- Speaker #0
Bonjour,
- Speaker #1
vous écoutez Les Sensibles, art et monde sensible. Je suis Eugénie Lefebvre et mon envie avec ce podcast est d'explorer en profondeur ce lien entre l'art et les artistes et ces mondes sensibles où l'être, le vivant, le lien, le soin, la terre, le spirituel, l'univers sont convoqués. Pour cela, à la rencontre d'artistes, créatrices et créateurs de tous horizons, mais aussi curateurs, penseuses, penseurs, scientifiques, qui au fil des conversations, en écho les unes avec les autres, nous éclairerons progressivement sur les multiples manifestations de ce que l'on pourrait appeler cet art sensible. L'échange qui va suivre avec l'artiste Caroline Corbasson s'inscrit dans le cadre du prix Arts et Environnement. dont elle est la deuxième lauréate. Un prix porté par Lioufan Harle et la Maison Guerlain qui, depuis 1828, collabore et soutient les artistes de son époque. Je remercie ainsi sincèrement la Maison Guerlain de nous avoir accompagnés pour la production de cet épisode. Je vous souhaite une très bonne écoute. Aujourd'hui, je reçois Caroline Corbasson, née en 1989, Caroline Corbasson vit et travaille à Paris. Diplômée de l'École nationale des beaux-arts de Paris et de la Centrale Saint-Martin School de Londres, Caroline Corbasson déploie sa pratique à travers le dessin, la sculpture, la photographie et la vidéo. Elle sonde la place de l'homme dans l'univers à travers le prisme des imaginaires scientifiques et collectifs associés à l'astrophysique et à la cosmologie. Ses collaborations avec des institutions scientifiques importantes comme le CNRS, le CNES à Paris, l'Observatoire du séroparanal au Chili, lui permettent de s'immiscer dans le quotidien de ces hauts lieux de l'étude scientifique pour y capter leur atmosphère singulière en s'ouvrant aux multiples connexions entre perception, échelle, espace et temps. J'ai rencontré Caroline il y a quelques mois, lors de sa résidence à Arles dans le cadre du prix Arrêt Environnement, décerné par Lioufan Arles et la Maison Guerlain. Elle travaillait sur le vent et en entrant dans son atelier, J'ai découvert d'immenses toiles bleues parcourues de mouvements, de lumières et parfois de quelques mots à peine perceptibles. C'était hypnotique. Je vous propose de rentrer avec moi dans son univers.
Bonjour Caroline, merci beaucoup d'être au micro des sensibles aujourd'hui.
- Speaker #0
Bonjour, c'est un grand plaisir.
- Speaker #1
J'ai envie de démarrer cet échange en repartant aux origines. Au Beaux-Arts de Paris, il me semble que tu as commencé par le dessin et notamment par le dessin du corps humain. Puis progressivement, ton travail s'est orienté vers le cosmos, l'infini, les astres et tout le mystère qui les entoure. Est-ce que tu pourrais nous raconter ce que je vois un peu comme une forme de dézoom entre les contours des cellules humaines jusqu'aux profondeurs de l'univers ?
- Speaker #0
Oui, tout à fait. En fait, au Beaux-Arts, j'ai été saisie par un atlas d'anatomie du corps humain. J'étais dans la bibliothèque sublime des beaux-arts de Paris et je suis tombée sur ce grand livre avec des planches d'anatomie anciennes. Et ça a été vraiment un choc esthétique. Ça m'a fascinée. J'avais l'impression de voir de la dentelle, des choses extrêmement complexes. Et je me suis mise à dessiner les organes du corps humain et même à inventer des organes imaginaires. Et ça a été... peut-être mes premières observations un peu scientifiques, à la frontière entre la science et la fiction. Mais je crois que oui, à partir de ce moment-là, je dessinais des cœurs, des poumons, et à partir de ce noyau, mon travail a commencé à se déployer et mon regard a s'ouvrir et à se porter de l'infiniment petit vers l'infiniment vaste. Ça a été totalement un dézoom.
- Speaker #1
Et comment tu es passée justement du cœur, des poumons, etc. à ce dézoom ? Comment tu as pris ce recul ? Qu'est-ce qui t'a invitée à prendre ce recul ?
- Speaker #0
C'était un glissement un peu naturel d'un atlas à un autre. Et surtout parce que je percevais des similitudes entre... les formes du corps humain et les formes de la nature et du micro au macro il y a une sorte de il ya plein de résonance et d'écho et donc ça s'est fait très naturellement en tout cas c'était une intuition que Finalement, un poumon c'était un arbre, qu'un cœur ça ressemblait aussi à une sphère armillaire. Enfin, tout d'un coup, il y a eu tout un imaginaire qui s'est tissé. Et oui, en tout cas, ce qui m'intéressait, c'était peut-être le point de départ, c'est l'instrument d'observation. Donc, que ce soit le microscope ou le télescope, il y a eu cette transition.
- Speaker #1
Justement, tu as collaboré à plusieurs reprises avec des institutions scientifiques. Et justement, dans tes premiers films, il y a cette fascination pour le ciel, mais aussi cette fascination pour le lien que les hommes entretiennent avec le ciel et justement ces instruments qu'ils inventent pour mieux explorer l'univers. Et en regardant tes sculptures, j'ai l'impression aussi un peu de voir des formes d'instruments pour communiquer avec les entités ou les voies de l'univers, comme... des haut-parleurs, des antennes, des miroirs aussi parfois. Quel rapport tu entretiens avec à la fois la science et ses outils de la science ? Qu'est-ce qui t'intéresse dans ces outils ?
- Speaker #0
C'est sûrement parce qu'ils captent des signaux de l'univers et que pour moi l'art c'est aussi ça, c'est un langage qui nous permet de traduire, de capter et de traduire. Et les miroirs de télescope, par exemple, capturent de la lumière. pour nous livrer ensuite des images. Et je me sens aussi finalement comme un réceptacle de messages et de signes de l'univers qu'ensuite je livre à travers mon travail. Donc il y a aussi cette fascination pour l'instrument qui me vient de ma famille. J'ai grandi dans une famille plutôt avec un penchant scientifique. En tout cas, mon grand-père était... Ingénieur en optique, fabriquais des instruments d'observation, des optiques pour imager, enfin capturer des images de la Lune notamment. Et donc voilà, je pense que j'ai cet héritage en moi qui sommeillait, qui était là de manière inconsciente. Et puis, ouais. J'ai été assez bouleversée aussi par ce voyage dans le désert d'Atacama où j'ai pu voir les plus grands miroirs de télescopes du monde, du VLT, Very Large Telescope, qui sont des miroirs de 8 mètres de diamètre et qui sont pour moi des sculptures en fait, qui sont vraiment des objets à la frontière entre la science et l'art. C'est des objets qui sont... polis, à la perfection. C'est sublime, ça m'a beaucoup inspirée.
