Speaker #0Les rendez-vous de soir sont bien au rythme de rencontres, d'échanges, la grande fête annuelle de l'histoire et des passionnés de l'histoire. Enseignants, chercheurs, le grand lieu d'expression et de débat, lecteurs, amateurs sur tout ce qui se dit, curieux, rêveurs sur tout ce qui s'écrit, qui aident à prendre la mesure des choses, à éclairer le présent et l'avenir dans l'espace et dans le temps. Je cite un grand historien, Pierre Villard, qui était marxiste, grand historien de la Catalogne moderne. Et Pierre Villard disait en 1964, « Le moteur de l'histoire, c'est la construction de l'homme lui-même et de son esprit par sa prise sur la nature. » c'est-à-dire par la production, par le travail. Le rendez-vous de l'histoire, on titrait que c'était l'utopie moteur de l'histoire. Il y a un glissement, un effet extraordinaire. Et il poursuivait, telle est en effet la marque des cosmologies, des magies et des alchimies, puis des physiques, là c'est pour le côté science exacte, des mythologies. des récits, des chroniques arrangées, et puis, non d'un coup, mais progressivement, l'histoire totale. L'histoire totale, l'histoire donc vraie. L'histoire vraie parce qu'elle décrit un déroulement historique nécessaire. On peut à peu près le dire ainsi. Donc, l'histoire est vraie si elle va vers une fin nécessaire et que l'étude scientifique des rapports entre les hommes permet de décrire cela. On peut voir autrement, me semble-t-il d'ailleurs, un phénomène du même type dans tout le courant autour de l'histoire des annales et dans un versant idéologique tout à fait différent, ce qui montre quand même d'ailleurs que l'idéologie au sens global imprègne de la même manière au-delà de la politique, bien souvent. Je pense à l'histoire sérielle, par exemple. Je relisais un texte de François Furet. François Furet, dont on a oublié qu'il fut un spécialiste de l'histoire sérielle, parce qu'après il a fait des choses tout à fait différentes. Mais François Furet, dans le volume fondateur, qui s'appelait « Faire de l'Histoire » , qui est paru en 1973-1974 chez Gallimard, et qui était co-dirigé par Pierre Nora et Jacques Le Goff, François Furet expliquait tout à fait clairement que grâce aux séries, les séries, vous savez bien, c'était par exemple, on va faire des séries démographiques. On en reparlera plus tard, on va étudier les registres des naissances et on va voir. Fauvel avait fait des séries sur les testaments au XVIIIe siècle en Provence, et puis ils avaient des formules de piété, pas de formule de piété, et on mesurait des choses sur la déchristianisation. etc. On s'appelle des chenus, on avait fait des choses sur ces villes et l'Atlantique, des séries gigantesques. C'est 7 volumes, je crois, mais une guette chenue l'avait aidé. Et pour faire tout le commerce atlantique entre ces villes et le Nouveau Monde. A partir de là, c'est l'époque où on est en plein dans les annales, si vous voulez, où l'important, ce n'est pas l'événement, ce n'est pas l'accident, mais c'est la longue durée. C'est que ... Le relais du riz a appelé l'un terme que personne n'oserait plus utiliser maintenant, l'histoire immobile. Que personne n'oserait dire qu'à aucun moment l'histoire est immobile. Ça paraît curieusement décalé. Et alors, disait Furet dans l'article dont je me sers ici, certes, on ne parviendra jamais, alors il ne disait pas la vérité, c'était pas son vocabulaire, mais on ne parviendra jamais, disait Furet, à l'explication, je le cite, du système des systèmes. Le système des systèmes, ça a un côté grand horloger, comme ça. On ne parlera jamais à l'explication du système des systèmes, mais on va éclaircir peut-être ici ou là un sous-système, et puis un autre sous-système, etc. Donc