Speaker #0Vous écoutez le podcast fiction des enfants de Gaïa. Au commencement était Gaïa, mère créatrice de la terre et des cieux, origine de toute vie. Elle façonna d'abord les douze divinités, êtres majestueux dotés de pouvoirs extraordinaires. Fartent ensuite les humains, fragiles et modestes, mais pleins de potentiel. Les premiers n'acceptèrent pas les seconds. Une guerre fratricide menaça d'anéantir tous les enfants de Gaïa. Gaïa entra alors dans une colère folle et exila les douze divinités loin de la terre qui fut confiée aux humains. Où furent-elles exilées ? Jusqu'à quand ? Pourront-elles ou voudront-elles revenir un jour sur terre ? Ceci est le témoignage de K, quatrième né de Gaïa, quatrième divinité. Aucun traumavertissement. Bon, c'est bientôt la fin. Ma tâche se terminera bientôt. J'aurais recueilli les témoignages de tous mes frères et toutes mes sœurs. Il ne manque que le mien. Y a-t-il encore quelque chose à ajouter ? Peut-être restent-ils des questions sans réponse. Je vais tenter de combler les trous. Mais contrairement à ce que l'on peut penser, je ne sais pas tout. Je ne possède pas toutes les réponses, pas toutes les clés. J'étais K. Je suis K. Je serai K. Comme toutes les divinités, j'ai une particularité, un pouvoir. Je vois le futur, ou plus exactement, les futurs. Il paraît que je ne vois pas le temps qui passe comme les autres. Je ne sais pas si c'est vrai. Je ne sais pas si on peut voir le temps d'une autre façon. Le passé n'existe plus, le présent est insaisissable. Seul compte le futur, finalement, et ce que nous voulons en faire. Et moi, je vois plusieurs futurs possibles. Presque tous les futurs, en vérité. Et selon nos actions, ces futurs se multiplient, ou au contraire, fusionnent pour n'en former plus qu'un. Je n'ai pas vraiment d'opinion quant aux humains. Oui, j'ai voulu tuer Germaine à la naissance. Mais, de la même manière, j'ai aussi voulu tuer Ba... Pardon, Bagheera, pour des raisons purement statistiques. Dans les futurs possibles à l'époque, il y en avait davantage où ça se passait mal avec elle. que sans elle. Le risque était trop grand. C'était donc une action calculée. Dans les futurs possibles maintenant, c'est un peu différent. Les humains, je les détestais pas. J'en ai accompagné tellement que je les compte plus. J'essayais grâce à mes dons de les guider comme je pouvais. Ils me trouvaient souvent pessimiste et de mauvaise augure. Mes frères et sœurs m'ont fait les mêmes reproches. Mais en réalité, je ne suis ni l'un ni l'autre. Je décris les futurs les plus probables, c'est tout. Les divinités écoutent mes paroles. Et la plupart du temps, elles les comprennent et agissent en conséquence. Les humains aussi écoutaient, mais uniquement quand mes mots leur plaisaient. Quand mes paroles ne leur plaisaient pas, ils entendaient sans écouter. Ils sont très forts pour ça. Et ils faisaient n'importe quoi. Ils font et feront toujours n'importe quoi. Pour ça aussi, ils sont très forts. Un jour, ils en ont eu marre de moi. Marre que j'ai toujours raison. Marre que je leur dise « je vous l'avais dit » . Alors ils m'ont chassée. Et alors, je suis retournée à ce qui se rapprochait le plus d'une maison pour moi, l'arbre biloba, bile. J'ai été soulagée de constater qu'il m'acceptait encore, et même qu'il était heureux de me voir. Il m'a offert l'une de ses branches, que j'ai acceptée avec gratitude, et j'ai fermé les yeux. J'ai respiré. J'ai écouté le vent et je me suis reposée, sans chercher à savoir de quoi sera fait demain, juste en étant là, ancrée dans le présent, pour la première fois de ma vie. Je ne faisais qu'un avec la nature, qu'un avec mon ami Bill. Les cris des humains m'ont réveillée. Ils avaient du feu dans les yeux, dans la voix, et des haches dans les mains. Ils venaient pour moi. Ils voulaient me capturer. Il voulait faire de moi un esclave, me torturer, me tuer. J'aurais pu, j'aurais dû le prévoir. Mais j'avais fermé les yeux un peu trop longtemps. Dans l'arbre avec moi se trouvaient Nour et Zouri. Les humains ne connaissaient pas mon frère et ma sœur. S'ils les avaient connus, ils auraient sûrement voulu les capturer aussi. Mais en réalité, ils les avaient juste entreaperçus. Ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils étaient. Et quand les humains ont levé leur hache, ils ne savaient même pas que ma sœur et mon frère étaient eux aussi cachés dans les feuillages. J'aurais pu, j'aurais dû m'envoler. Oui, j'aurais dû. Dans quelques futurs possibles, si je m'envolais, les humains me voyaient et cessaient de s'en prendre à Bill. Mais la rage et la détermination qui consommaient les humains étaient telles que, dans la majorité des futurs, ils tuaient Bill. Et puis moi, j'étais comme paralysée. J'ai senti le premier coup de hache au plus profond de ma chair. La douleur de Biloba m'a coupé le souffle. Et les ailes. Lorsque nous Résouri en sautait, dans le vain espoir de sauver l'arbre Biloba, j'ai eu honte. Tellement. honte. Je savais que les humains n'abandonneraient probablement pas. Mais était-ce une raison suffisante pour ne pas tenter de les arrêter ? Et j'avais peur, tellement peur. Et j'étais fatiguée, tellement fatiguée. J'ai hésité une minute de trop. Et alors, c'était trop tard. Dans tous les futurs, Bill disparaissait. Une douce brise s'est alors levée, comme soufflée par l'arbre lui-même. C'était un soupir. Un soupir d'amour, un soupir qui disait « je t'aime, je te pardonne, envole-toi » . Et c'est ce que j'ai fait. J'ai obéi, j'ai fui, et les futurs ont basculé. Comme Bill. En réalité, c'est à ce moment-là, à la mort de Bill, que Gaïa a demandé à Jabda d'intervenir. À ce moment-là, elle ne voulait pas tous nous exiler. Ces prisons que Jabda a créées, c'était seulement pour les pires d'entre nous. les plus turbulents de ses enfants. Puis, il y a eu le massacre des humains et là, elle a changé d'avis. Mais tout était prévu, avant même l'hécatombe. En revanche, l'arrivée de Jabda à ce moment précis, après le bain de sang, quand tout n'était plus que colère, ça, c'était une coïncidence. Enfin, je crois. En réalité, Jabda aurait pu, aurait dû, arriver avant le massacre. Et il aurait pu et dû éviter toutes ces morts. Oui, il aurait dû. C'est ce que Gaïa lui avait demandé. Mais Jabda a attendu. Pourquoi ? Je ne sais pas. Il voulait peut-être voir ce qui allait se passer. Ou peut-être qu'il avait juste quelque chose d'autre à faire. Et tant de vies ont été perdues. Vic et Raphaël ont mal interprété ma réaction quand ils ont parlé de Jabda. Je n'ai pas peur de Jabda. Pas vraiment. Il est juste trop énorme et trop imprévisible, insaisissable. Quand il veut quelque chose, rien ne peut l'en empêcher. Le souci, c'est que c'est difficile de savoir ce qu'il veut. Quand il entre dans l'équation, je ne distingue plus le futur, parce qu'il y en a trop. J'ai réussi à négocier avec Jabda depuis le début. On était tous encore sur Terre. Et moi, je ne voulais pas partir. Je voulais réparer les erreurs que j'avais commises. Et Jabda n'avait pas envie de jouer Ausha et à la souris. Enfin, en l'occurrence, Ausha et à l'oiseau. Alors il a accepté de me ramener, un jour, quand tout ça aurait été terminé et loin derrière nous, à condition que je recueille la version de l'histoire de tous mes frères et sœurs. Je suppose qu'il s'est dit que je n'en aurais pas le courage, parce que, si on regarde la chronologie, cet exil, c'est de ma faute, c'est mon inaction qui a mené au meurtre de Bill et à la décision de Gaïa. Après... Jabda n'a jamais demandé à ce que moi, je partage ma version de l'histoire avec mes frères et sœurs. Parce que s'il l'avait fait, je crois que je serais encore dans ma propre prison. Parce que les futurs où je leur dis la vérité, ils se finissent tous plus ou moins mal pour moi. Je n'ai pas été vraiment surpris de voir Nour et Zouri au même endroit. En fait, je l'avais deviné. Dans les futurs, ils sont toujours ensemble. Toujours. Pourtant, Jabda avait bien prévu deux prisons, deux refuges. Une pour chacun d'eux. Je suis allée voir l'espace réservé