undefined cover
undefined cover
Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie ) cover
Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie ) cover
Les Sens de la Danse

Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie )

Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie )

39min |02/06/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie ) cover
Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie ) cover
Les Sens de la Danse

Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie )

Rana Gorgani: quand la danse soufie se conjugue au féminin et inspire les Iraniennes ( 1ère partie )

39min |02/06/2024
Play

Description

Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant : la danse des derviches tourneurs.


S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. 

Ancrée dans la tradition soufie et née au 13eme siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement.

 

Si je vous dis "derviches tourneurs", j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel.

 

Pourtant,  il y a également des femmes qui pratiquent cette danse fondée par le célèbre poète mystique Rûmi.

 

Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ces plus grandes ambassadrices.  Elle est aussi l'une des seules femmes derviches tourneurs à se produire sur scène…

 

Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art. Au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes.

 

Elle s'est également engagée pour défendre leurs droits et qu'elle entend faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

 

Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie… C'est ce dont on va parler aujourd'hui…


Vous pouvez retrouver toutes les informations la concernant (stages, retraites, événements) sur https://www.rana-gorgani.com/


ainsi que sur instagram: https://www.instagram.com/ranagorgani/


Musiques :

Daf - Kamkar Ensemble

The glance of the beloved - Alireza Ghorbani


Photo: Julian Succo


Et voici les liens du podcast sur les réseaux sociaux:

Le compte Instagram du podcast : https://www.instagram.com/lessensdeladanse.podcast/

Le compte Facebook du podcast : https://www.facebook.com/lessensdeladanse.podcast


Très belle écoute !



 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Rana Gorgani

    Les Sens de la danse, le podcast qui met de la conscience dans le mouvement. Bonjour à tous, je suis ravie de vous retrouver. Et étant donné cette météo pour le moins capricieuse, je vous propose aujourd'hui de partir pour un nouveau voyage au chaud, ça va sans dire. Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant, la danse des Davish Tourneurs. S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. Ancrée dans la tradition soufie et née au XIIIe siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement. Alors si je vous dis Dervish Turner, j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel. Pourtant, il y a également des femmes qui pratiquent cette danse, fondée par le célèbre poète mystique Rumi. Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ses plus grandes ambassadrices. Elle est aussi l'une des seules femmes Dervish Turner à se produire sur scène. On ne peut pas être femme sous fille et en même temps se produire sur scène. Parce que justement, il y a un endroit où on ne respecte pas la tradition. Donc moi, d'une certaine manière, j'ai cassé tous les codes. Mais on peut sortir de la tradition si on a été dans la tradition. Et c'est parce que j'ai été dans la tradition qu'à un moment donné, je me suis dit tiens, je vais sortir de ça.

  • Myriam Sellam

    Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art, au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes. Elle s'est engagée aussi pour défendre leurs droits et elle pourra le faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

  • C'est un honneur de porter la flamme. au nom de la lutte des femmes iraniennes. C'est vraiment pour moi un symbole fort et je ne pouvais que l'accepter. Et je ne me dis pas, d'ailleurs ce n'est pas le cas, que c'est moi, Rana Ghorgani, l'artiste qui porte cette flamme. Je me dis simplement que je porte cette flamme pour le peuple iranien et oui, particulièrement les femmes. et ça, ça me touche profondément.

  • Myriam Sellam

    Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie, c'est ce dont on va parler aujourd'hui. Et avant de commencer, vous savez que votre soutien est essentiel pour que ce podcast continue de grandir. Alors abonnez-vous pour ne rien manquer des prochains épisodes. Vos avis sur les plateformes d'écoute m'aident aussi énormément. Alors si vous appréciez le contenu, n'hésitez pas à laisser 5 étoiles et un petit commentaire. Un grand merci pour votre fidélité. Je vous souhaite une très belle écoute. Bonjour Anna.

  • Rana Gorgani

    Bonjour.

  • Myriam Sellam

    Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ?

  • Rana Gorgani

    Très bien, je suis ravie d'être là et d'avoir cette chance, cette opportunité de parler de danse et de spiritualité, j'espère, parce que c'est le cœur de la danse soufie, la spiritualité.

  • Myriam Sellam

    Eh bien, on va en parler et je suis aussi ravie parce que c'est une belle synchronicité qui nous a fait se parler aujourd'hui lors d'un bel événement et j'ai vu vraiment ça comme un signe et je suis vraiment contente. de t'avoir aujourd'hui. Et spiritualité, oui, j'espère bien qu'on va en parler. On va commencer, si tu veux bien, par le commencement. Comment est-ce que finalement, toi, tu as découvert cette danse spirituelle, sacrée, soufie que tu fais ?

  • Rana Gorgani

    Je l'ai découverte, j'étais assez jeune, j'étais adolescente. C'était lors de mon premier voyage en Iran. Le fait est que je n'ai pas pu découvrir mon pays d'origine avant l'âge de mes 14 ans. Donc je dis souvent que je me sens appartenir au monde pour la simple et bonne raison que j'ai mon père qui est kurde, ma mère iranienne. Je suis née en Allemagne, nous sommes venues vivre en France et jusqu'à très tard, je ne connaissais pas l'Iran et je l'idéalisais d'une certaine manière d'ailleurs. Et quand j'ai pu aller en Iran... Pour la première fois, j'ai très vite été attirée par la musique. Donc c'est d'abord la musique qui m'a mis en lien avec la danse et la spiritualité soufie. J'ai voulu apprendre un instrument qui s'appelle le daf, qui est une percussion soufie, qui est un instrument qu'on utilise lors des cérémonies avec des rythmes répétitifs. Et là, le corps... et est entraîné d'une certaine manière dans des mouvements également répétitifs à travers des chants sacrés. Et lorsque j'ai commencé à essayer d'approcher cet instrument, je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement un instrument que j'approchais, mais tout un univers où il y avait la présence de la musique, de la danse, des chants, et j'ai découvert ainsi le soufisme. En me familiarisant avec la danse, j'ai aussi découvert qu'il ne s'agissait pas que de danse, mais derrière il y a un message qui est fort, un message universel, d'avant tout de paix. Et c'est cette paix-là qui est une recherche intérieure, amène à ce que l'on appelle le chemin de l'amour. C'est pour ça d'ailleurs qu'on appelle aussi la spiritualité la religion de l'amour.

  • Merci.

  • Myriam Sellam

    Alors justement, quand toi, tu arrives avec tes 14 ans en Iran, que tu découvres le daf, donc ce tambour, c'est quoi que tu ressens ? C'est cet amour-là ?

  • Rana Gorgani

    J'ouvre la porte à un univers qui était secret. Je l'ai senti très vite et j'ouvre la porte déjà à cette époque-là. Disons-le, ça fait plus de 25 ans, je me suis dit, ça, ça n'existe pas. Là où je vis, là où je suis, donc en Europe et particulièrement en France, Je me suis dit, tiens, je découvre quelque chose qui est en lien avec mes origines et qui est d'une force incroyable. Et ça, à cette époque, je ne savais pas encore que j'allais en faire mon art et que j'allais le partager, le faire découvrir. Mais j'avais conscience de quelque chose qui allait être un trésor. Voilà, ce secret, tout ce qu'il y avait derrière. Parce que... Je tiens à dire que ces pratiques-là en Iran sont faites en plus dans la plus grande discrétion. Car elles sont interdites, tout simplement. On accuse les personnes qui pratiquent la spiritualité soufie de blasphème. Alors c'est intéressant parce que parfois ici en France, je fais tout un travail pour parler du divin. du monde céleste, de tout cet invisible, en disant, attention, je ne parle pas de religion, je ne viens pas faire de prosélytisme, je n'essaie pas de convaincre, parce qu'il s'agit d'autre chose, il s'agit d'une connexion avec la Terre, avec le cosmos, avec les éléments. Lorsque je danse, je mets la main... Droite vers le ciel, la main gauche vers la terre. Et cette idée de reliance entre le monde céleste et le monde terrestre, c'est aussi l'idée d'être porteur de lumière. Ici, il y a tout un travail pour dire ne faisons pas d'amalgame parce qu'en fait la spiritualité soufie, elle s'adresse à tous, quelle que soit la confession. Et en même temps, en fait, en Iran, on accuse les personnes. qui pratiquent cette spiritualité, donc avec pourtant ce message très fort d'être en lien avec l'autre, d'aimer l'autre, de considérer, eh bien ça est vu comme un manque de respect à la religion. Ce qui peut être vu en Occident comme une pratique religieuse, qui ne l'est pas, comme je le dis, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas en lien. Avec des symboles religieux très forts, qu'on retrouve d'ailleurs dans toutes les religions monothéistes. Ici, il y a tout ce travail et en fait, en Iran, c'est le contraire. Les soufis disent mais non, nous, on ne blasphème pas. Pourquoi vous nous accusez de blasphémer alors que nous, nous avons un message fort d'amour et de paix à travers la musique et la danse ?

  • Myriam Sellam

    Alors justement Rana, pour ceux qui ne connaissent pas, parce qu'effectivement c'est encore un peu méconnu ici, la danse ou fille, les dervishes tourneurs expliquent-nous un peu c'est quoi. Je voudrais que tu nous parles d'abord de la symbolique. Pourquoi est-ce qu'on tourne ? Pourquoi est-ce que c'est vers la gauche ? Quels sont un petit peu les piliers de la danse ? Et justement, quelle est cette symbolique ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle vise ?

  • Rana Gorgani

    Alors, tout un programme ! Avant tout, il est important de dire et d'expliquer que cette danse a pour nom Sama qui est un mot d'origine arabe, et en turc on dit Sema et ça signifie littéralement écouter Mais dans ce mot Sama il y a la notion d'audition spirituelle. Un poète très connu qui est Rumi a parlé dans sa poésie, d'ailleurs il dansait lorsqu'il disait la poésie et déclamait, et il parle de Raxesama, qui veut dire littéralement la danse de l'écoute. et on voit bien en fait l'importance finalement d'un état qui me permet d'être reliée et d'être en lien avec le monde et avec ceux qui m'entourent. Et ce lien passe par l'écoute. Donc déjà, cette danse ne s'appelle pas à l'origine danse tournante ou danse soufie, mais le sama. Et il y a la confrérie des derviches tourneurs, le nom de cette confrérie c'est Mevlevi, la confrérie des Mevlevi. qui vient du nom de Rumi, que l'on appelle en arabe et en persan Molono, notre maître, ou en turc Mevlana. Et donc Mevlana a donné la branche Mevlevi, c'est-à-dire les suiveurs de Mevlana, de Rumi, et qui a été fondée par le fils de Rumi, et non pas par Rumi, pour garder la mémoire de son père, qui a largement contribué à mettre la danse au centre. de la spiritualité soufie. Et avec le temps, et surtout en Europe, on les a appelés les dervish-tourneurs. Mais un dervish-tourneur, on l'appelle un semozen ou samozen en arabe, qui veut dire celui ou celle qui pratique l'écoute. Semozen, comme on dirait, alors je vais vulgariser, mais dans un art martial, un judoka, un karatéka, cette danse s'appelle sama. Donc si je pratique cette danse, je suis semozen. peu importe homme ou femme. Donc voilà un peu pour l'origine, mais... On ne trouve pas cette danse uniquement dans la confrérie des Mevlevis, c'est-à-dire la confrérie des Dervish-Turners. On la trouve largement dans tout le monde oriental, là où il y a la pratique de la spiritualité. Et après, elle prend des formes différentes, cette danse. On la retrouve en Égypte, en Syrie, en Iran, en Turquie, en Afghanistan également. Et je tourne donc... Du côté gauche, du côté de mon cœur, comme la terre qui tourne autour du soleil, il y a différents mouvements de bras et chaque mouvement de bras porte un symbole spirituel. Par exemple, le semozen, donc j'allais dire le dervish tourneur, commence toujours les bras croisés. Les bras croisés sur le buste, cette première position est le symbole de l'unité et signifie la vie et la mort.

  • Myriam Sellam

    En même temps.

  • Rana Gorgani

    En même temps.

  • Merci.

  • Rana Gorgani

    Quelque chose qui est intéressant dans la mystique, je dirais la mystique et aussi finalement tout un univers poétique, je danse, le but n'est pas de rentrer en extase, même si cette extase peut venir. Il y a cette idée de libérer l'âme. Et à travers ce mouvement de rotation en lien avec le mouvement de l'univers, en lien avec les planètes qui tournent autour du système solaire, je deviens un. avec l'univers et cette union permet finalement la libération de cet invisible qui fait partie d'un grand tout. et je deviens ce tout, je deviens, je dirais, ce rien, le hich c'est un mot très important dans le soufisme, hich signifie rien et tout à la fois.

  • Myriam Sellam

    L'unité finalement du début.

  • Rana Gorgani

    Exactement, mais pour pouvoir m'unir à ce grand tout et ce rien à la fois, eh bien... Comme dirait Rumi, comme les atomes, je rentre dans ce mouvement que mon âme reconnaît et elle peut ainsi se libérer. On appelle aussi cette danse la mort mystique. Mais la mort mystique,

  • Myriam Sellam

    c'est une renaissance peut-être aussi.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Je meurs pour renaître et je commence les bras croisés, je termine les bras croisés. Donc, nous avons ce mouvement-là. Il y a aussi les deux bras vers le ciel. Ça, c'est l'accueil de la lumière. Être en lien avec le tout, encore. C'est cette idée très forte qu'il y a à l'intérieur de notre être. Tout le mouvement de l'univers, et ça c'est quelque chose aussi qu'on retrouve dans la poésie de Rumi. Il y a une citation de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Tu n'es pas une goutte dans l'océan tu es l'océan dans une goutte. Et je dirais que ça, et bien cette phrase-là, qui est imagée, qui est métaphorique, elle peut être expérimentée à travers le mouvement de tournoiement. La signification profonde de cette phrase, de se sentir à un moment donné, complètement, littéralement, faire partie d'un tout.

  • Myriam Sellam

    C'est donc, si je te suis bien, comme une fenêtre, un passage, une voie. vers quelque chose que l'être humain cherche finalement avant tout, c'est-à-dire du sens, c'est-à-dire se relier et être finalement plus tout seul.

  • Rana Gorgani

    Alors, en t'écoutant, quoi qu'il en soit, Déjà, on part du principe dans la spiritualité soufie que l'on n'est pas seul. Cette idée de solitude n'existe pas. Et la première écoute, d'ailleurs, spirituelle, est l'écoute du battement de cœur. Le divin, cette idée de divin, est en chacun de nous. Donc, la recherche, elle est vraiment intérieure. Mais je pense que la pratique de cette danse, en fait, ce n'est pas une question de... de se sentir seule ou pas seule, parce qu'il peut y avoir des émotions très fortes qui arrivent et qui peuvent être justement, bien au contraire, sentir le détachement avec le reste du monde. Donc sentir en même temps que finalement, toutes les choses auxquelles je suis attachée sur cette terre, sont non seulement éphémères, mais ne sont que des projections. Et donc je crois que c'est plutôt, je dirais même le contraire, la pratique de la danse soufie peut-être me permet de sentir que je suis un et qu'il n'y a pas besoin d'autre, de l'autre.

  • Myriam Sellam

    Oui, donc c'est l'inverse,

  • Rana Gorgani

    effectivement. Voilà, mais attention, ça ne veut pas dire que pratiquer la danse soufie va faire que je me sépare des personnes que j'aime. Non, bien au contraire. Mais sentir en fait que toutes les projections que je peux faire et puis les peurs que l'on peut avoir de perdre l'autre ou des attentes qu'on peut avoir d'une certaine manière disparaissent. C'est aussi une forme de méditation. On dit que la méditation, je pense aux pratiques zen par exemple, où il y a cette idée de détachement et de détachement pour pleinement se réaliser soi, est également présente dans le soufisme et dans la danse soufie. D'ailleurs, il y a quelque chose que je dis souvent. Lors des ateliers, puisque je fais toute une préparation à l'écoute, j'ai une façon de travailler assez particulière, c'est-à-dire en guise d'échauffement, eh bien, je vais emmener les personnes à travailler l'écoute, une écoute profonde. avec les yeux fermés. Donc, en même temps, on perd la notion d'espace, on perd la notion aussi de l'autre, puisque chacun, en fait, les yeux fermés, rentrent dans cette écoute, perçoit les sons différemment, et j'emmène les participants à se mouvoir dans l'espace, les yeux fermés, et je leur dis souvent, tu marches seul, mais tu n'es pas seul. Et c'est ça, finalement, c'est une danse qui est très intime, très individuelle et qui nous... Il y a beaucoup d'opposés parce que j'ai envie de te dire, si je pense aussi à mon expérience lorsque je danse, lorsque je suis sur scène, à la fois, je suis coupée du monde, je ne suis plus là, clairement.

  • Myriam Sellam

    Tu es dans un état de conscience modifié finalement.

