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LECTURES NON CLASSÉES

Les Champs de la Lune, conte sélénien de Catherine Dufour

Les Champs de la Lune, conte sélénien de Catherine Dufour

12min |26/11/2024|

16

Play
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Description

Cette semaine, Lectures Non Classées vous propose de plonger dans un chef-d'œuvre de la science-fiction francophone : Les Champs de la Lune de Catherine Dufour.

À travers des personnages puissants et une écriture d’une grande finesse, Catherine Dufour peint une société lunaire fragmentée, confrontée à des défis environnementaux, technologiques et sociaux d’une actualité saisissante. Entre écologie désespérée, colonisation spatiale et questionnements sur ce qui reste de l'humain dans un monde en perdition, le roman oscille entre une dureté implacable et une poésie lumineuse.

Au programme de cet épisode : un résumé sans spoiler pour vous donner envie de découvrir ce bijou, un extrait marquant qui illustre la richesse du texte, et une analyse approfondie des thématiques et de la structure narrative qui font de ce roman une œuvre incontournable.

Embarquez avec nous pour Les Champs de la Lune : une exploration troublante, mais absolument essentielle

Et n'oubliez pas, la littérature SF... c'est un piège !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur Lectures Non Classées, aujourd'hui c'est Les Chants de la Lune de Catherine Dufour, générique ! Catherine Dufour est une autrice lauréate de nombreux prix littéraires et ingénieur informatique. Elle fabrique des bibliothèques numériques. Elle donne des cours à Sciences Po Paris, écrit des chroniques pour le Monde Diplomatique, et des essais chez Fayard. Elle est l'une des fondatrices du collectif d'autrices de science-fiction Zanzibar, Désincarcérer le futur. La science-fiction est, dit-elle, nécessairement politique. En créant un monde, on crée la vie de la cité, donc sa politique. Ce mouvement lui a permis d'envisager le futur de manière un peu moins dépressive. Si vous rejoignez ou observez ce collectif passionnant, faites donc un tour par leur lexique. Vous y trouverez avoir la Zanzibaraca, la Zanzibarbarie encore frappée avec le collage de 63 affiches sur le siège social de Veolia et l'attaque au pistolet à eau de la COP32. Zanzibarbacane, hit de Francis Cabrel. Zanzibarbeau, jeune écrivain voulant se la péter collectif Zanzibar. Zanzibarbelé, délimitation du domaine de la littérature. Faire Zanzibarrage, à l'extrême connerie par exemple. Sans oublier le Zanzibar tabac de la rue des martyrs et bien d'autres. Elle a grandi dans les années 80. Elle a commencé à écrire à 7 ans. Ses premières histoires visaient à réparer les injustices. Elle a notamment, à 15 ans, réécrit la fin de À la poursuite des slans de Van Vogt. Voici donc l'embryon de sa conscience politique. Ah, les années 80, années fric, années yupies, années Tapie, début du chômage de masse, épidémie de sida. Catherine Dufour rencontre le mouvement punk à 25 ans avec la découverte des rave parties qu'elle a suivies durant une dizaine d'années. Elle adore pouvoir danser sans être harcelée et apprécie à l'époque le respect des lieux occupés, finalement plus propre le lendemain de la fête que la veille. Elle garde un souvenir ému de deux jours de rave dans la piscine Molitor, grand moment dans les beaux quartiers. Outrage et rébellion, son ouvrage en est tiré. Puis elle rejoint Ras l'front, Mouvement anti-FN et Act Up. Féministe engagée, elle a écrit Le guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesse. On peut les comprendre. Elle découvre Terry Pratchett et sa fantaisie humoristique, qui change son angle d'approche de la SF. À 30 ans, elle écrit un livre publiable, Blanche-Neige et les lances-missiles. Et à 35 ans, son récit est publié. Elle le trouve finalement très désordonné. Depuis lors, elle prépare toujours un plan qui structure son récit sans excès. Le goût de l'immortalité est la bascule de sa carrière. Elle le qualifie de sérieux, complexe, dénué de romance, finalement écrit pour les hommes. D'ailleurs, le machisme n'est jamais très loin dans les salons littéraires parisiens, bien qu'il y ait plus d'autrices de SF qu'il y a une dizaine d'années. Catherine Moore, Ursula K. Le Guin, Lee Brackett figurent parmi ses premiers amours de littérature SF. La bonne revue Bifrost lui consacre son numéro 116. Je vous le conseille. This is amazing ! Nous sommes en 2324 et la Lune est habitée depuis deux siècles. Nous voilà plongés dans le journal de bord d'El Jarlíne. Ce journal regroupe ses rapports administratifs auprès de la commanderie de Mut, la cité sous-lunaire dont elle dépend. Les peuples sous-lunaire qui sont troglodytes vivent dans les espaces souterrains de la Lune qu'ils ont aménagés pour construire des cités, à l'abri des radiations et des chutes de météorites. Dans la ferme Lalande, elle cultive des végétaux et installe des animaux qui s'adaptent aux rudes conditions lunaires. Elle est épaulée par des drones d'entretien et des airbots, airbots comme herbe. Les animaux augmentés comme Trim, le chat de race Bombay qui l'accompagne, ont accès à la parole et communiquent avec les humains. Trim est un personnage central du roman. Ses propos sont directs parce qu'il connaît El-Jarline par cœur. La petite Sileki, au talent certain pour s'occuper des plantes, va devenir l'élève horticultrice d'El-Jarline et faire fleurir son empathie. La fermière constate l'invasion des minicolas, minuscules méduses parasites qui ont fui, on ne sait comment, vers la surface et sont capables de dissoudre la roche sous laquelle s'abrite la cité de Mut. Elle signale également la présence d'une fissure dans le dôme de la ferme au niveau de la côte 237, qui pourrait compromettre son étanchéité et provoquer sa destruction, rien de moins. Cette côte 237, c'est le sablier de l'histoire, un compte à rebours face aux lenteurs administratives. Donc voilà, El Jarline, c'est une lanceuse d'alerte du XXIVe siècle. Voici comment la décrit Catherine Dufour. La fermière qui raconte son histoire va peu à peu se révéler plus complexe qu'une moissonneuse batteuse. Bien sûr, j'en profite pour la promener d'un bout à l'autre de la Lune, à travers la mer des îles et l'océan des tempêtes, puis sur la face cachée, dans les Highlands et jusqu'au bord du bassin du pôle Sud. Elle rencontre les fantômes de Soyouz 11, Dobrovolski, Patsayev et Volkov. Elle visite des cités sous-lunaires et une usine de glace lunaire. Elle navigue à la voile autour du cratère d'Edda. Elle assiste aux chasses de robots fous. Gros clin d'œil aux Super Toys de Brian Aldiss. Elle récite des poèmes à la terre. Elle voyait dans la nuit gelée la nappe étoilée et la terre en croissant qui brillait bleue et fatidique. Enfin, j'ai tenté de décrire un voyage. Fin de citation. Il n'y a pas que l'environnement lunaire qui mène la vie dure à ces colons. Ils sont également frappés, de manière aléatoire, par une pathologie 100% létale, la fièvre aspic. Ce n'est pas une fièvre et elle n'est pas due à la morsure de l'aspic. Ah ben c'est drôlement bien trouvé comme nom. Elle est pénible. C'est parce que comme cette dernière, elle provoque un sommeil profond, un coma, puis la mort. Quant à L. Jarlene, sa propre expérience du deuil la conduit à entamer des recherches sur les causes de la fièvre aspic. Pas d'anthropocentrisme dans cet ouvrage qui considère dans sa totalité la préservation des espèces que les zoologues et généticiens adaptent à la gravité lunaire avec plus ou moins de succès. Les ponts sont coupés avec la Terre, la culture terrienne est remplacée par une culture lunaire. Cependant, quelques citoyens se recueillent encore en passant sur les sites d'alunissage des missions américaines Apollo 12 et 14. Comme quoi, l'histoire de la conquête lunaire reste quand même encore un petit peu dans les esprits, comme la littérature terrienne qui est abondamment citée. La société lunaire décrite par Catherine Dufour n'a pas vraiment appris des erreurs commises sur Terre. La violence, la justice expéditive, la publicité et la consommation restent omniprésents. Ce qui exacerbe la colère d'El-Jarline.