on proviendra à une forme de vérité partielle, comme des morceaux de vérité, grâce aux séries, et grâce à une approche très scientifique, très cadrée de l'histoire. Donc si vous voulez, il me semble que, d'un côté, l'histoire marxiste, de l'autre côté, cette histoire sérielle. On a eu un temps... Et on a tous, j'ai participé moi-même bien sûr à ce courant-là quand j'étais jeune enseignant, on a eu un temps la croyance qu'on parviendrait, grâce à des procédures, on peut dire scientifiquement établies, des procédures scientifiquement établies à des formes de déroulement vrai, mais on ne se préoccupait guère alors de l'accident, de l'événementiel, etc. Ça c'est le premier point que je voulais essayer d'éclaircir. Pour le second point, j'ai essayé de regarder, j'ai pris dans la bibliothèque quelques livres d'histoire, et j'ai regardé comment c'était fait. Duby, on va commencer par Duby, Dimanche de Bouvines, et puis le livre L'Histoire continue, où il raconte, dans L'Histoire continue, il raconte son itinéraire, et il raconte la manière dont il a travaillé. Duby écrit, si j'en étais resté aux événements, Si je m'étais contenté de reconstituer des intrigues, d'enchaîner des petits faits vrais, j'aurais pu partager l'optimisme de l'histoire positiviste, des historiens positivistes d'il y a cent ans, qui se croyaient capables d'atteindre scientifiquement à la vérité. En effet, je peux établir, preuve en main, que le 27 juillet 1214, et non pas le 26, ni le 28, que donc le 27 juillet 1214, deux armées s'affrontèrent dans la plaine de Bouvines, et s'il faisait chaud, toujours là, etc. Là, c'est vrai qu'il y a une part incontestable, ne l'oublions pas. Une part de vérité incontestable, Duby dit à Jolide, je peux affirmer que la date de Bouvines est bien celle que l'on dit. Ce n'est pas toujours toutes les dates que l'on dit, mais celle-là, Duby l'a vérifiée. Il ajoute un peu plus loin, la notion de vérité en histoire s'est modifiée parce que l'objet de l'histoire s'est déplacé, parce que l'histoire désormais s'intéresse moins à des faits qu'à des relations. On trouve d'ailleurs une empreinte très forte de l'école Lesanales, moins à des faits qu'à des relations. Tout le monde ne dirait pas ça de la même manière, ça renvoie à quelque chose qui ressemble plus ou moins à une forme de système, si vous voulez, quand on dit moins à des faits qu'à des relations. Tout le monde ne dirait moins... Je ne crois pas que je dirais cela comme cela, en tout cas. Le Goff, Saint-Louis, le gros volume de Saint-Louis. C'est intéressant parce qu'il y a trois grandes parties dans le Saint-Louis de Le Goff, trois grandes parties clairement identifiées. Il y a une première partie que j'appellerais narrative. Il a utilisé les sources et puis il raconte la vie du roi. Il raconte la vie du roi et... Il met en ordre la vue du roi. C'est le résultat d'une tentative de biographie comme on la fait traditionnellement. La différence chez Le Goff, c'est qu'il y a deux parties ensuite. La deuxième partie, c'est une étude critique des sources qu'il a mise en œuvre. Au lieu de le mettre avant, il le met après. Et là, il le... Bon, Joinville et tous les autres, mais Joinville prioritairement. Et la deuxième partie, d'ailleurs, a comme sous-titre... Une phrase superbe, Saint-Louis a-t-il existé ? On est en plein dans le cœur de nos sujets. Saint-Louis a-t-il existé ? Où ? Et là, on arrive à des sublutés beaucoup plus grandes. Où est-ce qu'on a simplement l'image que quelques-uns de ces contemporains se faisaient de Saint-Louis ? Quelle vérité touche-t-on ? Est-ce un reflet à travers le prisme de sources diverses ? Et d'ailleurs... Le Goff dit quelque part qu'il n'a cessé de sentir, ce qui me semble-t-il être