices, Arnaud Forest et Sabine Zovigian, c'est des gens que je connais depuis longtemps. On a travaillé avant sur les chemins de désir, même encore avant sur une fiction que j'avais faite. Donc, en fait, c'est des amis. Donc, on se connaît très bien. Et par ailleurs... Ça se fabrique comme ça, Arte Radio. À France Culture, c'est un peu différent. Mais donc oui, sur le casting, sur les musiques, Sabine, Arnaud m'envoyaient tout. Mais après, par contre, le montage, je les laisse quand même en autonomie. Ensuite, moi, je fais des écoutes à plusieurs moments. Mais on a une relation, en fait, on se connaît quand même très bien. Donc on a une relation de confiance importante. Et je sais que ce que j'entends quand j'écris, ou plutôt les tonalités, mais que Sabine, qu'Arnaud vont les faire exister hyper bien. Mais oui, oui, c'est une chance. C'est un écosystème merveilleux. et donc c'est un peu la même chose en fait c'est léger enfin ça coûte de l'argent mais c'est rien par rapport au cinéma et donc on peut faire de la piraterie donc on peut avoir des abordages on peut avoir des bateaux des trucs et ça nous coûte une fraction de ce que ça serait aussi c'est un film d'action c'est une grande fresque quand on l'écoute ouais complètement et on se dit si c'était assez il me coûterait vraiment peut-être cher et ça coûterait ce serait pas faisable quoi en série il y a un autre sujet d'ailleurs dont tu parles c'est qu'il y a la liberté de moyens dont tu parles c'est à dire l'abordage etc

  • Xavier Dorison

    Mais j'ai envie de dire qu'en... Enfin, je ne sais pas si c'est ce que tu as vécu en podcast, mais la vraie liberté qu'on a en bande dessinée, au-delà du moyen financier des décors, des personnages, des costumes, etc., c'est la liberté de pouvoir raconter ce qu'on a envie de raconter.

  • Yannick Lejeune

    Tu n'as pas 15 diffuseurs qui te donnent un cahier des chocs en disant pour la ménagère de 5 ans.

  • Xavier Dorison

    Il n'y a pas un distributeur qui vient me dire, je ne sais pas, ah ben non, Diane Kruger, elle ne peut pas mourir à la fin. Ben si, elle peut, c'est dans le scénario. Ouais, mais dans le spectateur, on n'acceptera pas. Pourquoi ? Oui, ça, je n'ai pas embellé. Il peut essayer, mais elle mourra quand même.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'en podcast, c'est aussi pareil ? Sur la liberté éditoriale, c'était complètement...

  • Claire Richard

    Ouais, ouais, total. Parce que c'est quand même un petit milieu, donc on ne gagne pas des sommes.

  • Mike Cesneau

    Je crois que Arte, même sur la production audiovisuelle pour leur série, il laisse les créateurs vraiment très tranquilles.

  • Claire Richard

    Alors ça, pour le coup, en série audiovisuelle, ça, je ne sais pas. Mais nous, en radio, on a une liberté absolument totale. Et ça, c'est aussi la beauté de ces lieux-là où il y a une confiance. Alors France Culture, parce que c'est l'autre gros producteur de séries de fiction radio, Ils sont un peu plus regardants. C'est-à-dire que je pense que c'est un processus qui s'apparente un peu plus peut-être à... S'il y a de l'audiovisuel, même si on a énormément de liberté créative, mais tu fais une Bible. En gros, à moi, Anne Bonny, parce qu'il y avait un rapport de confiance aussi avec Sylvain Chirc, qui était le directeur éditorial à l'époque. Moi, j'ai écrit le premier épisode et c'est tout. Du coup, je n'avais pas de Bible. Alors, tu as déjà mis en place toute la narration, le ton, la matrice, comment ça va fonctionner et tout. Mais il n'y a pas à écrire un synopsis. Alors, je crois que ça peut avoir un peu changé. Et donc, pour Les chemins de désir...

  • Yannick Lejeune

    Déjà, est-ce que tu peux pitcher pour les gens ? Et je préfère que ce soit toi qui le fasses, vu le sujet. C'est vrai que t'es bon.

  • Claire Richard

    Ouais, alors, Les chemins de désir, c'est une autofiction qui raconte, on pourrait dire, une sorte d'autofiction pornographique, c'est-à-dire le chemin fantasmatique, en fait, d'une narratrice de sa première rencontre avec une image érotique, donc quand elle a 8 ans, avec une BD de Manara chez sa grand-mère, jusqu'à la trentaine. Non, d'ailleurs, attends, c'est une BD de SFQ qu'elle rencontre... qu'elle voit chez sa grand-mère. Et donc, dans cette image où il y a deux femmes attachées, l'une dominatrice, l'une soumise, en fait, c'est un premier choc fantasmatique, érotique. Et la série raconte comment ce choc initial, en fait, commence à créer des chemins de désir, donc un imaginaire érotique et pornographique. C'est-à-dire que chaque épisode, en fait, c'est un peu un moment différent de sa vie. C'est des épisodes pas très longs, c'est entre 15 et 18 minutes. Et à chaque épisode, il y a l'arrivée d'un nouveau support de fantasmes et donc de porno. Effectivement, dans le deuxième épisode, elle va, enfin elle, je, mais elle, parce que c'est quand même une création aussi dramaturgique, mais elle arrive au musée d'Angoulême. Elle voit une image de Manara qui la lance dans une activité fantasmatique et masturbatrice un peu intense pendant son adolescence.

  • Yannick Lejeune

    C'était pas Crepax ?

  • Claire Richard

    Si, c'était Crepax. Non mais oui, effectivement, c'est Crepax. Ensuite, Internet arrive et donc elle passe beaucoup de temps sur un site qui fait l'objet de tout un épisode, puis sur les tubes avec U-Porn, etc. Et l'idée, c'était à la fois de raconter ça, parce que ça n'avait pas été beaucoup fait d'un point de vue de femme et d'un point de vue d'usagère du porno. Parce que je me disais que c'était une histoire générationnelle. Moi, je suis dans le 85 et l'écriture, elle date un peu déjà maintenant. J'ai dû commencer, je ne sais plus, en 2018, quelque chose comme ça. Mais c'était l'idée que je faisais partie de la génération qui avait connu le porno avant et après Internet. Et donc, de raconter ce que ça faisait à un imaginaire qui, petit à petit, rencontrait des lieux de plus en plus nombreux pour s'exercer.

  • Yannick Lejeune

    C'est ce que je trouve le plus génial dans ce que tu as fait. On parlait avec Mickaël en préparant le podcast, c'est qu'au début, on écoute ça comme une autofiction, dont on imagine qu'elle est assez proche de beaucoup de choses chez toi. Je disais au début, c'est un peu compliqué de se dire, tiens, c'est la première fois que je reçois un ou une invitée du podcast dont je sais quel est le tag précis qui la faisait triper sur YouPorn. Mais en fait, ce qui m'a emporté, c'est qu'au final, c'est très générationnel. C'est-à-dire que dans cette expérience qui est très singulière, il y a ce côté, je vais piquer une bande dessinée dans le grenier de mes grands-parents. Et en fait, c'est le écho des savanes de tonton machin qu'on trouve et qui crée les premiers émois. Ensuite, c'est... Cette capacité à se raconter des choses. Et puis un jour arrive Internet et une espèce de profusion beaucoup moins complexe que tu racontes le film de M6 capté en cachette le soir. Le porno de Canal+, dès que les parents en Canal+. Et je me suis dit, c'est hyper générationnel. Et en fait, dans cette histoire de femme qui s'interroge sur sa sexualité, sur son rapport entre le féminisme et le porno, ça me sent hyper concerné. Et j'ai trouvé que c'était hyper fort dans la capacité universelle du propos. Comment c'est venu cette envie ? parler de ça.

  • Claire Richard

    Par rapport à ce que je disais tout à l'heure, le fait qu'on est façonné par notre époque, je savais aussi, pour avoir lu des choses, que la consommation de porno, elle, est élevée chez les femmes, que beaucoup de femmes qui se considèrent hétéros consomment du porno lesbien, parce que c'est une tension qui est centrale dans les chemins de désir, à mesure que la narratrice, elle grandit, elle commence à conscientiser un peu potentiellement qu'est-ce que ça veut dire d'un point de vue féministe. Donc ça, je savais que ça concernait plein de gens. Et après, moi, à ce moment-là, j'étais journaliste pour le site rue 89 et on faisait beaucoup de choses quand même sur les questions sexualité, culture et beaucoup de récits en fait, on allait interviewer beaucoup de gens et on avait même une rubrique dans le nom m'échappe, je sais plus en gros des gens nous écrivaient parce qu'ils voulaient nous raconter leur histoire de cul et on allait les interviewer je me souviens notamment d'un couple qui s'était lancé dans le candolisme, c'est quand on aime regarder son partenaire avec une autre personne et en fait c'était assez beau la façon dont ils le racontaient parce que évidemment qu'au coeur de ça c'est l'amour de ce couples, leurs relations conjugales, etc. Donc, je baignais un peu dans cette idée que les histoires sexuelles sont intéressantes à raconter parce qu'elles concernent tout le monde, et que c'est une banalité, mais quand même, plus on est précis, plus elles concernent tout le monde. Et voilà, et après, c'était aussi un peu cette pensée, d'abord, de cartographier une expérience qui allait disparaître, puisque ce que je disais, ce côté générationnel, d'avoir découvert l'imaginaire érotique avant Internet, puisque c'est plus le cas des générations qui arrivent. C'est pas mieux, c'est pas moins bien. Mais je trouvais que c'était important de raconter ça.

  • Yannick Lejeune

    Et qu'est-ce qui est venu avant, alors, le roman ou le podcast ?

  • Claire Richard

    Le podcast. parce que j'avais déjà travaillé pour Arte Radio avant, un peu par hasard, parce qu'au début, moi, je voulais écrire de la littérature expérimentale, mais ça ne marchait pas beaucoup. Et par hasard, je suis arrivée à Arte Radio et donc un premier texte que j'avais écrit avait été transformé en fiction là-bas. Et donc, il y avait eu cette espèce de rencontre miraculeuse avec un endroit qui voulait mes textes, me faisait des contrats pour ça. Ce n'était pas des sommes mirobolantes, mais ça me semblait quand même d'un goût. Et donc, en fait, à la base, c'était une demande de Sylvain Gir de me dire, je te fais un contrat écrit sur ce que tu veux. Parce qu'il y a une... politique d'auteur, une politique de fidélité aux autrices, parce que c'est principalement quand même des femmes. Et donc, il m'a encouragée en me disant ce que tu veux. Alors que l'édition classique, ça ne s'était pas matérialisé. Là, j'avais un endroit où c'était possible. Donc, c'est parti en son. Et après, il y avait aussi l'idée que raconter des histoires de porno en son, ça avait beaucoup de sens, que ça posait plein de questions très intéressantes qui étaient puisque c'est générationnel, puisque c'est des images qu'on a tous et toutes en tête. En tout cas, on a... chacun, chacune, nos images en tête de porno, comment les évoquer sans en même temps mettre mal à l'aise, c'était aussi tout le défi de réalisation qui était hyper intéressant, c'est-à-dire comment rester à la fois très cru par moments, tout en étant aussi poétique et évocateur, ce qu'on voulait faire. Et ça, c'était propre au film. Ça exhibe, c'est ça qui est très réussi. Moi, j'avais un peu comme critère l'idée qu'on puisse l'écouter en public sans être absolument mortifié, à côté d'inconnu.

  • Mike Cesneau

    Est-ce que maintenant, tu abordes toutes tes futures idées de projets en te disant, je vais commencer par une fiction audio et après, je verrai où ça atterrit.

  • Claire Richard

    Et bien en fait, quasi ouais, parce que je travaille sur d'autres médiums, mais je me dis un peu, même par rapport à ce qu'on disait de la série, c'est que c'est un bon endroit où développer des histoires, parce qu'en fait, elles existent, elles se font, ou tu sais, en tout cas, tu sais très vite si ça se fait pas. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un processus de développement infini à la fin duquel on te dit, ah bah non, désolé. Là, tu le sais, donc en fait, oui, un peu. Là, j'ai fait une fiction radio qui est sortie au début de l'année, enfin là, en septembre, sur France Culture, que j'essaie d'adapter en roman parce que j'aime les personnages. Je vais faire une série pour France Culture l'année prochaine. Et oui, j'essaierai parce qu'elle est... Elle est un peu plus classique dramaturgiquement. Moi,

  • Yannick Lejeune

    je me suis demandé si ce n'était pas aussi lié justement à ton histoire sexuelle. Parce que dans le podcast, tu commences par cette case de BD. Ensuite, tu vas sur FBB. Donc là, c'est des textes. Ensuite, tu vas dans le porno visuel. Et tu expliques que tu en consommes énormément. Et à un moment, il y a une coupure d'Internet. Et tu dis, avant, quand j'étais dans le texte, dans l'imaginaire, j'arrivais à réorganiser tout ça dans ma tête pour me créer de l'émoi. Alors que le porno visuel, quand il n'y en a pas devant mes yeux... Je ne sais plus m'en servir et je ne me souviens même pas des trucs que j'ai regardés. Et puis, tu finis le podcast, ça ne va pas tout dévoiler, mais tu vas sur un sous-groupe de Reddit où c'est des gens qui enregistrent certains des orgasmes, certaines des histoires de cul. Et tu dis, pour la première fois depuis des années, je peux me toucher les yeux fermés. Pour la première fois depuis des années, je n'ai plus besoin d'images. On prend mon imagination par la main. Et je me suis dit, mais c'est peut-être là que naît le podcast dans ta tête. C'est le jour où tu te dis, mais en fait, quand on me parle et qu'on me raconte une histoire sans images, je peux visualiser ce que je veux. Allongez-vous sur ce canal. Non,

  • Claire Richard

    mais la vérité m'oblige à dire que c'est une fin... Là, on est vraiment dans l'autofiction, c'est-à-dire que tu mets de la structure sur le réel. Donc oui, j'ai eu une phase porno-sonore, mais en vérité, elle ne constitue pas l'acmé. Mais par contre, pour un podcast... C'était beau de chier à la chien. Donc en fait, c'était un peu ça. Parce qu'à travers cette question du porno, il y avait aussi un peu en petit filigrane qu'est-ce que ça fait d'être dans une culture visuelle démultipliée ? Qu'est-ce que ça nous fait, en fait, les vitesses d'Internet ? Parce que ça, c'est aussi une question qui m'intéresse beaucoup. Qu'est-ce que ça nous fait ? Tous nos médias, comment ça nous transforme ? Et en fait, le retour au son à ce petit site d'amateurs, c'était aussi le retour du coup à un temps différent. Parce que le son, tu peux l'accélérer, mais c'est pas pareil. Et puis, c'est le retour à l'amateurisme aussi. Parce que c'est ça qui est beau dans les voix de ce site, c'est que c'est vraiment... C'est vraiment des gens qui s'enregistrent chez eux, et c'est ça que t'entends en fait. T'entends l'émotion, t'entends le trouble, et donc t'as un contraste très fort avec la production démultipliée et hyper professionnalisée que tu vas trouver sur les grands sites. Et après, oui, pour retomber sur le roman, je l'ai envoyé à quelqu'un que je connaissais pour avoir travaillé ensemble dans un magazine de critique littéraire quand j'avais 20 ans. qui était au seuil et je m'étais dit que ça ferait, parce que c'est un texte assez court, un début d'essai et autant j'avais vraiment galéré quelques années avant, autant là il y a eu une espèce d'alignement des planètes autour de ce projet où il a été pris au seuil très vite. Et donc en fait c'est à peu de choses près le même texte avec un tout petit peu plus de détails mais pas beaucoup.

  • Yannick Lejeune

    Il y a ça aussi dans la bande dessinée, moi j'étais très agréablement surpris par le fait que souvent une adaptation d'un podcast ou de quoi que ce soit en bande dessinée c'est pas bien parce qu'on tronçonne la matière de départ. par des gens qui, en plus, n'ont pas forcément les moyens, parce qu'on a déjà payé la licence, de faire une bonne adaptation. Et surtout, ils n'utilisent pas la BD pour ce qu'elle est. Donc finalement, ils vont illustrer un texte. Et là, en fait, t'as réussi à prendre quasiment toutes les phrases du podcast. C'est vraiment très, très proche du podcast sonore. Et à les mettre en bande dessinée en faisant un très bon album de BD. Alors déjà, le dessinateur est extraordinaire. Mais comment t'as adapté ?

  • Claire Richard

    Ça me fait très plaisir, merci, parce que c'est... La première fois, j'ai lu Scott McCloud. pendant un été, en prenant des notes.

  • Yannick Lejeune

    Je crois que ton dessinateur, il vient de l'animation.

  • Claire Richard

    Ouais, il vient de l'animation. Et puis, il y avait beaucoup de... Justement, sur la question des angles, du dynamisme. En fait, ça, il a amené beaucoup de choses. Et après, je réfléchissais à la question de l'ellipse, du découpage, du passage d'une page à une autre, ce genre de choses. Mais sinon, c'était assez naturel, parce qu'une fois de plus, j'ai quand même une imagination visuelle. Donc, j'avais l'impression de décrire vraiment ce qui ne se voit pas dans le script audio, mais que moi, j'ai en tête. C'est-à-dire le bordel, tous les décors, etc. c'était assez facile à décrire parce que je les avais en tête.

  • Yannick Lejeune

    Là, c'était la rentrée littéraire. J'ai lu à peu près 200 albums de BD depuis début septembre. Et franchement, le tien est ressorti comme un des qui m'a le plus touché. Et ça me fait une transition toute trouvée pour parler de Ulysse et Cyrano, qui est vraiment à moi un de mes coups de cœur de l'année aussi. Xavier, je te le dis, je vais te laisser le pitcher.

  • Xavier Dorison

    On est en France, dans les tout débuts des années 50. Ulysse Dussert a 16 ans. Il va bientôt passer son bachot, comme on dit à l'époque. Et Ulysse Dussert a la spécificité d'être le fils unique de la famille Dussert que tout le monde connaît puisqu'il s'agit des plus grandes fortunes françaises. Et le destin d'Ulysse est tout tracé, il va reprendre la boîte de papa, enfin avant il fera mathélème comme on disait à l'époque, puis il fera bien sûr polytechnique, et puis bien sûr il dirigea la boîte. Sauf que papa a un problème, papa est accusé de collaboration, et le temps de se défendre, le temps que les choses s'apaisent un peu à Paris, M. Dussert envoie son fils Ulysse et son épouse, Mme Dussert. ouvert, comme on dit, en Bourgogne. Il a loué une grande maison sous le nom de jeune fille de sa femme et il espère que Ulysse finira de préparer son bachot là-bas et que lui, il aura le temps de résoudre les problèmes qu'il a à Paris. Mais Ulysse du Cerf va faire une rencontre. Il va rencontrer un homme qui s'appelle Cyrano. Alors Cyrano, c'est l'opposé complet d'Ulysse. Il a presque la soixantaine. Il a jeté son réveil et ses montres il y a une bonne dizaine d'années. Il vit comme il veut. Il fait ce qu'il veut. Il vit dans une grande maison un peu délabrée au milieu de la forêt en Bourgogne et avec une particularité quand même, c'est que dans cette maison, il y a une pièce extraordinaire, c'est la cuisine. Parce qu'il se trouve que Cyrano, dans une autre vie, a été le plus grand cuisinier de France. Il ne l'est plus, il n'a plus de restaurant. Pourquoi ? Vous le saurez en lisant l'album. Mais ces deux personnages vont se rencontrer, vont devenir amis. Grâce à Cyrano, Ulysse va réaliser ce qu'il aime. Et bien, il aime faire plaisir, il aime faire quelque chose avec ses mains, il aime être créatif. Bref, il aime faire la cuisine. Et petit à petit, une idée va commencer à germer dans la tête d'Ulysse. Et si je devenais cuisinier ? Sauf que vous vous en doutez, quand on est en France, dans les années 50, et qu'on est fils de la famille du cerf, on ne devient pas ouvré légume et éplucheur de patates et non toute la question est de savoir si Ulysse pourra réaliser son rêve.

  • Yannick Lejeune

    Alors cet album, il est impressionnant parce qu'il est d'une densité narrative extraordinaire. Et pourquoi ? C'est parce que ça raconte à la fois une histoire d'amitié, ça raconte une histoire de gastronomie. Moi, j'y suis allé pour la bouffe au départ, je te le dis. Ça raconte l'histoire de cette époque avec la collabo, les soupçons, des rapports au travail, des histoires de filiation. et un maelstrom de récits en fait et de thèmes.

  • Mike Cesneau

    Il y a encore la lutte des classes aussi, les confrontations entre des classes de main dominée.

  • Xavier Dorison

    Il y a tout ça, mais par contre, il y a une colonne vertébrale qui est très, en tout cas pour ces auteurs, qui était très claire, qui se résume en trois mots, c'est l'apprentissage du bonheur. C'est-à-dire comprendre qui l'on est, mettre en place une activité qui correspond à ce qu'on est et enfin trouver sa place avec cette activité dans le monde. Dans le fond, c'est ça que raconte Ulysse et Cyrano. Il se trouve qu'avec le co-auteur Antoine Christo, on est des passionnés de cuisine. Lui encore plus que moi. Donc, ça nous plaisait bien, on aimait bien la Bourgogne. Mais on aurait pu faire ça dans la musique, dans la maroquinerie.

  • Yannick Lejeune

    Il y a plein de BD qui surfent sur une mode, la mode de tout le monde. Là, quand ça parle de cuisine, on sent que derrière, vous y connaissez, il y a un espèce de plaisir de ce que la cuisine peut avoir d'artistique qui est retransmis dans la BD.

  • Xavier Dorison

    C'est le partage qui nous intéresse dans la cuisine. En fait... c'est la communion. Alors il se trouve que Antoine, qui a co-écrit avec moi, qui lui a complètement un autre métier, mais lui, il a été sélectionné pour faire Masterchef. Bon alors comme il est DRH dans une grosse boîte, il s'est fait attendre, j'ai pas trois semaines à vous consacrer, mais vraiment, c'est vrai que c'est un excellent cuisinier, mais pourquoi est-ce qu'on aime la cuisine autant la faire que la partager ? C'est parce qu'en fait, elle va créer un moment. Elle va créer un moment d'abord de plaisir physique, ça nous renvoie à ce dont on parlait à l'émission tout à l'heure, mais la cuisine, et manger, c'est bien un... un plaisir qui est très intime, en fait. Et c'est un plaisir intime qu'on partage. Et c'est ça qui nous plaît, en fait. Et d'ailleurs, on aime tous les types de cuisine, tous les types de restaurants, mais c'est vrai qu'à la limite, Antoine et moi, on va presque préférer une nappe à carreaux et un bœuf bourguignon très bien fait ou une blanquette à un étoilé. Beaucoup d'estime pour le chef étoilé, il ne sait pas du tout ce qu'on veut dire, mais à la limite, le restaurant étoilé va créer un contexte presque guindé, presque d'admiration d'une performance qui, pour nous, à la marge, nuit un peu à cette communion. Et c'est vrai que tout le monde aime ces moments où on se retrouve autour d'un Mont-Plat. Et le Mont-Plat n'est pas le sujet. Le Mont-Plat, c'est le catalyseur du moment, en fait. Et donc, qu'on place son énergie, son envie et sa place dans le monde, dans la création de ce moment de communion, c'est évidemment ce qui nous a fait retrouver, j'ai envie de dire, tous les trois. Parce qu'évidemment, avec Stéphane Servin, qui est le dessinateur.

  • Mike Cesneau

    Qu'est-ce qui vous a inspiré dans la création de ce personnage de Cyrano qui est un peu comme ça, bigger than life ?

  • Xavier Dorison

    C'est tout bête. Il est l'inverse d'Ulysse. Il est inspiré... de personnages, grande gueule. On voit bien Gabin faire ça. On voit bien Alexandre le Bienheureux, Philippe Noiret. Mais il faut voir qu'au-delà de cette apparence-là, en fait, il va être le mentor. C'est son ami, mais c'est aussi son mentor à Ulysse. Il va lui transmettre une bonne partie de sa vision de la vie. Alors, c'est marrant parce que mes enfants, ayant lu l'album, ils ont dit Bon, on a l'impression que tu parles dans toutes les bulles. Alors, je dis Bon, visiblement, on va voir. Mais moi, j'avais... Je termine là-dessus. Alors, c'était moi. et une fois de plus en soi, qui ont partagé un certain nombre de convictions sur l'éducation. Mais moi, j'avais en plus un rapport très intime et très particulier à cette histoire, qui est que mon propre père, d'un milieu bourgeois parisien, son père est directeur adjoint d'une compagnie de charbonnage, ils habitaient dans le 6e arrondissement. Et à l'âge de 17 ans, alors qu'il est étudiant au lycée Montaigne ou Henri IV, mon père vient voir mon grand-père, parce qu'on parlait au père à ce moment-là, et elle lui dit, écoute... de papa, voilà, tu veux que je fasse des études et tout, mais moi, je voudrais rendre les gens beaux et donc je voudrais être coiffeur. Là, on parle, on est avant 68. Alors, je crois que d'après ce qu'on m'a raconté, pendant 3-4 jours, mon grand-père a eu un peu de mal à... Mais il se trouve que il n'était pas du tout, je l'ai un peu connu, il n'était pas du tout comme le père d'Ulysse. C'était un homme très bon, très compréhensif, qui d'ailleurs était vice-président et pas président, parce que lui, il voulait pouvoir aller jouer quand même au bridge un certain nombre d'après-midi dans la semaine. Et donc, il a dit oui à mon père et il l'a soutenu. Et donc, mon père... qui est toujours vivant, a été coiffeur toute sa vie, et sans doute pas très riche, mais très heureux. parce qu'il faisait ce qu'il aimait. Le matin, il était content d'aller voir ses clientes ou ses clients. Il était content de retrouver les autres coiffeurs qui travaillaient. Et il a mis ça en place dans notre fratrie. Et mes parents, ils ont toujours dit, faites ce que vous voulez, du moment que vous le faites bien et que ça vous rend heureux.

  • Yannick Lejeune

    Dans les chemins de désir, Claire, tu racontes qu'à force de consommer du porno, j'y reviens, je suis désolé, mais tes chemins de désir deviennent des machines voraces qui exigent du nouveau, de l'extrême, de plus en plus souvent. Il y a un truc très drôle avec une espèce de visualisation d'orpeur romain qui, pour s'amuser, demande des choses de plus en plus décadentes et escabreuses. Est-ce que vous pensez que c'est pareil dans la culture d'aujourd'hui ? Est-ce qu'avec le flux qu'on a à travers les plateformes, est-ce que le flux, je pense que la rentrée littéraire BD n'a jamais été aussi monstrueuse en termes de volume ? Est-ce que vous pensez qu'il faut faire du Bigger Than Life pour arriver à sortir le nez du flux ?

  • Xavier Dorison

    Il y a deux questions différentes.

  • Claire Richard

    Pour répondre à la première, je pense que oui, mais je pense que c'est quelque chose qu'on ressent tous et toutes. Tu vois, ce déferlement des contenus. Moi, je pense, je ne sais plus à quel moment on parlait tout à l'heure, ou en réfléchissant à ce qui faisait une bonne histoire, ou je pensais à Netflix, en fait, ou à quel moment tu es déçu d'un pitch. Moi, j'ai l'impression quand même, j'ai encore Netflix, mais chaque mois, je me demande pourquoi je continue à payer. On le voit qu'en fait, on est arrivé à... degré de production industrielle de séries où tu vois exactement quels sont les devices dramaturgiques qu'ils sont allés chercher. La dernière, c'est une podcasteuse féministe et un rabbin. Tu vois très bien que les mecs se sont dit...

  • Yannick Lejeune

    J'ai regardé quatre premiers épisodes et j'ai arrêté.

  • Claire Richard

    Ça se trouve, c'est bien. Moi, je me suis dit que ce n'était pas possible. C'est un bitch qui a été écrite par une IA. C'est un peu paresseux. Je pense que ça, on le sent. J'avais pensé à ça sur la question pour revenir à la deuxième de est-ce que c'est bigger than life ? Pour moi, ce n'est pas tant la question. C'est plutôt... la question de la singularité, même si c'est une... Pareil, c'est un peu banal. Et pour reprendre l'exemple de Netflix, je pense que la dernière série que j'ai beaucoup aimée, je pense qu'on est nombreux, nombreuses dans ce cas-là, c'était Petit Reine. Et pourquoi ? Parce que précisément, alors je crois qu'en plus, l'auteur s'est inspiré de sa propre vie. Cette histoire de ce bartender qui est harcelé par une femme, voilà, et le harcèlement prend des proportions très, très intenses. Et bien sûr, ça vient révéler leur vulnérabilité à tous les deux. En fait, j'avais l'impression, pour la première fois depuis assez longtemps sur Netflix, de voir une histoire très très singulière qui d'ailleurs se déroulait selon des arches qui n'étaient pas prévisibles qui ne suivaient pas nécessairement les actes etc. les climax moi j'ai l'impression que c'est plutôt ça qui fait que les choses se détachent en tout cas c'est ce que je me dis en tant qu'autrice quand je me demande qu'est-ce que j'ai envie de faire et surtout à quoi bon écrire telle ou telle histoire ça va être la question d'un personnage de résister à cette tentation de standardiser mais c'est vraiment des banalités ce que je dis mais de standardiser c'est que Petit Rennes ça correspond quand même exactement

  • Yannick Lejeune

    à ce que l'algo de Netflix sortirait, c'est-à-dire une histoire d'amour avec un fait divers proche du fait d'entrer l'accusé. Si tu prends ce qui est regardé sur Netflix, ça rentre pile-pile dans le cycle. Après, je suis d'accord avec toi, la structure et même le fait que les personnages sont tous...

  • Claire Richard

    Et la singularité, en fait, c'est surtout que tu sors dans quelque chose d'extrêmement cringe tout du long. Et que quand même, t'as pas l'impression de voir une histoire qui se déroule selon les...

  • Yannick Lejeune

    Non, mais c'est...

  • Claire Richard

    Tu vois, selon les...

  • Yannick Lejeune

    Les pays faux,

  • Claire Richard

    ouais. Les points un peu attendus.

  • Xavier Dorison

    donc c'est plutôt ça que je dirais en fait maintenant il y a trois qui te plongent il y a une première question qui est justement ce phénomène de normalisation de banalisation dont tu parles des séries qu'on voit mais le problème de fond c'est que la production de contenu est au départ une industrie de l'offre c'est à dire que c'est aux auteurs et aux artistes de proposer ce qui leur paraît intéressant, pertinent, on va y revenir dans le deuxième point mais C'est à eux de définir ça. Or, les plateformes comme Netflix, Amazon et d'autres sont dirigées, conduites et organisées par des gens qui ne connaissent que le marché de la demande. C'est-à-dire que c'est des gens qui, en gros, ont des systèmes de pensée qui sont façonnés comme ça. Et c'est normal, ils viennent d'écoles de commerce, je sais de quoi je parle, où on leur a dit, regardez ce qui s'est fait hier, reproduisons-le. S'il y a bien un domaine où ça ne marche pas, où c'est mauvais, c'est en art. Ce qui a déjà été fait hier n'est pas intéressant. Et donc, on ne peut pas fonctionner comme ça. Et comme eux-mêmes ne savent pas écrire, ne savent pas créer, parce que sinon ils seraient auteurs, ils se réfugient dans un système qu'ils connaissent, c'est celui de la reproduction de code. Et plus l'industrie grossit, plus le nombre de gens qui pensent comme ça est important. Donc, vous avez des systèmes qui, naturellement, vont amener à la production d'œuvres qui se ressemblent. Ça, c'est le premier point, à mon avis. Le deuxième, c'est... Tu peux avoir l'occasion de savoir, est-ce que les séries, c'est comme le porno sur Internet, ça devient addictif, et à un moment, on veut des choses de plus en plus violentes. Je crois que c'est très différent. Enfin, moi, j'ai compris la question comme ça. Parce que je comprends bien le phénomène.

