- Speaker #0
Bienvenue dans Nes, le podcast. Nes, c'est le média des nouvelles solidarités, édité par Harmonie Mutuelle ESS. Tout le monde parle de l'intelligence artificielle depuis l'apparition des IA dites génératives. Depuis deux ans, les débats s'agitent et chacun y va de son petit essai. C'est un peu la foire à l'IA. Chacun télécharge telle appli, regarde si ça peut lui servir, si c'est si puissant que cela. Et l'économie sociale et solidaire, qu'est-ce qu'elle en dit ? Existe-t-il une industrie numérique sociale et solidaire ? Peut-on imaginer que le SS qui parle aisément de l'économie circulaire, de l'accès aux soins, Du droit à l'émancipation de chacun est une vision sur ce qui est bon ou mauvais dans l'intelligence artificielle et l'industrie du digital. C'est la deuxième fois que nous abordons l'enjeu du numérique dans ce podcast. La première fois, c'était avec Frédéric Bardot, qui a fondé Simplon, et qui était venu nous raconter comment il relevait le défi de faire des métiers du numérique, un vecteur d'inclusion professionnelle. Je vous invite d'ailleurs à écouter ce podcast qui a été mis en ligne en février 2023. Et nous rouvrons le dossier dans cet épisode avec Jeanne Bretéché, bonjour.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Vous êtes directrice conseil de Jungle Cop et vous êtes à notre micro parce que vous êtes aussi la présidente et la fondatrice du Social Good Accelerator, qui est un think and do tank franco-européen dont l'objet est de promouvoir les modèles numériques de l'économie sociale et solidaire, justement. Alors Jeanne Brétéchet, quand on parle numérique, web, on pense bien sûr aux GAFAM, elles sont toutes aux Etats-Unis, mais le numérique français et l'économie sociale et solidaire est finalement loin d'être absente. Où sont les morceaux de l'économie sociale et solidaire dans l'océan numérique ?
- Speaker #1
Alors dans l'océan numérique, je dirais qu'ils sont infinitésimaux. Dans l'ESS par contre, pas tant que ça. Et ça c'est assez méconnu parce qu'ils ne sont pas représentés en tant que... Il n'y a pas une conscience de classe, on va dire, des structures numériques de l'ESS. Même si ça commence à bouger, parce que là, on se rend bien compte qu'on n'est pas traité de la même manière dans l'ESS numérique qu'une start-up. Mozart, d'ailleurs, pour Label Emmaüs, le dit fort bien. Les investisseurs...
- Speaker #0
Je rappelle juste, Label Emmaüs, c'est donc une plateforme d'achat en ligne pour des articles de seconde main.
- Speaker #1
Tout à fait, c'est vraiment le... Contre modèle d'Amazon, on vend de la seconde main déjà, et pas du neuf. Et puis on fait travailler des structures de l'économie sociale et solidaire qui permettent de réinsérer des personnes dans l'emploi. Donc c'est un modèle extrêmement vertueux qu'on va retrouver à d'autres endroits d'ailleurs dans l'ESS numérique. Beaucoup d'acteurs de l'économie circulaire y compris du matériel informatique. Emmaüs Connect par exemple qui est encore dans la galaxie Emmaüs mais il y en a beaucoup d'autres.
- Speaker #0
Et vous évoquiez donc Mozart, vous alliez citer Mozart quand je vous ai interrompu.