  • Rana Gorgani

    De manière scientifique, on peut appeler... Moi, je vois ça différemment, mais je ne suis plus à un endroit précis, très vite d'ailleurs, alors peut-être pas les premières minutes, mais bien souvent, lorsque je danse sur scène, ça peut durer jusqu'à une heure, une heure et demie, je tourne sans m'arrêter, et au bout de quelques minutes, la seule chose qui me relie, c'est le son, c'est la musique. Je reste en lien avec le présent par rapport au son. Mais très vite, j'oublie que je suis dans un théâtre, je ne pense plus au public, mais tout en ressentant les présences. C'est ça le paradoxe. Alors dire, là je rentre dans quelque chose d'un peu mystique, mais...

  • Myriam Sellam

    Mais en fait, tu es là et partout.

  • Rana Gorgani

    Je suis là et plus là à la fois. Je suis là et plus là à la fois. Et il y a quelque chose de l'ordre de l'abandon. Et quand on goûte à cet abandon, et quand on accepte aussi de s'abandonner... À travers ce mouvement, c'est là où on peut parler d'état de trance, si tu veux, ou d'extase. Et ce que l'on ressent est très puissant. On peut d'ailleurs traverser des émotions différentes suite à cette pratique. Avec le temps, moi, j'ai appris à revenir très vite. C'est-à-dire comme...

  • Myriam Sellam

    À revenir dans ton corps, finalement.

  • Rana Gorgani

    Oui, à revenir dans mon corps. Oui. Oui, c'est le mot juste. Et plus le temps passe, je ne dirais pas que j'ai peur, mais je me dis, oh là là, qu'est-ce qui va se passer cette fois-ci ? Parce que j'ai expérimenté et je sais. Et à chaque fois, c'est différent. Pour te faire une confidence, bien que ça fait plus de 15 ans maintenant, j'ai toujours l'impression que c'est la première fois. toujours.

  • Myriam Sellam

    C'est merveilleux, ça.

  • Rana Gorgani

    Et ça, c'est quelque chose de merveilleux. Je pense que c'est pour ça que je continue à faire toujours la même chose, à tourner. Et oui, je pense que c'est ça. Je continue de... Parce qu'en fait, j'ai l'impression qu'on parlait de renaissance, de naissance. Eh bien, oui, je l'expérimente à chaque fois pour la première fois. Et ça, c'est très étrange comme sensation. Et ce n'est pas de l'ordre technique, en fait. D'ailleurs, ça, c'est quelque chose que je pense que tous les danseurs diront. Par contre, bien sûr que j'ai une certaine technique. Et c'est cette technique-là sur laquelle je me repose.

  • Myriam Sellam

    Comme toujours.

  • Rana Gorgani

    Voilà. Parce qu'il y a des moments où, à la fin d'un spectacle, je n'aime pas trop ce mot, mais de présentation de danse soufie. j'ai tout oublié. Je ne sais pas ce qui s'est passé.

  • Myriam Sellam

    Incroyable.

  • Rana Gorgani

    Donc vraiment, je m'en remets à mon corps. Je me dis, voilà, mon corps, il sait ce qu'il doit faire. Il connaît les mouvements, il connaît les pas. Et après, ce que je vais faire, ça, ce n'est pas de...

  • Myriam Sellam

    De ton ressort.

  • Rana Gorgani

    De mon ressort. Et c'est là où on peut parler de trans. Oui. J'ai dû, d'ailleurs, apprendre à contrôler ces états-là.

  • Myriam Sellam

    Et comment tu fais pour contrôler ça ?

  • Rana Gorgani

    je pense à une phrase de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Je suis comme un compas, un pied fixé sur ma foi et l'autre pied qui parcourt les 72 nations. Et j'ai dû solidifier ce pied qui est comme un compas.

  • Myriam Sellam

    Voilà. La terre toujours restée ancrée.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Voilà. Et avec le temps, j'ai pu me dire très bien, je vais partir dans le tournoiement, je vais traverser certains états que je ne vais pas contrôler, mais je vais faire toujours en sorte de garder cet ancrage, le centre en fait. Ce que je fais sur scène est encore différent de ce que je peux faire lors de cérémonie soufie.

  • Myriam Sellam

    En quoi c'est différent ?

  • Rana Gorgani

    Parce que là, lors d'une cérémonie soufie, la seule différence, c'est que je ne suis pas, disons-le clairement, je ne suis pas en représentation. Même si moi, je n'ai jamais l'impression d'être en représentation. Vraiment. Mais il y a quand même cette notion-là, sur scène, de rester centré avec la lumière. Il y a quand même un début, il y a quand même une fin. Tandis que lors d'une cérémonie soufie, je danse de la même manière. Je n'adapte pas ma danse, puisque c'est une danse qui est avant tout, chez moi, une croyance profonde de tout ce que je raconte. Heureusement, j'y crois. j'y crois et je ne me pose pas la question de savoir qu'est-ce qui est de l'ordre du mystique qu'est-ce qui est de l'ordre de la réalité de ce qui se passe tu parlais d'état modifié de conscience moi j'emmène d'autres mots, j'emmène d'autres images je parle de libération de l'âme quand d'autres parleraient de trans ou d'état modifié de conscience je parle de rentrer dans le monde céleste quand certains diraient il y a cette perte de repère et il y a la musique répétitive qui fait que le corps, d'une certaine manière, puisqu'il est dans un état de trance, ne contrôle plus ses mouvements. Moi, je ne vois pas comme une perte de contrôle.

  • Myriam Sellam

    Tu rentres dans un autre contrôle, finalement, qui est le non-contrôle, peut-être ?

  • Rana Gorgani

    Je rentre dans le monde de l'invisible. Justement, lors d'une cérémonie, là, je vais beaucoup plus loin. Je vais déjà très loin sur scène, mais je vais beaucoup plus loin. Je n'ai plus aucune limite. Je vais donner un exemple concret.

  • Myriam Sellam

    Oui, parce que c'est vrai que c'est difficile pour nous.

  • Rana Gorgani

    Je me souviens, j'ai travaillé avec un chorégraphe qui s'appelle Mathieu Auckmiller, qui est un chorégraphe qui crée des pièces plutôt contemporaines, qui m'a vue une fois sur scène et qui a été, en tout cas il me semble, c'est pour ça qu'il a voulu travailler avec moi, assez fasciné. Et il m'a parlé d'un projet, il m'a dit, je souhaiterais faire un portrait de toi, de ton histoire et mettre cela en scène et je te laisserai libre pour la danse. Donc moi, ça m'allait très bien puisque comme j'ai cette difficulté de contrôle de mouvement, c'est impossible. Pour moi, le mot chorégraphie est assez abstrait. Il a très vite compris un peu. Il m'a dit, voilà, moi, j'ai cette idée de faire un portrait. et le texte serait projeté sur scène, la musique serait en continu. Donc, es-tu intéressée ? J'ai trouvé ça très intéressant d'emmener ce côté contemporain, c'est-à-dire de montrer au public en même temps cette danse spirituelle, en la liant avec mon histoire personnelle, qui est très concrète. Et donc de montrer ces deux côtés finalement au public, j'avais trouvé que c'était une idée très intéressante. Et une fois en répétition... Un cri sort de mon corps, je dirais. Comme vraiment un cri de... Quand je crie comme ça, c'est... Je ne sais même pas si j'arriverais à expliquer ce que je ressens. Mais oui, c'est clairement un cri à la fois de libération. En fait, il y a tout dans ce cri. C'est de vie aussi. Oui, et puis de détresse aussi. Parce que je pense qu'on est enfermé. L'être humain est enfermé. Et d'ailleurs, pas que la danse ou fille, mais l'art en général permet cette libération. Je pense que c'est aussi pour ça que l'être humain a besoin de l'art, de la musique, de la danse. la peinture, peu importe, pour exprimer ce qu'il y a à l'intérieur de soi. Et heureusement que l'art existe pour pouvoir exprimer. C'est souvent des douleurs que les artistes expriment. Je pense encore une fois à une phrase de Rumi qui dit que Shams a dit à Rumi, alors Shams était le maître de Rumi, je ne sais pas si on aura le temps d'en parler, mais il lui dira c'est par la blessure que la lumière rentre Et je pense que parfois, s'il y a des sons qui arrivent pendant que je danse, que je ne choisis pas d'émettre, et bien c'est tout à coup... la blessure qui s'ouvre et qui fait rentrer la lumière. Et je me souviendrai toujours, il me dit à la fin, il faudrait ne pas mettre ce cri. C'est vrai que ça arrive comme ça, c'est très surprenant. Et d'ailleurs, je ne me souvenais même pas que j'avais crié. Et j'ai dû lui expliquer que ce n'est pas voulu. Donc il me dit de ne pas faire ça sur scène.

  • Myriam Sellam

    Telle une chorégraphie.

  • Rana Gorgani

    Voilà, de la présentation. Et en même temps, c'est quelque chose que je ne peux pas... contrôlé. Et d'un autre côté, je comprenais tout à fait ce qu'il essayait de me dire et son point de vue et que ça pouvait vraiment décontenancer le public et que ça, c'était pas le but. Et au début, je ne voulais rien entendre, j'insistais, je disais non mais ça je ne peux pas le contrôler, ce n'est pas moi qui décide, etc. Et je me suis dit en fait si.

  • Myriam Sellam

    je vais le contrôler. J'ai assez d'expérience. Je crois que je peux, justement, comme quelque chose... Je vais dire l'image qui me vient, mais ça peut paraître un peu cru. On peut d'ailleurs retrouver ça dans le tantrisme, de contrôler un orgasme, par exemple. Donc, d'arriver, je me suis dit, mais... en fait, je ne peux pas dire non, mais moi, ce qui se passe quand je danse est incontrôlable, etc. Je me suis dit, non, je vais travailler sur ça. Je vais travailler pour, même quand je vais sentir ces moments où clairement, là, je pars dans des états d'extase, disons-le, je vais le repousser, le repousser, le repousser. Et ce travail m'a aidée à avoir plus de retenue. Voilà, de retenue. Et en même temps, ça devient une force. Ça devient une force parce que ça décuple même, je me suis rendue compte que ça va, le fait de retenir certains états décuple mes capacités physiques. Par contre, quand je suis dans une cérémonie soufie, là, je ne me pose aucune question. Et donc, est-ce que t'as... Exactement. Voilà, je ne me dis pas, mais ça, est-ce que le public peut recevoir ça ? Ou est-ce que ça a été prévu ? il n'y a pas de jeu de lumière, il n'y a pas de début, il n'y a pas de fin. Puisque pendant les cérémonies soufis, c'est souvent des musiques qui durent plusieurs heures. Et je m'arrête quand je veux, je commence quand je veux. Donc, c'est pas... Oui,

  • Rana Gorgani

    il y a une liberté quand même, bien sûr, qui te permet ça. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de cadre, du coup, du spectateur. Ça doit durer une heure, etc. Et forcément... Si on revient, parce qu'on a fait une belle parenthèse nécessaire selon moi, si on revient à tes 14 ans, au départ, tu ne sais pas tout ça. Tu vas faire différents allers-retours en Iran. Qu'est-ce qui se passe après ?

  • Myriam Sellam

    Après, je garde, je parlais de secret, je garde un peu cette pratique comme un secret. Je ne le partage pas. Et aussi parce qu'en Iran, les cérémonies, c'était vraiment privé. Donc j'assiste à une première cérémonie. Et d'ailleurs, j'ai été, pour la petite histoire, dans une des confréries où j'ai été, j'ai été la première femme. à rentrer. Ils n'avaient jamais fait rentrer de femmes. Il n'y avait que des hommes. Je suis rentrée dans cette cérémonie et là, j'ai vu la puissance et la force de ces pratiques, que ce soit la musique, la danse, les prières. Et quelques années après, j'ai intégré une confrérie de femmes. Et donc, je faisais des voyages en Iran, où là, je pratiquais, mais... À aucun moment je me suis dit, tiens, je vais en faire mon art. D'ailleurs, j'ai fait du théâtre et je suis allée en Iran, j'ai appris les danses iraniennes. Traditionnelle ? Traditionnelle iranienne. Et j'ai créé plusieurs spectacles en présentant les danses d'Iran, mais pas uniquement d'Iran, d'Azerbaïdjan, d'Afghanistan. Donc vraiment dans un domaine qui était très traditionnel. Et il y a eu plusieurs événements. Un spectacle que j'avais créé, j'interprétais plusieurs danses. D'ailleurs, je dis le mot interpréter.

  • Rana Gorgani

    Oui, contrairement à ce que tu fais actuellement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Actuellement, je ne me dis pas du tout que j'interprète. En fait, je n'interprète rien du tout. C'est moi dans toute sa vérité, je ne sais pas. Mais c'est vraiment comme se mettre à nu. C'est ça, en fait. Donc, je ne peux proposer que ce qui m'anime, ce que je suis dans une vraie sincérité, bien qu'un interprète est aussi sincère. Donc, je disais, j'interprétais. Je me souviens, j'avais choisi le chiffre symbolique, sept danses différentes. C'était sud de l'Iran, nord de l'Iran, les danses de tribus nomades, je faisais des danses afghanes, ouzbeks, tajiks, d'Azerbaïdjan, enfin voilà. Je mettais des costumes magnifiques et à chaque changement de costume, il y avait les musiciens sur scène, jouaient, donc il y avait une partie avec la musique et danse et puis quand je sortais pour me changer, mettre une autre tenue, la musique continuait. Et c'est ainsi qu'il n'y avait, j'étais seule en scène avec des musiciens, qu'il n'y avait pas de coupure. Et la dernière danse, je tournais dans une robe blanche que j'avais fait faire en Iran. Et puis au fil des années, je me suis rendue compte que le public était extrêmement touché par cette dernière danse, qui était la danse soufie.

  • Rana Gorgani

    Plus particulièrement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Et même ne retenez que ça. Ça, ça m'a marquée. Je me suis dit mais... C'est intéressant puisque les danses précédentes, j'ai des tenues, des costumes magnifiques, des tenues très sophistiquées. Vraiment, c'était dans le moindre détail, les bijoux assortis aux tenues, des gestuels aussi travaillés. Alors que cette dernière danse, je tourne simplement dans une robe blanche quelques minutes. et c'est extrêmement simple et pour moi ça l'était en fait ce qui était difficile c'était d'interpréter toutes ces danses avant cette dernière danse Et les témoignages ont commencé à me faire comprendre que je devais prendre peut-être ce chemin-là pour mon travail artistique. Je dis souvent que mon art est devenu spirituel avec le temps, mais je n'ai jamais choisi ça. Et je me souviendrai toujours d'une fin de spectacle, c'était à l'Institut du Monde Arabe. et il y a un vieux monsieur qui était syrien. Je ne sais pas qui c'était, mais qui voulait me voir. On m'appelle, on me dit Quelqu'un veut venir te saluer. Et ce monsieur, il avait les larmes aux yeux, il a pris ma main et il a baisé ma main. Et il m'a dit Merci. Merci d'avoir tourné pour nous. Et je me suis dit, je me souviens, je me suis dit, tiens, il sait, il connaît. parce qu'à cette époque-là je parlais très peu de spiritualité de tout ce qu'on vient d'évoquer et il m'a dit ça et dans son regard j'ai compris qu'il connaissait on dit le derviche reconnaît le derviche on dit que même parfois tu peux reconnaître un balayeur ou peu importe c'est quelque chose qui est de cœur à cœur mais j'ai vu dans les yeux de ce monsieur comment dire je crois que je me suis vue et je crois qu'il s'est vu à travers moi. Et cette idée de miroir, cette idée de cette danse qui est une ouverture du cœur, et on parlait aussi de lumière tout à l'heure, je crois que j'ai perçu la lumière qu'il avait perçue. Et ça, ça ne vient pas de moi directement, de mon être. Je pense qu'on s'est reconnu à ce moment-là comme on peut reconnaître. Parfois, je disais, le derviche reconnaît le derviche. Eh bien, on peut croiser le regard d'un balayeur. Et en fait, à travers ce simple regard, il y a quelque chose qui est communiqué, qui nous touche profondément.

  • Rana Gorgani

    Finalement, c'est de l'ordre de l'âme.

  • Myriam Sellam

    Ah mais bien sûr, ça n'est que ça. Alors l'âme, on y croit ou on n'y croit pas, mais c'est cet invisible qui existe, qui est là. Et je pense que quand on parle de danse sophie, on rentre dans le domaine de l'invisible. D'ailleurs, on appelle aussi la danse soufie, elle a plusieurs noms, mais la danse des âmes. On se reconnaît à travers l'autre. Et il y a comme un effet de miroir, je pense, de miroir. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un miroir ? Il reflète la lumière.

  • Rana Gorgani

    Voilà, c'est la fin de la première partie de cet épisode. Merci de l'avoir écouté jusqu'au bout. J'espère qu'il vous a plu et si c'est le cas, abonnez-vous. Je serai toujours ravie d'avoir vos retours et suggestions. Alors n'hésitez pas à me faire part de vos coups de cœur ou de vos idées en me contactant directement via Instagram ou Facebook. Je vous donne rendez-vous le 16 juin pour la seconde partie de cet épisode où nous allons découvrir comment Rana a incarné l'une des plus grandes figures de la danse soufie en Occident. A très bientôt !