  • Speaker #1

    Je crois que je supporte de plus en plus difficilement l'inconséquence d'un peuple qui regrette sans fin d'avoir ruiné une planète entière et n'a rien retenu de la leçon. Ce matin de la ferme, Reine Constate, est resté une longueur à contempler son reflet dans l'étang. De temps en temps, il prenait une bouffée d'oxygène dans son respirateur sans arrêter de grommeler. Je l'ai écouté, en regrettant qu'il n'ait pas l'art de la contextualisation. Les yeux plongés dans l'eau, tout glacé de vieillesse et couvert de coccinelles. Il parlait par rébus. Trim me reproche de ne pas apprécier la beauté rythmique de son langage, mais j'aimerais quand même comprendre ce qu'est un chien de grand frère venant sur Cromartie. J'ai eu l'impression que le vieil albatro déversait le contenu de sa mémoire maritime dans le seul trou d'eau qu'il avait pu trouver. Sous ce déluge de mots, l'étang n'a pas eu une ride et les oiseaux ont continué de chanter au-dessus de nos têtes. Les mots sont puissants et pourtant, ils passent comme des ombres. J'ai peur que le processus cérébral de Reine Constate soit en fin de course. J'aurais voulu qu'avant de mourir, il nous parle de ce qu'il a vu. Les trombes et les ressacs et les courants, les dorades du flot bleu et les poissons d'or. Mais je crois que Reine Constate n'a jamais eu de talent contemplatif. Ses yeux. qui en ont tant vu, n'ont retenu que des visions de pieds mouillés, de bourses vides et de chopes de bière.

  • Speaker #0

    This is amazing ! Les références sont nombreuses. D'abord Marcel Proust du côté de chez Swan. Longtemps je me suis couché de bonne heure qui devient Ici, longtemps, les rapports de la ferme Lalande ont commencé par Douglas Adams avec Adieu et désolé pour la poussière qui nous ramène à Adieu et merci pour le poisson dans le guide du routard galactique. Mais aussi à la poétesse et scénariste Dorothy Parker, car c'est l'épitaphe qu'elle aurait souhaité sur son urne funéraire. Karen Blixen et sa ferme africaine pour la mélancolie, la nostalgie, le paradis perdu. Les belles descriptions de la surface de la Lune évoquent des passages de la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson. Et enfin, le film de 1972, Silent Running, où Bruce Dern, dans un vaisseau spatial, prend soin d'une forêt sous dôme avec l'aide de robots jardiniers. Film à petit budget, mais à voir. Je cite encore Catherine Dufour, Il m'est arrivé de pointer sur une page tout ce qui venait d'influences extérieures, thèmes, styles, visuels, personnages, actions. C'est simple, tout vient d'ailleurs, rien ne vient de moi. Je m'envoie vraiment comme un filtre, tu sais, un grillage en métal sur lequel les influences viennent se déposer. Mais s'il faut que je note les principales influences, Yuko Tsuno, Star Trek The Original Series, Pratchett, Catherine Moore, Yourcenar, Simack, Didion, et bon sang, pas mal de ratons laveurs. Les auteurs sont souvent des bibliothèques ambulantes qui déversent sur une feuille le trop plein de mots qu'ils ont absorbés. Fin de citation. Et vous trouverez en plus en dernière page du livre de nombreuses références bibliographiques. Ce livre de 284 pages est édité chez Robert Laffont dans la collection Ailleurs et Demain. La majeure partie du récit est un recueil de rapports administratifs qui devient un journal en fin d'ouvrage. Son style est à la fois poétique et direct, très littéraire. L'illustration de couverture est d'Aurélien Police, celui qui illustre les couvertures chez UHL Une Heure Lumière. C'est très beau. D'ailleurs, quelques-unes de ses œuvres sont à vendre sur le site de Le Bélial jusqu'au 16 novembre 2024. Merci au podcast de Lloyd Chery, c'est plus que de la SF, aux chroniques du Chroniqueur, au groupe Facebook Fantasy et Science Fiction, et au numéro 116 de Bifrost. Les liens sont en dessous. May the force and prosper, comme dirait la Dufour. Et n'oubliez pas la littérature SF...