  • Yannick Lejeune

    Plus en plus violent ou plus en plus bizarre ?

  • Xavier Dorison

    Ou bizarre. Violent ou bizarre, absolument. Pardon, tu as totalement raison, violent ou bizarre. Ce système-là est lié, au fait, à tous les principes d'addiction. Quelle que soit ton addiction, il y a un phénomène qui va faire que la dose d'hier, comme tu la connais déjà, tu l'as déjà vue, va se banaliser, et moyennant quoi, il va falloir l'augmenter. Et là, je pense que les histoires sont assez différentes, précisément pour la raison qu'évoquait Claire, c'est-à-dire que... L'intérêt des histoires, c'est pas tant de se dire qu'on va les raconter différemment. à mon avis, c'est plutôt de se dire qu'on va raconter autre chose. Et comme la vie continue, la vie émotionnelle, relationnelle, amoureuse, sociale, politique, il se passe des nouveaux trucs tous les jours. Donc comme il se passe des nouveaux trucs globalement tous les jours, par définition, les auteurs ont à contempler de nouvelles choses. Et comme ils ont tous, il faut l'espérer, des regards différents, ils ont tous de nouvelles choses à raconter. Donc tant que la vie continuera, on pourra raconter de nouvelles histoires sans tomber dans les problématiques que posent... un phénomène d'addiction et puis la dernière question c'était comment on fait aujourd'hui quand il y a beaucoup de titres notamment en bande dessinée qui sortent ben là je suis d'accord il y a une nécessité absolue de sortir du lot moi quand j'ai commencé en bande dessinée il y avait 800 nouveautés par an on en est à plus de 5000 si cette année je pense ouais peut-être plus de 6000 avec cette problématique qui est à nouveau dans ce marché là qui reste donc je le rappelle un marché de l'offre qui est que si l'album n'est pas sur une table des nouveautés ça pourrait être le meilleur album du monde ben il ne sera pas

  • Yannick Lejeune

    Toi, tu es un bon exemple de ce qui s'est passé avec Netflix. Moi, pendant dix ans, j'entends, alors de toute façon, depuis Blueberry, le western, c'est mort. Arrive Undertaker, que tu écris, et d'un seul coup, tout le monde se remet à faire du western. Ah, le western, c'est super.

  • Xavier Dorison

    Moi, j'essaie de passer ma vie à faire un peu des ruptures. J'ai commencé comme ça. Quand j'ai commencé avec Alex Salis, on avait 25 ans, 24 ans. on s'est dit tiens on va mélanger Da Vinci Code avec le National Zone et X-Files on s'est dit on va faire une histoire une aventure historique qui va s'appeler le 3ème testament ça sera une histoire d'aventure mais il y aura de la religion de l'ésotérisme. Pendant deux ans tous les éditeurs de La Place, tous nous ont dit mais ça marchera jamais votre truc il faut faire soit de l'histoire seulement et puis un jour chez Glenna ils ont dit, Jean-Claude Camano on va essayer, bim ça va marcher après je sais pas moi j'ai voulu faire du pirate il y avait plus de pirate il y avait plus de récits pirates c'était Barbeau Rouge c'était un film de John Silver on dit mais vous êtes sûr parce qu'il n'y avait pas Pirates des Caraïbes non plus et vous dites Pirates bon après il y avait plein de Pirates et voilà et aujourd'hui je ne suis pas tu parlais du Cyrano je fais une histoire Feel Good Feel Good Story un peu à la papa française alors j'espère que c'est renouvelé et tout mais les producteurs de cinéma là je vous rends compte maintenant qu'ils ont l'album en main ils réagissent différemment mais quand ils avaient juste le scénario parce qu'il y avait un scénario de film aussi ils disaient non mais le Feel Good Story ça n'intéresse plus personne toutes les histoires tous les sujets intéresse tout le monde, du moment que c'est honnête, bien fait, bien raconté, et que ça ne nous répète pas ce qu'on a déjà entendu dix fois.

  • Mike Cesneau

    Puisqu'on a repassé un peu en revue plusieurs choses que tu as faites, moi je m'étais posé une question. Quand tu as fait Long John Silver, c'était une volonté de créer une suite imaginaire aux aventures qu'avait écrite Stevenson à la base. Tu as aussi travaillé sur la suite de Goldorak, qui a été un très très grand succès de librairie. Et je voulais savoir, j'avais deux petites questions. La première c'était, qu'est-ce qui t'intéresse dans le fait de faire revivre...

  • Xavier Dorison

    un grand mythe culturel qui n'est pas à la base ta création à toi et de reprendre un personnage mythique pour le faire comme Torgal aussi comme Torgal 2013 et est-ce que il y en a d'autres qui seraient dans tes fantasmes futurs peut-être de faire revivre alors dans les fantasmes futurs pour l'instant non pour l'instant non parce que j'en ai fait pas mal et j'ai maintenant envie de m'amuser plus avec mes propres créations mais alors les raisons à chaque fois sont différentes Goldorak honnêtement quand à 47 ans vous écrivez Corneau Fulgure et Astéro H c'est un peu quand il y a un truc bizarre. Mais pour moi, comme pour toute l'équipe qui a travaillé sur cet album, c'était un fantasme de gosse.

  • Yannick Lejeune

    Tu ne peux pas refuser ça aux gosses que tu as aimés.

  • Xavier Dorison

    Oui, mais parce que si on était dans mon bureau, tu verrais qu'il y a plein de trucs qui sont de l'époque de mon enfance. Non pas que je veuille retomber en enfance. J'ai 52 ans, je suis un adulte. Mais il y a une énergie, une envie qui est liée à mon enfance qui est pour moi une source à laquelle je m'abreuve le plus possible. Et quand j'ai cette image d'enfant ou à 7 ans, Quand Goldorak sort, je suis comme 90% des gosses de ma génération, totalement hystérique. Totalement hystérique, c'est-à-dire qu'un épisode de Goldorak, je le vis, je suis dans, et je le revis à l'école, et je le rejoue à l'école, etc. Et ce qui était assez curieux, c'est que je n'avais jamais quitté Goldorak depuis mon enfance. Et notamment, je m'étais pendant longtemps imaginé une suite et tout. Et c'était une suite, mais vue avec des yeux d'adulte et des moyens narratifs d'adulte, évidemment. En fait, il y a eu au départ une sorte de piège amical. Voilà. Et quand Christelle Houlan, qui est la directrice générale de Kana, qui est le plus gros éditeur de manga au monde, hors Japon, me dit un jour à un déjeuner en Angoulême, tiens, tu connais Goldorak, ça t'amuserait d'écrire un truc ? Alors évidemment, déjà, je lui déroule d'emblée un synopsis. Et qu'elle me dit, écoute, je connais Gonagai, le créateur, si tu me présentes quelque chose de sérieux, on y va. Mais j'ai plus 47 ans, j'ai 7 ans. Et donc là, ce fantasme d'écrire le dernier épisode, puisque c'était ça cet album, c'est le dernier épisode de Goldorak, on est au 77, on a fait le 78e. on était comme des fous et en même temps on avait assez de recul pour se dire on fait un épisode qui est dans le respect de cette série il s'agit pas de dire le héros était un salaud de casser le temple Mais on se donne quand même pour objectif de rajouter une pierre au temple et d'amener un regard. Comme on a pris les personnages qui sont dix ans après. Bon, nous, c'était quarante ans après. Mais ils ont vieilli, ils sont comme nous et on a fait une mise en abîme. Et en même temps, on a vécu. Donc, je suis. Donc, Scénarii, je suis dans le centre où j'ai été piloté Goldorak. Et donc, chaque reprise, entre guillemets, a une... Bon, je ne vais pas toutes les faire. Mais typiquement, quand je fais treize Outorgal, surtout treize d'ailleurs, il y a l'idée là de me mettre dans les traces d'un de mes maîtres dans mon métier. J'ai eu plusieurs mentors. L'un est évidemment Jean Von Am. Et donc, quand on dit, voilà, tu vas passer derrière, derrière ton mentor et essayer de lui rendre hommage, là, il y a...

  • Mike Cesneau

    C'est une mission sacrée,

  • Xavier Dorison

    presque. Pour l'anecdote, quand j'avais 22 ans, quelque chose comme ça, je n'imaginais pas devenir scénariste. Ce n'était pas possible. Personne dans mon milieu était scénariste. Ça ne voulait rien dire. Ça n'existait pas, les scénaristes. Et je suis au Festival de bande dessinée des Grandes Écoles que je co-organise avec d'autres. Et là, je rencontre Jean-Renan. Je n'avais jamais vu un scénariste en vrai. Je passe une journée avec lui. Je souris tellement que j'ai mal au jou, et je pense qu'il y a une voix en moi qui s'est dit je veux pas être Jean Van Damme, parce que j'ai pas son talent, pas son carrière, etc. Mais je veux être comme un Van Damme, et ça me donne un objectif. Et quand dix ans plus tard, Yves Schlier, directeur éditorial de Dargaud, me dit est-ce que tu veux être le premier à écrire un 13 après Jean Van Damme ? C'est magique, quoi.

  • Yannick Lejeune

    Puisqu'on vient de parler de mentors, pour conclure, est-ce que vous pouvez nous donner le meilleur conseil d'écriture que vous ayez reçu et que vous donneriez à quelqu'un d'autre ?

  • Xavier Dorison

    Moi, s'il y en avait un que je devais donner, c'est ne jamais oublier que la vraie victoire est la victoire intérieure. C'est ça qui compte dans une histoire. Est-ce que le personnage principal aura sa victoire intérieure ? C'est-à-dire, est-ce qu'il dépassera son défaut initial, son défaut fatal ?

  • Claire Richard

    Moi, je dirais le conseil, enfin un des conseils d'Amingway qui est The first draft of anything is shit c'est-à-dire la première version de quoi que ce soit, c'est naze. Et un autre qui est un peu lié, alors je crois que c'était, je ne sais plus si c'était Tanay Isiko ou Jennifer Regan, parce que je... des romanciers américains que j'aime bien, et qui est l'idée que ce qui nous bloque souvent pour écrire une première version, c'est l'écart entre... Je ne sais plus ce qu'elle dit, je crois qu'elle dit, en fait, beaucoup de gens n'arrivent pas à aller jusqu'à la fin de la première version, parce que ce qui sort en premier est mauvais, et que personne n'aime être confronté à cette chose médiocre qui sort de toi. Et donc l'idée de traverser ça. C'est moins un problème, mais je pense qu'au début, c'est cette idée que ça n'est qu'une V1, et qu'en fait tout le travail, c'est les V2, les V3, les V4. Mais je me le dis encore souvent.

  • Yannick Lejeune

    C'est une bonne conclusion, merci. Merci beaucoup, merci à vous. Merci beaucoup.

  • Mike Cesneau

    C'est ainsi que se termine cet épisode de La Machine à écrire. Nous espérons que vous avez passé un bon moment avec nos invités, que l'on remercie pour leur temps et leur générosité.

  • Yannick Lejeune

    On vous invite à lire et à écouter La Dernière Nuit d'Anne-Bénie en librairie pour la BD et sur l'application Arte Radio pour la fiction audio, ainsi bien sûr que les précédents podcasts de Claire Richard.

  • Mike Cesneau

    On vous met les liens d'écoute dans la description de l'épisode.

  • Yannick Lejeune

    On vous recommande également les deux tomes de 1629, Le Naufragé du Jakarta de Xavier Dorison, sorti le 13 novembre en librairie. Et si ce n'est déjà fait, bien sûr, vous allez découvrir l'ensemble de son oeuvre, vous ne le regretterez pas.

  • Mike Cesneau

    Si vous aimez la machine à écrire, n'hésitez pas à nous dire quels sont les invités que vous aimeriez entendre dans de prochains épisodes. Vous pouvez nous l'écrire dans les commentaires sur Apple Podcast et sur Instagram.

  • Yannick Lejeune

    N'hésitez pas non plus à nous proposer des thèmes et à nous partager les sujets d'écriture qui vous intéressent le plus. On fera de notre mieux pour les inclure dans de futurs épisodes.

  • Mike Cesneau

    Et pour savoir quand un nouvel épisode est disponible, vous pouvez toujours vous inscrire à notre newsletter 5 bonnes histoires le vendredi, qui compte déjà plusieurs milliers d'abonnés.

  • Yannick Lejeune

    Chaque vendredi, nous y partageons 5 récits marquants et étonnants sélectionnés avec amour par nos soeurs. Des livres, des BD, des séries, des films, des documentaires de quoi vous divertir et vous aimer voir chaque fin de semaine.

  • Mike Cesneau

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  • Yannick Lejeune

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  • Mike Cesneau

    Avant de se quitter, nous tenons à remercier la Société Nationale de Bande Dessinée, l'atelier de Mathieu Sapin et Christophe Blain qui nous héberge pour les enregistrements.

  • Yannick Lejeune

    Et surtout, un grand merci à vous pour votre soutien et votre fidélité. On se retrouve au prochain épisode et d'ici là,

  • Mike Cesneau

    on vous dit à bientôt !

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Description

Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de La Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires ! 

D'abord diffusée en fiction audio, La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en BD par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice, que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts comme 100 façons de disparaître, Les chemins de désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste. On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques, sur notre système de santé, et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste, essayiste et journaliste Claire Richard.

Notre 2e invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD 1629, ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, il s'était déjà attaqué à la piraterie avec Long John Silver, une série de BD rendant hommage au célèbre héros de l'Île au Trésor. Il est aussi l'auteur du 3e Testament, du Château des animaux et a contribué au retour en librairie de Goldorak, ainsi que des Brigades du tigre au cinéma. On le retrouve aux manettes des séries WEST, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur XIII et Thorgal. Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.


Qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirates ?
En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?
Comment ces récits explorent les thèmes de domination et de classes sociales ?

C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

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Crédit photos : Léa Schneider / @lea__sc


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AMBIENCE PORT PIRATES.wav by Elenalostale -- https://freesound.org/s/648593/ -- License: Creative Commons 0


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Mike Cesneau

    Nous sommes en 1870 à la Nouvelle-Orléans. Sentant la mort approcher, une vieille maquerelle convoque sa fille préférée pour lui dicter ses mémoires. Elle profite de ses derniers instants pour rétablir la vérité sur sa vie, quitte à contrarier les historiens. Nous voici embarqués dans le récit incroyable de la célèbre pirate Anne Bonny.

  • Yannick Lejeune

    D'abord diffusée sous forme de fiction audio sur Arte Radio. La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en bande dessinée par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts diffusés sur Arte Radio, Binge et Radio France comme Cents façons de disparaître, Les chemins du désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste.

  • Mike Cesneau

    On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques sur notre système de santé et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos qui luttèrent pour le progrès social à New York dans les années 70. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste essayiste et journaliste Claire Richard.

  • Yannick Lejeune

    Notre deuxième invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. Cette fois, il nous amène à bord d'un navire marchand en partance pour l'île de Java. À son bord, un équipage issu des bas-fonds d'Amsterdam et assez d'or pour exciter les plus folles convoitises.

  • Mike Cesneau

    C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD intitulée 1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, ce dernier s'était déjà attaqué à la piraterie en signant Long John Silver une série de BD rendant hommage aux célèbres héros de l'île au trésor.

  • Yannick Lejeune

    Il est également l'auteur, entre autres, de célèbres bandes dessinées comme le Troisième Testament, le Château des animaux inspiré de George Orwell et a contribué à l'épique retour en librairie de Goldorak ainsi que des Brigades du Tigre au cinéma.

  • Mike Cesneau

    On le retrouve également aux manettes des séries West, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur les séries XIII et Thorgal. Enseignant le scénario à la Fémis et à l'école Émile Cohl, il participe à de nombreux projets pour la télé et le cinéma en tant que script doctor.

  • Yannick Lejeune

    En 2020, il est même recruté par le ministère des armées pour intégrer la Red Team. un groupe de 10 auteurs de science-fiction chargés d'imaginer les futures crises géopolitiques qui pourraient mettre en danger la nation.

  • Mike Cesneau

    Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.

  • Yannick Lejeune

    Alors, qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirate ?

  • Mike Cesneau

    En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?

  • Yannick Lejeune

    Comment ces récits explorent-ils les thèmes de domination de classes sociales ?

  • Mike Cesneau

    Quelles sont les forces de la BD et du format audio pour raconter ces grandes aventures humaines ?

  • Yannick Lejeune

    C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

  • Mike Cesneau

    Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de la Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires.

  • Yannick Lejeune

    Je suis Yannick Lejeune.

  • Mike Cesneau

    Et je suis Mike Cesneau.

  • Yannick Lejeune

    Générique Moussaillon !

  • Xavier Dorison

    Bonjour. Bonjour.

  • Yannick Lejeune

    Bonjour. Comme première question pour notre podcast, on a l'habitude de poser qu'est-ce qui fait une bonne histoire ?

  • Claire Richard

    Quand je pense à ce que je trouve être une bonne histoire, c'est un bon personnage. Un univers singulier et un personnage. Un personnage complexe, un personnage avec des tessitures. Et je pense, même si bien sûr il y a des questions dramaturgiques, il faut qu'il y ait quand même quelque chose qui se passe, il faut qu'il y ait quand même de l'action, il y a la question de la tension, etc. Mais pour moi ça tient vraiment à cette... odyssée qu'on va faire en suivant un personnage dans toute sa singularité, ses contradictions, ses complexités.

  • Xavier Dorison

    Pour moi, ce qui fait une bonne histoire, c'est juste que je ne suis pas la même personne entre le moment où j'ai commencé à la lire, on va la voir, et après avoir terminé. Et si je me place plutôt en donc scénariste, les critères, ils sont relativement à la fois simples et compliqués. Simple parce qu'ils se résument facilement. D'abord, moi, j'espère qu'un sujet, il y ait quelque chose d'ironique, c'est-à-dire quelque chose d'amusant, de surprenant, qui vienne titiller ma curiosité. Je suis très attentif au fait que le problème... qui va être posée dans l'histoire, amène le personnage principal à se transformer. En gros, chez DreamWorks, par exemple, ils disent Prenez un personnage et faites que ce soit la dernière personne au monde à pouvoir résoudre le problème qu'on va lui proposer. Donc ça, c'est toujours intéressant de voir comment cet écart est posé. Et puis le troisième point, qui est aussi simple à définir, mais compliqué à faire, c'est que, pour moi, une bonne histoire, c'est une histoire qui pose un débat moral, dans les deux possibilités, de victoire et de défaite, que va poser le sujet. Qu'on comprenne bien que la victoire correspond à une valeur morale, la défaite à une autre valeur morale, mais que ce n'est évidemment pas le bien ou le mal. C'est deux valeurs intéressantes, deux valeurs nécessaires, et pourtant il va falloir trancher.

  • Yannick Lejeune

    Claire, pour commencer, est-ce que tu peux nous pitcher la dernière nuit d'Anne Bonny ?

  • Claire Richard

    La dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de la pirate Anne Bonny, donc une pirate femme qui a existé, ça on le sait, au XVIIIe siècle. Et dans cette histoire, on la prend à la toute fin de sa vie, elle a 80 ans, c'est une mackerel qui a beaucoup de succès, elle a la Nouvelle Orléans, et elle croise la mort dans une des rues qui lui dit qu'elle n'a plus qu'une nuit à vivre et qu'il faudrait qu'elle mette en ordre ses affaires. Et mettre en ordre ses affaires, ça va signifier transmettre son bordel à la fille qu'elle préfère, qui s'appelle Apolline. et surtout rectifier l'histoire de sa vie. Elle estime que ça a été mal raconté. Et donc, la dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de comment une petite fille bâtarde en Irlande est devenue une pirate au XVIIIe siècle. Mais c'est aussi l'histoire, à travers tout un tas de jeux métafictionnels sur lesquels on pourra revenir, de comment cette histoire a été racontée.

  • Yannick Lejeune

    À la base, c'est un podcast. C'est devenu une bande dessinée. Comment ça s'est fait, ce plomb ?

  • Claire Richard

    Alors ça s'est fait d'une façon assez simple parce que je travaille avec une agente qui s'appelle Karine Lanini et que le podcast est un écosystème dans lequel la question des adaptations se pose assez souvent. Et donc, on a envoyé le script qui était très avancé aux éditions du Lombard, à l'éditrice Elisa Roux. Et après, je pense que plus profondément, en fait, il y a un lien assez organique entre l'écriture pour le podcast et l'écriture pour la BD parce qu'écrire une fiction... plein de façons d'écrire de la fiction en podcast. Mais en tout cas, la façon dont moi je le fais, c'est beaucoup découpé par scènes. Il y a des narrations qui sont assez fortes, il y a déjà des dialogues, il y a déjà des personnages. Et après, moi-même, si j'écris pour le son, souvent, j'ai quand même une imagination très visuelle. Et du coup, le passage à la BD, en fait, c'est fait comme ça, mais d'une façon qui était en fait assez naturelle, même si c'était ma première expérience.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, même exercice, est-ce que tu peux nous parler de 1629 ou l'effrayante histoire de Naufragé du Jakarta ?

  • Xavier Dorison

    D'abord, il faut savoir que c'est diptyque, puisqu'il s'agit de deux mondes dessinés et tirés d'une histoire vraie. Et cette histoire commence donc, comme le titre l'indique, en 1629, où le plus grand navire de la compagnie hollandaise des Indes orientales, le Jakarta, se retrouve chargé de la plus grosse cargaison d'or peut-être de l'histoire, puisqu'il s'agit quand même d'aller corrompre l'empereur de Java, donc la compagnie a mis les moyens. Et à bord de ce navire, qui est en réalité une poudrière, puisque son équipage est essentiellement constitué de criminels, de gens recrutés de force, ou de gens qui fuient la loi, on fait venir... Deux personnages qui vont au cœur de cette histoire. D'une part, une jeune femme qui s'appelle Lucretia Hans, qui est une femme de l'aristocratie des Provinces-Unis, comme on dit à l'époque. Et elle, son but, c'est juste d'obéir à son mari et de rejoindre Java pour l'accompagner dans le cadre de son activité à lui, qui est une plantation d'esclaves. Une plantation dans laquelle œuvrent des esclaves. Et on va suivre là un deuxième personnage, qui est le numéro 2 à bord, qui s'appelle Jéronymus Cornelius, qui est un apothicaire. C'est l'élite de la société à l'époque, ces gens-là. C'est un homme cultivé, intelligent, fin, qui fuit en fait la loi également. Et lui, il n'a qu'un seul objectif, qui n'est pas de faire que le bateau arrive à destination, mais de capter la cargaison, la voler, mettre en place une mutinerie et tuer le reste de l'équipage. Et la seule personne qui va en fait se dresser face à lui est cette jeune femme, Lucretia Hans, aidée par un marin qu'on découvrait qui s'appelle Vip Hayes. et ce sont les deux qui vont sentir venir le plan machiavélique de Géronimus. Ce sont eux qui vont lui tenir tête. Le premier opus raconte comment Géronimus met en place son plan, comment Lucretia, Vibhaze et quelques personnages vont les suivre et tentent d'y mettre fin. Le navire finira par échouer, ce qui est dans le titre, je ne spawne rien. Et le deuxième épisode raconte comment ces personnages vont arriver sur une île, être naufragés. Tous les naufragés croient qu'ils sont sauvés puisqu'on est allé chercher du secours et puisque, somme toute, celui qui les gère est l'homme maintenant qui est le chef. Un contesté, c'est Jéronimus, et on a donc 300 naufragés qui se trouvent sous les ordres d'un psychopathe qui a tenté une mutinerie dans l'épisode d'avant.

  • Mike Cesneau

    Comment t'es tombé sur cette histoire qui, tu disais, s'est inspirée de faits réels ? Qu'est-ce qui t'a inspiré et pourquoi ça t'a intéressé d'écrire dessus ?

  • Xavier Dorison

    Alors je suis tombé dessus par hasard, comme d'habitude. Dans un contexte assez amusant, j'étais à Cuba, et je me retrouve un jour dans une toute petite maison, comme on peut louer là-bas, enfin on va chez des habitants, au bord d'une plage, et par véritablement une nuit tempête, je suis sous l'énorme haut vent de... cette maison et là je découvre que des touristes qui sont passés avant moi ont laissé des livres. Je découvre un petit recueil d'histoires, tout petit, qui racontent ces histoires. Et donc là, en plein milieu de la nuit, avec les éclairs, la tempête, un cigare au miel, parce que c'est ce qu'on fait à Cuba, je découvre cette histoire et d'emblée elle me parle, d'abord parce qu'elle est pleine d'aventures, de voyages, de marines, c'est un univers, une arène que j'aime énormément, mais il y a plusieurs choses qui me fascinent dedans. La première... Bien sûr, la découverte de l'univers réel de ce qu'était la compagnie hollandaise des Indes orientales et la nature réelle de ses voyages. La deuxième chose, c'est de voir comment cette femme, totalement soumise à son époque, à son milieu, à son mari. Vous imaginez qu'elle part dans ce voyage le jour où elle vient de perdre son dernier enfant. Elle part au milieu des funérailles parce qu'elle a reçu la lettre qui lui dit part tout de suite Donc c'est vraiment une femme totalement soumise et qui, à travers un périple d'horreur, va curieusement trouver sa liberté et son indépendance. Donc ça, ça m'intéressait. Et puis le dernier point qui vraiment m'a frappé, c'est le renversement de la dictature, quelque part dans cette histoire. C'est-à-dire qu'on part d'une première partie où la dictature, où l'autoritarisme est assuré par les représentants des officiers et de l'avocat sur une grande partie du navire. Et donc vous avez peu d'hommes qui ont énormément de pouvoir sur beaucoup. En gros, une trentaine d'officiers, une quarantaine d'officiers ont le pouvoir, un pouvoir extrêmement violent, sur plus de 250 membres d'équipage qui sont dans les cales. Et tout se renverse. lorsqu'on arrive dans l'île, où ce sont une 25, plus 30, plus 50 mutins qui vont avoir tout pouvoir sur tous les gens qui sont restés sur cette île. Et c'est ce rapport à la soumission, à la violence, comment l'ensemble d'un groupe se soumet à une autorité pourtant minoritaire, qui m'a beaucoup intéressé aussi dans cette histoire.

  • Yannick Lejeune

    Claire, comment as-tu rencontré Anne Bonny, toi ?

  • Claire Richard

    Alors moi, j'ai lu l'histoire d'Anne Bonny dans l'histoire des femmes pirates, que j'ai lu un peu par hasard, parce que j'ai de nombreuses... curiosité en suivant un vortex. Et en fait, ce qui m'a intéressée au début, comme tout le monde, puisque c'est pas une figure inconnue pour le coup, Anne Bonny, des amateurs de piraterie, c'est effectivement ce côté très romanesque d'une femme au XVIIIe siècle qu'on retrouve sur un bateau de pirates lors des procès de piraterie qui s'y aident en 1725. Ma première question, quand même, c'était de me dire au XVIIIe siècle, à une époque où il n'y a pas de livres, il n'y a pas de romans, il n'y a évidemment pas de réseaux sociaux, pas de films, etc. Comment c'est possible qu'une petite fille née en Irlande se retrouve 20 ans plus tard, à l'autre bout du monde, sur un bateau de pirates ? cœur d'un monde absolument inconnu pour elle. Et donc moi j'avais cette première question qui m'intéressait qui était c'est quoi la suite, dans un contexte historique très défavorable aux femmes évidemment, c'est quoi la suite des événements de sa vie qui ont rendu ça possible ? Donc ça c'était une première curiosité. Et ensuite en me documentant, je me suis aperçue assez vite que beaucoup de choses sur Anne Bonny étaient répétées dans tout un tas d'histoires, mais que si on allait chercher les sources historiques, en fait il n'y en avait vraiment quasi pas. C'est-à-dire il y a deux documents, il y a un registre paroissial en Irlande. Et ensuite, en 1725, elle éregistre des procès de piraterie qu'on peut trouver sur Internet, merveille d'Internet. Et là, il y a juste une ligne. C'est l'équipage du pirate Rackham est condamné, deux femmes sont déguisées en hommes et on sursoit leur exécution. Et en fait, c'est tout. Et par contre, évidemment, il y a tout un tas de récits autour. Donc là, j'ai suivi, je suis remontée à la source de ces récits, pareil, ce n'était pas très compliqué à faire. Et c'est cette fameuse histoire générale des pirates, donc un best-seller du XVIIIe, qui constitue la source de la majorité de l'imaginaire de la piraterie. Et en lisant le chapitre consacré à Anne Bonny, une fois de plus... tout est en ligne, merveilleux, de Gallica, en fait, ça saute aux yeux que Johnson, il a vraiment inventé les trois quarts du chapitre. Puisque, sur, je sais pas, 15 pages, il passe 10 pages à raconter un vaudeville hyper complexe pour raconter sa naissance illégitime, avec un mari cocu, une femme cocu, une servante coquine, des amants, etc. Donc, en fait, il n'y a aucune configuration dans laquelle quelqu'un lui a raconté ça. Et en fait, c'est ce jeu de décalage qui a commencé à vraiment m'intéresser, parce qu'au début, je me disais, bah, fascinante figure, mais il y a mille récits, donc pourquoi... Pourquoi en faire un mille et unième ? Et en fait, c'est ce jeu de décalage entre ce que dit Johnson, bien évidemment, avec l'idée de faire monter les ventes. Il en crée et un imaginaire misogyne, puisque vraiment, c'est une traînée, et aussi un imaginaire un peu salace. Et c'est de jouer sur cet écart entre les sources et ce récit-là. Et après, en creusant cette question de l'écart, j'ai lu beaucoup de choses sur la piraterie, qui m'avaient déjà un peu intéressée à une autre période de ma vie. Et en fait, c'est pareil, là, je retrouvais cette question d'interprétation différente, de ligne de faille, avec des historiens qui considèrent les pirates comme des révolutionnaires, d'autres qui disent non, en fait, c'était des hommes pragmatiques. Et en fait, c'est le mélange de toutes ces contradictions et de cette question centrale qui est comment une petite fille devient une femme pirate et des filles, pour le dire avec des mots un peu banals, mais quand même les cadres de vie qui lui étaient promis, qui a fait le moteur d'écriture.

  • Yannick Lejeune

    Comment vous avez géré toute cette partie recherche ? Je sais, Xavier, toi, tu... Tu travailles beaucoup en amont sur ces parties-là. Je me souviens, quand tu faisais HSE, tu m'avais demandé de relire une partie du scénario sur l'informatique pour que ça soit juste. Là, comment tu as fait pour t'assurer que tu n'allais pas délirer trop loin et en même temps pour conserver une partie dramatique qui n'est probablement pas dans les livres d'histoire ? Comment tu as mené ta recherche ?

  • Xavier Dorison

    C'est l'aventure du Batavia, puisque le Batavia, c'est le nom de Jakarta, est relativement documenté. C'est une histoire qui est très connue aux Pays-Bas. Il y a même un musée. Il y a le musée de l'Elichnacht, qui est juste à côté d'Amsterdam, dans lequel on peut voir une réplique du navire. Il y a plein de documents. Un des survivants, qui était le sub-regard, c'est-à-dire le représentant officiel de la compagnie hollandaise, qui s'appelait Francisco Pelsart, a survécu. Parce que c'est lui qui est allé chercher des secours à Java. Et lui, il a eu un procès. Et donc, dans ce procès, il a tout consigné. Donc,

  • Yannick Lejeune

    il y a les minutes du procès.