- Speaker #1
Oui, alors Mozart, elle explique très bien qu'en tant que coopérative, puisque la Belle Emmaüs est une SIC, une société coopérative d'intérêt collectif, elle n'a pas les mêmes accès aux investissements, y compris la Banque publique d'innovation, mais c'est beaucoup elle dont on parle quand on parle des freins à l'accès au financement dans l'ESS numérique. Pourquoi ? Parce que la BPI va considérer qu'une organisation de l'économie sociale et solidaire n'ayant pas vocation à intéresser financièrement les investisseurs, ont un défaut de fonds propres, donc ils ne sont pas éligibles. Donc là-dessus, la BPI surinterprète une disposition européenne, ce qui nous a été confirmé par la Commission européenne quand on leur a posé la question. Et donc là, on voit bien qu'on n'a pas les mêmes droits tout simplement qu'une entreprise classique. Alors je reprends l'exemple de l'économie circulaire et de l'IAE. Ça c'est en soi un secteur qui a vocation à se développer puisqu'on a un gisement énorme de matériel informatique, notamment, qui est inexploité aujourd'hui. On a des entreprises de l'économie sociale et solidaire qui sont partout sur les territoires. Donc il y a un maillage de proximité extraordinaire. pour récupérer et reconditionner ces matériels informatiques, smartphone et évidemment ordinateur. Avec plusieurs modèles d'ailleurs, il y a des modèles qui vont le remettre sur le marché pour n'importe quel individu, et puis il y a des modèles comme la collecte Pantech des Maus Connect, qui va flécher ce matériel informatique reconditionné vers des publics éloignés du numérique. Et puis, historiquement quand même, il faut leur rendre hommage, je trouve. L'économie sociale et solidaire numérique, elle s'est créée dans l'éducation populaire. Et d'ailleurs, Framasoft, qui est plutôt dans la catégorie, chez nous, éditeur de logiciels alternatifs, se revendique aussi de l'éducation populaire. Puisque ce qui a fait partir ce mouvement, c'est que, face au numérique, les citoyens ont besoin, plutôt que de subir, d'être en capacité. Pour ne pas dépendre des grands modèles, pour ne pas dépendre non plus de prestations, de services qu'on leur facture. Des montants faramineux alors qu'ils auraient pu se débrouiller par eux-mêmes sur des actions assez simples à mettre en œuvre une fois qu'on a appris. Et donc tout le secteur de l'inclusion numérique, en fait, il est issu de l'éducation populaire. Il n'est pas sorti de nulle part. Et ça, c'est une des grandes familles de l'ESS numérique qui, ces dernières années, a bénéficié d'une politique publique qui s'est faite de manière... très intelligente vraiment, en partenariat étroit avec ses acteurs de terrain qui avaient déjà tout conçu avant que la politique publique existe. Voilà, et là ils vont souffrir parce que, évidemment, il y a des coupes budgétaires sévères qui s'annoncent dans l'ESS, mais aussi dans l'inclusion numérique. Donc voilà, ça c'est une des grandes familles qui en a créé d'autres ensuite. Typiquement, Framasoft, ici, rattache. Framasoft qui est donc un éditeur de logiciels libres je pense que dans l'ESS beaucoup utilisent Framadate plutôt que Doodle par exemple Framapad pour prendre des notes en collaboratif tout un tas d'outils donc Framasoft qui est une association et que nous on classe plutôt dans la famille des éditeurs de logiciels alternatifs et libres et donc là je vais aussi mentionner les incontournables chatons le collectif des hébergeurs alternatifs transparents, ouverts, neutres et solidaires, qui propose vraiment des alternatives pour se libérer des outils proposés par les grands acteurs dominants du numérique.
- Speaker #0
D'accord, donc on a des hébergeurs dans...
- Speaker #1
On a des hébergeurs et on a même des fournisseurs d'accès Internet. On a une fédération des fournisseurs d'accès Internet associatifs.
- Speaker #0
C'est très peu connu ça quand même.
- Speaker #1
C'est très peu connu. Pour couvrir les zones blanches, là donc où l'État... et le marché sont inefficients pour proposer une couverture Internet aux citoyens, tout simplement. Et donc tous ces acteurs-là sont extrêmement intéressants, extrêmement méconnus, mais en fait on voit bien qu'il y a déjà toute une partie de la chaîne de valeur qui est couverte de l'achat de matériel, avec l'économie circulaire du hardware, à la fourniture d'accès Internet.
- Speaker #0
Et est-ce qu'on pourrait imaginer aussi d'avoir des... Des fabricants de téléphones ou bien des fournisseurs d'abonnements ?
- Speaker #1
Il y en a, il y en a. Télécope fournit des abonnements, bien entendu. C'est une coopérative qui fait partie des licornes. Dans les licornes, on a aussi Common qui propose plutôt d'adopter un modèle de location de terminaux numériques qui sont éco-conçus. Et ils proposent notamment de louer des Fairphone. Fairphone, ce n'est pas une entreprise... De l'ESS à proprement parler, mais on peut dire qu'on se rapproche très très fortement quand même.
- Speaker #0
Fairbairn, c'est une marque de téléphone qui est conçue justement pour être réparable le plus durable possible. Et dans le respect aussi des personnes qui les fabriquent.
