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Le cimetière de l'océan

"La Provence", triomphe et hécatombe

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19min |17/06/2024
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"La Provence", triomphe et hécatombe

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Description

Lancé sur la prestigieuse ligne Le Havre - New York en 1906, La Provence embarque des innovations qui distinguent enfin la French Line des compagnies concurrentes. Toutefois, il doit encore faire ses preuves et quoi de mieux qu'une course de vitesse contre le détenteur du ruban bleu ?

Découvrez avec moi l'histoire du tristement oublié "La Provence".


Illustration:


Sons: 


Musiques:

  • First Steps - Oleg Kyrylkow

  • Midnight - Aleksey Chistilin



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à nouveau au rayon des navires légendaires oubliés. Savez-vous quel est mon rêve ? De posséder suffisamment de moyens pour me munir d'un submersible ou d'un drone sous-marin suffisamment résistant à la pression pour me permettre d'aller visiter des épaves qui n'intéressent personne ou pas grand monde. À nouveau aujourd'hui, je vous emmène avec moi à la rencontre d'un navire français qui fut, à son lancement, le plus gros et le plus rapide navire de la flotte de la Compagnie Générale Transatlantique qui concurrencera sérieusement les compagnies allemandes. Je veux vous parler de la Provence. Allez, munissons-nous d'une carte et sondons le fond. Nous sommes en Méditerranée. Nous longeons la Grèce, plus précisément dans le Péloponnèse, bien au large de Cap Ténéré. C'est ici que sombra la Provence le 26 février 1916, peu après 15 heures. L'épave que nous cherchons est assez imposante. 190 mètres de long et 20 de large, mis en service en 1906 entre Le Havre et New York. Imposante peut-être, mais à l'époque, ça reste un petit paquebot transatlantique comme le faisait la French Line qui était dépendante des dimensions d'accueil du port du Havre. Il est le dernier navire commandé par Eugène Perrer avant son éviction de la compagnie générale transatlantique. En comparaison, le Deutschland de la APAG mis en service en 1907 mesurait 207 mètres. Le Lusitania et le Mauritania de la Cunard mis en service un an plus tard feront 240 mètres. La Provence est composée de six ponts et sa superstructure, très classique, est dominée par deux grandes cheminées rouges à manchons noirs, les couleurs de la Transat. Ses lignes et son style sont similaires à la Lorraine et la Savoie, mis en service en 1900. Si d'extérieur il ne semble pas particulièrement innovant, c'est à l'intérieur qu'il faut s'intéresser. La Transat semble enfin manifester une volonté de redresser un peu la barre. Regardez, j'ai ici un plan de la Provence. On entre en première classe depuis le pont de promenade et on arrive dans un vestibule où se trouve le grand escalier avec son garde-corps au fer forgé, joliment ouvragé avec des volutes. L'escalier est surmonté d'un dôme de lumière juste derrière la première cheminée. Au-dessous de ce dôme, vous pouvez admirer un fronton de bois sculpté avec une figure féminine symbolisant la Provence entourée de chérubins. À côté de sa main gauche, le caducé d'Hermès qui, lui, évoque le voyage. En voilà une belle promesse. Juste derrière, vous trouverez le salon de conversation, là aussi surmonté d'un dôme soutenu par des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens. La pièce est joliment décorée et bordée de part et d'autre de grandes fenêtres encadrées de panneaux de bois sculptés. On y trouve du mobilier de style Louis XVI, composé de tables rondes ou carrées, entourées de fauteuils. Au plafond, deux très beaux globes lumineux mêlant verre et frise de bronze. Derrière ce salon, communiquant par une double porte en carreau de verre, le salon de lecture. Au pont du dessous, s'étendant entre les deux cheminées, c'est la salle à manger de première classe. Elle est décorée dans un style Louis XV et ses murs sont en lambris blanc et or. Certaines banquettes aux extrémités de la pièce sont séparées par une cloison de base de bois habillée par des moulures végétales qui remontent en longeant le mur jusqu'au plafond. Au centre de ces cloisons se trouve un chérubin portant une torche lumineuse. Tiens, ça ne vous rappelle pas un autre paquebot ? Le plafond, lui, est habillé de larges cloisons et ici encore des luminaires mêlant vert et bronze. A son centre, des tables pouvant accueillir plusieurs convives et dont les fauteuils sont fixés au sol. Ah c'est une belle pièce oui, et lumineuse avec ça. 250 convives peuvent y prendre place. Juste en dessous, c'est la salle à manger des enfants à côté du bureau de renseignement du navire. Allons sur le pont de promenade supérieur. C'est là que se trouve le café des premières classes, situé juste en dessous des six cabines de luxe qui, elles, disposent de leur propre salle de bain et sont chauffées par des cheminées décoratives électriques. De quoi ravir la riche clientèle américaine. Les autres cabines restent simples, un peu exigues et pourvues de lavabos de toilettes. Vers l'avant se trouve un vaste fumoir pour la première classe dans le style Renaissance avec des panneaux en bois de cèdre. L'entrée des secondes classes se fait à l'arrière du navire, depuis le pont supérieur de la poupe. Immédiatement en dessous, c'est leur salle à manger. Tout y est plus sobre. Les murs sont tapissés de lac crusta, c'est un papier peint texturé, et le sol est en linoleum. 150 passagers peuvent y dîner. Inutile donc de décrire celle des troisième classes qui est spartiate. Leurs dortoirs sont répartis entre l'avant et l'arrière de la Provence, et ils disposent d'une salle avec lavabo pour les hommes, et une salle avec lavabo pour les femmes. La salle des machines, elle, est imposante et occupe une grande partie des ponts du navire en son milieu. Rien d'innovant de ce côté-là. Deux machines à vapeur classiques à triple expansion, alimentant quatre hélices latérales et développant une puissance de 30 000 chevaux permettant d'atteindre les 21 nœuds. Au centre, des immenses soutes à charbon pour alimenter les chaudières de ce monstre de métal et lui permettre de se mouvoir dans l'Atlantique. 1500 passagers peuvent ainsi embarquer à bord avec 443 membres d'équipage, 450 passagers en première classe, 200 en seconde et 900 en troisième. Même si la Provence marque une amélioration dans le confort et le soin apporté à la décoration, le véritable renouveau n'arrivera qu'avec le France en 1912 dont je vous invite à écouter l'épisode que j'y ai consacré. Toutefois, deux innovations majeures sont à noter sur ce paquebot. Premièrement, c'est le premier paquebot de la French Line à s'équiper d'une radio TSF permettant de communiquer avec la Terre. Ensuite, une innovation qui perdurera jusqu'à la disparition de la Transat en 1974 et qui équipera absolument tous ces paquebots, l'imprimerie. En effet, la French Line décide d'imprimer à bord son journal nommé l'Atlantique, contenant les nouvelles fraîches du jour. Ainsi, vous vous sentez moins coupé du monde pendant ces 7 jours passés en mer. La Provence commence sa carrière le 21 avril 1906. Il part du Havre et atteint New York au bout de 6 jours sous les jets d'eau des bateaux-plompes. Maintenant, la Provence doit faire ses preuves. Et c'est au retour de sa deuxième traversée que l'occasion lui sera donnée. La compagnie générale transatlantique n'avait pas encore dit tout à fait son dernier mot dans la course pour le ruban bleu, toujours détenue par les Allemands. Au cours d'une traversée, il se trouve alors côte à côte avec le Deutschland de la APAG, détenteur de ce si convoité morceau de ruban qui vole fièrement accroché haut à son mât arrière. A bord des deux paquebots, des paris s'organisent entre les milliardaires tels que les Rockefellers, qui avaient embarqué sur le Deutschland, et les Vanderbilt, présents à bord de la Provence. Chacun lance sa mie sur le paquebot qui, selon eux, battra l'autre. Le Deutschland partait favori, sa réputation n'était plus à faire. A bord de la Provence, le capitaine fait remplir les chaudières de charbon à leur maximum. Les soutiers s'en donnent à cœur joie. Il faut ridiculiser ce Deutschland qui depuis 1900 s'est imposé comme navire le plus rapide sur l'Atlantique en plus d'être le plus luxueux. Il faut faire avaler la suie à ces Allemands et leur montrer que les Français sont toujours dans la compétition et déterminés à faire valoir leur savoir-faire. À bord, c'est l'effervescence. Les passagers sont sur les ponts de promenade et regardent petit à petit la Provence prendre de l'avance sur le Deutschland. Les deux cheminées soufflent un très épais nuage d'un noir intense. On ne voit plus le ciel. Elles semblent à bout de souffle. La légende raconte même que certains passagers auraient proposé de brûler leur mal de voyage dans les chaudières pour gagner encore un peu plus de puissance et de l'avance sur le transatlantique allemand. ou encore que le capitaine ou des officiers se seraient assis sur les soupapes de sécurité des chaudières afin de pousser la pression au-delà de la zone rouge, faisant tourner les hélices à vitesse folle, poussant la mécanique dans ses retranchements. Évidemment, dans ces conditions, le navire n'est plus du tout confortable. Il tremble de toutes parts, gronde, émet des bruits épouvantables. Oubliez votre sommeil à cet instant, effuyez les ponts découverts. La suie retombe en paquets, noircissant le bois du pont et le bastingage. Et pour un peu qu'une bourrasque vienne vous caresser le visage, on pourrait vite vous confondre avec un soutier, et s'en sera terminé de votre toilette et de vos beaux habits du dimanche. Au terme de cet effort, la Provence arrivera avec 4 heures d'avance sur le Deutschland qui, semble-t-il, ne s'était pas très bien préparé à une telle course, lui qui pouvait à pleine vitesse toucher du bout des doigts les 25 nœuds. Malgré cette victoire écrasante, la Provence ne ravira pas le ruban bleu, jamais d'ailleurs. Le Deutschland conserve le record de la traversée la plus rapide, il ne sera détrôné qu'en 1907 par le Lusitania de la Cunarde. Vous le savez d'ailleurs si vous avez écouté mon épisode à son sujet. Dans tous les cas, c'est grâce à cette course que la Provence reste célèbre et dont on trouve des cartes postales représentant la proue du transatlantique français fendant les flots à vive allure, son pavillon français bien visible. En arrière-plan, le Deutschland qui disparaît dans le décor. Le ruban bleu n'est certes pas