une discipline d'historien fondamental, il n'a cessé de sentir son héros, Saint-Louis, étrangement proche, parfois, et étrangement lointain. Et que l'effort d'historien n'est-il, c'est de ne pas faire qu'il soit trop proche. C'est une étrangeté de l'objet historique, bien sûr, c'est d'autres temps. La troisième partie, il explore, dit-il, les perspectives. Alors, Saint-Louis, roi idéal et unique, et là, il croise les choses. Là, il fait du Le Goff, si je puis dire. Le Goff, à partir de Saint-Louis, roi féodal ou roi moderne, il pose deux grandes questions d'interprétation. Qu'est-ce que signifie le personnage de Saint-Louis ? Donc, il y a un croisement de trois approches. Où est la vérité ? Où est la vérité ? C'est très difficile de le dire. Où est la vérité ? La première, deuxième, troisième approche. Où est la vérité ? L'ambition, elle est-elle d'atteindre la vérité ? Très difficile de le dire. Non, encore, il dirait sûrement, je ne le sais pas, mais que vraisemblablement, on connaît, oui, on connaît, les dates précisément, les dates de naissance et de mort de Saint-Louis, mais ça ne nous dit pas grand-chose sur le roi. Troisième exemple, Daniel Roche. Vraiment, je crois que j'y ai un peu dans la bibliothèque comme ça. Daniel Roche, La France des Lumières. La France de l'Humère qui est un, je crois, d'assez bon livre. Daniel Roche dit dans l'introduction, comprendre que son ambition, c'est comprendre les différents niveaux de la réalité historique. vécu de façon diverse par les hommes du XVIIIe siècle. Il me semble qu'on arrive à quelque chose de... On s'en approche avec le Goff et avec Saint-Louis. Mais est-ce qu'il ne s'agit pas de ce qu'on appelle parfois l'histoire des représentations, à ce moment-là ? On ne cherche pas à atteindre une vérité des faits historiques alignés des uns à côté des autres. Mais qu'on se demande si... on peut atteindre le vécu des hommes, vécu de façon diverse par les hommes du XVIIIe siècle, et ce faisant, je poursuis la citation, de montrer en comparant différents points de vue, habituellement séparés par les historiens, ce que nous pouvons saisir et interpréter de la France du XVIIIe siècle. Ce que nous pouvons saisir et interpréter. Clairement ici, j'aurais pu prendre d'autres citations, mais clairement ici, il n'y a plus du tout l'ambition de l'histoire totale. Ce n'est plus l'ambition de l'histoire sérielle où on va donner des résultats, que nous pouvons saisir et interpréter. Et puis il reste des choses qu'on ne saisit pas et qu'on n'interprète pas. C'est clairement vu. On a une progression, c'est-à-dire une forme d'histoire, et puis vécue de façon diverse par les hommes. vécues par les hommes, on retrouve quand même d'une manière ou d'une autre ce qu'on appelle les acteurs de l'histoire. Ce n'est pas seulement des séries, ce n'est pas seulement des bateaux, etc. Ce n'est pas seulement des morts ou des naissances ou des registres paroissiaux, ce sont des personnes. Ensuite, je voudrais maintenant, et un tout petit peu, avec Paul Ricoeur. Avec Paul Ricoeur... dans son livre et aussi dans « Temps et récits » que j'aurais pu citer, Paul Ricoeur distingue, très simplement, trois moments de l'opération historique. Il emprunte l'expression « opération historique » ou « opération historiographique » à Michel de Certeau. Michel de Certeau est un personnage tout à fait intéressant que l'on relit beaucoup maintenant, qui est un historien qui cumulait les différentes qualités d'être un grand historien de la mystique au XVIIIe siècle. d'être jésuite, d'être psychanalyste, et qui est un homme, je veux faire de l'absence de l'histoire, il y a beaucoup de travaux de Michel de Certeau, qui sont, j'ai un peu relu tout cela, qui restent tout à