- Speaker #1
Voilà. Et alors, on a encore d'autres familles. On a toutes les alternatives aux plateformes. On a mentionné la belle Emmaüs. Moi, il y en a une autre que je trouve formidable, c'est Fairbnb. C'est une alternative à Airbnb.
- Speaker #0
On voit à quoi ça peut servir.
- Speaker #1
Voilà, c'est italien, mais ça s'est développé un peu partout en Europe. Les Italiens, il faut savoir, sont très très forts en coopérative. Donc ils proposent tout un tas de modèles. Je crois qu'ils sont à Bologne, qui est une ville où on retrouve quand même beaucoup d'activistes du numérique et des communs. Donc là, on voit tout l'intérêt aussi de coopérer au niveau européen. Et voilà, on a tout un tas de plateformes alternatives qui se créent. On a aussi tous les outils numériques qui ont été créés pour les ASSO avec des modèles de l'ESS. Là on retrouve Eloasso ou Solenum par exemple. Et puis on a les communs. Alors on a différentes formes, mais ça se développe parce que c'est pas simple, les communs numériques. Mais je vais quand même mentionner Open Food Facts, qui est une association qui développe des communs de données citoyennes.
- Speaker #0
Peut-être revenir sur la définition des communs, qu'est-ce que vous dites là ?
- Speaker #1
Alors un commun, c'est une ressource qui est gérée par une communauté, de manière non exclusive et non rivale. Et donc, ça veut dire que les utilisateurs peuvent alimenter le commun et avoir accès aux ressources du commun. Voilà. Et ça, en fait, c'est une notion très ancienne qui date du Moyen-Âge. En fait, on retrouvait des communs dans chaque village. C'était des espaces où on pouvait cultiver en commun des denrées alimentaires. Et donc, ça s'est déporté dans le champ numérique aujourd'hui pour avoir des vrais contre-pouvoirs alternatifs. Il y en a un autre qui est extrêmement connu. C'est Wikipédia.
- Speaker #0
Évidemment.
- Speaker #1
Donc on a des communs de connaissances, et on a des communs de, comme Wikipédia, et des communs de données, comme Open Food Facts. Donc données citoyennes, en fait ils vont agréger de la donnée qui est fournie par les citoyens, évidemment qui est vérifiée, comme sur Wikipédia, pour renseigner les données nutritionnelles des produits alimentaires. Donc ça c'était le premier grand projet d'Open Food Facts, ça a donné naissance au Nutri-Score. Et puis il y a des initiatives produites par le marché avec des grosses subventions publiques qui ont échoué là où Open Food Facts existe toujours, malgré tous ces problèmes à faire financer son modèle. Donc c'est aussi très résilient une structure de l'ESS numérique. Et puis ça ne peut pas être acheté comme Twitter, parce qu'on ne peut pas acheter une structure de l'ESS.
- Speaker #0
Il y a quelque chose qui est très intéressant dans cette description des différentes familles du numérique dans l'économie sociale et solidaire, c'est qu'on a des alter-égaux, des géants que l'on connaît, des marketplaces, mais qui le font avec leur ADN de l'économie sociale et solidaire, que ce soit sous la forme des statuts d'entreprises comme la SIC, des statuts non lucratifs ou à lucrativité limitée avec des gouvernances démocratiques, mais aussi dans le projet social qui est porté, notamment l'insertion par l'activité économique. Et vous avez aussi évoqué toute une série de familles qui portent un regard différent sur la manière dont on fait du numérique, dont on manipule aussi les données. Et ces deux aspects-là commencent à dessiner finalement un peu ce que peut porter comme valeur ou comme vision ce numérique social et solidaire. Quel est le principal enjeu aujourd'hui ? C'est d'acculturer l'économie sociale et solidaire à la connaissance de ses propres acteurs du numérique ou est-ce que c'est de vraiment travailler une vision commune à projeter vers l'extérieur ?
- Speaker #1
Alors les deux, mon capitaine. Moi, oui, je promeux les circuits courts dans l'ESS. Donc c'est vrai que si les acteurs de l'ESS achetaient ESS en matière de numérique, l'ESS numérique se porterait mieux. Il y aurait plus de... de potentiel pour réussir à stabiliser aussi ces modèles économiques. Donc, être-nous nous-mêmes, première chose. Et puis, deuxième chose, il n'y a pas vraiment de fédération de l'ESS numérique. Aujourd'hui, nous, on essaie de jouer ce rôle-là, mais ce n'est pas simple. Pourquoi ? Comme souvent dans l'ESS, on n'a pas tous exactement la même vision. Il y a des très puristes, notamment chez les libristes, donc les fameux pionniers du web qui sont à l'origine de Chaton, Framasoft, qui défendent cette idée du... Du web ouvert, libre, éducatif.