gagné, mais ce coup de pub largement relayé dans la presse américaine valut à la Transat un beau regain de fréquentation de la riche clientèle d'outre-Atlantique. La Provence fait les beaux jours de la Transat et est rejoint en 1912 par le France. Mais, avec l'entrée en guerre 1914, elle est réquisitionnée en août pour être transformée en croisière auxiliaire et servir au transport de troupes vers le front. Au chantier de Cherbourg, son mobilier est retiré afin de loger le plus de troupes possible dans ses salons et salles à manger. On y installe également cinq canons afin de se défendre. Comme un cuirassé de la Marine nationale porte déjà le nom de Provence, on le renomme alors Provence II. Ainsi, dès janvier 1915, il commence à effectuer ses missions de ravitaillement et transport de troupes vers le front des Dardanelles. En parallèle, Provence II effectue des missions de patrouille aux opérations de Koumkale et Sédoulbar. Assez vite, les alliés sont mis en déroute au Dardanelles et ce front devient une impasse. Les troupes sont alors évacuées vers le port de Salonique, en Macédoine, pour soutenir le front d'Orient. Et c'est alors la nouvelle mission de Provence II dès la fin d'année 1915. Nous sommes alors le 23 février 1916 à Toulon. La Provence II est à quai et à son bord, on charge donc du ravitaillement pour les troupes. On embarque quelques 200 chevaux et mulets, en plus des caisses de munitions. Petit à petit, ce sont un peu plus de 1700 militaires du 3e Régiment d'Infanterie Coloniale qui embarquent à bord, des jeunes hommes pour la plupart inexpérimentés. Depuis sa réquisition, Provence est sous le commandement de Marie-Henri Vesco. Cet ancien commandant de la Marine Nationale avait pris sa retraite militaire en 1912 et était entré au service de la Compagnie Générale Transatlantique. C'est donc un capitaine de 51 ans, très expérimenté et de formation militaire. Le navire est entre de très très bonnes mains. Il est aux environs de 17h et la Provence quitte le port de Toulon. Il ne reverra jamais les belles côtes françaises. Rapidement, il file pleine vapeur cap au sud. Le temps est chaud, la mer calme, le voyage pas des plus déplaisants malgré le contexte et les animaux présents à bord. Le 26 février, vers 15h, Provence 2 navigue à une vitesse d'environ 12 nœuds. Il vient de modifier son cap. Les hommes sont pour certains dans leur hamac, dévêtus, somnolents, ou en train de lire en attendant que le temps passe. Il n'y a pas beaucoup de distractions à bord. D'autres conversent ou sont en train de prendre l'air sur les ponts. Soudain, un puissant choc, une détonation ébranle le navire sur tribord arrière. Pendant un court instant, le temps semble se figer. Certains officiers sortent leurs revolvers par réflexe. Immédiatement, les hommes se massent sur le pont des embarcations. Le commandant Vasco comprit tout de suite qu'il venait d'être torpillé. Avec tout le sang-froid d'un homme de son grade, il fit immédiatement descendre les cloisons étanches, donna l'ordre de stopper le maire et demanda à Joseph Huby et Eugène Pian, au poste TSF, de transmettre sans attendre le message de détresse. La province commence rapidement à s'enfoncer par l'arrière et la panique vient semer le désordre dans l'évacuation. Les hommes se ruent dans les coursives étroites et sont bloqués dans les escaliers. Ils s'entassent dans des chaloupes où personne n'est présent pour les faire descendre. D'autres, au contraire, les font descendre alors que la Provence n'est pas complètement à l'arrêt. Une fois en mer, elles chavirent bien sûr. Le spectacle, si on peut l'appeler ainsi, est affreux, saisissant. Dans des élans de désespoir, certains se jettent de plusieurs mètres dans les chaloupes en train de descendre. Ceux qui les descendent justement sont inexpérimentés et laissent filer le garant entre leurs mains, précipitant à l'eau les occupants avant que la barque ne vienne leur retomber dessus. Dans tout ce désordre, certaines embarcations sont correctement descendues et s'éloignent du transatlantique qui vit ces derniers instants. Sur les ponts, des hommes jettent à l'eau tout ce qui peut permettre de flotter et de s'agripper. Bouées, balénières, ceintures de sauvetage. La Provence s'incline de plus en plus par l'arrière en s'enfonçant dans l'eau. Des explosions sont entendues. Ce sont les chaudières. Les animaux panitent. Personne ne peut plus rien pour eux. Les cheminées crachent une épaisse fumée noire tandis que l'eau s'engouffre dedans. Au bout d'à peine plus de 15 minutes, la Provence se dresse droite et entame son plongeon final. Le commandant Vasco, depuis la passerelle, s'adresse à tous les malheureux dans l'eau ou sur les chaloupes en agitant ses bras et sa voix semble dominer tout le brouhaha tandis qu'il leur dit Adieu mes enfants ! Tous le regardent et lui répondent alors ensemble Vive la France ! C'en est terminé de la Provence. Elle disparaît avec son capitaine et ses nombreux hommes restés prisonniers de sa coque. Des hommes refont surface, projetés par les remous, au milieu des débris de la Provence, et leur calvaire n'est pas terminé. Ceux qui arrivent à se maintenir à flot sont recueillis à bord des embarcations ou s'agrippent à des planches. Ils sont à peine vêtus. Fort heureusement, les opères radio étaient parvenus à envoyer leur message de détresse et avaient obtenu réponse avant que le navire ne disparaisse. Ils seront donc secourus. Mais quand ? Les canaux se réunissent, pour la plupart, et tentent de se regrouper pour augmenter leur chance d'être repérés. Les heures passent, la nuit tombe, les embarcations, certaines retournées, sont balayées par la houle, l'écume. Ensemble, ils essayent de se tenir chaud et de maintenir en vie leurs camarades les plus faibles. Durant la nuit, au loin, ils aperçoivent des lumières de projecteurs. Des secours sont sur place et les cherchent, mais il faudra encore attendre quelques heures avant qu'ils puissent les localiser et procéder au sauvetage. Et c'est alors au bout de 18 heures après le naufrage qu'ils seront secourus par des navires français et un navire britannique. Un peu plus de 800 hommes seront sortis de l'eau ce matin-là. Plus de la moitié ont péri avec la Provence. Notre hécatombe. Écoutons un témoignage. Une lettre écrite par le jeune soldat Gauthier, 25 ans au moment du naufrage, envoyée à son beau-frère. Je lisais tranquillement. Tout à coup, une explosion sourde. Le bateau tressaille. Je n'ai pas mis longtemps à me sortir de la cale et grimper sur le pont. Je vais sur le pont avant. Tout le monde était déjà sur pied. Je cours à l'emplacement des ceintures de sauvetage. Il n'y en avait plus à ce moment. Les officiers passaient parmi nous et disaient que c'était qu'un coup de canon. L'espoir nous venait, le bateau marchait toujours. Je me penche hors du bastingage et je vois l'arrière qui s'enfonçait peu à peu. Un camarade qui était à côté de moi quitte sa ceinture de sauvetage et s'en va disant C'est rien, c'est rien ! Je t'assure que je n'ai pas mis dix secondes à bondir dessus et à monter sur le pont supérieur de l'avant. Dans ma précipitation à la mettre, je la casse. Je l'ai réparée tant bien que mal et j'ai attendu. Sur le pont avant supérieur, c'est-à-dire à l'extrémité du bateau, nous étions deux cents massés là. J'étais assez calme. Je cherchais un moyen de sauter dans un des canaux qu'on mettait à la mer. Hélas, ces canaux qui pouvaient contenir 80 personnes étaient chargés du triple. De décrire les scènes d'horreur qui se sont passées est impossible. Les canaux à l'eau chaviraient. Les autres canaux qui arrivaient écrasaient la plupart des malheureux qui étaient dans l'eau. Et puis, le bateau s'enfonçait toujours avec plus de rapidité. Alors, l'explosion des machines a tué encore quelques centaines d'hommes. Le bateau était tout debout. Tu vois la position que j'occupais cramponnée à l'avant. Je me suis laissé engloutir avec le bateau. Le remous de l'eau m'a envoyé au moins à dix mètres de fond. Aussitôt, j'ai remonté à la surface, je commençais à respirer maintenu par ma ceinture, mais aussitôt, je reçois un coup sur la tête, et allez, encore un voyage au fond. Je me croyais bien perdu. Heureusement que je suis remonté encore sans m'évanouir. Et le hasard a voulu que je me trouve à portée d'un radeau. Là, j'ai pu respirer. J'ai regardé l'endroit où, dix minutes avant, flottait un des plus beaux bateaux de notre marine. Ce n'était plus que des débris de planches, des bottes de foin, des casseroles, etc. La mer avait repris son calme. Les survivants à la nage se battaient vers les radeaux et les barques. J'étais avec 22 compagnons. Jusque-là, nous étions à peu près saufs. Mais si la mer devenait mauvaise, nous étions perdus. Car tu sais, 23 sur ce machin en bois... Et puis, à 350 km du port le plus proche, si le marin de la TSF n'avait pu envoyer le signal de détresse, nous étions condamnés à mourir de soif, de faim ou de froid, car la plupart d'entre nous étaient complètement nus. J'avais juste ma chemise et mon caleçon. Mais ce brave marin avait fait son devoir. Il est mort d'ailleurs à son poste. Et le matin, un contre-torpilleur français venait nous recueillir. Quel cri de joie nous avons poussé en l'apercevant. Tu sais, toute la nuit balayée par les vagues, nous en avions assez. La Provence fut coulée par le tristement célèbre sous-marin allemand U-35 qui opérant en Méditerranée. Ce sous-marin détient le record, toujours un battu aujourd'hui, de 224 bateaux coulés pendant le conflit, dont le Gallia en 1916, autre navire transatlantique français, autre Hécatombe. Une anecdote, trois jours avant de couler la Provence, le U-35 avait repéré l'Olympique à qui il envoya une torpille qui n'eut pas atteint sa cible. Le U-35 sera finalement capturé à la fin de la guerre, puis donné aux Anglais, qui le détruiront en 1919. Vous l'aurez peut-être compris au fil de mes récits. Ce qui m'intéresse, en plus de l'histoire de ces superbes paquebots, c'est aussi leur épave, ce qu'il en reste après autant d'années passées au fond de l'eau. J'ignore où se trouve exactement la Provence, ni ce qu'il en reste. Mais je serais bien curieux de le savoir. Mon récit est à présent terminé. Si celui-ci vous a plu, que vous avez des remarques, des commentaires ou des informations à me faire passer, vous pouvez bien entendu m'écrire à lesimtiardelocéan.com, tout attaché. Je lirai votre mail et j'y répondrai avec plaisir. Vous pouvez également rejoindre mes pages Facebook et Instagram Lesimtiardelocéan. J'y poste parfois quelques photos afin d'illustrer mes récits.

