- Philippe Croizon
Quand on est du personnel soignant, quand on rentre dans une chambre, c'est jamais le même personnage. Est-ce qu'il va être dans la colère ? Est-ce qu'il va être dans la dépression ? Est-ce qu'il va être dans la joie ? On n'en sait rien. Et c'est le personnel soignant qui absorbe tout ça.
- Martial Saunier
Vous avez reconnu Philippe Croizon. Cet athlète, aventurier, chroniqueur et conférencier, était l'invité de la journée des soins 2025 au ChAL, dont le thème était « Communiquer c'est soigner » . L'expression peut paraître surprenante. À travers tous les témoignages de ce nouveau podcast, vous allez découvrir qu'on a tous un super pouvoir dans notre relation avec les autres. Alors, avant de retrouver Philippe Croizon qui va nous partager son expérience sur le sujet, j'ai promené mon micro dans les stands de cette journée des soins à la rencontre des professionnels de santé avec pour premier objectif de comprendre ce que signifie pour eux cette expression « communiquer, c'est soigner » .
- Juliette Ogil, cadre de santé
C'est très important parce que s'il n'y a pas de communication, il n'y a pas de soins au final.
- Dr Claire Vanhaecke-Collard, gériatre
Il y a deux choses. Communiquer, c'est soigner. C'est communiquer auprès des patients d'une part, mais c'est aussi communiquer auprès des soignants. Et en gériatrie, c'est particulièrement vrai parce qu'on a vraiment un problème d'image dans la société par rapport à la gériatrie. Et le fait de communiquer sur ce qu'on fait, sur les EHPAD, sur le fait que la gériatrie, ce n'est pas une spécialité de dernière zone qui intéresse personne, etc. Et en fait, on fait des trucs hyper innovants. On a un champ de création qui est quand même assez libre, notamment sur les EHPAD, etc. Et ça c'est vraiment quelque chose qu'on essaye de faire, d'apporter ce message-là aux soignants. C'est pour ça qu'on a fait la gazette des EHPAD, etc. Et du coup pour moi communiquer c'est aussi soigner parce que ça nous permet de recruter, ça nous permet de convaincre les gens de venir travailler avec nous. Et donc c'est pour ça que c'est essentiel.
- Aurélie Roche, cadre supérieure
Il y a plusieurs choses pour moi au niveau de la communication. C'est la communication interpersonnelle, comment on parle à nos collègues, comment on communique des informations qui peuvent être importantes sur la prise en soin de nos patients. aussi très important, c'est comment on communique avec nos patients directement. Et la communication, c'est la base de toute interaction humaine. Si on n'a pas cette communication, ça ne fonctionne pas. Et dans le soin, pour moi, c'est essentiel.
- Dr Claire Vanhaecke-Collard, gériatre
Je pense que ça fait peur, en fait. La communication, on a toujours l'impression que quand on va vers une famille, vers un patient qui n'est pas content, que ça va être la galère, on n'a vraiment pas envie d'y aller, en fait. Et on se rend compte que ça désamorce énormément de conflits. Moi, je travaille au Conseil de l'Ordre des médecins en même temps et je gère justement la section plaintes et conflits. Et en fait, on se rend compte que trois fois sur quatre, la plainte, elle est dûe à un problème de communication. Et le fait de mettre tout le monde autour d'une table, ça fait baisser la pression, ça désamorce et ça retire la plainte très souvent. Donc, en fait, on est mal formé. On a peur de communiquer parce qu'on a peur du conflit. On a peur de la plainte. On a peur de tout ça. Et en fait, plus on y va et plus c'est facile.
- Laurence Blanc, cadre de santé
L'important, c'est qu'on soit toujours bienveillant, qu'on soit vraiment proche et qu'on puisse vraiment communiquer de façon positive, parce que le positif amène le positif. Et c'est important. Et je crois que la communication, de toute façon, on est obligé d'en faire. Alors, autant qu'on la fasse bien.
- Martial Saunier
Alors, pour bien pratiquer cette communication, il est important d'être bien formé. Ce qui amène une seconde interrogation. Est-ce que les professionnels de soins sont suffisamment formés à la communication ?
- Dr Claire Vanhaecke-Collard, gériatre
Clairement pas du tout. Après, je suis médecin depuis une quinzaine d'années, donc certainement que maintenant il y a d'autres modules sur la communication avec le patient. Maintenant, on apprend sur le tas. Que ce soit la communication avec le patient ou la communication avec les collègues, avec le réseau de façon générale, ça on apprend sur le tas, clairement. Si on aime bien, on se penche un peu dessus et on essaye de faire. Et puis si on n'aime pas trop communiquer, On ne communique pas et c'est un petit peu dommage.