- Speaker #0
On précise, les libristes, ça n'a rien à voir avec une quelconque librairie, c'est les promoteurs du logiciel libre.
- Speaker #1
Les défenseurs du libre, voilà. Du logiciel libre et puis même de l'ouverture, enfin vraiment des communs numériques en réalité, ça vient vraiment de là. Et moi je suis tout à fait en phase avec eux sur la finalité. Mais parfois on peut avoir des débats avec Framasoft par exemple sur le chemin. En fait, moi j'accompagne des associations, notamment depuis presque 15 ans. Je vois bien que c'est compliqué de trouver du temps. Ça peut être aussi le cas dans une TPE, d'ailleurs c'est pas propre aux associations, mais dans une association on a encore moins de ressources. L'idée c'est d'y aller pas à pas et parfois ça peut être utile de comprendre déjà comment on gère un projet numérique et comment il se compose en utilisant par exemple du no-code, donc en apprenant à faire soi-même. Le no-code, on est d'accord aujourd'hui, il émane de la Silicon Valley, même si ça se développe sur le marché européen aussi. Donc voilà, là on n'a pas réglé la question de l'autonomisation totale. Mais on règle déjà la question de l'encapacitation. Et donc, parce qu'on a tous des visions un peu divergentes, c'est toujours difficile de faire corps. Mais là, on voit que dans l'ESS en général, il y a eu des progrès majeurs. Conférence de presse organisée à l'annonce des coupes budgétaires, elle a quand même fait la preuve qu'on était tous beaucoup plus soudés. On était tous capables de parler d'une même voix, donc je pense que pour les acteurs de l'ESS numérique, c'est la même chose. On peut tout à fait défendre une partie d'une même vision et puis après dialoguer. C'est aussi ça la richesse de l'ESS, c'est la biodiversité.
- Speaker #0
Vous présidez le Social Good Accelerator. Est-ce que justement c'est un lieu que vous avez conçu et auquel se sont associées différentes structures pour justement réunir ces différentes familles et que ce soit un lieu... d'échanges et de création d'une culture commune à l'intérieur de toutes ces familles du numérique social et solidaire.
- Speaker #1
Oui, ça c'est un vrai enjeu pour nous et on avance petit à petit. Alors c'est pas simple parce que pour avoir les moyens de ses ambitions, il faut aller chercher des sous, donc parfois on fait des pas de côté, on sait ce que c'est dans le SS. Donc ça prend un peu plus de temps que je n'aurais cru en créant l'association. Mais on y arrive petit à petit et cette année, on a créé des collèges pour que ce soit plus clair. Donc on a le collège des têtes de réseau avec ESS France, le mouvement ASSO, la CGESCOP et puis on a des têtes de réseau européennes aussi. On a la MENUM également qui est aussi une tête de réseau d'une certaine manière, qui est la coopérative des acteurs de la médiation numérique. On a des chercheurs avec un collège de chercheurs, notamment Jacques-François Marchandis qui est l'ancien DG de la FIING ou Yael Benayoun qui anime le... podcast Question d'Assaut et qui a cofondé le mouton numérique. On a les opérateurs, donc ça c'est le collège le plus important en nombre, avec tous ceux qu'on a cités, c'est les fameuses familles de l'ESS numérique. Et puis après, on a un collège avec des bénévoles et des individus militants. Mais là, on voit bien qu'on a déjà essayé de structurer et on a vocation à essayer de faire grandir cette famille-là. On organise un événement annuel chaque année, donc maintenant sous la bannière numérique en commun. qui a été initié par le programme Société Numérique de l'Agence Nationale de Cohésion des Territoires, qui est un partenaire extrêmement précieux, parce qu'en fait on voit que même au sein de l'État et des collectivités, on a aussi des activistes du numérique d'intérêt général, et donc on a tout intérêt, parce que des deux côtés, au manque de ressources et de moyens, à créer du commun. Et donc Numérique en commun... ESS, là ça aura lieu fin novembre, du 26 au 29 novembre exactement, entre Paris, Bruxelles et Lille. Ça aura vocation à être à ce moment de rencontre et d'échange autour des enjeux de la donnée pour l'ESS.