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Lancé sur la prestigieuse ligne Le Havre - New York en 1906, La Provence embarque des innovations qui distinguent enfin la French Line des compagnies concurrentes. Toutefois, il doit encore faire ses preuves et quoi de mieux qu'une course de vitesse contre le détenteur du ruban bleu ?

Découvrez avec moi l'histoire du tristement oublié "La Provence".


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Sons: 


Musiques:

  • First Steps - Oleg Kyrylkow

  • Midnight - Aleksey Chistilin



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Bienvenue à nouveau au rayon des navires légendaires oubliés. Savez-vous quel est mon rêve ? De posséder suffisamment de moyens pour me munir d'un submersible ou d'un drone sous-marin suffisamment résistant à la pression pour me permettre d'aller visiter des épaves qui n'intéressent personne ou pas grand monde. À nouveau aujourd'hui, je vous emmène avec moi à la rencontre d'un navire français qui fut, à son lancement, le plus gros et le plus rapide navire de la flotte de la Compagnie Générale Transatlantique qui concurrencera sérieusement les compagnies allemandes. Je veux vous parler de la Provence. Allez, munissons-nous d'une carte et sondons le fond. Nous sommes en Méditerranée. Nous longeons la Grèce, plus précisément dans le Péloponnèse, bien au large de Cap Ténéré. C'est ici que sombra la Provence le 26 février 1916, peu après 15 heures. L'épave que nous cherchons est assez imposante. 190 mètres de long et 20 de large, mis en service en 1906 entre Le Havre et New York. Imposante peut-être, mais à l'époque, ça reste un petit paquebot transatlantique comme le faisait la French Line qui était dépendante des dimensions d'accueil du port du Havre. Il est le dernier navire commandé par Eugène Perrer avant son éviction de la compagnie générale transatlantique. En comparaison, le Deutschland de la APAG mis en service en 1907 mesurait 207 mètres. Le Lusitania et le Mauritania de la Cunard mis en service un an plus tard feront 240 mètres. La Provence est composée de six ponts et sa superstructure, très classique, est dominée par deux grandes cheminées rouges à manchons noirs, les couleurs de la Transat. Ses lignes et son style sont similaires à la Lorraine et la Savoie, mis en service en 1900. Si d'extérieur il ne semble pas particulièrement innovant, c'est à l'intérieur qu'il faut s'intéresser. La Transat semble enfin manifester une volonté de redresser un peu la barre. Regardez, j'ai ici un plan de la Provence. On entre en première classe depuis le pont de promenade et on arrive dans un vestibule où se trouve le grand escalier avec son garde-corps au fer forgé, joliment ouvragé avec des volutes. L'escalier est surmonté d'un dôme de lumière juste derrière la première cheminée. Au-dessous de ce dôme, vous pouvez admirer un fronton de bois sculpté avec une figure féminine symbolisant la Provence entourée de chérubins. À côté de sa main gauche, le caducé d'Hermès qui, lui, évoque le voyage. En voilà une belle promesse. Juste derrière, vous trouverez le salon de conversation, là aussi surmonté d'un dôme soutenu par des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens. La pièce est joliment décorée et bordée de part et d'autre de grandes fenêtres encadrées de panneaux de bois sculptés. On y trouve du mobilier de style Louis XVI, composé de tables rondes ou carrées, entourées de fauteuils. Au plafond, deux très beaux globes lumineux mêlant verre et frise de bronze. Derrière ce salon, communiquant par une double porte en carreau de verre, le salon de lecture. Au pont du dessous, s'étendant entre les deux cheminées, c'est la salle à manger de première classe. Elle est décorée dans un style Louis XV et ses murs sont en lambris blanc et or. Certaines banquettes aux extrémités de la pièce sont séparées par une cloison de base de bois habillée par des moulures végétales qui remontent en longeant le mur jusqu'au plafond. Au centre de ces cloisons se trouve un chérubin portant une torche lumineuse. Tiens, ça ne vous rappelle pas un autre paquebot ? Le plafond, lui, est habillé de larges cloisons et ici encore des luminaires mêlant vert et bronze. A son centre, des tables pouvant accueillir plusieurs convives et dont les fauteuils sont fixés au sol. Ah c'est une belle pièce oui, et lumineuse avec ça. 250 convives peuvent y prendre place. Juste en dessous, c'est la salle à manger des enfants à côté du bureau de renseignement du navire. Allons sur le pont de promenade supérieur. C'est là que se trouve le café des premières classes, situé juste en dessous des six cabines de luxe qui, elles, disposent de leur propre salle de bain et sont chauffées par des cheminées décoratives électriques. De quoi ravir la riche clientèle américaine. Les autres cabines restent simples, un peu exigues et pourvues de lavabos de toilettes. Vers l'avant se trouve un vaste fumoir pour la première classe dans le style Renaissance avec des panneaux en bois de cèdre. L'entrée des secondes classes se fait à l'arrière du navire, depuis le pont supérieur de la poupe. Immédiatement en dessous, c'est leur salle à manger. Tout y est plus sobre. Les murs sont tapissés de lac crusta, c'est un papier peint texturé, et le sol est en linoleum. 150 passagers peuvent y dîner. Inutile donc de décrire celle des troisième classes qui est spartiate. Leurs dortoirs sont répartis entre l'avant et l'arrière de la Provence, et ils disposent d'une salle avec lavabo pour les hommes, et une salle avec lavabo pour les femmes. La salle des machines, elle, est imposante et occupe une grande partie des ponts du navire en son milieu. Rien d'innovant de ce côté-là. Deux machines à vapeur classiques à triple expansion, alimentant quatre hélices latérales et développant une puissance de 30 000 chevaux permettant d'atteindre les 21 nœuds. Au centre, des immenses soutes à charbon pour alimenter les chaudières de ce monstre de métal et lui permettre de se mouvoir dans l'Atlantique. 1500 passagers peuvent ainsi embarquer à bord avec 443 membres d'équipage, 450 passagers en première classe, 200 en seconde et 900 en troisième. Même si la Provence marque une amélioration dans le confort et le soin apporté à la décoration, le véritable renouveau n'arrivera qu'avec le France en 1912 dont je vous invite à écouter l'épisode que j'y ai consacré. Toutefois, deux innovations majeures sont à noter sur ce paquebot. Premièrement, c'est le premier paquebot de la French Line à s'équiper d'une radio TSF permettant de communiquer avec la Terre. Ensuite, une innovation qui perdurera jusqu'à la disparition de la Transat en 1974 et qui équipera absolument tous ces paquebots, l'imprimerie. En effet, la French Line décide d'imprimer à bord son journal nommé l'Atlantique, contenant les nouvelles fraîches du jour. Ainsi, vous vous sentez moins coupé du monde pendant ces 7 jours passés en mer. La Provence commence sa carrière le 21 avril 1906. Il part du Havre et atteint New York au bout de 6 jours sous les jets d'eau des bateaux-plompes. Maintenant, la Provence doit faire ses preuves. Et c'est au retour de sa deuxième traversée que l'occasion lui sera donnée. La compagnie générale transatlantique n'avait pas encore dit tout à fait son dernier mot dans la course pour le ruban bleu, toujours détenue par les Allemands. Au cours d'une traversée, il se trouve alors côte à côte avec le Deutschland de la APAG, détenteur de ce si convoité morceau de ruban qui vole fièrement accroché haut à son mât arrière. A bord des deux paquebots, des paris s'organisent entre les milliardaires tels que les Rockefellers, qui avaient embarqué sur le Deutschland, et les Vanderbilt, présents à bord de la Provence. Chacun lance sa mie sur le paquebot qui, selon eux, battra l'autre. Le Deutschland partait favori, sa réputation n'était plus à faire. A bord de la Provence, le capitaine fait remplir les chaudières de charbon à leur maximum. Les soutiers s'en donnent à cœur joie. Il faut ridiculiser ce Deutschland qui depuis 1900 s'est imposé comme navire le plus rapide sur l'Atlantique en plus d'être le plus luxueux. Il faut faire avaler la suie à ces Allemands et leur montrer que les Français sont toujours dans la compétition et déterminés à faire valoir leur savoir-faire. À bord, c'est l'effervescence. Les passagers sont sur les ponts de promenade et regardent petit à petit la Provence prendre de l'avance sur le Deutschland. Les deux cheminées soufflent un très épais nuage d'un noir intense. On ne voit plus le ciel. Elles semblent à bout de souffle. La légende raconte même que certains passagers auraient proposé de brûler leur mal de voyage dans les chaudières pour gagner encore un peu plus de puissance et de l'avance sur le transatlantique allemand. ou encore que le capitaine ou des officiers se seraient assis sur les soupapes de sécurité des chaudières afin de pousser la pression au-delà de la zone rouge, faisant tourner les hélices à vitesse folle, poussant la mécanique dans ses retranchements. Évidemment, dans ces conditions, le navire n'est plus du tout confortable. Il tremble de toutes parts, gronde, émet des bruits épouvantables. Oubliez votre sommeil à cet instant, effuyez les ponts découverts. La suie retombe en paquets, noircissant le bois du pont et le bastingage. Et pour un peu qu'une bourrasque vienne vous caresser le visage, on pourrait vite vous confondre avec un soutier, et s'en sera terminé de votre toilette et de vos beaux habits du dimanche. Au terme de cet effort, la Provence arrivera avec 4 heures d'avance sur le Deutschland qui, semble-t-il, ne s'était pas très bien préparé à une telle course, lui qui pouvait à pleine vitesse toucher du bout des doigts les 25 nœuds. Malgré cette victoire écrasante, la Provence ne ravira pas le ruban bleu, jamais d'ailleurs. Le Deutschland conserve le record de la traversée la plus rapide, il ne sera détrôné qu'en 1907 par le Lusitania de la Cunarde. Vous le savez d'ailleurs si vous avez écouté mon épisode à son sujet. Dans tous les cas, c'est grâce à cette course que la Provence reste célèbre et dont on trouve des cartes postales représentant la proue du transatlantique français fendant les flots à vive allure, son pavillon français bien visible. En arrière-plan, le Deutschland qui disparaît dans le décor. Le ruban bleu n'est certes pas gagné, mais ce coup de pub largement relayé dans la presse américaine valut à la Transat un beau regain de fréquentation de