- Speaker #1
Donc c'est en écho à ces objets que tu as créé tes premières sculptures ?
- Speaker #0
Oui, exactement. Ma toute première sculpture, c'était un cœur justement, mais c'était un cœur en acier qui était comme un mobile, qui tournait sur lui-même et qui évoquait quelque chose de l'ordre d'un... Oui, c'était un peu comme une sphère armillaire, un cœur, un outil de mesure de quelque chose qui nous échappe. Il y a un mystère en tout cas, on ne sait pas très bien ce qu'on mesure, mais je ne sais pas si c'est une cage ou un... C'est un peu menaçant aussi, parce que l'emploi du métal peut avoir une charge assez forte, assez grave. Mais j'ai beaucoup joué sur cette... Cette dualité entre le métal forgé qui est très lourd, très dense et en même temps une légèreté parce qu'il apparaît comme flottant dans l'espace.
- Speaker #1
Il y a une autre science qui parcourt tes œuvres, c'est la science du vivant et notamment la botanique. Dans plusieurs de tes œuvres figurent des fleurs, mais avec cette particularité géniale de créer des échos entre elles et le ciel. Dans tes dessins au charbon de la série Trax, tu révèles l'imperceptible. poussière de pollen à la surface de la fleur et celle-ci semble alors refléter le ciel étoilé et se métamorphoser devant nos yeux en poussière cosmique. Dans l'œuvre Pollen, tu mets en regard de manière incroyablement touchante de vraies fleurs devant un tableau représentant des galaxies en mouvement, avec un dialogue silencieux entre les deux qu'on peut très étrangement vraiment percevoir. Starlight est une collection d'herbiers réalisée à partir de récoltes de végétaux issu d'une réserve de ciel étoilé dans les Cévennes, où chaque fleur est conservée sur une carte du ciel. Comment est-ce que tu es entrée en connexion avec ce monde des fleurs et à quel moment tu as commencé à tisser ce lien entre elles et les étoiles ?
- Speaker #0
Ces travaux sont tous survenus à un moment très singulier de confinement en 2020. Et c'est à ce moment-là que mon intérêt pour les fleurs a vu le jour. En fait, il faut savoir aussi qu'en 2020, j'étais enceinte, donc confinée et enceinte. Et il y a eu ce printemps enfermé. D'ailleurs, il y a ce petit haïku que j'adore d'un maître japonais, je ne sais plus comment il s'appelle, qui dit que ce printemps dans ma cabane, absolument rien, absolument tout. J'avais cette sensation d'être enfermée, mais que j'allais pouvoir m'échapper à travers ma pratique artistique. J'avais ce rêve de collecter un herbier dans les Cévennes, qui est une réserve de ciel étoilé, avec cette idée que ces fleurs auraient poussé à la lumière des étoiles. C'est un peu une fiction, parce que les fleurs ont quand même besoin de la lumière du soleil. Mais ces réserves de ciel étoilé sont des endroits qui sont devenus rares. Et je me suis un peu lancée cette mission. Donc on est parti avec mon compagnon, on est parti dans les Cévennes. Je ne sais plus si c'était clandestin ou pas, si on avait le droit d'y aller, je ne sais plus très bien. Mais en tout cas, nous voilà dans les Cévennes avec des virages infernaux qui me rendaient hyper malade. Mais bref, on a collecté les fleurs et j'en ai fait des herbiers. Et puis ensuite les tirages au charbon tracks, je pense, sont arrivés juste après, parce que ce pollen, j'ai appris que le pollen d'une fleur était comme en fait une piste d'atterrissage pour les insectes, que les insectes pouvaient percevoir le pollen d'une manière que nous, à l'œil nu, on le perçoit à peine, mais la vision des insectes qui voient les ultraviolets... et enfin... vision modifiée, pas la même que nous, en fait, ce pollen, il a vraiment un rôle, il apparaît, il est phosphorescent, et il permet aux insectes d'atterrir sur les fleurs. C'est pour ça que ça s'appelle Trax, comme un chemin, comme une piste. Et en fait, on peut faire apparaître ce pollen à la lumière noire, donc pour en révéler vraiment toute sa constellation. Et donc voilà, c'est là qu'est née cette série.
- Speaker #1
Donc tu as commencé, toi, à les observer ?
- Speaker #0
À les observer, à tisser ce lien entre la fleur et la nuit. Et l'émotion, elle est née dans les cévennes, vraiment, quand je cherchais ces fleurs sous les étoiles. Voilà, le lien s'est créé à ce moment-là. Et ensuite, j'avais envie de parler vraiment de cette vision nocturne des insectes.
- Speaker #1
Et tu as observé les fleurs avec une certaine lumière ? Oui,
- Speaker #0
j'avais une lampe UV, une lumière noire, une sorte de petite lampe torche. Et ensuite, on a fait des photos avec Andrea, qui est photographe. Et j'avais ensuite envie de retrouver un peu l'émotion du charbon qui est présente dans mes dessins. Cette idée de temps infini, vraiment de... Le charbon, c'est un matériau très stable qui traverse le temps. Et donc, le charbon, il vient apporter une dimension vraiment éternelle, pérenne à ces tirages.
- Speaker #1
Et dans cette œuvre polaine, alors que j'ai malheureusement vu uniquement en photo, mais ça m'a énormément touchée, mais rien que d'y penser, ça me touche. Il y a ces petites fleurs, toutes droites, toutes dressées, qui sont posées sur... Je n'ai pas bien identifié sur quoi elles étaient posées, et qui sont comme si elles regardaient le tableau du ciel étoilé. C'est incroyablement beau. Ça, c'est pareil, c'est la vision que tu as eue quand tu as fait cette promenade dans les Cévennes.