- Jan-Marc Charrel, Représentant des Usagers
C'est-à-dire que moi, quand j'étais malade, ça remonte à 16-17 ans, on n'avait pas cet accompagnement. Et donc, ça a commencé à se développer, on va dire, avec l'éducation thérapeutique du patient, mais c'était encore un petit peu restreint. Alors, ça vient petit à petit. C'est un changement de paradigme pour les médecins parce que malheureusement, dans leur cursus, Ils n'ont pas travaillé ce qu'on appelle les sciences humaines et sociales, et il faut apporter cette dimension-là. Alors ça se fait petit à petit, pour certains c'est inné, pour d'autres c'est compliqué, mais petit à petit ça va venir.
- Samuel Macé, représentant du personnel
Alors en tant que médecin, je pourrais dire que non, alors que les étudiants en soins infirmiers de deuxième, de troisième année ont des cours et sont beaucoup mieux formés à cette réflexion.
- Juliette Ogil, cadre de santé
Oui, oui, totalement. On a pas mal de cours théoriques où on fait par exemple de la simulation, du théâtre.
- Dr Claire Vanhaecke-Collard, gériatre
On nous apprend à avoir des entretiens infirmiers, donc on nous apprend à communiquer avec les patients, que ce soit la communication verbale ou non-verbale. Donc oui, oui, on apprend pas mal de choses en études.
- Etudiante infirmière 2
Il y a certaines choses où je pense qu'on pourrait peut-être être un peu plus formé. Mais bon, c'est délicat d'être formé sur une annonce. Quel mot choisir quand on a une annonce difficile à faire ? Ce n'est pas nous, en tant qu'infirmière en général, de la faire, c'est plutôt au médecin. Mais on a quand même cette part où on prend en charge, le médecin fait une annonce, lui, ça dure cinq minutes et puis on est là derrière, nous, pour gérer la souffrance. Donc, je pense que ça pourrait être amélioré. Mais on a déjà une part de formation, oui, quand même, dans l'institut de formation.
- Juliette Ogil, cadre de santé
Alors, lors du processus en formation en institut, non, elle n'est pas suffisamment abordée. Mais j'ai envie de dire que dès notre entrée à l'école maternelle primaire, la communication n'est pas assez abordée. Et c'est bien parce que nos équipes et moi-même, on a eu des formations complémentaires, que ce soit en hypnose, en programmation neurolinguistique ou même en cohérence cardiaque, qu'on s'est mis à faire de la communication thérapeutique positive parce qu'on a vu vraiment une autre approche de la communication. Et malgré tout, c'est quelque chose qu'on devrait apprendre, même bien avant l'IFSI, de communiquer autrement.
- Aurélie Roche, cadre supérieure
Par contre, dans le métier de cadre, on a eu un accompagnement en particulier au CHAL, où on a des ateliers réservés pour les cadres, où on apprend des réflexions sur comment on aborde des situations. Et c'est une discussion qu'on peut avoir entre plusieurs professionnels d'un même corps de métier. et qui nous aide effectivement.
- Philippe Vez, cadre de santé
Alors il y a pas mal d'enseignements dans le programme où on leur apprend effectivement à communiquer par le biais de simulations, des espèces de scénettes avec des scénarios, notamment pour savoir quoi dire, comment écouter les patients en fonction des situations. Donc ça effectivement c'est plutôt apprenant et on débriefe chaque fois ces séances de simulation. Mais moi ce que j'ai remarqué effectivement en passant de la formation à l'encadrement de services, c'est que finalement Ce qui est fondamental, c'est l'exemplarité. C'est comment moi, en tant que formateur, je m'adresse aux étudiants, comment je communique avec eux, et finalement, ils prennent vite le pas de se caler sur la manière dont on se comporte avec eux. Pour moi, c'est vraiment quelque chose d'important. La communication que nous, en tant que managers, on peut avoir avec les équipes va être un gage de réussite pour qu'eux communiquent bien et de manière bienveillante avec les patients.