la riche clientèle d'outre-Atlantique. La Provence fait les beaux jours de la Transat et est rejoint en 1912 par le France. Mais, avec l'entrée en guerre 1914, elle est réquisitionnée en août pour être transformée en croisière auxiliaire et servir au transport de troupes vers le front. Au chantier de Cherbourg, son mobilier est retiré afin de loger le plus de troupes possible dans ses salons et salles à manger. On y installe également cinq canons afin de se défendre. Comme un cuirassé de la Marine nationale porte déjà le nom de Provence, on le renomme alors Provence II. Ainsi, dès janvier 1915, il commence à effectuer ses missions de ravitaillement et transport de troupes vers le front des Dardanelles. En parallèle, Provence II effectue des missions de patrouille aux opérations de Koumkale et Sédoulbar. Assez vite, les alliés sont mis en déroute au Dardanelles et ce front devient une impasse. Les troupes sont alors évacuées vers le port de Salonique, en Macédoine, pour soutenir le front d'Orient. Et c'est alors la nouvelle mission de Provence II dès la fin d'année 1915. Nous sommes alors le 23 février 1916 à Toulon. La Provence II est à quai et à son bord, on charge donc du ravitaillement pour les troupes. On embarque quelques 200 chevaux et mulets, en plus des caisses de munitions. Petit à petit, ce sont un peu plus de 1700 militaires du 3e Régiment d'Infanterie Coloniale qui embarquent à bord, des jeunes hommes pour la plupart inexpérimentés. Depuis sa réquisition, Provence est sous le commandement de Marie-Henri Vesco. Cet ancien commandant de la Marine Nationale avait pris sa retraite militaire en 1912 et était entré au service de la Compagnie Générale Transatlantique. C'est donc un capitaine de 51 ans, très expérimenté et de formation militaire. Le navire est entre de très très bonnes mains. Il est aux environs de 17h et la Provence quitte le port de Toulon. Il ne reverra jamais les belles côtes françaises. Rapidement, il file pleine vapeur cap au sud. Le temps est chaud, la mer calme, le voyage pas des plus déplaisants malgré le contexte et les animaux présents à bord. Le 26 février, vers 15h, Provence 2 navigue à une vitesse d'environ 12 nœuds. Il vient de modifier son cap. Les hommes sont pour certains dans leur hamac, dévêtus, somnolents, ou en train de lire en attendant que le temps passe. Il n'y a pas beaucoup de distractions à bord. D'autres conversent ou sont en train de prendre l'air sur les ponts. Soudain, un puissant choc, une détonation ébranle le navire sur tribord arrière. Pendant un court instant, le temps semble se figer. Certains officiers sortent leurs revolvers par réflexe. Immédiatement, les hommes se massent sur le pont des embarcations. Le commandant Vasco comprit tout de suite qu'il venait d'être torpillé. Avec tout le sang-froid d'un homme de son grade, il fit immédiatement descendre les cloisons étanches, donna l'ordre de stopper le maire et demanda à Joseph Huby et Eugène Pian, au poste TSF, de transmettre sans attendre le message de détresse. La province commence rapidement à s'enfoncer par l'arrière et la panique vient semer le désordre dans l'évacuation. Les hommes se ruent dans les coursives étroites et sont bloqués dans les escaliers. Ils s'entassent dans des chaloupes où personne n'est présent pour les faire descendre. D'autres, au contraire, les font descendre alors que la Provence n'est pas complètement à l'arrêt. Une fois en mer, elles chavirent bien sûr. Le spectacle, si on peut l'appeler ainsi, est affreux, saisissant. Dans des élans de désespoir, certains se jettent de plusieurs mètres dans les chaloupes en train de descendre. Ceux qui les descendent justement sont inexpérimentés et laissent filer le garant entre leurs mains, précipitant à l'eau les occupants avant que la barque ne vienne leur retomber dessus. Dans tout ce désordre, certaines embarcations sont correctement descendues et s'éloignent du transatlantique qui vit ces derniers instants. Sur les ponts, des hommes jettent à l'eau tout ce qui peut permettre de flotter et de s'agripper. Bouées, balénières, ceintures de sauvetage. La Provence s'incline de plus en plus par l'arrière en s'enfonçant dans l'eau. Des explosions sont entendues. Ce sont les chaudières. Les animaux panitent. Personne ne peut plus rien pour eux. Les cheminées crachent une épaisse fumée noire tandis que l'eau s'engouffre dedans. Au bout d'à peine plus de 15 minutes, la Provence se dresse droite et entame son plongeon final. Le commandant Vasco, depuis la passerelle, s'adresse à tous les malheureux dans l'eau ou sur les chaloupes en agitant ses bras et sa voix semble dominer tout le brouhaha tandis qu'il leur dit Adieu mes enfants ! Tous le regardent et lui répondent alors ensemble Vive la France ! C'en est terminé de la Provence. Elle disparaît avec son capitaine et ses nombreux hommes restés prisonniers de sa coque. Des hommes refont surface, projetés par les remous, au milieu des débris de la Provence, et leur calvaire n'est pas terminé. Ceux qui arrivent à se maintenir à flot sont recueillis à bord des embarcations ou s'agrippent à des planches. Ils sont à peine vêtus. Fort heureusement, les opères radio étaient parvenus à envoyer leur message de détresse et avaient obtenu réponse avant que le navire ne disparaisse. Ils seront donc secourus. Mais quand ? Les canaux se réunissent, pour la plupart, et tentent de se regrouper pour augmenter leur chance d'être repérés. Les heures passent, la nuit tombe, les embarcations, certaines retournées, sont balayées par la houle, l'écume. Ensemble, ils essayent de se tenir chaud et de maintenir en vie leurs camarades les plus faibles. Durant la nuit, au loin, ils aperçoivent des lumières de projecteurs. Des secours sont sur place et les cherchent, mais il faudra encore attendre quelques heures avant qu'ils puissent les localiser et procéder au sauvetage. Et c'est alors au bout de 18 heures après le naufrage qu'ils seront secourus par des navires français et un navire britannique. Un peu plus de 800 hommes seront sortis de l'eau ce matin-là. Plus de la moitié ont péri avec la Provence. Notre hécatombe. Écoutons un témoignage. Une lettre écrite par le jeune soldat Gauthier, 25 ans au moment du naufrage, envoyée à son beau-frère. Je lisais tranquillement. Tout à coup, une explosion sourde. Le bateau tressaille. Je n'ai pas mis longtemps à me sortir de la cale et grimper sur le pont. Je vais sur le pont avant. Tout le monde était déjà sur pied. Je cours à l'emplacement des ceintures de sauvetage. Il n'y en avait plus à ce moment. Les officiers passaient parmi nous et disaient que c'était qu'un coup de canon. L'espoir nous venait, le bateau marchait toujours. Je me penche hors du bastingage et je vois l'arrière qui s'enfonçait peu à peu. Un camarade qui était à côté de moi quitte sa ceinture de sauvetage et s'en va disant C'est rien, c'est rien ! Je t'assure que je n'ai pas mis dix secondes à bondir dessus et à monter sur le pont supérieur de l'avant. Dans ma précipitation à la mettre, je la casse. Je l'ai réparée tant bien que mal et j'ai attendu. Sur le pont avant supérieur, c'est-à-dire à l'extrémité du bateau, nous étions deux cents massés là. J'étais assez calme. Je cherchais un moyen de sauter dans un des canaux qu'on mettait à la mer. Hélas, ces canaux qui pouvaient contenir 80 personnes étaient chargés du triple. De décrire les scènes d'horreur qui se sont passées est impossible. Les canaux à l'eau chaviraient. Les autres canaux qui arrivaient écrasaient la plupart des malheureux qui étaient dans l'eau. Et puis, le bateau s'enfonçait toujours avec plus de rapidité. Alors, l'explosion des machines a tué encore quelques centaines d'hommes. Le bateau était tout debout. Tu vois la position que j'occupais cramponnée à l'avant. Je me suis laissé engloutir avec le bateau. Le remous de l'eau m'a envoyé au moins à dix mètres de fond. Aussitôt, j'ai remonté à la surface, je commençais à respirer maintenu par ma ceinture, mais aussitôt, je reçois un coup sur la tête, et allez, encore un voyage au fond. Je me croyais bien perdu. Heureusement que je suis remonté encore sans m'évanouir. Et le hasard a voulu que je me trouve à portée d'un radeau. Là, j'ai pu respirer. J'ai regardé l'endroit où, dix minutes avant, flottait un des plus beaux bateaux de notre marine. Ce n'était plus que des débris de planches, des bottes de foin, des casseroles, etc. La mer avait repris son calme. Les survivants à la nage se battaient vers les radeaux et les barques. J'étais avec 22 compagnons. Jusque-là, nous étions à peu près saufs. Mais si la mer devenait mauvaise, nous étions perdus. Car tu sais, 23 sur ce machin en bois... Et puis, à 350 km du port le plus proche, si le marin de la TSF n'avait pu envoyer le signal de détresse, nous étions condamnés à mourir de soif, de faim ou de froid, car la plupart d'entre nous étaient complètement nus. J'avais juste ma chemise et mon caleçon. Mais ce brave marin avait fait son devoir. Il est mort d'ailleurs à son poste. Et le matin, un contre-torpilleur français venait nous recueillir. Quel cri de joie nous avons poussé en l'apercevant. Tu sais, toute la nuit balayée par les vagues, nous en avions assez. La Provence fut coulée par le tristement célèbre sous-marin allemand U-35 qui opérant en Méditerranée. Ce sous-marin détient le record, toujours un battu aujourd'hui, de 224 bateaux coulés pendant le conflit, dont le Gallia en 1916, autre navire transatlantique français, autre Hécatombe. Une anecdote, trois jours avant de couler la Provence, le U-35 avait repéré l'Olympique à qui il envoya une torpille qui n'eut pas atteint sa cible. Le U-35 sera finalement capturé à la fin de la guerre, puis donné aux Anglais, qui le détruiront en 1919. Vous l'aurez peut-être compris au fil de mes récits. Ce qui m'intéresse, en plus de l'histoire de ces superbes paquebots, c'est aussi leur épave, ce qu'il en reste après autant d'années passées au fond de l'eau. J'ignore où se trouve exactement la Provence, ni ce qu'il en reste. Mais je serais bien curieux de le savoir. Mon récit est à présent terminé. Si celui-ci vous a plu, que vous avez des remarques, des commentaires ou des informations à me faire passer, vous pouvez bien entendu m'écrire à lesimtiardelocéan.com, tout attaché. Je lirai votre mail et j'y répondrai avec plaisir. Vous pouvez également rejoindre mes pages Facebook et Instagram Lesimtiardelocéan. J'y poste parfois quelques photos afin d'illustrer mes récits.