Description

Cette semaine, Lectures Non Classées vous propose de plonger dans un chef-d'œuvre de la science-fiction francophone : Les Champs de la Lune de Catherine Dufour.

À travers des personnages puissants et une écriture d’une grande finesse, Catherine Dufour peint une société lunaire fragmentée, confrontée à des défis environnementaux, technologiques et sociaux d’une actualité saisissante. Entre écologie désespérée, colonisation spatiale et questionnements sur ce qui reste de l'humain dans un monde en perdition, le roman oscille entre une dureté implacable et une poésie lumineuse.

Au programme de cet épisode : un résumé sans spoiler pour vous donner envie de découvrir ce bijou, un extrait marquant qui illustre la richesse du texte, et une analyse approfondie des thématiques et de la structure narrative qui font de ce roman une œuvre incontournable.

Embarquez avec nous pour Les Champs de la Lune : une exploration troublante, mais absolument essentielle

Et n'oubliez pas, la littérature SF... c'est un piège !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur Lectures Non Classées, aujourd'hui c'est Les Chants de la Lune de Catherine Dufour, générique ! Catherine Dufour est une autrice lauréate de nombreux prix littéraires et ingénieur informatique. Elle fabrique des bibliothèques numériques. Elle donne des cours à Sciences Po Paris, écrit des chroniques pour le Monde Diplomatique, et des essais chez Fayard. Elle est l'une des fondatrices du collectif d'autrices de science-fiction Zanzibar, Désincarcérer le futur. La science-fiction est, dit-elle, nécessairement politique. En créant un monde, on crée la vie de la cité, donc sa politique. Ce mouvement lui a permis d'envisager le futur de manière un peu moins dépressive. Si vous rejoignez ou observez ce collectif passionnant, faites donc un tour par leur lexique. Vous y trouverez avoir la Zanzibaraca, la Zanzibarbarie encore frappée avec le collage de 63 affiches sur le siège social de Veolia et l'attaque au pistolet à eau de la COP32. Zanzibarbacane, hit de Francis Cabrel. Zanzibarbeau, jeune écrivain voulant se la péter collectif Zanzibar. Zanzibarbelé, délimitation du domaine de la littérature. Faire Zanzibarrage, à l'extrême connerie par exemple. Sans oublier le Zanzibar tabac de la rue des martyrs et bien d'autres. Elle a grandi dans les années 80. Elle a commencé à écrire à 7 ans. Ses premières histoires visaient à réparer les injustices. Elle a notamment, à 15 ans, réécrit la fin de À la poursuite des slans de Van Vogt. Voici donc l'embryon de sa conscience politique. Ah, les années 80, années fric, années yupies, années Tapie, début du chômage de masse, épidémie de sida. Catherine Dufour rencontre le mouvement punk à 25 ans avec la découverte des rave parties qu'elle a suivies durant une dizaine d'années. Elle adore pouvoir danser sans être harcelée et apprécie à l'époque le respect des lieux occupés, finalement plus propre le lendemain de la fête que la veille. Elle garde un souvenir ému de deux jours de rave dans la piscine Molitor, grand moment dans les beaux quartiers. Outrage et rébellion, son ouvrage en est tiré. Puis elle rejoint Ras l'front, Mouvement anti-FN et Act Up. Féministe engagée, elle a écrit Le guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesse. On peut les comprendre. Elle découvre Terry Pratchett et sa fantaisie humoristique, qui change son angle d'approche de la SF. À 30 ans, elle écrit un livre publiable, Blanche-Neige et les lances-missiles. Et à 35 ans, son récit est publié. Elle le trouve finalement très désordonné. Depuis lors, elle prépare toujours un plan qui structure son récit sans excès. Le goût de l'immortalité est la bascule de sa carrière. Elle le qualifie de sérieux, complexe, dénué de romance, finalement écrit pour les hommes. D'ailleurs, le machisme n'est jamais très loin dans les salons littéraires parisiens, bien qu'il y ait plus d'autrices de SF qu'il y a une dizaine d'années. Catherine Moore, Ursula K. Le Guin, Lee Brackett figurent parmi ses premiers amours de littérature SF. La bonne revue Bifrost lui consacre son numéro 116. Je vous le conseille. This is amazing ! Nous sommes en 2324 et la Lune est habitée depuis deux siècles. Nous voilà plongés dans le journal de bord d'El Jarlíne. Ce journal regroupe ses rapports administratifs auprès de la commanderie de Mut, la cité sous-lunaire dont elle dépend. Les peuples sous-lunaire qui sont troglodytes vivent dans les espaces souterrains de la Lune qu'ils ont aménagés pour construire des cités, à l'abri des radiations et des chutes de météorites. Dans la ferme Lalande, elle cultive des végétaux et installe des animaux qui s'adaptent aux rudes conditions lunaires. Elle est épaulée par des drones d'entretien et des airbots, airbots comme herbe. Les animaux augmentés comme Trim, le chat de race Bombay qui l'accompagne, ont accès à la parole et communiquent avec les humains. Trim est un personnage central du roman. Ses propos sont directs parce qu'il connaît El-Jarline par cœur. La petite Sileki, au talent certain pour s'occuper des plantes, va devenir l'élève horticultrice d'El-Jarline et faire fleurir son empathie. La fermière constate l'invasion des minicolas, minuscules méduses parasites qui ont fui, on ne sait comment, vers la surface et sont capables de dissoudre la roche sous laquelle s'abrite la cité de Mut. Elle signale également la présence d'une fissure dans le dôme de la ferme au niveau de la côte 237, qui pourrait compromettre son étanchéité et provoquer sa destruction, rien de moins. Cette côte 237, c'est le sablier de l'histoire, un compte à rebours face aux lenteurs administratives. Donc voilà, El Jarline, c'est une lanceuse d'alerte du XXIVe siècle. Voici comment la décrit Catherine Dufour. La fermière qui raconte son histoire va peu à peu se révéler plus complexe qu'une moissonneuse batteuse. Bien sûr, j'en profite pour la promener d'un bout à l'autre de la Lune, à travers la mer des îles et l'océan des tempêtes, puis sur la face cachée, dans les Highlands et jusqu'au bord du bassin du pôle Sud. Elle rencontre les fantômes de Soyouz 11, Dobrovolski, Patsayev et Volkov. Elle visite des cités sous-lunaires et une usine de glace lunaire. Elle navigue à la voile autour du cratère d'Edda. Elle assiste aux chasses de robots fous. Gros clin d'œil aux Super Toys de Brian Aldiss. Elle récite des poèmes à la terre. Elle voyait dans la nuit gelée la nappe étoilée et la terre en croissant qui brillait bleue et fatidique. Enfin, j'ai tenté de décrire un voyage. Fin de citation. Il n'y a pas que l'environnement lunaire qui mène la vie dure à ces colons. Ils sont également frappés, de manière aléatoire, par une pathologie 100% létale, la fièvre aspic. Ce n'est pas une fièvre et elle n'est pas due à la morsure de l'aspic. Ah ben c'est drôlement bien trouvé comme nom. Elle est pénible. C'est parce que comme cette dernière, elle provoque un sommeil profond, un coma, puis la mort. Quant à L. Jarlene, sa propre expérience du deuil la conduit à entamer des recherches sur les causes de la fièvre aspic. Pas d'anthropocentrisme dans cet ouvrage qui considère dans sa totalité la préservation des espèces que les zoologues et généticiens adaptent à la gravité lunaire avec plus ou moins de succès. Les ponts sont coupés avec la Terre, la culture terrienne est remplacée par une culture lunaire. Cependant, quelques citoyens se recueillent encore en passant sur les sites d'alunissage des missions américaines Apollo 12 et 14. Comme quoi, l'histoire de la conquête lunaire reste quand même encore un petit peu dans les esprits, comme la littérature terrienne qui est abondamment citée. La société lunaire décrite par Catherine Dufour n'a pas vraiment appris des erreurs commises sur Terre. La violence, la justice expéditive, la publicité et la consommation restent omniprésents. Ce qui exacerbe la colère d'El-Jarline.