- Aurélie Roche, cadre supérieure
Alors moi, je communique assez naturellement, donc ce n'est pas vraiment un problème pour moi, mais j'entends que pour certaines personnes, ça puisse être compliqué. Et cette journée-là, c'est aussi l'occasion de rencontrer d'autres personnes et puis de s'ouvrir un petit peu et de voir un petit peu ce que ça donne. Il faut se laisser porter, je pense.
- Martial Saunier
Si on se laisse porter, on s'aperçoit très vite que derrière cette expression « communiquer, c'est soigner » , il y a une cible, le patient. Alors c'est quoi aujourd'hui, communiquer avec le patient ? pour ma première interlocutrice, le résident.
- Aichouche, animatrice EHPAD
Ce qui se passe au jour d'aujourd'hui, c'est que les personnes arrivent de plus en plus grabataires parce qu'elles restent de plus en plus longtemps à la maison. Et la difficulté, c'est qu'elles ne sont pas volontaires. Elles ne viennent pas volontairement. C'est souvent les familles qui les placent. Et du coup, il y a tout un travail à faire. Dans les premiers temps, on va leur prêter beaucoup d'attention. On va les aider à trouver leur marque dans l'EHPAD. Ça peut être en allant les voir tous les jours, en discutant avec elles, en leur présentant d'autres résidents. Et petit à petit, elles arrivent à retrouver leur marque. Et finalement, le fait d'être entourées et plus isolées à la maison, elles finissent par y trouver un intérêt. Parce qu'elles font des activités variées ou pas, mais elles observent tout ce qui se passe, c'est vivant un EHPAD. Contrairement à ce qu'on peut imaginer, c'est très vivant un EHPAD.
- Dr Claire Vanhaecke-Collard, gériatre
Avec le patient, c'est vrai que ce n'est pas toujours facile. Déjà, parce qu'ils n'entendent pas toujours bien, ils ne voient pas bien, etc. Ils n'ont pas l'accès. à des communications écrites parce qu'ils n'arrivent pas toujours à lire, etc. Donc on communique avec le patient, certes, mais aussi beaucoup avec ses proches. On le voit en tout cas sur l'EHPAD de Marnaz, on organise avec l'IDEC des réunions famille, au moins tous les ans, même voire tous les six mois, justement pour communiquer, pour faire passer l'information. Parce qu'on voit bien que les informations en gériatrie, elles ont parfois tendance à rester bloquées parce qu'on dit des infos aux patients ou aux résidents, mais lui-même n'est pas en état parfois de comprendre et encore moins de transmettre. Et du coup, l'info, elle tourne mal. Et c'est souvent le lit de situations conflictuelles après. Donc on se rend bien compte qu'il faut qu'on arrive à communiquer davantage auprès des familles. Et communiquer, c'est désamorcer les problèmes. Et plus on communique et moins on aura de situations conflictuelles derrière.
- Etudiante infirmière 3
Souvent, on nous demande de quand même bien analyser le patient au niveau visuel et ensuite de regarder son langage non-verbal pour savoir comment on va pouvoir aborder le patient. Par exemple, le patient qui va être assis, le patient qui ne va pas arrêter de marcher, qui va être debout, le patient qui va avoir les bras croisés. qui va ruminer, les postures, le faciès. En fait, cette analyse va nous permettre de pouvoir nous adapter aux patients, donc par exemple se mettre à sa hauteur, parler doucement, parler plus fort avec les personnes âgées qui ont du mal à entendre, ou une personne atteinte de troubles du langage ou plusieurs handicaps, c'est vrai que ça va nous aider.
- Etudiante infirmière 2
Cette posture va être par la communication, par la gestuelle, par communiquer à travers un regard, communiquer à travers un geste. Et donc c'est très important, je pense qu'on peut apaiser des souffrances, pas forcément physiques, mais émotionnelles déjà par la communication, qu'elle soit verbale ou non verbale. Donc c'est une part très importante du soin.
- Philippe Vez, cadre de santé
Et puis souvent, on doit quand même rappeler aux proches que le patient, c'est lui qui doit nous orienter dans sa prise en soin. Et des fois, les familles vont vouloir nous orienter en nous disant que leur papa ou leur mari veulent ça plutôt que ça. Et en fait, nous, on doit leur expliquer avec toute la diplomatie qu'il faut y mettre, que c'est quand même le patient qui doit nous dire ce qu'il souhaite pour lui. On intervient sur son corps, on lui propose des choses et c'est lui qui doit nous dire s'il accepte ou pas ce qu'on lui propose et pas la famille. Et donc, souvent, c'est parfois mal pris par la famille parce qu'ils veulent absolument mettre leur grain de sel. C'est peut-être pas très bien dit, mais... Ils veulent qu'on prenne en compte ce qu'ils ont à nous dire. Alors oui, on peut les écouter, mais ce n'est pas pour ça que c'est eux qui décident à la place du patient.