Description

Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant : la danse des derviches tourneurs.


S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. 

Ancrée dans la tradition soufie et née au 13eme siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement.

 

Si je vous dis "derviches tourneurs", j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel.

 

Pourtant,  il y a également des femmes qui pratiquent cette danse fondée par le célèbre poète mystique Rûmi.

 

Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ces plus grandes ambassadrices.  Elle est aussi l'une des seules femmes derviches tourneurs à se produire sur scène…

 

Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art. Au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes.

 

Elle s'est également engagée pour défendre leurs droits et qu'elle entend faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

 

Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie… C'est ce dont on va parler aujourd'hui…


Vous pouvez retrouver toutes les informations la concernant (stages, retraites, événements) sur https://www.rana-gorgani.com/


ainsi que sur instagram: https://www.instagram.com/ranagorgani/


Musiques :

Daf - Kamkar Ensemble

The glance of the beloved - Alireza Ghorbani


Photo: Julian Succo


Et voici les liens du podcast sur les réseaux sociaux:

Le compte Instagram du podcast : https://www.instagram.com/lessensdeladanse.podcast/

Le compte Facebook du podcast : https://www.facebook.com/lessensdeladanse.podcast


Très belle écoute !



 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Rana Gorgani

    Les Sens de la danse, le podcast qui met de la conscience dans le mouvement. Bonjour à tous, je suis ravie de vous retrouver. Et étant donné cette météo pour le moins capricieuse, je vous propose aujourd'hui de partir pour un nouveau voyage au chaud, ça va sans dire. Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant, la danse des Davish Tourneurs. S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. Ancrée dans la tradition soufie et née au XIIIe siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement. Alors si je vous dis Dervish Turner, j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel. Pourtant, il y a également des femmes qui pratiquent cette danse, fondée par le célèbre poète mystique Rumi. Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ses plus grandes ambassadrices. Elle est aussi l'une des seules femmes Dervish Turner à se produire sur scène. On ne peut pas être femme sous fille et en même temps se produire sur scène. Parce que justement, il y a un endroit où on ne respecte pas la tradition. Donc moi, d'une certaine manière, j'ai cassé tous les codes. Mais on peut sortir de la tradition si on a été dans la tradition. Et c'est parce que j'ai été dans la tradition qu'à un moment donné, je me suis dit tiens, je vais sortir de ça.

  • Myriam Sellam

    Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art, au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes. Elle s'est engagée aussi pour défendre leurs droits et elle pourra le faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

  • C'est un honneur de porter la flamme. au nom de la lutte des femmes iraniennes. C'est vraiment pour moi un symbole fort et je ne pouvais que l'accepter. Et je ne me dis pas, d'ailleurs ce n'est pas le cas, que c'est moi, Rana Ghorgani, l'artiste qui porte cette flamme. Je me dis simplement que je porte cette flamme pour le peuple iranien et oui, particulièrement les femmes. et ça, ça me touche profondément.

  • Myriam Sellam

    Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie, c'est ce dont on va parler aujourd'hui. Et avant de commencer, vous savez que votre soutien est essentiel pour que ce podcast continue de grandir. Alors abonnez-vous pour ne rien manquer des prochains épisodes. Vos avis sur les plateformes d'écoute m'aident aussi énormément. Alors si vous appréciez le contenu, n'hésitez pas à laisser 5 étoiles et un petit commentaire. Un grand merci pour votre fidélité. Je vous souhaite une très belle écoute. Bonjour Anna.

  • Rana Gorgani

    Bonjour.

  • Myriam Sellam

    Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ?

  • Rana Gorgani

    Très bien, je suis ravie d'être là et d'avoir cette chance, cette opportunité de parler de danse et de spiritualité, j'espère, parce que c'est le cœur de la danse soufie, la spiritualité.

  • Myriam Sellam

    Eh bien, on va en parler et je suis aussi ravie parce que c'est une belle synchronicité qui nous a fait se parler aujourd'hui lors d'un bel événement et j'ai vu vraiment ça comme un signe et je suis vraiment contente. de t'avoir aujourd'hui. Et spiritualité, oui, j'espère bien qu'on va en parler. On va commencer, si tu veux bien, par le commencement. Comment est-ce que finalement, toi, tu as découvert cette danse spirituelle, sacrée, soufie que tu fais ?

  • Rana Gorgani

    Je l'ai découverte, j'étais assez jeune, j'étais adolescente. C'était lors de mon premier voyage en Iran. Le fait est que je n'ai pas pu découvrir mon pays d'origine avant l'âge de mes 14 ans. Donc je dis souvent que je me sens appartenir au monde pour la simple et bonne raison que j'ai mon père qui est kurde, ma mère iranienne. Je suis née en Allemagne, nous sommes venues vivre en France et jusqu'à très tard, je ne connaissais pas l'Iran et je l'idéalisais d'une certaine manière d'ailleurs. Et quand j'ai pu aller en Iran... Pour la première fois, j'ai très vite été attirée par la musique. Donc c'est d'abord la musique qui m'a mis en lien avec la danse et la spiritualité soufie. J'ai voulu apprendre un instrument qui s'appelle le daf, qui est une percussion soufie, qui est un instrument qu'on utilise lors des cérémonies avec des rythmes répétitifs. Et là, le corps... et est entraîné d'une certaine manière dans des mouvements également répétitifs à travers des chants sacrés. Et lorsque j'ai commencé à essayer d'approcher cet instrument, je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement un instrument que j'approchais, mais tout un univers où il y avait la présence de la musique, de la danse, des chants, et j'ai découvert ainsi le soufisme. En me familiarisant avec la danse, j'ai aussi découvert qu'il ne s'agissait pas que de danse, mais derrière il y a un message qui est fort, un message universel, d'avant tout de paix. Et c'est cette paix-là qui est une recherche intérieure, amène à ce que l'on appelle le chemin de l'amour. C'est pour ça d'ailleurs qu'on appelle aussi la spiritualité la religion de l'amour.

  • Merci.

  • Myriam Sellam

    Alors justement, quand toi, tu arrives avec tes 14 ans en Iran, que tu découvres le daf, donc ce tambour, c'est quoi que tu ressens ? C'est cet amour-là ?

  • Rana Gorgani

    J'ouvre la porte à un univers qui était secret. Je l'ai senti très vite et j'ouvre la porte déjà à cette époque-là. Disons-le, ça fait plus de 25 ans, je me suis dit, ça, ça n'existe pas. Là où je vis, là où je suis, donc en Europe et particulièrement en France, Je me suis dit, tiens, je découvre quelque chose qui est en lien avec mes origines et qui est d'une force incroyable. Et ça, à cette époque, je ne savais pas encore que j'allais en faire mon art et que j'allais le partager, le faire découvrir. Mais j'avais conscience de quelque chose qui allait être un trésor. Voilà, ce secret, tout ce qu'il y avait derrière. Parce que... Je tiens à dire que ces pratiques-là en Iran sont faites en plus dans la plus grande discrétion. Car elles sont interdites, tout simplement. On accuse les personnes qui pratiquent la spiritualité soufie de blasphème. Alors c'est intéressant parce que parfois ici en France, je fais tout un travail pour parler du divin. du monde céleste, de tout cet invisible, en disant, attention, je ne parle pas de religion, je ne viens pas faire de prosélytisme, je n'essaie pas de convaincre, parce qu'il s'agit d'autre chose, il s'agit d'une connexion avec la Terre, avec le cosmos, avec les éléments. Lorsque je danse, je mets la main... Droite vers le ciel, la main gauche vers la terre. Et cette idée de reliance entre le monde céleste et le monde terrestre, c'est aussi l'idée d'être porteur de lumière. Ici, il y a tout un travail pour dire ne faisons pas d'amalgame parce qu'en fait la spiritualité soufie, elle s'adresse à tous, quelle que soit la confession. Et en même temps, en fait, en Iran, on accuse les personnes. qui pratiquent cette spiritualité, donc avec pourtant ce message très fort d'être en lien avec l'autre, d'aimer l'autre, de considérer, eh bien ça est vu comme un manque de respect à la religion. Ce qui peut être vu en Occident comme une pratique religieuse, qui ne l'est pas, comme je le dis, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas en lien. Avec des symboles religieux très forts, qu'on retrouve d'ailleurs dans toutes les religions monothéistes. Ici, il y a tout ce travail et en fait, en Iran, c'est le contraire. Les soufis disent mais non, nous, on ne blasphème pas. Pourquoi vous nous accusez de blasphémer alors que nous, nous avons un message fort d'amour et de paix à travers la musique et la danse ?

  • Myriam Sellam

    Alors justement Rana, pour ceux qui ne connaissent pas, parce qu'effectivement c'est encore un peu méconnu ici, la danse ou fille, les dervishes tourneurs expliquent-nous un peu c'est quoi. Je voudrais que tu nous parles d'abord de la symbolique. Pourquoi est-ce qu'on tourne ? Pourquoi est-ce que c'est vers la gauche ? Quels sont un petit peu les piliers de la danse ? Et justement, quelle est cette symbolique ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle vise ?

  • Rana Gorgani

    Alors, tout un programme ! Avant tout, il est important de dire et d'expliquer que cette danse a pour nom Sama qui est un mot d'origine arabe, et en turc on dit Sema et ça signifie littéralement écouter Mais dans ce mot Sama il y a la notion d'audition spirituelle. Un poète très connu qui est Rumi a parlé dans sa poésie, d'ailleurs il dansait lorsqu'il disait la poésie et déclamait, et il parle de Raxesama, qui veut dire littéralement la danse de l'écoute. et on voit bien en fait l'importance finalement d'un état qui me permet d'être reliée et d'être en lien avec le monde et avec ceux qui m'entourent. Et ce lien passe par l'écoute. Donc déjà, cette danse ne s'appelle pas à l'origine danse tournante ou danse soufie, mais le sama. Et il y a la confrérie des derviches tourneurs, le nom de cette confrérie c'est Mevlevi, la confrérie des Mevlevi. qui vient du nom de Rumi, que l'on appelle en arabe et en persan Molono, notre maître, ou en turc Mevlana. Et donc Mevlana a donné la branche Mevlevi, c'est-à-dire les suiveurs de Mevlana, de Rumi, et qui a été fondée par le fils de Rumi, et non pas par Rumi, pour garder la mémoire de son père, qui a largement contribué à mettre la danse au centre. de la spiritualité soufie. Et avec le temps, et surtout en Europe, on les a appelés les dervish-tourneurs. Mais un dervish-tourneur, on l'appelle un semozen ou samozen en arabe, qui veut dire celui ou celle qui pratique l'écoute. Semozen, comme on dirait, alors je vais vulgariser, mais dans un art martial, un judoka, un karatéka, cette danse s'appelle sama. Donc si je pratique cette danse, je suis semozen. peu importe homme ou femme. Donc voilà un peu pour l'origine, mais... On ne trouve pas cette danse uniquement dans la confrérie des Mevlevis, c'est-à-dire la confrérie des Dervish-Turners. On la trouve largement dans tout le monde oriental, là où il y a la pratique de la spiritualité. Et après, elle prend des formes différentes, cette danse. On la retrouve en Égypte, en Syrie, en Iran, en Turquie, en Afghanistan également. Et je tourne donc... Du côté gauche, du côté de mon cœur, comme la terre qui tourne autour du soleil, il y a différents mouvements de bras et chaque mouvement de bras porte un symbole spirituel. Par exemple, le semozen, donc j'allais dire le dervish tourneur, commence toujours les bras croisés. Les bras croisés sur le buste, cette première position est le symbole de l'unité et signifie la vie et la mort.

  • Myriam Sellam

    En même temps.

  • Rana Gorgani

    En même temps.

  • Merci.

  • Rana Gorgani

    Quelque chose qui est intéressant dans la mystique, je dirais la mystique et aussi finalement tout un univers poétique, je danse, le but n'est pas de rentrer en extase, même si cette extase peut venir. Il y a cette idée de libérer l'âme. Et à travers ce mouvement de rotation en lien avec le mouvement de l'univers, en lien avec les planètes qui tournent autour du système solaire, je deviens un. avec l'univers et cette union permet finalement la libération de cet invisible qui fait partie d'un grand tout. et je deviens ce tout, je deviens, je dirais, ce rien, le hich c'est un mot très important dans le soufisme, hich signifie rien et tout à la fois.

  • Myriam Sellam

    L'unité finalement du début.

  • Rana Gorgani

    Exactement, mais pour pouvoir m'unir à ce grand tout et ce rien à la fois, eh bien... Comme dirait Rumi, comme les atomes, je rentre dans ce mouvement que mon âme reconnaît et elle peut ainsi se libérer. On appelle aussi cette danse la mort mystique. Mais la mort mystique,

  • Myriam Sellam

    c'est une renaissance peut-être aussi.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Je meurs pour renaître et je commence les bras croisés, je termine les bras croisés. Donc, nous avons ce mouvement-là. Il y a aussi les deux bras vers le ciel. Ça, c'est l'accueil de la lumière. Être en lien avec le tout, encore. C'est cette idée très forte qu'il y a à l'intérieur de notre être. Tout le mouvement de l'univers, et ça c'est quelque chose aussi qu'on retrouve dans la poésie de Rumi. Il y a une citation de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Tu n'es pas une goutte dans l'océan tu es l'océan dans une goutte. Et je dirais que ça, et bien cette phrase-là, qui est imagée, qui est métaphorique, elle peut être expérimentée à travers le mouvement de tournoiement. La signification profonde de cette phrase, de se sentir à un moment donné, complètement, littéralement, faire partie d'un tout.

  • Myriam Sellam

    C'est donc, si je te suis bien, comme une fenêtre, un passage, une voie. vers quelque chose que l'être humain cherche finalement avant tout, c'est-à-dire du sens, c'est-à-dire se relier et être finalement plus tout seul.

  • Rana Gorgani

    Alors, en t'écoutant, quoi qu'il en soit, Déjà, on part du principe dans la spiritualité soufie que l'on n'est pas seul. Cette idée de solitude n'existe pas. Et la première écoute, d'ailleurs, spirituelle, est l'écoute du battement de cœur. Le divin, cette idée de divin, est en chacun de nous. Donc, la recherche, elle est vraiment intérieure. Mais je pense que la pratique de cette danse, en fait, ce n'est pas une question de... de se sentir seule ou pas seule, parce qu'il peut y avoir des émotions très fortes qui arrivent et qui peuvent être justement, bien au contraire, sentir le détachement avec le reste du monde. Donc sentir en même temps que finalement, toutes les choses auxquelles je suis attachée sur cette terre, sont non seulement éphémères, mais ne sont que des projections. Et donc je crois que c'est plutôt, je dirais même le contraire, la pratique de la danse soufie peut-être me permet de sentir que je suis un et qu'il n'y a pas besoin d'autre, de l'autre.

  • Myriam Sellam

    Oui, donc c'est l'inverse,

  • Rana Gorgani

    effectivement. Voilà, mais attention, ça ne veut pas dire que pratiquer la danse soufie va faire que je me sépare des personnes que j'aime. Non, bien au contraire. Mais sentir en fait que toutes les projections que je peux faire et puis les peurs que l'on peut avoir de perdre l'autre ou des attentes qu'on peut avoir d'une certaine manière disparaissent. C'est aussi une forme de méditation. On dit que la méditation, je pense aux pratiques zen par exemple, où il y a cette idée de détachement et de détachement pour pleinement se réaliser soi, est également présente dans le soufisme et dans la danse soufie. D'ailleurs, il y a quelque chose que je dis souvent. Lors des ateliers, puisque je fais toute une préparation à l'écoute, j'ai une façon de travailler assez particulière, c'est-à-dire en guise d'échauffement, eh bien, je vais emmener les personnes à travailler l'écoute, une écoute profonde. avec les yeux fermés. Donc, en même temps, on perd la notion d'espace, on perd la notion aussi de l'autre, puisque chacun, en fait, les yeux fermés, rentrent dans cette écoute, perçoit les sons différemment, et j'emmène les participants à se mouvoir dans l'espace, les yeux fermés, et je leur dis souvent, tu marches seul, mais tu n'es pas seul. Et c'est ça, finalement, c'est une danse qui est très intime, très individuelle et qui nous... Il y a beaucoup d'opposés parce que j'ai envie de te dire, si je pense aussi à mon expérience lorsque je danse, lorsque je suis sur scène, à la fois, je suis coupée du monde, je ne suis plus là, clairement.

  • Myriam Sellam

    Tu es dans un état de conscience modifié finalement.

  • Rana Gorgani

    De manière scientifique, on peut appeler... Moi, je vois ça différemment, mais je ne suis plus à un endroit précis, très vite d'ailleurs, alors peut-être pas les premières minutes, mais bien souvent, lorsque je danse sur scène, ça peut durer jusqu'à une heure, une heure et demie, je tourne sans m'arrêter, et au bout de quelques minutes, la seule chose qui me relie, c'est le son, c'est la musique. Je reste en lien avec le présent par rapport au son. Mais très vite, j'oublie que je suis dans un théâtre, je ne pense plus au public, mais tout en ressentant les présences. C'est ça le paradoxe. Alors dire, là je rentre dans quelque chose d'un peu mystique, mais...