  • Speaker #1

    Je crois que je supporte de plus en plus difficilement l'inconséquence d'un peuple qui regrette sans fin d'avoir ruiné une planète entière et n'a rien retenu de la leçon. Ce matin de la ferme, Reine Constate, est resté une longueur à contempler son reflet dans l'étang. De temps en temps, il prenait une bouffée d'oxygène dans son respirateur sans arrêter de grommeler. Je l'ai écouté, en regrettant qu'il n'ait pas l'art de la contextualisation. Les yeux plongés dans l'eau, tout glacé de vieillesse et couvert de coccinelles. Il parlait par rébus. Trim me reproche de ne pas apprécier la beauté rythmique de son langage, mais j'aimerais quand même comprendre ce qu'est un chien de grand frère venant sur Cromartie. J'ai eu l'impression que le vieil albatro déversait le contenu de sa mémoire maritime dans le seul trou d'eau qu'il avait pu trouver. Sous ce déluge de mots, l'étang n'a pas eu une ride et les oiseaux ont continué de chanter au-dessus de nos têtes. Les mots sont puissants et pourtant, ils passent comme des ombres. J'ai peur que le processus cérébral de Reine Constate soit en fin de course. J'aurais voulu qu'avant de mourir, il nous parle de ce qu'il a vu. Les trombes et les ressacs et les courants, les dorades du flot bleu et les poissons d'or. Mais je crois que Reine Constate n'a jamais eu de talent contemplatif. Ses yeux. qui en ont tant vu, n'ont retenu que des visions de pieds mouillés, de bourses vides et de chopes de bière.

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    This is amazing ! Les références sont nombreuses. D'abord Marcel Proust du côté de chez Swan. Longtemps je me suis couché de bonne heure qui devient Ici, longtemps, les rapports de la ferme Lalande ont commencé par Douglas Adams avec Adieu et désolé pour la poussière qui nous ramène à Adieu et merci pour le poisson dans le guide du routard galactique. Mais aussi à la poétesse et scénariste Dorothy Parker, car c'est l'épitaphe qu'elle aurait souhaité sur son urne funéraire. Karen Blixen et sa ferme africaine pour la mélancolie, la nostalgie, le paradis perdu. Les belles descriptions de la surface de la Lune évoquent des passages de la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson. Et enfin, le film de 1972, Silent Running, où Bruce Dern, dans un vaisseau spatial, prend soin d'une forêt sous dôme avec l'aide de robots jardiniers. Film à petit budget, mais à voir. Je cite encore Catherine Dufour, Il m'est arrivé de pointer sur une page tout ce qui venait d'influences extérieures, thèmes, styles, visuels, personnages, actions. C'est simple, tout vient d'ailleurs, rien ne vient de moi. Je m'envoie vraiment comme un filtre, tu sais, un grillage en métal sur lequel les influences viennent se déposer. Mais s'il faut que je note les principales influences, Yuko Tsuno, Star Trek The Original Series, Pratchett, Catherine Moore, Yourcenar, Simack, Didion, et bon sang, pas mal de ratons laveurs. Les auteurs sont souvent des bibliothèques ambulantes qui déversent sur une feuille le trop plein de mots qu'ils ont absorbés. Fin de citation. Et vous trouverez en plus en dernière page du livre de nombreuses références bibliographiques. Ce livre de 284 pages est édité chez Robert Laffont dans la collection Ailleurs et Demain. La majeure partie du récit est un recueil de rapports administratifs qui devient un journal en fin d'ouvrage. Son style est à la fois poétique et direct, très littéraire. L'illustration de couverture est d'Aurélien Police, celui qui illustre les couvertures chez UHL Une Heure Lumière. C'est très beau. D'ailleurs, quelques-unes de ses œuvres sont à vendre sur le site de Le Bélial jusqu'au 16 novembre 2024. Merci au podcast de Lloyd Chery, c'est plus que de la SF, aux chroniques du Chroniqueur, au groupe Facebook Fantasy et Science Fiction, et au numéro 116 de Bifrost. Les liens sont en dessous. May the force and prosper, comme dirait la Dufour. Et n'oubliez pas la littérature SF...