- Speaker #0
Oui, exactement. C'était une intuition. Alors, le petit dispositif, ça s'appelle un Kenzan. C'est en fait un... Un instrument japonais qu'on place dans l'Ikebana au fond du vase. Et c'est comme des piques qui permettent de recevoir les tiges des fleurs pour les maintenir droites. C'est très beau. Et en fait, c'est normalement un objet qui est dissimulé au fond du vase, qu'on ne voit pas. Et là, je voulais le révéler. J'ai travaillé avec un duo qui s'appelle Botanical Agency et qui ont fabriqué ces petits Kanzan sur mesure. et qui me permettait de placer des fleurs dans l'exposition, donc pendant toute la durée de l'exposition en pollen, chez Laurence Bernard à Genève. Les fleurs étaient régulièrement changées, et d'ailleurs, elles n'étaient pas toujours les mêmes. Et ça permettait en fait... de faire basculer notre regard de cette toute petite fleur fragile, comme tu le disais, à ce grand panorama de champs profonds de l'univers, qui est en fait l'image limite, qui est livrée par le James Webb Space Telescope, qui sont les images les plus lointaines de l'univers jamais réalisées. Donc il y a vraiment un truc, notre œil bascule entre ici et maintenant, et très très très très loin dans le passé, et ça crée une distorsion. Oui,
- Speaker #1
puis il y a ce regard. Et c'est vrai que moi, j'ai le sentiment, sans m'y connaître du tout en botanique, que les fleurs ont tendance plutôt à se refermer quand il fait nuit. Et là, il y a une espèce d'inversion que tu leur proposes, genre, mais non, regardez les étoiles.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai que c'est un mécanisme fascinant, les fleurs qui s'ouvrent le matin. C'est trop beau à regarder. Mais là, oui, en fait, c'est aussi tout d'un coup. Ce champ profond de l'univers devenait comme une nuée de pollen. Il y avait quelque chose qui permettait de questionner cette image, qui est une image quand même très compliquée à comprendre. C'est-à-dire que l'infini, c'est encore un concept qui est difficile à accepter. Et finalement, toutes ces galaxies qui deviennent comme des grains de pollen permettent de troubler un peu la lecture de cette image. de soulever des questions. Il y a un aspect assez méditatif, contemplatif, en relation un peu au vertige de l'univers.
- Speaker #1
Oui, presque. D'ailleurs, moi, je vois ces petites fleurs qui regardent le cosmos, mais peut-être que le cosmos regarde aussi le côté très contemplatif des fleurs. Peut-être que le dialogue, ça fait dans les deux sens.
- Speaker #0
Peut-être que la vie est arrivée sur Terre grâce à la poussière d'étoiles. C'est une théorie. Voilà. C'est en tout cas une volonté d'inviter à cette contemplation micro, macro, à un aller-retour assez impossible, mais qui devient tangible dans le contexte de cette exposition.
- Speaker #1
Je voulais savoir s'il y avait des artistes, des références qui t'inspirent particulièrement, que ce soit dans l'histoire de l'art ou parmi les artistes contemporains. Et c'est vrai que... Sur la discussion qu'on vient d'avoir sur ce regard entre la fleur et le cosmos, je pense spontanément à Anselm Kieffer et au dialogue qu'il crée entre les tournesols qui le fascinent tellement depuis son passage à Arles, justement, quelques années avant le tien, sur les traces de Van Gogh qui étaient passées à Arles avant lui, et le cosmos. On a plusieurs de ces œuvres d'Anselm Kieffer, comme ça, avec ces tournesols qui regardent le cosmos, avec des graines de... tournesol qui représente presque des astres ou des entités du cosmos. Je sais aussi que tu es très inspirée par la peinte suédoise du début du XXe siècle, Ilma Af Klintz, qui réalisait ses œuvres de manière quasi médiumnique, s'adonnant notamment aux dessins automatiques. Elle s'intéressait à de nombreux courants ésotériques tels que la théosophie, selon laquelle l'univers tout entier, de l'atome à la galaxie ne fait qu'un, et allie la fascination pour les mathématiques et la botanique. Ça nous fait penser à quelqu'un. Est-ce que tu peux nous parler un peu de tes influences et inspirations ? J'ai cité ces deux personnes et il y en a certainement d'autres. Et Anselm Kieffer, je ne sais pas l'importance qu'il a pour toi.
- Speaker #0
Si, alors Anselm Kieffer, c'est drôle que tu le mentionnes parce que quand j'étais étudiante, alors je ne sais plus si j'étais en prépa ou aux Beaux-Arts, mais en tout cas, il y avait une rétrospective à un moment. Est-ce que c'était une rétrospective ou simplement, il y avait des très grandes toiles d'Anselm Kieffer au centre Pompidou à Paris à un moment ? J'étais étudiante et je me souviens avoir été bouleversée, saisie par la puissance de ces toiles. Elles m'avaient vraiment... c'était viscéral. Et c'est peut-être des œuvres qui ont participé à vraiment mes fondements, à me donner envie de poursuivre cette quête et à me confronter à cette grande mission qui est... de décider de faire de sa vie un grand chemin, parfois pas évident, parfois assez semé d'embûches, mais en tout cas, ça m'a donné envie. Je sais qu'Anselme Kieffer a fait partie des peintres qui m'ont peut-être le plus marquée jeune. Ensuite, en ce moment, ce que je regarde, enfin peut-être en ce moment je lis plus que je ne regarde, mais il y a deux poétesses qui m'ont... beaucoup beaucoup parlé récemment c'est adrienne rich et margaret atwood margaret atwood qui est canadienne j'ai réalisé ça y'a pas très longtemps et c'est en fait et il ya et elle adnan aussi donc trois femmes en fait qui m'ont énormément accompagné en ce moment dans voilà qui m'accompagne quasi quotidiennement donc je lis beaucoup beaucoup de poésie ça ça me nourrit c'est comme comme ma nourriture, c'est comme aussi... Quand je sens que c'est agité, que j'ai l'esprit un peu embué ou que je n'arrive pas à réfléchir, ça m'apporte une clarté, une lucidité, ça m'apaise.
- Speaker #1
De lire la poésie ?