fait actuels et tout à fait vivants, me semble-t-il. Avec Michel de Certeau, donc, Ricoeur distingue trois moments, et là on a des choses assez classiques, dans la fabrication de l'histoire, la phase documentaire, la phase qu'il explique, explication, compréhension, Il met une barre entre les deux, explication-compréhension, et lier les deux termes me semble effectivement important, et la phase qui est la phase de mise en forme littéraire, la phase de représentation, dit Ricoeur. Et Ricoeur reconnaît tout à fait, et là je le suis vraiment absolument, Reconnaît tout à fait que dans toutes ces phases, il y a l'intention historienne de reconstruction vraie du passé. Il est bien évident, vous le comprendrez, que le mot important, c'est intention. Intention historienne de reconstruction vraie du passé. Et que ça me semble un moyen d'aborder les problèmes tout à fait fort et tout à fait intéressant, intention de reconstruire le passé. Moi, je n'aurais pas dit reconstruction, mais peu importe. Alors, sur la phase documentaire, d'abord, il est bien entendu que, pour Ricœur le dit très bien, tout le monde le sait, la phase documentaire ne peut pas être séparée arbitrairement de la phase explication-compréhension. Je veux dire que plus personne ne croit que le document, il est là comme ça et puis il parle tout seul. C'est parce qu'on l'interroge qu'il dit quelque chose. Donc la phase explication-compréhension, elle est mêlée à la phase documentaire inévitablement. Antoine Proulx dit « c'est la question qui construit l'objet historique » . C'est parfaitement dit. C'est la question qui construit l'objet historique. Le document, il n'est pas comme ça. Il est institué par l'historien. Il y a un moment où tout le monde se moque des registres paroissiaux, des naissances et des décès, et puis il y a un moment où on s'y intéresse. On institue ça comme document, etc. Ensuite, le... Les documents en eux-mêmes ne disent rien. Un document ne parle pas. Petite parenthèse pédagogique, c'est une illusion complète de croire que le document est plus concret et va parler aux élèves plus que... Le document ne dit rien. Le document parle si l'historien le fait parler ou le questionne. Là, il y a un point de pédagogie qui me semble quand même très important. Il me semble ensuite que... Là, on a une phase, c'est bien certain, la phase documentaire. où, nécessairement, les procédures de vérité sont mises en œuvre. On a dit intention pour l'ensemble, et pour la phase documentaire, il y a mise en œuvre de procédures de vérité. Duby vérifie la date de Bouvines, j'ai déjà oublié, peu importe. Mais Duby vérifie la date de Bouvines, et notre métier à nous, c'est de vérifier les autres choses. Je viens de vérifier les dates. Je vérifie que ce document n'est pas un faux. Je vérifie que cette photo... Il y avait Trotsky, puis il a été enlevé. Le document n'est pas vrai, cette photo est un faux. Je peux dire vrai et faux, là. Il n'y a pas de problème. Je peux dire vrai et faux, je ne fais pas de tour d'histoire. Je fais de la critique du document, je ne fais pas encore d'histoire. J'ai l'intention historienne de dire le vrai, d'instituer le vrai. Je commence par une critique du document et... Et j'essaie de faire mon métier ici, le mieux possible, dans ce domaine-là. Et il est très important de dire cela. Parce qu'on ne dit pas qu'il y a des procédures de vérité. Si on ne dit pas qu'il y a du vrai ainsi dans l'élaboration de l'histoire, ça ne veut pas dire que l'histoire est vraie encore une fois, vous comprenez ce que je veux dire. Mais qu'il y a des procédures de vérité dans l'histoire. Si on ne dit pas cela, on laisse grand ouvert les portes à tous les révisionnismes. Il y a des choses qui sont