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Cette semaine, Lectures Non Classées vous propose de plonger dans un chef-d'œuvre de la science-fiction francophone : Les Champs de la Lune de Catherine Dufour.

À travers des personnages puissants et une écriture d’une grande finesse, Catherine Dufour peint une société lunaire fragmentée, confrontée à des défis environnementaux, technologiques et sociaux d’une actualité saisissante. Entre écologie désespérée, colonisation spatiale et questionnements sur ce qui reste de l'humain dans un monde en perdition, le roman oscille entre une dureté implacable et une poésie lumineuse.

Au programme de cet épisode : un résumé sans spoiler pour vous donner envie de découvrir ce bijou, un extrait marquant qui illustre la richesse du texte, et une analyse approfondie des thématiques et de la structure narrative qui font de ce roman une œuvre incontournable.

Embarquez avec nous pour Les Champs de la Lune : une exploration troublante, mais absolument essentielle

Et n'oubliez pas, la littérature SF... c'est un piège !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Bienvenue sur Lectures Non Classées, aujourd'hui c'est Les Chants de la Lune de Catherine Dufour, générique ! Catherine Dufour est une autrice lauréate de nombreux prix littéraires et ingénieur informatique. Elle fabrique des bibliothèques numériques. Elle donne des cours à Sciences Po Paris, écrit des chroniques pour le Monde Diplomatique, et des essais chez Fayard. Elle est l'une des fondatrices du collectif d'autrices de science-fiction Zanzibar, Désincarcérer le futur. La science-fiction est, dit-elle, nécessairement politique. En créant un monde, on crée la vie de la cité, donc sa politique. Ce mouvement lui a permis d'envisager le futur de manière un peu moins dépressive. Si vous rejoignez ou observez ce collectif passionnant, faites donc un tour par leur lexique. Vous y trouverez avoir la Zanzibaraca, la Zanzibarbarie encore frappée avec le collage de 63 affiches sur le siège social de Veolia et l'attaque au pistolet à eau de la COP32. Zanzibarbacane, hit de Francis Cabrel. Zanzibarbeau, jeune écrivain voulant se la péter collectif Zanzibar. Zanzibarbelé, délimitation du domaine de la littérature. Faire Zanzibarrage, à l'extrême connerie par exemple. Sans oublier le Zanzibar tabac de la rue des martyrs et bien d'autres. Elle a grandi dans les années 80. Elle a commencé à écrire à 7 ans. Ses premières histoires visaient à réparer les injustices. Elle a notamment, à 15 ans, réécrit la fin de À la poursuite des slans de Van Vogt. Voici donc l'embryon de sa conscience politique. Ah, les années 80, années fric, années yupies, années Tapie, début du chômage de masse, épidémie de sida. Catherine Dufour rencontre le mouvement punk à 25 ans avec la découverte des rave parties qu'elle a suivies durant une dizaine d'années. Elle adore pouvoir danser sans être harcelée et apprécie à l'époque le respect des lieux occupés, finalement plus propre le lendemain de la fête que la veille. Elle garde un souvenir ému de deux jours de rave dans la piscine Molitor, grand moment dans les beaux quartiers. Outrage et rébellion, son ouvrage en est tiré. Puis elle rejoint Ras l'front, Mouvement anti-FN et Act Up. Féministe engagée, elle a écrit Le guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesse. On peut les comprendre. Elle découvre Terry Pratchett et sa fantaisie humoristique, qui change son angle d'approche de la SF. À 30 ans, elle écrit un livre publiable, Blanche-Neige et les lances-missiles. Et à 35 ans, son récit est publié. Elle le trouve finalement très désordonné. Depuis lors, elle prépare toujours un plan qui structure son récit sans excès. Le goût de l'immortalité est la bascule de sa carrière. Elle le qualifie de sérieux, complexe, dénué de romance, finalement écrit pour les hommes. D'ailleurs, le machisme n'est jamais très loin dans les salons littéraires parisiens, bien qu'il y ait plus d'autrices de SF qu'il y a une dizaine d'années. Catherine Moore, Ursula K. Le Guin, Lee Brackett figurent parmi ses premiers amours de littérature SF. La bonne revue Bifrost lui consacre son numéro 116. Je vous le conseille. This is amazing ! Nous sommes en 2324 et la Lune est habitée depuis deux siècles. Nous voilà plongés dans le journal de bord d'El Jarlíne. Ce journal regroupe ses rapports administratifs auprès de la commanderie de Mut, la cité sous-lunaire dont elle dépend. Les peuples sous-lunaire qui sont troglodytes vivent dans les espaces souterrains de la Lune qu'ils ont aménagés pour construire des cités, à l'abri des radiations et des chutes de météorites. Dans la ferme Lalande, elle cultive des végétaux et installe des animaux qui s'adaptent aux rudes conditions lunaires. Elle est épaulée par des drones d'entretien et des airbots, airbots comme herbe. Les animaux augmentés comme Trim, le chat de race Bombay qui l'accompagne, ont accès à la parole et communiquent avec les humains. Trim est un personnage central du roman. Ses propos sont directs parce qu'il connaît El-Jarline par cœur. La petite Sileki, au talent certain pour s'occuper des plantes, va devenir l'élève horticultrice d'El-Jarline et faire fleurir son empathie. La fermière constate l'invasion des minicolas, minuscules méduses parasites qui ont fui, on ne sait comment, vers la surface et sont capables de dissoudre la roche sous laquelle s'abrite la cité de Mut. Elle signale également la présence d'une fissure dans le dôme de la ferme au niveau de la côte 237, qui pourrait compromettre son étanchéité et provoquer sa destruction, rien de moins. Cette côte 237, c'est le sablier de l'histoire, un compte à rebours face aux lenteurs administratives. Donc voilà, El Jarline, c'est une lanceuse d'alerte du XXIVe siècle. Voici comment la décrit Catherine Dufour. La fermière qui raconte son histoire va peu à peu se révéler plus complexe qu'une moissonneuse batteuse. Bien sûr, j'en profite pour la promener d'un bout à l'autre de la Lune, à travers la mer des îles et l'océan des tempêtes, puis sur la face cachée, dans les Highlands et jusqu'au bord du bassin du pôle Sud. Elle rencontre les fantômes de Soyouz 11, Dobrovolski, Patsayev et Volkov. Elle visite des cités sous-lunaires et une usine de glace lunaire. Elle navigue à la voile autour du cratère d'Edda. Elle assiste aux chasses de robots fous. Gros clin d'œil aux Super Toys de Brian Aldiss. Elle récite des poèmes à la terre. Elle voyait dans la nuit gelée la nappe étoilée et la terre en croissant qui brillait bleue et fatidique. Enfin, j'ai tenté de décrire un voyage. Fin de citation. Il n'y a pas que l'environnement lunaire qui mène la vie dure à ces colons. Ils sont également frappés, de manière aléatoire, par une pathologie 100% létale, la fièvre aspic. Ce n'est pas une fièvre et elle n'est pas due à la morsure de l'aspic. Ah ben c'est drôlement bien trouvé comme nom. Elle est pénible. C'est parce que comme cette dernière, elle provoque un sommeil profond, un coma, puis la mort. Quant à L. Jarlene, sa propre expérience du deuil la conduit à entamer des recherches sur les causes de la fièvre aspic. Pas d'anthropocentrisme dans cet ouvrage qui considère dans sa totalité la préservation des espèces que les zoologues et généticiens adaptent à la gravité lunaire avec plus ou moins de succès. Les ponts sont coupés avec la Terre, la culture terrienne est remplacée par une culture lunaire. Cependant, quelques citoyens se recueillent encore en passant sur les sites d'alunissage des missions américaines Apollo 12 et 14. Comme quoi, l'histoire de la conquête lunaire reste quand même encore un petit peu dans les esprits, comme la littérature terrienne qui est abondamment citée. La société lunaire décrite par Catherine Dufour n'a pas vraiment appris des erreurs commises sur Terre. La violence, la justice expéditive, la publicité et la consommation restent omniprésents. Ce qui exacerbe la colère d'El-Jarline.