- Speaker #0
Oui, je sais que souvent, parfois même je n'arrive pas à méditer, ou alors j'essaye de méditer, je n'y arrive pas, et lire un poème, ça peut me remettre complètement à ma place. Donc je lis beaucoup ça. Le poète que je lis aussi depuis l'adolescence et qui est un peu le premier poète que j'ai lu, c'est T.S. Eliot. Je ne sais pas pourquoi, mais ses livres ont été vraiment clés dans mon existence. Et ensuite, je regarde pas mal Hélène Frankenthaler en ce moment. Je regarde la peinture de Frank Bowling aussi. Donc, comme je suis dans un moment... Assez lié à la fluidité, je pense, dans ma peinture. C'est vrai que c'est peut-être ces deux peintres-là que je regarde, qui m'émeuvent, en tout cas visuellement. Et il y a des peintures, je ne sais pas si tu connais les peintures tantriques. Ça, c'est aussi une grande inspiration. Je ne suis pas encore parvenue à cette espèce de minimalisme total et absolu. mais je... tendre vers ça, vers une sorte d'économie de moyens et ça m'inspire, ça me guide. Je sens que ça vibre, enfin je ne sais pas, j'ai quelque chose qui résonne avec ce que je cherche en ce moment.
- Speaker #1
Je pense que dans la peinture tantrique, il y a aussi vraiment cette idée de laisser quelque chose passer au travers de soi en essayant de mettre complètement de côté le mental et en essayant vraiment simplement de laisser son corps être un canal ou une antenne et de voir ce qu'il en sort.
- Speaker #0
Ouais totalement. Après je sais qu'il y a pas mal de codes dans cette peinture mais ça qui est beau c'est que ça paraît tellement facile. Ce que j'aime aussi c'est que ces peintures elles sont souvent réalisées sur des papiers des brouillons en fait au verso il ya c'est souvent en fait je vois une facture un truc et il ya cette légèreté et cette tout d'un coup on n'est pas dans la sacralisation d'une oeuvre d'art qui qui est destinée au marché qui est voilà il ya une sorte de détachement en fait de de la préoccupation de web du marché de l'objet fini Et elles ont juste vocation à faire méditer, à aider, à guider une méditation. Et je trouve que c'est sûrement ça qui me touche aussi. C'est qu'elles sont tellement libres et autonomes.
- Speaker #1
Et je pense qu'elles sont en soi la traduction de la méditation, de la forme de méditation en tout cas, de la personne qui la crée. qu'une invitation à la méditation pour la personne qui l'aperçoit. Alors c'est très joli que ça t'inspire autant, mais sache que tes œuvres déjà provoquent pas mal ça, comme impression.
- Speaker #0
Tant mieux, non, mais c'est vrai que c'est un peu deux mondes qui se rencontrent. Il y a ce que je vis en le faisant, et puis après ce qui va être lu, perçu, ressenti. Il y a toujours ces deux mondes qui viennent se rencontrer au moment où... décide de partager le travail.
- Speaker #1
Comment tu te prépares, toi, avant de peindre, de filmer, de photographier ?
- Speaker #0
Alors, tu vois, ce matin, par exemple, je suis arrivée à l'atelier, j'étais assez fatiguée parce que j'avais eu une mauvaise nuit et je me suis dit, il faut que je médite ou alors il faut que... Je sentais qu'il fallait que je nettoie un peu mon esprit. Mais... La pleine lumière, ça. Ah oui, tiens, tout s'explique. C'est pour ça que ma fille s'est réveillée trois fois. Non, je ne sais pas, j'étais hyper fatiguée. Et finalement, c'est en m'y mettant. Enfin, c'était dur de s'y mettre. Mais quand j'étais, tu vois, j'ai commencé à préparer des fonds. Et ça m'a donné une énergie. incroyable ça m'a vraiment reset et je me suis dit bon bah finalement ça peut aussi passer juste par le faire c'est pas toujours mental moi je pense que je puis je trouve beaucoup d'énergie dans le dans le moment où je fais parce que c'est le moment où vraiment je ne fais que ça justement et que là mon mental il est il s'est enfin il se canalise ouais mais c'est même disparaître en fait je suis dans mon corps je suis dans l'instant et et ça c'est le meilleur nettoyage possible quoi et j'y parviens je pense vraiment le mieux à travers ça parce que j'ai cette pratique de méditation que j'ai commencé à arles pendant ma résidence méditation transcendantale avec un mantra et tout et ça c'est génial mais il ya des moments mais je crois que finalement alors c'est ça m'apporte d'autres mais mais ouais pour moi ça va rester l'action du dessin de la peinture C'est ce qu'il y a de plus puissant dans mon cas.
- Speaker #1
Dans le ressenti, justement, entre un moment où tu fais une méditation et le moment où tu vas être en train de créer, est-ce qu'il y a des échos ?
- Speaker #0
Oui, mais alors, moi, j'ai du mal à quitter quand même le mental quand je médite. Je trouve que c'est génial parce que je sens que je me promène dans des sphères ou dans des espaces de mon esprit, de ma conscience. C'est comme un chemin, mais ça reste quand même assez mental. Alors que l'action de la peinture ou du dessin, ou de fabriquer un truc, poncer un truc, j'en sais rien, là, j'accède vraiment à l'instant. Et ça, je crois que je ne le touche qu'en faisant. Mais peut-être que je dois persévérer dans la méditation, parce que c'est quand même assez nouveau pour moi, donc c'est super exigeant, je trouve. Même si je fais 15 minutes deux fois par jour, c'est assez facile et léger et tout, mais c'est quand même... Ouais, mais je vais persévérer, ça m'intéresse. Mais c'est pas la même émotion, c'est pas la même sensation.
- Speaker #1
Et est-ce que tu... On se parlait tout à l'heure justement de... Sur les pâtes... peinture tantrique de celle ou de celui qui perçoit l'œuvre, est-ce que tu poses une intention quand tu peins ou que tu dessines ? Est-ce que tu poses une intention pour la regardeuse ou le regardeur ? Est-ce que tu anticipes ou envisages la réaction, l'émotion qui va pouvoir se dégager ensuite ? de l'œuvre elle-même qui va vivre de manière indépendante de toi ?