  • Myriam Sellam

    Mais en fait, tu es là et partout.

  • Rana Gorgani

    Je suis là et plus là à la fois. Je suis là et plus là à la fois. Et il y a quelque chose de l'ordre de l'abandon. Et quand on goûte à cet abandon, et quand on accepte aussi de s'abandonner... À travers ce mouvement, c'est là où on peut parler d'état de trance, si tu veux, ou d'extase. Et ce que l'on ressent est très puissant. On peut d'ailleurs traverser des émotions différentes suite à cette pratique. Avec le temps, moi, j'ai appris à revenir très vite. C'est-à-dire comme...

  • Myriam Sellam

    À revenir dans ton corps, finalement.

  • Rana Gorgani

    Oui, à revenir dans mon corps. Oui. Oui, c'est le mot juste. Et plus le temps passe, je ne dirais pas que j'ai peur, mais je me dis, oh là là, qu'est-ce qui va se passer cette fois-ci ? Parce que j'ai expérimenté et je sais. Et à chaque fois, c'est différent. Pour te faire une confidence, bien que ça fait plus de 15 ans maintenant, j'ai toujours l'impression que c'est la première fois. toujours.

  • Myriam Sellam

    C'est merveilleux, ça.

  • Rana Gorgani

    Et ça, c'est quelque chose de merveilleux. Je pense que c'est pour ça que je continue à faire toujours la même chose, à tourner. Et oui, je pense que c'est ça. Je continue de... Parce qu'en fait, j'ai l'impression qu'on parlait de renaissance, de naissance. Eh bien, oui, je l'expérimente à chaque fois pour la première fois. Et ça, c'est très étrange comme sensation. Et ce n'est pas de l'ordre technique, en fait. D'ailleurs, ça, c'est quelque chose que je pense que tous les danseurs diront. Par contre, bien sûr que j'ai une certaine technique. Et c'est cette technique-là sur laquelle je me repose.

  • Myriam Sellam

    Comme toujours.

  • Rana Gorgani

    Voilà. Parce qu'il y a des moments où, à la fin d'un spectacle, je n'aime pas trop ce mot, mais de présentation de danse soufie. j'ai tout oublié. Je ne sais pas ce qui s'est passé.

  • Myriam Sellam

    Incroyable.

  • Rana Gorgani

    Donc vraiment, je m'en remets à mon corps. Je me dis, voilà, mon corps, il sait ce qu'il doit faire. Il connaît les mouvements, il connaît les pas. Et après, ce que je vais faire, ça, ce n'est pas de...

  • Myriam Sellam

    De ton ressort.

  • Rana Gorgani

    De mon ressort. Et c'est là où on peut parler de trans. Oui. J'ai dû, d'ailleurs, apprendre à contrôler ces états-là.

  • Myriam Sellam

    Et comment tu fais pour contrôler ça ?

  • Rana Gorgani

    je pense à une phrase de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Je suis comme un compas, un pied fixé sur ma foi et l'autre pied qui parcourt les 72 nations. Et j'ai dû solidifier ce pied qui est comme un compas.

  • Myriam Sellam

    Voilà. La terre toujours restée ancrée.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Voilà. Et avec le temps, j'ai pu me dire très bien, je vais partir dans le tournoiement, je vais traverser certains états que je ne vais pas contrôler, mais je vais faire toujours en sorte de garder cet ancrage, le centre en fait. Ce que je fais sur scène est encore différent de ce que je peux faire lors de cérémonie soufie.

  • Myriam Sellam

    En quoi c'est différent ?

  • Rana Gorgani

    Parce que là, lors d'une cérémonie soufie, la seule différence, c'est que je ne suis pas, disons-le clairement, je ne suis pas en représentation. Même si moi, je n'ai jamais l'impression d'être en représentation. Vraiment. Mais il y a quand même cette notion-là, sur scène, de rester centré avec la lumière. Il y a quand même un début, il y a quand même une fin. Tandis que lors d'une cérémonie soufie, je danse de la même manière. Je n'adapte pas ma danse, puisque c'est une danse qui est avant tout, chez moi, une croyance profonde de tout ce que je raconte. Heureusement, j'y crois. j'y crois et je ne me pose pas la question de savoir qu'est-ce qui est de l'ordre du mystique qu'est-ce qui est de l'ordre de la réalité de ce qui se passe tu parlais d'état modifié de conscience moi j'emmène d'autres mots, j'emmène d'autres images je parle de libération de l'âme quand d'autres parleraient de trans ou d'état modifié de conscience je parle de rentrer dans le monde céleste quand certains diraient il y a cette perte de repère et il y a la musique répétitive qui fait que le corps, d'une certaine manière, puisqu'il est dans un état de trance, ne contrôle plus ses mouvements. Moi, je ne vois pas comme une perte de contrôle.

  • Myriam Sellam

    Tu rentres dans un autre contrôle, finalement, qui est le non-contrôle, peut-être ?

  • Rana Gorgani

    Je rentre dans le monde de l'invisible. Justement, lors d'une cérémonie, là, je vais beaucoup plus loin. Je vais déjà très loin sur scène, mais je vais beaucoup plus loin. Je n'ai plus aucune limite. Je vais donner un exemple concret.

  • Myriam Sellam

    Oui, parce que c'est vrai que c'est difficile pour nous.

  • Rana Gorgani

    Je me souviens, j'ai travaillé avec un chorégraphe qui s'appelle Mathieu Auckmiller, qui est un chorégraphe qui crée des pièces plutôt contemporaines, qui m'a vue une fois sur scène et qui a été, en tout cas il me semble, c'est pour ça qu'il a voulu travailler avec moi, assez fasciné. Et il m'a parlé d'un projet, il m'a dit, je souhaiterais faire un portrait de toi, de ton histoire et mettre cela en scène et je te laisserai libre pour la danse. Donc moi, ça m'allait très bien puisque comme j'ai cette difficulté de contrôle de mouvement, c'est impossible. Pour moi, le mot chorégraphie est assez abstrait. Il a très vite compris un peu. Il m'a dit, voilà, moi, j'ai cette idée de faire un portrait. et le texte serait projeté sur scène, la musique serait en continu. Donc, es-tu intéressée ? J'ai trouvé ça très intéressant d'emmener ce côté contemporain, c'est-à-dire de montrer au public en même temps cette danse spirituelle, en la liant avec mon histoire personnelle, qui est très concrète. Et donc de montrer ces deux côtés finalement au public, j'avais trouvé que c'était une idée très intéressante. Et une fois en répétition... Un cri sort de mon corps, je dirais. Comme vraiment un cri de... Quand je crie comme ça, c'est... Je ne sais même pas si j'arriverais à expliquer ce que je ressens. Mais oui, c'est clairement un cri à la fois de libération. En fait, il y a tout dans ce cri. C'est de vie aussi. Oui, et puis de détresse aussi. Parce que je pense qu'on est enfermé. L'être humain est enfermé. Et d'ailleurs, pas que la danse ou fille, mais l'art en général permet cette libération. Je pense que c'est aussi pour ça que l'être humain a besoin de l'art, de la musique, de la danse. la peinture, peu importe, pour exprimer ce qu'il y a à l'intérieur de soi. Et heureusement que l'art existe pour pouvoir exprimer. C'est souvent des douleurs que les artistes expriment. Je pense encore une fois à une phrase de Rumi qui dit que Shams a dit à Rumi, alors Shams était le maître de Rumi, je ne sais pas si on aura le temps d'en parler, mais il lui dira c'est par la blessure que la lumière rentre Et je pense que parfois, s'il y a des sons qui arrivent pendant que je danse, que je ne choisis pas d'émettre, et bien c'est tout à coup... la blessure qui s'ouvre et qui fait rentrer la lumière. Et je me souviendrai toujours, il me dit à la fin, il faudrait ne pas mettre ce cri. C'est vrai que ça arrive comme ça, c'est très surprenant. Et d'ailleurs, je ne me souvenais même pas que j'avais crié. Et j'ai dû lui expliquer que ce n'est pas voulu. Donc il me dit de ne pas faire ça sur scène.

  • Myriam Sellam

    Telle une chorégraphie.

  • Rana Gorgani

    Voilà, de la présentation. Et en même temps, c'est quelque chose que je ne peux pas... contrôlé. Et d'un autre côté, je comprenais tout à fait ce qu'il essayait de me dire et son point de vue et que ça pouvait vraiment décontenancer le public et que ça, c'était pas le but. Et au début, je ne voulais rien entendre, j'insistais, je disais non mais ça je ne peux pas le contrôler, ce n'est pas moi qui décide, etc. Et je me suis dit en fait si.

  • Myriam Sellam

    je vais le contrôler. J'ai assez d'expérience. Je crois que je peux, justement, comme quelque chose... Je vais dire l'image qui me vient, mais ça peut paraître un peu cru. On peut d'ailleurs retrouver ça dans le tantrisme, de contrôler un orgasme, par exemple. Donc, d'arriver, je me suis dit, mais... en fait, je ne peux pas dire non, mais moi, ce qui se passe quand je danse est incontrôlable, etc. Je me suis dit, non, je vais travailler sur ça. Je vais travailler pour, même quand je vais sentir ces moments où clairement, là, je pars dans des états d'extase, disons-le, je vais le repousser, le repousser, le repousser. Et ce travail m'a aidée à avoir plus de retenue. Voilà, de retenue. Et en même temps, ça devient une force. Ça devient une force parce que ça décuple même, je me suis rendue compte que ça va, le fait de retenir certains états décuple mes capacités physiques. Par contre, quand je suis dans une cérémonie soufie, là, je ne me pose aucune question. Et donc, est-ce que t'as... Exactement. Voilà, je ne me dis pas, mais ça, est-ce que le public peut recevoir ça ? Ou est-ce que ça a été prévu ? il n'y a pas de jeu de lumière, il n'y a pas de début, il n'y a pas de fin. Puisque pendant les cérémonies soufis, c'est souvent des musiques qui durent plusieurs heures. Et je m'arrête quand je veux, je commence quand je veux. Donc, c'est pas... Oui,

  • Rana Gorgani

    il y a une liberté quand même, bien sûr, qui te permet ça. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de cadre, du coup, du spectateur. Ça doit durer une heure, etc. Et forcément... Si on revient, parce qu'on a fait une belle parenthèse nécessaire selon moi, si on revient à tes 14 ans, au départ, tu ne sais pas tout ça. Tu vas faire différents allers-retours en Iran. Qu'est-ce qui se passe après ?

  • Myriam Sellam

    Après, je garde, je parlais de secret, je garde un peu cette pratique comme un secret. Je ne le partage pas. Et aussi parce qu'en Iran, les cérémonies, c'était vraiment privé. Donc j'assiste à une première cérémonie. Et d'ailleurs, j'ai été, pour la petite histoire, dans une des confréries où j'ai été, j'ai été la première femme. à rentrer. Ils n'avaient jamais fait rentrer de femmes. Il n'y avait que des hommes. Je suis rentrée dans cette cérémonie et là, j'ai vu la puissance et la force de ces pratiques, que ce soit la musique, la danse, les prières. Et quelques années après, j'ai intégré une confrérie de femmes. Et donc, je faisais des voyages en Iran, où là, je pratiquais, mais... À aucun moment je me suis dit, tiens, je vais en faire mon art. D'ailleurs, j'ai fait du théâtre et je suis allée en Iran, j'ai appris les danses iraniennes. Traditionnelle ? Traditionnelle iranienne. Et j'ai créé plusieurs spectacles en présentant les danses d'Iran, mais pas uniquement d'Iran, d'Azerbaïdjan, d'Afghanistan. Donc vraiment dans un domaine qui était très traditionnel. Et il y a eu plusieurs événements. Un spectacle que j'avais créé, j'interprétais plusieurs danses. D'ailleurs, je dis le mot interpréter.

  • Rana Gorgani

    Oui, contrairement à ce que tu fais actuellement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Actuellement, je ne me dis pas du tout que j'interprète. En fait, je n'interprète rien du tout. C'est moi dans toute sa vérité, je ne sais pas. Mais c'est vraiment comme se mettre à nu. C'est ça, en fait. Donc, je ne peux proposer que ce qui m'anime, ce que je suis dans une vraie sincérité, bien qu'un interprète est aussi sincère. Donc, je disais, j'interprétais. Je me souviens, j'avais choisi le chiffre symbolique, sept danses différentes. C'était sud de l'Iran, nord de l'Iran, les danses de tribus nomades, je faisais des danses afghanes, ouzbeks, tajiks, d'Azerbaïdjan, enfin voilà. Je mettais des costumes magnifiques et à chaque changement de costume, il y avait les musiciens sur scène, jouaient, donc il y avait une partie avec la musique et danse et puis quand je sortais pour me changer, mettre une autre tenue, la musique continuait. Et c'est ainsi qu'il n'y avait, j'étais seule en scène avec des musiciens, qu'il n'y avait pas de coupure. Et la dernière danse, je tournais dans une robe blanche que j'avais fait faire en Iran. Et puis au fil des années, je me suis rendue compte que le public était extrêmement touché par cette dernière danse, qui était la danse soufie.

  • Rana Gorgani

    Plus particulièrement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Et même ne retenez que ça. Ça, ça m'a marquée. Je me suis dit mais... C'est intéressant puisque les danses précédentes, j'ai des tenues, des costumes magnifiques, des tenues très sophistiquées. Vraiment, c'était dans le moindre détail, les bijoux assortis aux tenues, des gestuels aussi travaillés. Alors que cette dernière danse, je tourne simplement dans une robe blanche quelques minutes. et c'est extrêmement simple et pour moi ça l'était en fait ce qui était difficile c'était d'interpréter toutes ces danses avant cette dernière danse Et les témoignages ont commencé à me faire comprendre que je devais prendre peut-être ce chemin-là pour mon travail artistique. Je dis souvent que mon art est devenu spirituel avec le temps, mais je n'ai jamais choisi ça. Et je me souviendrai toujours d'une fin de spectacle, c'était à l'Institut du Monde Arabe. et il y a un vieux monsieur qui était syrien. Je ne sais pas qui c'était, mais qui voulait me voir. On m'appelle, on me dit Quelqu'un veut venir te saluer. Et ce monsieur, il avait les larmes aux yeux, il a pris ma main et il a baisé ma main. Et il m'a dit Merci. Merci d'avoir tourné pour nous. Et je me suis dit, je me souviens, je me suis dit, tiens, il sait, il connaît. parce qu'à cette époque-là je parlais très peu de spiritualité de tout ce qu'on vient d'évoquer et il m'a dit ça et dans son regard j'ai compris qu'il connaissait on dit le derviche reconnaît le derviche on dit que même parfois tu peux reconnaître un balayeur ou peu importe c'est quelque chose qui est de cœur à cœur mais j'ai vu dans les yeux de ce monsieur comment dire je crois que je me suis vue et je crois qu'il s'est vu à travers moi. Et cette idée de miroir, cette idée de cette danse qui est une ouverture du cœur, et on parlait aussi de lumière tout à l'heure, je crois que j'ai perçu la lumière qu'il avait perçue. Et ça, ça ne vient pas de moi directement, de mon être. Je pense qu'on s'est reconnu à ce moment-là comme on peut reconnaître. Parfois, je disais, le derviche reconnaît le derviche. Eh bien, on peut croiser le regard d'un balayeur. Et en fait, à travers ce simple regard, il y a quelque chose qui est communiqué, qui nous touche profondément.

  • Rana Gorgani

    Finalement, c'est de l'ordre de l'âme.

  • Myriam Sellam

    Ah mais bien sûr, ça n'est que ça. Alors l'âme, on y croit ou on n'y croit pas, mais c'est cet invisible qui existe, qui est là. Et je pense que quand on parle de danse sophie, on rentre dans le domaine de l'invisible. D'ailleurs, on appelle aussi la danse soufie, elle a plusieurs noms, mais la danse des âmes. On se reconnaît à travers l'autre. Et il y a comme un effet de miroir, je pense, de miroir. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un miroir ? Il reflète la lumière.

  • Rana Gorgani

    Voilà, c'est la fin de la première partie de cet épisode. Merci de l'avoir écouté jusqu'au bout. J'espère qu'il vous a plu et si c'est le cas, abonnez-vous. Je serai toujours ravie d'avoir vos retours et suggestions. Alors n'hésitez pas à me faire part de vos coups de cœur ou de vos idées en me contactant directement via Instagram ou Facebook. Je vous donne rendez-vous le 16 juin pour la seconde partie de cet épisode où nous allons découvrir comment Rana a incarné l'une des plus grandes figures de la danse soufie en Occident. A très bientôt !

Share

Embed

You may also like

Description

Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant : la danse des derviches tourneurs.


S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. 

Ancrée dans la tradition soufie et née au 13eme siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement.

 

Si je vous dis "derviches tourneurs", j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel.

 

Pourtant,  il y a également des femmes qui pratiquent cette danse fondée par le célèbre poète mystique Rûmi.