- Speaker #0
Tout de suite, des personnes entendent parler de cet événement-là, où est-ce qu'ils trouvent les informations ? Il y a un site spécifique ?
- Speaker #1
Sur notre site, socialgoodaccelerator.eu slash fr slash nec-ess, je crois. de mémoire.
- Speaker #0
En tout cas, quand on va sur le Social Good Accelerator, sur le site web, on le trouve et c'est le plus important.
- Speaker #1
Avec un lien d'inscription sur l'OSO, bien entendu.
- Speaker #0
On a abordé ce podcast et cette discussion autour du numérique dans l'économie sociale et solidaire, en partant de cette fameuse intelligence artificielle qui se développe et qui occupe toutes les têtes, et nombre de conférences, et de colloques, et de webinaires, un petit peu partout. J'ai bien compris qu'au sein du Social Good Accelerator, le dialogue a débuté depuis quelques années, mais qu'il s'installe, qu'il commence à tourner, qu'il pose vraiment les sujets, qu'il a réuni les bonnes personnes. Est-ce que l'IA rebat déjà les cartes de la discussion ?
- Speaker #1
Non, ça ne les rebat pas en réalité. En fait, l'IA, c'est la pointe immergée de l'iceberg. Alors, si on voit le verre à moitié plein, on peut dire que c'est une excellente opportunité de reparler du numérique, sérieusement, et d'en parler non plus seulement. en faisant référence à l'outillage, mais bien d'une manière politique, parce que le numérique, c'est politique. Et en réalité, quand on commence à plonger dans les ressorts politiques numériques, on voit qu'ils sont extrêmement profonds. Donc l'IA, c'est juste la nouvelle couche.
- Speaker #0
Pour des structures d'économie sociale et solidaire qui agissent dans le médico-social, qui agissent dans l'inclusion, qui agissent dans la lutte contre la pauvreté, pour les solidarités et dans l'éducation populaire, on peut entendre un premier discours qui est que l'intelligence artificielle, c'est un outil absolument incroyable, puissant, pour se concentrer sur l'objet social de sa structure et laisser de côté tout un tas de tâches rébarbatives que l'on peut maintenant automatiser grâce à la puissance de ces outils-là. En gros, ça peut être... Un outil, et que ce n'est qu'un outil, et qui peut être mis au service de l'intérêt général. D'un autre côté, on voit bien que l'IA et le numérique globalement, vous l'avez dit, dans cette océan numérique, le SS c'est infinitésimal, c'est un symbole aussi de cette économie conventionnelle guidée par l'attrait du profit, par la financiarisation de l'économie. Et donc là on est en opposition avec ce que porte l'économie sociale et solidaire. Qu'est-ce qu'il faut en penser ? Dans les deux, il y a du vrai, il y a du faux dans les deux ?
- Speaker #1
Oui, en fait, l'IA, c'est en fait un calculateur hyper puissant. Et avec l'IA générative, c'est vrai qu'elle devient hyper accessible parce qu'il n'y a pas besoin d'être un matheux pour utiliser l'IA. Donc ça, c'est en soi un progrès incroyable. C'est même une révolution. Et donc oui, les structures de l'ESS pourraient tout à fait en bénéficier en automatisant des tâches qui nous épuisent tous au niveau administratif, répondre à des appels à projets qui n'ont jamais les mêmes cases, faire du reporting pour nos financeurs, alors qu'on a déjà tout écrit mais qu'il faut vraiment reformater pour répondre précisément.
- Speaker #0
Je sens qu'il y a des étoiles qui s'allument dans les yeux de ceux qui nous écoutent et qui dirigent des assos.