vraies. Il y a eu des fours crématoires à Auschwitz. C'est vrai, ça n'empêche pas qu'il y a ensuite un discours historien sur l'extermination des juifs, qui est l'histoire, bien évidemment. Mais il y a des choses qui sont vraies et que l'on peut établir en vérité. Donc là, je vois qu'il faut tenir fortement cela, et ne pas dériver sur l'histoire, c'est de la littérature, l'histoire c'est une intrigue, etc. L'histoire c'est tout ce qu'on veut. Il y a des procédures de vérité qui me semblent tout à fait importantes. Alors, nous devons venir dans une troisième phase, au rapport avec les élèves, et m'attarder un tout petit peu sur enseigner. Deux choses, contradictoires en apparence. Deux affirmations contradictoires, mais j'espère seulement en apparence. Première affirmation, je crois qu'on sera tous d'accord, l'histoire est une discipline critique, procédure de vérité, je vous renvoie à ce que nous venons de dire. Et il faut tenir que l'histoire est une discipline critique. Seconde affirmation, que par ailleurs, j'ai pu écrire par ailleurs, qu'il faut faire du récit en histoire, et une forme littéraire historique, etc. Alors comment on tient les deux ensemble ? Par rapport à d'apparentes contradictions, il me semble que les deux sont vrais ensemble. Première réponse, première amorce de réponse. Je n'ai pas du tout l'ambition de faire un discours clos, fermé et totalisant, bien sûr. Premier élément de réponse. D'abord, le statut du document que l'on peut instituer vrai. Le statut de l'œuvre. Quand vous parlez à des élèves de 5e d'une cathédrale, on ne pose pas le problème, c'est vrai, c'est pas vrai. Une œuvre, c'est comme ça. La déclaration des droits de l'homme, pour prendre des exemples complètement différents, c'est comme ça. Il n'y a pas de statut de vrai, de faux. Après, mon discours en histoire va faire quelque chose. Mais la manière dont nous avons essayé de mettre les documents, patrimoniaux ou pas patrimoniaux, on ne va pas faire des querelles sur ces vocabulaire-là, qui n'est pas accepté par tout le monde, peu importe, ce n'est pas ça qui est important, me semble-t-il. Mais mettre des documents importants, fondamentaux, des œuvres, des œuvres. Une œuvre, on ne se demande pas, vous comprenez le modèle d'Avignon, ce n'est ni vrai ni faux. C'est une œuvre qui date de 1907, peinte par Picasso. Après, il y a un discours d'historien sur tournant de l'art et tout ce que vous voudrez. Ce discours peut être vrai ou faux. Mais l'œuvre, elle est là. Donc, je crois que dans l'enseignement, nous travaillons comme ça. Avec comme ça des moments œuvre, grands documents, sur des moments où la question de la vérité ou du mensonge ne peuvent pas se poser. Ensuite, il me sent. que l'un des difficultés, il me semble, je ne vais pas dire que c'est facile, loin de là, que l'on peut arriver à nouer devant des élèves, aussi bien au collège qu'au lycée, qu'on peut arriver à nouer devant les élèves à la fois ces moments de procédure, de vérité que j'ai exposé, seulement il faut le dire, et des moments de récit. Si on raconte l'année 1789... Est-ce que le récit qu'on va faire est vrai ou pas ? Je ne sais pas s'il est vrai ou pas, c'est un récit. C'est un récit où je choisis des événements. Alors vrai ou pas vrai, ce n'est pas une grosse chose, puisque le récit que je vais faire résulte nécessairement d'un choix. Je ne peux pas tout dire, c'est l'année 89. Je ne peux pas envisager tous les acteurs. Donc il n'est pas possible que je puisse dire que mon récit est vrai. Je ne pourrais pas le dire qu'il est vrai. Mon récit réagit d'un choix. J'ai l'intention de vérité et j'ai l'intention d'intelligibilité. Mais montrer aux élèves que l'intelligibilité, le sens, ça ne veut pas dire le vrai, me