 

Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ces plus grandes ambassadrices.  Elle est aussi l'une des seules femmes derviches tourneurs à se produire sur scène…

 

Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art. Au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes.

 

Elle s'est également engagée pour défendre leurs droits et qu'elle entend faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

 

Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie… C'est ce dont on va parler aujourd'hui…


Vous pouvez retrouver toutes les informations la concernant (stages, retraites, événements) sur https://www.rana-gorgani.com/


ainsi que sur instagram: https://www.instagram.com/ranagorgani/


Musiques :

Daf - Kamkar Ensemble

The glance of the beloved - Alireza Ghorbani


Photo: Julian Succo


Et voici les liens du podcast sur les réseaux sociaux:

Le compte Instagram du podcast : https://www.instagram.com/lessensdeladanse.podcast/

Le compte Facebook du podcast : https://www.facebook.com/lessensdeladanse.podcast


Très belle écoute !



 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Rana Gorgani

    Les Sens de la danse, le podcast qui met de la conscience dans le mouvement. Bonjour à tous, je suis ravie de vous retrouver. Et étant donné cette météo pour le moins capricieuse, je vous propose aujourd'hui de partir pour un nouveau voyage au chaud, ça va sans dire. Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant, la danse des Davish Tourneurs. S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. Ancrée dans la tradition soufie et née au XIIIe siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement. Alors si je vous dis Dervish Turner, j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel. Pourtant, il y a également des femmes qui pratiquent cette danse, fondée par le célèbre poète mystique Rumi. Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ses plus grandes ambassadrices. Elle est aussi l'une des seules femmes Dervish Turner à se produire sur scène. On ne peut pas être femme sous fille et en même temps se produire sur scène. Parce que justement, il y a un endroit où on ne respecte pas la tradition. Donc moi, d'une certaine manière, j'ai cassé tous les codes. Mais on peut sortir de la tradition si on a été dans la tradition. Et c'est parce que j'ai été dans la tradition qu'à un moment donné, je me suis dit tiens, je vais sortir de ça.

  • Myriam Sellam

    Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art, au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes. Elle s'est engagée aussi pour défendre leurs droits et elle pourra le faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

  • C'est un honneur de porter la flamme. au nom de la lutte des femmes iraniennes. C'est vraiment pour moi un symbole fort et je ne pouvais que l'accepter. Et je ne me dis pas, d'ailleurs ce n'est pas le cas, que c'est moi, Rana Ghorgani, l'artiste qui porte cette flamme. Je me dis simplement que je porte cette flamme pour le peuple iranien et oui, particulièrement les femmes. et ça, ça me touche profondément.

  • Myriam Sellam

    Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie, c'est ce dont on va parler aujourd'hui. Et avant de commencer, vous savez que votre soutien est essentiel pour que ce podcast continue de grandir. Alors abonnez-vous pour ne rien manquer des prochains épisodes. Vos avis sur les plateformes d'écoute m'aident aussi énormément. Alors si vous appréciez le contenu, n'hésitez pas à laisser 5 étoiles et un petit commentaire. Un grand merci pour votre fidélité. Je vous souhaite une très belle écoute. Bonjour Anna.

  • Rana Gorgani

    Bonjour.

  • Myriam Sellam

    Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ?

  • Rana Gorgani

    Très bien, je suis ravie d'être là et d'avoir cette chance, cette opportunité de parler de danse et de spiritualité, j'espère, parce que c'est le cœur de la danse soufie, la spiritualité.

  • Myriam Sellam

    Eh bien, on va en parler et je suis aussi ravie parce que c'est une belle synchronicité qui nous a fait se parler aujourd'hui lors d'un bel événement et j'ai vu vraiment ça comme un signe et je suis vraiment contente. de t'avoir aujourd'hui. Et spiritualité, oui, j'espère bien qu'on va en parler. On va commencer, si tu veux bien, par le commencement. Comment est-ce que finalement, toi, tu as découvert cette danse spirituelle, sacrée, soufie que tu fais ?

  • Rana Gorgani

    Je l'ai découverte, j'étais assez jeune, j'étais adolescente. C'était lors de mon premier voyage en Iran. Le fait est que je n'ai pas pu découvrir mon pays d'origine avant l'âge de mes 14 ans. Donc je dis souvent que je me sens appartenir au monde pour la simple et bonne raison que j'ai mon père qui est kurde, ma mère iranienne. Je suis née en Allemagne, nous sommes venues vivre en France et jusqu'à très tard, je ne connaissais pas l'Iran et je l'idéalisais d'une certaine manière d'ailleurs. Et quand j'ai pu aller en Iran... Pour la première fois, j'ai très vite été attirée par la musique. Donc c'est d'abord la musique qui m'a mis en lien avec la danse et la spiritualité soufie. J'ai voulu apprendre un instrument qui s'appelle le daf, qui est une percussion soufie, qui est un instrument qu'on utilise lors des cérémonies avec des rythmes répétitifs. Et là, le corps... et est entraîné d'une certaine manière dans des mouvements également répétitifs à travers des chants sacrés. Et lorsque j'ai commencé à essayer d'approcher cet instrument, je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement un instrument que j'approchais, mais tout un univers où il y avait la présence de la musique, de la danse, des chants, et j'ai découvert ainsi le soufisme. En me familiarisant avec la danse, j'ai aussi découvert qu'il ne s'agissait pas que de danse, mais derrière il y a un message qui est fort, un message universel, d'avant tout de paix. Et c'est cette paix-là qui est une recherche intérieure, amène à ce que l'on appelle le chemin de l'amour. C'est pour ça d'ailleurs qu'on appelle aussi la spiritualité la religion de l'amour.

  • Merci.

  • Myriam Sellam

    Alors justement, quand toi, tu arrives avec tes 14 ans en Iran, que tu découvres le daf, donc ce tambour, c'est quoi que tu ressens ? C'est cet amour-là ?

  • Rana Gorgani

    J'ouvre la porte à un univers qui était secret. Je l'ai senti très vite et j'ouvre la porte déjà à cette époque-là. Disons-le, ça fait plus de 25 ans, je me suis dit, ça, ça n'existe pas. Là où je vis, là où je suis, donc en Europe et particulièrement en France, Je me suis dit, tiens, je découvre quelque chose qui est en lien avec mes origines et qui est d'une force incroyable. Et ça, à cette époque, je ne savais pas encore que j'allais en faire mon art et que j'allais le partager, le faire découvrir. Mais j'avais conscience de quelque chose qui allait être un trésor. Voilà, ce secret, tout ce qu'il y avait derrière. Parce que... Je tiens à dire que ces pratiques-là en Iran sont faites en plus dans la plus grande discrétion. Car elles sont interdites, tout simplement. On accuse les personnes qui pratiquent la spiritualité soufie de blasphème. Alors c'est intéressant parce que parfois ici en France, je fais tout un travail pour parler du divin. du monde céleste, de tout cet invisible, en disant, attention, je ne parle pas de religion, je ne viens pas faire de prosélytisme, je n'essaie pas de convaincre, parce qu'il s'agit d'autre chose, il s'agit d'une connexion avec la Terre, avec le cosmos, avec les éléments. Lorsque je danse, je mets la main... Droite vers le ciel, la main gauche vers la terre. Et cette idée de reliance entre le monde céleste et le monde terrestre, c'est aussi l'idée d'être porteur de lumière. Ici, il y a tout un travail pour dire ne faisons pas d'amalgame parce qu'en fait la spiritualité soufie, elle s'adresse à tous, quelle que soit la confession. Et en même temps, en fait, en Iran, on accuse les personnes. qui pratiquent cette spiritualité, donc avec pourtant ce message très fort d'être en lien avec l'autre, d'aimer l'autre, de considérer, eh bien ça est vu comme un manque de respect à la religion. Ce qui peut être vu en Occident comme une pratique religieuse, qui ne l'est pas, comme je le dis, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas en lien. Avec des symboles religieux très forts, qu'on retrouve d'ailleurs dans toutes les religions monothéistes. Ici, il y a tout ce travail et en fait, en Iran, c'est le contraire. Les soufis disent mais non, nous, on ne blasphème pas. Pourquoi vous nous accusez de blasphémer alors que nous, nous avons un message fort d'amour et de paix à travers la musique et la danse ?

  • Myriam Sellam

    Alors justement Rana, pour ceux qui ne connaissent pas, parce qu'effectivement c'est encore un peu méconnu ici, la danse ou fille, les dervishes tourneurs expliquent-nous un peu c'est quoi. Je voudrais que tu nous parles d'abord de la symbolique. Pourquoi est-ce qu'on tourne ? Pourquoi est-ce que c'est vers la gauche ? Quels sont un petit peu les piliers de la danse ? Et justement, quelle est cette symbolique ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle vise ?

  • Rana Gorgani

    Alors, tout un programme ! Avant tout, il est important de dire et d'expliquer que cette danse a pour nom Sama qui est un mot d'origine arabe, et en turc on dit Sema et ça signifie littéralement écouter Mais dans ce mot Sama il y a la notion d'audition spirituelle. Un poète très connu qui est Rumi a parlé dans sa poésie, d'ailleurs il dansait lorsqu'il disait la poésie et déclamait, et il parle de Raxesama, qui veut dire littéralement la danse de l'écoute. et on voit bien en fait l'importance finalement d'un état qui me permet d'être reliée et d'être en lien avec le monde et avec ceux qui m'entourent. Et ce lien passe par l'écoute. Donc déjà, cette danse ne s'appelle pas à l'origine danse tournante ou danse soufie, mais le sama. Et il y a la confrérie des derviches tourneurs, le nom de cette confrérie c'est Mevlevi, la confrérie des Mevlevi. qui vient du nom de Rumi, que l'on appelle en arabe et en persan Molono, notre maître, ou en turc Mevlana. Et donc Mevlana a donné la branche Mevlevi, c'est-à-dire les suiveurs de Mevlana, de Rumi, et qui a été fondée par le fils de Rumi, et non pas par Rumi, pour garder la mémoire de son père, qui a largement contribué à mettre la danse au centre. de la spiritualité soufie. Et avec le temps, et surtout en Europe, on les a appelés les dervish-tourneurs. Mais un dervish-tourneur, on l'appelle un semozen ou samozen en arabe, qui veut dire celui ou celle qui pratique l'écoute. Semozen, comme on dirait, alors je vais vulgariser, mais dans un art martial, un judoka, un karatéka, cette danse s'appelle sama. Donc si je pratique cette danse, je suis semozen. peu importe homme ou femme. Donc voilà un peu pour l'origine, mais... On ne trouve pas cette danse uniquement dans la confrérie des Mevlevis, c'est-à-dire la confrérie des Dervish-Turners. On la trouve largement dans tout le monde oriental, là où il y a la pratique de la spiritualité. Et après, elle prend des formes différentes, cette danse. On la retrouve en Égypte, en Syrie, en Iran, en Turquie, en Afghanistan également. Et je tourne donc... Du côté gauche, du côté de mon cœur, comme la terre qui tourne autour du soleil, il y a différents mouvements de bras et chaque mouvement de bras porte un symbole spirituel. Par exemple, le semozen, donc j'allais dire le dervish tourneur, commence toujours les bras croisés. Les bras croisés sur le buste, cette première position est le symbole de l'unité et signifie la vie et la mort.

  • Myriam Sellam

    En même temps.

  • Rana Gorgani

    En même temps.

  • Merci.

  • Rana Gorgani

    Quelque chose qui est intéressant dans la mystique, je dirais la mystique et aussi finalement tout un univers poétique, je danse, le but n'est pas de rentrer en extase, même si cette extase peut venir. Il y a cette idée de libérer l'âme. Et à travers ce mouvement de rotation en lien avec le mouvement de l'univers, en lien avec les planètes qui tournent autour du système solaire, je deviens un. avec l'univers et cette union permet finalement la libération de cet invisible qui fait partie d'un grand tout. et je deviens ce tout, je deviens, je dirais, ce rien, le hich c'est un mot très important dans le soufisme, hich signifie rien et tout à la fois.

  • Myriam Sellam

    L'unité finalement du début.

  • Rana Gorgani

    Exactement, mais pour pouvoir m'unir à ce grand tout et ce rien à la fois, eh bien... Comme dirait Rumi, comme les atomes, je rentre dans ce mouvement que mon âme reconnaît et elle peut ainsi se libérer. On appelle aussi cette danse la mort mystique. Mais la mort mystique,

  • Myriam Sellam

    c'est une renaissance peut-être aussi.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Je meurs pour renaître et je commence les bras croisés, je termine les bras croisés. Donc, nous avons ce mouvement-là. Il y a aussi les deux bras vers le ciel. Ça, c'est l'accueil de la lumière. Être en lien avec le tout, encore. C'est cette idée très forte qu'il y a à l'intérieur de notre être. Tout le mouvement de l'univers, et ça c'est quelque chose aussi qu'on retrouve dans la poésie de Rumi. Il y a une citation de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Tu n'es pas une goutte dans l'océan tu es l'océan dans une goutte. Et je dirais que ça, et bien cette phrase-là, qui est imagée, qui est métaphorique, elle peut être expérimentée à travers le mouvement de tournoiement. La signification profonde de cette phrase, de se sentir à un moment donné, complètement, littéralement, faire partie d'un tout.

  • Myriam Sellam

    C'est donc, si je te suis bien, comme une fenêtre, un passage, une voie. vers quelque chose que l'être humain cherche finalement avant tout, c'est-à-dire du sens, c'est-à-dire se relier et être finalement plus tout seul.

  • Rana Gorgani

    Alors, en t'écoutant, quoi qu'il en soit, Déjà, on part du principe dans la spiritualité soufie que l'on n'est pas seul. Cette idée de solitude n'existe pas. Et la première écoute, d'ailleurs, spirituelle, est l'écoute du battement de cœur. Le divin, cette idée de divin, est en chacun de nous. Donc, la recherche, elle est vraiment intérieure. Mais je pense que la pratique de cette danse, en fait, ce n'est pas une question de... de se sentir seule ou pas seule, parce qu'il peut y avoir des émotions très fortes qui arrivent et qui peuvent être justement, bien au contraire, sentir le détachement avec le reste du monde. Donc sentir en même temps que finalement, toutes les choses auxquelles je suis attachée sur cette terre, sont non seulement éphémères, mais ne sont que des projections. Et donc je crois que c'est plutôt, je dirais même le contraire, la pratique de la danse soufie peut-être me permet de sentir que je suis un et qu'il n'y a pas besoin d'autre, de l'autre.

  • Myriam Sellam

    Oui, donc c'est l'inverse,

  • Rana Gorgani

    effectivement. Voilà, mais attention, ça ne veut pas dire que pratiquer la danse soufie va faire que je me sépare des personnes que j'aime. Non, bien au contraire. Mais sentir en fait que toutes les projections que je peux faire et puis les peurs que l'on peut avoir de perdre l'autre ou des attentes qu'on peut avoir d'une certaine manière disparaissent. C'est aussi une forme de méditation. On dit que la méditation, je pense aux pratiques zen par exemple, où il y a cette idée de détachement et de détachement pour pleinement se réaliser soi, est également présente dans le soufisme et dans la danse soufie. D'ailleurs, il y a quelque chose que je dis souvent. Lors des ateliers, puisque je fais toute une préparation à l'écoute, j'ai une façon de travailler assez particulière, c'est-à-dire en guise d'échauffement, eh bien, je vais emmener les personnes à travailler l'écoute, une écoute profonde. avec les yeux fermés. Donc, en même temps, on perd la notion d'espace, on perd la notion aussi de l'autre, puisque chacun, en fait, les yeux fermés, rentrent dans cette écoute, perçoit les sons différemment, et j'emmène les participants à se mouvoir dans l'espace, les yeux fermés, et je leur dis souvent, tu marches seul, mais tu n'es pas seul. Et c'est ça, finalement, c'est une danse qui est très intime, très individuelle et qui nous... Il y a beaucoup d'opposés parce que j'ai envie de te dire, si je pense aussi à mon expérience lorsque je danse, lorsque je suis sur scène, à la fois, je suis coupée du monde, je ne suis plus là, clairement.

  • Myriam Sellam

    Tu es dans un état de conscience modifié finalement.

  • Rana Gorgani

    De manière scientifique, on peut appeler... Moi, je vois ça différemment, mais je ne suis plus à un endroit précis, très vite d'ailleurs, alors peut-être pas les premières minutes, mais bien souvent, lorsque je danse sur scène, ça peut durer jusqu'à une heure, une heure et demie, je tourne sans m'arrêter, et au bout de quelques minutes, la seule chose qui me relie, c'est le son, c'est la musique. Je reste en lien avec le présent par rapport au son. Mais très vite, j'oublie que je suis dans un théâtre, je ne pense plus au public, mais tout en ressentant les présences. C'est ça le paradoxe. Alors dire, là je rentre dans quelque chose d'un peu mystique, mais...

  • Myriam Sellam

    Mais en fait, tu es là et partout.