- Speaker #1
Ça, c'est une réalité. Pour ça, l'IA générative, c'est formidable. Elle va encore progresser, notamment pour gérer les données, créer des tableaux de bord budgétaires de manière automatique. Moi, je pense que ça va arriver. Il faut juste bien avoir en tête qu'aujourd'hui, l'IA, ça coûte très très cher. Parce qu'il faut... entraîner l'IA et puis donc c'est très gourmand en investissement. Alors on parle pas de l'impact environnemental mais pour en revenir au coût monétaire il faut avoir les moyens d'investir dans l'IA et il faut avoir aussi des intérêts économiques à investir dans l'IA et donc aujourd'hui ça remet encore une couche sur la toute puissance des GAFAM en fait c'est eux qui ont investi dans l'IA Et on voit bien que pour utiliser l'IA aujourd'hui, il faut repayer par-dessus son abonnement Google, Microsoft, etc. À des prix qui nous semblent accessibles pour le moment, mais ils ne sont pas pour capturer les utilisateurs. Ils sont complètement dépendants des outils et ils vont augmenter, comme ça a été le cas lors de la dernière bulle Internet. Alors politiquement, ça renforce leur domination. Et ça, c'est quand même un énorme problème, parce que ces acteurs-là, non seulement ils captent nos données gratuitement, On travaille gratuitement pour eux sans payer d'impôts là où on devrait en payer. Ça, c'est quand même un énorme scandale. Mais en plus, ils façonnent vraiment, on ne s'en rend pas compte, nos modes de pensée, nos modes de travail. Et donc, il faut aussi se prémunir d'une accélération sans fin qui va tout simplement rendre le travail insupportable. En fait, si on considère demain que remplir un dossier d'appel à projet, ça doit prendre une heure. alors qu'avant ça nous prenait une semaine, est-ce que ça nous rend vraiment service ? L'autre chose qui nous pend au nez, et on est quand même directement menacé en ce moment, c'est qu'au prétexte que l'IA permet d'automatiser tout un tas de tâches, on coupe dans les budgets. Donc l'IA devrait pouvoir remplacer les agents derrière les guichets de services publics, mais aussi, pourquoi pas demain, les travailleurs sociaux, les conseillers numériques. Bon, et ça c'est une très très mauvaise idée, bien entendu, parce que la fracture numérique, elle vient du fait qu'en fait aujourd'hui les services sont déshumanisés, ça c'est une réalité. Et c'est pour ça qu'au social code accélérateur, on revendique une vision politique du numérique et on pense que c'est tellement important pour l'avenir qu'il faut absolument que le SS prenne une position très claire là-dessus, ce qui n'est pas le cas. C'est pour ça que je vois l'IA comme une opportunité d'enfin parler numérique chez les têtes de réseau de l'ESS. C'est vertigineux, en fait, ce qui nous attend.
- Speaker #0
Qu'est-ce que ça pourrait être, justement, une vision politique portée par l'ESS sur les enjeux numériques ?
- Speaker #1
Eh bien, c'est une vision, je pense, qui va mobiliser surtout les modèles des communs numériques. C'est une vision qui... Tant à adopter, infini, les outils du libre qui vont à coup sûr progresser. Alors, leur gros défaut, c'est ce qu'on appelle l'UX et l'UI. En fait, c'est l'accessibilité pour les utilisateurs. Ce qu'ont très très bien fait les GAFAM, notamment certains, en fait c'est très facile d'utiliser leurs outils, c'est très agréable, c'est très intuitif. Ça, ça demande un gros travail en fait. D'ailleurs qui provient principalement des sciences humaines, donc on n'est pas très très loin de l'ESS finalement. Et c'est ce qui manque aux acteurs du libre qui sont plutôt des développeurs. Donc aujourd'hui, si massivement on adopte ces outils, les développeurs auront les moyens de se payer des compétences UX, UI. Et ça progressera. Mais du coup, il faut qu'on ait ce courage-là aussi.
- Speaker #0
Mais ça demande aussi de l'argent et donc c'est...
- Speaker #1
Ça demande pas plus d'argent que de payer un abonnement mensuel aux GAFAM, ça demande un investissement de départ, mais sur la durée, pas tant que ça. Voir ça coûte moins cher, puisque les prix vont augmenter, n'est-ce pas ? Donc déjà, ça, oui, acheter en circuit court dans le SS, ça me semble être une vision importante. Et puis, porter une voix démocratique sur la conception des... politiques publiques du numérique. Dire là, les politiques publiques d'inclusion numérique sont directement menacées, que l'ESS se mobilise là-dessus. C'est pas seulement les acteurs publics directement concernés qui doivent se mobiliser. C'est l'ESS dans son ensemble. C'est vraiment les têtes de réseau. C'est demain, on parle d'une politique de protection des données personnelles, que l'ESS porte une voix là-dessus. Aujourd'hui, on n'entend pas l'ESS sur le numérique. Et ça pose des problèmes, en fait. Parce que... Ce rôle-là d'influence, il est capté par les acteurs du marché.