  • Xavier Dorison

    Donc, on a les minutes du procès, on a les archives de la Vogue. Et puis, il y a beaucoup de livres d'histoire qui traitent du sujet. Après, moi, je ne suis pas historien. Donc, mon but, c'était d'être fidèle à un certain nombre de points historiques et en même temps, d'apporter, c'est ce qu'on demande à un scénariste adaptateur, c'est d'amener son regard. Donc, c'est de temps en temps changer des fonctions de personnages, de temps en temps ajouter peut-être des choses qui n'existent pas. Et vraiment, j'ai eu un gros travail à faire qui a été de couper. un certain nombre de scènes qui étaient, je pense, dramatiquement hyper intéressantes, mais qui étaient d'un niveau de violence et d'horreur que même à lire, était à la limite du supportable. Et je n'avais pas forcément envie d'aller là. L'histoire est déjà suffisamment romanesque pour que je n'ai pas besoin, à ce point-là, d'exacerber l'horreur.

  • Mike Cesneau

    Et comment tu places le curseur, justement, sur ces parties-là ? Où tu sais que c'est vrai, donc ça pourrait tout à fait servir ta dramaturgie. Comment tu sais à quel moment ça va trop loin pour l'équilibre de l'histoire ?

  • Xavier Dorison

    Alors, c'est... C'est vrai que c'est un exercice périlleux parce que, évidemment, en tant qu'individu, on n'est pas là pour faire mal aux gens, on n'est pas là pour les malmener, mais en tant que scénariste, on est là pour être un peu sadique, bien sûr. On est là pour être sadique avec nos personnages, surtout sadique un peu avec nos lecteurs, pour les faire vibrer. Et donc, il ne s'agit pas de se dire, oulala, c'est moche, on ne va pas en parler, vous êtes trop prudes, bien sûr. Et en même temps, moi, j'ai une sorte de signal d'alarme qui me dit à un moment, cette scène-là et l'horreur de cette scène ne correspondent pas au ton général de l'œuvre. Un exemple tout simple. Il y avait un pasteur qui a survécu, il avait cinq enfants. Une de ses filles était convoitée par un des mutins. Donc il a dû accepter sur l'île qu'elle se marie avec lui. Et Jérôme de Muscouine invite, pour fêter le mariage, à dîner dans sa tente, le père, la mère, la jeune mariée, le mari lui-même. Pendant qu'il les invite à dîner, il envoie le reste de ses hommes massacrer les quatre autres enfants du pasteur. C'était des enfants dont l'âge allait de 6 à 13 ans. Ils sont à table. Ils sont avec le criminel, Jérôme Némus qui a donné l'ordre de faire cette exécution. Ils entendent les hurlements des enfants. Et on est en train de leur servir l'entrée. Est-ce que vraiment j'ai envie de raconter ? Alors pour nos auditeurs, oui. Mais moi non, ça allait beaucoup trop loin. Et puis donc j'ai décidé de changer le sort de cette famille, même s'ils ne vont pas passer un bon moment. Par exemple dans l'histoire, il y a des moments de pur sadisme. Les mutins à un moment dans cette histoire s'ennuient. Bon, donc je dis, si on va torturer des gens, c'est drôle. Ça va nous occuper. Je n'ai pas eu envie de traiter ça. J'ai traité le fait qu'ils s'amusaient avec leurs prisonniers. donc le message y est, le sens y est et je ne vais pas jusqu'à trifouiller dans la plaie des salles des personnages comme des lecteurs Toi Claire,

  • Yannick Lejeune

    dans le podcast et dans la bande dessinée, il y a une scène de procès assez longue qui permet d'essayer de confronter la réalité et sa vision à elle mais il y a aussi des historiens qui sont incarnés, qui parlent ou qui sont dessinés et qui se disputent sur l'interprétation de l'histoire est-ce que tout ça c'est réel ? ou est-ce que c'est l'autrice qui fait part de ses propres débats internes ?

  • Claire Richard

    Alors ces historiens qui interviennent de temps en temps dans la narration pour la commenter, c'est deux personnages qui vont incarner deux positions d'analyse possibles par rapport à l'histoire d'Anne Boilly. Donc il y a une historienne qui va plutôt être féministe, plutôt axée en gros sur ce qu'on pourrait dire de façon un peu caricaturale, les femmes puissantes, faire revivre les figures oubliées de l'histoire quitte à en faire un peu trop. quitte à les glorifier de façon un peu exagérée, et un autre historien à l'ancienne, qui serait plus marxiste en gros, qui pense que la question c'est la classe, et qu'on en fait trop avec cette figure, et qu'il faut coller plutôt à la réalité historique. Et en fait, moi c'est deux positions qui existent, même si l'historienne est un poil caricaturale, parce qu'en vrai, les historiennes féminines sont plus subtiles que cette historienne, et je pense qu'à travers elle, j'avais un peu envie de régler mes comptes avec une certaine industrie de la figure de la femme puissante qui me fatigue un peu, parce que je la trouve... pas si intéressantes que ça au final. Mais par contre, ils vont s'affronter par exemple sur la vision de l'esclavage, ils vont s'affronter sur la probabilité qu'Anne Bonny ait pu par exemple tirer à bord. Donc l'historien dit mais c'est impossible, de toute façon il y avait très peu de femmes à bord, et puis en plus quand il y en avait, vraiment elle reprisait les voiles. Et l'autre dit oui souvent, mais en fait ça ne veut pas dire que c'était pas possible. Et en fait, quelque part, les deux ont raison et c'est pas tranché, et c'est ça qui m'intéressait, c'est vraiment de faire vivre cette contradiction. Mais du coup les deux viennent de tout un tas de lectures, d'analyses historiques, parce que j'aime bien ça, Et quand même, effectivement, d'ailleurs, c'est l'historien Grognon, qui est en fait celui dont je me sens le plus proche, en vrai. Mais lui, il vient vraiment d'un article que j'ai lu, d'un historien de Floride, un historien local, et qui lui, vraiment, à un moment de l'histoire d'Anne Bonny, donc elle a rencontré un marin, etc. Et ils partent, ils s'enfuient vers l'île de Providence, qui est la république des pirates, l'île où sont tous les pirates. Et dans l'histoire de Johnson, là, elle se met à coucher avec tout un tas de gens et elle rencontre Jack Rackham. Cette historienne locale disait N'importe quoi, de toute façon, très probablement, elle s'est prostituée. Enfin, c'était l'activité principale pour les femmes. Et cette figure le gonflait. Et en fait, c'est là où j'ai imaginé le personnage de Tout s'est mis en route Mais ce qui m'intéresse, c'est moins de dire Elle, c'était ça ou C'était ça plutôt que de faire vivre cette contradiction autour de la légende, de la figure de la légende.

  • Mike Cesneau

    D'ailleurs, c'est intéressant parce que dans le podcast, quand les deux historiens vont chacun donner leur point de vue... Des fois, il y a Anne Bonny elle-même qui prend la parole et du coup, elle se situe dans un entre-deux. Et ça donne après au récit fictionnel un peu plus d'authenticité parce qu'on a l'impression que c'est la vraie personne qui parle. Et ça rend la narration encore plus palpitante.

  • Claire Richard

    C'était un peu toute la difficulté. C'était à la fois d'avoir cette dimension méta qui, moi, déjà m'amusait, qui constituait un vrai ressort d'écriture parce que... aussi pour plein de raisons, de contrastes, de changements de plans, de rythmes, ça amenait énormément de choses. Et puis aussi, ça permettait de justifier l'idée de faire la énième histoire d'Anne Bonny. Et en même temps, j'aime bien les réflexions métables et je déteste qu'en fait, quand une fiction lève le rideau et dit Eh non, tout ceci n'était qu'une illusion ! Vraiment, je déteste qu'on m'enlève ce plaisir de lecture, de spectatrice, d'auditrice. Et donc toute la question, c'était de comment faire pour avoir ces décrochages et en même temps, ne quitter pas l'espace de la fiction. Et en fait, au final, de dire Finalement, c'est la fiction qui triomphe dans tout ça, malgré ces décrochages-là. Et donc, le fait qu'Anne Bonny puisse leur répondre, c'était à la fois, je parle d'un truc qui vient dans l'écriture aussi, où le personnage qui est assez drôle, qui répond beaucoup, ça venait assez naturellement, mais c'était aussi une façon comme ça de reprendre, comme on reprendrait comme ça dans un pli ou une couverture, tous ces décrochages dans le grand espace de la fiction, et dire en fait, c'est elle qui a raison.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, dans tes nombreux succès, tu as Long John Silver, une série de bande dessinée inspirée du personnage de Stevenson. Le personnage que tu en as fait est un personnage... droit, très réaliste, un peu meneur. C'est pas du tout un personnage parodique. Alors j'ai deux questions. La première question, c'est qu'est-ce qui fait que toute cette histoire d'aventure maritime, de la fin du XVIIe, du début du XVIIIe, est une bonne arène pour raconter des histoires ? Et la deuxième, c'est pourquoi est-ce que t'aimes pas du tout, ça rejoint un peu ce que vient de dire Claire, le côté parodique, par exemple, d'un pirate des Caraïbes, dont je sais que c'est pas trop t'accable en termes d'histoire de pirate ?

  • Xavier Dorison

    Premier préambule quand même, ma réponse, c'est que là on met en parallèle 1629 et London Silver, et certes, Dans les deux histoires, il y a des bateaux. Certes, dans les deux histoires, il y a des sabres, mais ça n'a vraiment rien à voir. L'Ungeon Silver est complètement du côté de l'histoire mythologique. En fait, c'est une mythologie. Tout ce qui est raconté là n'a rien à voir avec la réalité. J'entends réalité historique, pas forcément réalité humaine. C'est un autre sujet. Alors que 1629, bien sûr, est très ancré dans la réalité. L'Ungeon Silver est une histoire de pirates. 1629, c'est une histoire d'abord de mutinerie et ensuite de naufragés. C'est trois genres, mutinerie, naufrage, pirates, qui n'ont rien à voir. dans leurs raisons, dans ce qui les soutient. Ensuite, ce qui est de l'arène, moi, je ne sais pas pourquoi, j'ai une fascination pour les histoires qui se passent en mer et pour la mer. C'est marrant parce que j'ai le mal de mer. Heureusement, il y a la scopolamine. Ça me permet de faire des trajets en bateau.

  • Yannick Lejeune

    Regarde l'horizon.

  • Xavier Dorison

    Avec un bon patch de scopolamines, on ne tient pas trop mal. J'adore. D'ailleurs, j'adore la mer, mais quand on n'est pas trop loin des côtes. C'est-à-dire, la pleine mer ne m'intéresse pas tellement. par contre être à côté de la mer on est dans cette sorte de position d'observateur et pas dans la position où on est perdu je sais pas je me sens bien là la mer me fait un effet en tant que scénariste je suis désolé si la réponse est pas très rationnelle mais moi quand je suis au bord de la mer quand je suis sur une plage, quand je vois de l'eau je sais pas pourquoi ça me donne des idées, ça me donne envie d'y être ça me donne je sais pas un sentiment de liberté un sentiment d'évasion, une possibilité d'être en marge, d'être à côté, d'être en observateur ce qui je crois me correspond assez bien à cette position là et donc j'ai beaucoup d'histoires qui tournent autour de la mer avec des sous-marins, avec des bateaux. Et donc, naturellement, la piraterie, par exemple, typiquement telle que celle de Lone John Silver, m'offre un univers d'évasion. Et je l'ai d'ailleurs écrite au moment où je sortais de l'écriture d'un long métrage qui était celui des Brigades d'Uti que j'avais écrit avec Fabien Nury, où on en avait bavé avec toutes les contraintes de fabrication et tout ce que ça peut représenter de faire un film. Et vraiment, j'avais besoin de souffler, de m'amuser, j'avais besoin de grands espaces, etc. Et vraiment, de ce point de vue-là, la piraterie correspond parfaitement parce que... Au cœur de la piraterie, il y a cette idée, cette utopie en fait, d'un groupe d'hommes ou de femmes qui décident de se faire leur propre loi, leur propre univers sur leur bateau. Moi, j'appelle ça aussi le syndrome Nautilus. C'est-à-dire, on a notre sous-marin, on a notre lieu, et ici, on va se refaire notre cité, on va se refaire notre vie. Et comme on bouge tout le temps, on est loin du nôtre. Moi, cet univers me parle et je pense continuer à fasciner un certain nombre.

  • Yannick Lejeune

    Ce que vient de dire Xavier, c'est ce qu'on retrouve dans le destin d'Anne Bonny, finalement, c'est cette fille illégitime. dont on a tracé un peu un destin de mariage forcé qui d'un seul coup achète sa liberté en devenant pirate. Femme de pirate d'abord, puis pirate elle-même. C'est ce qui t'intéressait là-dedans ?

  • Claire Richard

    Ouais, effectivement, il y avait à la fois comme ce que tu évoquais, en fait, un désir de faire quelque chose de très joyeux, parce que j'avais avant bossé sur le porno, des questions très féministes. Et donc là, j'avais envie de faire un truc où je m'amusais, donc quelque chose d'ancré immédiatement dans un genre. Et la piraterie, en fait, ça évoque tout de suite des codes, des images, des moments. Donc j'avais vraiment envie de m'amuser là-dedans. Et après, moi, ce qui m'a le plus touchée, c'est la question de libération, en fait. de façon générale, à la fois comme ces utopies, comme tu le disais très bien, ces idées de faire des contre-sociétés à bord de tout petits espaces c'est les bateaux sur la mer d'ailleurs dans un temps dont les pirates eux-mêmes savent qu'il est limité, ils savent que de toute façon ça va mal finir, c'est quand même toujours le cas, et après quand même cette question de la libération d'un personnage,

  • Yannick Lejeune

    moi c'est quand même les histoires que j'aime le plus écrire et de personnages féminins Je reviens à ma question sur les pirates des Caraïbes je crois que t'aimes pas trop la partie parodique de toutes ces...

  • Xavier Dorison

    J'aime pas trop d'abord si elle plaît à certains et certains ils l'en feront libre à eux. Mais moi elle me plaît pas trop parce que d'abord c'est peut-être aussi ce que disait Claire tout à l'heure c'est que moi j'aime pas quand on me raconte une histoire et qu'on me fait un clin d'oeil en permanence pour me dire, au fait, vous y croyez pas moi non plus. Déjà ça, ça m'exaspère. Ensuite, Pirates des Caraïbes au départ c'était une attraction. Mais c'est resté une attraction. C'est jamais rien d'autre. C'est-à-dire que ce sont des stimuli fantastiques, beaucoup de fantastiques ou des stimuli de scène. qui sont là pour faire que le spectateur reste accroché. Mais dans le fond, c'est d'une vacuité totale. C'est souvent... Enfin, moi, je m'ennuie à mourir, en fait, pour dire les choses, simplement, quand je vois ça. Mais c'est marrant parce que c'est un film qui est très représentatif d'une évolution plus générale du film de divertissement qui a été, dans les années... Début des années 80, un genre de film... Enfin, 70, début 80, en tout cas, c'est un genre de film où on faisait de l'aventure pour l'aventure, mais où on essayait, en tout cas, de mettre une structure, on essayait de mettre un sens. une évolution de personnages, etc. Et où on est passé à littéralement une industrie cinématographique qui est en fait devenue elle-même un parc de loisirs. Donc on fait des rides. Et si on compare de ce point de vue-là, ça peut être les premières histoires de pirates et pirates des Caraïbes, mais on pourrait le faire par exemple avec Star Wars, ce serait intéressant. On comparerait l'Empire contre-attaque et épisode 3. Vous avez le même cheminement où on passe du conte de divertissement mais intelligent à une grande pub pour les jeux vidéo et les jouets qui sortiront derrière sans cohérence ni profondeur. Donc effectivement, tout ça me déçoit un peu, mais ça n'empêche pas de marcher.

  • Mike Cesneau

    C'est quoi dans les histoires de pirates ou de bateaux ou d'univers maritimes d'époque et tout qui te plaisent le plus ?

  • Xavier Dorison

    C'est une question difficile, je vais y répondre, mais je précise que c'est une question difficile parce que le genre pirate en cinéma est un genre où finalement il y a peu de chefs-d'oeuvre. Moi, j'adore évidemment la première version de Lilo Trezor, je trouve magnifique, puisqu'en fait, elle reprend en plus, par ses plans, ses cadrages, les peintures de Nancy Wyatt. J'ai une petite tendresse, quand même, pour le pirate de Polanski, mais grosso modo, je ne vais pas acheter le corsaire rouge, je ne vais pas acheter Barbe Noire, tout ça, on ne me parle pas. Et moi, je retrouve par exemple de la piraterie, vous allez me dire mais c'est loin, et pourtant non, dans African Queen, par exemple. Parce que dans African Queen, Humphrey Bogart et Catherine Hepburn ne sont évidemment pas des pirates, mais leur voyage, leur itinéraire, en marge de la société, en marge de la religion, dont elle vient en marge de la guerre est en fait pour moi un type de voyage pirate. Et toutes les histoires qui racontent les tentatives pour des gens de créer leurs univers sont plutôt celles que je suis allé regarder.

  • Mike Cesneau

    Et dans les histoires de naufragés, est-ce qu'il y en a certaines qui t'ont aussi inspiré ?

  • Yannick Lejeune

    Le lagon bleu.

  • Mike Cesneau

    Sans filtre ? Peut-être, je pense à ça.

  • Xavier Dorison

    Non, je n'ai pas revu le lagon bleu. Bien sûr que j'ai regardé The Island. Non, il n'y a pas tant. J'avais pas... Par exemple, j'ai beaucoup regardé, évidemment, pour la première partie des versions du Bounty. Alors là, il y en a plusieurs. Celle de Milestone, bien sûr. Celle avec Marlon Brando. Et curieusement, j'aime beaucoup aussi celle avec Mel Gibson, qui a vraiment un charme, notamment par la musique. Mais la deuxième partie, j'avais assez peu d'ouvrages de référence. C'est curieux, il y a des histoires où j'ai une énorme filmographie qui m'aide à construire. Et là, je suis plutôt parti avec de l'histoire. Et je dois dire, là, c'est des livres de psychologie.

  • Yannick Lejeune

    Pour la dimension du huis clos social. Oui,

  • Xavier Dorison

    par exemple, j'ai revu... Alors, le livre s'appelle The Lucifer Effect, du professeur Zimbardo, et le film s'appelle... C'est Experiment... C'est Stanford Experiment. Milgram ? Non,

  • Yannick Lejeune

    c'est pas Milgram. Non, mais c'est... C'est pas loin, parce que... Ils ont bossé ensemble.

  • Claire Richard

    Ah oui, d'accord, ok.

  • Xavier Dorison

    L'expérience qui a été faite aux Etats-Unis, elle est très simple. Ils prennent un groupe, un grand groupe d'étudiants, diplômés, qui sont volontaires pour faire une expérience en sociologie. Ils coupent ce groupe en deux. à peu près en deux. Ils font des surveillants. Et des prisonniers. Et des prisonniers, absolument. Et ils sont prévenus qu'il y aura une expérience. Et un jour, la police, en service d'ailleurs, va arrêter les prisonniers, les soi-disant prisonniers, et les fait descendre, les ubander dans un couloir. de la faculté qui a été transformée, ils ont transformé la couleur en prison et tout est filmé. Ça devait durer 15 jours. Et le seul ordre qui est donné aux gardiens... c'est justement de maintenir l'ordre. On leur dit pas quand, comment, avec quels moyens et quelles limites. Ils ont arrêté l'expérience au bout de trois jours. D'une part, parce que quasiment la totalité des gardiens devenaient sadiques, et d'autre part, parce que la totalité, avec une exception notable, des prisonniers devenaient totalement soumis.

  • Yannick Lejeune

    Et aussi parce que l'équipe de chercheurs, et notamment celui dont tu as cité Zimbardo, a perdu son regard critique, tellement ils étaient fascinés par ce qui se passait. Ils ont perdu toute capacité scientifique à se détacher. ou à intervenir. Et du coup, ça a mal tourné.

  • Xavier Dorison

    Voilà. Donc, curieusement, je suis allé chercher ma documentation plutôt du côté de la sociologie et de la psycho. Il y a pas mal de documents qui parlent de ça. C'est revenu au devant de la scène, il y a eu des procès où des gens ont dit Mais moi, j'étais dans un système, notamment au moment de l'affaire de la prison d'Abou Graïb.

  • Yannick Lejeune

    Claire, tu as traduit des ouvrages qui parlent un peu de ce genre d'expérience ?

  • Claire Richard

    Oui, j'ai traduit. C'était il y a vraiment longtemps. C'était il y a 15 ans, je pense. Mais c'était sur l'expérience de 1000 grammes. Effectivement, c'était l'obéissance et la désobéissance à l'autorité, quelque chose comme ça, ouais. Et c'est assez similaire, en fait. C'est la question des, je crois...

  • Yannick Lejeune

    De l'électricité.

  • Claire Richard

    Ouais, voilà, des décharges croissantes que tu vas infliger.

  • Yannick Lejeune

    Ça donne un ordre jusqu'à quel point tu es prête à l'économie.

  • Claire Richard

    À quel point c'est modifié en fonction de si quelqu'un regarde ou pas, si tu es seule ou pas. Tu te sens plus ou moins responsable moralement, si tu es seule ou pas.

  • Yannick Lejeune

    Ça me fait une très bonne transition pour la question d'après. Vous avez tous les deux parlé de libération dans le chemin du... pirate, quelqu'un qui s'émancipe. Lucrèce, dont on a mentionné, va sortir un petit peu de sa condition pour se battre contre le tortionnaire. Toi, Anne, elle va sortir, mais au démarrage, j'ai l'impression que il y a un sujet de fond dans beaucoup de vos œuvres, chez Xavier, par exemple, dans Le Château des Animaux, c'est la soumission. C'est comment des classes s'affrontent dans un rapport de dominants-dominés. Dans le bateau, il y a les très pauvres et puis on va dire les soldats qui sont un peu plus riches. Est-ce que c'est un sujet qui vous intéresse particulièrement et que vous sentez revenir dans vos œuvres ? Ou est-ce que c'est le contexte qui fait ça ?

  • Claire Richard

    Je ne sais pas si c'est la soumission, mais j'ai l'impression que la question de la libération et de l'émancipation, elle se déroule dans un contexte, contexte dans lequel il y a des structures sociales, donc des relations de domination, des relations de classe. Et j'ai l'impression que c'est plutôt ça. Et après, ça va jouer à deux endroits. Soit... la question d'organisation politique, la question de comment on en arrive à résister, qu'est-ce que c'est une organisation collective de résistance, parce que dans un tout autre champ de mon travail, en plus en documentaire, en journalisme, j'ai fait beaucoup de choses autour de groupes politiques, d'organisations politiques, de comment ils s'organisent, donc ça c'est quelque chose qui m'intéresse, et c'est toujours dans un contexte de conflits, enfin de conflits de classes, de conflits de domination économique, de genre, de race, etc. Et après, un autre versant, et c'est peut-être à ça aussi que fait référence le mot soumission, mais c'est la façon dont ces structures de pouvoir dans lesquelles... les personnages sont imbriqués, nous sommes imbriqués, elles vont se traduire dans les subjectivités en fait, et donc dans les comportements, dans les relations interpersonnelles, dans même nos relations à nous-mêmes. Ces contradictions en fait, c'est à la fois le double mouvement de qu'est-ce qui libère, par quelle forme les gens se libèrent, soit individuellement, mais c'est rarement purement individuel, donc en lien avec qui et comment, très pratiquement comment en fait, comment ça se passe. C'est toujours un mélange de chance et de préparation quoi. Ça, je trouve ça un peu fascinant. C'est infiniment fascinant, quand même, comment les résistances fonctionnent et comment elles échouent. Et après, à un niveau personnel, dans quelle contradiction ça place et les personnages et nous. Et par exemple, Anne Bonny, donc ce personnage d'Anne Bonny qui est dans la BD, le fait qu'elle soit mackerel, au début, c'est venu un peu comme ça, un peu facilement, presque parce que j'aimais bien la Nouvelle Orléans et donc on imagine des bordels, une atmosphère un peu capiteuse et tout.

  • Yannick Lejeune

    Est-ce que c'est en lien avec le début des chemins du désir ?

  • Claire Richard

    Alors non, enfin pas consciemment. Après, peut-être.

  • Yannick Lejeune

    Allongez-vous sur ce qu'elle fait, parlons-en.

  • Claire Richard

    Le sexe. Non mais par contre, en fait, ce qui était important pour moi, c'est que, précisément, elle, elle se libère, mais l'instrument de sa libération finale, après la piraterie, qui la rend riche, qui la rend installée, c'est le fait d'exploiter d'autres femmes. Et ça, ça venait à la fois d'une réflexion sur la libération dans ce contexte, je me disais, en fait, au XVIIIe siècle, je ne pense pas qu'une sororité soit possible. En fait, elle est comme la marquise de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses, c'est-à-dire, elle a une trajectoire... flamboyante au sens de libération, mais en écrasant les gens autour. Parce que ça n'est pas trop possible autrement pour une femme à ce moment-là.

  • Mike Cesneau

    C'est plus qu'un manque de sororité. Elle le dit ouvertement qu'elle n'aime pas les femmes.

  • Claire Richard

    Mais parce que je me disais, c'est dans le contexte, en fait, la sororité, ça existe dans certains lieux très précis, très limités. Et donc, ça me semblait, pour le coup, un vrai anachronisme de penser ça. Donc, effectivement, après, je lui fais dire, moi, j'aime pas les femmes. Mais je trouvais ça intéressant.

  • Mike Cesneau

    Parce qu'elle a du mépris envers les gens qui ne veulent pas se libérer.

  • Claire Richard

    Voilà. Elle a une idéologie de la force. Elle a toute une mythologie de la force, quelque chose, alors je ne la pensais pas du tout dans ces termes, mais c'est un peu Nietzschean. C'est en gros, moi j'ai réussi à m'élever et c'est parce que je vaux plus, je suis meilleure. Et donc j'ai le droit d'exploiter toutes ces filles qui travaillent pour moi parce qu'elles sont faibles. Et ce qui m'intéresse, sans révéler la fin, mais ce qui m'intéressait, c'était cette tension. Donc ça n'est pas une pure figure glorieuse d'émancipation, elle le fait aux dépens d'autres gens. Et donc là, c'est là où on retrouve ces tensions autour du pouvoir et de la domination.

  • Xavier Dorison

    Moi je crois que ce qui est tragique, c'est pas tant ce qu'on va faire à un personnage ou ce qu'on nous fait, mais c'est ce que les personnages n'arrivent pas à faire pour eux-mêmes, ou ce que nous n'arrivons pas à faire pour eux-mêmes. Et donc, en termes de soumission, ce qui m'intéresse, c'est pas tant la soumission presque dans un sens marxiste, c'est-à-dire comment les groupes sociaux... où des systèmes vont soumettre les gens, mais plus comment des personnages vont arriver à se libérer de la soumission qu'ils ont en eux-mêmes. Et bien entendu, les soumissions que l'on a en nous-mêmes, nos propres limites, nos propres restrictions, elles sont renforcées, soutenues, encouragées par des systèmes, ce qui nous amène évidemment à écrire des histoires dans des arènes bien particulières. Mais ce sur quoi je vais essayer de mettre l'accent, c'est quelle est la soumission intérieure de mon personnage. Par exemple, dans 1629, la soumission intérieure de Lucégratia Hans, c'est de croire profondément qu'une femme est là pour se soumettre aux ordres, et c'est comme ça qu'elle s'en sortira. Et sinon, elle sera dans le beau drap. Et elle va découvrir que si elle ne fait rien, évidemment, ça va être pire encore. Et de la même façon, j'ai envie de dire, dans Le Château des Animaux, Miss B, qui est donc l'héroïne, est une mère de famille qui a évidemment comme objectif de protéger ses enfants et elle-même. Et donc, la première chose, c'est de se dire, je vais baisser les yeux, ne pas m'occuper de politique. Moyennant quoi... tout se déroulera bien. Et le schéma se reproduit dans les deux cas, c'est toujours la même chose, quand vous ne faites pas de politique, la politique vient à vous, comme les gardères. Et dans les deux cas, la mort se rapproche et la mort auprès des gens auxquels ils tiennent. Et donc ces gens-là vont devoir changer en interne, d'abord se dire que oui, ils peuvent changer les choses. Mais moi je crois profondément que rien ne bouge tant que ça ne vient pas de l'intérieur. Et donc, c'est forcément ça que, en tant que scénario, je vais aller regarder en premier.

  • Yannick Lejeune

    Quand on s'est rencontrés il y a fort longtemps, tu réfléchissais à ce qu'il y a se passer s'il y avait une troisième guerre mondiale. Je crois que tu bossais avec les préfets, des choses sur comment ça allait se bloquer et tout. Et après, t'as rejoint la red team du ministère des armées pour imaginer des scénarios futuristes de défense, j'imagine. Est-ce que t'as le droit de nous en parler ou est-ce que t'es obligé de tous nous buter à la sortie si tu nous racontes ?

  • Xavier Dorison

    Tu sais, les deux gars qui sont en train de réparer en barrique, en fait, c'est pas des réparateurs. Non, plus sérieusement, euh... effectivement j'avais commencé à travailler il y a quelques années avec un réalisateur qui s'appelle Jérôme Lemaire sur une série pour Fédération qui fait notamment le bureau des légendes qui s'appelait Insurrection et qui racontait comment une guerre civile, pour être précis se déclarait en France et amenait la France à être dans une situation on va dire proche de... enfin Paris devenait Beyrouth ou Sarajevo, Ausha bon ça s'est arrêté pour une raison assez simple c'est qu'on était en train de l'écrire et en plein milieu de l'écriture il y a eu les Gilets jaunes, donc on s'est dit bon on va croire 1 qu'on profite et puis 2 on était presque en train de faire une prophétie autoréalisatrice. Donc, on a tout arrêté à ce moment-là. Ce que j'ai fait pour l'armée n'a rien à voir. En fait, l'armée a lancé un programme qui copie en quelque sorte des programmes du DARPA aux États-Unis, qui vise à prendre des auteurs, les former, et à les faire imaginer des situations conflictuelles à moyen ou long terme, 10 ans, 20 ans, 30 ans. Il y a eu deux équipes, en gros, qui ont été sélectionnées. J'ai fait partie d'une des deux équipes. Moi, je faisais partie d'une équipe qui était la plus confidentielle. Donc, je peux parler du procès, je ne peux pas parler de ce qu'on a écrit. Il y a une partie de notre travail de départ, qui est une sorte de travail promotionnel un peu, a été publiée. Donc là, voilà. Et on avait vraiment un premier sujet, c'est marrant, je ne sais pas même pour en parler, qui était la piraterie à horizon 20 ans. Et donc, avec deux auteurs, qui étaient Déo A, qui est auteur de roman, et Xavier Moméjean, qui est aussi d'ailleurs auteur de roman, on a travaillé sur une perspective de piraterie développée en Méditerranée avec le développement de zones de non-droit, dans plusieurs zones du Malraie.

  • Yannick Lejeune

    Et après, tu ne peux plus parler sinon. Non, le réel,

  • Xavier Dorison

    je pourrais le développer parce que cette histoire a été publiée avec d'autres histoires de l'autre équipe de la Red Team aux éditions des Équateurs. Mais les autres sujets que j'ai développés, non. Je ne peux pas en parler.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'il y avait des bonnes idées de scénarios pour faire des films et des séries ?