  • Speaker #1

    Je crois que je supporte de plus en plus difficilement l'inconséquence d'un peuple qui regrette sans fin d'avoir ruiné une planète entière et n'a rien retenu de la leçon. Ce matin de la ferme, Reine Constate, est resté une longueur à contempler son reflet dans l'étang. De temps en temps, il prenait une bouffée d'oxygène dans son respirateur sans arrêter de grommeler. Je l'ai écouté, en regrettant qu'il n'ait pas l'art de la contextualisation. Les yeux plongés dans l'eau, tout glacé de vieillesse et couvert de coccinelles. Il parlait par rébus. Trim me reproche de ne pas apprécier la beauté rythmique de son langage, mais j'aimerais quand même comprendre ce qu'est un chien de grand frère venant sur Cromartie. J'ai eu l'impression que le vieil albatro déversait le contenu de sa mémoire maritime dans le seul trou d'eau qu'il avait pu trouver. Sous ce déluge de mots, l'étang n'a pas eu une ride et les oiseaux ont continué de chanter au-dessus de nos têtes. Les mots sont puissants et pourtant, ils passent comme des ombres. J'ai peur que le processus cérébral de Reine Constate soit en fin de course. J'aurais voulu qu'avant de mourir, il nous parle de ce qu'il a vu. Les trombes et les ressacs et les courants, les dorades du flot bleu et les poissons d'or. Mais je crois que Reine Constate n'a jamais eu de talent contemplatif. Ses yeux. qui en ont tant vu, n'ont retenu que des visions de pieds mouillés, de bourses vides et de chopes de bière.

  • Speaker #0

    This is amazing ! Les références sont nombreuses. D'abord Marcel Proust du côté de chez Swan. Longtemps je me suis couché de bonne heure qui devient Ici, longtemps, les rapports de la ferme Lalande ont commencé par Douglas Adams avec Adieu et désolé pour la poussière qui nous ramène à Adieu et merci pour le poisson dans le guide du routard galactique. Mais aussi à la poétesse et scénariste Dorothy Parker, car c'est l'épitaphe qu'elle aurait souhaité sur son urne funéraire. Karen Blixen et sa ferme africaine pour la mélancolie, la nostalgie, le paradis perdu. Les belles descriptions de la surface de la Lune évoquent des passages de la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson. Et enfin, le film de 1972, Silent Running, où Bruce Dern, dans un vaisseau spatial, prend soin d'une forêt sous dôme avec l'aide de robots jardiniers. Film à petit budget, mais à voir. Je cite encore Catherine Dufour, Il m'est arrivé de pointer sur une page tout ce qui venait d'influences extérieures, thèmes, styles, visuels, personnages, actions. C'est simple, tout vient d'ailleurs, rien ne vient de moi. Je m'envoie vraiment comme un filtre, tu sais, un grillage en métal sur lequel les influences viennent se déposer. Mais s'il faut que je note les principales influences, Yuko Tsuno, Star Trek The Original Series, Pratchett, Catherine Moore, Yourcenar, Simack, Didion, et bon sang, pas mal de ratons laveurs. Les auteurs sont souvent des bibliothèques ambulantes qui déversent sur une feuille le trop plein de mots qu'ils ont absorbés. Fin de citation. Et vous trouverez en plus en dernière page du livre de nombreuses références bibliographiques. Ce livre de 284 pages est édité chez Robert Laffont dans la collection Ailleurs et Demain. La majeure partie du récit est un recueil de rapports administratifs qui devient un journal en fin d'ouvrage. Son style est à la fois poétique et direct, très littéraire. L'illustration de couverture est d'Aurélien Police, celui qui illustre les couvertures chez UHL Une Heure Lumière. C'est très beau. D'ailleurs, quelques-unes de ses œuvres sont à vendre sur le site de Le Bélial jusqu'au 16 novembre 2024. Merci au podcast de Lloyd Chery, c'est plus que de la SF, aux chroniques du Chroniqueur, au groupe Facebook Fantasy et Science Fiction, et au numéro 116 de Bifrost. Les liens sont en dessous. May the force and prosper, comme dirait la Dufour. Et n'oubliez pas la littérature SF...