- Speaker #0
Mais il y a deux aspects sur cette question. Vous avez évoqué la protection des données et le fait qu'effectivement, les GAFAM aspirent gratuitement nos données personnelles, ce qui leur permet d'ailleurs d'alimenter leur machine d'IA générative. Donc il y a cet enjeu de protection de la vie privée des personnes, mais il y a aussi l'enjeu de qu'est-ce qu'on fait de ces données, quand on les collecte, qu'est-ce qu'on en fait, à quoi ça doit servir ? Oui. Et l'ESS étant cela un allié objectif des pouvoirs publics, puisque les deux défendent quelque chose de commun qui est l'intérêt général.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Est-ce que là il y a aussi quelque chose qui est apporté de votre côté ?
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Ça, c'est un des enjeux de notre prochain événement. Ça va être un des grands enjeux de la discussion. Comment est-ce qu'on crée des communs aussi de données entre acteurs publics et acteurs de l'ESS ? Alors, ce n'est pas toujours une bonne idée. Je vais quand même mettre un bémol. Je prends l'exemple typiquement des personnes réfugiées, des sans-papiers, qui sont accompagnées par des associations. Certaines refusent catégoriquement de collecter quelques données que ce soit sur ces personnes. Même si elle touche des subventions pour le faire, et donc ça, ça crée parfois des années croches avec le financeur public, on doit vraiment sacraliser ce droit à ne pas collecter des données sensibles aujourd'hui. Mais bon, cette parole-là, il faut la porter.
- Speaker #0
Est-ce que l'ESS a intérêt à promouvoir un débat sur ce qu'on pourrait appeler la donnée d'intérêt général ?
- Speaker #1
Oui, absolument. Alors c'est une notion qui avait été prédéfinie au moment de la loi pour une république numérique. qui est un exemple en termes de conception démocratique aussi d'une loi, puisque ça avait fait l'objet d'une grande consultation. Donc oui, on aurait intérêt à se mettre à définir avec les pouvoirs publics cette notion de données d'intérêt général. Ça serait fort utile et ça permettrait sans doute de... Je vais peut-être faire un relais avec les questions d'après, mais de stabiliser les modèles économiques au fond.
- Speaker #0
Parlons de ces modèles économiques et finalement d'essayer de comprendre de quelle manière cette économie numérique sociale et solidaire pourrait prendre sa part du marché digital. Est-ce qu'à Social Good Accelerator, on dessine le visage du numérique social et solidaire dans dix ans ?
- Speaker #1
Il y a l'utopie et la dystopie. Bonne Latitude ou Data for Good, qui sont deux associations avec qui on travaille beaucoup aussi. ont des communautés de bénévoles de la tech qui donnent du temps pour les structures associatives. Donc il y a ce coup-là à jouer, je pense, auprès des jeunes générations. En fait, si vous voulez vraiment trouver du sens à votre travail, vous avez des modèles aussi dans l'ESS.
- Speaker #0
C'est des métiers très bankable. On peut bien gagner sa vie. Est-ce que l'ESS est capable d'attirer aussi sur le plan salarial ou alors en combinant peut-être du salaire et autre chose ?
- Speaker #1
On combine toujours du salaire et autre chose dans l'ESS. Ce sont des choix de vie. Et puis, ce n'est pas linéaire. Si on arrive à débaucher, même pendant cinq ans, un développeur qui repart sur le marché après, c'est toujours ça de pris. Mais ça, c'est un point important, je pense, pour inspirer les jeunes générations qui ont envie de trouver du sens à rejoindre la troupe, bénévolement ou en tant que salarié. J'espère que dans dix ans, en tout cas, j'espère ça pour ma fille, les outils du numérique social et solidaire seront démocratisés, en fait, ils seront accessibles, connus de tous. bien conçu, avec des interfaces agréables à utiliser.