  • Xavier Dorison

    Je peux te dire que, par exemple, s'il y a une idée qu'on avait qui a donné lieu à un roman qui est sorti il y a... Je ne pourrais pas dire à quelqu'un, mais qui a donné lieu à un roman qui a eu beaucoup de succès l'année dernière. ça n'a rien à voir ça n'a pas été copié ni rien mais comme quoi on n'était pas totalement à côté de la plaque puis il y en a qui arrivent comment ça arrive on pensait que c'était dans 10 ans et en fait c'est en train d'arriver maintenant donc on est assez surpris puisque tu parlais de séries télé t'as écrit pour le cinéma donc on a parlé des Brigades du Tigre tout à l'heure de Jérôme Cornu avec Fabien Nury au scénario avec toi ensuite

  • Yannick Lejeune

    t'as fait un téléfilm qui s'appelle Pour toi j'ai tué je crois que t'as aussi t'es pas mal scrive docteur t'es prof à la FEMIS est-ce que le cinéma c'est un médium qui t'intéresse particulièrement ou est-ce que tu t'es dit comme tu l'as dit tout à l'heure, trop de contraintes, trop de producteurs, trop de gens autour de la table, finalement la BD, c'est ce que je préfère, quel est ton rapport à ça ?

  • Xavier Dorison

    J'adore le cinéma, c'est-à-dire j'adore voir des films. Je suis un passionné, évidemment, complet de cinéma. Mais bon, la réponse est un peu dans ta question. C'est-à-dire que le milieu du cinéma, pas tant les gens, mais le système qui fait qu'un film va pouvoir se faire, est extrêmement compliqué, extrêmement dur, très politique. C'est normal, dès qu'il y a beaucoup de gens, il y a de la politique. C'est naturel, le mot n'est pas péjoratif dans ce sens-là. Et c'est vrai que, comme j'adore énormément la bande dessinée aussi, et que la bande dessinée... nous donne une marge de manœuvre absolument extraordinaire. C'est-à-dire, il faut quand même réaliser, on n'a pas de problème de budget, on raconte ce qu'on veut, à l'époque qu'on veut, on n'a pas de limite de sujet. J'ai raconté tout à l'heure des limites sur la violence, mais c'est moi qui ai décidé, j'aurais pu décider que j'allais le raconter et mon éditeur, je pense, m'aurait suivi. On est très peu de gens à intervenir. Quand on fait un album comme 1629, au départ, il y a Timothée Montaigne qui dessine, bon, Clara Tessier qui va faire la couleur. Mon éditeur, Philippe Aurier, avec qui je discute énormément. Et puis ensuite, bien sûr, on a des rapports avec le marketing. Mais globalement, en résumé, on est quatre. Un film, c'est une centaine de personnes, voire plus que ça. Donc les décisions sont rapides. Et surtout, ce qui est extraordinaire, c'est que d'abord, je suis sûr que ça va se faire. Moi, j'ai écrit plusieurs scénarios de films pour lesquels j'ai été bien payé, très bien. Mais ils vont rester dans un carton et je ne pourrai jamais les raconter à personne. C'est hyper frustrant. J'ai envie d'écrire, mais pour que les gens me lisent. Et puisque j'adore aussi, et ce qui fait d'ailleurs que les scénaristes de bandes dessinées sont en général très mal élevés. C'est qu'en bande dessinée, on a la possibilité d'être main dans la main, non seulement avec le dessinateur, mais aussi avec l'éditeur, pour être présent. Ça ne veut pas dire décider, ça ne veut pas dire être pine ailleurs, mais c'est-à-dire amener une vision de la première idée jusqu'au libraire qui soit continue.

  • Mike Cesneau

    C'est plus showrunner que juste scénariste qui lui fournit son texte.

  • Xavier Dorison

    Exactement. Il n'y a pas d'obligation. Il y a des scénaristes de bande dessinée qui vivent ça d'une autre façon et qui remettent un script et disparaissent. C'est tout à fait légitime, ils ont le droit de le faire. Moi, je vis ça plutôt comme un showrunner. Je vais rencontrer les libraires, les gens du marketing, tout le monde. Et puis bien sûr, chacun décide de son métier. Il ne s'agit pas de prendre le pouvoir sur les autres. Mais j'aime bien cette idée d'une aventure collective que je peux suivre de A à Z. Je n'aurais jamais ça en cinéma. Donc je continue à écrire des films de temps en temps. Je continue à aider des gens à faire des films, ce qui est un plaisir énorme. Mais c'est vrai que je suis très heureux de faire la bande dessinée.

  • Yannick Lejeune

    À propos de Showrunner, il y a ta série Les Sentinelles, qui est une relecture de la Première Guerre mondiale en steampunk. qui va être adapté sur Canal+, ça sort dans pas trop longtemps. Oui,

  • Xavier Dorison

    ça sort.

  • Yannick Lejeune

    Quel est ton lien avec la production ? Est-ce que tu as participé à l'écriture ? Est-ce que tu as dit, prenez mes droits, ne m'en parlez plus, je regarderai ? Est-ce que tu as vu ?

  • Xavier Dorison

    Réponse 2. Réponse 2, c'est-à-dire, moi j'ai cédé mes droits, à l'époque j'avais énormément de travail, et donc j'ai dit à Guillaume Léman, écoute, je te fais confiance, fonce. Et ce qu'il a fait avec son équipe, et c'est vrai que pour eux c'était un chantier énorme, t'imagines faire une série de super-héros qui va donc être la... D'époque. D'époque, il va être la série la plus chère que Canal ait jamais produit. Bon, challenge énorme, des problèmes de fabrication. Ils en ont eu des tonnes. Il faut bien comprendre que quand on fait de la bande dessinée, on a essentiellement des problèmes de création. Quand vous faites de l'audiovisuel, vous avez des problèmes de création et de fabrication. Ça n'a rien à voir. Et eux, des problèmes de fabrication, ils en ont eu en voiture, voilà. Donc, ils ont eu le champ libre. Et puis sinon, vous verrez ça bientôt sur Canal, la saison 3 de Paris Police. Moi, j'ai travaillé sur la saison 2 avec Fabien Nury. C'est sa série. moi je l'ai accompagné simplement et puis je l'ai aussi un peu accompagné sur la saison 3 il a fait un travail extraordinaire et donc moi je serais content aussi de voir ça l'année prochaine aussi sur Canal.

  • Yannick Lejeune

    Claire toi aussi t'as fait des expériences multimédia les chemins du désir, le podcast se termine par une réflexion sur le roman comment ça se construit, le dernier épisode ça parle de toi en interview sur le roman comment ça se construit au démarrage est-ce qu'il y a l'idée des deux dès le départ qui amène l'autre ?

  • Claire Richard

    Non dans ce cas c'est on a commencé par le son, mais juste en fait c'est vrai que tout ce que tu dis sur la liberté de la BD, en fait ça s'applique mot pour mot à la radio je me dis la même chose, c'est-à-dire que pour avoir fait des toutes petites expériences en série et effectivement avoir vu le ratio de projets qui se font en fait ce que tu dis, l'idée de développer une histoire de penser à un personnage, de vivre avec lui pour rien, ça me semble complètement lunaire et effectivement la radio ça coûte de l'argent je sais plus quel était le budget d'Anne Bonny mais c'est le plus gros budget pour Arte Radio. Donc, en fait, c'est rien par rapport à la télé ou le cinéma.

  • Yannick Lejeune

    Et tu as conscience quand même qu'en termes de qualité de production de podcast, c'est très au-dessus de la moyenne.

  • Claire Richard

    Oui, bien sûr. Mais on l'a écouté.

  • Yannick Lejeune

    On est en retard.

  • Claire Richard

    Moi, j'ai l'impression que c'est un lieu qui fait de la radio depuis 15 ans. On a une tradition de création sonore qui n'est pas forcément connue parce que l'écosystème du podcast, il y a plein de... En fait, ça recouvre plein de formes très différentes. Et Arte Radio, c'est un endroit qui a une expérience en création radiophonique, donc en réalisation, en bruitage. Alors, on est aussi allé chercher des bruiteurs de cinéma, mais en même temps, ça s'est déjà fait sur d'autres fictions. Il y a un compositeur extrêmement talentueux, Michael Liot, qui a fait des musiques, des chansons superbes. Donc, c'est sûr que pour une fiction radio... C'est un gros budget. On a eu beaucoup de temps, en fait. C'est ça, après, comme tout. Mais on a eu plein d'intérêt.

  • Mike Cesneau

    Vous aviez parlé de showrunner sur la bande dessinée. Est-ce que tu as pu être impliquée dans la production et la réalisation d'Anne Bonny, par exemple ?

  • Claire Richard

    Alors oui, parce que c'est une structure, c'est une petite équipe, Arte Radio. Et les deux réalisateurs, réalisatrices, Arnaud Forest et Sabine Zovigian, c'est des gens que je connais depuis longtemps. On a travaillé avant sur les chemins de désir, même encore avant sur une fiction que j'avais faite. Donc, en fait, c'est des amis. Donc, on se connaît très bien. Et par ailleurs... Ça se fabrique comme ça, Arte Radio. À France Culture, c'est un peu différent. Mais donc oui, sur le casting, sur les musiques, Sabine, Arnaud m'envoyaient tout. Mais après, par contre, le montage, je les laisse quand même en autonomie. Ensuite, moi, je fais des écoutes à plusieurs moments. Mais on a une relation, en fait, on se connaît quand même très bien. Donc on a une relation de confiance importante. Et je sais que ce que j'entends quand j'écris, ou plutôt les tonalités, mais que Sabine, qu'Arnaud vont les faire exister hyper bien. Mais oui, oui, c'est une chance. C'est un écosystème merveilleux. et donc c'est un peu la même chose en fait c'est léger enfin ça coûte de l'argent mais c'est rien par rapport au cinéma et donc on peut faire de la piraterie donc on peut avoir des abordages on peut avoir des bateaux des trucs et ça nous coûte une fraction de ce que ça serait aussi c'est un film d'action c'est une grande fresque quand on l'écoute ouais complètement et on se dit si c'était assez il me coûterait vraiment peut-être cher et ça coûterait ce serait pas faisable quoi en série il y a un autre sujet d'ailleurs dont tu parles c'est qu'il y a la liberté de moyens dont tu parles c'est à dire l'abordage etc

  • Xavier Dorison

    Mais j'ai envie de dire qu'en... Enfin, je ne sais pas si c'est ce que tu as vécu en podcast, mais la vraie liberté qu'on a en bande dessinée, au-delà du moyen financier des décors, des personnages, des costumes, etc., c'est la liberté de pouvoir raconter ce qu'on a envie de raconter.

  • Yannick Lejeune

    Tu n'as pas 15 diffuseurs qui te donnent un cahier des chocs en disant pour la ménagère de 5 ans.

  • Xavier Dorison

    Il n'y a pas un distributeur qui vient me dire, je ne sais pas, ah ben non, Diane Kruger, elle ne peut pas mourir à la fin. Ben si, elle peut, c'est dans le scénario. Ouais, mais dans le spectateur, on n'acceptera pas. Pourquoi ? Oui, ça, je n'ai pas embellé. Il peut essayer, mais elle mourra quand même.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'en podcast, c'est aussi pareil ? Sur la liberté éditoriale, c'était complètement...

  • Claire Richard

    Ouais, ouais, total. Parce que c'est quand même un petit milieu, donc on ne gagne pas des sommes.

  • Mike Cesneau

    Je crois que Arte, même sur la production audiovisuelle pour leur série, il laisse les créateurs vraiment très tranquilles.

  • Claire Richard

    Alors ça, pour le coup, en série audiovisuelle, ça, je ne sais pas. Mais nous, en radio, on a une liberté absolument totale. Et ça, c'est aussi la beauté de ces lieux-là où il y a une confiance. Alors France Culture, parce que c'est l'autre gros producteur de séries de fiction radio, Ils sont un peu plus regardants. C'est-à-dire que je pense que c'est un processus qui s'apparente un peu plus peut-être à... S'il y a de l'audiovisuel, même si on a énormément de liberté créative, mais tu fais une Bible. En gros, à moi, Anne Bonny, parce qu'il y avait un rapport de confiance aussi avec Sylvain Chirc, qui était le directeur éditorial à l'époque. Moi, j'ai écrit le premier épisode et c'est tout. Du coup, je n'avais pas de Bible. Alors, tu as déjà mis en place toute la narration, le ton, la matrice, comment ça va fonctionner et tout. Mais il n'y a pas à écrire un synopsis. Alors, je crois que ça peut avoir un peu changé. Et donc, pour Les chemins de désir...

  • Yannick Lejeune

    Déjà, est-ce que tu peux pitcher pour les gens ? Et je préfère que ce soit toi qui le fasses, vu le sujet. C'est vrai que t'es bon.

  • Claire Richard

    Ouais, alors, Les chemins de désir, c'est une autofiction qui raconte, on pourrait dire, une sorte d'autofiction pornographique, c'est-à-dire le chemin fantasmatique, en fait, d'une narratrice de sa première rencontre avec une image érotique, donc quand elle a 8 ans, avec une BD de Manara chez sa grand-mère, jusqu'à la trentaine. Non, d'ailleurs, attends, c'est une BD de SFQ qu'elle rencontre... qu'elle voit chez sa grand-mère. Et donc, dans cette image où il y a deux femmes attachées, l'une dominatrice, l'une soumise, en fait, c'est un premier choc fantasmatique, érotique. Et la série raconte comment ce choc initial, en fait, commence à créer des chemins de désir, donc un imaginaire érotique et pornographique. C'est-à-dire que chaque épisode, en fait, c'est un peu un moment différent de sa vie. C'est des épisodes pas très longs, c'est entre 15 et 18 minutes. Et à chaque épisode, il y a l'arrivée d'un nouveau support de fantasmes et donc de porno. Effectivement, dans le deuxième épisode, elle va, enfin elle, je, mais elle, parce que c'est quand même une création aussi dramaturgique, mais elle arrive au musée d'Angoulême. Elle voit une image de Manara qui la lance dans une activité fantasmatique et masturbatrice un peu intense pendant son adolescence.

  • Yannick Lejeune

    C'était pas Crepax ?

  • Claire Richard

    Si, c'était Crepax. Non mais oui, effectivement, c'est Crepax. Ensuite, Internet arrive et donc elle passe beaucoup de temps sur un site qui fait l'objet de tout un épisode, puis sur les tubes avec U-Porn, etc. Et l'idée, c'était à la fois de raconter ça, parce que ça n'avait pas été beaucoup fait d'un point de vue de femme et d'un point de vue d'usagère du porno. Parce que je me disais que c'était une histoire générationnelle. Moi, je suis dans le 85 et l'écriture, elle date un peu déjà maintenant. J'ai dû commencer, je ne sais plus, en 2018, quelque chose comme ça. Mais c'était l'idée que je faisais partie de la génération qui avait connu le porno avant et après Internet. Et donc, de raconter ce que ça faisait à un imaginaire qui, petit à petit, rencontrait des lieux de plus en plus nombreux pour s'exercer.

  • Yannick Lejeune

    C'est ce que je trouve le plus génial dans ce que tu as fait. On parlait avec Mickaël en préparant le podcast, c'est qu'au début, on écoute ça comme une autofiction, dont on imagine qu'elle est assez proche de beaucoup de choses chez toi. Je disais au début, c'est un peu compliqué de se dire, tiens, c'est la première fois que je reçois un ou une invitée du podcast dont je sais quel est le tag précis qui la faisait triper sur YouPorn. Mais en fait, ce qui m'a emporté, c'est qu'au final, c'est très générationnel. C'est-à-dire que dans cette expérience qui est très singulière, il y a ce côté, je vais piquer une bande dessinée dans le grenier de mes grands-parents. Et en fait, c'est le écho des savanes de tonton machin qu'on trouve et qui crée les premiers émois. Ensuite, c'est... Cette capacité à se raconter des choses. Et puis un jour arrive Internet et une espèce de profusion beaucoup moins complexe que tu racontes le film de M6 capté en cachette le soir. Le porno de Canal+, dès que les parents en Canal+. Et je me suis dit, c'est hyper générationnel. Et en fait, dans cette histoire de femme qui s'interroge sur sa sexualité, sur son rapport entre le féminisme et le porno, ça me sent hyper concerné. Et j'ai trouvé que c'était hyper fort dans la capacité universelle du propos. Comment c'est venu cette envie ? parler de ça.

  • Claire Richard

    Par rapport à ce que je disais tout à l'heure, le fait qu'on est façonné par notre époque, je savais aussi, pour avoir lu des choses, que la consommation de porno, elle, est élevée chez les femmes, que beaucoup de femmes qui se considèrent hétéros consomment du porno lesbien, parce que c'est une tension qui est centrale dans les chemins de désir, à mesure que la narratrice, elle grandit, elle commence à conscientiser un peu potentiellement qu'est-ce que ça veut dire d'un point de vue féministe. Donc ça, je savais que ça concernait plein de gens. Et après, moi, à ce moment-là, j'étais journaliste pour le site rue 89 et on faisait beaucoup de choses quand même sur les questions sexualité, culture et beaucoup de récits en fait, on allait interviewer beaucoup de gens et on avait même une rubrique dans le nom m'échappe, je sais plus en gros des gens nous écrivaient parce qu'ils voulaient nous raconter leur histoire de cul et on allait les interviewer je me souviens notamment d'un couple qui s'était lancé dans le candolisme, c'est quand on aime regarder son partenaire avec une autre personne et en fait c'était assez beau la façon dont ils le racontaient parce que évidemment qu'au coeur de ça c'est l'amour de ce couples, leurs relations conjugales, etc. Donc, je baignais un peu dans cette idée que les histoires sexuelles sont intéressantes à raconter parce qu'elles concernent tout le monde, et que c'est une banalité, mais quand même, plus on est précis, plus elles concernent tout le monde. Et voilà, et après, c'était aussi un peu cette pensée, d'abord, de cartographier une expérience qui allait disparaître, puisque ce que je disais, ce côté générationnel, d'avoir découvert l'imaginaire érotique avant Internet, puisque c'est plus le cas des générations qui arrivent. C'est pas mieux, c'est pas moins bien. Mais je trouvais que c'était important de raconter ça.

  • Yannick Lejeune

    Et qu'est-ce qui est venu avant, alors, le roman ou le podcast ?

  • Claire Richard

    Le podcast. parce que j'avais déjà travaillé pour Arte Radio avant, un peu par hasard, parce qu'au début, moi, je voulais écrire de la littérature expérimentale, mais ça ne marchait pas beaucoup. Et par hasard, je suis arrivée à Arte Radio et donc un premier texte que j'avais écrit avait été transformé en fiction là-bas. Et donc, il y avait eu cette espèce de rencontre miraculeuse avec un endroit qui voulait mes textes, me faisait des contrats pour ça. Ce n'était pas des sommes mirobolantes, mais ça me semblait quand même d'un goût. Et donc, en fait, à la base, c'était une demande de Sylvain Gir de me dire, je te fais un contrat écrit sur ce que tu veux. Parce qu'il y a une... politique d'auteur, une politique de fidélité aux autrices, parce que c'est principalement quand même des femmes. Et donc, il m'a encouragée en me disant ce que tu veux. Alors que l'édition classique, ça ne s'était pas matérialisé. Là, j'avais un endroit où c'était possible. Donc, c'est parti en son. Et après, il y avait aussi l'idée que raconter des histoires de porno en son, ça avait beaucoup de sens, que ça posait plein de questions très intéressantes qui étaient puisque c'est générationnel, puisque c'est des images qu'on a tous et toutes en tête. En tout cas, on a... chacun, chacune, nos images en tête de porno, comment les évoquer sans en même temps mettre mal à l'aise, c'était aussi tout le défi de réalisation qui était hyper intéressant, c'est-à-dire comment rester à la fois très cru par moments, tout en étant aussi poétique et évocateur, ce qu'on voulait faire. Et ça, c'était propre au film. Ça exhibe, c'est ça qui est très réussi. Moi, j'avais un peu comme critère l'idée qu'on puisse l'écouter en public sans être absolument mortifié, à côté d'inconnu.

  • Mike Cesneau

    Est-ce que maintenant, tu abordes toutes tes futures idées de projets en te disant, je vais commencer par une fiction audio et après, je verrai où ça atterrit.

  • Claire Richard

    Et bien en fait, quasi ouais, parce que je travaille sur d'autres médiums, mais je me dis un peu, même par rapport à ce qu'on disait de la série, c'est que c'est un bon endroit où développer des histoires, parce qu'en fait, elles existent, elles se font, ou tu sais, en tout cas, tu sais très vite si ça se fait pas. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un processus de développement infini à la fin duquel on te dit, ah bah non, désolé. Là, tu le sais, donc en fait, oui, un peu. Là, j'ai fait une fiction radio qui est sortie au début de l'année, enfin là, en septembre, sur France Culture, que j'essaie d'adapter en roman parce que j'aime les personnages. Je vais faire une série pour France Culture l'année prochaine. Et oui, j'essaierai parce qu'elle est... Elle est un peu plus classique dramaturgiquement. Moi,

  • Yannick Lejeune

    je me suis demandé si ce n'était pas aussi lié justement à ton histoire sexuelle. Parce que dans le podcast, tu commences par cette case de BD. Ensuite, tu vas sur FBB. Donc là, c'est des textes. Ensuite, tu vas dans le porno visuel. Et tu expliques que tu en consommes énormément. Et à un moment, il y a une coupure d'Internet. Et tu dis, avant, quand j'étais dans le texte, dans l'imaginaire, j'arrivais à réorganiser tout ça dans ma tête pour me créer de l'émoi. Alors que le porno visuel, quand il n'y en a pas devant mes yeux... Je ne sais plus m'en servir et je ne me souviens même pas des trucs que j'ai regardés. Et puis, tu finis le podcast, ça ne va pas tout dévoiler, mais tu vas sur un sous-groupe de Reddit où c'est des gens qui enregistrent certains des orgasmes, certaines des histoires de cul. Et tu dis, pour la première fois depuis des années, je peux me toucher les yeux fermés. Pour la première fois depuis des années, je n'ai plus besoin d'images. On prend mon imagination par la main. Et je me suis dit, mais c'est peut-être là que naît le podcast dans ta tête. C'est le jour où tu te dis, mais en fait, quand on me parle et qu'on me raconte une histoire sans images, je peux visualiser ce que je veux. Allongez-vous sur ce canal. Non,

  • Claire Richard

    mais la vérité m'oblige à dire que c'est une fin... Là, on est vraiment dans l'autofiction, c'est-à-dire que tu mets de la structure sur le réel. Donc oui, j'ai eu une phase porno-sonore, mais en vérité, elle ne constitue pas l'acmé. Mais par contre, pour un podcast... C'était beau de chier à la chien. Donc en fait, c'était un peu ça. Parce qu'à travers cette question du porno, il y avait aussi un peu en petit filigrane qu'est-ce que ça fait d'être dans une culture visuelle démultipliée ? Qu'est-ce que ça nous fait, en fait, les vitesses d'Internet ? Parce que ça, c'est aussi une question qui m'intéresse beaucoup. Qu'est-ce que ça nous fait ? Tous nos médias, comment ça nous transforme ? Et en fait, le retour au son à ce petit site d'amateurs, c'était aussi le retour du coup à un temps différent. Parce que le son, tu peux l'accélérer, mais c'est pas pareil. Et puis, c'est le retour à l'amateurisme aussi. Parce que c'est ça qui est beau dans les voix de ce site, c'est que c'est vraiment... C'est vraiment des gens qui s'enregistrent chez eux, et c'est ça que t'entends en fait. T'entends l'émotion, t'entends le trouble, et donc t'as un contraste très fort avec la production démultipliée et hyper professionnalisée que tu vas trouver sur les grands sites. Et après, oui, pour retomber sur le roman, je l'ai envoyé à quelqu'un que je connaissais pour avoir travaillé ensemble dans un magazine de critique littéraire quand j'avais 20 ans. qui était au seuil et je m'étais dit que ça ferait, parce que c'est un texte assez court, un début d'essai et autant j'avais vraiment galéré quelques années avant, autant là il y a eu une espèce d'alignement des planètes autour de ce projet où il a été pris au seuil très vite. Et donc en fait c'est à peu de choses près le même texte avec un tout petit peu plus de détails mais pas beaucoup.

  • Yannick Lejeune

    Il y a ça aussi dans la bande dessinée, moi j'étais très agréablement surpris par le fait que souvent une adaptation d'un podcast ou de quoi que ce soit en bande dessinée c'est pas bien parce qu'on tronçonne la matière de départ. par des gens qui, en plus, n'ont pas forcément les moyens, parce qu'on a déjà payé la licence, de faire une bonne adaptation. Et surtout, ils n'utilisent pas la BD pour ce qu'elle est. Donc finalement, ils vont illustrer un texte. Et là, en fait, t'as réussi à prendre quasiment toutes les phrases du podcast. C'est vraiment très, très proche du podcast sonore. Et à les mettre en bande dessinée en faisant un très bon album de BD. Alors déjà, le dessinateur est extraordinaire. Mais comment t'as adapté ?

  • Claire Richard

    Ça me fait très plaisir, merci, parce que c'est... La première fois, j'ai lu Scott McCloud. pendant un été, en prenant des notes.

  • Yannick Lejeune

    Je crois que ton dessinateur, il vient de l'animation.

  • Claire Richard

    Ouais, il vient de l'animation. Et puis, il y avait beaucoup de... Justement, sur la question des angles, du dynamisme. En fait, ça, il a amené beaucoup de choses. Et après, je réfléchissais à la question de l'ellipse, du découpage, du passage d'une page à une autre, ce genre de choses. Mais sinon, c'était assez naturel, parce qu'une fois de plus, j'ai quand même une imagination visuelle. Donc, j'avais l'impression de décrire vraiment ce qui ne se voit pas dans le script audio, mais que moi, j'ai en tête. C'est-à-dire le bordel, tous les décors, etc. c'était assez facile à décrire parce que je les avais en tête.

  • Yannick Lejeune

    Là, c'était la rentrée littéraire. J'ai lu à peu près 200 albums de BD depuis début septembre. Et franchement, le tien est ressorti comme un des qui m'a le plus touché. Et ça me fait une transition toute trouvée pour parler de Ulysse et Cyrano, qui est vraiment à moi un de mes coups de cœur de l'année aussi. Xavier, je te le dis, je vais te laisser le pitcher.

  • Xavier Dorison

    On est en France, dans les tout débuts des années 50. Ulysse Dussert a 16 ans. Il va bientôt passer son bachot, comme on dit à l'époque. Et Ulysse Dussert a la spécificité d'être le fils unique de la famille Dussert que tout le monde connaît puisqu'il s'agit des plus grandes fortunes françaises. Et le destin d'Ulysse est tout tracé, il va reprendre la boîte de papa, enfin avant il fera mathélème comme on disait à l'époque, puis il fera bien sûr polytechnique, et puis bien sûr il dirigea la boîte. Sauf que papa a un problème, papa est accusé de collaboration, et le temps de se défendre, le temps que les choses s'apaisent un peu à Paris, M. Dussert envoie son fils Ulysse et son épouse, Mme Dussert. ouvert, comme on dit, en Bourgogne. Il a loué une grande maison sous le nom de jeune fille de sa femme et il espère que Ulysse finira de préparer son bachot là-bas et que lui, il aura le temps de résoudre les problèmes qu'il a à Paris. Mais Ulysse du Cerf va faire une rencontre. Il va rencontrer un homme qui s'appelle Cyrano. Alors Cyrano, c'est l'opposé complet d'Ulysse. Il a presque la soixantaine. Il a jeté son réveil et ses montres il y a une bonne dizaine d'années. Il vit comme il veut. Il fait ce qu'il veut. Il vit dans une grande maison un peu délabrée au milieu de la forêt en Bourgogne et avec une particularité quand même, c'est que dans cette maison, il y a une pièce extraordinaire, c'est la cuisine. Parce qu'il se trouve que Cyrano, dans une autre vie, a été le plus grand cuisinier de France. Il ne l'est plus, il n'a plus de restaurant. Pourquoi ? Vous le saurez en lisant l'album. Mais ces deux personnages vont se rencontrer, vont devenir amis. Grâce à Cyrano, Ulysse va réaliser ce qu'il aime. Et bien, il aime faire plaisir, il aime faire quelque chose avec ses mains, il aime être créatif. Bref, il aime faire la cuisine. Et petit à petit, une idée va commencer à germer dans la tête d'Ulysse. Et si je devenais cuisinier ? Sauf que vous vous en doutez, quand on est en France, dans les années 50, et qu'on est fils de la famille du cerf, on ne devient pas ouvré légume et éplucheur de patates et non toute la question est de savoir si Ulysse pourra réaliser son rêve.

  • Yannick Lejeune

    Alors cet album, il est impressionnant parce qu'il est d'une densité narrative extraordinaire. Et pourquoi ? C'est parce que ça raconte à la fois une histoire d'amitié, ça raconte une histoire de gastronomie. Moi, j'y suis allé pour la bouffe au départ, je te le dis. Ça raconte l'histoire de cette époque avec la collabo, les soupçons, des rapports au travail, des histoires de filiation. et un maelstrom de récits en fait et de thèmes.

  • Mike Cesneau

    Il y a encore la lutte des classes aussi, les confrontations entre des classes de main dominée.

  • Xavier Dorison

    Il y a tout ça, mais par contre, il y a une colonne vertébrale qui est très, en tout cas pour ces auteurs, qui était très claire, qui se résume en trois mots, c'est l'apprentissage du bonheur. C'est-à-dire comprendre qui l'on est, mettre en place une activité qui correspond à ce qu'on est et enfin trouver sa place avec cette activité dans le monde. Dans le fond, c'est ça que raconte Ulysse et Cyrano. Il se trouve qu'avec le co-auteur Antoine Christo, on est des passionnés de cuisine. Lui encore plus que moi. Donc, ça nous plaisait bien, on aimait bien la Bourgogne. Mais on aurait pu faire ça dans la musique, dans la maroquinerie.

  • Yannick Lejeune

    Il y a plein de BD qui surfent sur une mode, la mode de tout le monde. Là, quand ça parle de cuisine, on sent que derrière, vous y connaissez, il y a un espèce de plaisir de ce que la cuisine peut avoir d'artistique qui est retransmis dans la BD.

  • Xavier Dorison

    C'est le partage qui nous intéresse dans la cuisine. En fait... c'est la communion. Alors il se trouve que Antoine, qui a co-écrit avec moi, qui lui a complètement un autre métier, mais lui, il a été sélectionné pour faire Masterchef. Bon alors comme il est DRH dans une grosse boîte, il s'est fait attendre, j'ai pas trois semaines à vous consacrer, mais vraiment, c'est vrai que c'est un excellent cuisinier, mais pourquoi est-ce qu'on aime la cuisine autant la faire que la partager ? C'est parce qu'en fait, elle va créer un moment. Elle va créer un moment d'abord de plaisir physique, ça nous renvoie à ce dont on parlait à l'émission tout à l'heure, mais la cuisine, et manger, c'est bien un... un plaisir qui est très intime, en fait. Et c'est un plaisir intime qu'on partage. Et c'est ça qui nous plaît, en fait. Et d'ailleurs, on aime tous les types de cuisine, tous les types de restaurants, mais c'est vrai qu'à la limite, Antoine et moi, on va presque préférer une nappe à carreaux et un bœuf bourguignon très bien fait ou une blanquette à un étoilé. Beaucoup d'estime pour le chef étoilé, il ne sait pas du tout ce qu'on veut dire, mais à la limite, le restaurant étoilé va créer un contexte presque guindé, presque d'admiration d'une performance qui, pour nous, à la marge, nuit un peu à cette communion. Et c'est vrai que tout le monde aime ces moments où on se retrouve autour d'un Mont-Plat. Et le Mont-Plat n'est pas le sujet. Le Mont-Plat, c'est le catalyseur du moment, en fait. Et donc, qu'on place son énergie, son envie et sa place dans le monde, dans la création de ce moment de communion, c'est évidemment ce qui nous a fait retrouver, j'ai envie de dire, tous les trois. Parce qu'évidemment, avec Stéphane Servin, qui est le dessinateur.