Description

Cette semaine, Lectures Non Classées vous propose de plonger dans un chef-d'œuvre de la science-fiction francophone : Les Champs de la Lune de Catherine Dufour.

À travers des personnages puissants et une écriture d’une grande finesse, Catherine Dufour peint une société lunaire fragmentée, confrontée à des défis environnementaux, technologiques et sociaux d’une actualité saisissante. Entre écologie désespérée, colonisation spatiale et questionnements sur ce qui reste de l'humain dans un monde en perdition, le roman oscille entre une dureté implacable et une poésie lumineuse.

Au programme de cet épisode : un résumé sans spoiler pour vous donner envie de découvrir ce bijou, un extrait marquant qui illustre la richesse du texte, et une analyse approfondie des thématiques et de la structure narrative qui font de ce roman une œuvre incontournable.

Embarquez avec nous pour Les Champs de la Lune : une exploration troublante, mais absolument essentielle

Et n'oubliez pas, la littérature SF... c'est un piège !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur Lectures Non Classées, aujourd'hui c'est Les Chants de la Lune de Catherine Dufour, générique ! Catherine Dufour est une autrice lauréate de nombreux prix littéraires et ingénieur informatique. Elle fabrique des bibliothèques numériques. Elle donne des cours à Sciences Po Paris, écrit des chroniques pour le Monde Diplomatique, et des essais chez Fayard. Elle est l'une des fondatrices du collectif d'autrices de science-fiction Zanzibar, Désincarcérer le futur. La science-fiction est, dit-elle, nécessairement politique. En créant un monde, on crée la vie de la cité, donc sa politique. Ce mouvement lui a permis d'envisager le futur de manière un peu moins dépressive. Si vous rejoignez ou observez ce collectif passionnant, faites donc un tour par leur lexique. Vous y trouverez avoir la Zanzibaraca, la Zanzibarbarie encore frappée avec le collage de 63 affiches sur le siège social de Veolia et l'attaque au pistolet à eau de la COP32. Zanzibarbacane, hit de Francis Cabrel. Zanzibarbeau, jeune écrivain voulant se la péter collectif Zanzibar. Zanzibarbelé, délimitation du domaine de la littérature. Faire Zanzibarrage, à l'extrême connerie par exemple. Sans oublier le Zanzibar tabac de la rue des martyrs et bien d'autres. Elle a grandi dans les années 80. Elle a commencé à écrire à 7 ans. Ses premières histoires visaient à réparer les injustices. Elle a notamment, à 15 ans, réécrit la fin de À la poursuite des slans de Van Vogt. Voici donc l'embryon de sa conscience politique. Ah, les années 80, années fric, années yupies, années Tapie, début du chômage de masse, épidémie de sida. Catherine Dufour rencontre le mouvement punk à 25 ans avec la découverte des rave parties qu'elle a suivies durant une dizaine d'années. Elle adore pouvoir danser sans être harcelée et apprécie à l'époque le respect des lieux occupés, finalement plus propre le lendemain de la fête que la veille. Elle garde un souvenir ému de deux jours de rave dans la piscine Molitor, grand moment dans les beaux quartiers. Outrage et rébellion, son ouvrage en est tiré. Puis elle rejoint Ras l'front, Mouvement anti-FN et Act Up. Féministe engagée, elle a écrit Le guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesse. On peut les comprendre. Elle découvre Terry Pratchett et sa fantaisie humoristique, qui change son angle d'approche de la SF. À 30 ans, elle écrit un livre publiable, Blanche-Neige et les lances-missiles. Et à 35 ans, son récit est publié. Elle le trouve finalement très désordonné. Depuis lors, elle prépare toujours un plan qui structure son récit sans excès. Le goût de l'immortalité est la bascule de sa carrière. Elle le qualifie de sérieux, complexe, dénué de romance, finalement écrit pour les hommes. D'ailleurs, le machisme n'est jamais très loin dans les salons littéraires parisiens, bien qu'il y ait plus d'autrices de SF qu'il y a une dizaine d'années. Catherine Moore, Ursula K. Le Guin, Lee Brackett figurent parmi ses premiers amours de littérature SF. La bonne revue Bifrost lui consacre son numéro 116. Je vous le conseille. This is amazing ! Nous sommes en 2324 et la Lune est habitée depuis deux siècles. Nous voilà plongés dans le journal de bord d'El Jarlíne. Ce journal regroupe ses rapports administratifs auprès de la commanderie de Mut, la cité sous-lunaire dont elle dépend. Les peuples sous-lunaire qui sont troglodytes vivent dans les espaces souterrains de la Lune qu'ils ont aménagés pour construire des cités, à l'abri des radiations et des chutes de météorites. Dans la ferme Lalande, elle cultive des végétaux et installe des animaux qui s'adaptent aux rudes conditions lunaires. Elle est épaulée par des drones d'entretien et des airbots, airbots comme herbe. Les animaux augmentés comme Trim, le chat de race Bombay qui l'accompagne, ont accès à la parole et communiquent avec les humains. Trim est un personnage central du roman. Ses propos sont directs parce qu'il connaît El-Jarline par cœur. La petite Sileki, au talent certain pour s'occuper des plantes, va devenir l'élève horticultrice d'El-Jarline et faire fleurir son empathie. La fermière constate l'invasion des minicolas, minuscules méduses parasites qui ont fui, on ne sait comment, vers la surface et sont capables de dissoudre la roche sous laquelle s'abrite la cité de Mut. Elle signale également la présence d'une fissure dans le dôme de la ferme au niveau de la côte 237, qui pourrait compromettre son étanchéité et provoquer sa destruction, rien de moins. Cette côte 237, c'est le sablier de l'histoire, un compte à rebours face aux lenteurs administratives. Donc voilà, El Jarline, c'est une lanceuse d'alerte du XXIVe siècle. Voici comment la décrit Catherine Dufour. La fermière qui raconte son histoire va peu à peu se révéler plus complexe qu'une moissonneuse batteuse. Bien sûr, j'en profite pour la promener d'un bout à l'autre de la Lune, à travers la mer des îles et l'océan des tempêtes, puis sur la face cachée, dans les Highlands et jusqu'au bord du bassin du pôle Sud. Elle rencontre les fantômes de Soyouz 11, Dobrovolski, Patsayev et Volkov. Elle visite des cités sous-lunaires et une usine de glace lunaire. Elle navigue à la voile autour du cratère d'Edda. Elle assiste aux chasses de robots fous. Gros clin d'œil aux Super Toys de Brian Aldiss. Elle récite des poèmes à la terre. Elle voyait dans la nuit gelée la nappe étoilée et la terre en croissant qui brillait bleue et fatidique. Enfin, j'ai tenté de décrire un voyage. Fin de citation. Il n'y a pas que l'environnement lunaire qui mène la vie dure à ces colons. Ils sont également frappés, de manière aléatoire, par une pathologie 100% létale, la fièvre aspic. Ce n'est pas une fièvre et elle n'est pas due à la morsure de l'aspic. Ah ben c'est drôlement bien trouvé comme nom. Elle est pénible. C'est parce que comme cette dernière, elle provoque un sommeil profond, un coma, puis la mort. Quant à L. Jarlene, sa propre expérience du deuil la conduit à entamer des recherches sur les causes de la fièvre aspic. Pas d'anthropocentrisme dans cet ouvrage qui considère dans sa totalité la préservation des espèces que les zoologues et généticiens adaptent à la gravité lunaire avec plus ou moins de succès. Les ponts sont coupés avec la Terre, la culture terrienne est remplacée par une culture lunaire. Cependant, quelques citoyens se recueillent encore en passant sur les sites d'alunissage des missions américaines Apollo 12 et 14. Comme quoi, l'histoire de la conquête lunaire reste quand même encore un petit peu dans les esprits, comme la littérature terrienne qui est abondamment citée. La société lunaire décrite par Catherine Dufour n'a pas vraiment appris des erreurs commises sur Terre. La violence, la justice expéditive, la publicité et la consommation restent omniprésents. Ce qui exacerbe la colère d'El-Jarline.