à Nour, le onzième. Et il se trouve qu'il est vide. Complètement vide. Parce qu'en réalité, Jabda n'a rien créé pour nous. Enfin, presque rien. Il a ouvert des passages, avec des portes, avec des verrous, et c'est tout. C'est la divinité qui fabrique son environnement. C'est un pouvoir que l'on a tous, et que l'on prend bien soin d'ignorer, parce qu'alors nous serions seuls responsables de notre situation, parce que nous sommes seuls responsables de notre situation. Et cette responsabilité est trop lourde à porter pour certains et certaines d'entre nous. Vic l'a compris. Vic peut avoir l'air un peu fou vu de l'extérieur, à se préoccuper de sujets si éloignés de la vraie vie et des problèmes présents. Mais en réalité, c'est le plus sage d'entre nous. et le moins abîmé, le moins fou, parce que les coups, les blessures, il les a vécues et subies lui aussi, mais de beaucoup plus loin que nous, grâce à cette distance, cette protection. qu'il a instauré. Sa façon de vivre, sa façon de penser, l'ont peut-être protégé d'une certaine manière. Enfin, j'espère. Je crois qu'il reste la question du passage. Comment j'ai réussi à me déplacer d'une prison, d'un refuge, à l'autre ? Eh bien, ça c'est grâce à maman. Ou plus exactement, grâce aux larmes de maman. Aux larmes de Gaïa. Maman, Gaïa, elle nous aime. À sa façon, certes. Mais elle nous aime. Nous sommes et nous serons toujours ses enfants, après tout. Quand elle pense à nous, elle pleure. Et elle pense souvent à nous. Ses larmes sont transportées par les nuages jusqu'à nous, et nous n'avons qu'à les trouver et les ramasser pour nous en servir. Et j'ai toujours été douée pour trouver les trucs qui brillent. Les larmes de Gaïa sont très brillantes. Certains et certaines d'entre nous les chercheront, les trouveront, les rassembleront. Et alors... ils comprendront vite à quoi ces larmes si particulières peuvent servir. Mais personne ne les utilisera, parce que tous auront trop peur de ce que diraient ou feraient les autres. Je pense que ces larmes, ces clés, pourraient nous ramener sur Terre. Mais ou bien je n'ai pas encore trouvé comment, ou bien, plus probablement, Gaïa a scellé ses passages, ses portes entre la Terre et nos prisons-refuges. Dans les futurs que je vois, pourtant, ces passages pourraient être empruntés. Mais je vois mal, c'est flou. Ce sont des futurs très peu probables. Ce qui est plus net en revanche, c'est que certaines divinités rentreront sur Terre, renoueront avec les humains. Mais pas toutes. Certaines voudront rentrer et tenteront de rentrer, mais périront en essayant. Le positif dans toutes ces histoires, c'est que dans tous les futurs, Gaïa comprendra nos choix. Nous serons toujours ses enfants, je l'ai dit, mais... Elle comprendra que nous ne sommes plus tout à fait des enfants, et surtout que nous ne lui appartenons pas. Nous sommes des divinités, certes, mais nous sommes aussi des individus à part entière, des créatures intelligentes, pensantes et responsables de leurs actions. Je dois maintenant prendre une décision. Je dois choisir si je reviens sur Terre ou non. Alfred a tort. Je sais que Jabda tiendra sa promesse. Il est imprévisible, mais... Il tient toujours ses promesses. Il me renverra sur terre si je lui demande, si je le veux. Je ne suis juste pas certain de le vouloir. Et c'est pour ça que les futurs sont aussi flous. J'espère que j'ai répondu à toutes les questions, à la plupart en tout cas. À présent, ma mission est terminée. Merci à vous, chers auditeurs, de m'avoir accompagnée de prison en prison, de refuge en refuge. pour rencontrer mes frères et mes sœurs. Si ce voyage vous a plu, n'hésitez pas à en parler autour de vous. Pour finaliser mon projet, j'aimerais beaucoup savoir quel témoignage vous a le plus touché. Si vous pouviez me le dire en commentaire, je vous serai éternellement reconnaissant. J'ignore si nous aurons l'occasion de nous retrouver à nouveau un jour, de nous entendre, de nous écouter. Dans le doute, je vous dis donc adieu, ou plutôt, Agaïa. Signé, K.