- Martial Saunier
Pour mieux communiquer avec le patient, l'hôpital dispose d'un certain nombre d'outils. Notamment le patient partenaire. J'ai eu la chance d'en rencontrer un durant cette journée. Alors je lui ai posé la question, ça sert à quoi un patient partenaire ?
- Jan-Marc Charrel, Représentant des Usagers
Les gens sont tellement surpris, abasourdis par la diagnostic qu'on vient de leur poser, ils ne savent plus où ils en sont. Et donc ça permet d'avoir, par la relation humaine, et de voir une personne qui a la même maladie, et qui est quand même valide et qui fait des choses. Et donc ça permet justement d'entrer plus facilement en contact, nous, patients, partenaires, que des fois les professionnels. Et donc la communication justement, c'est important pour ça, de façon à leur expliquer comment ça va se passer, donner des astuces. Puisqu'on a vécu cette maladie, je l'ai vécue, et donc ça leur permet de reprendre confiance en eux.
- Martial Saunier
Autre thème qui est souvent revenu dans mes échanges autour de la communication avec le patient, c'est le fameux "masque du soignant", à la fois une protection pour le professionnel, mais parfois une entrave à la communication.
- Animatrice troupe de théâtre
Oui, le masque, c'est bien. Ça peut permettre, dans des situations très complexes, ou quand il y a l'émotion qui vient et que ce n'est pas le moment de l'émotion. Clairement, il y a des moments où il faut mettre ce masque parce qu'on doit être dans l'action. Il y a une urgence, il y a quelque chose de vraiment essentiel. Ça peut être la vie d'un patient. Clairement, là, tu dois mettre le masque de l'efficacité et du professionnalisme. C'est important de l'enlever régulièrement, pouvoir décharger ses émotions, c'est vraiment la base de tout. On est des êtres d'émotions, on est des êtres émotifs et si on ne décharge pas, si on n'en parle pas, même physiquement, si on ne sort pas toutes nos émotions, on a une vraie problématique sur la durée.
- Dr Claire Vanhaecke-Collard, gériatre
Je trouve que plus je vieillis et moins j'ai besoin de mon masque. Et je pense que ça c'est l'expérience aussi et ça j'interviens vraiment en EHPAD que depuis deux ans. Et ça, c'est vraiment quelque chose qu'on a appris en EHPAD, c'est que c'est vraiment l'humain qui passe devant. Et plus je rencontre les familles et plus je partage des choses avec les résidents, moins j'ai besoin d'un masque, entre guillemets, d'une autorité de médecin ou quoi que ce soit, parce qu'en fait, on se rend compte qu'on n'en a pas besoin. Je pense que ça, ce masque-là, on en a plus besoin au début de carrière. Et quand on devient plus vieux, on en a moins besoin. Donc probablement que je vieillis, mais j'ai moins besoin de ce masque-là, en tout cas. Oui, je pense qu'on a besoin d'acquérir de la confiance en soi. Et quand on a confiance en soi, on n'a plus besoin d'un masque. Mais ça, c'est l'expérience qui fait.
- Martial Saunier
Parmi les outils pour améliorer la communication avec le patient, j'ai découvert aussi la communication thérapeutique positive, portée par le service de soins intensifs.