- Speaker #0
Je ne crois pas. Ça va plutôt se jouer... Ça va être... Mon intention, c'est de réussir à être la plus proche de mon émotion intime, enfin vraiment de mon intérieur. Et je crois que plus on arrive à être... très intime dans un travail, plus finalement ce travail pourra éventuellement avoir une portée universelle et être accessible à d'autres. Mais je ne pense pas, enfin en tout cas j'essaye de vraiment pas penser au regard, j'essaye de le faire pour moi, de me connecter à vraiment ce qui m'habite. C'est pas toujours... J'y parviens pas toujours. Il y a des œuvres qui sont plus... qui vont être plus mentales, justement, qui vont être plus des constructions de l'esprit, et d'autres où vraiment ça va passer, sans que je m'en rende compte, sans que je l'ai prévu, mais ça va dépendre un peu des moments et du niveau de concentration que j'arrive à avoir. C'est sûr que dans le travail, il y a des moments où on est... dans la création et d'autres où on est plus dans l'exécution, je trouve. Il y a des moments où on exécute des idées et d'autres où ça passe tout seul. C'est hyper intéressant de t'entendre et c'est vrai que moi j'ai une espèce de conviction mais qui est juste une intuition parce que je ne peux pas être derrière à chaque fois la toile et savoir exactement dans quel état était l'artiste au moment de la créer. Mais j'ai l'intuition qu'en effet plus l'artiste est dans cette forme d'alignement total et dans cette, tu as parlé d'intimité dans la création de son œuvre, plus la résonance avec la spectatrice ou le spectateur va être forte. que l'œuvre du coup va laisser percevoir cette forme de vraie ouverture. En effet, c'est très intime pour l'artiste de laisser aussi ses émotions, ses sensations transparaître dans l'œuvre et qu'elles puissent être perçues et ou résonner avec celles de la personne qui les regarde. Et je pense que c'est peut-être en effet cet alignement qu'on perçoit plus, sans savoir forcément ce que l'artiste a dans la tête, ce n'est pas le sujet. Et ce qui est intéressant aussi, parce que quand même cette dimension profondément contemplative, méditative, j'ai la chance d'être dans ton atelier et d'être entourée de centaines de tétouales, d'avoir vraiment envie de se perdre, de se fondre presque dans ces tableaux, est incroyablement forte. Et puis c'est intéressant parce que... Alors je ne sais pas si c'est un peu comme avec le système du test de Rorschach où on voit chacun des formes différentes, mais on peut percevoir, et ça m'avait fait ça aussi quand j'étais venue visiter ton atelier à Arles, certaines choses qui sont peut-être intentionnelles de ta part, peut-être non intentionnelles. Je pense notamment à ces tâches de lumière, on s'était parlé des phosphènes, qui est cette... lumière persistante qui reste après avoir regardé une source lumineuse même quand on ferme les paupières. Et puis il y a eu des moments où il y avait une forme de tourbillon et à un moment j'avais le sentiment de voir un œil et puis sur le tableau suivant j'avais plutôt l'impression de voir un nombril. Est-ce que tu distilles volontairement ces symboles dans tes œuvres ? Tu parlais d'ailleurs des symboles de la peinture tantrique. Est-ce que tu les vois toi-même ? Et puis, qu'est-ce qui t'évoque ? Typiquement, je viens de parler de phosphène, d'œil, de nombril, mais il y en a certainement d'autres.
- Speaker #1
Alors, je crois qu'il y a en effet le cercle et le trou. Il y a quelque chose qui revient de manière totalement obsessionnelle et incontrôlée. Enfin, ça surgit à chaque fois. Les nouvelles toiles qui sont cette série-là, je les appelle les Center Paintings, qui sont celles qui représentent L'œil du cyclone, le centre de la tempête, elle renferme un peu ce secret de la sensation viscérale d'une tempête. Pour moi, la tempête, c'est la matière parfaite pour évoquer à la fois un état extérieur du monde, mais aussi un état intérieur, intime, justement. Et le nombril est apparu de manière involontaire, mais je l'accueille volontiers. Et les tourbillons et les cercles, c'est très récurrent dans mon travail. J'essaye toujours d'en sortir, mais ça revient à chaque fois. Et je ne sais pas très bien d'où ça vient, mais je laisse un peu les choses justement venir.
- Speaker #0
C'est rigolo, tu parles de... Déjà, en répondant, tu m'as dit l'œil du cyclone et de façon viscérale. Donc déjà, on était dans l'œil et dans le nom.
- Speaker #1
Oui, exactement, c'est ça. Oui, tu vois, ça s'exprime en fait. Mais c'est drôle parce que je regardais des images vraiment satellitaires, des satellites météorologiques qui livrent ces images, des tempêtes, des cyclones. Il y a eu un peu un retournement de mon œil, justement. qui regardait beaucoup le ciel et l'espace et qui se retourne vers la terre et vers plutôt des observations terrestres, météorologiques. Donc il y a cet œil qui est le mien et ensuite il y a l'œil du satellite et l'œil du cyclone. Donc il y a pas mal d'yeux qui apparaissent et j'aime bien, je cherche à... En fait je pars souvent d'images mais je cherche à m'en émanciper et à tendre vers l'abstraction en ce moment vraiment. Je cherche cette tension. entre un paysage et une plage abstraite.
- Speaker #0
Oui, puis laisser aussi justement l'esprit de celui qui va découvrir l'œuvre...
- Speaker #1
Interpréter,
- Speaker #0
voyager.
- Speaker #1
J'ai beaucoup entendu... Oui, je sais que mes dernières toiles peuvent faire penser à des reflets sur l'eau, alors que finalement, on est à plusieurs kilomètres au-dessus de la Terre, dans le ciel. Mais ça me plaît, cette ambiguïté, elle est totalement fertile pour moi.