  • Rana Gorgani

    Je suis là et plus là à la fois. Je suis là et plus là à la fois. Et il y a quelque chose de l'ordre de l'abandon. Et quand on goûte à cet abandon, et quand on accepte aussi de s'abandonner... À travers ce mouvement, c'est là où on peut parler d'état de trance, si tu veux, ou d'extase. Et ce que l'on ressent est très puissant. On peut d'ailleurs traverser des émotions différentes suite à cette pratique. Avec le temps, moi, j'ai appris à revenir très vite. C'est-à-dire comme...

  • Myriam Sellam

    À revenir dans ton corps, finalement.

  • Rana Gorgani

    Oui, à revenir dans mon corps. Oui. Oui, c'est le mot juste. Et plus le temps passe, je ne dirais pas que j'ai peur, mais je me dis, oh là là, qu'est-ce qui va se passer cette fois-ci ? Parce que j'ai expérimenté et je sais. Et à chaque fois, c'est différent. Pour te faire une confidence, bien que ça fait plus de 15 ans maintenant, j'ai toujours l'impression que c'est la première fois. toujours.

  • Myriam Sellam

    C'est merveilleux, ça.

  • Rana Gorgani

    Et ça, c'est quelque chose de merveilleux. Je pense que c'est pour ça que je continue à faire toujours la même chose, à tourner. Et oui, je pense que c'est ça. Je continue de... Parce qu'en fait, j'ai l'impression qu'on parlait de renaissance, de naissance. Eh bien, oui, je l'expérimente à chaque fois pour la première fois. Et ça, c'est très étrange comme sensation. Et ce n'est pas de l'ordre technique, en fait. D'ailleurs, ça, c'est quelque chose que je pense que tous les danseurs diront. Par contre, bien sûr que j'ai une certaine technique. Et c'est cette technique-là sur laquelle je me repose.

  • Myriam Sellam

    Comme toujours.

  • Rana Gorgani

    Voilà. Parce qu'il y a des moments où, à la fin d'un spectacle, je n'aime pas trop ce mot, mais de présentation de danse soufie. j'ai tout oublié. Je ne sais pas ce qui s'est passé.

  • Myriam Sellam

    Incroyable.

  • Rana Gorgani

    Donc vraiment, je m'en remets à mon corps. Je me dis, voilà, mon corps, il sait ce qu'il doit faire. Il connaît les mouvements, il connaît les pas. Et après, ce que je vais faire, ça, ce n'est pas de...

  • Myriam Sellam

    De ton ressort.

  • Rana Gorgani

    De mon ressort. Et c'est là où on peut parler de trans. Oui. J'ai dû, d'ailleurs, apprendre à contrôler ces états-là.

  • Myriam Sellam

    Et comment tu fais pour contrôler ça ?

  • Rana Gorgani

    je pense à une phrase de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Je suis comme un compas, un pied fixé sur ma foi et l'autre pied qui parcourt les 72 nations. Et j'ai dû solidifier ce pied qui est comme un compas.

  • Myriam Sellam

    Voilà. La terre toujours restée ancrée.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Voilà. Et avec le temps, j'ai pu me dire très bien, je vais partir dans le tournoiement, je vais traverser certains états que je ne vais pas contrôler, mais je vais faire toujours en sorte de garder cet ancrage, le centre en fait. Ce que je fais sur scène est encore différent de ce que je peux faire lors de cérémonie soufie.

  • Myriam Sellam

    En quoi c'est différent ?

  • Rana Gorgani

    Parce que là, lors d'une cérémonie soufie, la seule différence, c'est que je ne suis pas, disons-le clairement, je ne suis pas en représentation. Même si moi, je n'ai jamais l'impression d'être en représentation. Vraiment. Mais il y a quand même cette notion-là, sur scène, de rester centré avec la lumière. Il y a quand même un début, il y a quand même une fin. Tandis que lors d'une cérémonie soufie, je danse de la même manière. Je n'adapte pas ma danse, puisque c'est une danse qui est avant tout, chez moi, une croyance profonde de tout ce que je raconte. Heureusement, j'y crois. j'y crois et je ne me pose pas la question de savoir qu'est-ce qui est de l'ordre du mystique qu'est-ce qui est de l'ordre de la réalité de ce qui se passe tu parlais d'état modifié de conscience moi j'emmène d'autres mots, j'emmène d'autres images je parle de libération de l'âme quand d'autres parleraient de trans ou d'état modifié de conscience je parle de rentrer dans le monde céleste quand certains diraient il y a cette perte de repère et il y a la musique répétitive qui fait que le corps, d'une certaine manière, puisqu'il est dans un état de trance, ne contrôle plus ses mouvements. Moi, je ne vois pas comme une perte de contrôle.

  • Myriam Sellam

    Tu rentres dans un autre contrôle, finalement, qui est le non-contrôle, peut-être ?

  • Rana Gorgani

    Je rentre dans le monde de l'invisible. Justement, lors d'une cérémonie, là, je vais beaucoup plus loin. Je vais déjà très loin sur scène, mais je vais beaucoup plus loin. Je n'ai plus aucune limite. Je vais donner un exemple concret.

  • Myriam Sellam

    Oui, parce que c'est vrai que c'est difficile pour nous.

  • Rana Gorgani

    Je me souviens, j'ai travaillé avec un chorégraphe qui s'appelle Mathieu Auckmiller, qui est un chorégraphe qui crée des pièces plutôt contemporaines, qui m'a vue une fois sur scène et qui a été, en tout cas il me semble, c'est pour ça qu'il a voulu travailler avec moi, assez fasciné. Et il m'a parlé d'un projet, il m'a dit, je souhaiterais faire un portrait de toi, de ton histoire et mettre cela en scène et je te laisserai libre pour la danse. Donc moi, ça m'allait très bien puisque comme j'ai cette difficulté de contrôle de mouvement, c'est impossible. Pour moi, le mot chorégraphie est assez abstrait. Il a très vite compris un peu. Il m'a dit, voilà, moi, j'ai cette idée de faire un portrait. et le texte serait projeté sur scène, la musique serait en continu. Donc, es-tu intéressée ? J'ai trouvé ça très intéressant d'emmener ce côté contemporain, c'est-à-dire de montrer au public en même temps cette danse spirituelle, en la liant avec mon histoire personnelle, qui est très concrète. Et donc de montrer ces deux côtés finalement au public, j'avais trouvé que c'était une idée très intéressante. Et une fois en répétition... Un cri sort de mon corps, je dirais. Comme vraiment un cri de... Quand je crie comme ça, c'est... Je ne sais même pas si j'arriverais à expliquer ce que je ressens. Mais oui, c'est clairement un cri à la fois de libération. En fait, il y a tout dans ce cri. C'est de vie aussi. Oui, et puis de détresse aussi. Parce que je pense qu'on est enfermé. L'être humain est enfermé. Et d'ailleurs, pas que la danse ou fille, mais l'art en général permet cette libération. Je pense que c'est aussi pour ça que l'être humain a besoin de l'art, de la musique, de la danse. la peinture, peu importe, pour exprimer ce qu'il y a à l'intérieur de soi. Et heureusement que l'art existe pour pouvoir exprimer. C'est souvent des douleurs que les artistes expriment. Je pense encore une fois à une phrase de Rumi qui dit que Shams a dit à Rumi, alors Shams était le maître de Rumi, je ne sais pas si on aura le temps d'en parler, mais il lui dira c'est par la blessure que la lumière rentre Et je pense que parfois, s'il y a des sons qui arrivent pendant que je danse, que je ne choisis pas d'émettre, et bien c'est tout à coup... la blessure qui s'ouvre et qui fait rentrer la lumière. Et je me souviendrai toujours, il me dit à la fin, il faudrait ne pas mettre ce cri. C'est vrai que ça arrive comme ça, c'est très surprenant. Et d'ailleurs, je ne me souvenais même pas que j'avais crié. Et j'ai dû lui expliquer que ce n'est pas voulu. Donc il me dit de ne pas faire ça sur scène.

  • Myriam Sellam

    Telle une chorégraphie.

  • Rana Gorgani

    Voilà, de la présentation. Et en même temps, c'est quelque chose que je ne peux pas... contrôlé. Et d'un autre côté, je comprenais tout à fait ce qu'il essayait de me dire et son point de vue et que ça pouvait vraiment décontenancer le public et que ça, c'était pas le but. Et au début, je ne voulais rien entendre, j'insistais, je disais non mais ça je ne peux pas le contrôler, ce n'est pas moi qui décide, etc. Et je me suis dit en fait si.

  • Myriam Sellam

    je vais le contrôler. J'ai assez d'expérience. Je crois que je peux, justement, comme quelque chose... Je vais dire l'image qui me vient, mais ça peut paraître un peu cru. On peut d'ailleurs retrouver ça dans le tantrisme, de contrôler un orgasme, par exemple. Donc, d'arriver, je me suis dit, mais... en fait, je ne peux pas dire non, mais moi, ce qui se passe quand je danse est incontrôlable, etc. Je me suis dit, non, je vais travailler sur ça. Je vais travailler pour, même quand je vais sentir ces moments où clairement, là, je pars dans des états d'extase, disons-le, je vais le repousser, le repousser, le repousser. Et ce travail m'a aidée à avoir plus de retenue. Voilà, de retenue. Et en même temps, ça devient une force. Ça devient une force parce que ça décuple même, je me suis rendue compte que ça va, le fait de retenir certains états décuple mes capacités physiques. Par contre, quand je suis dans une cérémonie soufie, là, je ne me pose aucune question. Et donc, est-ce que t'as... Exactement. Voilà, je ne me dis pas, mais ça, est-ce que le public peut recevoir ça ? Ou est-ce que ça a été prévu ? il n'y a pas de jeu de lumière, il n'y a pas de début, il n'y a pas de fin. Puisque pendant les cérémonies soufis, c'est souvent des musiques qui durent plusieurs heures. Et je m'arrête quand je veux, je commence quand je veux. Donc, c'est pas... Oui,

  • Rana Gorgani

    il y a une liberté quand même, bien sûr, qui te permet ça. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de cadre, du coup, du spectateur. Ça doit durer une heure, etc. Et forcément... Si on revient, parce qu'on a fait une belle parenthèse nécessaire selon moi, si on revient à tes 14 ans, au départ, tu ne sais pas tout ça. Tu vas faire différents allers-retours en Iran. Qu'est-ce qui se passe après ?

  • Myriam Sellam

    Après, je garde, je parlais de secret, je garde un peu cette pratique comme un secret. Je ne le partage pas. Et aussi parce qu'en Iran, les cérémonies, c'était vraiment privé. Donc j'assiste à une première cérémonie. Et d'ailleurs, j'ai été, pour la petite histoire, dans une des confréries où j'ai été, j'ai été la première femme. à rentrer. Ils n'avaient jamais fait rentrer de femmes. Il n'y avait que des hommes. Je suis rentrée dans cette cérémonie et là, j'ai vu la puissance et la force de ces pratiques, que ce soit la musique, la danse, les prières. Et quelques années après, j'ai intégré une confrérie de femmes. Et donc, je faisais des voyages en Iran, où là, je pratiquais, mais... À aucun moment je me suis dit, tiens, je vais en faire mon art. D'ailleurs, j'ai fait du théâtre et je suis allée en Iran, j'ai appris les danses iraniennes. Traditionnelle ? Traditionnelle iranienne. Et j'ai créé plusieurs spectacles en présentant les danses d'Iran, mais pas uniquement d'Iran, d'Azerbaïdjan, d'Afghanistan. Donc vraiment dans un domaine qui était très traditionnel. Et il y a eu plusieurs événements. Un spectacle que j'avais créé, j'interprétais plusieurs danses. D'ailleurs, je dis le mot interpréter.

  • Rana Gorgani

    Oui, contrairement à ce que tu fais actuellement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Actuellement, je ne me dis pas du tout que j'interprète. En fait, je n'interprète rien du tout. C'est moi dans toute sa vérité, je ne sais pas. Mais c'est vraiment comme se mettre à nu. C'est ça, en fait. Donc, je ne peux proposer que ce qui m'anime, ce que je suis dans une vraie sincérité, bien qu'un interprète est aussi sincère. Donc, je disais, j'interprétais. Je me souviens, j'avais choisi le chiffre symbolique, sept danses différentes. C'était sud de l'Iran, nord de l'Iran, les danses de tribus nomades, je faisais des danses afghanes, ouzbeks, tajiks, d'Azerbaïdjan, enfin voilà. Je mettais des costumes magnifiques et à chaque changement de costume, il y avait les musiciens sur scène, jouaient, donc il y avait une partie avec la musique et danse et puis quand je sortais pour me changer, mettre une autre tenue, la musique continuait. Et c'est ainsi qu'il n'y avait, j'étais seule en scène avec des musiciens, qu'il n'y avait pas de coupure. Et la dernière danse, je tournais dans une robe blanche que j'avais fait faire en Iran. Et puis au fil des années, je me suis rendue compte que le public était extrêmement touché par cette dernière danse, qui était la danse soufie.

  • Rana Gorgani

    Plus particulièrement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Et même ne retenez que ça. Ça, ça m'a marquée. Je me suis dit mais... C'est intéressant puisque les danses précédentes, j'ai des tenues, des costumes magnifiques, des tenues très sophistiquées. Vraiment, c'était dans le moindre détail, les bijoux assortis aux tenues, des gestuels aussi travaillés. Alors que cette dernière danse, je tourne simplement dans une robe blanche quelques minutes. et c'est extrêmement simple et pour moi ça l'était en fait ce qui était difficile c'était d'interpréter toutes ces danses avant cette dernière danse Et les témoignages ont commencé à me faire comprendre que je devais prendre peut-être ce chemin-là pour mon travail artistique. Je dis souvent que mon art est devenu spirituel avec le temps, mais je n'ai jamais choisi ça. Et je me souviendrai toujours d'une fin de spectacle, c'était à l'Institut du Monde Arabe. et il y a un vieux monsieur qui était syrien. Je ne sais pas qui c'était, mais qui voulait me voir. On m'appelle, on me dit Quelqu'un veut venir te saluer. Et ce monsieur, il avait les larmes aux yeux, il a pris ma main et il a baisé ma main. Et il m'a dit Merci. Merci d'avoir tourné pour nous. Et je me suis dit, je me souviens, je me suis dit, tiens, il sait, il connaît. parce qu'à cette époque-là je parlais très peu de spiritualité de tout ce qu'on vient d'évoquer et il m'a dit ça et dans son regard j'ai compris qu'il connaissait on dit le derviche reconnaît le derviche on dit que même parfois tu peux reconnaître un balayeur ou peu importe c'est quelque chose qui est de cœur à cœur mais j'ai vu dans les yeux de ce monsieur comment dire je crois que je me suis vue et je crois qu'il s'est vu à travers moi. Et cette idée de miroir, cette idée de cette danse qui est une ouverture du cœur, et on parlait aussi de lumière tout à l'heure, je crois que j'ai perçu la lumière qu'il avait perçue. Et ça, ça ne vient pas de moi directement, de mon être. Je pense qu'on s'est reconnu à ce moment-là comme on peut reconnaître. Parfois, je disais, le derviche reconnaît le derviche. Eh bien, on peut croiser le regard d'un balayeur. Et en fait, à travers ce simple regard, il y a quelque chose qui est communiqué, qui nous touche profondément.

  • Rana Gorgani

    Finalement, c'est de l'ordre de l'âme.

  • Myriam Sellam

    Ah mais bien sûr, ça n'est que ça. Alors l'âme, on y croit ou on n'y croit pas, mais c'est cet invisible qui existe, qui est là. Et je pense que quand on parle de danse sophie, on rentre dans le domaine de l'invisible. D'ailleurs, on appelle aussi la danse soufie, elle a plusieurs noms, mais la danse des âmes. On se reconnaît à travers l'autre. Et il y a comme un effet de miroir, je pense, de miroir. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un miroir ? Il reflète la lumière.

  • Rana Gorgani

    Voilà, c'est la fin de la première partie de cet épisode. Merci de l'avoir écouté jusqu'au bout. J'espère qu'il vous a plu et si c'est le cas, abonnez-vous. Je serai toujours ravie d'avoir vos retours et suggestions. Alors n'hésitez pas à me faire part de vos coups de cœur ou de vos idées en me contactant directement via Instagram ou Facebook. Je vous donne rendez-vous le 16 juin pour la seconde partie de cet épisode où nous allons découvrir comment Rana a incarné l'une des plus grandes figures de la danse soufie en Occident. A très bientôt !

Description

Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant : la danse des derviches tourneurs.


S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. 

Ancrée dans la tradition soufie et née au 13eme siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement.

 

Si je vous dis "derviches tourneurs", j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel.

 

Pourtant,  il y a également des femmes qui pratiquent cette danse fondée par le célèbre poète mystique Rûmi.

 

Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ces plus grandes ambassadrices.  Elle est aussi l'une des seules femmes derviches tourneurs à se produire sur scène…

 

Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art. Au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes.