semble très important. Trouver l'intelligibilité, ça ne veut pas dire que je cherche à trouver le vrai, forcément. Mais, dans ce discours-là, j'explique aux élèves que la pastille a vraiment été prise le 14 juillet 1989. Où il y a débat d'historiens ? Est-ce que la Bastille, est-ce que c'était important ou pas important ? Est-ce que c'était après que c'était monté en épingle ? On peut dire beaucoup de choses sur la prise de la Bastille. Mais a priori, comme ça, la Bastille était prise le 14 juillet 1989. Si je le savais, on pourrait dire l'heure. Je ne sais plus du tout, mais on peut sûrement dire l'heure où le dernier Suisse a été transpercé. Puis après, le gouverneur, M. Delaunay, je crois, au sommet de la Pique, dont la tête était promenée, au sommet de la Pique, c'est des choses que je peux dire qui sont vraies. Après, comment ça se situe dans l'histoire de la Révolution, c'est un autre problème. Et donc, il me semble que dans un enseignement d'histoire, il faut montrer aux élèves qu'il y a des moments de vérité et des moments de recherche d'intelligibilité. Et que ces deux moments peuvent être dans un discours d'ensemble, dans un récit d'ensemble, mais que l'histoire... est narrative, mais elle n'est pas seulement narrative. Il me semble ensuite qu'il y a une démarche à expliquer devant les élèves qui est un tout petit peu, et je vais montrer comment, d'historiographie. Et là, je vais m'expliquer. Si vous prenez un objet historique massif qui s'appelle la guerre de 14, Et si vous regardez comment on enseignait la guerre de 1914, il y a seulement 30 ou 40 ans, comment on l'enseignait il y a 20 ans, comment on l'enseigne maintenant, et comment cela résulte d'évolutions des travaux d'historien très fortes. Vous savez que pendant très longtemps, d'abord, on a cherché qui était responsable de la guerre. La vérité était, la recherche de la vérité, c'était c'est la faute des Allemands, et puis il y a eu des historiens révisionnistes. qui ont dit, mais non, les Français sont aussi coupables pour un carré, et bien allez là-bas voir le tsar, et qu'est-ce qu'il a dit au tsar, il l'a encouragé, etc. Et puis après, il y a des historiens turénistes qui ont dit tout ce coupable, etc. Après, on a travaillé sur les origines de la révolution. C'était un grand moment, les origines de la révolution. Vous savez, on mettait en œuvre, beaucoup d'entre vous ont dû enseigner ça, comme moi, cause lointaine, cause proche, qui est le modèle. qui est transposé le modèle structure-conjoncture de Labrouz, d'ailleurs. C'est le même type de modèle. Le modèle, c'était Renouvin là, mais c'est la même génération. Cause lointaine, cause proche. Et puis, on cherchait, en vérité, avec des intentions de véracité, on cherchait à expliquer pourquoi la guerre de 1914 avait eu lieu. Or, on oublie quelque chose de fondamental, c'est que la guerre de 1914 est inexplicable. Et donc, si vous voulez, en cherchant la vérité là... ont raté l'objet historique complètement. Parce que la vérité de la cathédrale, c'est qu'elle ne s'explique pas. Et c'est bien ce que pensent maintenant les historiens. Lisez maintenant Audouin-Rousseau ou Annette Becker. C'est un des livres dont le titre m'échappe maintenant, mais dans la collection Bibliothèque des histoires chez Gallimard. Allez voir l'historial de Perron dans l'Académie d'Amiens. Et vous verrez que maintenant, c'est la souffrance, ce sont les corps, ce sont le malheur, c'est ça qu'on interroge à l'âge de 14. Et on se demande comment... Tant d'hommes ont-ils pu suborder cela si longtemps ? C'est ça la question historique, si vous voulez. C'est pour les autres. La vérité, elle est où ? Et qu'on sait maintenant se méfier d'un déterminisme. Le piège de la