- Speaker #0
Tu nous as parlé de ces cercles et moi aussi, évidemment, je les ai bien identifiés dans ton travail. Et alors, en plus, vraiment dans tout ton travail, des peintures, aux sculptures, à tes films. Évidemment, sur ce cercle, ça fait penser à la symbolique du temps, du cycle. Du cadran solaire aussi, dans ton film Atacama, la jeune femme que l'on suit dans ce désert aride fabrique à l'aide d'une aiguille géante en métal et d'une pierre qui fait contrepoids. Là aussi, j'ai évidemment pensé à Liu Fan sur cette alliance entre le métal et la pierre brute. Elle fabrique une sorte de cadran solaire géant, en tout cas, c'est comme ça que moi, je l'ai interprété, qui tourne lentement dans le désert en créant un tourbillon de poussière. Et c'est complètement hypnotique. Le film se termine là-dessus, sur ce tourbillon. tournoiement très poétique de cette grande aiguille en métal et de cette poussière qui se crée, qui crée un tourbillon. Ton œuvre « Spin » est une sculpture réalisée pour la ville de Clamart dans le Grand Paris, qui est une sorte de toupie géante qui reflète les étoiles du cosmos. Et dans ton travail à Arles, tu m'as montré un incroyable petit film qui est resté ancré dans la tête, tourné sur la plage où on voit simplement un brin de végétal. qui, dans le vent, tournoie comme une mini-horloge. Alors tu dis que tu as du mal à t'en extraire de ce cercle. Qu'est-ce qui t'évoque ce mouvement circulaire ?
- Speaker #1
C'est le mouvement, justement. Je pense que dans le cas du désert d'Atacama, c'est un endroit immobile, aride, où le temps semble s'être arrêté. Et l'idée, c'était d'aller générer et de provoquer un mouvement. Il y a toujours... Voilà, ça va être totalement, finalement, lié au désir aussi intime de générer un mouvement dans des moments où on peut être... où on se sent figé ou arrêté. Donc, pour moi, le cercle, c'est vraiment ça. D'ailleurs, l'exposition à Arles s'appelle « Something Moves » . Donc, il y a cette idée d'aller... De sentir, d'écouter, de percevoir des signes d'un mouvement nouveau qui survient, qui naît. Je crois que c'est vraiment ça.
- Speaker #0
Et c'est cette capacité d'attention aussi de pouvoir observer ce mouvement. La vidéo du brin d'herbe.
- Speaker #1
Oui,
- Speaker #0
dans le cas des brindilles,
- Speaker #1
c'était vraiment une invitation à s'attarder sur des détails qui sont presque imperceptibles. On pourrait totalement passer à côté. Et si on prend quelques secondes, on commence à en voir une, puis deux, puis trois, puis ça devient une chasse au trésor sur la dune au Sainte-Marie-de-la-Mer. Et j'aime bien ça, inviter à contempler complètement. Cette vidéo, elle parle de la vulnérabilité, de la fragilité, de quelque chose qui est presque rien, mais qui en même temps évoque un tout. Elle est tournée à l'iPhone, donc avec des moyens précaires, enfin relativement précaires, mais je veux dire, il n'y a pas de... Il y a cette volonté d'être... Que ce soit comme un document presque la vidéo, elle est très sobre, c'est un montage. Il y a un travail sur le son aussi, que je suis en train de développer avec un monteur son qui a des géophones, qui sont des microphones qui se plantent dans la terre. et qui viennent enregistrer les vibrations de la Terre. Donc il y a un truc hyper intéressant dans le dispositif sonore, où on a l'impression d'entendre un son très intérieur justement, et puis finalement on observe des brindilles qui sont à l'extérieur.
- Speaker #0
C'est peut-être le son qui vibre à l'intérieur d'elle ?
- Speaker #1
Oui, c'est totalement ça, mais c'est hyper particulier, parce qu'on entend quand même du vent, mais on sent que c'est un vent qui est quand même dans les entrailles de la Terre, et un truc assez troublant. Tu verras ça. Ça va être bien.
- Speaker #0
Pour revenir sur, tu nous as parlé de la poésie tout à l'heure et de toutes les poétesses, notamment, que tu lisais et qui t'accompagnaient dans ton travail. Et toi aussi, tu as un travail de poésie, un travail avec les mots et des mots qu'on repère dans tes œuvres et qui ont cette délicatesse d'être simplement dessinés un peu... presque un peu caché, un peu dissimulé dans les toiles, des mots souvent de poésie. Est-ce que c'est les tiens ? Est-ce que c'est des mots que tu empruntes ? Comment tu crées ce dialogue ? Qu'est-ce qui se passe dans ce dialogue entre la peinture et les mots que tu déposes ?
- Speaker #1
Ça, c'est très nouveau. C'est apparu vraiment pendant cette résidence à Lioufan Harle. J'écris depuis que j'ai 15 ans à peu près, donc ça fait une vingtaine d'années que j'écris dans des carnets. Et ça a toujours été une pratique totalement secrète. Sauf pour... J'ai une amie, Georgina, avec qui on a beaucoup échangé. C'est aussi grâce à notre amitié que cette pratique de l'écriture est arrivée. Mais je ne l'ai jamais partagée, encore moins publiée, diffusée. C'était une pratique secrète, intime, que je faisais dans mon téléphone principalement. Et à Arles, j'étais... J'avais vraiment envie d'aller chercher des choses, de révéler des choses que je n'avais jamais révélées. C'était le moment, tout simplement. Ce n'était pas tant une intention, mais plus le moment est venu pour moi de montrer des choses qui étaient restées cachées jusqu'ici. Peut-être, avec l'âge, je ne sais pas, peut-être moins peur de montrer certaines choses. de montrer des choses plus fragiles, puisque l'écriture, voilà, elle ne m'estime pas comme étant une grande poétesse. C'est totalement... C'est assez fragile, quoi, comme pratique. Mais c'est moi, c'est sincère et c'est... Voilà, ça existe, quoi. Donc c'est... Ouais, je ne sais pas, c'est venu. J'ai commencé à écrire comme un peu des petites... En fait, c'est encore cette idée qu'on pourrait passer à côté, ne pas le voir. Et en fait, si tu passes plus de quelques secondes devant la toile, tu vas accéder à une autre strata finalement, et peut-être avoir des nouvelles clés de lecture. Donc sur les toiles, c'est mes textes à moi. Et ces textes sont réunis dans un recueil qui va sortir aux éditions d'Ilecta. Et voilà, qui est un peu à un moment... à la fois terrifiant mais très excitant. Un nouveau dévoilement. Oui, vraiment.
- Speaker #0
Il est écrit principalement en anglais ?
- Speaker #1
Non, en français et en anglais. Et l'édition sera bilingue, donc tout ce que j'ai écrit en anglais sera traduit en français et inversement.
- Speaker #0
Il est écrit autant spontanément dans l'une et l'autre langue ?