- Speaker #0
Ce qui manque aujourd'hui,
- Speaker #1
c'est ce que vous disiez. Et puis que le SS sera à la table de toutes les grandes discussions politiques du numérique pour vraiment être toujours la vigie du numérique d'intérêt général, reposer les cadres éthiques, penser à tous les publics qui sont oubliés par les entrepreneurs qui sont consultés parce qu'ils voient les gens comme des clients. Mais en fait, l'être humain ne fait pas que consommer. Et il y en a qui n'en ont d'ailleurs pas les moyens. Voilà, donc un numérique d'intérêt général, c'est forcément, dans 10 ans, un numérique où l'ESS a pris toute sa place, à la fois sur le marché, je mets ça entre guillemets, et aussi autour de la table de la décision politique.
- Speaker #0
Je fais une petite parenthèse. Ce que vous évoquiez sur les enjeux RH, finalement, d'attirer des talents. Ça me rappelle un autre podcast qu'on a fait il y a quelques années dans le cadre d'un dossier qu'on avait appelé Les jeunes ont-ils le gène ? de l'ESS. Et on était allé voir l'association Entourage qui développe des applications pour créer du lien social, de proximité dans les quartiers. Et où justement, eux, pour accueillir des développeurs, finalement, ils se rendent compte que, effectivement, le salaire peut être une variable importante. Il faut arriver à assurer un minimum de salaire. Mais aussi, ils développaient toute une politique de... d'organisation du temps de travail, de semaines de 4 jours, de programmes de formation, de perspectives de sortie aussi. Comme vous le disiez, on peut l'avoir 3-4 ans, le développeur il part après, mais pendant ces 3-4 ans-là, il travaille à fond sur le projet-là, et ça avait l'air de fonctionner. Vous avez évoqué quelques acteurs européens sur ce champ-là, et ce Shell Good Accelerator est une organisation, vous l'avez dit, franco-européenne. Est-ce que sur ces enjeux de marché et de part de marché, sur le digital, il faut penser français ou européen, justement ?
- Speaker #1
Alors, il faut penser européen, bien évidemment, parce que moi, je crois quand même au superpouvoir de l'ESS de mutualiser dès que possible. Et donc, là où un modèle numérique de l'ESS a fonctionné, je pense qu'on peut le développer ailleurs. Et ça, c'est aussi une des conditions du passage à l'échelle. Et je crois que les réglementations européennes... qui ont été plus vite à Bruxelles qu'en France, bien souvent, sont protectrices et offrent quand même un terrain de jeu intéressant pour le numérique souverain de manière générale. Mais par définition, l'ESS numérique propose un numérique souverain. Donc oui, je crois que c'est très malin de penser en termes de marché, si on veut, européen. Peut-être... De manière plus distribuée que dans le marché classique.
- Speaker #0
C'est-à-dire ?
- Speaker #1
C'est-à-dire en visant la coopération vraiment plus que des logiques d'OPA, de création de gros groupes. On en a dans l'ESS aussi, mais je pense, penser une gouvernance distribuée du numérique social et solidaire. Ça serait un énorme progrès au niveau européen.
- Speaker #0
Jeanne Bréthéché, merci beaucoup pour cet échange. Et puis, rappelons-le pour ceux qui voudraient prolonger après ce podcast, vous pouvez vous rendre au NEC ESS, à l'événement numérique en commun Économie sociale et solidaire qui se déroulera à Paris, notamment au Musée social, mais aussi à Lille et à Bruxelles. Rappelez-nous les dates.
- Speaker #1
Alors à Paris, ça sera le 26 au soir et le 27 toute la journée au musée social. Effectivement, ça nous touche beaucoup de le faire au musée social, qui est le lieu des archives de l'ESS.
- Speaker #0
Donc des données historiques de l'ESS.
- Speaker #1
Voilà. Et on sera à Bruxelles le 28 pour la présentation du code de conduite des données de l'économie sociale, sur lequel on travaille avec la Commission européenne et beaucoup d'autres acteurs de l'ESS. européenne depuis quelques mois. Et le 29, on organise notre premier café IA pour les assos avec le Conseil national du numérique à Lille, au Bazar Sanssaut. Là, on travaille au quotidien avec les équipes du Social Goal Accelerator. Et on aura aussi un temps l'après-midi pour les accompagnateurs de l'ESS.
- Speaker #0
Merci beaucoup à vous, Jeanne-Marie Téchy.
- Speaker #1
Merci à vous.
- Speaker #0
Merci d'avoir écouté cet épisode des podcasts de Nes jusqu'au bout. N'hésitez pas à vous abonner et à partager les épisodes des podcasts de Nes. Et on se retrouve pour le prochain épisode.