  • Mike Cesneau

    Qu'est-ce qui vous a inspiré dans la création de ce personnage de Cyrano qui est un peu comme ça, bigger than life ?

  • Xavier Dorison

    C'est tout bête. Il est l'inverse d'Ulysse. Il est inspiré... de personnages, grande gueule. On voit bien Gabin faire ça. On voit bien Alexandre le Bienheureux, Philippe Noiret. Mais il faut voir qu'au-delà de cette apparence-là, en fait, il va être le mentor. C'est son ami, mais c'est aussi son mentor à Ulysse. Il va lui transmettre une bonne partie de sa vision de la vie. Alors, c'est marrant parce que mes enfants, ayant lu l'album, ils ont dit Bon, on a l'impression que tu parles dans toutes les bulles. Alors, je dis Bon, visiblement, on va voir. Mais moi, j'avais... Je termine là-dessus. Alors, c'était moi. et une fois de plus en soi, qui ont partagé un certain nombre de convictions sur l'éducation. Mais moi, j'avais en plus un rapport très intime et très particulier à cette histoire, qui est que mon propre père, d'un milieu bourgeois parisien, son père est directeur adjoint d'une compagnie de charbonnage, ils habitaient dans le 6e arrondissement. Et à l'âge de 17 ans, alors qu'il est étudiant au lycée Montaigne ou Henri IV, mon père vient voir mon grand-père, parce qu'on parlait au père à ce moment-là, et elle lui dit, écoute... de papa, voilà, tu veux que je fasse des études et tout, mais moi, je voudrais rendre les gens beaux et donc je voudrais être coiffeur. Là, on parle, on est avant 68. Alors, je crois que d'après ce qu'on m'a raconté, pendant 3-4 jours, mon grand-père a eu un peu de mal à... Mais il se trouve que il n'était pas du tout, je l'ai un peu connu, il n'était pas du tout comme le père d'Ulysse. C'était un homme très bon, très compréhensif, qui d'ailleurs était vice-président et pas président, parce que lui, il voulait pouvoir aller jouer quand même au bridge un certain nombre d'après-midi dans la semaine. Et donc, il a dit oui à mon père et il l'a soutenu. Et donc, mon père... qui est toujours vivant, a été coiffeur toute sa vie, et sans doute pas très riche, mais très heureux. parce qu'il faisait ce qu'il aimait. Le matin, il était content d'aller voir ses clientes ou ses clients. Il était content de retrouver les autres coiffeurs qui travaillaient. Et il a mis ça en place dans notre fratrie. Et mes parents, ils ont toujours dit, faites ce que vous voulez, du moment que vous le faites bien et que ça vous rend heureux.

  • Yannick Lejeune

    Dans les chemins de désir, Claire, tu racontes qu'à force de consommer du porno, j'y reviens, je suis désolé, mais tes chemins de désir deviennent des machines voraces qui exigent du nouveau, de l'extrême, de plus en plus souvent. Il y a un truc très drôle avec une espèce de visualisation d'orpeur romain qui, pour s'amuser, demande des choses de plus en plus décadentes et escabreuses. Est-ce que vous pensez que c'est pareil dans la culture d'aujourd'hui ? Est-ce qu'avec le flux qu'on a à travers les plateformes, est-ce que le flux, je pense que la rentrée littéraire BD n'a jamais été aussi monstrueuse en termes de volume ? Est-ce que vous pensez qu'il faut faire du Bigger Than Life pour arriver à sortir le nez du flux ?

  • Xavier Dorison

    Il y a deux questions différentes.

  • Claire Richard

    Pour répondre à la première, je pense que oui, mais je pense que c'est quelque chose qu'on ressent tous et toutes. Tu vois, ce déferlement des contenus. Moi, je pense, je ne sais plus à quel moment on parlait tout à l'heure, ou en réfléchissant à ce qui faisait une bonne histoire, ou je pensais à Netflix, en fait, ou à quel moment tu es déçu d'un pitch. Moi, j'ai l'impression quand même, j'ai encore Netflix, mais chaque mois, je me demande pourquoi je continue à payer. On le voit qu'en fait, on est arrivé à... degré de production industrielle de séries où tu vois exactement quels sont les devices dramaturgiques qu'ils sont allés chercher. La dernière, c'est une podcasteuse féministe et un rabbin. Tu vois très bien que les mecs se sont dit...

  • Yannick Lejeune

    J'ai regardé quatre premiers épisodes et j'ai arrêté.

  • Claire Richard

    Ça se trouve, c'est bien. Moi, je me suis dit que ce n'était pas possible. C'est un bitch qui a été écrite par une IA. C'est un peu paresseux. Je pense que ça, on le sent. J'avais pensé à ça sur la question pour revenir à la deuxième de est-ce que c'est bigger than life ? Pour moi, ce n'est pas tant la question. C'est plutôt... la question de la singularité, même si c'est une... Pareil, c'est un peu banal. Et pour reprendre l'exemple de Netflix, je pense que la dernière série que j'ai beaucoup aimée, je pense qu'on est nombreux, nombreuses dans ce cas-là, c'était Petit Reine. Et pourquoi ? Parce que précisément, alors je crois qu'en plus, l'auteur s'est inspiré de sa propre vie. Cette histoire de ce bartender qui est harcelé par une femme, voilà, et le harcèlement prend des proportions très, très intenses. Et bien sûr, ça vient révéler leur vulnérabilité à tous les deux. En fait, j'avais l'impression, pour la première fois depuis assez longtemps sur Netflix, de voir une histoire très très singulière qui d'ailleurs se déroulait selon des arches qui n'étaient pas prévisibles qui ne suivaient pas nécessairement les actes etc. les climax moi j'ai l'impression que c'est plutôt ça qui fait que les choses se détachent en tout cas c'est ce que je me dis en tant qu'autrice quand je me demande qu'est-ce que j'ai envie de faire et surtout à quoi bon écrire telle ou telle histoire ça va être la question d'un personnage de résister à cette tentation de standardiser mais c'est vraiment des banalités ce que je dis mais de standardiser c'est que Petit Rennes ça correspond quand même exactement

  • Yannick Lejeune

    à ce que l'algo de Netflix sortirait, c'est-à-dire une histoire d'amour avec un fait divers proche du fait d'entrer l'accusé. Si tu prends ce qui est regardé sur Netflix, ça rentre pile-pile dans le cycle. Après, je suis d'accord avec toi, la structure et même le fait que les personnages sont tous...

  • Claire Richard

    Et la singularité, en fait, c'est surtout que tu sors dans quelque chose d'extrêmement cringe tout du long. Et que quand même, t'as pas l'impression de voir une histoire qui se déroule selon les...

  • Yannick Lejeune

    Non, mais c'est...

  • Claire Richard

    Tu vois, selon les...

  • Yannick Lejeune

    Les pays faux,

  • Claire Richard

    ouais. Les points un peu attendus.

  • Xavier Dorison

    donc c'est plutôt ça que je dirais en fait maintenant il y a trois qui te plongent il y a une première question qui est justement ce phénomène de normalisation de banalisation dont tu parles des séries qu'on voit mais le problème de fond c'est que la production de contenu est au départ une industrie de l'offre c'est à dire que c'est aux auteurs et aux artistes de proposer ce qui leur paraît intéressant, pertinent, on va y revenir dans le deuxième point mais C'est à eux de définir ça. Or, les plateformes comme Netflix, Amazon et d'autres sont dirigées, conduites et organisées par des gens qui ne connaissent que le marché de la demande. C'est-à-dire que c'est des gens qui, en gros, ont des systèmes de pensée qui sont façonnés comme ça. Et c'est normal, ils viennent d'écoles de commerce, je sais de quoi je parle, où on leur a dit, regardez ce qui s'est fait hier, reproduisons-le. S'il y a bien un domaine où ça ne marche pas, où c'est mauvais, c'est en art. Ce qui a déjà été fait hier n'est pas intéressant. Et donc, on ne peut pas fonctionner comme ça. Et comme eux-mêmes ne savent pas écrire, ne savent pas créer, parce que sinon ils seraient auteurs, ils se réfugient dans un système qu'ils connaissent, c'est celui de la reproduction de code. Et plus l'industrie grossit, plus le nombre de gens qui pensent comme ça est important. Donc, vous avez des systèmes qui, naturellement, vont amener à la production d'œuvres qui se ressemblent. Ça, c'est le premier point, à mon avis. Le deuxième, c'est... Tu peux avoir l'occasion de savoir, est-ce que les séries, c'est comme le porno sur Internet, ça devient addictif, et à un moment, on veut des choses de plus en plus violentes. Je crois que c'est très différent. Enfin, moi, j'ai compris la question comme ça. Parce que je comprends bien le phénomène.

  • Yannick Lejeune

    Plus en plus violent ou plus en plus bizarre ?

  • Xavier Dorison

    Ou bizarre. Violent ou bizarre, absolument. Pardon, tu as totalement raison, violent ou bizarre. Ce système-là est lié, au fait, à tous les principes d'addiction. Quelle que soit ton addiction, il y a un phénomène qui va faire que la dose d'hier, comme tu la connais déjà, tu l'as déjà vue, va se banaliser, et moyennant quoi, il va falloir l'augmenter. Et là, je pense que les histoires sont assez différentes, précisément pour la raison qu'évoquait Claire, c'est-à-dire que... L'intérêt des histoires, c'est pas tant de se dire qu'on va les raconter différemment. à mon avis, c'est plutôt de se dire qu'on va raconter autre chose. Et comme la vie continue, la vie émotionnelle, relationnelle, amoureuse, sociale, politique, il se passe des nouveaux trucs tous les jours. Donc comme il se passe des nouveaux trucs globalement tous les jours, par définition, les auteurs ont à contempler de nouvelles choses. Et comme ils ont tous, il faut l'espérer, des regards différents, ils ont tous de nouvelles choses à raconter. Donc tant que la vie continuera, on pourra raconter de nouvelles histoires sans tomber dans les problématiques que posent... un phénomène d'addiction et puis la dernière question c'était comment on fait aujourd'hui quand il y a beaucoup de titres notamment en bande dessinée qui sortent ben là je suis d'accord il y a une nécessité absolue de sortir du lot moi quand j'ai commencé en bande dessinée il y avait 800 nouveautés par an on en est à plus de 5000 si cette année je pense ouais peut-être plus de 6000 avec cette problématique qui est à nouveau dans ce marché là qui reste donc je le rappelle un marché de l'offre qui est que si l'album n'est pas sur une table des nouveautés ça pourrait être le meilleur album du monde ben il ne sera pas

  • Yannick Lejeune

    Toi, tu es un bon exemple de ce qui s'est passé avec Netflix. Moi, pendant dix ans, j'entends, alors de toute façon, depuis Blueberry, le western, c'est mort. Arrive Undertaker, que tu écris, et d'un seul coup, tout le monde se remet à faire du western. Ah, le western, c'est super.

  • Xavier Dorison

    Moi, j'essaie de passer ma vie à faire un peu des ruptures. J'ai commencé comme ça. Quand j'ai commencé avec Alex Salis, on avait 25 ans, 24 ans. on s'est dit tiens on va mélanger Da Vinci Code avec le National Zone et X-Files on s'est dit on va faire une histoire une aventure historique qui va s'appeler le 3ème testament ça sera une histoire d'aventure mais il y aura de la religion de l'ésotérisme. Pendant deux ans tous les éditeurs de La Place, tous nous ont dit mais ça marchera jamais votre truc il faut faire soit de l'histoire seulement et puis un jour chez Glenna ils ont dit, Jean-Claude Camano on va essayer, bim ça va marcher après je sais pas moi j'ai voulu faire du pirate il y avait plus de pirate il y avait plus de récits pirates c'était Barbeau Rouge c'était un film de John Silver on dit mais vous êtes sûr parce qu'il n'y avait pas Pirates des Caraïbes non plus et vous dites Pirates bon après il y avait plein de Pirates et voilà et aujourd'hui je ne suis pas tu parlais du Cyrano je fais une histoire Feel Good Feel Good Story un peu à la papa française alors j'espère que c'est renouvelé et tout mais les producteurs de cinéma là je vous rends compte maintenant qu'ils ont l'album en main ils réagissent différemment mais quand ils avaient juste le scénario parce qu'il y avait un scénario de film aussi ils disaient non mais le Feel Good Story ça n'intéresse plus personne toutes les histoires tous les sujets intéresse tout le monde, du moment que c'est honnête, bien fait, bien raconté, et que ça ne nous répète pas ce qu'on a déjà entendu dix fois.

  • Mike Cesneau

    Puisqu'on a repassé un peu en revue plusieurs choses que tu as faites, moi je m'étais posé une question. Quand tu as fait Long John Silver, c'était une volonté de créer une suite imaginaire aux aventures qu'avait écrite Stevenson à la base. Tu as aussi travaillé sur la suite de Goldorak, qui a été un très très grand succès de librairie. Et je voulais savoir, j'avais deux petites questions. La première c'était, qu'est-ce qui t'intéresse dans le fait de faire revivre...

  • Xavier Dorison

    un grand mythe culturel qui n'est pas à la base ta création à toi et de reprendre un personnage mythique pour le faire comme Torgal aussi comme Torgal 2013 et est-ce que il y en a d'autres qui seraient dans tes fantasmes futurs peut-être de faire revivre alors dans les fantasmes futurs pour l'instant non pour l'instant non parce que j'en ai fait pas mal et j'ai maintenant envie de m'amuser plus avec mes propres créations mais alors les raisons à chaque fois sont différentes Goldorak honnêtement quand à 47 ans vous écrivez Corneau Fulgure et Astéro H c'est un peu quand il y a un truc bizarre. Mais pour moi, comme pour toute l'équipe qui a travaillé sur cet album, c'était un fantasme de gosse.

  • Yannick Lejeune

    Tu ne peux pas refuser ça aux gosses que tu as aimés.

  • Xavier Dorison

    Oui, mais parce que si on était dans mon bureau, tu verrais qu'il y a plein de trucs qui sont de l'époque de mon enfance. Non pas que je veuille retomber en enfance. J'ai 52 ans, je suis un adulte. Mais il y a une énergie, une envie qui est liée à mon enfance qui est pour moi une source à laquelle je m'abreuve le plus possible. Et quand j'ai cette image d'enfant ou à 7 ans, Quand Goldorak sort, je suis comme 90% des gosses de ma génération, totalement hystérique. Totalement hystérique, c'est-à-dire qu'un épisode de Goldorak, je le vis, je suis dans, et je le revis à l'école, et je le rejoue à l'école, etc. Et ce qui était assez curieux, c'est que je n'avais jamais quitté Goldorak depuis mon enfance. Et notamment, je m'étais pendant longtemps imaginé une suite et tout. Et c'était une suite, mais vue avec des yeux d'adulte et des moyens narratifs d'adulte, évidemment. En fait, il y a eu au départ une sorte de piège amical. Voilà. Et quand Christelle Houlan, qui est la directrice générale de Kana, qui est le plus gros éditeur de manga au monde, hors Japon, me dit un jour à un déjeuner en Angoulême, tiens, tu connais Goldorak, ça t'amuserait d'écrire un truc ? Alors évidemment, déjà, je lui déroule d'emblée un synopsis. Et qu'elle me dit, écoute, je connais Gonagai, le créateur, si tu me présentes quelque chose de sérieux, on y va. Mais j'ai plus 47 ans, j'ai 7 ans. Et donc là, ce fantasme d'écrire le dernier épisode, puisque c'était ça cet album, c'est le dernier épisode de Goldorak, on est au 77, on a fait le 78e. on était comme des fous et en même temps on avait assez de recul pour se dire on fait un épisode qui est dans le respect de cette série il s'agit pas de dire le héros était un salaud de casser le temple Mais on se donne quand même pour objectif de rajouter une pierre au temple et d'amener un regard. Comme on a pris les personnages qui sont dix ans après. Bon, nous, c'était quarante ans après. Mais ils ont vieilli, ils sont comme nous et on a fait une mise en abîme. Et en même temps, on a vécu. Donc, je suis. Donc, Scénarii, je suis dans le centre où j'ai été piloté Goldorak. Et donc, chaque reprise, entre guillemets, a une... Bon, je ne vais pas toutes les faire. Mais typiquement, quand je fais treize Outorgal, surtout treize d'ailleurs, il y a l'idée là de me mettre dans les traces d'un de mes maîtres dans mon métier. J'ai eu plusieurs mentors. L'un est évidemment Jean Von Am. Et donc, quand on dit, voilà, tu vas passer derrière, derrière ton mentor et essayer de lui rendre hommage, là, il y a...

  • Mike Cesneau

    C'est une mission sacrée,

  • Xavier Dorison

    presque. Pour l'anecdote, quand j'avais 22 ans, quelque chose comme ça, je n'imaginais pas devenir scénariste. Ce n'était pas possible. Personne dans mon milieu était scénariste. Ça ne voulait rien dire. Ça n'existait pas, les scénaristes. Et je suis au Festival de bande dessinée des Grandes Écoles que je co-organise avec d'autres. Et là, je rencontre Jean-Renan. Je n'avais jamais vu un scénariste en vrai. Je passe une journée avec lui. Je souris tellement que j'ai mal au jou, et je pense qu'il y a une voix en moi qui s'est dit je veux pas être Jean Van Damme, parce que j'ai pas son talent, pas son carrière, etc. Mais je veux être comme un Van Damme, et ça me donne un objectif. Et quand dix ans plus tard, Yves Schlier, directeur éditorial de Dargaud, me dit est-ce que tu veux être le premier à écrire un 13 après Jean Van Damme ? C'est magique, quoi.

  • Yannick Lejeune

    Puisqu'on vient de parler de mentors, pour conclure, est-ce que vous pouvez nous donner le meilleur conseil d'écriture que vous ayez reçu et que vous donneriez à quelqu'un d'autre ?

  • Xavier Dorison

    Moi, s'il y en avait un que je devais donner, c'est ne jamais oublier que la vraie victoire est la victoire intérieure. C'est ça qui compte dans une histoire. Est-ce que le personnage principal aura sa victoire intérieure ? C'est-à-dire, est-ce qu'il dépassera son défaut initial, son défaut fatal ?

  • Claire Richard

    Moi, je dirais le conseil, enfin un des conseils d'Amingway qui est The first draft of anything is shit c'est-à-dire la première version de quoi que ce soit, c'est naze. Et un autre qui est un peu lié, alors je crois que c'était, je ne sais plus si c'était Tanay Isiko ou Jennifer Regan, parce que je... des romanciers américains que j'aime bien, et qui est l'idée que ce qui nous bloque souvent pour écrire une première version, c'est l'écart entre... Je ne sais plus ce qu'elle dit, je crois qu'elle dit, en fait, beaucoup de gens n'arrivent pas à aller jusqu'à la fin de la première version, parce que ce qui sort en premier est mauvais, et que personne n'aime être confronté à cette chose médiocre qui sort de toi. Et donc l'idée de traverser ça. C'est moins un problème, mais je pense qu'au début, c'est cette idée que ça n'est qu'une V1, et qu'en fait tout le travail, c'est les V2, les V3, les V4. Mais je me le dis encore souvent.

  • Yannick Lejeune

    C'est une bonne conclusion, merci. Merci beaucoup, merci à vous. Merci beaucoup.

  • Mike Cesneau

    C'est ainsi que se termine cet épisode de La Machine à écrire. Nous espérons que vous avez passé un bon moment avec nos invités, que l'on remercie pour leur temps et leur générosité.

  • Yannick Lejeune

    On vous invite à lire et à écouter La Dernière Nuit d'Anne-Bénie en librairie pour la BD et sur l'application Arte Radio pour la fiction audio, ainsi bien sûr que les précédents podcasts de Claire Richard.

  • Mike Cesneau

    On vous met les liens d'écoute dans la description de l'épisode.

  • Yannick Lejeune

    On vous recommande également les deux tomes de 1629, Le Naufragé du Jakarta de Xavier Dorison, sorti le 13 novembre en librairie. Et si ce n'est déjà fait, bien sûr, vous allez découvrir l'ensemble de son oeuvre, vous ne le regretterez pas.

  • Mike Cesneau

    Si vous aimez la machine à écrire, n'hésitez pas à nous dire quels sont les invités que vous aimeriez entendre dans de prochains épisodes. Vous pouvez nous l'écrire dans les commentaires sur Apple Podcast et sur Instagram.

  • Yannick Lejeune

    N'hésitez pas non plus à nous proposer des thèmes et à nous partager les sujets d'écriture qui vous intéressent le plus. On fera de notre mieux pour les inclure dans de futurs épisodes.

  • Mike Cesneau

    Et pour savoir quand un nouvel épisode est disponible, vous pouvez toujours vous inscrire à notre newsletter 5 bonnes histoires le vendredi, qui compte déjà plusieurs milliers d'abonnés.

  • Yannick Lejeune

    Chaque vendredi, nous y partageons 5 récits marquants et étonnants sélectionnés avec amour par nos soeurs. Des livres, des BD, des séries, des films, des documentaires de quoi vous divertir et vous aimer voir chaque fin de semaine.

  • Mike Cesneau

    Vous y trouverez de quoi occuper vos soirées et aussi de bonnes idées cadeaux adaptées à tous les âges. Pour s'y inscrire, rien de plus simple, il suffit de cliquer sur le lien dans la description de l'épisode.

  • Yannick Lejeune

    Si vous le souhaitez, vous pouvez également nous suivre sur vos réseaux sociaux préférés et parler de nous à votre entourage, les bouches à oreilles et les meilleurs moyens de nous aider à grandir.

  • Mike Cesneau

    Avant de se quitter, nous tenons à remercier la Société Nationale de Bande Dessinée, l'atelier de Mathieu Sapin et Christophe Blain qui nous héberge pour les enregistrements.

  • Yannick Lejeune

    Et surtout, un grand merci à vous pour votre soutien et votre fidélité. On se retrouve au prochain épisode et d'ici là,

  • Mike Cesneau

    on vous dit à bientôt !

Description

Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de La Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires ! 

D'abord diffusée en fiction audio, La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en BD par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice, que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts comme 100 façons de disparaître, Les chemins de désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste. On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques, sur notre système de santé, et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste, essayiste et journaliste Claire Richard.

Notre 2e invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD 1629, ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, il s'était déjà attaqué à la piraterie avec Long John Silver, une série de BD rendant hommage au célèbre héros de l'Île au Trésor. Il est aussi l'auteur du 3e Testament, du Château des animaux et a contribué au retour en librairie de Goldorak, ainsi que des Brigades du tigre au cinéma. On le retrouve aux manettes des séries WEST, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur XIII et Thorgal. Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.


Qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirates ?
En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?
Comment ces récits explorent les thèmes de domination et de classes sociales ?

C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

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Crédit photos : Léa Schneider / @lea__sc


Pirate Ship at Bay w.out Seagulls.wav by CGEffex -- https://freesound.org/s/93677/ -- License: Attribution 4.0

AMBIENCE PORT PIRATES.wav by Elenalostale -- https://freesound.org/s/648593/ -- License: Creative Commons 0


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Mike Cesneau

    Nous sommes en 1870 à la Nouvelle-Orléans. Sentant la mort approcher, une vieille maquerelle convoque sa fille préférée pour lui dicter ses mémoires. Elle profite de ses derniers instants pour rétablir la vérité sur sa vie, quitte à contrarier les historiens. Nous voici embarqués dans le récit incroyable de la célèbre pirate Anne Bonny.

  • Yannick Lejeune

    D'abord diffusée sous forme de fiction audio sur Arte Radio. La dernière nuit d'Anne Bonny est aujourd'hui adaptée en bande dessinée par le dessinateur Alvaro Ramirez et par son autrice que nous avons la chance de recevoir dans cet épisode. On lui doit de nombreux podcasts diffusés sur Arte Radio, Binge et Radio France comme Cents façons de disparaître, Les chemins du désir, Blanc comme neige et Le Télégraphe céleste.

  • Mike Cesneau

    On lui doit également plusieurs ouvrages sur l'impact des technologies numériques sur notre système de santé et sur les Young Lords, les Black Panthers latinos qui luttèrent pour le progrès social à New York dans les années 70. Nous sommes heureux d'accueillir la scénariste essayiste et journaliste Claire Richard.

  • Yannick Lejeune

    Notre deuxième invité est lui aussi familier des récits d'aventures en haute mer. Cette fois, il nous amène à bord d'un navire marchand en partance pour l'île de Java. À son bord, un équipage issu des bas-fonds d'Amsterdam et assez d'or pour exciter les plus folles convoitises.

  • Mike Cesneau

    C'est à l'occasion de la sortie du tome 2 de sa BD intitulée 1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta que nous recevons son scénariste. En 2007, ce dernier s'était déjà attaqué à la piraterie en signant Long John Silver une série de BD rendant hommage aux célèbres héros de l'île au trésor.

  • Yannick Lejeune

    Il est également l'auteur, entre autres, de célèbres bandes dessinées comme le Troisième Testament, le Château des animaux inspiré de George Orwell et a contribué à l'épique retour en librairie de Goldorak ainsi que des Brigades du Tigre au cinéma.

  • Mike Cesneau

    On le retrouve également aux manettes des séries West, Undertaker, Les Sentinelles et en successeur de Jean Van Hamme sur les séries XIII et Thorgal. Enseignant le scénario à la Fémis et à l'école Émile Cohl, il participe à de nombreux projets pour la télé et le cinéma en tant que script doctor.

  • Yannick Lejeune

    En 2020, il est même recruté par le ministère des armées pour intégrer la Red Team. un groupe de 10 auteurs de science-fiction chargés d'imaginer les futures crises géopolitiques qui pourraient mettre en danger la nation.

  • Mike Cesneau

    Nous sommes heureux d'accueillir Xavier Dorison.

  • Yannick Lejeune

    Alors, qu'est-ce qui fait une bonne histoire de pirate ?

  • Mike Cesneau

    En quoi les navires ou les îles désertes sont de bonnes arènes pour un huis clos ?

  • Yannick Lejeune

    Comment ces récits explorent-ils les thèmes de domination de classes sociales ?

  • Mike Cesneau

    Quelles sont les forces de la BD et du format audio pour raconter ces grandes aventures humaines ?

  • Yannick Lejeune

    C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que nous répondons dans cet épisode.

  • Mike Cesneau

    Raconteuses et raconteurs, bienvenue à bord de la Machine à écrire, le podcast de celles et ceux qui créent des histoires.

  • Yannick Lejeune

    Je suis Yannick Lejeune.

  • Mike Cesneau

    Et je suis Mike Cesneau.

  • Yannick Lejeune

    Générique Moussaillon !

  • Xavier Dorison

    Bonjour. Bonjour.

  • Yannick Lejeune

    Bonjour. Comme première question pour notre podcast, on a l'habitude de poser qu'est-ce qui fait une bonne histoire ?

  • Claire Richard

    Quand je pense à ce que je trouve être une bonne histoire, c'est un bon personnage. Un univers singulier et un personnage. Un personnage complexe, un personnage avec des tessitures. Et je pense, même si bien sûr il y a des questions dramaturgiques, il faut qu'il y ait quand même quelque chose qui se passe, il faut qu'il y ait quand même de l'action, il y a la question de la tension, etc. Mais pour moi ça tient vraiment à cette... odyssée qu'on va faire en suivant un personnage dans toute sa singularité, ses contradictions, ses complexités.

  • Xavier Dorison

    Pour moi, ce qui fait une bonne histoire, c'est juste que je ne suis pas la même personne entre le moment où j'ai commencé à la lire, on va la voir, et après avoir terminé. Et si je me place plutôt en donc scénariste, les critères, ils sont relativement à la fois simples et compliqués. Simple parce qu'ils se résument facilement. D'abord, moi, j'espère qu'un sujet, il y ait quelque chose d'ironique, c'est-à-dire quelque chose d'amusant, de surprenant, qui vienne titiller ma curiosité. Je suis très attentif au fait que le problème... qui va être posée dans l'histoire, amène le personnage principal à se transformer. En gros, chez DreamWorks, par exemple, ils disent Prenez un personnage et faites que ce soit la dernière personne au monde à pouvoir résoudre le problème qu'on va lui proposer. Donc ça, c'est toujours intéressant de voir comment cet écart est posé. Et puis le troisième point, qui est aussi simple à définir, mais compliqué à faire, c'est que, pour moi, une bonne histoire, c'est une histoire qui pose un débat moral, dans les deux possibilités, de victoire et de défaite, que va poser le sujet. Qu'on comprenne bien que la victoire correspond à une valeur morale, la défaite à une autre valeur morale, mais que ce n'est évidemment pas le bien ou le mal. C'est deux valeurs intéressantes, deux valeurs nécessaires, et pourtant il va falloir trancher.

  • Yannick Lejeune

    Claire, pour commencer, est-ce que tu peux nous pitcher la dernière nuit d'Anne Bonny ?

  • Claire Richard

    La dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de la pirate Anne Bonny, donc une pirate femme qui a existé, ça on le sait, au XVIIIe siècle. Et dans cette histoire, on la prend à la toute fin de sa vie, elle a 80 ans, c'est une mackerel qui a beaucoup de succès, elle a la Nouvelle Orléans, et elle croise la mort dans une des rues qui lui dit qu'elle n'a plus qu'une nuit à vivre et qu'il faudrait qu'elle mette en ordre ses affaires. Et mettre en ordre ses affaires, ça va signifier transmettre son bordel à la fille qu'elle préfère, qui s'appelle Apolline. et surtout rectifier l'histoire de sa vie. Elle estime que ça a été mal raconté. Et donc, la dernière nuit d'Anne Bonny, c'est l'histoire de comment une petite fille bâtarde en Irlande est devenue une pirate au XVIIIe siècle. Mais c'est aussi l'histoire, à travers tout un tas de jeux métafictionnels sur lesquels on pourra revenir, de comment cette histoire a été racontée.

  • Yannick Lejeune

    À la base, c'est un podcast. C'est devenu une bande dessinée. Comment ça s'est fait, ce plomb ?

  • Claire Richard

    Alors ça s'est fait d'une façon assez simple parce que je travaille avec une agente qui s'appelle Karine Lanini et que le podcast est un écosystème dans lequel la question des adaptations se pose assez souvent. Et donc, on a envoyé le script qui était très avancé aux éditions du Lombard, à l'éditrice Elisa Roux. Et après, je pense que plus profondément, en fait, il y a un lien assez organique entre l'écriture pour le podcast et l'écriture pour la BD parce qu'écrire une fiction... plein de façons d'écrire de la fiction en podcast. Mais en tout cas, la façon dont moi je le fais, c'est beaucoup découpé par scènes. Il y a des narrations qui sont assez fortes, il y a déjà des dialogues, il y a déjà des personnages. Et après, moi-même, si j'écris pour le son, souvent, j'ai quand même une imagination très visuelle. Et du coup, le passage à la BD, en fait, c'est fait comme ça, mais d'une façon qui était en fait assez naturelle, même si c'était ma première expérience.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, même exercice, est-ce que tu peux nous parler de 1629 ou l'effrayante histoire de Naufragé du Jakarta ?