- Juliette Ogil, cadre de santé
Ça fait quelques années aujourd'hui qu'on travaille sur cette communication positive pour pouvoir donner une autre approche du soin. aborder les patients et leurs familles un petit peu autrement, les mettre un petit peu dans une bulle positive pour que leur séjour aux soins intensifs se passe le mieux possible. Déjà, notre cerveau n'est pas fait pour connaître les négations. Donc quand on vous dit de ne pas faire quelque chose, vous avez souvent très envie de le faire. Donc un patient qui arrive au soin, on a tendance à dire qu'il arrive en état de sidération et quand on lui dit n'ayez pas peur, ça ne va pas faire mal, il entend avoir peur et ça va faire mal. tous ces mots négatifs pour pouvoir justement faire en sorte que ces mots négatifs n'aient pas une empreinte dans leur parcours de soins. Du coup, on ne dit plus au patient qu'on va le piquer, on dit qu'on va lui faire une prise de sang ou qu'on va faire juste un soin, sans forcément aller lui expliquer tout le process du soin. Donc, c'est une approche très différente et qui donne aussi une expérience différente au patient. Alors oui, il y a des résultats parce que déjà les patients nous font des retours extrêmement positifs de leur séjour aux soins intensifs, mais aussi dans l'approche que tout soignant a par rapport aux familles, par rapport aux patients, qui peuvent des fois être un petit peu agressifs si on peut dire, parce que c'est une situation hyper stressante pour eux d'arriver là et pour leur famille aussi. Et en fait, chacun d'entre nous a fait un pas de côté et plus à même de se mettre à la place du patient ou de la famille. Et du coup, les choses se passent avec beaucoup moins d'agressivité. On prend beaucoup moins à cœur tout ce qui peut se passer. En tout cas, on essaye d'apaiser les esprits parce qu'on se rend bien compte que souvent, c'est aussi dû au fait qu'ils soient stressés d'être chez nous. Et du coup, il y a aussi un bien-être dans l'équipe qui est très différent aujourd'hui.
- Martial Saunier
Le bien-être dans l'équipe, et si on en parlait ? Car oui, si dans communiquer c'est soigné, on cible le patient, savoir communiquer avec ses collègues est aussi essentiel. Et c'est souvent revenu dans mes échanges avec les professionnels de soins.
- Laurence Blanc, cadre de santé
Pour moi, c'est important parce que quand on communique avec les collègues ou le personnel, pour moi, c'est toujours communiquer avec respect, avec bienveillance et toujours pouvoir exprimer ses émotions, tout ça, parce qu'il faut que la communication soit vraie pour qu'on ait des réponses c'est qu'il y ait vraiment quelque chose de... dans la confiance.
- Claire Firmin, infirmière
Alors nous, on a de la chance d'avoir une équipe très soudée, qui travaillent tous dans le même sens, avec justement des connaissances en matière de communication et une communication qui est fluide. Après, je pense qu'il y a plein de petites choses, des petits facteurs qui peuvent aider. Notamment, on sait très bien que quand il n'y a plus de temps informel dans les équipes, par exemple une surcharge d'activité qui empêche de prendre un petit café pour se dire Ben écoute, tout à l'heure, tu m'as mal parlé. Oui, effectivement, en ce moment, je suis un peu stressée, etc. Ça permet de désamorcer des situations qui, parfois, peuvent s'enquister. Et ça, on sait très bien que c'est important, mais je pense que tout le monde y est attentif.
- Philippe Vez, cadre de santé
Alors déjà, nous, on est vigilants, effectivement, à ce que la communication se fasse bien dans les équipes, les équipes soignantes entre elles, mais également dans les différentes équipes, l'équipe médicale, l'équipe soignante. Moi personnellement, je suis très vigilant à la manière dont les choses sont dites en termes de fond et de forme. Éventuellement, je n'hésite pas à voir des soignants ou même à voir les médecins pour revoir avec eux des communications que j'aurais trouvées inadaptées. Parce qu'effectivement, c'est vraiment un gage que l'ambiance dans l'équipe soit maintenue bonne, de qualité. Parce que si on communique mal, ça peut très vite dégénérer. Et puis c'est vrai qu'on est quand même dans un environnement complexe qui fait que parfois, le stress fait que la communication n'est pas toujours adaptée. Et c'est important pour moi de pointer quand ça ne va pas en expliquant qu'effectivement, c'est important d'être vigilant. D'ailleurs, dès qu'un soignant a eu un mot un peu déplacé ou inadapté, assez rapidement je vais lui demander à pouvoir le rencontrer et je n'ai pas besoin d'aller plus loin. Ils savent effectivement qu'ils ont dépassé les bornes et on en parle sereinement pour que ça ne se reproduise pas ou le moins possible, même si malgré tout c'est inévitable.
- Martial Saunier
Lorsque des conflits interpersonnels apparaissent, là aussi l'hôpital dispose d'outils. L'un d'eux s'appelle la cellule de conciliation. Alors comment elle marche cette cellule de conciliation ?