- Speaker #1
Oui, peut-être pas les mêmes choses. Je sais qu'à Arles, j'ai beaucoup écrit sur... mes sensations à l'atelier sur mon quotidien, sur juste parfois les échecs, ce que je ressentais en fait dans les moments de création à l'atelier. Ça, je l'écrivais en français. En revanche, quand j'évoque peut-être plutôt des choses sur mes relations, amitié ou relation amoureuse, là, ça va se manifester en anglais. Un peu la première langue, enfin j'ai grandi donc au Canada et aux Etats-Unis, donc je crois que c'est tout ce qui est relié peut-être à des choses hyper hyper intimes qui vont remonter à l'enfance aussi, ça va se manifester en anglais.
- Speaker #0
Alors tu as une pratique régulière aussi que j'adore totalement et qui est cette sorte de journal de bord où régulièrement, je ne sais pas si c'est chaque jour, Tu viens dessiner une comète qui perce le ciel. À chaque fois, le ciel change de couleur, de densité, la comète crée une nouvelle percée, une nouvelle trace. Je trouve cette pratique hyper touchante. Comme un marqueur du temps qui passe, c'est la matérialisation simultanée de deux forces contraires, la permanence et l'impermanence. La permanence, parce que tous les jours, il y a ce ciel, il y a ces lumières, il y a cette comète. Et en même temps, l'impermanence. Parce que même si c'est la répétition d'un phénomène, rien n'est jamais identique. Et ce que j'adore par-dessus tout, c'est que cette série s'appelle Wish, comme le vœu que l'on fait en voyant une étoile filante dans le ciel. J'adorerais que tu nous en parles un petit peu.
- Speaker #1
La pratique de Wish, c'est un peu un protocole que j'ai trouvé, qui est une manière pour moi de mettre le pied à l'étrier quand j'arrive à l'atelier. qui est une pratique totalement méditative qui me permet de me mettre un peu dans un état. Je sais que j'avais lu que David Lynch disait que pour pouvoir... faire une heure de peinture, il fallait un peu quatre heures de temps mort avant. Et c'est un peu ça, pour moi, le wish, c'est le moment qui vient avant, qui me permet de me relier, de me connecter, c'est ce que j'expliquais tout à l'heure avec cet état un peu de moment présent. Et en fait, c'est ce que tu dis, c'est le reflet, les couleurs vont vraiment être le reflet un peu de mon état d'âme. du jour, ça va être un vœu que je formule pas moi, mais que je laisse la personne qui va... Alors, ce que j'aime aussi voir, c'est... Pour le coup, les WISH, c'est un... C'est une série que je fais pas mal en communication avec les autres, parce que j'aime bien voir qui va aller vers quelle couleur. Et la griffure, c'est... Ouais, je sais pas trop comment c'est venu cette griffure, mais en tout cas, peut-être qu'elle concentre quelque chose. Il y a cette abstraction, enfin c'est vraiment, c'est une griffure, mais finalement elle évoque un astre, un passage. Il y a un caractère éphémère aussi à cette petite griffure qui passe, qui est comme finalement une seconde, une trace.
- Speaker #0
parce que tu... peint et ensuite tu crées avec un outil ?
- Speaker #1
Je griffe avec un... Je pourrais te montrer mon outil. Une sorte de petit couteau. Je griffe la surface de la peinture avant qu'elle ne sèche. C'est assez rapide.
- Speaker #0
Ça me fait penser... J'ai échangé dans les premiers épisodes du podcast avec une indianiste et sanscritiste, Colette Poggi, pour parler de la façon dont... On considérait l'art dans l'Inde ancienne et la manière dont l'art est décrit dans les textes anciens. Elle parle de la notion de voilement et de dévoilement. Et en fait, en t'écoutant, ça me fait penser à ça, c'est-à-dire le voile que tu viens poser déjà en reflétant le voile de tes couleurs intérieures, on peut le dire comme ça. Et en même temps, cet endroit de dévoilement presque... spontanée avec un geste que tu vas pas forcément méga anticipé qui vient révéler quelque chose et quoi peut-être le le vœu de celle ou celui qui m'a regardé ouais c'est ça il
- Speaker #1
ya une certaine douceur dans l'application de la peinture et après un moment en fait je crois que c'est il ya deux temporalité quoi il ya seulement d'application du fond et après tout d'un coup où il y a Le moment décisif du passage de la comète.
- Speaker #0
Oui, quelque chose aussi de lent et quelque chose de fugace qui va passer après. Et presque certainement une incision que tu découvres.
- Speaker #1
Un événement en fait. Je pense que c'est... Si je devais décrire ces peintures, c'est vraiment... Elles expriment quelque chose de l'ordre de l'événement. Qui m'intéresse. L'idée qu'on mène des existences et que tout d'un coup il peut y avoir des moments vraiment verticaux, des événements qui vont perturber. D'ailleurs, il peut y avoir des mouvements positifs ou négatifs, des événements qui vont paraître terribles quand ils arrivent et qui en fait vont être la source et la racine de choses incroyables et merveilleuses. Tout dépend de ce qu'on en fait. J'extrapole un peu, mais c'est ça, c'est l'idée d'un événement.
- Speaker #0
Sur ces racines, il y a certaines de tes comètes ou de tes éclairs qui ressemblent eux-mêmes à des racines. Oui,
- Speaker #1
c'est ça. L'éclair que tu vois derrière, c'est une série que j'appelle Racines.
- Speaker #0
Dans ta dernière série que tu as réalisée lors de cette résidence à Arles, dont on a un peu parlé dans le cadre du prix Arrêt Environnement porté par Lioufan Arles et la Maison Guerlain, tu as choisi de travailler sur le vent. Ce vent que nous connaissons bien en Provence, notamment le Mistral qui s'engouffre dans la vallée du Rhône et qui balaye tout sur son passage. Ce vent qui a fait couler beaucoup d'encre chez beaucoup d'artistes, que certains associent parfois même à la folie. Pourquoi est-ce que tu avais envie de travailler sur le vent ? Qu'est-ce que t'inspire le vent ?