  • Xavier Dorison

    D'abord, il faut savoir que c'est diptyque, puisqu'il s'agit de deux mondes dessinés et tirés d'une histoire vraie. Et cette histoire commence donc, comme le titre l'indique, en 1629, où le plus grand navire de la compagnie hollandaise des Indes orientales, le Jakarta, se retrouve chargé de la plus grosse cargaison d'or peut-être de l'histoire, puisqu'il s'agit quand même d'aller corrompre l'empereur de Java, donc la compagnie a mis les moyens. Et à bord de ce navire, qui est en réalité une poudrière, puisque son équipage est essentiellement constitué de criminels, de gens recrutés de force, ou de gens qui fuient la loi, on fait venir... Deux personnages qui vont au cœur de cette histoire. D'une part, une jeune femme qui s'appelle Lucretia Hans, qui est une femme de l'aristocratie des Provinces-Unis, comme on dit à l'époque. Et elle, son but, c'est juste d'obéir à son mari et de rejoindre Java pour l'accompagner dans le cadre de son activité à lui, qui est une plantation d'esclaves. Une plantation dans laquelle œuvrent des esclaves. Et on va suivre là un deuxième personnage, qui est le numéro 2 à bord, qui s'appelle Jéronymus Cornelius, qui est un apothicaire. C'est l'élite de la société à l'époque, ces gens-là. C'est un homme cultivé, intelligent, fin, qui fuit en fait la loi également. Et lui, il n'a qu'un seul objectif, qui n'est pas de faire que le bateau arrive à destination, mais de capter la cargaison, la voler, mettre en place une mutinerie et tuer le reste de l'équipage. Et la seule personne qui va en fait se dresser face à lui est cette jeune femme, Lucretia Hans, aidée par un marin qu'on découvrait qui s'appelle Vip Hayes. et ce sont les deux qui vont sentir venir le plan machiavélique de Géronimus. Ce sont eux qui vont lui tenir tête. Le premier opus raconte comment Géronimus met en place son plan, comment Lucretia, Vibhaze et quelques personnages vont les suivre et tentent d'y mettre fin. Le navire finira par échouer, ce qui est dans le titre, je ne spawne rien. Et le deuxième épisode raconte comment ces personnages vont arriver sur une île, être naufragés. Tous les naufragés croient qu'ils sont sauvés puisqu'on est allé chercher du secours et puisque, somme toute, celui qui les gère est l'homme maintenant qui est le chef. Un contesté, c'est Jéronimus, et on a donc 300 naufragés qui se trouvent sous les ordres d'un psychopathe qui a tenté une mutinerie dans l'épisode d'avant.

  • Mike Cesneau

    Comment t'es tombé sur cette histoire qui, tu disais, s'est inspirée de faits réels ? Qu'est-ce qui t'a inspiré et pourquoi ça t'a intéressé d'écrire dessus ?

  • Xavier Dorison

    Alors je suis tombé dessus par hasard, comme d'habitude. Dans un contexte assez amusant, j'étais à Cuba, et je me retrouve un jour dans une toute petite maison, comme on peut louer là-bas, enfin on va chez des habitants, au bord d'une plage, et par véritablement une nuit tempête, je suis sous l'énorme haut vent de... cette maison et là je découvre que des touristes qui sont passés avant moi ont laissé des livres. Je découvre un petit recueil d'histoires, tout petit, qui racontent ces histoires. Et donc là, en plein milieu de la nuit, avec les éclairs, la tempête, un cigare au miel, parce que c'est ce qu'on fait à Cuba, je découvre cette histoire et d'emblée elle me parle, d'abord parce qu'elle est pleine d'aventures, de voyages, de marines, c'est un univers, une arène que j'aime énormément, mais il y a plusieurs choses qui me fascinent dedans. La première... Bien sûr, la découverte de l'univers réel de ce qu'était la compagnie hollandaise des Indes orientales et la nature réelle de ses voyages. La deuxième chose, c'est de voir comment cette femme, totalement soumise à son époque, à son milieu, à son mari. Vous imaginez qu'elle part dans ce voyage le jour où elle vient de perdre son dernier enfant. Elle part au milieu des funérailles parce qu'elle a reçu la lettre qui lui dit part tout de suite Donc c'est vraiment une femme totalement soumise et qui, à travers un périple d'horreur, va curieusement trouver sa liberté et son indépendance. Donc ça, ça m'intéressait. Et puis le dernier point qui vraiment m'a frappé, c'est le renversement de la dictature, quelque part dans cette histoire. C'est-à-dire qu'on part d'une première partie où la dictature, où l'autoritarisme est assuré par les représentants des officiers et de l'avocat sur une grande partie du navire. Et donc vous avez peu d'hommes qui ont énormément de pouvoir sur beaucoup. En gros, une trentaine d'officiers, une quarantaine d'officiers ont le pouvoir, un pouvoir extrêmement violent, sur plus de 250 membres d'équipage qui sont dans les cales. Et tout se renverse. lorsqu'on arrive dans l'île, où ce sont une 25, plus 30, plus 50 mutins qui vont avoir tout pouvoir sur tous les gens qui sont restés sur cette île. Et c'est ce rapport à la soumission, à la violence, comment l'ensemble d'un groupe se soumet à une autorité pourtant minoritaire, qui m'a beaucoup intéressé aussi dans cette histoire.

  • Yannick Lejeune

    Claire, comment as-tu rencontré Anne Bonny, toi ?

  • Claire Richard

    Alors moi, j'ai lu l'histoire d'Anne Bonny dans l'histoire des femmes pirates, que j'ai lu un peu par hasard, parce que j'ai de nombreuses... curiosité en suivant un vortex. Et en fait, ce qui m'a intéressée au début, comme tout le monde, puisque c'est pas une figure inconnue pour le coup, Anne Bonny, des amateurs de piraterie, c'est effectivement ce côté très romanesque d'une femme au XVIIIe siècle qu'on retrouve sur un bateau de pirates lors des procès de piraterie qui s'y aident en 1725. Ma première question, quand même, c'était de me dire au XVIIIe siècle, à une époque où il n'y a pas de livres, il n'y a pas de romans, il n'y a évidemment pas de réseaux sociaux, pas de films, etc. Comment c'est possible qu'une petite fille née en Irlande se retrouve 20 ans plus tard, à l'autre bout du monde, sur un bateau de pirates ? cœur d'un monde absolument inconnu pour elle. Et donc moi j'avais cette première question qui m'intéressait qui était c'est quoi la suite, dans un contexte historique très défavorable aux femmes évidemment, c'est quoi la suite des événements de sa vie qui ont rendu ça possible ? Donc ça c'était une première curiosité. Et ensuite en me documentant, je me suis aperçue assez vite que beaucoup de choses sur Anne Bonny étaient répétées dans tout un tas d'histoires, mais que si on allait chercher les sources historiques, en fait il n'y en avait vraiment quasi pas. C'est-à-dire il y a deux documents, il y a un registre paroissial en Irlande. Et ensuite, en 1725, elle éregistre des procès de piraterie qu'on peut trouver sur Internet, merveille d'Internet. Et là, il y a juste une ligne. C'est l'équipage du pirate Rackham est condamné, deux femmes sont déguisées en hommes et on sursoit leur exécution. Et en fait, c'est tout. Et par contre, évidemment, il y a tout un tas de récits autour. Donc là, j'ai suivi, je suis remontée à la source de ces récits, pareil, ce n'était pas très compliqué à faire. Et c'est cette fameuse histoire générale des pirates, donc un best-seller du XVIIIe, qui constitue la source de la majorité de l'imaginaire de la piraterie. Et en lisant le chapitre consacré à Anne Bonny, une fois de plus... tout est en ligne, merveilleux, de Gallica, en fait, ça saute aux yeux que Johnson, il a vraiment inventé les trois quarts du chapitre. Puisque, sur, je sais pas, 15 pages, il passe 10 pages à raconter un vaudeville hyper complexe pour raconter sa naissance illégitime, avec un mari cocu, une femme cocu, une servante coquine, des amants, etc. Donc, en fait, il n'y a aucune configuration dans laquelle quelqu'un lui a raconté ça. Et en fait, c'est ce jeu de décalage qui a commencé à vraiment m'intéresser, parce qu'au début, je me disais, bah, fascinante figure, mais il y a mille récits, donc pourquoi... Pourquoi en faire un mille et unième ? Et en fait, c'est ce jeu de décalage entre ce que dit Johnson, bien évidemment, avec l'idée de faire monter les ventes. Il en crée et un imaginaire misogyne, puisque vraiment, c'est une traînée, et aussi un imaginaire un peu salace. Et c'est de jouer sur cet écart entre les sources et ce récit-là. Et après, en creusant cette question de l'écart, j'ai lu beaucoup de choses sur la piraterie, qui m'avaient déjà un peu intéressée à une autre période de ma vie. Et en fait, c'est pareil, là, je retrouvais cette question d'interprétation différente, de ligne de faille, avec des historiens qui considèrent les pirates comme des révolutionnaires, d'autres qui disent non, en fait, c'était des hommes pragmatiques. Et en fait, c'est le mélange de toutes ces contradictions et de cette question centrale qui est comment une petite fille devient une femme pirate et des filles, pour le dire avec des mots un peu banals, mais quand même les cadres de vie qui lui étaient promis, qui a fait le moteur d'écriture.

  • Yannick Lejeune

    Comment vous avez géré toute cette partie recherche ? Je sais, Xavier, toi, tu... Tu travailles beaucoup en amont sur ces parties-là. Je me souviens, quand tu faisais HSE, tu m'avais demandé de relire une partie du scénario sur l'informatique pour que ça soit juste. Là, comment tu as fait pour t'assurer que tu n'allais pas délirer trop loin et en même temps pour conserver une partie dramatique qui n'est probablement pas dans les livres d'histoire ? Comment tu as mené ta recherche ?

  • Xavier Dorison

    C'est l'aventure du Batavia, puisque le Batavia, c'est le nom de Jakarta, est relativement documenté. C'est une histoire qui est très connue aux Pays-Bas. Il y a même un musée. Il y a le musée de l'Elichnacht, qui est juste à côté d'Amsterdam, dans lequel on peut voir une réplique du navire. Il y a plein de documents. Un des survivants, qui était le sub-regard, c'est-à-dire le représentant officiel de la compagnie hollandaise, qui s'appelait Francisco Pelsart, a survécu. Parce que c'est lui qui est allé chercher des secours à Java. Et lui, il a eu un procès. Et donc, dans ce procès, il a tout consigné. Donc,

  • Yannick Lejeune

    il y a les minutes du procès.

  • Xavier Dorison

    Donc, on a les minutes du procès, on a les archives de la Vogue. Et puis, il y a beaucoup de livres d'histoire qui traitent du sujet. Après, moi, je ne suis pas historien. Donc, mon but, c'était d'être fidèle à un certain nombre de points historiques et en même temps, d'apporter, c'est ce qu'on demande à un scénariste adaptateur, c'est d'amener son regard. Donc, c'est de temps en temps changer des fonctions de personnages, de temps en temps ajouter peut-être des choses qui n'existent pas. Et vraiment, j'ai eu un gros travail à faire qui a été de couper. un certain nombre de scènes qui étaient, je pense, dramatiquement hyper intéressantes, mais qui étaient d'un niveau de violence et d'horreur que même à lire, était à la limite du supportable. Et je n'avais pas forcément envie d'aller là. L'histoire est déjà suffisamment romanesque pour que je n'ai pas besoin, à ce point-là, d'exacerber l'horreur.

  • Mike Cesneau

    Et comment tu places le curseur, justement, sur ces parties-là ? Où tu sais que c'est vrai, donc ça pourrait tout à fait servir ta dramaturgie. Comment tu sais à quel moment ça va trop loin pour l'équilibre de l'histoire ?

  • Xavier Dorison

    Alors, c'est... C'est vrai que c'est un exercice périlleux parce que, évidemment, en tant qu'individu, on n'est pas là pour faire mal aux gens, on n'est pas là pour les malmener, mais en tant que scénariste, on est là pour être un peu sadique, bien sûr. On est là pour être sadique avec nos personnages, surtout sadique un peu avec nos lecteurs, pour les faire vibrer. Et donc, il ne s'agit pas de se dire, oulala, c'est moche, on ne va pas en parler, vous êtes trop prudes, bien sûr. Et en même temps, moi, j'ai une sorte de signal d'alarme qui me dit à un moment, cette scène-là et l'horreur de cette scène ne correspondent pas au ton général de l'œuvre. Un exemple tout simple. Il y avait un pasteur qui a survécu, il avait cinq enfants. Une de ses filles était convoitée par un des mutins. Donc il a dû accepter sur l'île qu'elle se marie avec lui. Et Jérôme de Muscouine invite, pour fêter le mariage, à dîner dans sa tente, le père, la mère, la jeune mariée, le mari lui-même. Pendant qu'il les invite à dîner, il envoie le reste de ses hommes massacrer les quatre autres enfants du pasteur. C'était des enfants dont l'âge allait de 6 à 13 ans. Ils sont à table. Ils sont avec le criminel, Jérôme Némus qui a donné l'ordre de faire cette exécution. Ils entendent les hurlements des enfants. Et on est en train de leur servir l'entrée. Est-ce que vraiment j'ai envie de raconter ? Alors pour nos auditeurs, oui. Mais moi non, ça allait beaucoup trop loin. Et puis donc j'ai décidé de changer le sort de cette famille, même s'ils ne vont pas passer un bon moment. Par exemple dans l'histoire, il y a des moments de pur sadisme. Les mutins à un moment dans cette histoire s'ennuient. Bon, donc je dis, si on va torturer des gens, c'est drôle. Ça va nous occuper. Je n'ai pas eu envie de traiter ça. J'ai traité le fait qu'ils s'amusaient avec leurs prisonniers. donc le message y est, le sens y est et je ne vais pas jusqu'à trifouiller dans la plaie des salles des personnages comme des lecteurs Toi Claire,

  • Yannick Lejeune

    dans le podcast et dans la bande dessinée, il y a une scène de procès assez longue qui permet d'essayer de confronter la réalité et sa vision à elle mais il y a aussi des historiens qui sont incarnés, qui parlent ou qui sont dessinés et qui se disputent sur l'interprétation de l'histoire est-ce que tout ça c'est réel ? ou est-ce que c'est l'autrice qui fait part de ses propres débats internes ?

  • Claire Richard

    Alors ces historiens qui interviennent de temps en temps dans la narration pour la commenter, c'est deux personnages qui vont incarner deux positions d'analyse possibles par rapport à l'histoire d'Anne Boilly. Donc il y a une historienne qui va plutôt être féministe, plutôt axée en gros sur ce qu'on pourrait dire de façon un peu caricaturale, les femmes puissantes, faire revivre les figures oubliées de l'histoire quitte à en faire un peu trop. quitte à les glorifier de façon un peu exagérée, et un autre historien à l'ancienne, qui serait plus marxiste en gros, qui pense que la question c'est la classe, et qu'on en fait trop avec cette figure, et qu'il faut coller plutôt à la réalité historique. Et en fait, moi c'est deux positions qui existent, même si l'historienne est un poil caricaturale, parce qu'en vrai, les historiennes féminines sont plus subtiles que cette historienne, et je pense qu'à travers elle, j'avais un peu envie de régler mes comptes avec une certaine industrie de la figure de la femme puissante qui me fatigue un peu, parce que je la trouve... pas si intéressantes que ça au final. Mais par contre, ils vont s'affronter par exemple sur la vision de l'esclavage, ils vont s'affronter sur la probabilité qu'Anne Bonny ait pu par exemple tirer à bord. Donc l'historien dit mais c'est impossible, de toute façon il y avait très peu de femmes à bord, et puis en plus quand il y en avait, vraiment elle reprisait les voiles. Et l'autre dit oui souvent, mais en fait ça ne veut pas dire que c'était pas possible. Et en fait, quelque part, les deux ont raison et c'est pas tranché, et c'est ça qui m'intéressait, c'est vraiment de faire vivre cette contradiction. Mais du coup les deux viennent de tout un tas de lectures, d'analyses historiques, parce que j'aime bien ça, Et quand même, effectivement, d'ailleurs, c'est l'historien Grognon, qui est en fait celui dont je me sens le plus proche, en vrai. Mais lui, il vient vraiment d'un article que j'ai lu, d'un historien de Floride, un historien local, et qui lui, vraiment, à un moment de l'histoire d'Anne Bonny, donc elle a rencontré un marin, etc. Et ils partent, ils s'enfuient vers l'île de Providence, qui est la république des pirates, l'île où sont tous les pirates. Et dans l'histoire de Johnson, là, elle se met à coucher avec tout un tas de gens et elle rencontre Jack Rackham. Cette historienne locale disait N'importe quoi, de toute façon, très probablement, elle s'est prostituée. Enfin, c'était l'activité principale pour les femmes. Et cette figure le gonflait. Et en fait, c'est là où j'ai imaginé le personnage de Tout s'est mis en route Mais ce qui m'intéresse, c'est moins de dire Elle, c'était ça ou C'était ça plutôt que de faire vivre cette contradiction autour de la légende, de la figure de la légende.

  • Mike Cesneau

    D'ailleurs, c'est intéressant parce que dans le podcast, quand les deux historiens vont chacun donner leur point de vue... Des fois, il y a Anne Bonny elle-même qui prend la parole et du coup, elle se situe dans un entre-deux. Et ça donne après au récit fictionnel un peu plus d'authenticité parce qu'on a l'impression que c'est la vraie personne qui parle. Et ça rend la narration encore plus palpitante.

  • Claire Richard

    C'était un peu toute la difficulté. C'était à la fois d'avoir cette dimension méta qui, moi, déjà m'amusait, qui constituait un vrai ressort d'écriture parce que... aussi pour plein de raisons, de contrastes, de changements de plans, de rythmes, ça amenait énormément de choses. Et puis aussi, ça permettait de justifier l'idée de faire la énième histoire d'Anne Bonny. Et en même temps, j'aime bien les réflexions métables et je déteste qu'en fait, quand une fiction lève le rideau et dit Eh non, tout ceci n'était qu'une illusion ! Vraiment, je déteste qu'on m'enlève ce plaisir de lecture, de spectatrice, d'auditrice. Et donc toute la question, c'était de comment faire pour avoir ces décrochages et en même temps, ne quitter pas l'espace de la fiction. Et en fait, au final, de dire Finalement, c'est la fiction qui triomphe dans tout ça, malgré ces décrochages-là. Et donc, le fait qu'Anne Bonny puisse leur répondre, c'était à la fois, je parle d'un truc qui vient dans l'écriture aussi, où le personnage qui est assez drôle, qui répond beaucoup, ça venait assez naturellement, mais c'était aussi une façon comme ça de reprendre, comme on reprendrait comme ça dans un pli ou une couverture, tous ces décrochages dans le grand espace de la fiction, et dire en fait, c'est elle qui a raison.

  • Yannick Lejeune

    Xavier, dans tes nombreux succès, tu as Long John Silver, une série de bande dessinée inspirée du personnage de Stevenson. Le personnage que tu en as fait est un personnage... droit, très réaliste, un peu meneur. C'est pas du tout un personnage parodique. Alors j'ai deux questions. La première question, c'est qu'est-ce qui fait que toute cette histoire d'aventure maritime, de la fin du XVIIe, du début du XVIIIe, est une bonne arène pour raconter des histoires ? Et la deuxième, c'est pourquoi est-ce que t'aimes pas du tout, ça rejoint un peu ce que vient de dire Claire, le côté parodique, par exemple, d'un pirate des Caraïbes, dont je sais que c'est pas trop t'accable en termes d'histoire de pirate ?

  • Xavier Dorison

    Premier préambule quand même, ma réponse, c'est que là on met en parallèle 1629 et London Silver, et certes, Dans les deux histoires, il y a des bateaux. Certes, dans les deux histoires, il y a des sabres, mais ça n'a vraiment rien à voir. L'Ungeon Silver est complètement du côté de l'histoire mythologique. En fait, c'est une mythologie. Tout ce qui est raconté là n'a rien à voir avec la réalité. J'entends réalité historique, pas forcément réalité humaine. C'est un autre sujet. Alors que 1629, bien sûr, est très ancré dans la réalité. L'Ungeon Silver est une histoire de pirates. 1629, c'est une histoire d'abord de mutinerie et ensuite de naufragés. C'est trois genres, mutinerie, naufrage, pirates, qui n'ont rien à voir. dans leurs raisons, dans ce qui les soutient. Ensuite, ce qui est de l'arène, moi, je ne sais pas pourquoi, j'ai une fascination pour les histoires qui se passent en mer et pour la mer. C'est marrant parce que j'ai le mal de mer. Heureusement, il y a la scopolamine. Ça me permet de faire des trajets en bateau.

  • Yannick Lejeune

    Regarde l'horizon.

  • Xavier Dorison

    Avec un bon patch de scopolamines, on ne tient pas trop mal. J'adore. D'ailleurs, j'adore la mer, mais quand on n'est pas trop loin des côtes. C'est-à-dire, la pleine mer ne m'intéresse pas tellement. par contre être à côté de la mer on est dans cette sorte de position d'observateur et pas dans la position où on est perdu je sais pas je me sens bien là la mer me fait un effet en tant que scénariste je suis désolé si la réponse est pas très rationnelle mais moi quand je suis au bord de la mer quand je suis sur une plage, quand je vois de l'eau je sais pas pourquoi ça me donne des idées, ça me donne envie d'y être ça me donne je sais pas un sentiment de liberté un sentiment d'évasion, une possibilité d'être en marge, d'être à côté, d'être en observateur ce qui je crois me correspond assez bien à cette position là et donc j'ai beaucoup d'histoires qui tournent autour de la mer avec des sous-marins, avec des bateaux. Et donc, naturellement, la piraterie, par exemple, typiquement telle que celle de Lone John Silver, m'offre un univers d'évasion. Et je l'ai d'ailleurs écrite au moment où je sortais de l'écriture d'un long métrage qui était celui des Brigades d'Uti que j'avais écrit avec Fabien Nury, où on en avait bavé avec toutes les contraintes de fabrication et tout ce que ça peut représenter de faire un film. Et vraiment, j'avais besoin de souffler, de m'amuser, j'avais besoin de grands espaces, etc. Et vraiment, de ce point de vue-là, la piraterie correspond parfaitement parce que... Au cœur de la piraterie, il y a cette idée, cette utopie en fait, d'un groupe d'hommes ou de femmes qui décident de se faire leur propre loi, leur propre univers sur leur bateau. Moi, j'appelle ça aussi le syndrome Nautilus. C'est-à-dire, on a notre sous-marin, on a notre lieu, et ici, on va se refaire notre cité, on va se refaire notre vie. Et comme on bouge tout le temps, on est loin du nôtre. Moi, cet univers me parle et je pense continuer à fasciner un certain nombre.

  • Yannick Lejeune

    Ce que vient de dire Xavier, c'est ce qu'on retrouve dans le destin d'Anne Bonny, finalement, c'est cette fille illégitime. dont on a tracé un peu un destin de mariage forcé qui d'un seul coup achète sa liberté en devenant pirate. Femme de pirate d'abord, puis pirate elle-même. C'est ce qui t'intéressait là-dedans ?

  • Claire Richard

    Ouais, effectivement, il y avait à la fois comme ce que tu évoquais, en fait, un désir de faire quelque chose de très joyeux, parce que j'avais avant bossé sur le porno, des questions très féministes. Et donc là, j'avais envie de faire un truc où je m'amusais, donc quelque chose d'ancré immédiatement dans un genre. Et la piraterie, en fait, ça évoque tout de suite des codes, des images, des moments. Donc j'avais vraiment envie de m'amuser là-dedans. Et après, moi, ce qui m'a le plus touchée, c'est la question de libération, en fait. de façon générale, à la fois comme ces utopies, comme tu le disais très bien, ces idées de faire des contre-sociétés à bord de tout petits espaces c'est les bateaux sur la mer d'ailleurs dans un temps dont les pirates eux-mêmes savent qu'il est limité, ils savent que de toute façon ça va mal finir, c'est quand même toujours le cas, et après quand même cette question de la libération d'un personnage,

  • Yannick Lejeune

    moi c'est quand même les histoires que j'aime le plus écrire et de personnages féminins Je reviens à ma question sur les pirates des Caraïbes je crois que t'aimes pas trop la partie parodique de toutes ces...

  • Xavier Dorison

    J'aime pas trop d'abord si elle plaît à certains et certains ils l'en feront libre à eux. Mais moi elle me plaît pas trop parce que d'abord c'est peut-être aussi ce que disait Claire tout à l'heure c'est que moi j'aime pas quand on me raconte une histoire et qu'on me fait un clin d'oeil en permanence pour me dire, au fait, vous y croyez pas moi non plus. Déjà ça, ça m'exaspère. Ensuite, Pirates des Caraïbes au départ c'était une attraction. Mais c'est resté une attraction. C'est jamais rien d'autre. C'est-à-dire que ce sont des stimuli fantastiques, beaucoup de fantastiques ou des stimuli de scène. qui sont là pour faire que le spectateur reste accroché. Mais dans le fond, c'est d'une vacuité totale. C'est souvent... Enfin, moi, je m'ennuie à mourir, en fait, pour dire les choses, simplement, quand je vois ça. Mais c'est marrant parce que c'est un film qui est très représentatif d'une évolution plus générale du film de divertissement qui a été, dans les années... Début des années 80, un genre de film... Enfin, 70, début 80, en tout cas, c'est un genre de film où on faisait de l'aventure pour l'aventure, mais où on essayait, en tout cas, de mettre une structure, on essayait de mettre un sens. une évolution de personnages, etc. Et où on est passé à littéralement une industrie cinématographique qui est en fait devenue elle-même un parc de loisirs. Donc on fait des rides. Et si on compare de ce point de vue-là, ça peut être les premières histoires de pirates et pirates des Caraïbes, mais on pourrait le faire par exemple avec Star Wars, ce serait intéressant. On comparerait l'Empire contre-attaque et épisode 3. Vous avez le même cheminement où on passe du conte de divertissement mais intelligent à une grande pub pour les jeux vidéo et les jouets qui sortiront derrière sans cohérence ni profondeur. Donc effectivement, tout ça me déçoit un peu, mais ça n'empêche pas de marcher.

  • Mike Cesneau

    C'est quoi dans les histoires de pirates ou de bateaux ou d'univers maritimes d'époque et tout qui te plaisent le plus ?

  • Xavier Dorison

    C'est une question difficile, je vais y répondre, mais je précise que c'est une question difficile parce que le genre pirate en cinéma est un genre où finalement il y a peu de chefs-d'oeuvre. Moi, j'adore évidemment la première version de Lilo Trezor, je trouve magnifique, puisqu'en fait, elle reprend en plus, par ses plans, ses cadrages, les peintures de Nancy Wyatt. J'ai une petite tendresse, quand même, pour le pirate de Polanski, mais grosso modo, je ne vais pas acheter le corsaire rouge, je ne vais pas acheter Barbe Noire, tout ça, on ne me parle pas. Et moi, je retrouve par exemple de la piraterie, vous allez me dire mais c'est loin, et pourtant non, dans African Queen, par exemple. Parce que dans African Queen, Humphrey Bogart et Catherine Hepburn ne sont évidemment pas des pirates, mais leur voyage, leur itinéraire, en marge de la société, en marge de la religion, dont elle vient en marge de la guerre est en fait pour moi un type de voyage pirate. Et toutes les histoires qui racontent les tentatives pour des gens de créer leurs univers sont plutôt celles que je suis allé regarder.

  • Mike Cesneau

    Et dans les histoires de naufragés, est-ce qu'il y en a certaines qui t'ont aussi inspiré ?

  • Yannick Lejeune

    Le lagon bleu.

  • Mike Cesneau

    Sans filtre ? Peut-être, je pense à ça.

  • Xavier Dorison

    Non, je n'ai pas revu le lagon bleu. Bien sûr que j'ai regardé The Island. Non, il n'y a pas tant. J'avais pas... Par exemple, j'ai beaucoup regardé, évidemment, pour la première partie des versions du Bounty. Alors là, il y en a plusieurs. Celle de Milestone, bien sûr. Celle avec Marlon Brando. Et curieusement, j'aime beaucoup aussi celle avec Mel Gibson, qui a vraiment un charme, notamment par la musique. Mais la deuxième partie, j'avais assez peu d'ouvrages de référence. C'est curieux, il y a des histoires où j'ai une énorme filmographie qui m'aide à construire. Et là, je suis plutôt parti avec de l'histoire. Et je dois dire, là, c'est des livres de psychologie.

  • Yannick Lejeune

    Pour la dimension du huis clos social. Oui,

  • Xavier Dorison

    par exemple, j'ai revu... Alors, le livre s'appelle The Lucifer Effect, du professeur Zimbardo, et le film s'appelle... C'est Experiment... C'est Stanford Experiment. Milgram ? Non,

  • Yannick Lejeune

    c'est pas Milgram. Non, mais c'est... C'est pas loin, parce que... Ils ont bossé ensemble.

  • Claire Richard

    Ah oui, d'accord, ok.

  • Xavier Dorison

    L'expérience qui a été faite aux Etats-Unis, elle est très simple. Ils prennent un groupe, un grand groupe d'étudiants, diplômés, qui sont volontaires pour faire une expérience en sociologie. Ils coupent ce groupe en deux. à peu près en deux. Ils font des surveillants. Et des prisonniers. Et des prisonniers, absolument. Et ils sont prévenus qu'il y aura une expérience. Et un jour, la police, en service d'ailleurs, va arrêter les prisonniers, les soi-disant prisonniers, et les fait descendre, les ubander dans un couloir. de la faculté qui a été transformée, ils ont transformé la couleur en prison et tout est filmé. Ça devait durer 15 jours. Et le seul ordre qui est donné aux gardiens... c'est justement de maintenir l'ordre. On leur dit pas quand, comment, avec quels moyens et quelles limites. Ils ont arrêté l'expérience au bout de trois jours. D'une part, parce que quasiment la totalité des gardiens devenaient sadiques, et d'autre part, parce que la totalité, avec une exception notable, des prisonniers devenaient totalement soumis.

  • Yannick Lejeune

    Et aussi parce que l'équipe de chercheurs, et notamment celui dont tu as cité Zimbardo, a perdu son regard critique, tellement ils étaient fascinés par ce qui se passait. Ils ont perdu toute capacité scientifique à se détacher. ou à intervenir. Et du coup, ça a mal tourné.

  • Xavier Dorison

    Voilà. Donc, curieusement, je suis allé chercher ma documentation plutôt du côté de la sociologie et de la psycho. Il y a pas mal de documents qui parlent de ça. C'est revenu au devant de la scène, il y a eu des procès où des gens ont dit Mais moi, j'étais dans un système, notamment au moment de l'affaire de la prison d'Abou Graïb.

  • Yannick Lejeune

    Claire, tu as traduit des ouvrages qui parlent un peu de ce genre d'expérience ?

  • Claire Richard

    Oui, j'ai traduit. C'était il y a vraiment longtemps. C'était il y a 15 ans, je pense. Mais c'était sur l'expérience de 1000 grammes. Effectivement, c'était l'obéissance et la désobéissance à l'autorité, quelque chose comme ça, ouais. Et c'est assez similaire, en fait. C'est la question des, je crois...

  • Yannick Lejeune

    De l'électricité.

  • Claire Richard

    Ouais, voilà, des décharges croissantes que tu vas infliger.

  • Yannick Lejeune

    Ça donne un ordre jusqu'à quel point tu es prête à l'économie.

  • Claire Richard

    À quel point c'est modifié en fonction de si quelqu'un regarde ou pas, si tu es seule ou pas. Tu te sens plus ou moins responsable moralement, si tu es seule ou pas.

  • Yannick Lejeune

    Ça me fait une très bonne transition pour la question d'après. Vous avez tous les deux parlé de libération dans le chemin du... pirate, quelqu'un qui s'émancipe. Lucrèce, dont on a mentionné, va sortir un petit peu de sa condition pour se battre contre le tortionnaire. Toi, Anne, elle va sortir, mais au démarrage, j'ai l'impression que il y a un sujet de fond dans beaucoup de vos œuvres, chez Xavier, par exemple, dans Le Château des Animaux, c'est la soumission. C'est comment des classes s'affrontent dans un rapport de dominants-dominés. Dans le bateau, il y a les très pauvres et puis on va dire les soldats qui sont un peu plus riches. Est-ce que c'est un sujet qui vous intéresse particulièrement et que vous sentez revenir dans vos œuvres ? Ou est-ce que c'est le contexte qui fait ça ?