- Samuel Macé, représentant du personnel
Une personne qui souhaiterait obtenir de l'aide de la cellule de conciliation. doit nous communiquer par mail sa demande. S'il s'avère que ce soit un conflit avéré, des conciliateurs peuvent être détachés préférentiellement d'autres établissements pour aider les conciliés à trouver par eux-mêmes les solutions à leurs problèmes. Nous ne proposons pas de solution toute faite, mais un pas de côté, un lieu à part où les gens peuvent à nouveau se retrouver pour recréer quelque chose de différent. Il n'y a pas de solution miracle. On travaille sur la reformulation. Donc quand les personnes nous expriment leurs émotions et leurs sentiments, on va essayer de les saisir, de les comprendre, de les reformuler pour bien leur donner une forme de réalité. Si les débats sont bien menés, le co-concilié va également entendre ça. Et à partir du moment où les gens se sont rejoints au niveau des besoins, au niveau de leurs besoins fondamentaux, il y a une forme de reconnaissance mutuelle et c'est ce point de bascule. Le point de bascule, c'est la reconnaissance mutuelle des besoins de l'autre. Alors ça peut paraître sans exemple un peu théorique, mais dans la pratique, il y a vraiment un moment qui dure quelques minutes, souvent, mais guère plus, où il y a ce passage. Et les gens qu'on a pu concilier ont convenu après coup qu'ils avaient vraiment vécu un moment particulier de reconnaissance mutuelle et s'en sont sortis apaisés.
- Martial Saunier
Cellule de conciliation, patient partenaire... communication non verbale, communication thérapeutique positive. Nous avons pu découvrir les concepts et les outils rattachés à la formule "communiquer c'est soigner". À présent, il est temps de retrouver Philippe Croizon, l'invité exceptionnel de cette journée des soins.
- Laurence Blanc, cadre de santé
Par rapport à l'hôpital, est-ce qu'il y a des paroles de soignants qui vous ont particulièrement aidé ou le contraire ?
- Philippe Croizon
J'ai une fois, c'est-à-dire quand je suis arrivé en centre de rééducation, Il y avait une dame, je pense que c'était une aide-soignante, et un soir, j'ai eu envie d'aller aux toilettes, d'aller à la selle. Et je sonne, elle arrive, elle rentre dans ma chambre, elle dit « c'est pourquoi ? » Je dis « j'ai envie d'aller à la selle » . Et elle a cette petite phrase, pour elle peut-être anodine, elle dit « oh zut, il fallait que ça tombe sur moi » . Et là, elle m'a effondré, mais en une fraction de seconde. En une fraction de seconde, j'étais devenu vraiment une personne handicapée.
- Martial Saunier
Ce court extrait pris durant la conférence de Philippe Croison au moment des questions-réponses montre bien les enjeux de la communication auprès du patient. Et patient, Philippe Croison l'a été, puisqu'à l'âge de 25 ans, il a été victime d'un grave accident électrique en voulant retirer l'antenne du toit de sa maison. Il va être amputé de ses deux bras et deux jambes et va faire plusieurs mois à l'hôpital et deux ans en centre de rééducation. Malgré son handicap, il multiplie les exploits sportifs telle que la première traversée de la Manche à la nage accomplie par un amputé des 4 membres. Alors, au-delà de son message fort de résilience, et pour rester dans la thématique "communiquer c'est soigner", je me suis intéressé à son parcours de patient, en particulier sa relation avec les professionnels de soins. Voici donc son interview faite juste après sa conférence à l'attention de nos professionnels hospitaliers. Bonjour Philippe Croison. Cette journée des soins a pour thématique "communiquer, c'est soigner". Dans votre parcours de patient suite à votre accident, avez-vous pu bénéficier d'une bonne communication avec l'équipe soignante et médicale ? À l'époque,
- Philippe Croizon
oui, en 1994, effectivement. Moi, je l'ai dit tout à l'heure, j'ai que des bons souvenirs avec le personnel soignant. Parce qu'ils étaient avenants, quand ma grand-mère vient dans mon ère stérile, elle me dit je vais te faire de la banane écrasée et du fromage blanc. Voilà, le soir même, il y a une infirmière qui vient avec de la banane écrasée et du fromage blanc. Je viens d'être amputé des quatre membres. C'est le petit détail qui fait que ça apporte une petite respiration supplémentaire. Et après, j'ai vécu pendant deux ans en milieu hospitalier, et comme je disais tout à l'heure, je faisais partie des meubles. Mais après, je suis un bout en train, j'adore être avec les gens, j'adore partager. Donc c'est peut-être ça aussi qu'a lié le lien avec le personnel soignant. Ça fait du bien.