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Description

Lancé sur la prestigieuse ligne Le Havre - New York en 1906, La Provence embarque des innovations qui distinguent enfin la French Line des compagnies concurrentes. Toutefois, il doit encore faire ses preuves et quoi de mieux qu'une course de vitesse contre le détenteur du ruban bleu ?

Découvrez avec moi l'histoire du tristement oublié "La Provence".


Illustration:


Sons: 


Musiques:

  • First Steps - Oleg Kyrylkow

  • Midnight - Aleksey Chistilin



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à nouveau au rayon des navires légendaires oubliés. Savez-vous quel est mon rêve ? De posséder suffisamment de moyens pour me munir d'un submersible ou d'un drone sous-marin suffisamment résistant à la pression pour me permettre d'aller visiter des épaves qui n'intéressent personne ou pas grand monde. À nouveau aujourd'hui, je vous emmène avec moi à la rencontre d'un navire français qui fut, à son lancement, le plus gros et le plus rapide navire de la flotte de la Compagnie Générale Transatlantique qui concurrencera sérieusement les compagnies allemandes. Je veux vous parler de la Provence. Allez, munissons-nous d'une carte et sondons le fond. Nous sommes en Méditerranée. Nous longeons la Grèce, plus précisément dans le Péloponnèse, bien au large de Cap Ténéré. C'est ici que sombra la Provence le 26 février 1916, peu après 15 heures. L'épave que nous cherchons est assez imposante. 190 mètres de long et 20 de large, mis en service en 1906 entre Le Havre et New York. Imposante peut-être, mais à l'époque, ça reste un petit paquebot transatlantique comme le faisait la French Line qui était dépendante des dimensions d'accueil du port du Havre. Il est le dernier navire commandé par Eugène Perrer avant son éviction de la compagnie générale transatlantique. En comparaison, le Deutschland de la APAG mis en service en 1907 mesurait 207 mètres. Le Lusitania et le Mauritania de la Cunard mis en service un an plus tard feront 240 mètres. La Provence est composée de six ponts et sa superstructure, très classique, est dominée par deux grandes cheminées rouges à manchons noirs, les couleurs de la Transat. Ses lignes et son style sont similaires à la Lorraine et la Savoie, mis en service en 1900. Si d'extérieur il ne semble pas particulièrement innovant, c'est à l'intérieur qu'il faut s'intéresser. La Transat semble enfin manifester une volonté de redresser un peu la barre. Regardez, j'ai ici un plan de la Provence. On entre en première classe depuis le pont de promenade et on arrive dans un vestibule où se trouve le grand escalier avec son garde-corps au fer forgé, joliment ouvragé avec des volutes. L'escalier est surmonté d'un dôme de lumière juste derrière la première cheminée. Au-dessous de ce dôme, vous pouvez admirer un fronton de bois sculpté avec une figure féminine symbolisant la Provence entourée de chérubins. À côté de sa main gauche, le caducé d'Hermès qui, lui, évoque le voyage. En voilà une belle promesse. Juste derrière, vous trouverez le salon de conversation, là aussi surmonté d'un dôme soutenu par des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens. La pièce est joliment décorée et bordée de part et d'autre de grandes fenêtres encadrées de panneaux de bois sculptés. On y trouve du mobilier de style Louis XVI, composé de tables rondes ou carrées, entourées de fauteuils. Au plafond, deux très beaux globes lumineux mêlant verre et frise de bronze. Derrière ce salon, communiquant par une double porte en carreau de verre, le salon de lecture. Au pont du dessous, s'étendant entre les deux cheminées, c'est la salle à manger de première classe. Elle est décorée dans un style Louis XV et ses murs sont en lambris blanc et or. Certaines banquettes aux extrémités de la pièce sont séparées par une cloison de base de bois habillée par des moulures végétales qui remontent en longeant le mur jusqu'au plafond. Au centre de ces cloisons se trouve un chérubin portant une torche lumineuse. Tiens, ça ne vous rappelle pas un autre paquebot ? Le plafond, lui, est habillé de larges cloisons et ici encore des luminaires mêlant vert et bronze. A son centre, des tables pouvant accueillir plusieurs convives et dont les fauteuils sont fixés au sol. Ah c'est une belle pièce oui, et lumineuse avec ça. 250 convives peuvent y prendre place. Juste en dessous, c'est la salle à manger des enfants à côté du bureau de renseignement du navire. Allons sur le pont de promenade supérieur. C'est là que se trouve le café des premières classes, situé juste en dessous des six cabines de luxe qui, elles, disposent de leur propre salle de bain et sont chauffées par des cheminées décoratives électriques. De quoi ravir la riche clientèle américaine. Les autres cabines restent simples, un peu exigues et pourvues de lavabos de toilettes. Vers l'avant se trouve un vaste fumoir pour la première classe dans le style Renaissance avec des panneaux en bois de cèdre. L'entrée des secondes classes se fait à l'arrière du navire, depuis le pont supérieur de la poupe. Immédiatement en dessous, c'est leur salle à manger. Tout y est plus sobre. Les murs sont tapissés de lac crusta, c'est un papier peint texturé, et le sol est en linoleum. 150 passagers peuvent y dîner. Inutile donc de décrire celle des troisième classes qui est spartiate. Leurs dortoirs sont répartis entre l'avant et l'arrière de la Provence, et ils disposent d'une salle avec lavabo pour les hommes, et une salle avec lavabo pour les femmes. La salle des machines, elle, est imposante et occupe une grande partie des ponts du navire en son milieu. Rien d'innovant de ce côté-là. Deux machines à vapeur classiques à triple expansion, alimentant quatre hélices latérales et développant une puissance de 30 000 chevaux permettant d'atteindre les 21 nœuds. Au centre, des immenses soutes à charbon pour alimenter les chaudières de ce monstre de métal et lui permettre de se mouvoir dans l'Atlantique. 1500 passagers peuvent ainsi embarquer à bord avec 443 membres d'équipage, 450 passagers en première classe, 200 en seconde et 900 en troisième. Même si la Provence marque une amélioration dans le confort et le soin apporté à la décoration, le véritable renouveau n'arrivera qu'avec le France en 1912 dont je vous invite à écouter l'épisode que j'y ai consacré. Toutefois, deux innovations majeures sont à noter sur ce paquebot. Premièrement, c'est le premier paquebot de la French Line à s'équiper d'une radio TSF permettant de communiquer avec la Terre. Ensuite, une innovation qui perdurera jusqu'à la disparition de la Transat en 1974 et qui équipera absolument tous ces paquebots, l'imprimerie. En effet, la French Line décide d'imprimer à bord son journal nommé l'Atlantique, contenant les nouvelles fraîches du jour. Ainsi, vous vous sentez moins coupé du monde pendant ces 7 jours passés en mer. La Provence commence sa carrière le 21 avril 1906. Il part du Havre et atteint New York au bout de 6 jours sous les jets d'eau des bateaux-plompes. Maintenant, la Provence doit faire ses preuves. Et c'est au retour de sa deuxième traversée que l'occasion lui sera donnée. La compagnie générale transatlantique n'avait pas encore dit tout à fait son dernier mot dans la course pour le ruban bleu, toujours détenue par les Allemands. Au cours d'une traversée, il se trouve alors côte à côte avec le Deutschland de la APAG, détenteur de ce si convoité morceau de ruban qui vole fièrement accroché haut à son mât arrière. A bord des deux paquebots, des paris s'organisent entre les milliardaires tels que les Rockefellers, qui avaient embarqué sur le Deutschland, et les Vanderbilt, présents à bord de la Provence. Chacun lance sa mie sur le paquebot qui, selon eux, battra l'autre. Le Deutschland partait favori, sa réputation n'était plus à faire. A bord de la Provence, le capitaine fait remplir les chaudières de charbon à leur maximum. Les soutiers s'en donnent à cœur joie. Il faut ridiculiser ce Deutschland qui depuis 1900 s'est imposé comme navire le plus rapide sur l'Atlantique en plus d'être le plus luxueux. Il faut faire avaler la suie à ces Allemands et leur montrer que les Français sont toujours dans la compétition et déterminés à faire valoir leur savoir-faire. À bord, c'est l'effervescence. Les passagers sont sur les ponts de promenade et regardent petit à petit la Provence prendre de l'avance sur le Deutschland. Les deux cheminées soufflent un très épais nuage d'un noir intense. On ne voit plus le ciel. Elles semblent à bout de souffle. La légende raconte même que certains passagers auraient proposé de brûler leur mal de voyage dans les chaudières pour gagner encore un peu plus de puissance et de l'avance sur le transatlantique allemand. ou encore que le capitaine ou des officiers se seraient assis sur les soupapes de sécurité des chaudières afin de pousser la pression au-delà de la zone rouge, faisant tourner les hélices à vitesse folle, poussant la mécanique dans ses retranchements. Évidemment, dans ces conditions, le navire n'est plus du tout confortable. Il tremble de toutes parts, gronde, émet des bruits épouvantables. Oubliez votre sommeil à cet instant, effuyez les ponts découverts. La suie retombe en paquets, noircissant le bois du pont et le bastingage. Et pour un peu qu'une bourrasque vienne vous caresser le visage, on pourrait vite vous confondre avec un soutier, et s'en sera terminé de votre toilette et de vos beaux habits du dimanche. Au terme de cet effort, la Provence arrivera avec 4 heures d'avance sur le Deutschland qui, semble-t-il, ne s'était pas très bien préparé à une telle course, lui qui pouvait à pleine vitesse toucher du bout des doigts les 25 nœuds. Malgré cette victoire écrasante, la Provence ne ravira pas le ruban bleu, jamais d'ailleurs. Le Deutschland conserve le record de la traversée la plus rapide, il ne sera détrôné qu'en 1907 par le Lusitania de la Cunarde. Vous le savez d'ailleurs si vous avez écouté mon épisode à son sujet. Dans tous les cas, c'est grâce à cette course que la Provence reste célèbre et dont on trouve des cartes postales représentant la proue du transatlantique français fendant les flots à vive allure, son pavillon français bien visible. En arrière-plan, le Deutschland qui disparaît dans le décor. Le ruban bleu n'est certes pas gagné, mais ce coup de pub largement relayé dans la presse américaine valut à la Transat un beau regain de fréquentation de la riche clientèle