Description
Si « le Maroc voit de la faiblesse chez l'Espagne, c'est l'annonce de problèmes à court et moyen terme ». C’est un diplomate espagnol, Jorge Dezcallar, qui le dit (El Independiente, 17/06/23). Dezcallar est censé savoir de quoi il parle, il a été ambassadeur d’Espagne au Maroc (1997-2001). Aujourd’hui à la retraite, il continue à s’intéresser au Maroc, pays pour lequel il dit éprouver de l'affection et où il a de très bons amis, après y avoir passé « des années très intenses et heureuses ».
En 2017, il a publié dans plusieurs journaux une chronique intitulée « Le Rif proteste ». On peut y lire, notamment :
• « Les Rifains sont islamisés mais ils ne sont pas arabes et ils désignent avec mépris les habitants de Casablanca ou de Marrakech comme « ces noirs du sud » (sic). Je peux, pour avoir vécu à Al Hoceima, témoigner qu’il n’en est rien. Dans le meilleur des cas, J. Dezcallar généralise à partir d’un cas isolé. Les habitants du nord du Maroc, en particulier à Tanger, se référent au reste du pays comme « Eddakhil », l’intérieur du pays, et à leurs compatriotes comme « Nass eddakhil ».
• « Le peuple du Rif s'est toujours rebellé contre tous ceux qui ont tenté de le dominer… même les Marocains de Rabat » (resic). Qui peuvent bien être ces « Marocains de Rabat », Dezcallar ne le dit pas.
Après quelques vaticinations sur une éventuelle extension des protestations au reste du pays, Dezcallar indique que « les Rifains se méfient des islamistes et ces derniers se méfient des Rifains ». L’auteur ne dit pas de qui se méfient les Rifains islamistes. Il termine par les inévitables conseils sur la meilleure manière de gérer le Maroc, car, évidemment, il y va de « l’intérêt de l’Espagne ».
Revenons à la déclaration à El Independiente mentionnée au début de ce texte. M. Dezcallar voit le Marocain, au choix, comme un être roublard dont il faut se méfier à tout prix, ou comme un félin prêt à bondir sur sa proie au moindre signe de faiblesse. Le Maroc ne croirait donc pas à un autre langage que celui de la force. Vision réductrice, inattendue et surprenante chez un diplomate chevronné, doublé d’un homme du renseignement (ancien directeur du CESID, aujourd’hui CNI, le service espagnol d’espionnage).
En 2002, des diplomates et des espions espagnols particulièrement sagaces ont cru que l’envoi de quelques mokhaznis sur le rocher de Taoura (Perejil) était en réalité le prélude à une invasion de Sebta, une « nouvelle marche verte » ont-ils dit. Je ne résiste pas à l’envie de reprendre à mon compte un passage dans le livre de M. Dezcallar : « il me semble parfois incroyable que nos voisins nous connaissent si peu ».
Si, aujourd’hui, les diplomates et les espions espagnols pensent toujours de cette façon, l’Espagne et le Maroc ont du souci à se faire.
Les idées très « vieille Espagne » et très belliqueuses de l’ancien président JM Aznar, dont l’arrogance et le style cassant ont tant nui aux relations entre les deux pays, semblent avoir eu de l'influence, même sur ceux qui ne partagent pas ses idées politiques.
Le récit, côté espagnol, de l’épisode du Perejil est consternant.
J. Dezcallar, qui était le patron du CESID à l’époque des faits, reconnait que l’ilot n'est pas inclus dans les limites territoriales de Sebta, mais il n’en pense pas moins que le statut de Taoura est « ambigu ».
Or, il ne l’est pas, et les responsables espagnols le savent parfaitement. « Perejil » n’a jamais été un territoire espagnol, il existe suffisamment de littérature à ce sujet, y compris d’historiens et de cartographes espagnols.
Ce qui n’empêche pas l’ancien ambassadeur de prétendre que son pays a été « agressé ». Quelle meilleure réponse lui donner que la célèbre déclaration du ministre français des affaires étrangères, Michel Jobert, en 1973, à propos de la guerre d’Octobre : « est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue forcément une agression imprévue? »