- Martial Saunier
Est-ce que vous avez rencontré parfois des difficultés à partager des ressentis, des questionnements ?
- Philippe Croizon
Oui, j'ai eu des grosses difficultés parce que mon père m'a élevé comme ça. Quand j'ai eu mon accident, il avait dit à tout le monde, il ne faut pas pleurer devant Philippe. Et pendant 7 ans, il y a eu une omerta sur l'accident. Et quand j'ai explosé au bout de 7 ans, tout le monde a explosé. Mon père, mon frère, ma mère, mon épouse, mes deux petits garçons ont explosé 7 ans après. Parce qu'on était dans une omerta totale de, il ne faut pas parler de l'accident, comme ça on ne va pas pleurer. Mais non bordel, il faut parler, il faut pleurer, il faut qu'on se le dise entre nous. Moi ça a duré un an et après j'ai reconstruit ma vie et c'est pour ça qu'aujourd'hui je tourne, je fais une tournée entre 80 et 100 dates par an pour offrir mon énergie. Comme je dis, j'ai une vanne, depuis que j'ai pris 3 décharges de 20 000 volts, maintenant je suis devenu distributeur d'énergie positive, c'est cool.
- Martial Saunier
Et donc vous avez traversé des périodes difficiles, des périodes de doute, est-ce qu'on est en capacité d'être compris et d'écouter aussi les autres ?
- Philippe Croizon
Encore une fois je pense que c'est une histoire d'éducation. Et puis après on nait avec un trait de caractère. Moi je sais que je suis né optimiste. C'est mon trait de caractère, il est comme ça. Après, c'est très difficile de répondre à cette question en vérité. Parce que chaque être humain est différent. Donc comment il va réagir à l'adversité, comment il va réagir à la façon de pouvoir communiquer. Je le disais tout à l'heure, quand on est du personnel soignant, quand on rentre dans une chambre, c'est jamais le même personnage. Et ils vont faire 30 chambres dans la journée, ou j'en sais rien, mais derrière chaque porte c'est un personnage différent. Est-ce qu'il va être dans la colère ? Est-ce qu'il va être dans la dépression ? Est-ce qu'il va être dans la joie ? On n'en sait rien. Et il faut absorber ça. Et c'est le personnel soignant qui absorbe tout ça. Donc, moi, je les aime très fort. Je vous aime.
- Martial Saunier
Et quelles sont pour vous les caractéristiques d'une bonne communication soignant-soigné ?
- Philippe Croizon
Je ne sais pas s'il y a vraiment une bonne méthode, mais je pense qu'il faut être soi-même. Je pense qu'il faut être soi-même. Si on essaie de créer un personnage, déjà, si on crée un personnage en étant soignant et qu'on veut faire quelque chose de... Je ne sais pas, je pense qu'on va être malheureux toute sa vie. Il faut rester soi-même. Après, on peut avoir des moments durs dans son parcours de vie, mais je pense qu'il faut le laisser à l'entrée de l'hôpital ou à l'entrée de la clinique. On vient faire son métier parce que celui qui est là dans la chambre, il n'attend qu'une seule chose. C'est que l'infirmière ou l'aide-soignante, elle lui fasse pas un bisou, pas un câlin, mais un sourire ou dire voilà, on est avec vous. Et vice-versa, quand on quitte l'hôpital, je sais qu'il faut lâcher tout ce qui est derrière et rentrer dans sa vie de famille. Mais tout ça, c'est tellement dur, tellement compliqué. On parle d'humains, donc il n'y a pas de vérité. Donc je suis désolé, je ne peux pas dire mieux que ça.
- Martial Saunier
Vous avez donc traversé la Manche à la nage, relié les 5 continents à la nage également. On dit que vous déplacez les montagnes, ici ça nous parle. Et dans vos conférences, vous dites que ces défis sont surtout des aventures collectives. Comment s'organise justement la communication dans ces défis collectifs ?