d'outre-Atlantique. La Provence fait les beaux jours de la Transat et est rejoint en 1912 par le France. Mais, avec l'entrée en guerre 1914, elle est réquisitionnée en août pour être transformée en croisière auxiliaire et servir au transport de troupes vers le front. Au chantier de Cherbourg, son mobilier est retiré afin de loger le plus de troupes possible dans ses salons et salles à manger. On y installe également cinq canons afin de se défendre. Comme un cuirassé de la Marine nationale porte déjà le nom de Provence, on le renomme alors Provence II. Ainsi, dès janvier 1915, il commence à effectuer ses missions de ravitaillement et transport de troupes vers le front des Dardanelles. En parallèle, Provence II effectue des missions de patrouille aux opérations de Koumkale et Sédoulbar. Assez vite, les alliés sont mis en déroute au Dardanelles et ce front devient une impasse. Les troupes sont alors évacuées vers le port de Salonique, en Macédoine, pour soutenir le front d'Orient. Et c'est alors la nouvelle mission de Provence II dès la fin d'année 1915. Nous sommes alors le 23 février 1916 à Toulon. La Provence II est à quai et à son bord, on charge donc du ravitaillement pour les troupes. On embarque quelques 200 chevaux et mulets, en plus des caisses de munitions. Petit à petit, ce sont un peu plus de 1700 militaires du 3e Régiment d'Infanterie Coloniale qui embarquent à bord, des jeunes hommes pour la plupart inexpérimentés. Depuis sa réquisition, Provence est sous le commandement de Marie-Henri Vesco. Cet ancien commandant de la Marine Nationale avait pris sa retraite militaire en 1912 et était entré au service de la Compagnie Générale Transatlantique. C'est donc un capitaine de 51 ans, très expérimenté et de formation militaire. Le navire est entre de très très bonnes mains. Il est aux environs de 17h et la Provence quitte le port de Toulon. Il ne reverra jamais les belles côtes françaises. Rapidement, il file pleine vapeur cap au sud. Le temps est chaud, la mer calme, le voyage pas des plus déplaisants malgré le contexte et les animaux présents à bord. Le 26 février, vers 15h, Provence 2 navigue à une vitesse d'environ 12 nœuds. Il vient de modifier son cap. Les hommes sont pour certains dans leur hamac, dévêtus, somnolents, ou en train de lire en attendant que le temps passe. Il n'y a pas beaucoup de distractions à bord. D'autres conversent ou sont en train de prendre l'air sur les ponts. Soudain, un puissant choc, une détonation ébranle le navire sur tribord arrière. Pendant un court instant, le temps semble se figer. Certains officiers sortent leurs revolvers par réflexe. Immédiatement, les hommes se massent sur le pont des embarcations. Le commandant Vasco comprit tout de suite qu'il venait d'être torpillé. Avec tout le sang-froid d'un homme de son grade, il fit immédiatement descendre les cloisons étanches, donna l'ordre de stopper le maire et demanda à Joseph Huby et Eugène Pian, au poste TSF, de transmettre sans attendre le message de détresse. La province commence rapidement à s'enfoncer par l'arrière et la panique vient semer le désordre dans l'évacuation. Les hommes se ruent dans les coursives étroites et sont bloqués dans les escaliers. Ils s'entassent dans des chaloupes où personne n'est présent pour les faire descendre. D'autres, au contraire, les font descendre alors que la Provence n'est pas complètement à l'arrêt. Une fois en mer, elles chavirent bien sûr. Le spectacle, si on peut l'appeler ainsi, est affreux, saisissant. Dans des élans de désespoir, certains se jettent de plusieurs mètres dans les chaloupes en train de descendre. Ceux qui les descendent justement sont inexpérimentés et laissent filer le garant entre leurs mains, précipitant à l'eau les occupants avant que la barque ne vienne leur retomber dessus. Dans tout ce désordre, certaines embarcations sont correctement descendues et s'éloignent du transatlantique qui vit ces derniers instants. Sur les ponts, des hommes jettent à l'eau tout ce qui peut permettre de flotter et de s'agripper. Bouées, balénières, ceintures de sauvetage. La Provence s'incline de plus en plus par l'arrière en s'enfonçant dans l'eau. Des explosions sont entendues. Ce sont les chaudières. Les animaux panitent. Personne ne peut plus rien pour eux. Les cheminées crachent une épaisse fumée noire tandis que l'eau s'engouffre dedans. Au bout d'à peine plus de 15 minutes, la Provence se dresse droite et entame son plongeon final. Le commandant Vasco, depuis la passerelle, s'adresse à tous les malheureux dans l'eau ou sur les chaloupes en agitant ses bras et sa voix semble dominer tout le brouhaha tandis qu'il leur dit Adieu mes enfants ! Tous le regardent et lui répondent alors ensemble Vive la France ! C'en est terminé de la Provence. Elle disparaît avec son capitaine et ses nombreux hommes restés prisonniers de sa coque. Des hommes refont surface, projetés par les remous, au milieu des débris de la Provence, et leur calvaire n'est pas terminé. Ceux qui arrivent à se maintenir à flot sont recueillis à bord des embarcations ou s'agrippent à des planches. Ils sont à peine vêtus. Fort heureusement, les opères radio étaient parvenus à envoyer leur message de détresse et avaient obtenu réponse avant que le navire ne disparaisse. Ils seront donc secourus. Mais quand ? Les canaux se réunissent, pour la plupart, et tentent de se regrouper pour augmenter leur chance d'être repérés. Les heures passent, la nuit tombe, les embarcations, certaines retournées, sont balayées par la houle, l'écume. Ensemble, ils essayent de se tenir chaud et de maintenir en vie leurs camarades les plus faibles. Durant la nuit, au loin, ils aperçoivent des lumières de projecteurs. Des secours sont sur place et les cherchent, mais il faudra encore attendre quelques heures avant qu'ils puissent les localiser et procéder au sauvetage. Et c'est alors au bout de 18 heures après le naufrage qu'ils seront secourus par des navires français et un navire britannique. Un peu plus de 800 hommes seront sortis de l'eau ce matin-là. Plus de la moitié ont péri avec la Provence. Notre hécatombe. Écoutons un témoignage. Une lettre écrite par le jeune soldat Gauthier, 25 ans au moment du naufrage, envoyée à son beau-frère. Je lisais tranquillement. Tout à coup, une explosion sourde. Le bateau tressaille. Je n'ai pas mis longtemps à me sortir de la cale et grimper sur le pont. Je vais sur le pont avant. Tout le monde était déjà sur pied. Je cours à l'emplacement des ceintures de sauvetage. Il n'y en avait plus à ce moment. Les officiers passaient parmi nous et disaient que c'était qu'un coup de canon. L'espoir nous venait, le bateau marchait toujours. Je me penche hors du bastingage et je vois l'arrière qui s'enfonçait peu à peu. Un camarade qui était à côté de moi quitte sa ceinture de sauvetage et s'en va disant C'est rien, c'est rien ! Je t'assure que je n'ai pas mis dix secondes à bondir dessus et à monter sur le pont supérieur de l'avant. Dans ma précipitation à la mettre, je la casse. Je l'ai réparée tant bien que mal et j'ai attendu. Sur le pont avant supérieur, c'est-à-dire à l'extrémité du bateau, nous étions deux cents massés là. J'étais assez calme. Je cherchais un moyen de sauter dans un des canaux qu'on mettait à la mer. Hélas, ces canaux qui pouvaient contenir 80 personnes étaient chargés du triple. De décrire les scènes d'horreur qui se sont passées est impossible. Les canaux à l'eau chaviraient. Les autres canaux qui arrivaient écrasaient la plupart des malheureux qui étaient dans l'eau. Et puis, le bateau s'enfonçait toujours avec plus de rapidité. Alors, l'explosion des machines a tué encore quelques centaines d'hommes. Le bateau était tout debout. Tu vois la position que j'occupais cramponnée à l'avant. Je me suis laissé engloutir avec le bateau. Le remous de l'eau m'a envoyé au moins à dix mètres de fond. Aussitôt, j'ai remonté à la surface, je commençais à respirer maintenu par ma ceinture, mais aussitôt, je reçois un coup sur la tête, et allez, encore un voyage au fond. Je me croyais bien perdu. Heureusement que je suis remonté encore sans m'évanouir. Et le hasard a voulu que je me trouve à portée d'un radeau. Là, j'ai pu respirer. J'ai regardé l'endroit où, dix minutes avant, flottait un des plus beaux bateaux de notre marine. Ce n'était plus que des débris de planches, des bottes de foin, des casseroles, etc. La mer avait repris son calme. Les survivants à la nage se battaient vers les radeaux et les barques. J'étais avec 22 compagnons. Jusque-là, nous étions à peu près saufs. Mais si la mer devenait mauvaise, nous étions perdus. Car tu sais, 23 sur ce machin en bois... Et puis, à 350 km du port le plus proche, si le marin de la TSF n'avait pu envoyer le signal de détresse, nous étions condamnés à mourir de soif, de faim ou de froid, car la plupart d'entre nous étaient complètement nus. J'avais juste ma chemise et mon caleçon. Mais ce brave marin avait fait son devoir. Il est mort d'ailleurs à son poste. Et le matin, un contre-torpilleur français venait nous recueillir. Quel cri de joie nous avons poussé en l'apercevant. Tu sais, toute la nuit balayée par les vagues, nous en avions assez. La Provence fut coulée par le tristement célèbre sous-marin allemand U-35 qui opérant en Méditerranée. Ce sous-marin détient le record, toujours un battu aujourd'hui, de 224 bateaux coulés pendant le conflit, dont le Gallia en 1916, autre navire transatlantique français, autre Hécatombe. Une anecdote, trois jours avant de couler la Provence, le U-35 avait repéré l'Olympique à qui il envoya une torpille qui n'eut pas atteint sa cible. Le U-35 sera finalement capturé à la fin de la guerre, puis donné aux Anglais, qui le détruiront en 1919. Vous l'aurez peut-être compris au fil de mes récits. Ce qui m'intéresse, en plus de l'histoire de ces superbes paquebots, c'est aussi leur épave, ce qu'il en reste après autant d'années passées au fond de l'eau. J'ignore où se trouve exactement la Provence, ni ce qu'il en reste. Mais je serais bien curieux de le savoir. Mon récit est à présent terminé. Si celui-ci vous a plu, que vous avez des remarques, des commentaires ou des informations à me faire passer, vous pouvez bien entendu m'écrire à lesimtiardelocéan.com, tout attaché. Je lirai votre mail et j'y répondrai avec plaisir. Vous pouvez également rejoindre mes pages Facebook et Instagram Lesimtiardelocéan. J'y poste parfois quelques photos afin d'illustrer mes récits.