  • Claire Richard

    Je ne sais pas si c'est la soumission, mais j'ai l'impression que la question de la libération et de l'émancipation, elle se déroule dans un contexte, contexte dans lequel il y a des structures sociales, donc des relations de domination, des relations de classe. Et j'ai l'impression que c'est plutôt ça. Et après, ça va jouer à deux endroits. Soit... la question d'organisation politique, la question de comment on en arrive à résister, qu'est-ce que c'est une organisation collective de résistance, parce que dans un tout autre champ de mon travail, en plus en documentaire, en journalisme, j'ai fait beaucoup de choses autour de groupes politiques, d'organisations politiques, de comment ils s'organisent, donc ça c'est quelque chose qui m'intéresse, et c'est toujours dans un contexte de conflits, enfin de conflits de classes, de conflits de domination économique, de genre, de race, etc. Et après, un autre versant, et c'est peut-être à ça aussi que fait référence le mot soumission, mais c'est la façon dont ces structures de pouvoir dans lesquelles... les personnages sont imbriqués, nous sommes imbriqués, elles vont se traduire dans les subjectivités en fait, et donc dans les comportements, dans les relations interpersonnelles, dans même nos relations à nous-mêmes. Ces contradictions en fait, c'est à la fois le double mouvement de qu'est-ce qui libère, par quelle forme les gens se libèrent, soit individuellement, mais c'est rarement purement individuel, donc en lien avec qui et comment, très pratiquement comment en fait, comment ça se passe. C'est toujours un mélange de chance et de préparation quoi. Ça, je trouve ça un peu fascinant. C'est infiniment fascinant, quand même, comment les résistances fonctionnent et comment elles échouent. Et après, à un niveau personnel, dans quelle contradiction ça place et les personnages et nous. Et par exemple, Anne Bonny, donc ce personnage d'Anne Bonny qui est dans la BD, le fait qu'elle soit mackerel, au début, c'est venu un peu comme ça, un peu facilement, presque parce que j'aimais bien la Nouvelle Orléans et donc on imagine des bordels, une atmosphère un peu capiteuse et tout.

  • Yannick Lejeune

    Est-ce que c'est en lien avec le début des chemins du désir ?

  • Claire Richard

    Alors non, enfin pas consciemment. Après, peut-être.

  • Yannick Lejeune

    Allongez-vous sur ce qu'elle fait, parlons-en.

  • Claire Richard

    Le sexe. Non mais par contre, en fait, ce qui était important pour moi, c'est que, précisément, elle, elle se libère, mais l'instrument de sa libération finale, après la piraterie, qui la rend riche, qui la rend installée, c'est le fait d'exploiter d'autres femmes. Et ça, ça venait à la fois d'une réflexion sur la libération dans ce contexte, je me disais, en fait, au XVIIIe siècle, je ne pense pas qu'une sororité soit possible. En fait, elle est comme la marquise de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses, c'est-à-dire, elle a une trajectoire... flamboyante au sens de libération, mais en écrasant les gens autour. Parce que ça n'est pas trop possible autrement pour une femme à ce moment-là.

  • Mike Cesneau

    C'est plus qu'un manque de sororité. Elle le dit ouvertement qu'elle n'aime pas les femmes.

  • Claire Richard

    Mais parce que je me disais, c'est dans le contexte, en fait, la sororité, ça existe dans certains lieux très précis, très limités. Et donc, ça me semblait, pour le coup, un vrai anachronisme de penser ça. Donc, effectivement, après, je lui fais dire, moi, j'aime pas les femmes. Mais je trouvais ça intéressant.

  • Mike Cesneau

    Parce qu'elle a du mépris envers les gens qui ne veulent pas se libérer.

  • Claire Richard

    Voilà. Elle a une idéologie de la force. Elle a toute une mythologie de la force, quelque chose, alors je ne la pensais pas du tout dans ces termes, mais c'est un peu Nietzschean. C'est en gros, moi j'ai réussi à m'élever et c'est parce que je vaux plus, je suis meilleure. Et donc j'ai le droit d'exploiter toutes ces filles qui travaillent pour moi parce qu'elles sont faibles. Et ce qui m'intéresse, sans révéler la fin, mais ce qui m'intéressait, c'était cette tension. Donc ça n'est pas une pure figure glorieuse d'émancipation, elle le fait aux dépens d'autres gens. Et donc là, c'est là où on retrouve ces tensions autour du pouvoir et de la domination.

  • Xavier Dorison

    Moi je crois que ce qui est tragique, c'est pas tant ce qu'on va faire à un personnage ou ce qu'on nous fait, mais c'est ce que les personnages n'arrivent pas à faire pour eux-mêmes, ou ce que nous n'arrivons pas à faire pour eux-mêmes. Et donc, en termes de soumission, ce qui m'intéresse, c'est pas tant la soumission presque dans un sens marxiste, c'est-à-dire comment les groupes sociaux... où des systèmes vont soumettre les gens, mais plus comment des personnages vont arriver à se libérer de la soumission qu'ils ont en eux-mêmes. Et bien entendu, les soumissions que l'on a en nous-mêmes, nos propres limites, nos propres restrictions, elles sont renforcées, soutenues, encouragées par des systèmes, ce qui nous amène évidemment à écrire des histoires dans des arènes bien particulières. Mais ce sur quoi je vais essayer de mettre l'accent, c'est quelle est la soumission intérieure de mon personnage. Par exemple, dans 1629, la soumission intérieure de Lucégratia Hans, c'est de croire profondément qu'une femme est là pour se soumettre aux ordres, et c'est comme ça qu'elle s'en sortira. Et sinon, elle sera dans le beau drap. Et elle va découvrir que si elle ne fait rien, évidemment, ça va être pire encore. Et de la même façon, j'ai envie de dire, dans Le Château des Animaux, Miss B, qui est donc l'héroïne, est une mère de famille qui a évidemment comme objectif de protéger ses enfants et elle-même. Et donc, la première chose, c'est de se dire, je vais baisser les yeux, ne pas m'occuper de politique. Moyennant quoi... tout se déroulera bien. Et le schéma se reproduit dans les deux cas, c'est toujours la même chose, quand vous ne faites pas de politique, la politique vient à vous, comme les gardères. Et dans les deux cas, la mort se rapproche et la mort auprès des gens auxquels ils tiennent. Et donc ces gens-là vont devoir changer en interne, d'abord se dire que oui, ils peuvent changer les choses. Mais moi je crois profondément que rien ne bouge tant que ça ne vient pas de l'intérieur. Et donc, c'est forcément ça que, en tant que scénario, je vais aller regarder en premier.

  • Yannick Lejeune

    Quand on s'est rencontrés il y a fort longtemps, tu réfléchissais à ce qu'il y a se passer s'il y avait une troisième guerre mondiale. Je crois que tu bossais avec les préfets, des choses sur comment ça allait se bloquer et tout. Et après, t'as rejoint la red team du ministère des armées pour imaginer des scénarios futuristes de défense, j'imagine. Est-ce que t'as le droit de nous en parler ou est-ce que t'es obligé de tous nous buter à la sortie si tu nous racontes ?

  • Xavier Dorison

    Tu sais, les deux gars qui sont en train de réparer en barrique, en fait, c'est pas des réparateurs. Non, plus sérieusement, euh... effectivement j'avais commencé à travailler il y a quelques années avec un réalisateur qui s'appelle Jérôme Lemaire sur une série pour Fédération qui fait notamment le bureau des légendes qui s'appelait Insurrection et qui racontait comment une guerre civile, pour être précis se déclarait en France et amenait la France à être dans une situation on va dire proche de... enfin Paris devenait Beyrouth ou Sarajevo, Ausha bon ça s'est arrêté pour une raison assez simple c'est qu'on était en train de l'écrire et en plein milieu de l'écriture il y a eu les Gilets jaunes, donc on s'est dit bon on va croire 1 qu'on profite et puis 2 on était presque en train de faire une prophétie autoréalisatrice. Donc, on a tout arrêté à ce moment-là. Ce que j'ai fait pour l'armée n'a rien à voir. En fait, l'armée a lancé un programme qui copie en quelque sorte des programmes du DARPA aux États-Unis, qui vise à prendre des auteurs, les former, et à les faire imaginer des situations conflictuelles à moyen ou long terme, 10 ans, 20 ans, 30 ans. Il y a eu deux équipes, en gros, qui ont été sélectionnées. J'ai fait partie d'une des deux équipes. Moi, je faisais partie d'une équipe qui était la plus confidentielle. Donc, je peux parler du procès, je ne peux pas parler de ce qu'on a écrit. Il y a une partie de notre travail de départ, qui est une sorte de travail promotionnel un peu, a été publiée. Donc là, voilà. Et on avait vraiment un premier sujet, c'est marrant, je ne sais pas même pour en parler, qui était la piraterie à horizon 20 ans. Et donc, avec deux auteurs, qui étaient Déo A, qui est auteur de roman, et Xavier Moméjean, qui est aussi d'ailleurs auteur de roman, on a travaillé sur une perspective de piraterie développée en Méditerranée avec le développement de zones de non-droit, dans plusieurs zones du Malraie.

  • Yannick Lejeune

    Et après, tu ne peux plus parler sinon. Non, le réel,

  • Xavier Dorison

    je pourrais le développer parce que cette histoire a été publiée avec d'autres histoires de l'autre équipe de la Red Team aux éditions des Équateurs. Mais les autres sujets que j'ai développés, non. Je ne peux pas en parler.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'il y avait des bonnes idées de scénarios pour faire des films et des séries ?

  • Xavier Dorison

    Je peux te dire que, par exemple, s'il y a une idée qu'on avait qui a donné lieu à un roman qui est sorti il y a... Je ne pourrais pas dire à quelqu'un, mais qui a donné lieu à un roman qui a eu beaucoup de succès l'année dernière. ça n'a rien à voir ça n'a pas été copié ni rien mais comme quoi on n'était pas totalement à côté de la plaque puis il y en a qui arrivent comment ça arrive on pensait que c'était dans 10 ans et en fait c'est en train d'arriver maintenant donc on est assez surpris puisque tu parlais de séries télé t'as écrit pour le cinéma donc on a parlé des Brigades du Tigre tout à l'heure de Jérôme Cornu avec Fabien Nury au scénario avec toi ensuite

  • Yannick Lejeune

    t'as fait un téléfilm qui s'appelle Pour toi j'ai tué je crois que t'as aussi t'es pas mal scrive docteur t'es prof à la FEMIS est-ce que le cinéma c'est un médium qui t'intéresse particulièrement ou est-ce que tu t'es dit comme tu l'as dit tout à l'heure, trop de contraintes, trop de producteurs, trop de gens autour de la table, finalement la BD, c'est ce que je préfère, quel est ton rapport à ça ?

  • Xavier Dorison

    J'adore le cinéma, c'est-à-dire j'adore voir des films. Je suis un passionné, évidemment, complet de cinéma. Mais bon, la réponse est un peu dans ta question. C'est-à-dire que le milieu du cinéma, pas tant les gens, mais le système qui fait qu'un film va pouvoir se faire, est extrêmement compliqué, extrêmement dur, très politique. C'est normal, dès qu'il y a beaucoup de gens, il y a de la politique. C'est naturel, le mot n'est pas péjoratif dans ce sens-là. Et c'est vrai que, comme j'adore énormément la bande dessinée aussi, et que la bande dessinée... nous donne une marge de manœuvre absolument extraordinaire. C'est-à-dire, il faut quand même réaliser, on n'a pas de problème de budget, on raconte ce qu'on veut, à l'époque qu'on veut, on n'a pas de limite de sujet. J'ai raconté tout à l'heure des limites sur la violence, mais c'est moi qui ai décidé, j'aurais pu décider que j'allais le raconter et mon éditeur, je pense, m'aurait suivi. On est très peu de gens à intervenir. Quand on fait un album comme 1629, au départ, il y a Timothée Montaigne qui dessine, bon, Clara Tessier qui va faire la couleur. Mon éditeur, Philippe Aurier, avec qui je discute énormément. Et puis ensuite, bien sûr, on a des rapports avec le marketing. Mais globalement, en résumé, on est quatre. Un film, c'est une centaine de personnes, voire plus que ça. Donc les décisions sont rapides. Et surtout, ce qui est extraordinaire, c'est que d'abord, je suis sûr que ça va se faire. Moi, j'ai écrit plusieurs scénarios de films pour lesquels j'ai été bien payé, très bien. Mais ils vont rester dans un carton et je ne pourrai jamais les raconter à personne. C'est hyper frustrant. J'ai envie d'écrire, mais pour que les gens me lisent. Et puisque j'adore aussi, et ce qui fait d'ailleurs que les scénaristes de bandes dessinées sont en général très mal élevés. C'est qu'en bande dessinée, on a la possibilité d'être main dans la main, non seulement avec le dessinateur, mais aussi avec l'éditeur, pour être présent. Ça ne veut pas dire décider, ça ne veut pas dire être pine ailleurs, mais c'est-à-dire amener une vision de la première idée jusqu'au libraire qui soit continue.

  • Mike Cesneau

    C'est plus showrunner que juste scénariste qui lui fournit son texte.

  • Xavier Dorison

    Exactement. Il n'y a pas d'obligation. Il y a des scénaristes de bande dessinée qui vivent ça d'une autre façon et qui remettent un script et disparaissent. C'est tout à fait légitime, ils ont le droit de le faire. Moi, je vis ça plutôt comme un showrunner. Je vais rencontrer les libraires, les gens du marketing, tout le monde. Et puis bien sûr, chacun décide de son métier. Il ne s'agit pas de prendre le pouvoir sur les autres. Mais j'aime bien cette idée d'une aventure collective que je peux suivre de A à Z. Je n'aurais jamais ça en cinéma. Donc je continue à écrire des films de temps en temps. Je continue à aider des gens à faire des films, ce qui est un plaisir énorme. Mais c'est vrai que je suis très heureux de faire la bande dessinée.

  • Yannick Lejeune

    À propos de Showrunner, il y a ta série Les Sentinelles, qui est une relecture de la Première Guerre mondiale en steampunk. qui va être adapté sur Canal+, ça sort dans pas trop longtemps. Oui,

  • Xavier Dorison

    ça sort.

  • Yannick Lejeune

    Quel est ton lien avec la production ? Est-ce que tu as participé à l'écriture ? Est-ce que tu as dit, prenez mes droits, ne m'en parlez plus, je regarderai ? Est-ce que tu as vu ?

  • Xavier Dorison

    Réponse 2. Réponse 2, c'est-à-dire, moi j'ai cédé mes droits, à l'époque j'avais énormément de travail, et donc j'ai dit à Guillaume Léman, écoute, je te fais confiance, fonce. Et ce qu'il a fait avec son équipe, et c'est vrai que pour eux c'était un chantier énorme, t'imagines faire une série de super-héros qui va donc être la... D'époque. D'époque, il va être la série la plus chère que Canal ait jamais produit. Bon, challenge énorme, des problèmes de fabrication. Ils en ont eu des tonnes. Il faut bien comprendre que quand on fait de la bande dessinée, on a essentiellement des problèmes de création. Quand vous faites de l'audiovisuel, vous avez des problèmes de création et de fabrication. Ça n'a rien à voir. Et eux, des problèmes de fabrication, ils en ont eu en voiture, voilà. Donc, ils ont eu le champ libre. Et puis sinon, vous verrez ça bientôt sur Canal, la saison 3 de Paris Police. Moi, j'ai travaillé sur la saison 2 avec Fabien Nury. C'est sa série. moi je l'ai accompagné simplement et puis je l'ai aussi un peu accompagné sur la saison 3 il a fait un travail extraordinaire et donc moi je serais content aussi de voir ça l'année prochaine aussi sur Canal.

  • Yannick Lejeune

    Claire toi aussi t'as fait des expériences multimédia les chemins du désir, le podcast se termine par une réflexion sur le roman comment ça se construit, le dernier épisode ça parle de toi en interview sur le roman comment ça se construit au démarrage est-ce qu'il y a l'idée des deux dès le départ qui amène l'autre ?

  • Claire Richard

    Non dans ce cas c'est on a commencé par le son, mais juste en fait c'est vrai que tout ce que tu dis sur la liberté de la BD, en fait ça s'applique mot pour mot à la radio je me dis la même chose, c'est-à-dire que pour avoir fait des toutes petites expériences en série et effectivement avoir vu le ratio de projets qui se font en fait ce que tu dis, l'idée de développer une histoire de penser à un personnage, de vivre avec lui pour rien, ça me semble complètement lunaire et effectivement la radio ça coûte de l'argent je sais plus quel était le budget d'Anne Bonny mais c'est le plus gros budget pour Arte Radio. Donc, en fait, c'est rien par rapport à la télé ou le cinéma.

  • Yannick Lejeune

    Et tu as conscience quand même qu'en termes de qualité de production de podcast, c'est très au-dessus de la moyenne.

  • Claire Richard

    Oui, bien sûr. Mais on l'a écouté.

  • Yannick Lejeune

    On est en retard.

  • Claire Richard

    Moi, j'ai l'impression que c'est un lieu qui fait de la radio depuis 15 ans. On a une tradition de création sonore qui n'est pas forcément connue parce que l'écosystème du podcast, il y a plein de... En fait, ça recouvre plein de formes très différentes. Et Arte Radio, c'est un endroit qui a une expérience en création radiophonique, donc en réalisation, en bruitage. Alors, on est aussi allé chercher des bruiteurs de cinéma, mais en même temps, ça s'est déjà fait sur d'autres fictions. Il y a un compositeur extrêmement talentueux, Michael Liot, qui a fait des musiques, des chansons superbes. Donc, c'est sûr que pour une fiction radio... C'est un gros budget. On a eu beaucoup de temps, en fait. C'est ça, après, comme tout. Mais on a eu plein d'intérêt.

  • Mike Cesneau

    Vous aviez parlé de showrunner sur la bande dessinée. Est-ce que tu as pu être impliquée dans la production et la réalisation d'Anne Bonny, par exemple ?

  • Claire Richard

    Alors oui, parce que c'est une structure, c'est une petite équipe, Arte Radio. Et les deux réalisateurs, réalisatrices, Arnaud Forest et Sabine Zovigian, c'est des gens que je connais depuis longtemps. On a travaillé avant sur les chemins de désir, même encore avant sur une fiction que j'avais faite. Donc, en fait, c'est des amis. Donc, on se connaît très bien. Et par ailleurs... Ça se fabrique comme ça, Arte Radio. À France Culture, c'est un peu différent. Mais donc oui, sur le casting, sur les musiques, Sabine, Arnaud m'envoyaient tout. Mais après, par contre, le montage, je les laisse quand même en autonomie. Ensuite, moi, je fais des écoutes à plusieurs moments. Mais on a une relation, en fait, on se connaît quand même très bien. Donc on a une relation de confiance importante. Et je sais que ce que j'entends quand j'écris, ou plutôt les tonalités, mais que Sabine, qu'Arnaud vont les faire exister hyper bien. Mais oui, oui, c'est une chance. C'est un écosystème merveilleux. et donc c'est un peu la même chose en fait c'est léger enfin ça coûte de l'argent mais c'est rien par rapport au cinéma et donc on peut faire de la piraterie donc on peut avoir des abordages on peut avoir des bateaux des trucs et ça nous coûte une fraction de ce que ça serait aussi c'est un film d'action c'est une grande fresque quand on l'écoute ouais complètement et on se dit si c'était assez il me coûterait vraiment peut-être cher et ça coûterait ce serait pas faisable quoi en série il y a un autre sujet d'ailleurs dont tu parles c'est qu'il y a la liberté de moyens dont tu parles c'est à dire l'abordage etc

  • Xavier Dorison

    Mais j'ai envie de dire qu'en... Enfin, je ne sais pas si c'est ce que tu as vécu en podcast, mais la vraie liberté qu'on a en bande dessinée, au-delà du moyen financier des décors, des personnages, des costumes, etc., c'est la liberté de pouvoir raconter ce qu'on a envie de raconter.

  • Yannick Lejeune

    Tu n'as pas 15 diffuseurs qui te donnent un cahier des chocs en disant pour la ménagère de 5 ans.

  • Xavier Dorison

    Il n'y a pas un distributeur qui vient me dire, je ne sais pas, ah ben non, Diane Kruger, elle ne peut pas mourir à la fin. Ben si, elle peut, c'est dans le scénario. Ouais, mais dans le spectateur, on n'acceptera pas. Pourquoi ? Oui, ça, je n'ai pas embellé. Il peut essayer, mais elle mourra quand même.

  • Mike Cesneau

    Est-ce qu'en podcast, c'est aussi pareil ? Sur la liberté éditoriale, c'était complètement...

  • Claire Richard

    Ouais, ouais, total. Parce que c'est quand même un petit milieu, donc on ne gagne pas des sommes.

  • Mike Cesneau

    Je crois que Arte, même sur la production audiovisuelle pour leur série, il laisse les créateurs vraiment très tranquilles.

  • Claire Richard

    Alors ça, pour le coup, en série audiovisuelle, ça, je ne sais pas. Mais nous, en radio, on a une liberté absolument totale. Et ça, c'est aussi la beauté de ces lieux-là où il y a une confiance. Alors France Culture, parce que c'est l'autre gros producteur de séries de fiction radio, Ils sont un peu plus regardants. C'est-à-dire que je pense que c'est un processus qui s'apparente un peu plus peut-être à... S'il y a de l'audiovisuel, même si on a énormément de liberté créative, mais tu fais une Bible. En gros, à moi, Anne Bonny, parce qu'il y avait un rapport de confiance aussi avec Sylvain Chirc, qui était le directeur éditorial à l'époque. Moi, j'ai écrit le premier épisode et c'est tout. Du coup, je n'avais pas de Bible. Alors, tu as déjà mis en place toute la narration, le ton, la matrice, comment ça va fonctionner et tout. Mais il n'y a pas à écrire un synopsis. Alors, je crois que ça peut avoir un peu changé. Et donc, pour Les chemins de désir...

  • Yannick Lejeune

    Déjà, est-ce que tu peux pitcher pour les gens ? Et je préfère que ce soit toi qui le fasses, vu le sujet. C'est vrai que t'es bon.

  • Claire Richard

    Ouais, alors, Les chemins de désir, c'est une autofiction qui raconte, on pourrait dire, une sorte d'autofiction pornographique, c'est-à-dire le chemin fantasmatique, en fait, d'une narratrice de sa première rencontre avec une image érotique, donc quand elle a 8 ans, avec une BD de Manara chez sa grand-mère, jusqu'à la trentaine. Non, d'ailleurs, attends, c'est une BD de SFQ qu'elle rencontre... qu'elle voit chez sa grand-mère. Et donc, dans cette image où il y a deux femmes attachées, l'une dominatrice, l'une soumise, en fait, c'est un premier choc fantasmatique, érotique. Et la série raconte comment ce choc initial, en fait, commence à créer des chemins de désir, donc un imaginaire érotique et pornographique. C'est-à-dire que chaque épisode, en fait, c'est un peu un moment différent de sa vie. C'est des épisodes pas très longs, c'est entre 15 et 18 minutes. Et à chaque épisode, il y a l'arrivée d'un nouveau support de fantasmes et donc de porno. Effectivement, dans le deuxième épisode, elle va, enfin elle, je, mais elle, parce que c'est quand même une création aussi dramaturgique, mais elle arrive au musée d'Angoulême. Elle voit une image de Manara qui la lance dans une activité fantasmatique et masturbatrice un peu intense pendant son adolescence.

  • Yannick Lejeune

    C'était pas Crepax ?

  • Claire Richard

    Si, c'était Crepax. Non mais oui, effectivement, c'est Crepax. Ensuite, Internet arrive et donc elle passe beaucoup de temps sur un site qui fait l'objet de tout un épisode, puis sur les tubes avec U-Porn, etc. Et l'idée, c'était à la fois de raconter ça, parce que ça n'avait pas été beaucoup fait d'un point de vue de femme et d'un point de vue d'usagère du porno. Parce que je me disais que c'était une histoire générationnelle. Moi, je suis dans le 85 et l'écriture, elle date un peu déjà maintenant. J'ai dû commencer, je ne sais plus, en 2018, quelque chose comme ça. Mais c'était l'idée que je faisais partie de la génération qui avait connu le porno avant et après Internet. Et donc, de raconter ce que ça faisait à un imaginaire qui, petit à petit, rencontrait des lieux de plus en plus nombreux pour s'exercer.

  • Yannick Lejeune

    C'est ce que je trouve le plus génial dans ce que tu as fait. On parlait avec Mickaël en préparant le podcast, c'est qu'au début, on écoute ça comme une autofiction, dont on imagine qu'elle est assez proche de beaucoup de choses chez toi. Je disais au début, c'est un peu compliqué de se dire, tiens, c'est la première fois que je reçois un ou une invitée du podcast dont je sais quel est le tag précis qui la faisait triper sur YouPorn. Mais en fait, ce qui m'a emporté, c'est qu'au final, c'est très générationnel. C'est-à-dire que dans cette expérience qui est très singulière, il y a ce côté, je vais piquer une bande dessinée dans le grenier de mes grands-parents. Et en fait, c'est le écho des savanes de tonton machin qu'on trouve et qui crée les premiers émois. Ensuite, c'est... Cette capacité à se raconter des choses. Et puis un jour arrive Internet et une espèce de profusion beaucoup moins complexe que tu racontes le film de M6 capté en cachette le soir. Le porno de Canal+, dès que les parents en Canal+. Et je me suis dit, c'est hyper générationnel. Et en fait, dans cette histoire de femme qui s'interroge sur sa sexualité, sur son rapport entre le féminisme et le porno, ça me sent hyper concerné. Et j'ai trouvé que c'était hyper fort dans la capacité universelle du propos. Comment c'est venu cette envie ? parler de ça.

  • Claire Richard

    Par rapport à ce que je disais tout à l'heure, le fait qu'on est façonné par notre époque, je savais aussi, pour avoir lu des choses, que la consommation de porno, elle, est élevée chez les femmes, que beaucoup de femmes qui se considèrent hétéros consomment du porno lesbien, parce que c'est une tension qui est centrale dans les chemins de désir, à mesure que la narratrice, elle grandit, elle commence à conscientiser un peu potentiellement qu'est-ce que ça veut dire d'un point de vue féministe. Donc ça, je savais que ça concernait plein de gens. Et après, moi, à ce moment-là, j'étais journaliste pour le site rue 89 et on faisait beaucoup de choses quand même sur les questions sexualité, culture et beaucoup de récits en fait, on allait interviewer beaucoup de gens et on avait même une rubrique dans le nom m'échappe, je sais plus en gros des gens nous écrivaient parce qu'ils voulaient nous raconter leur histoire de cul et on allait les interviewer je me souviens notamment d'un couple qui s'était lancé dans le candolisme, c'est quand on aime regarder son partenaire avec une autre personne et en fait c'était assez beau la façon dont ils le racontaient parce que évidemment qu'au coeur de ça c'est l'amour de ce couples, leurs relations conjugales, etc. Donc, je baignais un peu dans cette idée que les histoires sexuelles sont intéressantes à raconter parce qu'elles concernent tout le monde, et que c'est une banalité, mais quand même, plus on est précis, plus elles concernent tout le monde. Et voilà, et après, c'était aussi un peu cette pensée, d'abord, de cartographier une expérience qui allait disparaître, puisque ce que je disais, ce côté générationnel, d'avoir découvert l'imaginaire érotique avant Internet, puisque c'est plus le cas des générations qui arrivent. C'est pas mieux, c'est pas moins bien. Mais je trouvais que c'était important de raconter ça.

  • Yannick Lejeune

    Et qu'est-ce qui est venu avant, alors, le roman ou le podcast ?

  • Claire Richard

    Le podcast. parce que j'avais déjà travaillé pour Arte Radio avant, un peu par hasard, parce qu'au début, moi, je voulais écrire de la littérature expérimentale, mais ça ne marchait pas beaucoup. Et par hasard, je suis arrivée à Arte Radio et donc un premier texte que j'avais écrit avait été transformé en fiction là-bas. Et donc, il y avait eu cette espèce de rencontre miraculeuse avec un endroit qui voulait mes textes, me faisait des contrats pour ça. Ce n'était pas des sommes mirobolantes, mais ça me semblait quand même d'un goût. Et donc, en fait, à la base, c'était une demande de Sylvain Gir de me dire, je te fais un contrat écrit sur ce que tu veux. Parce qu'il y a une... politique d'auteur, une politique de fidélité aux autrices, parce que c'est principalement quand même des femmes. Et donc, il m'a encouragée en me disant ce que tu veux. Alors que l'édition classique, ça ne s'était pas matérialisé. Là, j'avais un endroit où c'était possible. Donc, c'est parti en son. Et après, il y avait aussi l'idée que raconter des histoires de porno en son, ça avait beaucoup de sens, que ça posait plein de questions très intéressantes qui étaient puisque c'est générationnel, puisque c'est des images qu'on a tous et toutes en tête. En tout cas, on a... chacun, chacune, nos images en tête de porno, comment les évoquer sans en même temps mettre mal à l'aise, c'était aussi tout le défi de réalisation qui était hyper intéressant, c'est-à-dire comment rester à la fois très cru par moments, tout en étant aussi poétique et évocateur, ce qu'on voulait faire. Et ça, c'était propre au film. Ça exhibe, c'est ça qui est très réussi. Moi, j'avais un peu comme critère l'idée qu'on puisse l'écouter en public sans être absolument mortifié, à côté d'inconnu.

  • Mike Cesneau

    Est-ce que maintenant, tu abordes toutes tes futures idées de projets en te disant, je vais commencer par une fiction audio et après, je verrai où ça atterrit.

  • Claire Richard

    Et bien en fait, quasi ouais, parce que je travaille sur d'autres médiums, mais je me dis un peu, même par rapport à ce qu'on disait de la série, c'est que c'est un bon endroit où développer des histoires, parce qu'en fait, elles existent, elles se font, ou tu sais, en tout cas, tu sais très vite si ça se fait pas. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un processus de développement infini à la fin duquel on te dit, ah bah non, désolé. Là, tu le sais, donc en fait, oui, un peu. Là, j'ai fait une fiction radio qui est sortie au début de l'année, enfin là, en septembre, sur France Culture, que j'essaie d'adapter en roman parce que j'aime les personnages. Je vais faire une série pour France Culture l'année prochaine. Et oui, j'essaierai parce qu'elle est... Elle est un peu plus classique dramaturgiquement. Moi,

  • Yannick Lejeune

    je me suis demandé si ce n'était pas aussi lié justement à ton histoire sexuelle. Parce que dans le podcast, tu commences par cette case de BD. Ensuite, tu vas sur FBB. Donc là, c'est des textes. Ensuite, tu vas dans le porno visuel. Et tu expliques que tu en consommes énormément. Et à un moment, il y a une coupure d'Internet. Et tu dis, avant, quand j'étais dans le texte, dans l'imaginaire, j'arrivais à réorganiser tout ça dans ma tête pour me créer de l'émoi. Alors que le porno visuel, quand il n'y en a pas devant mes yeux... Je ne sais plus m'en servir et je ne me souviens même pas des trucs que j'ai regardés. Et puis, tu finis le podcast, ça ne va pas tout dévoiler, mais tu vas sur un sous-groupe de Reddit où c'est des gens qui enregistrent certains des orgasmes, certaines des histoires de cul. Et tu dis, pour la première fois depuis des années, je peux me toucher les yeux fermés. Pour la première fois depuis des années, je n'ai plus besoin d'images. On prend mon imagination par la main. Et je me suis dit, mais c'est peut-être là que naît le podcast dans ta tête. C'est le jour où tu te dis, mais en fait, quand on me parle et qu'on me raconte une histoire sans images, je peux visualiser ce que je veux. Allongez-vous sur ce canal. Non,

  • Claire Richard

    mais la vérité m'oblige à dire que c'est une fin... Là, on est vraiment dans l'autofiction, c'est-à-dire que tu mets de la structure sur le réel. Donc oui, j'ai eu une phase porno-sonore, mais en vérité, elle ne constitue pas l'acmé. Mais par contre, pour un podcast... C'était beau de chier à la chien. Donc en fait, c'était un peu ça. Parce qu'à travers cette question du porno, il y avait aussi un peu en petit filigrane qu'est-ce que ça fait d'être dans une culture visuelle démultipliée ? Qu'est-ce que ça nous fait, en fait, les vitesses d'Internet ? Parce que ça, c'est aussi une question qui m'intéresse beaucoup. Qu'est-ce que ça nous fait ? Tous nos médias, comment ça nous transforme ? Et en fait, le retour au son à ce petit site d'amateurs, c'était aussi le retour du coup à un temps différent. Parce que le son, tu peux l'accélérer, mais c'est pas pareil. Et puis, c'est le retour à l'amateurisme aussi. Parce que c'est ça qui est beau dans les voix de ce site, c'est que c'est vraiment... C'est vraiment des gens qui s'enregistrent chez eux, et c'est ça que t'entends en fait. T'entends l'émotion, t'entends le trouble, et donc t'as un contraste très fort avec la production démultipliée et hyper professionnalisée que tu vas trouver sur les grands sites. Et après, oui, pour retomber sur le roman, je l'ai envoyé à quelqu'un que je connaissais pour avoir travaillé ensemble dans un magazine de critique littéraire quand j'avais 20 ans. qui était au seuil et je m'étais dit que ça ferait, parce que c'est un texte assez court, un début d'essai et autant j'avais vraiment galéré quelques années avant, autant là il y a eu une espèce d'alignement des planètes autour de ce projet où il a été pris au seuil très vite. Et donc en fait c'est à peu de choses près le même texte avec un tout petit peu plus de détails mais pas beaucoup.