vérité, à mon sens, était le déterminisme. De même qu'on sait que, Furet dit quelque part, pas le Furet de l'histoire sérielle, mais le Furet qui après travaillait sur la Révolution, ce qu'il faut arriver, dit-il, à expliquer sur la Révolution, c'est qu'on s'intéresse à l'étrangeté. fondamental. Comment diffurer du temps d'hommes ont-ils eu à ce point détesté leur passé ? C'est une vraie question de la révolution. Vous savez que dès 1989, on parle de l'ancien régime, on rejette tout, on voit tout par terre. Il faut retrouver un étonnement. Si vous démontez savamment les causes de la révolution, vous ratez complètement une forme de vérité historique. qui est l'étrangeté de la Révolution. Donc il me semble que, si vous me suivez jusque-là, mais vous n'êtes pas forcés, si vous me suivez jusque-là, l'explication en termes d'origine, de cause, de déterminisme, est un piège de vérité, et aboutit bien souvent à rater l'événement dans, réellement, sa vérité. On pourrait ensuite se dire, si vous le voulez, je pensais, en travaillant sur cela, que... On peut dire aussi que la vérité, elle apparaît par éclat. Je pense bien souvent que, quand vous prenez par exemple, je me souviens qu'on ne nous enseigne plus beaucoup, les batailles napoléoniennes, je pense à deux d'entre elles, je veux dire pourquoi je pense nécessairement à Austerlitz et à Waterloo. La vérité d'Austerlitz et de Waterloo, la vérité au sens de intelligibilité, la compréhension d'Austerlitz et de Waterloo, elle est où ? Est-ce qu'elle est dans... Les savants, plan de bataille, vous savez, on montre, et puis moi je ne suis pas du tout savant, donc je ne vais dire que des bêtises là-dessus, mais on montre l'aile droite, l'aile gauche, les cavaliers, etc. Et on démonte la bataille telle qu'elle s'est déroulée, mais telle que personne ne l'a vu se dérouler. Où est-ce que c'est, où est-ce que c'est, pour Austerlitz, le prince André d'Angarepé, le prince André d'Angarepé, ou bien sûr pour Waterloo, Fabrice, Fabrice à Waterloo, où est la vérité ? d'Austerlitz et de Waterloo. Est-ce que la vérité n'est pas dans le mensonge littéraire, si je puis dire, là ? Plus que dans les historiens ? Alors, vous voyez, je fais un tout petit peu de provocation pour me faire comprendre, ici. Mais c'est vrai que reliser les pages du prince André, on ne peut pas oublier le soleil d'Austerlitz, quand on a lu les pages, où le prince André, blessé, a perdu connaissance, je crois, ne va pas me tromper, et puis... Il reprend conscience, il voit le soleil éclatant, la brume s'élever, il voit le soleil. Bon, je veux dire que ça, c'est une image d'Austerlitz qu'on n'oubliera jamais, me semble-t-il, et qui devient plus vraie que tous les récits de toutes les batailles, qui devient plus vraie que tous les récits très savants de la bataille d'Austerlitz. Enfin, avec les élèves, alors avec les élèves, des choses simples, maintenant, moi, quand j'étais, j'aimais beaucoup quand j'avais des sixièmes, il y a très longtemps, quand les élèves me disaient, « Monsieur, est-ce que les dieux des Égyptiens existent ? » Je pense que d'entre vous, on a eu cette réponse-là. où je m'obstinais à leur dire les Égyptiens croyaient qu'ils existaient. Et là, c'est une réponse aussi sur les procédures de vérité, si vous voulez. On ne peut pas dire autre chose, me semble-t-il. Vrai, pas vrai. C'est la fameuse chose, vous savez, Jeanne d'Arc, la querelle d'Emmanuel au début du siècle. Jeanne d'Arc a entendu des voix, disait Emmanuel, d'école privée. Et l'Emmanuel, d'école laïque, disait Jeanne d'Arc a cru entendre des voix. Et maintenant, on dit quoi ? On dit, Jeanne d'Arc dit qu'elle a entendu des voix. Il me semble que là, on a, et ça, on s'approche, me semble-t-il, des