Description

Lancé sur la prestigieuse ligne Le Havre - New York en 1906, La Provence embarque des innovations qui distinguent enfin la French Line des compagnies concurrentes. Toutefois, il doit encore faire ses preuves et quoi de mieux qu'une course de vitesse contre le détenteur du ruban bleu ?

Découvrez avec moi l'histoire du tristement oublié "La Provence".


Illustration:


Sons: 


Musiques:

  • First Steps - Oleg Kyrylkow

  • Midnight - Aleksey Chistilin



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à nouveau au rayon des navires légendaires oubliés. Savez-vous quel est mon rêve ? De posséder suffisamment de moyens pour me munir d'un submersible ou d'un drone sous-marin suffisamment résistant à la pression pour me permettre d'aller visiter des épaves qui n'intéressent personne ou pas grand monde. À nouveau aujourd'hui, je vous emmène avec moi à la rencontre d'un navire français qui fut, à son lancement, le plus gros et le plus rapide navire de la flotte de la Compagnie Générale Transatlantique qui concurrencera sérieusement les compagnies allemandes. Je veux vous parler de la Provence. Allez, munissons-nous d'une carte et sondons le fond. Nous sommes en Méditerranée. Nous longeons la Grèce, plus précisément dans le Péloponnèse, bien au large de Cap Ténéré. C'est ici que sombra la Provence le 26 février 1916, peu après 15 heures. L'épave que nous cherchons est assez imposante. 190 mètres de long et 20 de large, mis en service en 1906 entre Le Havre et New York. Imposante peut-être, mais à l'époque, ça reste un petit paquebot transatlantique comme le faisait la French Line qui était dépendante des dimensions d'accueil du port du Havre. Il est le dernier navire commandé par Eugène Perrer avant son éviction de la compagnie générale transatlantique. En comparaison, le Deutschland de la APAG mis en service en 1907 mesurait 207 mètres. Le Lusitania et le Mauritania de la Cunard mis en service un an plus tard feront 240 mètres. La Provence est composée de six ponts et sa superstructure, très classique, est dominée par deux grandes cheminées rouges à manchons noirs, les couleurs de la Transat. Ses lignes et son style sont similaires à la Lorraine et la Savoie, mis en service en 1900. Si d'extérieur il ne semble pas particulièrement innovant, c'est à l'intérieur qu'il faut s'intéresser. La Transat semble enfin manifester une volonté de redresser un peu la barre. Regardez, j'ai ici un plan de la Provence. On entre en première classe depuis le pont de promenade et on arrive dans un vestibule où se trouve le grand escalier avec son garde-corps au fer forgé, joliment ouvragé avec des volutes. L'escalier est surmonté d'un dôme de lumière juste derrière la première cheminée. Au-dessous de ce dôme, vous pouvez admirer un fronton de bois sculpté avec une figure féminine symbolisant la Provence entourée de chérubins. À côté de sa main gauche, le caducé d'Hermès qui, lui, évoque le voyage. En voilà une belle promesse. Juste derrière, vous trouverez le salon de conversation, là aussi surmonté d'un dôme soutenu par des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens. La pièce est joliment décorée et bordée de part et d'autre de grandes fenêtres encadrées de panneaux de bois sculptés. On y trouve du mobilier de style Louis XVI, composé de tables rondes ou carrées, entourées de fauteuils. Au plafond, deux très beaux globes lumineux mêlant verre et frise de bronze. Derrière ce salon, communiquant par une double porte en carreau de verre, le salon de lecture. Au pont du dessous, s'étendant entre les deux cheminées, c'est la salle à manger de première classe. Elle est décorée dans un style Louis XV et ses murs sont en lambris blanc et or. Certaines banquettes aux extrémités de la pièce sont séparées par une cloison de base de bois habillée par des moulures végétales qui remontent en longeant le mur jusqu'au plafond. Au centre de ces cloisons se trouve un chérubin portant une torche lumineuse. Tiens, ça ne vous rappelle pas un autre paquebot ? Le plafond, lui, est habillé de larges cloisons et ici encore des luminaires mêlant vert et bronze. A son centre, des tables pouvant accueillir plusieurs convives et dont les fauteuils sont fixés au sol. Ah c'est une belle pièce oui, et lumineuse avec ça. 250 convives peuvent y prendre place. Juste en dessous, c'est la salle à manger des enfants à côté du bureau de renseignement du navire. Allons sur le pont de promenade supérieur. C'est là que se trouve le café des premières classes, situé juste en dessous des six cabines de luxe qui, elles, disposent de leur propre salle de bain et sont chauffées par des cheminées décoratives électriques. De quoi ravir la riche clientèle américaine. Les autres cabines restent simples, un peu exigues et pourvues de lavabos de toilettes. Vers l'avant se trouve un vaste fumoir pour la première classe dans le style Renaissance avec des panneaux en bois de cèdre. L'entrée des secondes classes se fait à l'arrière du navire, depuis le pont supérieur de la poupe. Immédiatement en dessous, c'est leur salle à manger. Tout y est plus sobre. Les murs sont tapissés de lac crusta, c'est un papier peint texturé, et le sol est en linoleum. 150 passagers peuvent y dîner. Inutile donc de décrire celle des troisième classes qui est spartiate. Leurs dortoirs sont répartis entre l'avant et l'arrière de la Provence, et ils disposent d'une salle avec lavabo pour les hommes, et une salle avec lavabo pour les femmes. La salle des machines, elle, est imposante et occupe une grande partie des ponts du navire en son milieu. Rien d'innovant de ce côté-là. Deux machines à vapeur classiques à triple expansion, alimentant quatre hélices latérales et développant une puissance de 30 000 chevaux permettant d'atteindre les 21 nœuds. Au centre, des immenses soutes à charbon pour alimenter les chaudières de ce monstre de métal et lui permettre de se mouvoir dans l'Atlantique. 1500 passagers peuvent ainsi embarquer à bord avec 443 membres d'équipage, 450 passagers en première classe, 200 en seconde et 900 en troisième. Même si la Provence marque une amélioration dans le confort et le soin apporté à la décoration, le véritable renouveau n'arrivera qu'avec le France en 1912 dont je vous invite à écouter l'épisode que j'y ai consacré. Toutefois, deux innovations majeures sont à noter sur ce paquebot. Premièrement, c'est le premier paquebot de la French Line à s'équiper d'une radio TSF permettant de communiquer avec la Terre. Ensuite, une innovation qui perdurera jusqu'à la disparition de la Transat en 1974 et qui équipera absolument tous ces paquebots, l'imprimerie. En effet, la French Line décide d'imprimer à bord son journal nommé l'Atlantique, contenant les nouvelles fraîches du jour. Ainsi, vous vous sentez moins coupé du monde pendant ces 7 jours passés en mer. La Provence commence sa carrière le 21 avril 1906. Il part du Havre et atteint New York au bout de 6 jours sous les jets d'eau des bateaux-plompes. Maintenant, la Provence doit faire ses preuves. Et c'est au retour de sa deuxième traversée que l'occasion lui sera donnée. La compagnie générale transatlantique n'avait pas encore dit tout à fait son dernier mot dans la course pour le ruban bleu, toujours détenue par les Allemands. Au cours d'une traversée, il se trouve alors côte à côte avec le Deutschland de la APAG, détenteur de ce si convoité morceau de ruban qui vole fièrement accroché haut à son mât arrière. A bord des deux paquebots, des paris s'organisent entre les milliardaires tels que les Rockefellers, qui avaient embarqué sur le Deutschland, et les Vanderbilt, présents à bord de la Provence. Chacun lance sa mie sur le paquebot qui, selon eux, battra l'autre. Le Deutschland partait favori, sa réputation n'était plus à faire. A bord de la Provence, le capitaine fait remplir les chaudières de charbon à leur maximum. Les soutiers s'en donnent à cœur joie. Il faut ridiculiser ce Deutschland qui depuis 1900 s'est imposé comme navire le plus rapide sur l'Atlantique en plus d'être le plus luxueux. Il faut faire avaler la suie à ces Allemands et leur montrer que les Français sont toujours dans la compétition et déterminés à faire valoir leur savoir-faire. À bord, c'est l'effervescence. Les passagers sont sur les ponts de promenade et regardent petit à petit la Provence prendre de l'avance sur le Deutschland. Les deux cheminées soufflent un très épais nuage d'un noir intense. On ne voit plus le ciel. Elles semblent à bout de souffle. La légende raconte même que certains passagers auraient proposé de brûler leur mal de voyage dans les chaudières pour gagner encore un peu plus de puissance et de l'avance sur le transatlantique allemand. ou encore que le capitaine ou des officiers se seraient assis sur les soupapes de sécurité des chaudières afin de pousser la pression au-delà de la zone rouge, faisant tourner les hélices à vitesse folle, poussant la mécanique dans ses retranchements. Évidemment, dans ces conditions, le navire n'est plus du tout confortable. Il tremble de toutes parts, gronde, émet des bruits épouvantables. Oubliez votre sommeil à cet instant, effuyez les ponts découverts. La suie retombe en paquets, noircissant le bois du pont et le bastingage. Et pour un peu qu'une bourrasque vienne vous caresser le visage, on pourrait vite vous confondre avec un soutier, et s'en sera terminé de votre toilette et de vos beaux habits du dimanche. Au terme de cet effort, la Provence arrivera avec 4 heures d'avance sur le Deutschland qui, semble-t-il, ne s'était pas très bien préparé à une telle course, lui qui pouvait à pleine vitesse toucher du bout des doigts les 25 nœuds. Malgré cette victoire écrasante, la Provence ne ravira pas le ruban bleu, jamais d'ailleurs. Le Deutschland conserve le record de la traversée la plus rapide, il ne sera détrôné qu'en 1907 par le Lusitania de la Cunarde. Vous le savez d'ailleurs si vous avez écouté mon épisode à son sujet. Dans tous les cas, c'est grâce à cette course que la Provence reste célèbre et dont on trouve des cartes postales représentant la proue du transatlantique français fendant les flots à vive allure, son pavillon français bien visible. En arrière-plan, le Deutschland qui disparaît dans le décor. Le ruban bleu n'est certes pas gagné, mais ce coup de pub largement relayé dans la presse américaine valut à la Transat un beau regain de fréquentation de la riche clientèle d'outre-Atlantique. La Provence fait les beaux jours