  • Yannick Lejeune

    Il y a ça aussi dans la bande dessinée, moi j'étais très agréablement surpris par le fait que souvent une adaptation d'un podcast ou de quoi que ce soit en bande dessinée c'est pas bien parce qu'on tronçonne la matière de départ. par des gens qui, en plus, n'ont pas forcément les moyens, parce qu'on a déjà payé la licence, de faire une bonne adaptation. Et surtout, ils n'utilisent pas la BD pour ce qu'elle est. Donc finalement, ils vont illustrer un texte. Et là, en fait, t'as réussi à prendre quasiment toutes les phrases du podcast. C'est vraiment très, très proche du podcast sonore. Et à les mettre en bande dessinée en faisant un très bon album de BD. Alors déjà, le dessinateur est extraordinaire. Mais comment t'as adapté ?

  • Claire Richard

    Ça me fait très plaisir, merci, parce que c'est... La première fois, j'ai lu Scott McCloud. pendant un été, en prenant des notes.

  • Yannick Lejeune

    Je crois que ton dessinateur, il vient de l'animation.

  • Claire Richard

    Ouais, il vient de l'animation. Et puis, il y avait beaucoup de... Justement, sur la question des angles, du dynamisme. En fait, ça, il a amené beaucoup de choses. Et après, je réfléchissais à la question de l'ellipse, du découpage, du passage d'une page à une autre, ce genre de choses. Mais sinon, c'était assez naturel, parce qu'une fois de plus, j'ai quand même une imagination visuelle. Donc, j'avais l'impression de décrire vraiment ce qui ne se voit pas dans le script audio, mais que moi, j'ai en tête. C'est-à-dire le bordel, tous les décors, etc. c'était assez facile à décrire parce que je les avais en tête.

  • Yannick Lejeune

    Là, c'était la rentrée littéraire. J'ai lu à peu près 200 albums de BD depuis début septembre. Et franchement, le tien est ressorti comme un des qui m'a le plus touché. Et ça me fait une transition toute trouvée pour parler de Ulysse et Cyrano, qui est vraiment à moi un de mes coups de cœur de l'année aussi. Xavier, je te le dis, je vais te laisser le pitcher.

  • Xavier Dorison

    On est en France, dans les tout débuts des années 50. Ulysse Dussert a 16 ans. Il va bientôt passer son bachot, comme on dit à l'époque. Et Ulysse Dussert a la spécificité d'être le fils unique de la famille Dussert que tout le monde connaît puisqu'il s'agit des plus grandes fortunes françaises. Et le destin d'Ulysse est tout tracé, il va reprendre la boîte de papa, enfin avant il fera mathélème comme on disait à l'époque, puis il fera bien sûr polytechnique, et puis bien sûr il dirigea la boîte. Sauf que papa a un problème, papa est accusé de collaboration, et le temps de se défendre, le temps que les choses s'apaisent un peu à Paris, M. Dussert envoie son fils Ulysse et son épouse, Mme Dussert. ouvert, comme on dit, en Bourgogne. Il a loué une grande maison sous le nom de jeune fille de sa femme et il espère que Ulysse finira de préparer son bachot là-bas et que lui, il aura le temps de résoudre les problèmes qu'il a à Paris. Mais Ulysse du Cerf va faire une rencontre. Il va rencontrer un homme qui s'appelle Cyrano. Alors Cyrano, c'est l'opposé complet d'Ulysse. Il a presque la soixantaine. Il a jeté son réveil et ses montres il y a une bonne dizaine d'années. Il vit comme il veut. Il fait ce qu'il veut. Il vit dans une grande maison un peu délabrée au milieu de la forêt en Bourgogne et avec une particularité quand même, c'est que dans cette maison, il y a une pièce extraordinaire, c'est la cuisine. Parce qu'il se trouve que Cyrano, dans une autre vie, a été le plus grand cuisinier de France. Il ne l'est plus, il n'a plus de restaurant. Pourquoi ? Vous le saurez en lisant l'album. Mais ces deux personnages vont se rencontrer, vont devenir amis. Grâce à Cyrano, Ulysse va réaliser ce qu'il aime. Et bien, il aime faire plaisir, il aime faire quelque chose avec ses mains, il aime être créatif. Bref, il aime faire la cuisine. Et petit à petit, une idée va commencer à germer dans la tête d'Ulysse. Et si je devenais cuisinier ? Sauf que vous vous en doutez, quand on est en France, dans les années 50, et qu'on est fils de la famille du cerf, on ne devient pas ouvré légume et éplucheur de patates et non toute la question est de savoir si Ulysse pourra réaliser son rêve.

  • Yannick Lejeune

    Alors cet album, il est impressionnant parce qu'il est d'une densité narrative extraordinaire. Et pourquoi ? C'est parce que ça raconte à la fois une histoire d'amitié, ça raconte une histoire de gastronomie. Moi, j'y suis allé pour la bouffe au départ, je te le dis. Ça raconte l'histoire de cette époque avec la collabo, les soupçons, des rapports au travail, des histoires de filiation. et un maelstrom de récits en fait et de thèmes.

  • Mike Cesneau

    Il y a encore la lutte des classes aussi, les confrontations entre des classes de main dominée.

  • Xavier Dorison

    Il y a tout ça, mais par contre, il y a une colonne vertébrale qui est très, en tout cas pour ces auteurs, qui était très claire, qui se résume en trois mots, c'est l'apprentissage du bonheur. C'est-à-dire comprendre qui l'on est, mettre en place une activité qui correspond à ce qu'on est et enfin trouver sa place avec cette activité dans le monde. Dans le fond, c'est ça que raconte Ulysse et Cyrano. Il se trouve qu'avec le co-auteur Antoine Christo, on est des passionnés de cuisine. Lui encore plus que moi. Donc, ça nous plaisait bien, on aimait bien la Bourgogne. Mais on aurait pu faire ça dans la musique, dans la maroquinerie.

  • Yannick Lejeune

    Il y a plein de BD qui surfent sur une mode, la mode de tout le monde. Là, quand ça parle de cuisine, on sent que derrière, vous y connaissez, il y a un espèce de plaisir de ce que la cuisine peut avoir d'artistique qui est retransmis dans la BD.

  • Xavier Dorison

    C'est le partage qui nous intéresse dans la cuisine. En fait... c'est la communion. Alors il se trouve que Antoine, qui a co-écrit avec moi, qui lui a complètement un autre métier, mais lui, il a été sélectionné pour faire Masterchef. Bon alors comme il est DRH dans une grosse boîte, il s'est fait attendre, j'ai pas trois semaines à vous consacrer, mais vraiment, c'est vrai que c'est un excellent cuisinier, mais pourquoi est-ce qu'on aime la cuisine autant la faire que la partager ? C'est parce qu'en fait, elle va créer un moment. Elle va créer un moment d'abord de plaisir physique, ça nous renvoie à ce dont on parlait à l'émission tout à l'heure, mais la cuisine, et manger, c'est bien un... un plaisir qui est très intime, en fait. Et c'est un plaisir intime qu'on partage. Et c'est ça qui nous plaît, en fait. Et d'ailleurs, on aime tous les types de cuisine, tous les types de restaurants, mais c'est vrai qu'à la limite, Antoine et moi, on va presque préférer une nappe à carreaux et un bœuf bourguignon très bien fait ou une blanquette à un étoilé. Beaucoup d'estime pour le chef étoilé, il ne sait pas du tout ce qu'on veut dire, mais à la limite, le restaurant étoilé va créer un contexte presque guindé, presque d'admiration d'une performance qui, pour nous, à la marge, nuit un peu à cette communion. Et c'est vrai que tout le monde aime ces moments où on se retrouve autour d'un Mont-Plat. Et le Mont-Plat n'est pas le sujet. Le Mont-Plat, c'est le catalyseur du moment, en fait. Et donc, qu'on place son énergie, son envie et sa place dans le monde, dans la création de ce moment de communion, c'est évidemment ce qui nous a fait retrouver, j'ai envie de dire, tous les trois. Parce qu'évidemment, avec Stéphane Servin, qui est le dessinateur.

  • Mike Cesneau

    Qu'est-ce qui vous a inspiré dans la création de ce personnage de Cyrano qui est un peu comme ça, bigger than life ?

  • Xavier Dorison

    C'est tout bête. Il est l'inverse d'Ulysse. Il est inspiré... de personnages, grande gueule. On voit bien Gabin faire ça. On voit bien Alexandre le Bienheureux, Philippe Noiret. Mais il faut voir qu'au-delà de cette apparence-là, en fait, il va être le mentor. C'est son ami, mais c'est aussi son mentor à Ulysse. Il va lui transmettre une bonne partie de sa vision de la vie. Alors, c'est marrant parce que mes enfants, ayant lu l'album, ils ont dit Bon, on a l'impression que tu parles dans toutes les bulles. Alors, je dis Bon, visiblement, on va voir. Mais moi, j'avais... Je termine là-dessus. Alors, c'était moi. et une fois de plus en soi, qui ont partagé un certain nombre de convictions sur l'éducation. Mais moi, j'avais en plus un rapport très intime et très particulier à cette histoire, qui est que mon propre père, d'un milieu bourgeois parisien, son père est directeur adjoint d'une compagnie de charbonnage, ils habitaient dans le 6e arrondissement. Et à l'âge de 17 ans, alors qu'il est étudiant au lycée Montaigne ou Henri IV, mon père vient voir mon grand-père, parce qu'on parlait au père à ce moment-là, et elle lui dit, écoute... de papa, voilà, tu veux que je fasse des études et tout, mais moi, je voudrais rendre les gens beaux et donc je voudrais être coiffeur. Là, on parle, on est avant 68. Alors, je crois que d'après ce qu'on m'a raconté, pendant 3-4 jours, mon grand-père a eu un peu de mal à... Mais il se trouve que il n'était pas du tout, je l'ai un peu connu, il n'était pas du tout comme le père d'Ulysse. C'était un homme très bon, très compréhensif, qui d'ailleurs était vice-président et pas président, parce que lui, il voulait pouvoir aller jouer quand même au bridge un certain nombre d'après-midi dans la semaine. Et donc, il a dit oui à mon père et il l'a soutenu. Et donc, mon père... qui est toujours vivant, a été coiffeur toute sa vie, et sans doute pas très riche, mais très heureux. parce qu'il faisait ce qu'il aimait. Le matin, il était content d'aller voir ses clientes ou ses clients. Il était content de retrouver les autres coiffeurs qui travaillaient. Et il a mis ça en place dans notre fratrie. Et mes parents, ils ont toujours dit, faites ce que vous voulez, du moment que vous le faites bien et que ça vous rend heureux.

  • Yannick Lejeune

    Dans les chemins de désir, Claire, tu racontes qu'à force de consommer du porno, j'y reviens, je suis désolé, mais tes chemins de désir deviennent des machines voraces qui exigent du nouveau, de l'extrême, de plus en plus souvent. Il y a un truc très drôle avec une espèce de visualisation d'orpeur romain qui, pour s'amuser, demande des choses de plus en plus décadentes et escabreuses. Est-ce que vous pensez que c'est pareil dans la culture d'aujourd'hui ? Est-ce qu'avec le flux qu'on a à travers les plateformes, est-ce que le flux, je pense que la rentrée littéraire BD n'a jamais été aussi monstrueuse en termes de volume ? Est-ce que vous pensez qu'il faut faire du Bigger Than Life pour arriver à sortir le nez du flux ?

  • Xavier Dorison

    Il y a deux questions différentes.

  • Claire Richard

    Pour répondre à la première, je pense que oui, mais je pense que c'est quelque chose qu'on ressent tous et toutes. Tu vois, ce déferlement des contenus. Moi, je pense, je ne sais plus à quel moment on parlait tout à l'heure, ou en réfléchissant à ce qui faisait une bonne histoire, ou je pensais à Netflix, en fait, ou à quel moment tu es déçu d'un pitch. Moi, j'ai l'impression quand même, j'ai encore Netflix, mais chaque mois, je me demande pourquoi je continue à payer. On le voit qu'en fait, on est arrivé à... degré de production industrielle de séries où tu vois exactement quels sont les devices dramaturgiques qu'ils sont allés chercher. La dernière, c'est une podcasteuse féministe et un rabbin. Tu vois très bien que les mecs se sont dit...

  • Yannick Lejeune

    J'ai regardé quatre premiers épisodes et j'ai arrêté.

  • Claire Richard

    Ça se trouve, c'est bien. Moi, je me suis dit que ce n'était pas possible. C'est un bitch qui a été écrite par une IA. C'est un peu paresseux. Je pense que ça, on le sent. J'avais pensé à ça sur la question pour revenir à la deuxième de est-ce que c'est bigger than life ? Pour moi, ce n'est pas tant la question. C'est plutôt... la question de la singularité, même si c'est une... Pareil, c'est un peu banal. Et pour reprendre l'exemple de Netflix, je pense que la dernière série que j'ai beaucoup aimée, je pense qu'on est nombreux, nombreuses dans ce cas-là, c'était Petit Reine. Et pourquoi ? Parce que précisément, alors je crois qu'en plus, l'auteur s'est inspiré de sa propre vie. Cette histoire de ce bartender qui est harcelé par une femme, voilà, et le harcèlement prend des proportions très, très intenses. Et bien sûr, ça vient révéler leur vulnérabilité à tous les deux. En fait, j'avais l'impression, pour la première fois depuis assez longtemps sur Netflix, de voir une histoire très très singulière qui d'ailleurs se déroulait selon des arches qui n'étaient pas prévisibles qui ne suivaient pas nécessairement les actes etc. les climax moi j'ai l'impression que c'est plutôt ça qui fait que les choses se détachent en tout cas c'est ce que je me dis en tant qu'autrice quand je me demande qu'est-ce que j'ai envie de faire et surtout à quoi bon écrire telle ou telle histoire ça va être la question d'un personnage de résister à cette tentation de standardiser mais c'est vraiment des banalités ce que je dis mais de standardiser c'est que Petit Rennes ça correspond quand même exactement

  • Yannick Lejeune

    à ce que l'algo de Netflix sortirait, c'est-à-dire une histoire d'amour avec un fait divers proche du fait d'entrer l'accusé. Si tu prends ce qui est regardé sur Netflix, ça rentre pile-pile dans le cycle. Après, je suis d'accord avec toi, la structure et même le fait que les personnages sont tous...

  • Claire Richard

    Et la singularité, en fait, c'est surtout que tu sors dans quelque chose d'extrêmement cringe tout du long. Et que quand même, t'as pas l'impression de voir une histoire qui se déroule selon les...

  • Yannick Lejeune

    Non, mais c'est...

  • Claire Richard

    Tu vois, selon les...

  • Yannick Lejeune

    Les pays faux,

  • Claire Richard

    ouais. Les points un peu attendus.

  • Xavier Dorison

    donc c'est plutôt ça que je dirais en fait maintenant il y a trois qui te plongent il y a une première question qui est justement ce phénomène de normalisation de banalisation dont tu parles des séries qu'on voit mais le problème de fond c'est que la production de contenu est au départ une industrie de l'offre c'est à dire que c'est aux auteurs et aux artistes de proposer ce qui leur paraît intéressant, pertinent, on va y revenir dans le deuxième point mais C'est à eux de définir ça. Or, les plateformes comme Netflix, Amazon et d'autres sont dirigées, conduites et organisées par des gens qui ne connaissent que le marché de la demande. C'est-à-dire que c'est des gens qui, en gros, ont des systèmes de pensée qui sont façonnés comme ça. Et c'est normal, ils viennent d'écoles de commerce, je sais de quoi je parle, où on leur a dit, regardez ce qui s'est fait hier, reproduisons-le. S'il y a bien un domaine où ça ne marche pas, où c'est mauvais, c'est en art. Ce qui a déjà été fait hier n'est pas intéressant. Et donc, on ne peut pas fonctionner comme ça. Et comme eux-mêmes ne savent pas écrire, ne savent pas créer, parce que sinon ils seraient auteurs, ils se réfugient dans un système qu'ils connaissent, c'est celui de la reproduction de code. Et plus l'industrie grossit, plus le nombre de gens qui pensent comme ça est important. Donc, vous avez des systèmes qui, naturellement, vont amener à la production d'œuvres qui se ressemblent. Ça, c'est le premier point, à mon avis. Le deuxième, c'est... Tu peux avoir l'occasion de savoir, est-ce que les séries, c'est comme le porno sur Internet, ça devient addictif, et à un moment, on veut des choses de plus en plus violentes. Je crois que c'est très différent. Enfin, moi, j'ai compris la question comme ça. Parce que je comprends bien le phénomène.

  • Yannick Lejeune

    Plus en plus violent ou plus en plus bizarre ?

  • Xavier Dorison

    Ou bizarre. Violent ou bizarre, absolument. Pardon, tu as totalement raison, violent ou bizarre. Ce système-là est lié, au fait, à tous les principes d'addiction. Quelle que soit ton addiction, il y a un phénomène qui va faire que la dose d'hier, comme tu la connais déjà, tu l'as déjà vue, va se banaliser, et moyennant quoi, il va falloir l'augmenter. Et là, je pense que les histoires sont assez différentes, précisément pour la raison qu'évoquait Claire, c'est-à-dire que... L'intérêt des histoires, c'est pas tant de se dire qu'on va les raconter différemment. à mon avis, c'est plutôt de se dire qu'on va raconter autre chose. Et comme la vie continue, la vie émotionnelle, relationnelle, amoureuse, sociale, politique, il se passe des nouveaux trucs tous les jours. Donc comme il se passe des nouveaux trucs globalement tous les jours, par définition, les auteurs ont à contempler de nouvelles choses. Et comme ils ont tous, il faut l'espérer, des regards différents, ils ont tous de nouvelles choses à raconter. Donc tant que la vie continuera, on pourra raconter de nouvelles histoires sans tomber dans les problématiques que posent... un phénomène d'addiction et puis la dernière question c'était comment on fait aujourd'hui quand il y a beaucoup de titres notamment en bande dessinée qui sortent ben là je suis d'accord il y a une nécessité absolue de sortir du lot moi quand j'ai commencé en bande dessinée il y avait 800 nouveautés par an on en est à plus de 5000 si cette année je pense ouais peut-être plus de 6000 avec cette problématique qui est à nouveau dans ce marché là qui reste donc je le rappelle un marché de l'offre qui est que si l'album n'est pas sur une table des nouveautés ça pourrait être le meilleur album du monde ben il ne sera pas

  • Yannick Lejeune

    Toi, tu es un bon exemple de ce qui s'est passé avec Netflix. Moi, pendant dix ans, j'entends, alors de toute façon, depuis Blueberry, le western, c'est mort. Arrive Undertaker, que tu écris, et d'un seul coup, tout le monde se remet à faire du western. Ah, le western, c'est super.

  • Xavier Dorison

    Moi, j'essaie de passer ma vie à faire un peu des ruptures. J'ai commencé comme ça. Quand j'ai commencé avec Alex Salis, on avait 25 ans, 24 ans. on s'est dit tiens on va mélanger Da Vinci Code avec le National Zone et X-Files on s'est dit on va faire une histoire une aventure historique qui va s'appeler le 3ème testament ça sera une histoire d'aventure mais il y aura de la religion de l'ésotérisme. Pendant deux ans tous les éditeurs de La Place, tous nous ont dit mais ça marchera jamais votre truc il faut faire soit de l'histoire seulement et puis un jour chez Glenna ils ont dit, Jean-Claude Camano on va essayer, bim ça va marcher après je sais pas moi j'ai voulu faire du pirate il y avait plus de pirate il y avait plus de récits pirates c'était Barbeau Rouge c'était un film de John Silver on dit mais vous êtes sûr parce qu'il n'y avait pas Pirates des Caraïbes non plus et vous dites Pirates bon après il y avait plein de Pirates et voilà et aujourd'hui je ne suis pas tu parlais du Cyrano je fais une histoire Feel Good Feel Good Story un peu à la papa française alors j'espère que c'est renouvelé et tout mais les producteurs de cinéma là je vous rends compte maintenant qu'ils ont l'album en main ils réagissent différemment mais quand ils avaient juste le scénario parce qu'il y avait un scénario de film aussi ils disaient non mais le Feel Good Story ça n'intéresse plus personne toutes les histoires tous les sujets intéresse tout le monde, du moment que c'est honnête, bien fait, bien raconté, et que ça ne nous répète pas ce qu'on a déjà entendu dix fois.

  • Mike Cesneau

    Puisqu'on a repassé un peu en revue plusieurs choses que tu as faites, moi je m'étais posé une question. Quand tu as fait Long John Silver, c'était une volonté de créer une suite imaginaire aux aventures qu'avait écrite Stevenson à la base. Tu as aussi travaillé sur la suite de Goldorak, qui a été un très très grand succès de librairie. Et je voulais savoir, j'avais deux petites questions. La première c'était, qu'est-ce qui t'intéresse dans le fait de faire revivre...

  • Xavier Dorison

    un grand mythe culturel qui n'est pas à la base ta création à toi et de reprendre un personnage mythique pour le faire comme Torgal aussi comme Torgal 2013 et est-ce que il y en a d'autres qui seraient dans tes fantasmes futurs peut-être de faire revivre alors dans les fantasmes futurs pour l'instant non pour l'instant non parce que j'en ai fait pas mal et j'ai maintenant envie de m'amuser plus avec mes propres créations mais alors les raisons à chaque fois sont différentes Goldorak honnêtement quand à 47 ans vous écrivez Corneau Fulgure et Astéro H c'est un peu quand il y a un truc bizarre. Mais pour moi, comme pour toute l'équipe qui a travaillé sur cet album, c'était un fantasme de gosse.

  • Yannick Lejeune

    Tu ne peux pas refuser ça aux gosses que tu as aimés.

  • Xavier Dorison

    Oui, mais parce que si on était dans mon bureau, tu verrais qu'il y a plein de trucs qui sont de l'époque de mon enfance. Non pas que je veuille retomber en enfance. J'ai 52 ans, je suis un adulte. Mais il y a une énergie, une envie qui est liée à mon enfance qui est pour moi une source à laquelle je m'abreuve le plus possible. Et quand j'ai cette image d'enfant ou à 7 ans, Quand Goldorak sort, je suis comme 90% des gosses de ma génération, totalement hystérique. Totalement hystérique, c'est-à-dire qu'un épisode de Goldorak, je le vis, je suis dans, et je le revis à l'école, et je le rejoue à l'école, etc. Et ce qui était assez curieux, c'est que je n'avais jamais quitté Goldorak depuis mon enfance. Et notamment, je m'étais pendant longtemps imaginé une suite et tout. Et c'était une suite, mais vue avec des yeux d'adulte et des moyens narratifs d'adulte, évidemment. En fait, il y a eu au départ une sorte de piège amical. Voilà. Et quand Christelle Houlan, qui est la directrice générale de Kana, qui est le plus gros éditeur de manga au monde, hors Japon, me dit un jour à un déjeuner en Angoulême, tiens, tu connais Goldorak, ça t'amuserait d'écrire un truc ? Alors évidemment, déjà, je lui déroule d'emblée un synopsis. Et qu'elle me dit, écoute, je connais Gonagai, le créateur, si tu me présentes quelque chose de sérieux, on y va. Mais j'ai plus 47 ans, j'ai 7 ans. Et donc là, ce fantasme d'écrire le dernier épisode, puisque c'était ça cet album, c'est le dernier épisode de Goldorak, on est au 77, on a fait le 78e. on était comme des fous et en même temps on avait assez de recul pour se dire on fait un épisode qui est dans le respect de cette série il s'agit pas de dire le héros était un salaud de casser le temple Mais on se donne quand même pour objectif de rajouter une pierre au temple et d'amener un regard. Comme on a pris les personnages qui sont dix ans après. Bon, nous, c'était quarante ans après. Mais ils ont vieilli, ils sont comme nous et on a fait une mise en abîme. Et en même temps, on a vécu. Donc, je suis. Donc, Scénarii, je suis dans le centre où j'ai été piloté Goldorak. Et donc, chaque reprise, entre guillemets, a une... Bon, je ne vais pas toutes les faire. Mais typiquement, quand je fais treize Outorgal, surtout treize d'ailleurs, il y a l'idée là de me mettre dans les traces d'un de mes maîtres dans mon métier. J'ai eu plusieurs mentors. L'un est évidemment Jean Von Am. Et donc, quand on dit, voilà, tu vas passer derrière, derrière ton mentor et essayer de lui rendre hommage, là, il y a...

  • Mike Cesneau

    C'est une mission sacrée,

  • Xavier Dorison

    presque. Pour l'anecdote, quand j'avais 22 ans, quelque chose comme ça, je n'imaginais pas devenir scénariste. Ce n'était pas possible. Personne dans mon milieu était scénariste. Ça ne voulait rien dire. Ça n'existait pas, les scénaristes. Et je suis au Festival de bande dessinée des Grandes Écoles que je co-organise avec d'autres. Et là, je rencontre Jean-Renan. Je n'avais jamais vu un scénariste en vrai. Je passe une journée avec lui. Je souris tellement que j'ai mal au jou, et je pense qu'il y a une voix en moi qui s'est dit je veux pas être Jean Van Damme, parce que j'ai pas son talent, pas son carrière, etc. Mais je veux être comme un Van Damme, et ça me donne un objectif. Et quand dix ans plus tard, Yves Schlier, directeur éditorial de Dargaud, me dit est-ce que tu veux être le premier à écrire un 13 après Jean Van Damme ? C'est magique, quoi.

  • Yannick Lejeune

    Puisqu'on vient de parler de mentors, pour conclure, est-ce que vous pouvez nous donner le meilleur conseil d'écriture que vous ayez reçu et que vous donneriez à quelqu'un d'autre ?

  • Xavier Dorison

    Moi, s'il y en avait un que je devais donner, c'est ne jamais oublier que la vraie victoire est la victoire intérieure. C'est ça qui compte dans une histoire. Est-ce que le personnage principal aura sa victoire intérieure ? C'est-à-dire, est-ce qu'il dépassera son défaut initial, son défaut fatal ?

  • Claire Richard

    Moi, je dirais le conseil, enfin un des conseils d'Amingway qui est The first draft of anything is shit c'est-à-dire la première version de quoi que ce soit, c'est naze. Et un autre qui est un peu lié, alors je crois que c'était, je ne sais plus si c'était Tanay Isiko ou Jennifer Regan, parce que je... des romanciers américains que j'aime bien, et qui est l'idée que ce qui nous bloque souvent pour écrire une première version, c'est l'écart entre... Je ne sais plus ce qu'elle dit, je crois qu'elle dit, en fait, beaucoup de gens n'arrivent pas à aller jusqu'à la fin de la première version, parce que ce qui sort en premier est mauvais, et que personne n'aime être confronté à cette chose médiocre qui sort de toi. Et donc l'idée de traverser ça. C'est moins un problème, mais je pense qu'au début, c'est cette idée que ça n'est qu'une V1, et qu'en fait tout le travail, c'est les V2, les V3, les V4. Mais je me le dis encore souvent.

  • Yannick Lejeune

    C'est une bonne conclusion, merci. Merci beaucoup, merci à vous. Merci beaucoup.

  • Mike Cesneau

    C'est ainsi que se termine cet épisode de La Machine à écrire. Nous espérons que vous avez passé un bon moment avec nos invités, que l'on remercie pour leur temps et leur générosité.

  • Yannick Lejeune

    On vous invite à lire et à écouter La Dernière Nuit d'Anne-Bénie en librairie pour la BD et sur l'application Arte Radio pour la fiction audio, ainsi bien sûr que les précédents podcasts de Claire Richard.

  • Mike Cesneau

    On vous met les liens d'écoute dans la description de l'épisode.

  • Yannick Lejeune

    On vous recommande également les deux tomes de 1629, Le Naufragé du Jakarta de Xavier Dorison, sorti le 13 novembre en librairie. Et si ce n'est déjà fait, bien sûr, vous allez découvrir l'ensemble de son oeuvre, vous ne le regretterez pas.

  • Mike Cesneau

    Si vous aimez la machine à écrire, n'hésitez pas à nous dire quels sont les invités que vous aimeriez entendre dans de prochains épisodes. Vous pouvez nous l'écrire dans les commentaires sur Apple Podcast et sur Instagram.

  • Yannick Lejeune

    N'hésitez pas non plus à nous proposer des thèmes et à nous partager les sujets d'écriture qui vous intéressent le plus. On fera de notre mieux pour les inclure dans de futurs épisodes.

  • Mike Cesneau

    Et pour savoir quand un nouvel épisode est disponible, vous pouvez toujours vous inscrire à notre newsletter 5 bonnes histoires le vendredi, qui compte déjà plusieurs milliers d'abonnés.

  • Yannick Lejeune

    Chaque vendredi, nous y partageons 5 récits marquants et étonnants sélectionnés avec amour par nos soeurs. Des livres, des BD, des séries, des films, des documentaires de quoi vous divertir et vous aimer voir chaque fin de semaine.

  • Mike Cesneau

    Vous y trouverez de quoi occuper vos soirées et aussi de bonnes idées cadeaux adaptées à tous les âges. Pour s'y inscrire, rien de plus simple, il suffit de cliquer sur le lien dans la description de l'épisode.

  • Yannick Lejeune

    Si vous le souhaitez, vous pouvez également nous suivre sur vos réseaux sociaux préférés et parler de nous à votre entourage, les bouches à oreilles et les meilleurs moyens de nous aider à grandir.

  • Mike Cesneau

    Avant de se quitter, nous tenons à remercier la Société Nationale de Bande Dessinée, l'atelier de Mathieu Sapin et Christophe Blain qui nous héberge pour les enregistrements.

  • Yannick Lejeune

    Et surtout, un grand merci à vous pour votre soutien et votre fidélité. On se retrouve au prochain épisode et d'ici là,

  • Mike Cesneau

    on vous dit à bientôt !

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