 

Elle s'est également engagée pour défendre leurs droits et qu'elle entend faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

 

Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie… C'est ce dont on va parler aujourd'hui…


Vous pouvez retrouver toutes les informations la concernant (stages, retraites, événements) sur https://www.rana-gorgani.com/


ainsi que sur instagram: https://www.instagram.com/ranagorgani/


Musiques :

Daf - Kamkar Ensemble

The glance of the beloved - Alireza Ghorbani


Photo: Julian Succo


Et voici les liens du podcast sur les réseaux sociaux:

Le compte Instagram du podcast : https://www.instagram.com/lessensdeladanse.podcast/

Le compte Facebook du podcast : https://www.facebook.com/lessensdeladanse.podcast


Très belle écoute !



 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Rana Gorgani

    Les Sens de la danse, le podcast qui met de la conscience dans le mouvement. Bonjour à tous, je suis ravie de vous retrouver. Et étant donné cette météo pour le moins capricieuse, je vous propose aujourd'hui de partir pour un nouveau voyage au chaud, ça va sans dire. Dans ce nouvel épisode, nous allons partir explorer un rituel mystique et envoûtant, la danse des Davish Tourneurs. S'il s'agit d'un voyage qui se tient principalement en Iran, c'est surtout un voyage en vous que cette pratique ancestrale propose. Ancrée dans la tradition soufie et née au XIIIe siècle, elle est un véritable voyage spirituel à travers le mouvement. Alors si je vous dis Dervish Turner, j'imagine que ce sont des images d'hommes vêtus de longues robes blanches qui vous viennent à l'esprit. Ils tournent lentement sur eux-mêmes, les yeux fermés, leurs bras tendus vers le ciel. Pourtant, il y a également des femmes qui pratiquent cette danse, fondée par le célèbre poète mystique Rumi. Et aujourd'hui, j'ai la chance de recevoir l'une de ses plus grandes ambassadrices. Elle est aussi l'une des seules femmes Dervish Turner à se produire sur scène. On ne peut pas être femme sous fille et en même temps se produire sur scène. Parce que justement, il y a un endroit où on ne respecte pas la tradition. Donc moi, d'une certaine manière, j'ai cassé tous les codes. Mais on peut sortir de la tradition si on a été dans la tradition. Et c'est parce que j'ai été dans la tradition qu'à un moment donné, je me suis dit tiens, je vais sortir de ça.

  • Myriam Sellam

    Rana Gorgani est une danseuse franco-iranienne qui incarne la liberté des femmes à travers la beauté de son art, au point de devenir une véritable inspiration pour de nombreuses femmes iraniennes. Elle s'est engagée aussi pour défendre leurs droits et elle pourra le faire rayonner à travers le monde puisqu'elle a été choisie pour porter la flamme olympique à Paris.

  • C'est un honneur de porter la flamme. au nom de la lutte des femmes iraniennes. C'est vraiment pour moi un symbole fort et je ne pouvais que l'accepter. Et je ne me dis pas, d'ailleurs ce n'est pas le cas, que c'est moi, Rana Ghorgani, l'artiste qui porte cette flamme. Je me dis simplement que je porte cette flamme pour le peuple iranien et oui, particulièrement les femmes. et ça, ça me touche profondément.

  • Myriam Sellam

    Quand la danse nous révèle, nous transcende et nous relie, c'est ce dont on va parler aujourd'hui. Et avant de commencer, vous savez que votre soutien est essentiel pour que ce podcast continue de grandir. Alors abonnez-vous pour ne rien manquer des prochains épisodes. Vos avis sur les plateformes d'écoute m'aident aussi énormément. Alors si vous appréciez le contenu, n'hésitez pas à laisser 5 étoiles et un petit commentaire. Un grand merci pour votre fidélité. Je vous souhaite une très belle écoute. Bonjour Anna.

  • Rana Gorgani

    Bonjour.

  • Myriam Sellam

    Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ?

  • Rana Gorgani

    Très bien, je suis ravie d'être là et d'avoir cette chance, cette opportunité de parler de danse et de spiritualité, j'espère, parce que c'est le cœur de la danse soufie, la spiritualité.

  • Myriam Sellam

    Eh bien, on va en parler et je suis aussi ravie parce que c'est une belle synchronicité qui nous a fait se parler aujourd'hui lors d'un bel événement et j'ai vu vraiment ça comme un signe et je suis vraiment contente. de t'avoir aujourd'hui. Et spiritualité, oui, j'espère bien qu'on va en parler. On va commencer, si tu veux bien, par le commencement. Comment est-ce que finalement, toi, tu as découvert cette danse spirituelle, sacrée, soufie que tu fais ?

  • Rana Gorgani

    Je l'ai découverte, j'étais assez jeune, j'étais adolescente. C'était lors de mon premier voyage en Iran. Le fait est que je n'ai pas pu découvrir mon pays d'origine avant l'âge de mes 14 ans. Donc je dis souvent que je me sens appartenir au monde pour la simple et bonne raison que j'ai mon père qui est kurde, ma mère iranienne. Je suis née en Allemagne, nous sommes venues vivre en France et jusqu'à très tard, je ne connaissais pas l'Iran et je l'idéalisais d'une certaine manière d'ailleurs. Et quand j'ai pu aller en Iran... Pour la première fois, j'ai très vite été attirée par la musique. Donc c'est d'abord la musique qui m'a mis en lien avec la danse et la spiritualité soufie. J'ai voulu apprendre un instrument qui s'appelle le daf, qui est une percussion soufie, qui est un instrument qu'on utilise lors des cérémonies avec des rythmes répétitifs. Et là, le corps... et est entraîné d'une certaine manière dans des mouvements également répétitifs à travers des chants sacrés. Et lorsque j'ai commencé à essayer d'approcher cet instrument, je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement un instrument que j'approchais, mais tout un univers où il y avait la présence de la musique, de la danse, des chants, et j'ai découvert ainsi le soufisme. En me familiarisant avec la danse, j'ai aussi découvert qu'il ne s'agissait pas que de danse, mais derrière il y a un message qui est fort, un message universel, d'avant tout de paix. Et c'est cette paix-là qui est une recherche intérieure, amène à ce que l'on appelle le chemin de l'amour. C'est pour ça d'ailleurs qu'on appelle aussi la spiritualité la religion de l'amour.

  • Merci.

  • Myriam Sellam

    Alors justement, quand toi, tu arrives avec tes 14 ans en Iran, que tu découvres le daf, donc ce tambour, c'est quoi que tu ressens ? C'est cet amour-là ?

  • Rana Gorgani

    J'ouvre la porte à un univers qui était secret. Je l'ai senti très vite et j'ouvre la porte déjà à cette époque-là. Disons-le, ça fait plus de 25 ans, je me suis dit, ça, ça n'existe pas. Là où je vis, là où je suis, donc en Europe et particulièrement en France, Je me suis dit, tiens, je découvre quelque chose qui est en lien avec mes origines et qui est d'une force incroyable. Et ça, à cette époque, je ne savais pas encore que j'allais en faire mon art et que j'allais le partager, le faire découvrir. Mais j'avais conscience de quelque chose qui allait être un trésor. Voilà, ce secret, tout ce qu'il y avait derrière. Parce que... Je tiens à dire que ces pratiques-là en Iran sont faites en plus dans la plus grande discrétion. Car elles sont interdites, tout simplement. On accuse les personnes qui pratiquent la spiritualité soufie de blasphème. Alors c'est intéressant parce que parfois ici en France, je fais tout un travail pour parler du divin. du monde céleste, de tout cet invisible, en disant, attention, je ne parle pas de religion, je ne viens pas faire de prosélytisme, je n'essaie pas de convaincre, parce qu'il s'agit d'autre chose, il s'agit d'une connexion avec la Terre, avec le cosmos, avec les éléments. Lorsque je danse, je mets la main... Droite vers le ciel, la main gauche vers la terre. Et cette idée de reliance entre le monde céleste et le monde terrestre, c'est aussi l'idée d'être porteur de lumière. Ici, il y a tout un travail pour dire ne faisons pas d'amalgame parce qu'en fait la spiritualité soufie, elle s'adresse à tous, quelle que soit la confession. Et en même temps, en fait, en Iran, on accuse les personnes. qui pratiquent cette spiritualité, donc avec pourtant ce message très fort d'être en lien avec l'autre, d'aimer l'autre, de considérer, eh bien ça est vu comme un manque de respect à la religion. Ce qui peut être vu en Occident comme une pratique religieuse, qui ne l'est pas, comme je le dis, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas en lien. Avec des symboles religieux très forts, qu'on retrouve d'ailleurs dans toutes les religions monothéistes. Ici, il y a tout ce travail et en fait, en Iran, c'est le contraire. Les soufis disent mais non, nous, on ne blasphème pas. Pourquoi vous nous accusez de blasphémer alors que nous, nous avons un message fort d'amour et de paix à travers la musique et la danse ?

  • Myriam Sellam

    Alors justement Rana, pour ceux qui ne connaissent pas, parce qu'effectivement c'est encore un peu méconnu ici, la danse ou fille, les dervishes tourneurs expliquent-nous un peu c'est quoi. Je voudrais que tu nous parles d'abord de la symbolique. Pourquoi est-ce qu'on tourne ? Pourquoi est-ce que c'est vers la gauche ? Quels sont un petit peu les piliers de la danse ? Et justement, quelle est cette symbolique ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle vise ?

  • Rana Gorgani

    Alors, tout un programme ! Avant tout, il est important de dire et d'expliquer que cette danse a pour nom Sama qui est un mot d'origine arabe, et en turc on dit Sema et ça signifie littéralement écouter Mais dans ce mot Sama il y a la notion d'audition spirituelle. Un poète très connu qui est Rumi a parlé dans sa poésie, d'ailleurs il dansait lorsqu'il disait la poésie et déclamait, et il parle de Raxesama, qui veut dire littéralement la danse de l'écoute. et on voit bien en fait l'importance finalement d'un état qui me permet d'être reliée et d'être en lien avec le monde et avec ceux qui m'entourent. Et ce lien passe par l'écoute. Donc déjà, cette danse ne s'appelle pas à l'origine danse tournante ou danse soufie, mais le sama. Et il y a la confrérie des derviches tourneurs, le nom de cette confrérie c'est Mevlevi, la confrérie des Mevlevi. qui vient du nom de Rumi, que l'on appelle en arabe et en persan Molono, notre maître, ou en turc Mevlana. Et donc Mevlana a donné la branche Mevlevi, c'est-à-dire les suiveurs de Mevlana, de Rumi, et qui a été fondée par le fils de Rumi, et non pas par Rumi, pour garder la mémoire de son père, qui a largement contribué à mettre la danse au centre. de la spiritualité soufie. Et avec le temps, et surtout en Europe, on les a appelés les dervish-tourneurs. Mais un dervish-tourneur, on l'appelle un semozen ou samozen en arabe, qui veut dire celui ou celle qui pratique l'écoute. Semozen, comme on dirait, alors je vais vulgariser, mais dans un art martial, un judoka, un karatéka, cette danse s'appelle sama. Donc si je pratique cette danse, je suis semozen. peu importe homme ou femme. Donc voilà un peu pour l'origine, mais... On ne trouve pas cette danse uniquement dans la confrérie des Mevlevis, c'est-à-dire la confrérie des Dervish-Turners. On la trouve largement dans tout le monde oriental, là où il y a la pratique de la spiritualité. Et après, elle prend des formes différentes, cette danse. On la retrouve en Égypte, en Syrie, en Iran, en Turquie, en Afghanistan également. Et je tourne donc... Du côté gauche, du côté de mon cœur, comme la terre qui tourne autour du soleil, il y a différents mouvements de bras et chaque mouvement de bras porte un symbole spirituel. Par exemple, le semozen, donc j'allais dire le dervish tourneur, commence toujours les bras croisés. Les bras croisés sur le buste, cette première position est le symbole de l'unité et signifie la vie et la mort.

  • Myriam Sellam

    En même temps.

  • Rana Gorgani

    En même temps.

  • Merci.

  • Rana Gorgani

    Quelque chose qui est intéressant dans la mystique, je dirais la mystique et aussi finalement tout un univers poétique, je danse, le but n'est pas de rentrer en extase, même si cette extase peut venir. Il y a cette idée de libérer l'âme. Et à travers ce mouvement de rotation en lien avec le mouvement de l'univers, en lien avec les planètes qui tournent autour du système solaire, je deviens un. avec l'univers et cette union permet finalement la libération de cet invisible qui fait partie d'un grand tout. et je deviens ce tout, je deviens, je dirais, ce rien, le hich c'est un mot très important dans le soufisme, hich signifie rien et tout à la fois.

  • Myriam Sellam

    L'unité finalement du début.

  • Rana Gorgani

    Exactement, mais pour pouvoir m'unir à ce grand tout et ce rien à la fois, eh bien... Comme dirait Rumi, comme les atomes, je rentre dans ce mouvement que mon âme reconnaît et elle peut ainsi se libérer. On appelle aussi cette danse la mort mystique. Mais la mort mystique,

  • Myriam Sellam

    c'est une renaissance peut-être aussi.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Je meurs pour renaître et je commence les bras croisés, je termine les bras croisés. Donc, nous avons ce mouvement-là. Il y a aussi les deux bras vers le ciel. Ça, c'est l'accueil de la lumière. Être en lien avec le tout, encore. C'est cette idée très forte qu'il y a à l'intérieur de notre être. Tout le mouvement de l'univers, et ça c'est quelque chose aussi qu'on retrouve dans la poésie de Rumi. Il y a une citation de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Tu n'es pas une goutte dans l'océan tu es l'océan dans une goutte. Et je dirais que ça, et bien cette phrase-là, qui est imagée, qui est métaphorique, elle peut être expérimentée à travers le mouvement de tournoiement. La signification profonde de cette phrase, de se sentir à un moment donné, complètement, littéralement, faire partie d'un tout.

  • Myriam Sellam

    C'est donc, si je te suis bien, comme une fenêtre, un passage, une voie. vers quelque chose que l'être humain cherche finalement avant tout, c'est-à-dire du sens, c'est-à-dire se relier et être finalement plus tout seul.

  • Rana Gorgani

    Alors, en t'écoutant, quoi qu'il en soit, Déjà, on part du principe dans la spiritualité soufie que l'on n'est pas seul. Cette idée de solitude n'existe pas. Et la première écoute, d'ailleurs, spirituelle, est l'écoute du battement de cœur. Le divin, cette idée de divin, est en chacun de nous. Donc, la recherche, elle est vraiment intérieure. Mais je pense que la pratique de cette danse, en fait, ce n'est pas une question de... de se sentir seule ou pas seule, parce qu'il peut y avoir des émotions très fortes qui arrivent et qui peuvent être justement, bien au contraire, sentir le détachement avec le reste du monde. Donc sentir en même temps que finalement, toutes les choses auxquelles je suis attachée sur cette terre, sont non seulement éphémères, mais ne sont que des projections. Et donc je crois que c'est plutôt, je dirais même le contraire, la pratique de la danse soufie peut-être me permet de sentir que je suis un et qu'il n'y a pas besoin d'autre, de l'autre.

  • Myriam Sellam

    Oui, donc c'est l'inverse,

  • Rana Gorgani

    effectivement. Voilà, mais attention, ça ne veut pas dire que pratiquer la danse soufie va faire que je me sépare des personnes que j'aime. Non, bien au contraire. Mais sentir en fait que toutes les projections que je peux faire et puis les peurs que l'on peut avoir de perdre l'autre ou des attentes qu'on peut avoir d'une certaine manière disparaissent. C'est aussi une forme de méditation. On dit que la méditation, je pense aux pratiques zen par exemple, où il y a cette idée de détachement et de détachement pour pleinement se réaliser soi, est également présente dans le soufisme et dans la danse soufie. D'ailleurs, il y a quelque chose que je dis souvent. Lors des ateliers, puisque je fais toute une préparation à l'écoute, j'ai une façon de travailler assez particulière, c'est-à-dire en guise d'échauffement, eh bien, je vais emmener les personnes à travailler l'écoute, une écoute profonde. avec les yeux fermés. Donc, en même temps, on perd la notion d'espace, on perd la notion aussi de l'autre, puisque chacun, en fait, les yeux fermés, rentrent dans cette écoute, perçoit les sons différemment, et j'emmène les participants à se mouvoir dans l'espace, les yeux fermés, et je leur dis souvent, tu marches seul, mais tu n'es pas seul. Et c'est ça, finalement, c'est une danse qui est très intime, très individuelle et qui nous... Il y a beaucoup d'opposés parce que j'ai envie de te dire, si je pense aussi à mon expérience lorsque je danse, lorsque je suis sur scène, à la fois, je suis coupée du monde, je ne suis plus là, clairement.

  • Myriam Sellam

    Tu es dans un état de conscience modifié finalement.

  • Rana Gorgani

    De manière scientifique, on peut appeler... Moi, je vois ça différemment, mais je ne suis plus à un endroit précis, très vite d'ailleurs, alors peut-être pas les premières minutes, mais bien souvent, lorsque je danse sur scène, ça peut durer jusqu'à une heure, une heure et demie, je tourne sans m'arrêter, et au bout de quelques minutes, la seule chose qui me relie, c'est le son, c'est la musique. Je reste en lien avec le présent par rapport au son. Mais très vite, j'oublie que je suis dans un théâtre, je ne pense plus au public, mais tout en ressentant les présences. C'est ça le paradoxe. Alors dire, là je rentre dans quelque chose d'un peu mystique, mais...