de la Transat et est rejoint en 1912 par le France. Mais, avec l'entrée en guerre 1914, elle est réquisitionnée en août pour être transformée en croisière auxiliaire et servir au transport de troupes vers le front. Au chantier de Cherbourg, son mobilier est retiré afin de loger le plus de troupes possible dans ses salons et salles à manger. On y installe également cinq canons afin de se défendre. Comme un cuirassé de la Marine nationale porte déjà le nom de Provence, on le renomme alors Provence II. Ainsi, dès janvier 1915, il commence à effectuer ses missions de ravitaillement et transport de troupes vers le front des Dardanelles. En parallèle, Provence II effectue des missions de patrouille aux opérations de Koumkale et Sédoulbar. Assez vite, les alliés sont mis en déroute au Dardanelles et ce front devient une impasse. Les troupes sont alors évacuées vers le port de Salonique, en Macédoine, pour soutenir le front d'Orient. Et c'est alors la nouvelle mission de Provence II dès la fin d'année 1915. Nous sommes alors le 23 février 1916 à Toulon. La Provence II est à quai et à son bord, on charge donc du ravitaillement pour les troupes. On embarque quelques 200 chevaux et mulets, en plus des caisses de munitions. Petit à petit, ce sont un peu plus de 1700 militaires du 3e Régiment d'Infanterie Coloniale qui embarquent à bord, des jeunes hommes pour la plupart inexpérimentés. Depuis sa réquisition, Provence est sous le commandement de Marie-Henri Vesco. Cet ancien commandant de la Marine Nationale avait pris sa retraite militaire en 1912 et était entré au service de la Compagnie Générale Transatlantique. C'est donc un capitaine de 51 ans, très expérimenté et de formation militaire. Le navire est entre de très très bonnes mains. Il est aux environs de 17h et la Provence quitte le port de Toulon. Il ne reverra jamais les belles côtes françaises. Rapidement, il file pleine vapeur cap au sud. Le temps est chaud, la mer calme, le voyage pas des plus déplaisants malgré le contexte et les animaux présents à bord. Le 26 février, vers 15h, Provence 2 navigue à une vitesse d'environ 12 nœuds. Il vient de modifier son cap. Les hommes sont pour certains dans leur hamac, dévêtus, somnolents, ou en train de lire en attendant que le temps passe. Il n'y a pas beaucoup de distractions à bord. D'autres conversent ou sont en train de prendre l'air sur les ponts. Soudain, un puissant choc, une détonation ébranle le navire sur tribord arrière. Pendant un court instant, le temps semble se figer. Certains officiers sortent leurs revolvers par réflexe. Immédiatement, les hommes se massent sur le pont des embarcations. Le commandant Vasco comprit tout de suite qu'il venait d'être torpillé. Avec tout le sang-froid d'un homme de son grade, il fit immédiatement descendre les cloisons étanches, donna l'ordre de stopper le maire et demanda à Joseph Huby et Eugène Pian, au poste TSF, de transmettre sans attendre le message de détresse. La province commence rapidement à s'enfoncer par l'arrière et la panique vient semer le désordre dans l'évacuation. Les hommes se ruent dans les coursives étroites et sont bloqués dans les escaliers. Ils s'entassent dans des chaloupes où personne n'est présent pour les faire descendre. D'autres, au contraire, les font descendre alors que la Provence n'est pas complètement à l'arrêt. Une fois en mer, elles chavirent bien sûr. Le spectacle, si on peut l'appeler ainsi, est affreux, saisissant. Dans des élans de désespoir, certains se jettent de plusieurs mètres dans les chaloupes en train de descendre. Ceux qui les descendent justement sont inexpérimentés et laissent filer le garant entre leurs mains, précipitant à l'eau les occupants avant que la barque ne vienne leur retomber dessus. Dans tout ce désordre, certaines embarcations sont correctement descendues et s'éloignent du transatlantique qui vit ces derniers instants. Sur les ponts, des hommes jettent à l'eau tout ce qui peut permettre de flotter et de s'agripper. Bouées, balénières, ceintures de sauvetage. La Provence s'incline de plus en plus par l'arrière en s'enfonçant dans l'eau. Des explosions sont entendues. Ce sont les chaudières. Les animaux panitent. Personne ne peut plus rien pour eux. Les cheminées crachent une épaisse fumée noire tandis que l'eau s'engouffre dedans. Au bout d'à peine plus de 15 minutes, la Provence se dresse droite et entame son plongeon final. Le commandant Vasco, depuis la passerelle, s'adresse à tous les malheureux dans l'eau ou sur les chaloupes en agitant ses bras et sa voix semble dominer tout le brouhaha tandis qu'il leur dit Adieu mes enfants ! Tous le regardent et lui répondent alors ensemble Vive la France ! C'en est terminé de la Provence. Elle disparaît avec son capitaine et ses nombreux hommes restés prisonniers de sa coque. Des hommes refont surface, projetés par les remous, au milieu des débris de la Provence, et leur calvaire n'est pas terminé. Ceux qui arrivent à se maintenir à flot sont recueillis à bord des embarcations ou s'agrippent à des planches. Ils sont à peine vêtus. Fort heureusement, les opères radio étaient parvenus à envoyer leur message de détresse et avaient obtenu réponse avant que le navire ne disparaisse. Ils seront donc secourus. Mais quand ? Les canaux se réunissent, pour la plupart, et tentent de se regrouper pour augmenter leur chance d'être repérés. Les heures passent, la nuit tombe, les embarcations, certaines retournées, sont balayées par la houle, l'écume. Ensemble, ils essayent de se tenir chaud et de maintenir en vie leurs camarades les plus faibles. Durant la nuit, au loin, ils aperçoivent des lumières de projecteurs. Des secours sont sur place et les cherchent, mais il faudra encore attendre quelques heures avant qu'ils puissent les localiser et procéder au sauvetage. Et c'est alors au bout de 18 heures après le naufrage qu'ils seront secourus par des navires français et un navire britannique. Un peu plus de 800 hommes seront sortis de l'eau ce matin-là. Plus de la moitié ont péri avec la Provence. Notre hécatombe. Écoutons un témoignage. Une lettre écrite par le jeune soldat Gauthier, 25 ans au moment du naufrage, envoyée à son beau-frère. Je lisais tranquillement. Tout à coup, une explosion sourde. Le bateau tressaille. Je n'ai pas mis longtemps à me sortir de la cale et grimper sur le pont. Je vais sur le pont avant. Tout le monde était déjà sur pied. Je cours à l'emplacement des ceintures de sauvetage. Il n'y en avait plus à ce moment. Les officiers passaient parmi nous et disaient que c'était qu'un coup de canon. L'espoir nous venait, le bateau marchait toujours. Je me penche hors du bastingage et je vois l'arrière qui s'enfonçait peu à peu. Un camarade qui était à côté de moi quitte sa ceinture de sauvetage et s'en va disant C'est rien, c'est rien ! Je t'assure que je n'ai pas mis dix secondes à bondir dessus et à monter sur le pont supérieur de l'avant. Dans ma précipitation à la mettre, je la casse. Je l'ai réparée tant bien que mal et j'ai attendu. Sur le pont avant supérieur, c'est-à-dire à l'extrémité du bateau, nous étions deux cents massés là. J'étais assez calme. Je cherchais un moyen de sauter dans un des canaux qu'on mettait à la mer. Hélas, ces canaux qui pouvaient contenir 80 personnes étaient chargés du triple. De décrire les scènes d'horreur qui se sont passées est impossible. Les canaux à l'eau chaviraient. Les autres canaux qui arrivaient écrasaient la plupart des malheureux qui étaient dans l'eau. Et puis, le bateau s'enfonçait toujours avec plus de rapidité. Alors, l'explosion des machines a tué encore quelques centaines d'hommes. Le bateau était tout debout. Tu vois la position que j'occupais cramponnée à l'avant. Je me suis laissé engloutir avec le bateau. Le remous de l'eau m'a envoyé au moins à dix mètres de fond. Aussitôt, j'ai remonté à la surface, je commençais à respirer maintenu par ma ceinture, mais aussitôt, je reçois un coup sur la tête, et allez, encore un voyage au fond. Je me croyais bien perdu. Heureusement que je suis remonté encore sans m'évanouir. Et le hasard a voulu que je me trouve à portée d'un radeau. Là, j'ai pu respirer. J'ai regardé l'endroit où, dix minutes avant, flottait un des plus beaux bateaux de notre marine. Ce n'était plus que des débris de planches, des bottes de foin, des casseroles, etc. La mer avait repris son calme. Les survivants à la nage se battaient vers les radeaux et les barques. J'étais avec 22 compagnons. Jusque-là, nous étions à peu près saufs. Mais si la mer devenait mauvaise, nous étions perdus. Car tu sais, 23 sur ce machin en bois... Et puis, à 350 km du port le plus proche, si le marin de la TSF n'avait pu envoyer le signal de détresse, nous étions condamnés à mourir de soif, de faim ou de froid, car la plupart d'entre nous étaient complètement nus. J'avais juste ma chemise et mon caleçon. Mais ce brave marin avait fait son devoir. Il est mort d'ailleurs à son poste. Et le matin, un contre-torpilleur français venait nous recueillir. Quel cri de joie nous avons poussé en l'apercevant. Tu sais, toute la nuit balayée par les vagues, nous en avions assez. La Provence fut coulée par le tristement célèbre sous-marin allemand U-35 qui opérant en Méditerranée. Ce sous-marin détient le record, toujours un battu aujourd'hui, de 224 bateaux coulés pendant le conflit, dont le Gallia en 1916, autre navire transatlantique français, autre Hécatombe. Une anecdote, trois jours avant de couler la Provence, le U-35 avait repéré l'Olympique à qui il envoya une torpille qui n'eut pas atteint sa cible. Le U-35 sera finalement capturé à la fin de la guerre, puis donné aux Anglais, qui le détruiront en 1919. Vous l'aurez peut-être compris au fil de mes récits. Ce qui m'intéresse, en plus de l'histoire de ces superbes paquebots, c'est aussi leur épave, ce qu'il en reste après autant d'années passées au fond de l'eau. J'ignore où se trouve exactement la Provence, ni ce qu'il en reste. Mais je serais bien curieux de le savoir. Mon récit est à présent terminé. Si celui-ci vous a plu, que vous avez des remarques, des commentaires ou des informations à me faire passer, vous pouvez bien entendu m'écrire à lesimtiardelocéan.com, tout attaché. Je lirai votre mail et j'y répondrai avec plaisir. Vous pouvez également rejoindre mes pages Facebook et Instagram Lesimtiardelocéan. J'y poste parfois quelques photos afin d'illustrer mes récits.

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