  • Speaker #1

    Je crois que je supporte de plus en plus difficilement l'inconséquence d'un peuple qui regrette sans fin d'avoir ruiné une planète entière et n'a rien retenu de la leçon. Ce matin de la ferme, Reine Constate, est resté une longueur à contempler son reflet dans l'étang. De temps en temps, il prenait une bouffée d'oxygène dans son respirateur sans arrêter de grommeler. Je l'ai écouté, en regrettant qu'il n'ait pas l'art de la contextualisation. Les yeux plongés dans l'eau, tout glacé de vieillesse et couvert de coccinelles. Il parlait par rébus. Trim me reproche de ne pas apprécier la beauté rythmique de son langage, mais j'aimerais quand même comprendre ce qu'est un chien de grand frère venant sur Cromartie. J'ai eu l'impression que le vieil albatro déversait le contenu de sa mémoire maritime dans le seul trou d'eau qu'il avait pu trouver. Sous ce déluge de mots, l'étang n'a pas eu une ride et les oiseaux ont continué de chanter au-dessus de nos têtes. Les mots sont puissants et pourtant, ils passent comme des ombres. J'ai peur que le processus cérébral de Reine Constate soit en fin de course. J'aurais voulu qu'avant de mourir, il nous parle de ce qu'il a vu. Les trombes et les ressacs et les courants, les dorades du flot bleu et les poissons d'or. Mais je crois que Reine Constate n'a jamais eu de talent contemplatif. Ses yeux. qui en ont tant vu, n'ont retenu que des visions de pieds mouillés, de bourses vides et de chopes de bière.

  • Speaker #0

    This is amazing ! Les références sont nombreuses. D'abord Marcel Proust du côté de chez Swan. Longtemps je me suis couché de bonne heure qui devient Ici, longtemps, les rapports de la ferme Lalande ont commencé par Douglas Adams avec Adieu et désolé pour la poussière qui nous ramène à Adieu et merci pour le poisson dans le guide du routard galactique. Mais aussi à la poétesse et scénariste Dorothy Parker, car c'est l'épitaphe qu'elle aurait souhaité sur son urne funéraire. Karen Blixen et sa ferme africaine pour la mélancolie, la nostalgie, le paradis perdu. Les belles descriptions de la surface de la Lune évoquent des passages de la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson. Et enfin, le film de 1972, Silent Running, où Bruce Dern, dans un vaisseau spatial, prend soin d'une forêt sous dôme avec l'aide de robots jardiniers. Film à petit budget, mais à voir. Je cite encore Catherine Dufour, Il m'est arrivé de pointer sur une page tout ce qui venait d'influences extérieures, thèmes, styles, visuels, personnages, actions. C'est simple, tout vient d'ailleurs, rien ne vient de moi. Je m'envoie vraiment comme un filtre, tu sais, un grillage en métal sur lequel les influences viennent se déposer. Mais s'il faut que je note les principales influences, Yuko Tsuno, Star Trek The Original Series, Pratchett, Catherine Moore, Yourcenar, Simack, Didion, et bon sang, pas mal de ratons laveurs. Les auteurs sont souvent des bibliothèques ambulantes qui déversent sur une feuille le trop plein de mots qu'ils ont absorbés. Fin de citation. Et vous trouverez en plus en dernière page du livre de nombreuses références bibliographiques. Ce livre de 284 pages est édité chez Robert Laffont dans la collection Ailleurs et Demain. La majeure partie du récit est un recueil de rapports administratifs qui devient un journal en fin d'ouvrage. Son style est à la fois poétique et direct, très littéraire. L'illustration de couverture est d'Aurélien Police, celui qui illustre les couvertures chez UHL Une Heure Lumière. C'est très beau. D'ailleurs, quelques-unes de ses œuvres sont à vendre sur le site de Le Bélial jusqu'au 16 novembre 2024. Merci au podcast de Lloyd Chery, c'est plus que de la SF, aux chroniques du Chroniqueur, au groupe Facebook Fantasy et Science Fiction, et au numéro 116 de Bifrost. Les liens sont en dessous. May the force and prosper, comme dirait la Dufour. Et n'oubliez pas la littérature SF...

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