- Speaker #1
C'est un phénomène en effet que j'ai perçu la première fois que je suis venue à Arles, quand j'étais au bord du Rhône, j'avais l'impression que j'allais m'envoler. Et je me suis dit, bon, si je viens passer deux mois à Arles, j'ai quand même envie de faire un projet vraiment en relation avec le territoire. Et ensuite, je visite Lioufan Arles et je tombe face à ces toiles des années 80, From Winds et With Winds, qui sont des toiles assez tourmentées, mais qui moi, j'ai eu une sorte de... communication directe avec ce travail que je connaissais pas du tout. Moi je connaissais sa pratique plus récente en fait. Et voilà, et donc c'était juste, il y a eu une sorte d'appel à me pencher sur ce sujet, qui aussi venait réveiller des souvenirs d'enfance, de mon enfance justement passée au Canada, aux États-Unis, où le ciel pouvait être assez violent, et où il y avait régulièrement des tempêtes, que ce soit des tempêtes de verglas ou des tornades. C'est... Voilà, donc il y avait un peu cette résonance avec mon enfance et puis l'envie de... de travailler sur un sujet local.
- Speaker #0
Alors bien sûr, portée moi-même par la philosophie du vivant et la philosophie du yoga, le vent m'inspire le souffle. Le souffle du vent, ça fait écho au souffle vital, à l'énergie de vie, qu'on peut appeler prana dans la philosophie du yoga, chi dans celle du taoïsme et de la Chine ancienne. C'est aussi le souffle créatif de l'artiste. Le souffle peut aussi faire partie intégrante de l'œuvre, l'Iu-Fan lui-même. parle de l'importance du souffle dans son travail, la façon dont le souffle profond et long va accompagner son tracé de peinture sur la toile. Est-ce que toi, le souffle habite particulièrement ton travail ?
- Speaker #1
Ça me demande de respirer, ce que je suis. En fait, je réalise que je suis assez souvent en apnée, notamment quand je travaille, il y a des moments où je me dis, mais n'oublie pas de respirer, parce que c'est... C'est du bien. Écoute, peut-être que je devrais l'intégrer. parce qu'aujourd'hui, non, je ne peux pas dire vraiment. Mais c'est marrant parce que, par exemple, je vois que je transmets ça à ma fille, souvent le soir, quand je vois qu'elle est agitée, j'essaye de l'inviter à respirer. C'est pour moi un outil. La respiration, je l'emploie souvent quand je suis angoissée et que je veux envoyer un signal à mon cerveau que tout va bien. Donc c'est plus un... Ouais, je m'en sers quand même, mais dans mon travail, pas proprement parlé. Pas encore, peut-être bientôt.
- Speaker #0
Est-ce que, ou qu'est-ce que... On a commencé cet entretien en parlant de la science, et finalement, toi, ta famille, ton grand-père scientifique, qui travaille l'optique... qui avait donc des instruments scientifiques pour observer tous ces univers, et toi qui prolonges, continues ce chemin de l'exploration, mais au travers de l'art, qu'est-ce qui pour toi, qu'est-ce que peut l'art, ça va faire un peu une grande question, mais qu'est-ce que permet l'art, qu'est-ce qu'autorise l'art, que peut-être les outils purement scientifiques ne... ne parviennent pas à faire. Est-ce qu'il y a un endroit où l'art permet de dépasser la science ou de compléter la science ?
- Speaker #1
L'art permet d'errer plus que la science. Il y a une liberté totale. Finalement, je crois que l'art peut aussi venir prolonger. combler les lacunes de la science grâce à l'imaginaire. Mais en réalité, on partage vraiment avec les scientifiques cet imaginaire. Je ne suis pas sûre de... En tout cas, il n'y a pas d'hierarchie pour moi, ça c'est certain. Je ne veux vraiment pas créer d'hierarchie. Je me suis souvent sentie très proche de chercheurs et de scientifiques parce qu'on est unis par cette quête. C'est deux moteurs finalement de recherche, l'art, la science, on cherche. On cherche à peu près la même chose, mais avec des langages et des moyens différents. Et on traduit cette épopée de manière différente, mais on partage quand même beaucoup de choses.
- Speaker #0
Alors pour conclure cet entretien, je voudrais aborder... Le philosophe Baptiste Morisot, qui dans son ouvrage « Manière d'être vivant » parle de la crise de la sensibilité, qui est exprimée comme un appauvrissement de la sensibilité envers le vivant, c'est-à-dire des formes d'attention et des qualités de disponibilité à son égard, mais il me semble que son expression est juste de manière encore plus globale. Quelle serait pour toi la priorité pour réveiller à nouveau le monde au sensible ?
- Speaker #1
Je crois que dans nos existences, on s'est pas mal déconnecté du mystère, de la contemplation. Je pense que peut-être accueillir l'ombre, l'inconnu, l'invisible. Toute cette part mystique un peu qui nous a à un moment paru moins nécessaire, si on arrive un peu à se reconcentrer dessus, je sais que c'est quelque chose que j'essaye d'accueillir. le mystère et puis regarder, prendre le temps de regarder. Je crois que beaucoup de choses peuvent commencer par placer son regard. Souvent, quand je suis à Paris et que j'ai une grosse journée très chargée, j'aime bien aller sur un pont et trouver un endroit dégagé. En général, ça va être un pont sur la Seine et regarder vers le ciel. Et puis en fait, juste en opérant ce regard-là, je vois qu'autour de moi, les gens vont eux aussi regarder dans la même direction, en se demandant ce qui se passe, s'il y a un événement singulier, particulier à voir. En fait, il n'y a rien, il y a juste la beauté de cette ouverture, de tout d'un coup cet espace de respiration. Donc je pense que c'est ça, c'est pouvoir... Inviter à regarder, en tout cas moi c'est un peu la mission dont je suis investie, c'est placer mon regard sur des choses. J'invite par là à regarder aussi, humblement. Merci beaucoup Caroline. Avec plaisir.
- Speaker #0
Merci d'avoir écouté Les Sensibles, art et monde sensible. Un podcast produit par Fabrizio D'Elia, qui a également composé l'identité sonore, et par les ateliers de la Madeleine. Si ce podcast vous a plu, n'hésitez pas à lui mettre 5 étoiles sur votre plateforme d'écoute préférée et nous laisser un commentaire, ainsi qu'à le partager autour de vous. Cela nous serait très précieux. Je vous retrouve très vite pour un prochain épisode.