  • Myriam Sellam

    Mais en fait, tu es là et partout.

  • Rana Gorgani

    Je suis là et plus là à la fois. Je suis là et plus là à la fois. Et il y a quelque chose de l'ordre de l'abandon. Et quand on goûte à cet abandon, et quand on accepte aussi de s'abandonner... À travers ce mouvement, c'est là où on peut parler d'état de trance, si tu veux, ou d'extase. Et ce que l'on ressent est très puissant. On peut d'ailleurs traverser des émotions différentes suite à cette pratique. Avec le temps, moi, j'ai appris à revenir très vite. C'est-à-dire comme...

  • Myriam Sellam

    À revenir dans ton corps, finalement.

  • Rana Gorgani

    Oui, à revenir dans mon corps. Oui. Oui, c'est le mot juste. Et plus le temps passe, je ne dirais pas que j'ai peur, mais je me dis, oh là là, qu'est-ce qui va se passer cette fois-ci ? Parce que j'ai expérimenté et je sais. Et à chaque fois, c'est différent. Pour te faire une confidence, bien que ça fait plus de 15 ans maintenant, j'ai toujours l'impression que c'est la première fois. toujours.

  • Myriam Sellam

    C'est merveilleux, ça.

  • Rana Gorgani

    Et ça, c'est quelque chose de merveilleux. Je pense que c'est pour ça que je continue à faire toujours la même chose, à tourner. Et oui, je pense que c'est ça. Je continue de... Parce qu'en fait, j'ai l'impression qu'on parlait de renaissance, de naissance. Eh bien, oui, je l'expérimente à chaque fois pour la première fois. Et ça, c'est très étrange comme sensation. Et ce n'est pas de l'ordre technique, en fait. D'ailleurs, ça, c'est quelque chose que je pense que tous les danseurs diront. Par contre, bien sûr que j'ai une certaine technique. Et c'est cette technique-là sur laquelle je me repose.

  • Myriam Sellam

    Comme toujours.

  • Rana Gorgani

    Voilà. Parce qu'il y a des moments où, à la fin d'un spectacle, je n'aime pas trop ce mot, mais de présentation de danse soufie. j'ai tout oublié. Je ne sais pas ce qui s'est passé.

  • Myriam Sellam

    Incroyable.

  • Rana Gorgani

    Donc vraiment, je m'en remets à mon corps. Je me dis, voilà, mon corps, il sait ce qu'il doit faire. Il connaît les mouvements, il connaît les pas. Et après, ce que je vais faire, ça, ce n'est pas de...

  • Myriam Sellam

    De ton ressort.

  • Rana Gorgani

    De mon ressort. Et c'est là où on peut parler de trans. Oui. J'ai dû, d'ailleurs, apprendre à contrôler ces états-là.

  • Myriam Sellam

    Et comment tu fais pour contrôler ça ?

  • Rana Gorgani

    je pense à une phrase de Rumi que j'aime beaucoup qui dit Je suis comme un compas, un pied fixé sur ma foi et l'autre pied qui parcourt les 72 nations. Et j'ai dû solidifier ce pied qui est comme un compas.

  • Myriam Sellam

    Voilà. La terre toujours restée ancrée.

  • Rana Gorgani

    Exactement. Voilà. Et avec le temps, j'ai pu me dire très bien, je vais partir dans le tournoiement, je vais traverser certains états que je ne vais pas contrôler, mais je vais faire toujours en sorte de garder cet ancrage, le centre en fait. Ce que je fais sur scène est encore différent de ce que je peux faire lors de cérémonie soufie.

  • Myriam Sellam

    En quoi c'est différent ?

  • Rana Gorgani

    Parce que là, lors d'une cérémonie soufie, la seule différence, c'est que je ne suis pas, disons-le clairement, je ne suis pas en représentation. Même si moi, je n'ai jamais l'impression d'être en représentation. Vraiment. Mais il y a quand même cette notion-là, sur scène, de rester centré avec la lumière. Il y a quand même un début, il y a quand même une fin. Tandis que lors d'une cérémonie soufie, je danse de la même manière. Je n'adapte pas ma danse, puisque c'est une danse qui est avant tout, chez moi, une croyance profonde de tout ce que je raconte. Heureusement, j'y crois. j'y crois et je ne me pose pas la question de savoir qu'est-ce qui est de l'ordre du mystique qu'est-ce qui est de l'ordre de la réalité de ce qui se passe tu parlais d'état modifié de conscience moi j'emmène d'autres mots, j'emmène d'autres images je parle de libération de l'âme quand d'autres parleraient de trans ou d'état modifié de conscience je parle de rentrer dans le monde céleste quand certains diraient il y a cette perte de repère et il y a la musique répétitive qui fait que le corps, d'une certaine manière, puisqu'il est dans un état de trance, ne contrôle plus ses mouvements. Moi, je ne vois pas comme une perte de contrôle.

  • Myriam Sellam

    Tu rentres dans un autre contrôle, finalement, qui est le non-contrôle, peut-être ?

  • Rana Gorgani

    Je rentre dans le monde de l'invisible. Justement, lors d'une cérémonie, là, je vais beaucoup plus loin. Je vais déjà très loin sur scène, mais je vais beaucoup plus loin. Je n'ai plus aucune limite. Je vais donner un exemple concret.

  • Myriam Sellam

    Oui, parce que c'est vrai que c'est difficile pour nous.

  • Rana Gorgani

    Je me souviens, j'ai travaillé avec un chorégraphe qui s'appelle Mathieu Auckmiller, qui est un chorégraphe qui crée des pièces plutôt contemporaines, qui m'a vue une fois sur scène et qui a été, en tout cas il me semble, c'est pour ça qu'il a voulu travailler avec moi, assez fasciné. Et il m'a parlé d'un projet, il m'a dit, je souhaiterais faire un portrait de toi, de ton histoire et mettre cela en scène et je te laisserai libre pour la danse. Donc moi, ça m'allait très bien puisque comme j'ai cette difficulté de contrôle de mouvement, c'est impossible. Pour moi, le mot chorégraphie est assez abstrait. Il a très vite compris un peu. Il m'a dit, voilà, moi, j'ai cette idée de faire un portrait. et le texte serait projeté sur scène, la musique serait en continu. Donc, es-tu intéressée ? J'ai trouvé ça très intéressant d'emmener ce côté contemporain, c'est-à-dire de montrer au public en même temps cette danse spirituelle, en la liant avec mon histoire personnelle, qui est très concrète. Et donc de montrer ces deux côtés finalement au public, j'avais trouvé que c'était une idée très intéressante. Et une fois en répétition... Un cri sort de mon corps, je dirais. Comme vraiment un cri de... Quand je crie comme ça, c'est... Je ne sais même pas si j'arriverais à expliquer ce que je ressens. Mais oui, c'est clairement un cri à la fois de libération. En fait, il y a tout dans ce cri. C'est de vie aussi. Oui, et puis de détresse aussi. Parce que je pense qu'on est enfermé. L'être humain est enfermé. Et d'ailleurs, pas que la danse ou fille, mais l'art en général permet cette libération. Je pense que c'est aussi pour ça que l'être humain a besoin de l'art, de la musique, de la danse. la peinture, peu importe, pour exprimer ce qu'il y a à l'intérieur de soi. Et heureusement que l'art existe pour pouvoir exprimer. C'est souvent des douleurs que les artistes expriment. Je pense encore une fois à une phrase de Rumi qui dit que Shams a dit à Rumi, alors Shams était le maître de Rumi, je ne sais pas si on aura le temps d'en parler, mais il lui dira c'est par la blessure que la lumière rentre Et je pense que parfois, s'il y a des sons qui arrivent pendant que je danse, que je ne choisis pas d'émettre, et bien c'est tout à coup... la blessure qui s'ouvre et qui fait rentrer la lumière. Et je me souviendrai toujours, il me dit à la fin, il faudrait ne pas mettre ce cri. C'est vrai que ça arrive comme ça, c'est très surprenant. Et d'ailleurs, je ne me souvenais même pas que j'avais crié. Et j'ai dû lui expliquer que ce n'est pas voulu. Donc il me dit de ne pas faire ça sur scène.

  • Myriam Sellam

    Telle une chorégraphie.

  • Rana Gorgani

    Voilà, de la présentation. Et en même temps, c'est quelque chose que je ne peux pas... contrôlé. Et d'un autre côté, je comprenais tout à fait ce qu'il essayait de me dire et son point de vue et que ça pouvait vraiment décontenancer le public et que ça, c'était pas le but. Et au début, je ne voulais rien entendre, j'insistais, je disais non mais ça je ne peux pas le contrôler, ce n'est pas moi qui décide, etc. Et je me suis dit en fait si.

  • Myriam Sellam

    je vais le contrôler. J'ai assez d'expérience. Je crois que je peux, justement, comme quelque chose... Je vais dire l'image qui me vient, mais ça peut paraître un peu cru. On peut d'ailleurs retrouver ça dans le tantrisme, de contrôler un orgasme, par exemple. Donc, d'arriver, je me suis dit, mais... en fait, je ne peux pas dire non, mais moi, ce qui se passe quand je danse est incontrôlable, etc. Je me suis dit, non, je vais travailler sur ça. Je vais travailler pour, même quand je vais sentir ces moments où clairement, là, je pars dans des états d'extase, disons-le, je vais le repousser, le repousser, le repousser. Et ce travail m'a aidée à avoir plus de retenue. Voilà, de retenue. Et en même temps, ça devient une force. Ça devient une force parce que ça décuple même, je me suis rendue compte que ça va, le fait de retenir certains états décuple mes capacités physiques. Par contre, quand je suis dans une cérémonie soufie, là, je ne me pose aucune question. Et donc, est-ce que t'as... Exactement. Voilà, je ne me dis pas, mais ça, est-ce que le public peut recevoir ça ? Ou est-ce que ça a été prévu ? il n'y a pas de jeu de lumière, il n'y a pas de début, il n'y a pas de fin. Puisque pendant les cérémonies soufis, c'est souvent des musiques qui durent plusieurs heures. Et je m'arrête quand je veux, je commence quand je veux. Donc, c'est pas... Oui,

  • Rana Gorgani

    il y a une liberté quand même, bien sûr, qui te permet ça. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de cadre, du coup, du spectateur. Ça doit durer une heure, etc. Et forcément... Si on revient, parce qu'on a fait une belle parenthèse nécessaire selon moi, si on revient à tes 14 ans, au départ, tu ne sais pas tout ça. Tu vas faire différents allers-retours en Iran. Qu'est-ce qui se passe après ?

  • Myriam Sellam

    Après, je garde, je parlais de secret, je garde un peu cette pratique comme un secret. Je ne le partage pas. Et aussi parce qu'en Iran, les cérémonies, c'était vraiment privé. Donc j'assiste à une première cérémonie. Et d'ailleurs, j'ai été, pour la petite histoire, dans une des confréries où j'ai été, j'ai été la première femme. à rentrer. Ils n'avaient jamais fait rentrer de femmes. Il n'y avait que des hommes. Je suis rentrée dans cette cérémonie et là, j'ai vu la puissance et la force de ces pratiques, que ce soit la musique, la danse, les prières. Et quelques années après, j'ai intégré une confrérie de femmes. Et donc, je faisais des voyages en Iran, où là, je pratiquais, mais... À aucun moment je me suis dit, tiens, je vais en faire mon art. D'ailleurs, j'ai fait du théâtre et je suis allée en Iran, j'ai appris les danses iraniennes. Traditionnelle ? Traditionnelle iranienne. Et j'ai créé plusieurs spectacles en présentant les danses d'Iran, mais pas uniquement d'Iran, d'Azerbaïdjan, d'Afghanistan. Donc vraiment dans un domaine qui était très traditionnel. Et il y a eu plusieurs événements. Un spectacle que j'avais créé, j'interprétais plusieurs danses. D'ailleurs, je dis le mot interpréter.

  • Rana Gorgani

    Oui, contrairement à ce que tu fais actuellement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Actuellement, je ne me dis pas du tout que j'interprète. En fait, je n'interprète rien du tout. C'est moi dans toute sa vérité, je ne sais pas. Mais c'est vraiment comme se mettre à nu. C'est ça, en fait. Donc, je ne peux proposer que ce qui m'anime, ce que je suis dans une vraie sincérité, bien qu'un interprète est aussi sincère. Donc, je disais, j'interprétais. Je me souviens, j'avais choisi le chiffre symbolique, sept danses différentes. C'était sud de l'Iran, nord de l'Iran, les danses de tribus nomades, je faisais des danses afghanes, ouzbeks, tajiks, d'Azerbaïdjan, enfin voilà. Je mettais des costumes magnifiques et à chaque changement de costume, il y avait les musiciens sur scène, jouaient, donc il y avait une partie avec la musique et danse et puis quand je sortais pour me changer, mettre une autre tenue, la musique continuait. Et c'est ainsi qu'il n'y avait, j'étais seule en scène avec des musiciens, qu'il n'y avait pas de coupure. Et la dernière danse, je tournais dans une robe blanche que j'avais fait faire en Iran. Et puis au fil des années, je me suis rendue compte que le public était extrêmement touché par cette dernière danse, qui était la danse soufie.

  • Rana Gorgani

    Plus particulièrement.

  • Myriam Sellam

    Exactement. Et même ne retenez que ça. Ça, ça m'a marquée. Je me suis dit mais... C'est intéressant puisque les danses précédentes, j'ai des tenues, des costumes magnifiques, des tenues très sophistiquées. Vraiment, c'était dans le moindre détail, les bijoux assortis aux tenues, des gestuels aussi travaillés. Alors que cette dernière danse, je tourne simplement dans une robe blanche quelques minutes. et c'est extrêmement simple et pour moi ça l'était en fait ce qui était difficile c'était d'interpréter toutes ces danses avant cette dernière danse Et les témoignages ont commencé à me faire comprendre que je devais prendre peut-être ce chemin-là pour mon travail artistique. Je dis souvent que mon art est devenu spirituel avec le temps, mais je n'ai jamais choisi ça. Et je me souviendrai toujours d'une fin de spectacle, c'était à l'Institut du Monde Arabe. et il y a un vieux monsieur qui était syrien. Je ne sais pas qui c'était, mais qui voulait me voir. On m'appelle, on me dit Quelqu'un veut venir te saluer. Et ce monsieur, il avait les larmes aux yeux, il a pris ma main et il a baisé ma main. Et il m'a dit Merci. Merci d'avoir tourné pour nous. Et je me suis dit, je me souviens, je me suis dit, tiens, il sait, il connaît. parce qu'à cette époque-là je parlais très peu de spiritualité de tout ce qu'on vient d'évoquer et il m'a dit ça et dans son regard j'ai compris qu'il connaissait on dit le derviche reconnaît le derviche on dit que même parfois tu peux reconnaître un balayeur ou peu importe c'est quelque chose qui est de cœur à cœur mais j'ai vu dans les yeux de ce monsieur comment dire je crois que je me suis vue et je crois qu'il s'est vu à travers moi. Et cette idée de miroir, cette idée de cette danse qui est une ouverture du cœur, et on parlait aussi de lumière tout à l'heure, je crois que j'ai perçu la lumière qu'il avait perçue. Et ça, ça ne vient pas de moi directement, de mon être. Je pense qu'on s'est reconnu à ce moment-là comme on peut reconnaître. Parfois, je disais, le derviche reconnaît le derviche. Eh bien, on peut croiser le regard d'un balayeur. Et en fait, à travers ce simple regard, il y a quelque chose qui est communiqué, qui nous touche profondément.

  • Rana Gorgani

    Finalement, c'est de l'ordre de l'âme.

  • Myriam Sellam

    Ah mais bien sûr, ça n'est que ça. Alors l'âme, on y croit ou on n'y croit pas, mais c'est cet invisible qui existe, qui est là. Et je pense que quand on parle de danse sophie, on rentre dans le domaine de l'invisible. D'ailleurs, on appelle aussi la danse soufie, elle a plusieurs noms, mais la danse des âmes. On se reconnaît à travers l'autre. Et il y a comme un effet de miroir, je pense, de miroir. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un miroir ? Il reflète la lumière.

  • Rana Gorgani

    Voilà, c'est la fin de la première partie de cet épisode. Merci de l'avoir écouté jusqu'au bout. J'espère qu'il vous a plu et si c'est le cas, abonnez-vous. Je serai toujours ravie d'avoir vos retours et suggestions. Alors n'hésitez pas à me faire part de vos coups de cœur ou de vos idées en me contactant directement via Instagram ou Facebook. Je vous donne rendez-vous le 16 juin pour la seconde partie de cet épisode où nous allons découvrir comment Rana a incarné l'une des plus grandes figures de la danse soufie en Occident. A très bientôt !

Share

Embed

You may also like