formes de vérité. On peut bien le dire comme ça. C'est pareil, vous le savez maintenant, sur les évangiles, Jésus fait des miracles. On lit encore dans cet Emmanuel, malheureusement, Jésus fait des miracles. La vraie formule, c'est les évangiles disent que Jésus fait des miracles. Bien entendu, bien entendu. Enfin, mon dernier point, et je m'arrête là pour vous laisser un tout petit peu la parole, parce que très, très vite. Je vais revenir un tout petit peu à Ricoeur et ce qu'il dit dans les rapports de l'histoire et de la mémoire. Je ne crois pas que ce soit très éloigné de notre sujet. Le texte que je cite n'est pas issu de cette... Il a beaucoup écrit autour de cela. Il est issu de la conférence Marc Bloch qu'il a prononcée un tout petit peu avant, dont le texte était paru dans Le Monde. « À l'histoire, dit-il, revient le pouvoir d'élargir le regard... » dans l'espace et dans le temps, la force de la critique dans l'ordre du témoignage, de l'explication et de la compréhension, la maîtrise rhétorique du texte. Il reprend ces trois moments, en fait. La maîtrise rhétorique du texte et, plus que tout, l'exercice de l'équité à l'égard des revendications concurrentes. des mémoires blessées et parfois aveugles au malheur des autres. Je trouve très fort que le rôle assigné à l'histoire par rapport à la mémoire, mais il y a des choses sur la vérité aussi, me semble-t-il, les mémoires tournent autour du politique et du social, et du mélange politique-social. À l'histoire revient le rôle de critique par rapport à ses mémoires, et revient un rôle d'équité. Vous savez, c'est un problème très crucial, me semble-t-il, dans le monde scolaire où nous vivons. C'est que nous avons parmi les élèves des mémoires blessées et des mémoires qui, concurrentes et blessées. Et très précisément en ce moment, très précisément dans l'actualité, mémoires concurrentes et blessées. Et que... Pour reprendre encore une, Ricoeur évoque le phèdre de Platon. Bon, je passe, on est trop loin, mais où Platon explique que l'écriture est le remède par rapport à la mythologie. Mais c'est un remède qui peut être un poison. Bon, parmakon en grec. Et dit Ricoeur, l'histoire par rapport à la mémoire est ce même remède. Elle peut ou poison. C'est-à-dire que l'histoire peut tuer la mémoire par un aspect excessivement critique, ou l'histoire peut au contraire en équiter, rééquilibrer et pacifier des mémoires concurrentes et aveugles, des mémoires blessées et parfois aveugles au malheur des autres. Donc il me semble, et je terminerai ici pour vous laisser un tout petit peu de temps si vous le souhaitez, il dit ailleurs que c'est la manière... de l'histoire documentaire que de contribuer à la guérison de la mémoire, d'enchaîner le travail de remémoration et le travail de deuil. Il compare même l'histoire à une psychanalyse, où l'histoire joue un rôle de psychanalyse de la mémoire. Comme il y a du refoulé dans la mémoire, pas la peine que je vous développe, Tourbichy, sur plein de choses, on voit bien comment ça peut jouer dans le rapport histoire-mémoire. Et je crois que, ici, où est la vérité ? Mémoire ou histoire ? Pour pas que nous puissions conclure, parce qu'il y a des mémoires, mythes nationaux, qui forment la vérité de communautés. Et on ne pourrait pas dire à ces communautés que leurs mémoires sont mensongères. Comment voulez-vous qu'on fasse ça ? Mais l'idée que l'histoire peut être maîtresse de vérité en étant maîtresse d'équité me semble un point que nous pouvons retenir. Je vous remercie. Si vous n'êtes pas complètement liquéfié, moi je suis absolument liquéfié. Si vous n'êtes pas complètement liquéfié, vous avez des micros qui peuvent circuler. Si vous souhaitez que nous parlions un tout petit peu.