- Philippe Croizon
Non, vous l'avez compris, moi j'étais ouvrier métallurgiste à la base, donc je n'étais pas prédestiné à devenir manager d'équipe ou ainsi de suite. Et non, je l'ai dit tout à l'heure, 7 ans de silence avec ma famille. Quand j'ai monté mon équipe, j'ai dit qu'il n'y aurait pas de silence. Et surtout le "JE" J-E n'existe pas. C'est quand on a un rêve, il faut que le rêve devienne collectif. Il faut qu'on puisse offrir ce rêve à tous ceux qui viennent vous aider. Donc pour moi c'était, quand on a une fois par mois, tout le monde autour de la table, et on discute de ce qui va, ce qui ne va pas, et après on vide son sac et on repart à l'entraînement. Et je pense que c'est la chose la plus primordiale dans une équipe, s'il y a un silence, c'est mort. C'est mort, ça va partir en sucette, c'est sûr et certain. La pression va monter, va monter, va monter jusqu'à l'explosion. Donc il ne faut pas garder le silence, il faut s'exprimer dans le calme. J'ai besoin d'une réunion, j'ai besoin qu'on se parle. On peut s'améliorer entre nous, mais jamais de silence. Jamais, jamais, jamais. Donc il n'y a jamais eu de silence dans mon équipe.
- Martial Saunier
Et comment gérez-vous les périodes sans défi ? Parce que vous êtes un homme de défi, mais comment ça se passe quand il n'y a pas de défi ?
- Philippe Croizon
Je travaille beaucoup, j'écris des livres. Je l'ai dit tout à l'heure, j'ai vécu après mon accident pendant 7 ans, un peu plus de 7 ans dans un canapé, j'ai végété, à franchir les fameuses 5 phases du deuil. Et aujourd'hui, j'organise mes conférences, j'écris. De temps en temps, je vais un petit peu au cinéma, parce que j'ai besoin de vider ma tête. Ou alors moi, je vis au bord de la mer, je lâche un peu l'ordinateur, je lâche le téléphone et je me mets devant la mer et je la regarde. C'est elle qui me ressource. Vous, chez vous ici, c'est la montagne qui vous ressource et moi c'est la mer.
- Martial Saunier
Alors oui, effectivement, vous êtes aujourd'hui conférencier, donc un métier de communication. Si on reprend la formule de la thématique d'aujourd'hui, "communiquer c'est soigner", avez-vous le sentiment, à votre manière, de pratiquer un soin ?
- Philippe Croizon
Ah bah ouais, j'en suis persuadé, même parce que j'offre mon énergie et là aujourd'hui c'était du personnel soignant et tout ça, des fois je vais dans les centres de rééducation, dans les prisons, voilà, j'offre cette énergie, donc c'est un soin pour leur tête aussi, ça fait du bien. Vous savez, on dit que la guérison, c'est 50% le mental. Donc quand on rit et qu'on pense à autre chose, ça fait vraiment du bien. Donc j'aime offrir mon énergie et dire que tout est jouable. Des fois, je reçois beaucoup de messages derrière, par mail ou sur LinkedIn. Merci, ça m'a fait du bien, ça m'a recentré et j'ai pu ouvrir la bouche. J'ai pu ouvrir la bouche avec ma famille.
- Martial Saunier
Dernière question, au vu du chemin parcouru, quel regard avez-vous aujourd'hui sur l'accident de 1994 ?
- Philippe Croizon
Je dirais, j'ai beaucoup pleuré, j'ai beaucoup crié. Tu sais, il y a une phrase, tu sais, que tout le monde prend un peu avec désinvolture "après la pluie, le beau temps". Moi, ce n'est pas la pluie que j'ai rencontrée, c'est un tsunami, c'est un orage, c'est un ouragan que j'ai rencontré. Et aujourd'hui, je suis au soleil. J'aime ma vie. Il y a 31 ans, on m'aurait proposé de partir, je serais parti, ouais. Aujourd'hui, j'aime ma vie profondément, elle est vraiment chouette. Ça valait le coup de rester. Donc voilà, c'est ça le message que j'ai envie de faire passer aussi. Ça peut être difficile, c'est dur, c'est violent, mais j'ai eu la chance d'être accompagné.
- Martial Saunier
J'ai eu la chance d'être accompagné. Cette phrase montre encore une fois l'enjeu de la relation aux autres et d'une communication vraie et bienveillante. J'espère que ce podcast vous a aidé à appréhender la relation entre communication et soins. Je tiens à remercier tous les professionnels qui se sont généreusement prêtés au jeu des interviews. J'ai recueilli près de trois heures d'échange, je n'ai pas pu tout mettre, mais je tiens à les remercier toutes et tous pour leur disponibilité et la qualité des échanges. Puis merci bien sûr à Philippe Croison pour sa gentillesse, son humour, son témoignage précieux. Merci enfin à toutes et tous pour votre écoute. N'hésitez pas à partager ce podcast auprès de vos proches et à très bientôt en salle de pause.